Résumé

Introduction

I.

Accélérer la décarbonation de la production électrique.

II.

Crédibiliser les objectifs énergie-climat adoptés en 2018.

III.

Assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité.

IV.

Organiser une transition énergétique à coût maîtrisé.

Conclusion

Voir le sommaire complet Replier le sommaire

Résumé

Les enjeux énergétiques et climatiques peuvent-ils être le terrain d’un sursaut du projet européen, à la rencontre d’un projet d’intégration politique continentale et d’une ambition d’excellence écologique qui se diffuse dans toute la société ? On peut le croire, tant l’Europe est à la recherche d’un nouveau récit mobilisateur pour se relancer et tant les sujets énergie-climat démontrent qu’ils sont un domaine de compromis entre les États membres de l’Union européenne.

L’Eurobaromètre publié à l’automne 2018 fait état du soutien des trois quarts des citoyens de l’Union européenne à une politique énergétique commune des États membres.

Le même sondage confirme la montée dans l’opinion publique des préoccupations climatiques et environnementales, qui compteront parmi les thématiques phares des élections européennes de mai 2019.

Quelle que soit l’évolution des technologies et des coûts à plus long terme,   le chemin vers l’excellence écologique passera assurément par une approche flexible, adaptable et non idéologique des grands choix de politique énergétique européenne. C’est à cette condition que la construction d’une véritable Union de l’énergie échappera au grief d’imposer aux citoyens européens des objectifs intenables auxquels ils ne consentent pas.

Emmanuel Tuchscherer,

Directeur des affaires européennes d’Engie.

Notes

1.

Commission européenne, « L’opinion publique dans l’Union européenne. Premiers résultats », Eurobaromètre standard 90, novembre 2018, p.30

+ -

2.

Voir Commission européenne,« La Commission appelle de ses vœux une Europe neutre pour le climat d’ici à 2050 », communiqué de presse, 28 novembre 2018.

+ -

Alors que la commission Juncker a posé au cours des cinq dernières années les fondations d’une «Union de l’énergie» à travers un arsenal sans précédent de textes législatifs, les citoyens européens en plébiscitent l’approfondissement. L’Eurobaromètre publié à l’automne 2018 fait état du soutien des trois quarts des citoyens de l’Union européenne à «une politique énergétique commune des États membres1». Le même sondage confirme la montée dans l’opinion publique des préoccupations climatiques et environnementales, qui compteront parmi les thématiques phares des élections européennes de mai 2019.

Les enjeux énergétiques et climatiques peuvent-ils être le terrain d’un sursaut du projet européen, à la rencontre d’un projet d’intégration politique continentale et d’une ambition d’excellence écologique qui se diffuse dans toute la société ? On peut le croire, tant l’Europe est à la recherche d’un nouveau récit mobilisateur pour se relancer et tant les sujets énergie-climat démontrent qu’ils sont un domaine de compromis possible entre les États membres de l’Union européenne. C’est ce que montre l’engagement sans faille de cette dernière en faveur de la lutte contre le changement climatique dans les enceintes internationales, depuis le protocole de Kyoto de 1997 jusqu’à l’Accord de Paris sur le climat de 2015, et les objectifs fixés par elle-même en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), soit – 20% en 2020 et – 40% en 2030.

Cet engagement ne faiblit pas, malgré les vents contraires et les doutes sur la volonté des grandes économies industrialisées à tenir leurs engagements dans le cadre de l’Accord de Paris. Fin novembre 2018, la Commission européenne a présenté un document de travail qui propose une vision stratégique de la réduction des GES à long terme et examine une stratégie pour rendre l’économie européenne neutre en carbone en 20502. Cela signifie que les émissions de GES devront être inférieures ou égales aux quantités de GES absorbées par les milieux naturels gérés par l’homme (forêts, prairies…) et par certains procédés industriels. L’Accord de Paris oblige ses parties prenantes à se donner l’objectif de la neutralité carbone (exprimé en émissions nettes) dans la seconde moitié du XXIe siècle, et l’engagement de contenir à + 1,5 °C la hausse des émissions rend cet objectif incontournable. Pour l’Union européenne, se fixer l’objectif de neutralité carbone à la suite de dix pays européens (dont la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, les Pays-Bas et le Danemark) enverrait un signal très fort afin de pousser les innovations industrielles vers la transition écologique : batteries, hydrogène vert ou power to gas issu du surplus de la production d’électricité renouvelable, capture et stockage de carbone, nouvelles générations d’énergies renouvelables, réseaux intelligents, Internet des objets, etc.

Après les élections européennes de mai 2019 et la nomination de la nouvelle Commission, un nouveau cycle politique s’ouvrira. Poser aujourd’hui le débat de la neutralité carbone permet de tester la robustesse des politiques actuelles et d’ouvrir une discussion au Parlement européen et au sein des exécutifs nationaux sur les mesures complémentaires à prendre pour accélérer la transition bas carbone. Sur le plan international, l’Europe est aujourd’hui responsable d’environ 10% des émissions de GES et devrait représenter environ 5% du total en 2030. Son engagement pour la neutralité carbone ne dispensera pas des efforts de la part des autres grands pays industriels. Pour autant, il conforterait son leadership politico-diplomatique et sa force d’entraînement. Cependant, sur le plan interne, un tel objectif mettra aussi à l’épreuve la capacité des États membres à traduire les ambitions climatiques européennes en politiques publiques soutenables d’un point de vue économique et social.

La transition énergétique n’est qu’un chapitre d’un projet de transformation de société autour d’une ambition d’excellence écologique, mais elle occupe une place majeure. Les émissions de GES liées à l’énergie représentent 75% du total en Europe, la transition énergétique fait l’objet d’un consensus social dans tous les grands pays européens et le coût des technologies continue de baisser de manière spectaculaire. De surcroît, l’énergie est un secteur où l’Union européenne a les capacités industrielles, les savoir-faire et les ressources d’innovation nécessaires pour transformer une ambition interne en leadership commercial sur le plan mondial. Le contexte sert les ambitions européennes : l’explosion des besoins en énergie dans tous les pays en développement sous la contrainte climatique et environnementale est source de grandes opportunités pour exporter l’industrie verte européenne dans le reste du monde. Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris constitue un recul dans la lutte contre le dérèglement climatique mais aussi une opportunité supplémentaire, pour l’Union européenne, de faire la course en tête.

D’un point de vue industriel et technologique, la transition énergétique repose sur trois grands piliers, avec pour objectif la décarbonation et, comme moyens, la décentralisation et la digitalisation des systèmes énergétiques. Cette révolution des « 3D » s’accompagne d’un changement des modèles économiques et industriels majeurs, notamment le passage d’un monde de producteurs d’énergie centralisé, où compte la taille des actifs de production et des réseaux pour réaliser des économies d’échelle, à un monde plus décentralisé, d’intégrateurs de solutions énergétiques capables de proposer l’énergie et des services associés aux consommateurs. Cette révolution oblige les acteurs industriels à se réinventer, à transformer très rapidement leurs organisations et à s’attacher de nouvelles compétences et de nouveaux savoir-faire. Dans le même temps, ces acteurs sont appelés à investir massivement dans les énergies décarbonées, dans l’économie d’énergie ou dans le digital, dans un contexte de forte incertitude sur les coûts et sur l’ordre de mérite des technologies qui permettront à moyen et long terme de réduire les émissions de CO2 tout en garantissant une rentabilité à long terme. La transition énergétique est, on ne le soulignera jamais assez, une révolution industrielle, qui nécessite que les acteurs économiques aient les bons signaux pour investir et se projeter dans l’avenir.

Cette transition énergétique, au cœur d’un programme d’excellence écologique, ne se fera pas sans obtenir le consentement des citoyens européens. C’est ce que rappelle, en France, le mouvement des « gilets jaunes » qui, rappelons-le, a éclaté à l’occasion d’une hausse de la fiscalité de l’énergie. Cette transition ne réussira pas davantage sans associer pleinement le secteur privé, qui fournit aujourd’hui les deux tiers des investissements liés à l’adaptation au changement climatique et des dépenses de recherche et d’innovation. « Plus » et « mieux » d’Europe, une relation rénovée entre les pouvoirs publics prescripteurs et garants des objectifs environnementaux, les consommateurs et les entreprises qui portent l’essentiel des investissements, telles sont aujourd’hui les conditions d’un projet d’excellence écologique. La présente note explicite un certain nombre de ces conditions du point de vue d’un opérateur industriel engagé dans la transition énergétique.

I Partie

Accélérer la décarbonation de la production électrique.

Notes

3.

Ou, en anglais, EU Emissions Trading System (EU ETS). Voir Commission européenne,« Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) », ec.europa.eu, s.d

+ -
+ -

La production électrique représente 32% des émissions de CO2 en Europe, et, au sein de ce secteur, les centrales à charbon comptent pour 42% de ces émissions (chiffres 2017). Accélérer la décarbonation du mix électrique constitue donc aujourd’hui le moyen le plus rapide et le plus économique pour atteindre les objectifs climatiques européens d’ici 2030. Le développement des énergies renouvelables, en particulier l’éolien et le solaire, est au cœur de cette ambition de décarbonation, selon des modalités sur lesquelles on reviendra. Mais cela ne suffit pas : ces technologies intermittentes doivent s’adosser aux services de flexibilité des centrales conventionnelles afin de monter en puissance sans compromettre l’équilibre du réseau électrique. C’est la raison pour laquelle le développement des énergies renouvelables électriques n’est pas à lui seul capable de faire baisser les émissions de GES. En Allemagne, l’Energiewende, autrement dit la transition énergétique engagée dans ce pays, en est l’exemple le plus éloquent. La part des énergies renouvelables a quintuplé en quinze ans dans le bouquet électrique outre-Rhin (40% du mix en 2018), contribuant à la diminution des émissions de CO2 depuis vingt-cinq ans, mais le recours au charbon et au lignite comme production de base et de pointe place toujours l’Allemagne dans la fourchette haute des pays européens sur le plan du contenu moyen en CO2 du kilowattheure électrique. Car, par suite de la décision de sortie du nucléaire, l’écart est comblé par les renouvelables mais aussi par le charbon et le lignite à bas coût. Dans le même temps, les centrales au gaz naturel, qui sont les meilleures partenaires des renouvelables en tant que source d’électricité flexible et bas carbone, sont poussées hors du marché.

Le paradoxe de ce « verdissement contrarié » n’a pas été résolu dans le cadre européen. Les émissions du secteur électrique, de même que celles de l’industrie, sont régies par un marché des permis d’émissions, le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (SEQE-UE)3, qui plafonne les émissions sur un plan européen et non national. Les opérateurs économiques sont libres de compenser leurs émissions par un échange de quotas de CO2. Au surplus, ce marché n’a jamais généré les signaux de prix nécessaires pour inverser l’ordre d’appel des centrales dans la production électrique, en faveur du gaz naturel, peu émetteur, et au détriment du charbon. C’est le résultat de défauts structurels de ce marché. N’ayant pas été conçu à ses origines pour s’adapter aux évolutions de la demande, il a créé un excédent massif et durable de quotas sur le marché. La contribution du SEQE a été marginale dans la réduction des émissions de CO2, surtout due au cours des dix dernières années à la réduction de la demande provoquée par la crise économique et par les politiques climatiques nationales et européennes.

La Commission européenne fait aujourd’hui valoir les effets bénéfiques des récentes réformes du SEQE (création d’une réserve de stabilité, retraits des quotas excédentaires du marché) et son impact positif sur les prix de la tonne de carbone, qui a franchi depuis le second semestre 2018 la barre des 20 euros. On peut lui objecter que les niveaux de prix sont insuffisants pour garantir  la substitution du charbon aux énergies moins émettrices. Une étude récente fait état d’une cible de prix de 15-35 euros à court terme pour enclencher la substitution gaz-charbon et de 20-50 euros dans la décennie 20204. Il faut noter d’autre part que la volatilité de ce marché et ses perspectives incertaines à moyen terme ne donnent pas les bons signaux aux investisseurs pour accélérer le développement des renouvelables en réduisant le coût du capital et éviter ainsi que s’installe un « verrou technologique » (technology lock-in) sur les technologies fossiles.

Constatant les dysfonctionnements de ce marché, les États membres ont pris des engagements unilatéraux pour réduire l’empreinte carbone de leur secteur électrique, en particulier des calendriers de sortie du charbon (France et Suède en 2022, Italie, Portugal et Autriche en 2025, Pays-Bas en 2030), qui auront à leur tour un impact dépressif sur les prix du SEQE. En ne portant pas une réforme systémique de son marché de quotas d’émissions, la Commission européenne prend donc le risque d’une renationalisation des politiques climatiques dans le secteur SEQE. C’est un recul pour l’ambition d’une Union de l’énergie, qui en augure d’autres demain si chaque État pilote sa transition en ordre dispersé et sans veiller aux impacts sur ses voisins de ses choix de politique énergétique nationale, notamment sur les plans de la programmation des investissements en réseaux, de la capacité et de la sécurité d’approvisionnement.

Dans ces circonstances, et pour le débat à venir sur les nouvelles politiques climatiques à engager pour mettre l’Union européenne sur la voie de la neutralité carbone, les décideurs européens devraient considérer avec davantage d’attention l’idée de mettre en place un prix minimum du carbone dans le cadre de la production électrique. Ce prix minimum a prouvé son efficacité au Royaume-Uni, qui a mis en place dès 2013 un prix plancher sous forme d’une taxe additionnelle au SEQE à la hauteur de 18 livres par tonne de CO2. Cette mesure a contribué à la décarbonation du secteur électrique par une réduction drastique du recours au charbon, dont la part est passée de 36 à 6% du mix électrique entre 2013 et 2018. Ce prix plancher devrait idéalement prendre place dans le cadre du SEQE à vingt-huit (vingt-sept au lendemain du Brexit). À défaut, il pourrait être poussé dans le cadre d’une coalition d’États membres désireux de conforter leurs engagements climatiques. La France, les Pays-Bas, certains pays nordiques, l’Autriche, l’Italie et la péninsule Ibérique pourraient ainsi constituer le socle d’une telle avant-garde. L’Allemagne, qui vient d’adopter son calendrier de sortie du charbon (en principe en 2038 si les conclusions de la « commission charbon » sont bien confirmées), pourrait être intéressée par les revenus supplémentaires dégagés par de nouvelles mesures pour financer les 40 milliards d’euros liés aux reconversions industrielles.

Cependant, comme souvent dans les débats européens, il y a un « éléphant dans la pièce » (elephant in the room), un sujet que tous les négociateurs ont à l’esprit mais que nul n’aborde à haute voix, celui de la répartition de l’effort entre les États membres, et donc du coût socio-économique d’une telle mesure pour les pays les plus dépendants du charbon, à commencer par l’Allemagne (37% de la production, 50.000 emplois directs et indirects) et la Pologne (70% des capacités électriques, 120.000 emplois directs). Une initiative européenne n’a de chance de prospérer qu’à condition de prendre des engagements en matière de réallocation des revenus issus d’un prix plancher pour financer les reconversions de site et compenser les industries les plus consommatrices d’énergie. Une transition électrique soutenable ne peut être qu’une transition juste et compétitive au plan européen, engageant certains transferts de solidarité au profit des territoires et des acteurs économiques les plus impactés par la transition. Mais ce débat sera sans doute rouvert à l’occasion de l’examen de la nouvelle stratégie climat européenne, dans la mesure où la sortie du charbon permettrait d’atteindre à elle seule 60 à 70% de la cible de réduction des émissions de CO2 à 2030.

II Partie

Crédibiliser les objectifs énergie-climat adoptés en 2018.

Notes

5.

Levelized cost of electricity, soit le coût complet de l’électricité sur toute la durée de vie de l’installation qui la

+ -

6.

« Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (version consolidée) », Journal officiel de l’Union européenne, art. 194, 26 octobre 2012

+ -

7.

Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte Journal officiel, art. L. 100-4, 18 août 2015

+ -

8.

Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), « Un mix de gaz 100 % renouvelable en 2050 ? Étude de faisabilité technico-économique », janvier 2018

+ -

Fait souvent inaperçu dans les pays européens, l’Union européenne s’est dotée en 2018 de nouveaux objectifs énergie-climat dans le cadre de la négociation du quatrième « paquet énergie » (Clean Energy Package), en  faisant  porter de 27 à 32% son objectif de développement des énergies renouvelables pour 2030, et de 30 à 32,5% les efforts d’efficacité énergétique. L’objectif de réduction des GES reste, quant à lui, fixé à 40% (par rapport au niveau de 1990), même si ces mesures additionnelles doivent en théorie permettre à l’Union européenne de dépasser cet objectif. Cette nouvelle ambition tient compte des objectifs de réduction des GES à long terme établis par l’Accord de Paris de décembre 2015.

Dans la stratégie climatique de la Commission européenne, l’efficacité énergétique apparaît ainsi comme le premier vecteur de décarbonation, en particulier à travers les gains réalisés dans le bâtiment. Partout dans le monde, la transition énergétique est une transition vers la sobriété énergétique. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime ainsi que les trois quarts des réductions des émissions de GES viendront d’actions d’efficacité énergétique. Il y a en effet du sens à réduire les consommations avant de verdir l’énergie qui continue d’être produite. Cela est vrai du point de vue climatique, mais aussi du point de vue des bénéfices socio-économiques attendus de l’efficacité énergétique. Les métiers de l’efficacité énergétique sont riches en emplois non délocalisables et produisent un supplément de confort au plus près des consommateurs européens (bâtiments mieux isolés et mieux insonorisés, systèmes de chauffage plus performants et donc plus économes, émissions de polluants locaux réduites, etc.).

S’agissant du développement des énergies renouvelables, la Commission européenne a plaidé pour le rehaussement de l’objectif en faisant valoir la baisse spectaculaire des coûts des renouvelables électriques (– 73% pour le photovoltaïque entre 2010 et 2017, – 85% pour l’éolien entre 1983 et 2017, exprimés en LCOE5) et l’essor de nouvelles filières (éolien flottant, géothermie, biomasse de deuxième et troisième génération, etc.). Que l’Union européenne donne à son industrie de l’énergie un signal d’accélération est une excellente nouvelle, d’autant plus que, à la différence de l’efficacité énergétique, la plupart des États membres sont aujourd’hui en mesure d’atteindre leurs objectifs de 20% de renouvelables en 2020. La France, actuellement placée sur une trajectoire insuffisante, se distingue à cet égard en Europe.

Toutefois, en matière d’efficacité énergétique comme de renouvelables, la gouvernance européenne est en quelque sorte biaisée : les objectifs sont fixés au niveau européen mais les moyens à mettre en œuvre le sont au niveau national. La comptabilité des résultats s’effectue au niveau de l’Union européenne mais la responsabilité est laissée aux États, qui ont la charge de mobiliser les financements, d’installer un cadre régulatoire robuste et de donner l’impulsion politique. Le quatrième « paquet énergie » introduit une gouvernance de l’Union de l’énergie qui renforce les obligations de planification (à travers des plans énergie-climat intégrés) et de contrôle des trajectoires suivies par les États membres. Il confère également à la Commission européenne le pouvoir d’émettre des recommandations. Cependant, il n’existe pas en matière d’énergie-climat l’équivalent d’une procédure pour « déficits excessifs » comme il en existe en matière budgétaire en cas de déviation de la trajectoire par un État membre. Les prochaines années diront si cette gouvernance est suffisamment robuste pour garantir la crédibilité des engagements européens en matière de renouvelables et d’efficacité énergétique. Déjà des voix interrogent la capacité de l’Union européenne à atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés. Ainsi l’UE n’est pas sur la trajectoire lui permettant d’atteindre ses objectifs d’efficacité énergétique en 2020 (20%). La consommation d’énergie repart à la hausse depuis trois ans en raison de facteurs exogènes aux politiques climatiques (croissance économique, prix des commodités, températures, etc.), et les émissions de CO2 continuent également d’augmenter (+ 1,8% en 2018, en hausse depuis 2016, après avoir baissé de 23,6% entre 1990 et 2015).

Du point de vue d’un industriel, cette gouvernance des politiques énergie-climat appelle deux commentaires. Le premier est de noter le soutien que le monde économique apporte au fait de doter l’Union européenne d’objectifs quantitatifs de moyen et long terme. Ces objectifs donnent la visibilité et la prévisibilité nécessaires aux investissements à engager dans la transition énergétique. Le second est de regretter que l’Union européenne ne puisse pas franchir un pas supplémentaire dans l’intégration de ses politiques énergie-climat afin de mutualiser et de mettre en cohérence les moyens d’action. L’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne définit l’énergie comme un domaine de compétence partagé entre l’Union européenne et les États, ces derniers étant libres du choix de leur bouquet énergétique et responsables en dernier ressort de leur sécurité d’approvisionnement6. Le caractère juridique actuel fait donc de l’Union de l’énergie un cadre de coopération politique plutôt qu’il ne fournit les instruments d’un pilotage intégré. Celui-ci devrait être non seulement capable de constater les éventuels écarts par rapport à la norme européenne, mais aussi de juger de la proportionnalité des mesures mises en place au niveau national pour assurer le respect des engagements européens. En somme, pour prolonger la comparaison avec la gouvernance économique de l’Union économique et monétaire, l’Union de l’énergie aurait besoin de s’adjoindre un comité de la politique énergétique (ce qui n’est pas aujourd’hui le rôle de la filière énergie du Conseil de l’Union européenne) et de déployer un « semestre européen » analogue à celui qui est en place pour suivre le respect des critères maastrichtiens en matière budgétaire.

La transposition des textes du quatrième « paquet énergie » constitue aujourd’hui un enjeu clé pour crédibiliser les objectifs de l’Union de l’énergie, en particulier ceux chargés de décliner au niveau des États membres les engagements énergie-climat : les directives relatives à l’efficacité énergétique et à la performance énergétique des bâtiments, ainsi que celle relative aux renouvelables.

C’est en matière d’efficacité énergétique que le défi est le plus grand, notamment dans le secteur du bâtiment, qui représente 40% de la consommation énergétique finale européenne. Les hypothèses sur lesquelles sont bâties les trajectoires de réduction des consommations sont particulièrement ambitieuses : une accélération au moins par deux de la rénovation des bâtiments et la mobilisation de 200 à 235 milliards d’euros d’investissements par an d’après la Commission européenne. En France, où la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) est déjà alignée avec l’objectif de neutralité carbone  à 2050, l’objectif est de réaliser 300.000 rénovations de logements par an jusqu’à 2030 et de 700.000 entre 2030 et 2050. Cet objectif est très loin des trajectoires historiques constatées. La Commission européenne a mis en œuvre un « instrument financier » spécifique de 10 milliards d’euros pour progresser vers des bâtiments à faible consommation, ce qui est très loin des besoins constatés. L’objectif européen oblige à un véritable changement d’échelle des politiques déployées au niveau national à la fois sur les plans fiscal et réglementaire mais aussi d’aide à la structuration des filières du bâtiment et des services à l’économie d’énergie partout dans les territoires. Faire reposer l’effort sur le seul investissement public n’est pas raisonnable. Des solutions innovantes sont à inventer pour coproduire des solutions d’efficacité énergétique avec le secteur privé. Parmi les pistes à suivre, on peut citer la meilleure mobilisation des certificats d’économie d’énergie et l’extension des secteurs éligibles, la standardisation et la massification des contrats de performance énergétique destinés à l’amélioration de la performance énergétique du parc public, ou encore des mesures ciblées sur la précarité énergétique, telle l’initiative de la « chaudière à 1 euro » lancée en janvier 2019 par Engie.

En matière d’énergies renouvelables, la marche à franchir pour mettre l’Europe en capacité de tenir ses engagements en 2030 est également très haute. Pour passer de 17% d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale en 2017 à 32% en 2030, tous les scénarios font état d’une accélération du verdissement de la production électrique, dont la part des énergies renouvelables devrait passer de 24% aujourd’hui à environ 60% en 2030. Cette accélération n’est possible qu’à condition de faire monter très rapidement en puissance des actifs de stockage et de flexibilité dans le système. Le stockage électrique et les outils de gestion active de la demande (demand side management) ne seront pas, à cet horizon et prises isolément, des solutions technologiquement et économiquement matures. C’est la raison pour laquelle il est indispensable de mobiliser les services de flexibilité que le système gazier offre au système électrique via les centrales à cycle combiné alimentées au gaz naturel.

La poursuite du développement des énergies renouvelables exige, quant à elle, un environnement de sécurité juridique et l’amélioration du cadre régulatoire que la Commission européenne s’est efforcée de pousser à travers la révision, en 2018, de la directive relative aux énergies renouvelables. L’interdiction de changements rétroactifs des systèmes de soutien et l’inscription des appels d’offres dans une programmation pluriannuelle y contribueront, de même que l’invitation à la rationalisation et à la réduction des procédures administratives dans les États membres. La comparaison des délais de réalisation de projets renouvelables suivant les pays est un indicateur des performances des systèmes administratifs et réglementaires. Ainsi, s’il faut en moyenne deux ans pour mener à bien un projet éolien en Allemagne, ce délai peut atteindre jusqu’à sept ans en France. La réglementation européenne, correctement transposée, devrait aider à rapprocher les standards nationaux. On peut également se féliciter que la directive européenne définisse les principes généraux d’un système énergétique plus décentralisé, celui de l’autoconsommation et des collectivités énergétiques locales s’appuyant sur les ressources de l’autoproduction, du stockage diffus et des microgrids.

Si, depuis quinze ans, l’Europe a fait le choix de mettre l’accent sur le développement des énergies renouvelables dans la production électrique, celles-ci ne recouvrent pourtant aujourd’hui, comme on l’a vu, que 17% de la consommation finale. Dans les 72% dépendant d’énergies fossiles, l’électrification ne sera pas, loin de là, le seul vecteur de verdissement. L’électromobilité apportera aussi une contribution décisive à l’atteinte des standards d’émissions de CO2 des voitures particulières et des véhicules légers actuellement discutés dans le cadre du «paquet mobilité propre pour tous». Toutefois, la décarbonation en profondeur de la mobilité, notamment  dans le secteur des poids lourds, exigera une palette de solutions incluant non seulement les biocarburants liquides mais aussi les biogaz et l’hydrogène. Dans l’industrie, les gaz de synthèse, biogaz et hydrogène seront des vecteurs de la décarbonation des procédés industriels, indispensables notamment dans les industries fortement consommatrices d’énergie comme l’acier, le ciment ou le papier.

Le développement de la méthanisation constitue un nouveau front pour les efforts d’harmonisation et d’impulsion d’une nouvelle vague de verdissement de l’économie européenne. La Commission européenne qui sera issue des élections de mai 2019 devrait s’atteler à préparer un « paquet gaz » qui compléterait le quatrième paquet à l’actif de la commission Juncker, qui est quant à lui majoritairement tourné vers le secteur de l’électricité. Ce futur « paquet gaz » devrait être l’occasion de poser les bases communes d’une régulation capable de promouvoir le développement à grande échelle du gaz renouvelable (biométhane, hydrogène, etc.). Un système concurrentiel et transparent d’échange de garanties d’origine permettant d’assurer la circulation et la traçabilité des productions renouvelables devrait par ailleurs être organisé en application de la directive sur les renouvelables du quatrième paquet. La Commission réfléchit actuellement aux conditions dans lesquelles cette nouvelle vague de verdissement pourrait être organisée en Europe, en prenant appui sur l’expérience acquise pour les renouvelables électriques. Ce paquet devrait également poser les bases d’une économie de l’hydrogène, qui est le chaînon indispensable pour optimiser la décarbonation à travers le couplage des différents systèmes énergétiques.

En matière de soutien aux renouvelables, l’Europe a été à juste titre critiquée pour avoir laissé s’installer un système de soutiens publics très coûteux pour les finances publiques des États, qui a créé des rentes de situation. Les excès du passé sont nés de systèmes de soutiens publics sous forme de prix garantis, décorrélés de l’évolution des coûts de production et organisés à guichet ouvert sans régulation de la demande. La nouvelle vague de verdissement pourra prendre appui sur les bonnes pratiques des États membres les plus avancées dans le développement du biométhane (Allemagne, Italie, Royaume-Uni, France), fondées sur des engagements publics clairs et de la visibilité sur les trajectoires. Un cadre européen pour les systèmes de soutien devrait s’accompagner d’un objectif européen de développement des biogaz, contraignant pour l’Union européenne et adapté aux situations nationales. Il constituerait un signal fort pour engager responsables publics et privés dans le développement de la filière.

En France, les ambitions sont portées par l’objectif d’injecter 10% de gaz renouvelable dans les réseaux en 2030, inscrit dans la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte de 20157. La croissance du gaz renouvelable en Europe est fondamentale non seulement pour la transition énergétique mais également pour le maintien du dynamisme des territoires ruraux et de l’agriculture. Elle constitue pour les agriculteurs une source de revenus supplémentaires dans un contexte où l’Europe amorce une réduction de la voilure de ses soutiens financiers au titre de la politique agricole commune. Plus largement, cette nouvelle vague verte peut avoir un effet d’entraînement sur de nombreuses filières industrielles (industrie agro- alimentaire, industrie de l’environnement, mobilité, etc.). À plus long terme, les gaz verts se substitueront aux gaz fossiles grâce au développement du biométhane et de l’hydrogène. Ils sont la condition sine qua non d’un bouquet énergétique 100% renouvelable, dans lequel les gaz verts constituent la seule solution de stockage inter-saisonnier de l’électricité dans la durée pour assurer la sécurité d’approvisionnement, dans une complémentarité avec les énergies renouvelables électriques. La faisabilité technico-économique d’un mix de gaz 100% renouvelable a d’ailleurs été soulignée par une étude récente de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe)8.

III Partie

Assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité.

La négociation du quatrième « paquet énergie », qui vient de s’achever fin 2018 à Bruxelles, a été le théâtre d’une vive opposition sur le sens et la finalité des « marchés de capacité » mis en place dans un certain nombre d’États membres. Ces mécanismes visent à compléter la rémunération des actifs indispensables à la sécurité d’approvisionnement quand les revenus issus des marchés de l’électricité à court terme et des services ancillaires ne sont pas suffisants. La France a mis en place un tel mécanisme en janvier 2017 en vue de garantir durablement la sécurité d’alimentation dans le pays. En 2016, la Commission européenne a recensé onze États ayant mis en œuvre ou projeté de tels mécanismes, cinq étant aujourd’hui validés par elle. Elle effectue ce contrôle au titre des aides d’État, en vérifiant notamment qu’ils assurent un traitement concurrentiel des actifs de production, de stockage, d’effacement et des capacités transfrontalières, celles qui peuvent contribuer à la sécurité d’approvisionnement d’un pays tout en étant situées dans un pays voisin.

La réforme de l’organisation des marchés de l’électricité adoptée en décembre 2018 reconnaît timidement l’existence de ces marchés de capacités, mais elle ne les conçoit qu’en tant que modes de rémunération de dernier ressort et limités dans le temps. La Commission européenne, qui a trouvé des appuis dans un certain nombre de pays nordiques et d’Europe centrale, considère ces dispositifs comme une entorse au principe d’un marché energy only, qui prévaut aujourd’hui en Europe. Ce marché ne prend en compte, pour la rémunération des biens de production, que l’énergie mise à disposition (le mégawattheure échangé) et non la puissance (l’énergie disponible, donc les coûts fixes associés à un actif de production), qui n’est pas rémunérée alors même qu’elle est une condition de la sécurité d’alimentation en électricité.

Avec le quatrième paquet (règlement sur l’organisation des marchés de l’électricité), l’Union européenne vient donc d’apporter des perfectionnements au marché energy only en améliorant le fonctionnement de court terme des marchés. Toutefois, ces réformes ne permettront pas aux marchés de délivrer les signaux de long terme nécessaires aux acteurs économiques pour orienter leurs choix d’investir ou de désinvestir dans des actifs de production. Les marchés energy only sont basés sur les coûts marginaux de production et ne permettent pas de couvrir structurellement les coûts fixes ou d’investissement. Les pics de prix observés couvrent certains coûts fixes et d’investissement mais ils induisent un risque très important et une incertitude sur la possibilité de satisfaire aux business plans de nouveaux investissements.

Cette situation pourrait entraîner à terme un manque d’investissements pour le renouvellement du parc existant ou son extension. Les marchés de capacités n’envoient un tel signal que s’ils deviennent une composante à part entière d’un marché de l’énergie rénové. Or la réforme qui vient d’être adoptée, éclairée par le contrôle au titre des aides d’État de la direction de la concurrence, reconnaît la validité de ces mécanismes pour dix ans, soit un horizon insuffisant pour viabiliser des projets d’investissements qui, en matière d’actifs de production électrique, se rentabilisent sur des durées de quinze à trente ans. Ce qui est vrai du marché carbone européen l’est également du marché energy only : des prix de court terme ne peuvent, par nature, orienter des choix de long terme. Bref, l’Union européenne, censée moderniser le cadre régulatoire des marchés de l’électricité pour les dix prochaines années, semble au contraire en retard d’une réforme.

Ce débat est loin d’être une querelle d’experts au moment où les gouvernements de plusieurs États sont en train de mettre en œuvre des décisions de politique énergétique qui impacteront la disponibilité de leurs actifs de production ou nécessiteront de nouveaux investissements dans un horizon marqué par l’incertitude et l’absence de coordination entre les États membres. En Allemagne, le rythme de décommissionnement des centrales à charbon dépendra d’un compromis politique, pour l’heure incertain, qui s’établira au sein de la Grande Coalition après que la commission charbon installée à Berlin aura formulé ses propositions. Cette réduction des capacités s’ajoutera à celle programmée dans le cadre de la sortie du nucléaire, qui devrait s’achever en 2022.

En Belgique, une loi fédérale de 2003, confirmée en 2015, organise la sortie du nucléaire d’ici à 2025. Elle devra se traduire par de nouveaux investissements en centrales thermiques à gaz qui ne sont aujourd’hui pas décidés vu l’absence d’une architecture de marché adéquate. En France, les opérations d’investissement et de maintenance pour assurer la sûreté des centrales nucléaires limiteront la disponibilité du parc de production pendant la période considérée. La montée en puissance des renouvelables électriques ne pourra composer intégralement les volumes retirés du marché dans le cadre des politiques de sortie du charbon décidées au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, et nécessaire dans d’autres pays à terme.

Ces politiques sont aujourd’hui menées sans concertation préalable entre les gouvernements, dans le cadre de marchés de l’électricité de mieux en mieux interconnectés et intégrés grâce aux efforts des institutions européennes. Mises bout à bout, elles modifient l’équilibre offre-demande sur l’ensemble du système électrique européen. Or aucune autorité européenne ne dispose d’une vision complète de ces impacts et de leurs conséquences sur la résilience du système électrique pour passer les périodes de tensions liées aux pointes hivernales. C’est, sur le plan européen, le rôle du Réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité (REGRT-E ou, en anglais European Network of Transmission System Operators for Electricity, ENTSO-E). En pratique, certaines informations nécessaires à la construction de scénarios fiabilisés d’équilibre offre-demande, en particulier s’agissant du taux d’utilisation des interconnexions et de la disponibilité effective des capacités transfrontalières aux périodes de pointe, sont complexes à obtenir de manière prospective, mais cependant indispensables pour assurer la sécurité d’approvisionnement dans une perspective régionale. Les bilans prévisionnels réalisés par les gestionnaires de transport nationaux, réalisés indépendamment, à des moments différents et sur des horizons de temps différents, ne fournissent qu’une image partielle de l’équilibre offre-demande au niveau européen et des besoins en capacité ferme pour assurer la sécurité d’approvisionnement. Ce contexte d’incertitude questionne sur la résilience future du système électrique européen, notamment pour traverser des épisodes de grand froid.

Au final, les enjeux de sécurité d’approvisionnement en électricité pourraient dans les prochaines années prendre une place qu’ils n’ont pas  encore dans le débat européen. Cette sécurité est aujourd’hui considérée par les consommateurs européens comme un acquis sur lequel il n’est pas question de transiger. Elle est à l’évidence une condition d’acceptabilité de la transition énergétique pilotée par l’Europe. Dès maintenant, il est clair que les choix de politiques énergétiques à l’œuvre dans un certain nombre de pays européens appelleront demain de nouveaux investissements en actifs de production, qui ne pourront se réaliser sans un cadre régulatoire stable et robuste sur le long terme. Les marchés de capacité seront notamment indispensables pour maintenir sur le marché des actifs de production qui offrent les services de flexibilité dont le système électrique a besoin pour l’essor des renouvelables ainsi que pour permettre de nouveaux investissements pour accompagner les décisions de sortie du nucléaire et du charbon. Sur un plan politique, la programmation de ces investissements nécessitera un surcroît d’effort de coordination entre les États, ainsi que la garantie d’un traitement concurrentiel (level playing field), au sein des mécanismes de capacités, entre les actifs de production qui se situent sur le territoire du pays et ceux présents de l’autre côté de ses frontières.

IV Partie

Organiser une transition énergétique à coût maîtrisé.

Notes

9.

Cour des comptes européennes, « L’action de l’UE dans le domaine de l’énergie et du changement climatique », septembre 2017, p. 58 (encadré 8) et 84.

+ -

Dans le cadre des débats politiques qui vont précéder les élections européennes de 2019 et dans le cadre des réflexions sur les priorités de la prochaine Commission européenne, les décideurs européens devraient maintenir une attention vigilante à la préservation de cet acquis, toujours fragile, qu’est le remarquable niveau d’adhésion des citoyens européens au projet d’une Union de l’énergie plus étroite et intégrée. Des signaux de plus en plus nombreux, partout en Europe, commencent à alerter le décideur public européen sur le franchissement du seuil d’acceptabilité sociale non seulement par rapport au coût de la transition énergétique mais aussi par rapport aux décisions politiques prises pour répartir ce coût entre les différentes catégories de consommateurs. Dans les États membres, comparativement à 2008, le prix moyen de l’électricité a augmenté en 2017 respectivement de 25,9 et de 3,7% pour les ménages et les consommateurs industriels. Les prix du gaz, eux, ont augmenté de 5,2% pour les ménages mais ont baissé de 28,6% pour les industriels. Si certains pays, comme l’Allemagne, assument de faire porter l’essentiel du coût de la transition sur leurs consommateurs domestiques afin de protéger leur industrie, la montée de la précarité énergétique en Europe (50 millions de consommateurs européens, des taux d’impayés des factures énergétiques en hausse depuis dix ans) oblige à de nouvelles approches. Préserver le consentement des citoyens impliquera sans doute de renforcer à l’avenir le lien entre prélèvements réalisés pour la transition écologique et utilisation des recettes pour financer cette transition et son accompagnement social.

Le coût de la transition est également un critère important pour définir les choix de long terme en matière de répartition des efforts entre les secteurs (industrie, transport, bâtiment, agriculture) dans le temps et promouvoir de nouveaux choix technologiques. La comparaison entre les différents scénarios disponibles sur le coût de la transition énergétique européenne fait apparaître des évaluations très différenciées des besoins d’investissement. Tous ont cependant en commun de mettre en évidence un besoin massif et continu de ressources publiques et privées au cours des prochaines décennies. En 2017, la Cour des comptes européenne a estimé à 1.115 milliards d’euros par an, entre 2021 et 2030, les dépenses nécessaires à l’adaptation au changement climatique des vingt-huit9. Ce chiffre est équivalent à la richesse produite en une année par l’Espagne. Dans le secteur de l’énergie, les investissements annuels nécessaires en Europe s’élèveraient à 230 milliards d’euros, par an, soit 100 milliards d’euros par an au-dessus des investissements actuels. À l’horizon 2050, la Commission européenne indique qu’il faudra porter chaque année les besoins d’investissement de 2 à 2,8% du PIB européen pour atteindre l’objectif de neutralité carbone (soit une fourchette de 520-575 milliards d’euros chaque année), ce chiffre étant mis au regard des deux points de PIB gagnés par les retombées positives des investissements dans la croissance verte.

Projeter une stratégie à long terme soutenable économiquement, comme devrait s’y atteler la future stratégie européenne de réduction des GES à 2050, se heurte au « voile d’ignorance » qui occulte la vision à moyen et long terme des coûts des technologies qui assureront la décarbonation de l’économie européenne (de la batterie stationnaire, du stockage de carbone, etc.). Dans ce contexte, les décisions responsables sont celles qui font des choix « sans regret », mobilisant à chaque horizon de temps les technologies les plus éprouvées sur le plan de la décarbonation et les plus économiques sur le plan des nouveaux investissements et de l’amortissement des infrastructures existantes. Dans cette vision équilibrée de la transition énergétique européenne, le nucléaire historique (bas carbone et à facteur de charge élevé) et le gaz naturel (compétitif, flexible et se substituant au charbon et au diesel) continueront d’avoir leur place en Europe à côté des renouvelables. Ainsi l’électrification ne saurait être le seul vecteur d’une décarbonation à coût maîtrisé en Europe.

Une étude récente montre que l’utilisation des infrastructures gazières existantes, combinée avec une montée en charge du gaz renouvelable dans les secteurs où il apporte la plus grande valeur ajoutée, peut conduire à une économie annuelle de 138 milliards d’euros par rapport à un scénario exempt de gaz renouvelables 10. L’autre choix « sans regret » qui est à portée des autorités européennes est de relever l’ambition en matière de soutien à la recherche, au développement et à l’innovation dans la green tech. Les discussions du prochain programme-cadre financier pluriannuel vont dans la bonne direction, à travers le renforcement et le verdissement du futur programme «Horizon Europe».

Quelle que soit l’évolution des technologies et des coûts à plus long terme,   le chemin vers l’excellence écologique passera assurément par une approche flexible, adaptable et non idéologique des grands choix de politique énergétique européenne. C’est à cette condition que la construction d’une véritable Union de l’énergie échappera au grief d’imposer aux citoyens européens des objectifs intenables auxquels ils ne consentent pas.

Nos dernières études
Commentaires (0)
Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.