Synthèse
I.

L’élection présidentielle de 2017 résulte de la dislocation du système politique français

1.

Emmanuel Macron est élu dans une France électoralement à droite

2.

Victoire d’Emmanuel Macron dans un contexte de dissidence électorale

II.

Le système des partis : décomposition sans recomposition

1.

Les grands partis traditionnels : entre recul et effondrement

2.

L’émergence difficile d’un nouveau parti majoritaire

III.

Fin 2018, l’impopularité grandissante du président cohabite avec le discrédit persistant de l’opposition

1.

Réformisme et impopularité

2.

Fin octobre 2018, dans l’opinion, l’opposition n’existe toujours pas

IV.

Nature de la crise politique en France

1.

Une crise européenne

2.

Une crise française

Conclusion : Macron, l’Europe et la démocratie ont destins liés

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Synthèse

Cette note est une contribution à l’analyse de la situation de la France un an et demi après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République dans des conditions inédites et imprévisibles. Cet événement, à proprement parler exceptionnel, est la conséquence  de la crise politique française, le résultat de blocages anciens qui ont paralysé peu à peu la société française et que les majorités successives n’ont pas su, pas pu ou pas voulu lever. Après avoir épuisé les alternances gauche/ droite, les électeurs français ont porté au pouvoir le plus jeune des présidents français. Il n’a pas été assez remarqué que le second tour avait ainsi opposé une candidate antisystème, Marine Le Pen, à un candidat hors système. On se souvient que Nicolas Sarkozy n’avait pas été Premier ministre avant de devenir président, que François Hollande n’avait jamais été ni Premier ministre, ni ministre.

Finalement, Emmanuel Macron est devenu président sans jamais avoir été auparavant ni élu ni candidat. Il ne fait pas de doute que les Français sont depuis quelques temps déjà à la recherche d’une véritable rupture. Ils ont franchi une étape supplémentaire lors de l’élection présidentielle de 2017. Rejetant d’un coup toutes les figures de la politique traditionnelle, ils semblent tenter un ultime compromis : une présidence de rupture sans rompre avec l’Union européenne. Compte tenu du contexte qui lui donne le jour, l’échec de la présidence Macron augmenterait donc significativement le poids des partisans d’une rupture plus radicale encore, avec l’Europe cette fois.

Dominique Reynié,

Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.

Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.

I Partie

L’élection présidentielle de 2017 résulte de la dislocation du système politique français

Du point de vue de l’étude des forces politiques, le résultat de l’élection présidentielle de 2017 était imprévisible. Le seul résultat prévisible était une victoire de la droite. En effet, entre 2012 et 2017, les élections intermédiaires enregistrent un fort recul de la majorité socialiste de François Hollande. La domination de la droite représentée par Les Républicains (LR) et de l’Union des Démocrates et Indépendants (UDI), le plus souvent associés, est une évidence : 18 des 20 élections législatives partielles ont été remportées par la droite. Les élections municipales de 2014, les élections départementales puis les élections régionales de 2015 dans une moindre mesure, sont autant de victoires pour la droite. Ces scrutins ont d’autant plus donné à la droite l’assurance de la victoire en 2017 qu’il est apparu d’abord probable puis certain que François Hollande ne pourrait pas être réélu. Mais rien ne s’est passé comme prévu.

1

Emmanuel Macron est élu dans une France électoralement à droite

C’est dans une configuration exceptionnelle que le scrutin s’est déroulé, bouleversant tous les scénarios raisonnables. Le renoncement ou l’élimination des candidats les plus importants a eu lieu avant le scrutin lui-même. Deux présidents de la République et trois Premiers ministres sont écartés : François Hollande ne se représente pas, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et Manuel Valls sont battus lors de « primaires », pratique d’un usage très récent, en dehors de toute obligation institutionnelle, et qui n’avaient pas précédemment concerné en même temps la droite et la gauche ; enfin l’élimination de François Fillon au terme d’une campagne de premier tour dominée par le soupçon d’enrichissement personnel, voire de corruption, dans une atmosphère médiatique de moralisation de la vie publique où l’institution judiciaire a joué un rôle crucial, amplifié par la presse et décuplé par la furie des médias sociaux.

Les péripéties politiques, médiatiques et judiciaires ont joué un rôle qu’il faut prendre en compte, mais sans toutefois l’exagérer, car la dislocation du système politique français commence bien avant. Dès 2016, le déroulement des primaires de la droite et du centre (20 et 27 novembre 2016) avait démontré la montée en puissance d’un mouvement de rejet de l’offre politique voulue par les partis installés. Les primaires du mouvement écologiste (19 octobre – 7 novembre 2016) avaient, dans la même logique de destitution, entrainé la défaite, dès le premier tour, de la principale candidate, Cécile Duflot, ancienne patronne du mouvement Europe Ecologie – Les Verts, députée puis ministre de François Hollande jusqu’à sa démission en 2014 pour marquer son désaccord avec la nomination de Manuel Valls au poste de Premier ministre. Enfin, les primaires organisées par le Parti socialiste les 22 et 29 janvier 2017 affirmeront la tendance, dans la victoire de Benoît Hamon, dont le poids au sein du PS était marginal.

 

2

Victoire d’Emmanuel Macron dans un contexte de dissidence électorale

Notes

2.

Cf. mon article « Les élections législatives depuis 1958 » dans Pascal Perrineau et Dominique Reynié (dir.), Le Dictionnaire du vote, Paris, Presses Universitaires de France, 2001, p. 371–375.

+ -

3.

L’abstention comptabilise les électeurs inscrits sur les listes électorales mais qui ne vont pas voter. Le vote blanc désigne les électeurs qui déposent dans l’urne une enveloppe vide ou une enveloppe contenant un bulletin blanc. Jusqu’en 2017, le vote blanc était comptabilisé avec les bulletins « nuls » (plus d’un bulletin dans l’enveloppe, bulletin portant une marque particulière du type rature, inscriptions manuscrites, déchirure, etc.). Les bulletins nuls peuvent être accidentels. Depuis plusieurs années, il existait une revendication visant à comptabiliser séparément les bulletins nuls et les bulletins blancs. L’idée était de ne pas confondre le geste consistant à participer au scrutin en exprimant sa volonté de ne pas voter pour les candidats en présence avec le geste accidentel, blagueur ou grossier que peut contenir le bulletin nul. En 2017, pour la première fois, les électeurs ont eu la possibilité de voter blanc et de voir leur geste respecté par la statistique électorale en étant comptabilisé à part.

+ -

Depuis 2001, je propose d’analyser les résultats électoraux en utilisant une catégorie que je nomme la « dissidence électorale »2, catégorie sous laquelle je propose de regrouper une pluralité de comportements différents mais qui ont en commun de signifier un rapport distancié, critique ou protestataire avec les choix proposés lors d’un scrutin, avec la procédure électorale, voire avec l’élection elle-même : l’abstention, le vote blanc et le vote protestataire3.

Notes

4.

A cette époque, en 1969, la situation était très différente, les deux can- didats finalistes, Georges Pompidou et Alain Poher incarnant chacun une tradition de la droite modérée, parlementariste et pro-européenne, privant de choix véritable les électeurs de gauche.

+ -

5.

Selon que l’on comptabilise ou non les bulletins nuls.

+ -

Lors du second tour de l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron l’emporte largement (66%) face à Marine Le Pen (34%). Mais malgré la gravité de l’enjeu, l’abstention atteint le niveau (25,4%) le plus élevé à l’exception de l’élection de Georges Pompidou, en 1969, dont les logiques étaient cependant très différentes4. Il en va de même pour les bulletins blancs et nuls qui battent tous les records (8,51% des votants et 6,32% des électeurs inscrits).

 

Une comparaison avec le second tour de la présidentielle de 2002, très similaire à celui de 2017, témoigne de l’aggravation de la crise : en 2002, lors du second tour, la dissidence électorale atteignait 44,2% des électeurs inscrits ; en 2017, elle se situe entre 56,3% et 54,1%5.

La dissidence électorale : 56,36 lors du 2nd tour de l’élection présidentielle (mai 2017)

Mieux formés et mieux organisés pour affronter les scrutins impliquant un grand nombre de candidats sur tout le territoire, les partis de gouvernement qui venaient d’être battus pouvaient espérer que les élections législatives de juin 2017 leur rendraient un peu de leur pouvoir perdu. Ce fut le contraire qui se passa. Les élections législatives ont amplifié l’élection présidentielle en sanctionnant l’ensemble de la classe politique traditionnelle.

 

On doit noter que, lors de ces élections, deux records d’abstention ont été battus, à l’occasion du premier tour (52%) et à l’occasion du second tour (57,4%). Manifestement, les électorats protestataires qui s’étaient agrégés pour l’élection présidentielle se sont d’une part dispersés et, principalement, abstenus lors des élections législatives. Les électeurs qui ont voté ont accordé une majorité absolue de sièges aux candidats de La République en Marche ! (LREM), avec 308 des 577 sièges de députés de l’Assemblée nationale. Le Parti socialiste qui disposait de la majorité absolue dans l’Assemblée sortante ne peut sauver que 30 députés ; Les Républicains parviennent à faire élire 112 députés.

II Partie

Le système des partis : décomposition sans recomposition

1

Les grands partis traditionnels : entre recul et effondrement

Notes

7.

Dans son ouvrage Révolution, publié en 2016, Emmanuel Macron constatait : « Nos partis politiques sont morts de ne plus être confrontés au réel, mais ils voudraient s’emparer de la principale élection pour perdurer.», Révolution, Paris, XO éditions, p. 40.

+ -

8.

Ministère de l’Intérieur 24 avril 2017, « Election présidentielle 2017 : résul- tats globaux du premier tour » (consulté le 15 décembre 2018).

+ -

Toutes les élections présidentielles ont été animées et régulées, voire contrôlées, par les deux grandes formations politiques de la droite et de la gauche. On a pu reprocher à ces partis d’avoir cartellisé la vie politique, voire la démocratie française7. Tel n’a pas été le cas le 23 avril 2017 puisque seuls 26,2% des électeurs ont soutenu l’un des candidats des deux partis dominants, à gauche le Parti socialiste, à droite Les Républicains, ce qui représente 20% des électeurs inscrits8. On peut le voir ici, l’effondrement de 2017 est la conséquence d’un effritement constant commencé il y a longtemps.

Le poids électoral des partis de gouvernement à l’élection présidentielle (Ensemble droite et gauche – 1er tour – suffrages exprimés et électeurs inscrits)

Notes

9.

Voir Pascal Perrineau, La France au Front, Paris, Fayard, 2014 et, toujours de Pascal Perrineau (dir.), Le Vote disruptif. Les élections présidentielles et législa- tives d’avril-mai-juin 2017, Paris, Presses de Sciences Po, 2017.

+ -

11.

Enquête électorale française 2017 réalisée par Sciences Po avec l’institut IPSOS, vague 14.

+ -

L’effondrement des partis historiques est lié à un autre bouleversement : l’élection présidentielle de 2017 rompt spectaculairement avec les logiques du clivage gauche/droite. Emmanuel Macron se présente comme de gauche « et en même temps de droite » ; Marine Le Pen est la candidate d’un parti, le FN, qui se prétend depuis longtemps : « ni de droite, ni de gauche, français ». Les deux candidats arrivés en tête au premier tour ont  donc en commun de refuser le clivage gauche-droite. Marine Le Pen met en scène une autre confrontation, sur laquelle insiste depuis longtemps Pascal Perrineau, celle opposant le camp des      « patriotes » à celui des « mondialistes »9. En 2017, pour la première fois dans une élection présidentielle, le clivage entre « société ouverte » et « société du recentrage national » s’est imposé. Pour autant, si les résultats du second tour ne se comprennent pas depuis le clivage gauche/droite, ils reflètent en revanche un profond clivage social, très classique. Ainsi, la candidate du FN, Marine Le Pen dépasse largement son score national (34%) chez les ouvriers où elle est majoritaire (56%) ; elle domine plus encore (69%) chez ceux qui « s’en sortent très difficilement avec les revenus du ménage ». Chez les chômeurs (47%) elle n’est pas loin de faire jeu égal avec Emmanuel Macron (53%), de même chez les employés (46%), les non-bacheliers (45%) ou dans la tranche de revenus la plus basse (45%). A titre de comparaison, le meilleur score de Jean-Marie Le Pen en 2002 était de 31%, chez les ouvriers. On le voit bien ici, deux France s’opposent à la fois sur le terrain politique et sur le terrain social10.

Les partis traditionnels, le PS et les LR, sont victimes d’une double dépossession : la première au profit du nouveau mouvement, En Marche !, la seconde au profit des populistes, de droite, principalement Marine Le Pen, et de gauche, principalement Jean-Luc Mélenchon. Avec Benoît Hamon en 2017, la famille socialiste réalise son plus mauvais score (6,36%) depuis 1969 (5%). L’électorat de François Hollande en 2012 (28,6%) s’est volatilisé : 46% des électeurs de François Hollande ont voté pour Emmanuel Macron, 26% pour Jean-Luc Mélenchon, 15% pour Benoît Hamon et 13% pour l’un des autres candidats11.

 

À droite, la déstructuration paraît moins avancée au premier coup d’œil. Le candidat des LR, François Fillon (20%), semble limiter les dégâts en égalant les scores que faisaient Jacques Chirac au premier tour, en 1981 (18%), 1988 (20%), 1995 (20,8%) et 2002 (19,8%). Mais notons d’abord que nous sommes très loin du score de Nicolas Sarkozy en 2007 (31,1%) et loin encore de son score de 2012 (27,1%) qui vit pourtant sa défaite. Ensuite, notons que l’échec de la droite en 2017 apparaît plus désastreux si l’on rappelle que lors de la plupart des élections présidentielles, la droite modérée était représentée par deux candidats, l’un issu du centre droit, l’autre venu de la famille gaulliste. Or, en 2017, François Fillon réalise 20% en étant l’unique candidat de ces droites modérées tan- dis que, pour ne prendre que l’exemple de 2007, la candidature de Nicolas Sarkozy (31,1%) voisinait avec celle d’un candidat de la famille centriste, François Bayrou (18,5%), soit un total de 49,6% ; de même en 2012, Nicolas Sarkozy (27,1%) et François Bayrou (9,1%), pourtant l’un et l’autre en fort recul, totalisaient encore plus du tiers des suffrages exprimés (36,2%).

 

En 2017, la droite s’est bel et bien effondrée. Son élimination du second tour est inédite. Elle est plus brutale que l’élimination du candidat socialiste dans la mesure où il s’agit de l’élection voulue et portée par la famille gaulliste dont se réclame François Fillon. En 1969, 2002 et 2017, les socialistes ont été éliminés dès le premier tour d’un scrutin auquel ils se sont historiquement opposés et qu’ils n’ont jamais véritablement accepté, compte tenu de leur préférence doctrinale pour un régime parlementaire ; au contraire, la droite gaulliste ou néo-gaulliste, n’a pas cessé de regarder l’élection présidentielle comme l’institution gaulliste par excellence et finalement comme un patrimoine dont elle revendique fièrement la paternité.

 

La crise de la droite française est donc aussi profonde que celle de la gauche. Ainsi, depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron et la nomination d’un Premier ministre issu des Républicains, Edouard Philippe, ce parti a connu des départs et des scissions, avec en particulier la création des « Constructifs ». Ce groupe de dissidents a rassemblé des élus LR soutenant Emmanuel Macron. Ils ont créé en novembre 2017 un nouveau parti, « Agir », dont le nouveau ministre de la culture Franck Riester a été le principal animateur. D’autres leaders républicains ont mis en place une structure autonome au sein du parti LR, comme l’association « Libres » de Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France ; d’autres ont préféré prendre leurs distances avec le parti, comme Alain Juppé ou François Baroin, président de la puissante Association des Maires de France, d’autres dirigeants importants ont démissionné, comme Xavier Bertrand, président de la région des Hauts de France ou Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des départements de France. Ainsi, l’échec est aujourd’hui patent par rapport à l’ambition qui était celle de l’UMP, ancêtre des Républicains. Créée en novembre 2002, l’UMP ambitionnait de réunir sous un même toit les droites républicaines gaulliste et non gaulliste. Quinze ans après cet effort historique d’unification, inspiré par le modèle allemand de la CDU-CSU, la droite française est victime d’un processus de morcellement qui n’épargne même plus ceux qui se réclament encore du parti Les Républicains.

 

Tout n’est pas encore perdu pour les partis traditionnels en général et notamment pour ceux de la droite modérée. En effet, les élections des responsables d’exécutifs locaux ayant eu lieu avant 2017, les collectivités territoriales restent entre les mains des partis défaits et constituent leur dernière place forte. Les Républicains (LR), les socialistes (PS) et les centristes (UDI) gouvernent la quasi-totalité des exécutifs municipaux, départementaux et régionaux. Ces élus locaux nombreux, plusieurs centaines de milliers, forment la base électorale du Sénat, si bien que la Chambre haute est encore entre les mains des partis traditionnels et tout particulièrement de la droite LR. En septembre 2017, lors des élections sénatoriales qui ont suivi l’élection présidentielle, LREM n’a obtenu que 28 sièges, alors que le parti en espérait le double. Les vieux partis résistent dans la France des territoires. C’est notamment pour avoir sous-estimé l’importance du rôle joué par ces relais politiques essentiels et la profondeur du clivage entre, d’un côté, la France des métropoles et, de l’autre côté, une France réunissant les villes petites et moyennes au monde rural, qu’Emmanuel Macron rencontre quelques-uns de ses adversaires les plus déterminés, et en particulier l’opposition du Sénat dont le rôle en matière de législation est important mais indispensable lorsqu’il s’agit de réviser la Constitution ou de légiférer sur l’organisation territoriale.

2

L’émergence difficile d’un nouveau parti majoritaire

Notes

12.

Gilles Finchelstein, « Portrait-robot des sympathisants de la République en Marche » (consulté le 11 décembre 2018), Fondation Jean Jaurès, 21 septembre 2018. L’étude repose sur les données du panel de Cevipof réalisé par Ipsos, soit 1.696 sympathisants de LREM. Sur une base de 12.387 électeurs, 14% des membres de l’échantillon se disent proches de LREM, 14% de LR ; 13% du FN ; 9% du PS ; 7% du FI/FG et 25% d’aucun parti.

+ -

13.

Bruno Cautrès, Thierry Pech, Marc Lazar et Thomas Vitiello, « La Répu- blique En Marche : anatomie d’un mouvement » (consulté le 11 décembre 2018), Terra Nova, 08 octobre 2018. Un questionnaire a été administré à un échantillon de 8.815 adhérents, juin 2018.

+ -

14.

Selon Terra Nova, 27% seulement ont plus de 60 ans à LREM, contre 38% au PS, 33% à LR et 30% au FN. Les trois quarts (72,6%) habitent dans des pôles urbains contre 59,2% pour l’ensemble de la population (Rapport Terra Nova, p.39).

+ -

15.

« Alors qu’il y a 27% d’employés et d’ouvriers dans la population, il n’y en a que 17% chez les sympathisants de LREM », in Portrait-robot des sympathisants de La République En Marche, Fondation Jean Jaurès et Cevipof, septembre 2018, p. 6.

+ -

16.

27% à Bac+4 ou au-dessus, soit 8 points de plus que la moyenne. Source : Sciences Po Cevipof, Ipsos, Sopra Steria, Fondation Jean-Jaurès, Le Monde, Enquête électorale française : comprendre le vote. Vague 19, juin 2018.

+ -

17.

40% viennent de la droite, 7% du centre, 27% de la gauche, 5% de l’extrême droite, 13% d’aucun parti, in Portrait-robot des sympathisants de La République En Marche, Fondation Jean Jaurès et Cevipof, octobre 2018, p. 9.

+ -

18.

En moyenne, les sympathisants de LREM se situent à 5,6 sur une échelle de 0 (très à gauche) à 10 (très à droite), in Portrait-robot des sympathisants de La République En Marche, Fondation Jean Jaurès et Cevipof, octobre 2018, p.9.

+ -

Les conditions de la victoire imprévisible et soudaine d’Emmanuel Macron l’ont amené à forger une doctrine en quelques mois. C’est en revendiquant une position centrale et pour l’occuper durablement qu’il a dû également donner le jour à un nouveau mouvement politique, dénommé En Marche ! puis La République en Marche ! (LREM) dans le but notamment d’attirer les soutiens de la droite et de la gauche qui lui sont tellement nécessaires. C’est ainsi que le nouveau Président s’est doté d’une majorité parlementaire.

 

Créée ex nihilo cette majorité est nombreuse mais fragile. Nombre des parlementaires de la LREM sont novices en politique, éloignés des réalités locales, issus de la société civile et du monde de l’entreprise, peu habitués au monde des élus, comme en témoigne le profil des sympathisants et des adhérents d’En Marche !. Ils montrent qu’ils se situent plutôt au centre droit, se déclarent très favorables à l’Europe et qu’ils sont dotés d’une culture libérale, tant sur le plan sociétal que sur le plan économique, qui les singularise fortement au sein de la société française.

 

Ces éléments d’information nous sont fournis par deux études récemment publiées. Chacune porte sur une population particulière de LREM. L’une, que l’on doit à Gilles Finchelstein, pour le compte de la Fondation Jean-Jaurès dont il est le directeur, est consacrée aux sympathisants. Elle utilise des données recueillies au moment de l’élection présidentielle12. La seconde étude porte sur les adhérents et repose sur des données amassées un peu plus tard, après la victoire, au cours de l’année 2018. Nous la devons à un autre think tank, Terra Nova et dont le directeur, Thierry Pech, est l’un des co-auteurs13. Les deux études se complètent.

A propos des sympathisants de LREM, l’étude contredit au moins deux idées reçues : d’abord ils ne sont pas tous jeunes, puisque l’on relève au contraire une surreprésentation des plus de 64 ans ; ensuite, ils ne sont pas tous urbains, les sympathisants étant à peine moins nombreux dans le monde rural. En revanche, l’étude menée par Terra Nova sur les adhérents de 2018, réaffirme qu’ils sont plus urbains et plus jeunes que la moyenne14. Les deux données ne sont pas nécessairement en contradiction dans la mesure où elles ne portent pas sur les mêmes populations et où elles ont été menées dans deux contextes historiques différents : avant et après l’élection de Macron.

 

Ces deux études mettent au jour les indicateurs socio-démographiques qui dessinent, sans surprise, le portrait de « la France qui va bien et qui se sent bien ». Parmi les sympathisants, on note une sous-représentation des employés et des ouvriers15, une surreprésentation des personnes les plus diplômées16 ainsi que des plus hauts revenus. De même, 58% des sympathisants ont le sentiment d’avoir réussi leur vie, contre 44% de l’ensemble des Français, et ils ne sont que 14% à considérer que la mondialisation a un impact négatif sur leur emploi, contre 33% pour l’ensemble des Français.

 

Sur le plan politique, les sympathisants de LREM se situent plutôt au centre-droit17 comme le montre leur auto positionnement sur l’échelle gauche/droite18. Notons que 20% d’entre eux avaient voté pour François Fillon lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2017.

Notes

19.

Contre 43 % pour la moyenne des Français, Portrait-robot des sympathi- sants de La République En Marche, Fondation Jean Jaurès et Cevipof, octobre 2018, 12.

+ -

Un premier élément qui distingue les sympathisants LREM est la quasi-unanimité (93%) de leur jugement positif de la première année de mandat d’E. Macron19. Par comparaison, au bout d’un an, 81% des sympathisants UMP jugeaient positivement la présidence de Nicolas Sarkozy, et 77% des sympathisants PS portaient une appréciation favorable à la présidence de François Hollande. Ce socle de soutien solide s’articule autour de deux grands marqueurs idéologiques : un engagement pro-européen et un libéralisme affirmé.

La position centrale des sympathisants d’En Marche (en %)

Source : Enquête électorale française 2017, IPSOS, Sciences Po CEVIPOF, 27–30 mai 2017.

Notes

21.

Gilles Finchelstein, Portrait-robot des sympathisants de La République En Marche » Fondation Jean Jaurès et Cevipof, octobre 2018, 14.

+ -

Alors que les candidatures anti européennes n’avaient jamais réalisé un score aussi élevé lors d’une élection présidentielle, au premier comme au second tour, ce scrutin a cependant débouché sur la victoire du seul candidat résolument pro-européen. Cet engagement se retrouve dans l’importance accordée aux questions européennes par les sympathisants de LREM : 63% des sympathisants jugent le mot « Europe » positif, contre 41% dans l’ensemble des Français et 11% parmi les sympathisants du FN21.

 

Sur ce point, les sympathisants et les adhérents de LREM sont à l’unisson de la société française :

« L’appartenance de la France à l’UE est une bonne chose »

Source : Parlement européen, TNS Opinion & Social, Eurobaromètres/Parlemètres 77.4, 79.5, 82.4, 84.1, 86.1, 88.1, 90.1.
Question : De manière générale, pensez-vous que l’appartenance de votre pays à l’UE est… Réponses : une bonne chose, une mauvaise chose, ni une bonne ni une mauvaise chose, ne sait pas.

Notes

24.

Selon Gilles Finchelstein, « les sympathisants LREM appartiennent à une famille politique qui n’a jamais existé » (consulté le 11 décembre 2018), Huffington Post, 21 septembre 2018.

+ -

25.

Portrait-robot des sympathisants de La République En Marche, 21–23.

+ -

26.

Rapport Terra Nova, octobre 2018, 84.

+ -

Les sympathisants se distinguent beaucoup plus lorsqu’ils défendent des opinions favorables au libéralisme économique et culturel24. Sur les questions sociétales, ils se rapprochent des électeurs de gauche, qu’il s’agisse de l’orientation sexuelle, des opinions religieuses, de la peine de mort ou de l’égalité hommes et femmes. Ils s’en distinguent cependant sur certaines thématiques liées aux valeurs collectives, comme l’immigration et la place de l’Islam dans la société française, qui révèlent par ailleurs des divisions internes. En effet, pour ces questions, les sympathisants sont partagés entre ceux qui témoignent d’une ouverture relative, les indécis et ceux qui ont tendance à avoir une attitude plutôt fermée ou conservatrice : 37% sont d’accord avec l’affirmation « il y a trop d’immigrés en France » , 37% ne sont ni en accord ni en désaccord et 26% sont en désaccord ; 44% sont d’accord avec l’affirmation « l’islam représente une menace pour l’Occident », 28% sont indécis et 28% sont en désaccord ; 30% sont d’accord avec l’affirmation « en matière d’emploi, on devrait donner la priorité à un Français sur un immigré », 34% sont indécis et 36% sont en désaccord25.

 

Sur les questions économiques, les sympathisants de LREM se rapprochent des électeurs de droite en se déclarant favorables au libre-échange et à la compétitivité des entreprises : 83% considèrent qu’il faut « faire davantage confiance aux entreprises et leur donner plus de liberté » (82% parmi les LR) et une proportion souhaitant aller vers plus de libre-échange (81%) très nettement supérieure à celle que l’on trouve chez les sympathisants LR (54%). Concernant le service public, ils sont plus nombreux que la moyenne – et majoritaires – à souhaiter une réduction du nombre de fonctionnaires26.

L’appartenance à l’UE jugée bénéficiaire

Source : Parlement européen, TNS Opinion & Social, Eurobaromètres/Parlemètres 84.1, 86.1, 88.1, 90.1.
Question : Tout bien considéré, estimez-vous que « NOTRE PAYS » a bénéficié ou non de son appartenance à l’UE ? Réponses : A bénéficié, n’a pas bénéficié, ne sait pas.

Notes

27.

Gilles Finchelstein, Portrait-robot des sympathisants de La République En Marche » Fondation Jean Jaurès et Cevipof, octobre 2018.

+ -

28.

Bruno Cautrès, Thierry Pech, Marc Lazar et Thomas Vitiello, « La Répu- blique En Marche : anatomie d’un mouvement » (consulté le 11 décembre 2018), Terra Nova, 08 octobre 2018.

+ -

29.

Dans un entretien au journal Le Point, le 31 août 2017, le candidat Macron avait revendiqué l’exercice d’une « présidence jupitérienne ».

+ -

30.

IPSOS, Enquête sur les « fractures françaises » (consulté le 17 décembre 2018), juin 2017.

+ -

31.

IPSOS, Enquête sur les « fractures françaises » (consulté le 17 décembre 2018), juin 2017.

+ -

Selon l’étude Terra Nova, les deux tiers des adhérents (67%) sont favorables à une réduction du nombre de fonctionnaires, soit un score supérieur à celui que l’on trouvait chez les sympathisants en mai 2017 (52%)27, alors que cette opinion est partagée en moyenne par 45% des Français. Comparativement aux autres partis, les adhérents de LREM apparaissent plus jeunes, leur niveau de formation est particulièrement élevé (80% d’entre eux sont diplômés du supérieur), les cadres et les professions libérales sont majoritaires (60%) ainsi que les actifs du secteur privé (71%). En termes de revenus, les adhérents se situent dans la moitié supérieure de la société française. Dans l’ensemble, ils bénéficient d’un relatif sentiment de stabilité et de sécurité économique ainsi que d’un fort capital culturel28.

Devenu Président, et afin de répondre à une forte demande d’autorité que l’on retrouve dans l’opinion, Emmanuel Macron a revendiqué la verticalité en multipliant les actes et les références à une « autorité jupitérienne »29 ce qui a pu faire sourire. Cependant, la plupart des Français approuvent l’idée que l’on « a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre » (88%) et que « l’autorité est une valeur qui est trop souvent critiquée » (84%)30. De plus, sur ces deux items, les sympathisants d’En Marche ! sont beaucoup plus proches des électeurs de droite que des électeurs de gauche. Bien sûr, une forte majorité de Français (78%) considère toujours que « si la démocratie peut poser des problèmes, elle est quand même mieux que n’importe quelle autre forme de gouvernement » mais, en trois ans, ce pourcentage a reculé de 6 points. Aujourd’hui c’est une forte minorité (42%) qui pense qu’avoir « à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement et des élections serait une bonne façon de gouverner le pays ».

 

Certes, les milieux populaires et les sympathisants du FN sont plus concernés que d’autres par la demande d’autorité, mais la poussée est générale et visible dans tous les électorats31. Ainsi, les dysfonctionnements de la démocratie ont favorisé la montée d’une sensibilité autoritaire qui s’affirme et à laquelle le macronisme tente de répondre. Une concentration des pouvoirs est indiscutablement à l’œuvre depuis mai 2017. Cette conception et cette pratique du pouvoir ont pour inconvénient d’intensifier considérablement l’exposition du président au jugement de l’opinion, de le rendre responsable de tout et, en cas d’échec, elles menacent d’alimenter fortement le vote populiste. Notons pour finir que, sur ces points, l’étude de Terra Nova met en avant un paradoxe, voire une contradiction chez les adhérents de LREM. Ils plébiscitent un fort leadership et, en même temps, ils souhaitent une participation active de la base.

III Partie

Fin 2018, l’impopularité grandissante du président cohabite avec le discrédit persistant de l’opposition

1

Réformisme et impopularité

Manifestement, les réformes engagées par Emmanuel Macron visent un assouplissement des rigidités qui entravent l’activité économique. Le volontarisme qui découle de ce réformisme intense et que le président revendique est aussi une manière de prendre en compte la demande d’autorité présente dans l’opinion et de faire contraste avec le quinquennat de François Hollande dont la dégradation continue a fini par rendre impossible sa candidature. Néanmoins, Emmanuel Macron n’échappe pas lui non plus à l’impopularité. Sans cesse croissante, elle est devenue un fait politique déterminant. Entre son élection, en mai 2017 et octobre 2018, la proportion des jugements favorables est passée de 46% à 26% :

Le jugement porté sur l’action d’Emmanuel Macron, président de la république (% d’avis favorables).

Source : « Baromètre politique Ipsos avril 2017, octobre 2018 » (consulté le 12 décembre 2018).
Question posée : Quel jugement portez-vous sur l’action d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République ?
(Très favorable, plutôt favorable, plutôt défavorable, très défavorable : le graphique illustre le total des avis favorables).

Notes

33.

C’est l’hypothèse que propose l’économiste Charles Wiplosz : « Macron, les sondages et les réformes » (consulté le 12 décembre 2018), Télos, 27 septembre 2018.

+ -

34.

Par exemple Laurent Wauquiez a dénoncé le fait que, selon lui, « 42 % des cadeaux fiscaux qui ont été faits dans le budget 2018 par Emmanuel Macron sont faits pour les 5% des Français les plus riches ». (AFP du 6 février 2018). Notons que lorsque le magazine Forbes du 31 mai 2018 qualifie le Président de « leader of the free markets » sous titrant « France (finally) embraces entrepreneurship », il exprime une reconnaissance qu’il est sans doute préférable de ne pas mériter en France.

+ -

En un peu plus d’un an, le rythme des réformes engagées par la nouvelle majorité témoigne d’un activisme destiné à démontrer le volontarisme du nouveau président. On peut faire l’hypothèse que cette intense vague réformiste est l’une des causes de l’impopularité du président33. Non seulement les réformes sont nombreuses, mais elles portent sur les points les plus sensibles et concernent les sujets sur lesquels ont buté tous les gouvernements depuis les chocs pétroliers du milieu des années 1970. Si elles ne sont pas toujours aussi profondes que le gouvernement l’affirme, ces réformes ont presque toujours une forte charge symbolique. La série des chantiers s’apparente ainsi à une révolution culturelle :

 

  • La réforme du marché du travail, essentielle dans un pays où le chômage de masse ne recule pas depuis des décennies. La « loi travail » de septembre 2017 s’inscrit dans cette démarche, en assouplissant le droit du travail, en créant une assurance chômage pour certains salariés démissionnaires, en revalorisant l’apprentissage et la formation professionnelle ;

 

  • La réforme de la SNCF, qui acte la suppression du statut particulier des cheminots à partir de 2020. Cette réforme est typique de l’impact culturel de l’action publique menée par Emmanuel Macron. Elle n’est pas aussi radicale que certains l’aurait souhaité, le statut sera conservé pour les cheminots actuels, mais c’est une grande victoire symbolique obtenu grâce à la détermination de la majorité face aux oppositions catégorielles et corporatistes habituelles en France et qui se sont exprimées avec force ;

 

  • La réforme de la fiscalité visant à favoriser le risque au détriment des rentes, comprenant le transfert de l’ISF sur la seule fortune immobilière et l’instauration d’une « flat tax » sur les revenus des placements  du type dividendes, plus-values et intérêts au taux unique de 30% ; la suppression de l’« exit tax » qui imposait les contribuables transférant leur domicile fiscal hors de France. Ces réformes fiscales ont été dénoncées comme un « cadeau aux riches » par l’opposition de gauche mais aussi par l’opposition de droite34 ;

 

  • La réforme de la formation professionnelle, connue en France pour être couteuse et inefficace ; la réforme de l’apprentissage, l’un des échecs français les plus terribles si l’on considère le niveau dramatiquement élevé du chômage des jeunes ;

 

  • La réforme de l’Éducation nationale, chantier permanent, à la fois central, attendu par les familles et les enseignants mais si difficile à réaliser compte tenu du gigantisme et de la rigidité de l’appareil bureaucratique. L’Éducation nationale appelle de profonds changements mais la réforme en ce domaine est particulièrement sensible et elle suppose beaucoup de patience et de précaution, ce que semble réussir pour le moment le ministre Jean-Michel Blanquer ;

 

Notons encore la réforme du système de santé ; la réforme des retraites, qui vient d’être lancée ; la réforme des politiques de lutte contre la pauvreté ; la réforme menée par le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, dans le but de favoriser la compétitivité de l’économie française ; ou encore la révision de la constitution, contenant le projet controversé de réduire le nombre des parlementaires, de près d’un tiers, et l’introduction d’une dose de proportionnelle dans le processus électoral, suscitant l’opposition virulente du Sénat. L’opposition de la Haute assemblée représente et amplifie l’hostilité grandissante des collectivités locales, que leur majorité soit de gauche ou de droite. La politique d’Emmanuel Macron combinant une recentralisation de fait et une réduction de leurs moyens est à l’origine d’une confrontation sans précédent entre l’Etat et ses collectivités territoriales. Le congrès annuel des régions de France, qui s’est réuni à Marseille les 26 et 27 septembre 2018, a pris des airs d’insurrection des élus. Pour la première fois, l’Association des Maires de France, l’Association des Département de France, l’Association des Régions de France et le président du Sénat se sont réunis dans ce cadre pour exprimer dans un chœur impressionnant leurs griefs à l’intention du pouvoir central. Il est vrai que les communes sont affaiblies par la suppression de la taxe d’habitation qui représentait une ressource annuelle de 21 milliards d’euros, tandis que la loi de programmation des finances publiques pour 2018–2022 s’est donnée comme objectif d’économiser 13 milliards d’euros sur les dépenses des collectivités territoriales que le quinquennat de François Hollande avait déjà beaucoup sollicité. De même, les départements éprouvent des difficultés pour assumer la responsabilité des nombreuses politiques sociales qui leur sont dévolues et dont la charge augmente constamment.

 

Le rythme des réformes est une explication recevable de la chute du président Macron dans les enquêtes de popularité. Le retour à la popularité paraît peu probable puisque l’on sait que les réformes de structure, à supposer qu’elles soient bien choisies et bien menées, ne produisent aucun effet positif avant longtemps.

Enfin, ainsi que le souligne Charles Wiplosz, Macron « s’attaque simultanément à toutes les vaches sacrées héritées de l’accord passé après-guerre entre De Gaulle et le Parti communiste. Le colbertisme de l’un et le marxisme des autres se sont tout naturellement accordés pour mettre en place des institutions qui bafouent la notion d’efficacité économique, cette notion qui reste souvent encore aujourd’hui un gros mot. On peut mentionner les aides d’État aux particuliers et aux entreprises, la gestion paritaire des retraites, le quasi-monopole de l’Éducation nationale, la Sécurité sociale – qui jusqu’à une date récente a été une grande contributrice à la dette publique – ou l’application obligatoire des accords centralisés entre syndicats et patronat. Tout ceci fait de la France un cas unique d’inefficacité institutionnalisée sans que les Français ne s’en rendent compte. En s’attaquant à ces vaches sacrées, Macron navigue à contre-courant »35.

Il ne fait pas de doute que ce lourd passif transmis en héritage de gouvernants en gouvernants, chaque fois plus difficile à porter, est devenu le fardeau qui épuise la société française année après année et nourrit la crise politique, économique et sociale, appelant des réformes de plus en plus radicales que les gouvernants se sont montrés de moins en moins capables d’initier.

2

Fin octobre 2018, dans l’opinion, l’opposition n’existe toujours pas

Notes

36.

Sondage Elabe (consulté 12 décembre 2018). Échantillon de 1.000 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et Interrogation par Internet les 23 et 24 octobre 2018. La représentativité de l’échantillon a été assurée selon la méthode des quotas : sexe, âge et profession de l’interviewé après stratification par région et catégorie d’agglomération.

+ -

Selon une enquête d’opinion, à la fin du mois d’octobre 2018, la moitié des Français (49%) estiment qu’aucun mouvement politique n’incarne l’opposition à Emma- nuel Macron36. Le parti de Jean-Luc Mélenchon, la France Insoumise, est le plus souvent cité (21%), mais il est en fort recul par rapport à octobre 2017 (35%). Vient ensuite le parti de Marine Le Pen, le Rassemblement National (14%). Les partis de gouvernement n’arrivent qu’ensuite : le parti de Laurent Wauquiez, Les Républicains (10%), puis le Parti socialiste (3%) qui devance à peine le Parti communiste (2%). L’UDI, l’héritier du cen- trisme de l’UDF de Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre ou François Bayrou, a quasiment disparu dans l’opinion (1%).

Résultats du premier tour de l’élection présidentielle (23. April 2017)
% Pourcentage des suffrages exprimés

Notes

37.

Enquête Ifop pour Paris-Match (consulté le 16 décembre 2018), 18 avril 2018.

+ -

La faiblesse des partis d’opposition est impressionnante. Manifestement, la France reste prise dans cette atmosphère d’antipolitique caractérisée par le rejet des partis traditionnels, l’abstention et le vote protestataire. Les enquêtes d’intentions de vote le montrent : la décomposition du système politique ne donne toujours pas lieu à une recomposition. On peut le voir en comparant les résultats du premier tour de l’élection présidentielle (23 avril 2017) avec une enquête d’intentions de vote réalisée un an après (avril 2018)37.

Notes

38.

La question est : Si dimanche prochain devait se dérouler le premier tour de l’élection présidentielle, pour lequel des candidats suivants y aurait-il le plus de chances que vous votiez ? IFOP : « Le regard des Français sur la  première année d’E. Macron à l’Elysée » (consulté le 17 décembre 2018), avril 2018, p. 6.

+ -

39.

Idem.

+ -

L’Ifop a retenu deux hypothèses différentes pour estimer l’évolution des intentions de vote des Français. Dans la première hypothèse, l’institut reprend simplement l’offre de candidats de 2017 et mesure les résultats que cette offre produirait un an après. Le poids électoral de Jean-Luc Mélenchon diminue un peu mais celui de Marine Le Pen augmente légèrement. Au total, les suffrages en faveur d’un candidat de type populiste passent de 48,5% (résultats réels en avril 2017) à 46,5% selon les intentions de vote d’avril 2018. Emmanuel Macron renforce sa position en progressant fortement, de 24% en avril 2017 à 33% en avril 2018.

Dans cette première hypothèse38, le candidat de la droite de gouvernement demeure François Fillon, ce qui ne favorise pas l’intention de vote en faveur de cette famille politique dans la mesure où l’ancien candidat s’est retiré de la vie publique. C’est pourquoi l’institut Ifop a voulu tester une seconde hypothèse en remplaçant cette candidature par celle de Laurent Wauquiez, le chef du parti Les Républicains39. On le voit, l’échec de la droite est plus spectaculaire, son candidat tombant à 8%. L’effet de ce recul ne profite pas à Marine Le Pen qui conserve exactement son niveau mesuré dans l’hypothèse précédente (23%). En revanche, l’effondrement du candidat de la droite de gouvernement profite à la candidature d’Emmanuel Macron qui progresse fortement, passant de 24% en avril 2017 à 36% en avril 2018, dans cette hypothèse de candidature.

Simulation avril 2018 (hypothèse 2017) % des suffrages exprimés

IV Partie

Nature de la crise politique en France

La crise politique que traverse la France est profonde. Elle possède au moins trois composantes : la globalisation, déployant un puissant mouvement de transformation historique ; la crise de l’Union européenne, de sa raison d’être et de son fonctionnement ; enfin une crise proprement française. On ne peut aborder ici que les deux derniers points.

1

Une crise européenne

La crise française prend place dans une crise continentale qui touche à la fois les États membres de l’Union européenne et l’Union elle-même. La crise s’est manifestée en 2005, lors du rejet français du Traité Constitutionnel Européen par une majorité d’électeurs (54,6%). Mais cette crise était latente, déjà perceptible dans l’étroitesse du résultat en faveur du traité de Maastricht, en 1992 (51,05% contre 48,95%). Depuis, elle semble s’amplifier chaque année davantage, obéissant à partir de 2015 à une sorte d’accélération : l’adoption du Brexit, en juin 2016, a donné le coup d’envoi à une série électorale dont les caractéristiques, quel que soit le pays, comprennent toujours un recul des partis de gouvernement, voire leur effondrement, et une poussée des forces protestataires, le plus souvent anti-européennes.

Simulation avril 2018 (hypothèse Wauquiez candidat LR) % des suffrages exprimés

Notes

40.

Didier Leschi, « Migrations. La France singulière » (consulté le 16 décembre 2018), Paris, Fondation pour l’innovation politique, octobre 2018, 50 pages.

+ -

Ce climat continental pèse sur la situation française et inversement. Candidat le plus européen, et de loin, en 2017, président le plus européen, au moins depuis 1988, Emmanuel Macron voit sa vision et ses ambitions clairement contrariées par l’évolution de la scène politique européenne. Dès septembre 2017, les élections fédérales allemandes ont sonné le glas de ses idées les plus innovantes et volontaristes, le privant de l’appui de la chancelière allemande et de la première puissance économique de l’Union. Il est frappant de constater que, au moins depuis la France, l’évolution de la situation politique européenne en général et allemande en particulier est explicitement commentée comme une donnée défavorable à Emmanuel Macron.

 

C’est dans ce cadre européen qu’il faut observer et comprendre les effets politiques de la crise migratoire. Les scores du Front National et la montée en puissance des partis anti-immigration en Europe ont mis l’ensemble de la classe politique sous pression. Les inquiétudes liées à l’incapacité de l’Europe à maîtriser les flux migratoires sont l’un des principaux moteurs du vote populiste. Elles ont finalement conduit le Président Macron à adopter une ligne plus dure que son prédécesseur. La loi asile immigration d’avril 2018 instaure ainsi un ensemble de mesures de fermeté, comprenant notamment une augmentation de la durée maximale de séjour en centre de rétention à 90 jours, le passage  de 16 à 24 heures de la durée de la retenue administrative afin de vérifier le droit de séjour d’une personne ou le renforcement des pouvoirs d’investigation. Cependant, l’évolution des législations nationales en matière d’immigration est marquée par un durcissement, parfois très nets, comme au Danemark, ou, à législation constante, comme en Italie, par un discours et une politique plus hostiles, ce qui a pour effet de rendre la législation française relativement plus laxiste, si bien que les électeurs pourraient vouloir sanctionner une législation qu’ils estimeraient trop permissive au moment où elle se durcit pourtant40.

2

Une crise française

Notes

41.

Selon les informations contenues dans le rapport mené par le député LREM Joël Giraud (Le Figaro du 15 octobre 2018).

+ -

42.

Projet de Loi de Finances (PLF) 2018 (consulté le 17 décembre 2018), 3.

+ -

Aux éléments planétaires et européens de la crise s’ajoutent des éléments proprement français. Emmanuel Macron est l’héritier d’une longue succession de présidences impuissantes ou trop prudentes. Il occupe la position inconfortable de celui qui ne peut plus transmettre à son successeur les lourds problèmes rencontrés en arrivant sans avoir essayé d’en réduire la gravité. La nature française de la crise est parfaitement illustrée par la situation budgétaire et fiscale du pays. La France ne parvient pas à maîtriser son déficit budgétaire. Il alimente chaque année une dette publique qui atteint désormais 100% du PIB. Ne voulant pas ou redoutant une politique authentique de réduction de la dépense publique, les gouvernements choisissent invariablement d’augmenter la pression fiscale, les contribuables se mobilisant moins facilement et moins efficacement que les salariés de la fonction publique.

Le résultat est une montée de la colère fiscale dans l’opinion. Elle pourrait jouer un rôle dans les prochains scrutins puisqu’elle ne touche pas seulement l’impôt sur le revenu, que la moitié des Français ne payent pas ou ne paye plus, mais aussi les prix du gaz, de l’essence ou du tabac largement composés de taxes très élevées et fortement impopulaires. De ce fait, en 2017, le montant des prélèvements obligatoires a dépassé la barre symbolique des 1.000 milliards d’euros. Dans le détail, la part des impôts et des différentes taxes auxquels ont été soumis les Français en 2017 représente 1.038 milliards d’euros, soit 43,3 milliards de plus qu’en 2016 et 368,5 milliards de plus qu’en 200241. Le taux des prélèvements obligatoires atteint son point le plus haut de l’histoire avec 45,3% du PIB. On ne peut s’étonner de constater que, dans l’opinion, le discours du gouvernement sur la baisse des impôts peine à convaincre, à l’exception de la baisse des impôts sur le capital, mais elle nourrit l’accusation de « président des riches ». On oppose aisément au discours gouvernemental sur la baisse des impôts les augmentations qui suivent les baisses, les annulent et pèsent sur la vie quotidienne. Ainsi, à la suppression de la taxe d’habitation, on oppose la hausse de la CSG de 1,7 point, la baisse des aides personnalisées au logement (APL) ou les hausses de taxes sur le prix des carburants, du fioul, du gaz et du tabac, etc.

 

Sans réduction de la dépense publique (54,6% du PIB en 2017)42, cette politique fiscale combine tous les inconvénients, impopularité, frein à la consommation et à la croissance, sans parvenir à régler le problème du déficit et ni empêcher la hausse continue de la dette publique. Si la conjoncture économique s’est améliorée, et si le déficit public est passé sous la barre des 3% de PIB en 2018 (à 2,6%), la dépense publique augmente de 2,5% sur la même période. Significativement, la loi de finance de 2018 programme la suppression de 1.600 postes de fonctionnaires, loin de la promesse d’en supprimer 120.000.

Conclusion : Macron, l’Europe et la démocratie ont destins liés

Notes

43.

Commission européenne. Enquêtes d’opinion sur l’euro. (Consulté le 18 décembre ) Question posée : De façon générale, pensez-vous qu’avoir l’euro est une bonne chose pour votre pays ? (le graphique illustre le pourcentage des personnes interrogées considérant qu’avoir l’euro est une bonne chose pour leur pays).

+ -

C’est l’Europe qui ancre plus solidement le quinquennat d’Emmanuel Macron. Les Français sont attachés à l’Europe, mais plus encore à l’Europe de l’euro43. Comme d’autres, les Français ont compris que l’euro garantissait leur patrimoine personnel. Si le franc conserve encore auprès des anciennes générations la valeur d’une référence sentimentale, l’euro possède désormais la valeur d’une assurance matérielle. L’euro est l’unité de mesure du patrimoine que les Français veulent protéger et, pour les anciennes générations, qu’ils veulent laisser à leurs enfants et qu’un retour au franc ferait fondre immanquablement. L’euro offre au plus grand nombre l’expérience d’une Europe protectrice.

L’euro est une bonne chose pour mon pays

L’erreur fatale de Marine Le Pen a été d’adopter une position hostile à la monnaie européenne. Elle s’est ainsi coupée des intérêts populaires les plus vifs. La candidate du Front national ne pouvait gagner l’élection présidentielle de 2017 pour diverses raisons mais, en 2017, c’est la menace que sa victoire faisait peser sur le patrimoine des Français en général et des classes populaires et moyennes en particulier qui lui barrait la route. L’obstacle à l’élection de Marine Le Pen n’a pas été le « front républicain » que l’on convoque régulièrement depuis trente ans pour  « faire barrage au Front national » au nom des valeurs de la république ; c’est un front monétaire que les Français ont eux-mêmes opposé afin de protéger leurs intérêts d’épargnants. Aussi longtemps que l’euro sera solide, les populistes souffriront des contradictions entre un discours hostile à l’Union européenne qui leur assure une certaine audience et un discours hostile à l’euro qui bloque leurs progrès électoraux.

 

Tirant les conclusions de cet échec, le parti de Marine Le Pen, devenu Rassemblement National (RN), est en passe de se convertir à l’euro. La conversion des populistes français à l’euro peut avoir pour conséquence de normaliser les partis populistes et de rendre leurs discours moins saillants. Face au risque d’inquiéter les épargnants et au risque de se normaliser, les populistes pourraient choisir d’éviter l’un et l’autre en insistant davantage des thèmes comme l’immigration, l’islam, le chauvinisme social ou la criminalité. C’est peut-être en raison de cette évolution que les enquêtes d’intentions de vote portant sur les élections européennes enregistrent la permanence d’un vote populiste fort, capable le moment venu de tirer profit des difficultés de la majorité.

Le soutien à l’euro montre le rôle clé de l’attachement à l’Europe dans la modération des électorats. Les souverainistes de droite comme de gauche peuvent rencontrer un certain succès d’estrade en mettant en cause l’Union européenne, mais ils sont finalement rejetés s’ils menacent la monnaie européenne. C’est un point majeur qui favorise ultimement, dans l’isoloir, les formations politiques et les candidats dont les propos et  les programmes sont compatibles avec les contraintes de la zone euro. Ainsi, la victoire d’Emmanuel Macron ne s’explique pas seulement par les déboires de François Fillon au premier tour ou la présence de Marine Le Pen au second tour. Les Français ont élu un président particulièrement pro-européen parce qu’ils sont eux-mêmes fortement attachés à l’Union européenne, de cœur ou  de raison. Le soutien à l’euro doit être interprété comme un soutien aux politiques publiques modérées et compatibles avec l’édifice européen. Le soutien à l’euro et le soutien à l’Union bloquent la poussée populiste. Or, en France, Emmanuel Macron est à ce jour la personnalité politique la plus clairement identifiée à l’Europe. Malgré ses difficultés, cette position lui confère une force réelle dans la mesure où, jusqu’à ce jour, au plan domestique, personne n’a pu disputer son leadership sur ce terrain essentiel. C’est encore en raison de cette organisation originale de la compétition politique en France, où l’on voit, pour la première fois, un seul des protagonistes porter distinctement l’idée européenne, qu’Emmanuel Macron peut espérer conserver une base électorale minimale, celle qui permet d’ambitionner de terminer en tête au soir des élections européennes et de préserver ses chances d’accéder au second tour en 2022.

Intentions de vote aux élections européennes (7–9 mai 2018)

Source :

Ifop, « les intentions de vote pour les élections européennes de 2019 » (consulté le 18 décembre 2018), Mai 2018, p.5.

Question : Si dimanche prochain devaient se dérouler les élections européennes, pour laquelle des listes suivantes y aurait-il le plus de chances que vous votiez ?

Intentions de vote aux élections européennes (octobre 2018)

Source :

Ifop, « l’intention de vote aux élections euro- péennes », questionnaire auto-administré en ligne du 25 au 29 octobre 2018.

Question : Si dimanche prochain devaient se dérouler les élections européennes, pour laquelle des listes suivantes y aurait-il le plus de chances que vous votiez ?

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