Pour une complémentaire éducation : l'école des classes moyennes
Pour une complémentaire éducation : l’école des classes moyennes
La fragilisation des classes moyennes françaises
Un système scolaire inégalitaire conduisant à un marché du train sinistré
Compenser les défauts de l’école (I) : La quête du meilleur établissement
Compenser les défauts de l’école (II) : le recours au soutien scolaire, au profit de la mobilité scolie des classes moyennes
Le soutien scolaire vient au secours de l’éducation nationale, mais il suppose un cadre fiscal et réglementaire encourageant
Proposition : pour une « assurance complémentaire éducation »
Résumé
Les classes moyennes de notre pays sont inquiètes et victimes des dysfonctionnements de la société et de l’économie françaises. Les difficultés de l’Éducation nationale à emmener tous les enfants vers des parcours de réussite, l’échec du marché du travail à fournir des emplois à tous les candidats – particulièrement aux plus jeunes – font peser sur ces classes une pression trop lourde. Elles sont déçues. L’institution scolaire devrait incarner un recours, une bouffée d’espoir, une chance de promotion sociale pour leurs enfants. Ce n’est pas le cas : en France, la réussite est conditionnée par les origines sociales des élèves. Face à ce constat, les classes moyennes sont à la recherche de solutions scolaires alternatives et se tournent vers le soutien scolaire payant, qui est un marché particulièrement dynamique. Les enquêtes montrent qu’elles y trouvent un complément, non un substitut, à l’Éducation nationale et qu’elles en sont très satisfaites : il contribue à soutenir leurs ambitions de mobilité sociale.
Les politiques traditionnellement suivies consistent à favoriser la contrainte, la sanction ou l’interdiction, en fiscalisant toujours plus le soutien scolaire afin d’en décourager le recours, qui serait inégalitaire. Ce faisant, les responsables politiques laissent les familles sans complément éducatif, tout en les abandonnant à un système scolaire injuste et défaillant, faute de réforme structurelle.
La présente note propose au contraire de soutenir les familles en créant une assurance complémentaire éducation. Sur le modèle des complémentaires santé ou des complémentaires retraite, elle viendra en supplément des services de l’Éducation nationale, conduisant le secteur privé à participer d’une façon nouvelle à la mission d’intérêt général de réussite de tous les élèves français.
Erwan Le Noan,
Consultant en stratégie et membre du Conseil scientifique et d’évaluation de la Fondation pour l’innovation politique.
Dominique Reynié,
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Pour une complémentaire éducation : l’école des classes moyennes
Voir Laurent Wauquiez, La Lutte des classes moyennes, Odile Jacob, 2011.
La Fondation pour l’innovation politique a notamment publié plusieurs notes consacrées à ce sujet (disponible) : Julien Damon, Les Classes moyennes et le logement, 2011 ; Élisabeth Dupoirier, Le Vote des classes moyennes, 2011 ; Nicolas Pécourt, Les Classes moyennes et le crédit, 2011 ; Laure Bonneval, Jérôme Fourquet et Fabienne Gomant, Portrait des classes moyennes, 2011 ; Guénaelle Gault, Les Valeurs des Franciliens, 2013 ;Julien Damon, Les Classes moyennes dans les pays émergents, 2013 ; Julien Damon, La Classe moyenne américaine en voie d’effritement, décembre 2014.
Dans la suite de cette note, les expressions « soutien scolaire » ou « cours particuliers » feront référence, sauf indication contraire, aux cours de soutien scolaire payants dispensés hors des heures scolaires, dans les disciplines académiques des élèves.
L’émergence puis l’affirmation des classes moyennes ont marqué l’enrichissement économique, l’émancipation politique et la modernisation culturelle de nos sociétés. Ce groupe central assure le lien entre les classes populaires et les classes aisées, œuvrant ainsi à l’unité du corps social. Les classes moyennes sont non seulement un point de contact entre les différents mondes sociaux, mais elles offrent aussi des voies de passage. C’est par les classes moyennes que la mobilité sociale est possible. Elles permettent les trajectoires ascendantes sans lesquelles nos sociétés seraient privées de toute dynamique sociale. La vigueur des classes moyennes est le marqueur des sociétés libérales et prospères. Sur le plan politique, elles jouent le rôle d’un verrou démocratique en favorisant les opinions modérées. Les classes moyennes fournissent le socle électoral des partis de gouvernement et contiennent la poussée des partis populistes. Par le niveau de formation et d’information de ses membres, par leur intérêt plus marqué pour les affaires publiques et leur attachement plus fort aux libertés individuelles et collectives, les classes moyennes constituent le principal pilier social de la culture démocratique.
Depuis une vingtaine d’années, les classes moyennes françaises subissent un processus de fragilisation. Sous les effets de la globalisation et du numérique, les transformations du monde économique et du travail les affectent certainement, mais, en France, la crise de l’État joue également un rôle essentiel dans la déstabilisation de ce groupe central, dont le pouvoir d’achat et le niveau de vie sont attaqués par une hausse continue des prélèvements obligatoires. Conjointement, le déclin des services publics amène nos classes moyennes à penser que notre système d’assurance sociale et de redistribution n’est ni efficace ni juste. S’exprime de plus en plus clairement l’idée que l’État français agit au profit des classes les plus modestes et des plus aisées, en faisant porter le poids de cette action sur les classes moyennes.
Les classes moyennes sont prisonnières de politiques de redistribution dont elles bénéficient de moins en moins tout en supportant leur coût de plus en plus élevé. En témoigne leur extrême sensibilité à la pression fiscale, comme on le verra plus loin. L’inquiétude des classes moyennes trouve parfois un écho médiatique mais très peu sur le plan politique1. Nombreuses mais hétérogènes, les classes moyennes sont mal défendues. C’est en raison de l’évidente importance de cet enjeu que, depuis 2009, la Fondation pour l’innovation politique a fait de l’observation et de l’étude des classes moyennes l’une de ses principales préoccupations2.
Par fonction et par position, les classes moyennes sont animées par une culture de la promotion. C’est pourquoi l’école est un sujet qui les préoccupe particulièrement. Elles connaissent le rôle majeur joué par le diplôme dans la réussite sociale française et, en même temps, elles savent qu’elles n’ont pas, à la différence des catégories supérieures, le capital économique et culturel leur garantissant peu ou prou la réussite de leurs enfants. C’est pourquoi les familles appartenant aux classes moyennes attendent beaucoup de l’école et sont si sensibles aux performances dont elle est capable. Chez les classes moyennes, la crainte que l’école publique ne soit plus capable – ou le devienne moins – d’amener leurs enfants à franchir une étape sociale supplémentaire par rapport à leurs parents conduit aussitôt les familles à imaginer des stratégies de compensation. C’est pourquoi la présente note s’intéresse au monde du soutien scolaire.
Le soutien scolaire est un phénomène trop peu étudié, traité avec partialité, dans un contexte idéologique et dans le cadre d’un agenda politique producteur de biais3. Cette note montre que, pour de très nombreuses familles, membres des classes moyennes mais aussi des milieux qui se considèrent « défavorisés », le recours au soutien scolaire payant dispensé par des entreprises apporte un complément précieux aux services d’enseignement fournis par l’Éducation nationale. Qu’il permette de consolider les acquis, de rattraper les retards ou de conduire l’élève vers l’« excellence », le soutien scolaire est devenu indispensable pour ces familles. Le recours au soutien payant marque la force de l’engagement des parents. En même temps, il témoigne de leur désarroi face à un système dont le fonctionnement leur semble souvent énigmatique, voire opaque ou très injuste.
Le secteur du soutien scolaire a cependant été profondément troublé ces dernières années. La cause est double : une instabilité normative accélérée et une pression fiscale accrue ont grandement perturbé les familles. Poussé par la nécessité d’accroître ses ressources, l’État met en avant des motivations égalitaristes, multipliant des initiatives aux effets très négatifs sur le secteur. La Fondation pour l’innovation politique défend l’idée que les parents doivent pouvoir choisir aussi librement que possible l’éducation de leurs enfants. Ils doivent notamment pouvoir proposer à leurs enfants les services scolaires qu’ils souhaitent – dont les cours particuliers –, et ce quelles que soient les raisons qui les y conduisent, fussent-elles jugées imparfaites par les pouvoirs publics. Dans ce domaine, il n’appartient pas à l’État de se substituer aux familles.
Le discours public ne doit pas inverser la chaîne de responsabilités pour culpabiliser les parents. Si les parents ont recours au soutien scolaire, c’est parce qu’ils recherchent des offres spécifiques mais également en partie parce qu’ils sont déçus par la qualité de l’Éducation nationale. C’est donc les défauts de cette dernière qui expliquent, pour une grande part, les inégalités du système scolaire ; ce sont les déficiences de l’école qui sont fautives et non les parents qui recherchent, de bonne foi et très légitimement, les meilleures solutions pour assurer l’avenir de leurs enfants. Sil’on veut porter une ambition française de réussite scolaire, il faut encourager le soutien scolaire en le reconnaissant comme un service complémentaire à l’Éducation nationale. Cela ne dispensera pas de réformer notre système public d’éducation, notamment au profit des plus défavorisés.
La présente note propose de rendre une part de liberté aux familles, en instituant une assurance complémentaire éducation, comme il existe des complémentaires santé et des complémentaires retraites. Les parents utiliseraient un « bon » leur donnant accès à des cours particuliers. Cette première étape permettrait de mieux répondre aux attentes des familles. Elle constituerait en même temps une saine stimulation de l’offre d’enseignement en France et favoriserait une réconciliation des parents avec l’institution scolaire. De cette façon, la collectivité investirait efficacement pour l’avenir de nos enfants et pour celui de la société tout entière.
La fragilisation des classes moyennes françaises
La définition des classes moyennes a donné lieu à de multiples débats académiques et plusieurs approches sont possibles4. On peut tenter de définir l’univers des classes moyennes par référence à des catégories socioprofessionnelles regroupant les « professions intermédiaires » et, pour partie, les « cadres supérieurs » et les « employés ». On peut également prendre en considération le revenu, en retenant les classes intermédiaires et en écartant un pourcentage des plus modestes et des plus aisés, ou le niveau de vie, en référence au niveau de vie médian. Par cette approche, la classe moyenne peut intégrer de 50 à 80% des Français.
Pour définir les classes moyennes, nous suivrons ici la proposition de Julien Damon : « [Une] voie de partage consiste à distinguer les catégories aisées (les 20% les plus favorisés), les catégories populaires (les 30% les moins favorisés), et une classe moyenne rassemblant la moitié de la population totale, entre les plus aisés et les moins aisés. Sous cette hypothèse – utilisée pour de nombreux travaux –, les revenus disponibles, après impôts donc, de la classe moyenne sont (pour une personne seule), en 2008, compris entre 1.163 et 2.127 euros/mois5. »
Avec l’Ifop, afin d’obtenir un niveau de lecture plus fin, la catégorie des personnes estimant appartenir aux classes moyennes, soit 47% dans notre enquête 2014, a été divisée en deux sous-catégories sur la base d’une variable objective pondérant le niveau de revenu par la taille du foyer.
Tableau 1 : Évaluation du poids des classes moyennes en 2014
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Laure Bonneval, Jérôme Fourquet et Fabienne Gomant, op. cit., p. 12.
Il reste utile de considérer la façon dont les individus se situent eux-mêmes. Cette approche subjective d’autoévaluation est celle qui avait été utilisée en 2010 dans les travaux de la Fondation pour l’innovation politique. Laure Bonneval, Jérôme Fourquet et Fabienne Gomant montraient alors qu’une proportion majoritaire de la population « déclare faire partie des classes moyennes : 52% des Français se vivent comme des Français moyens, ni pauvres ni riches, proportion qui atteint même 65% si on y surajoute les personnes se définissant comme “classe supérieure”6». On peut comparer l’autopositionnement enregistré en 2010 et celui enregistré en 2014.
Tableau 2 : L’ érosion des classes moyennes (autopositionnement) Personnellement, vous situeriez-vous plutôt parmi … (en %)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2010, 2014).
Voir notamment sur ce sujet : Louis Chauvel, Les Classes moyennes à la dérive, Seuil, « LaRépublique des idées », 2006 ; Éric Maurin, La Peur du déclassement. Une sociologie des récessions, Seuil, coll. « La République des idées », 2008 ; Jérôme Fourquet, Alain Mergier et Camille Peugny, LeGrand Malaise. Enquête sur les classes moyennes, Fondation Jean-Jaurès, 2013 ; Régis Bigot, « Les classes moyennes sous pression », Consommation et modes de vie, lettre du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), no 219, mars 2009.
- Laure Bonneval, Jérôme Fourquet et Fabienne Gomant, op. cit., p. 28.
Cette comparaison des deux enquêtes permet de relever une poursuite du processus alors observé de fragilisation des classes moyennes en particulier et de la société française en général.
C’est dans le cadre général de cette érosion des groupes sociaux qu’il faut replacer la déstabilisation des classes moyennes qui a fait l’objet de nombreuses études récentes, outre les travaux de la Fondation pour l’innovation politique, montrant la réalité non seulement d’un « sentiment » de malaise mais aussi de manière plus préoccupante la perception d’un «déclassement7». Dans leur travail pour notre Fondation, Laure Bonneval, Jérôme Fourquet et Fabienne Gomant relevaient chez les classes moyennes un « pessimisme général quant à l’avenir8». Les classes moyennes inférieures considéraient en particulier, qu’elles vivraient moins bien (39%) au cours de la prochaine décennie. Le phénomène était encore plus fort pour les classes moyennes intermédiaires, dont 53% des membres déclaraient être pessimistes pour leur avenir, contre 15% seulement quise disaient optimistes. Au cours des précédents travaux de notre Fondation, nous avions montré, dès 2010, que les classes moyennes commençaient à douter de l’avenir de leurs enfants et à exprimer l’idée qu’ils vivraient moins bien qu’eux, soit l’idée du déclassement. Les résultats montraient l’érosion de la confiance dansl’efficacité de l’« ascenseur social », rejoignant ainsi les conclusions de nombre de travaux sur le sujet. Sur ce point, la nouvelle enquête de 2014 confirme la progression de ce pessimisme parmi les classes moyennes (+ 3 points), parmi la classe moyenne supérieure (+ 9 points) et même parmi les « favorisés » (+ 4 points). En revanche, les anticipations pessimistes se stabilisent au sein des catégories modestes ; elles ontmême régressé parmi les défavorisés (– 12 points).
Tableau 3 : Perception de la dynamique sociale (par rapport aux enfants)
Comment pensez-vous que vos enfants ou vos neveux et nièces vivront dans la société française de demain ?
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2010, 2014).
Tableau 4 : Perception de la dynamique sociale (par rapport aux parents) Diriez-vous que vos parents vivaient a votre âge… ?
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2010, 2014).
Un système scolaire inégalitaire conduisant à un marché du train sinistré
Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo, Olivier Galland et André Zylberberg, La Machine à Commentla France divise sa jeunesse, Eyrolles, 2011.
OCDE, Résultats du Pisa 2012, note France.
Cour des comptes, texte de présentation à la presse du rapport public thématique « L’éducationnationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves », intervention de Didier Migaud, Premierprésident, 12 mai 2010, p. 4.
Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Repères & Références Enseignement, formation, recherche, édition 2014.
Le système scolaire français et le marché du travail fonctionnent l’un et l’autre comme une « machine à trier9». Depuis les petites classes jusqu’à l’entrée dans l’emploi, chacune des deux organisations semble faite pour ne retenir que les « meilleurs » profils, c’est-à-dire ceux qui assurent à l’employeur que son investissement sera le moins risqué compte tenu du fait que le coût du travail, la lourdeur de la réglementation et la fiscalité ne lui accordent quasiment aucun droit à l’erreur dans le recrutement.
L’inégalité scolaire est multiforme
Dans un pays convaincu d’avoir la passion de l’égalité, il est toujours frappant de relever avec l’OCDE que le système scolaire français est marqué par un déterminisme social beaucoup plus fort que dans les pays comparables10. Le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, le confirme en ces termes : « Notre pays est […] celui où l’impact de l’origine sociale sur les résultats des élèves est le plus grand –de l’ordre du double de celui du Japon ou du Canada11. »
Les statistiques de l’Éducation nationale montrent que la réussite des élèves est très fortement liée à leurs origines sociales12. Mais, comme on le sait, les grandes inégalités scolaires ne sont pas toutes déterminées par les inégalités de revenus et de patrimoine. Ainsi, les enfants d’enseignants sont ceux qui obtiennent, et de loin, les meilleurs résultats, mesurés par le niveau d’études atteint, devant les enfants de cadres supérieurs – sauf au niveau du master. Si l’analyse des classes moyennes se limite aux professions intermédiaires, il en ressort que les enfants issus de ces familles ont des résultats généralement supérieurs à la moyenne, mais également sensiblement inférieurs à ceux d’enseignants ou de cadres supérieurs.
Tableau 5 : Trajectoire scolaire et diplômes obtenus par les élèves du panel 1995 selon l’origine sociale (en %)
Source :
Éducation Nationale (2014).
L’inégalité procède d’une pluralité de mécanismes qui n’affectent pas de la même façon les différentes composantes des classes moyennes. Les effets inégalitaires de l’école se révèlent dans la prise en compte des métiers, du statut – public ou privé, mais aussi salarié ou indépendant – ou encore de la position occupée dans le monde du travail – ouvrier qualifié, ouvrier non qualifié, cadre moyen, cadre supérieur, etc.
Globalement, les enfants des classes moyennes sont relativement favorisés par rapport à d’autres groupes sociaux mais, dans le détail,l’avantage dépend du groupe d’appartenance à l’intérieur des classes moyennes. Il faut donc préciser de quelle fraction des classes moyennes il est question : parmi les classes moyennes du secteur public, ce sont les enfants d’enseignants qui réussissent le mieux et, d’une manière générale, ils font partie, toutes catégories confondues, des enfants qui réussissent le mieux à l’école ; même les enfants des cadres moyens et supérieurs réussissent moins bien que les enfants d’enseignants, à l’exception du diplôme bac + 5 où ils sont plus représentés.
La proportion d’enfants issus des familles d’enseignants qui atteignent la classe de 3e est deux fois plus élevée que celle des enfants issus de familles de cadres supérieurs, trois fois et demie plus élevée que celle des enfants issus des familles de professions intermédiaires et dix fois plus élevée que celle des enfants d’artisans ou de commerçants. De la même façon, alors que 40% des enfants d’enseignants et de cadres supérieurs obtiennent un bac S, ce n’est le cas que de 23% des enfants de professions intermédiaires, 17,7% parmi les enfants d’agriculteurs et 13,4% parmi les enfants d’artisans ou de commerçants. Enfin, la proportion des enfants de professions intermédiaires qui obtiennent un diplôme de niveau bac + 5 est trois fois moins importante (14,7%) chez les enfants de commerçants et d’artisans, et presque deux fois moins importante (20,1%) que celle des enfants d’enseignants (37,7%) et de cadres supérieurs (41,3%). Mécaniquement, les inégalités constatées au départ se répercutent ainsi tout au long du parcours scolaire et universitaire. En revanche, la composante des classes moyennes englobant le monde non salarié des commerçants, des artisans, des chefs d’entreprise ou des agriculteurs est très nettement défavorisée, comme le montrent les données de l’Éducation nationale.
Tableau 6 : Inégalités de réussite des classes moyennes en France
Source :
Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Repères & références statistiques, 2014, p.145.
Lecture : Un enfant de profession intermédiaire à 3,5 fois plus de chance de ne pasatteindre la 3e qu’un enfant d’enseignant. À l’inverse, sa situation est plus favorable que la moyenne (dans un rapport de 0,4).
Pierre Veltz, Faut-il sauver les grandes écoles ? De la culture de la sélection à la culture de l’innovation, Presses de SciencesPo, 2007,p. 102.
Conférence des grandes écoles, Ouverture sociale des grandes écoles. Livre blanc des Premiers résultats et perspectives, 2010 (disponible sur le site de La Documentation française).
Les voies d’excellence dans l’enseignement supérieur reproduisent ces inégalités sociales. Pierre Veltz, qui a été directeur de l’École nationale des ponts et chaussées et président de ParisTech, a justement critiqué « une méritocratie réduite aux classes supérieures13». À cet égard, une étude réalisée par la Conférence des grandes écoles en 2010 est particulièrement éclairante : alors que les élèves issus des familles de cadres et professions libérales représentent 16% des élèves des classes de 6e, ils constituent 55% des effectifs des classes préparatoires aux grandes écoles14. En revanche, la part des élèves issus de familles de professions intermédiaires reste stable à travers le temps.
Graphique 1 : Diversité sociale et accès aux classes préparatoires aux grandes écoles
Source :
Conférence des grandes écoles (2010).
Pour en rester aux seules classes moyennes, non seulement l’école ne corrige pas les inégalités existantes entre les différents groupes qui les composent, mais elle peut même les accroître. Les filières d’excellence sont l’illustration particulière de ce processus régressif. Elles jouent au détriment des enfants de familles appartenant au monde des agriculteurs, du petit patronat, des artisans et des commerçants, pour agir au profit des enfants de familles appartenant au monde de l’encadrement moyen, de l’encadrement supérieur et, plus encore, de l’enseignement.
Tableau 7 : En 2014, les classes moyennes ne croient pas à l’égalité des chances à l’école Selon vous, l’égalité des chances est-elle garantie par l’école ? (en %)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Tableau 8 : En 2014, les classes moyennes estiment que l’école joue de moins en moins unrôle de promotion sociale
Selon vous, l’école joue-t-elle de plus en plus, de moins en moins ou ni plus ni moins qu’avant un rôle de promotion sociale ? (en %)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Selon l’expression de Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014.
Claude Picart, « Une rotation de la main-d’œuvre presque quintuplée en 30 ans : plus qu’un essor des formes particulières d’emploi, un profond changementde leur usage », Insee, dossier Emploi et salaires, 2014, p. 40.
Direction de l’animation de la recherche, des recherches et des statistiques (Dares), «Les mouvements de main d’œuvre au 1er trimestre 2014», Dares Indicateurs, no 058, juillet 2014, p. 1.
Claude Picart, op. cit., p. 41.
En 2013, 175.000 jeunes étaient au chômage depuis plus d’un an et 63.000 au chômage depuis plus de deux Le taux de chômage des jeunes est supérieur à 10% depuis 1979 et à 15% depuis 1982 (Insee, Trente ans de vie économique et sociale, coll. « Insee Références », 2014).
Un marché du travail « catastrophique15 » attend les jeunes diplômés
Les familles des classes moyennes savent pertinemment que les parcours scolaires sont d’autant plus importants qu’ils déterminent la bonne intégration sur le marché de l’emploi. Or on sait que cette intégration est particulièrement délicate, en France plus encore que dans beaucoup d’autres pays de l’OCDE. Le niveau de diplôme, fortement lié à l’origine sociale des parents, est également un indicateur efficace du risque de chômage et de vitesse comme de qualité de l’intégration sur le marché du travail.
On sait combien est devenue difficile l’entrée des jeunes sur le marché du travail :ainsi, ils sont « surreprésentés parmi les salariés occupant des types d’emploi à fort taux de rotation16». En France, 84% des embauches se font en CDD, cette part croissant continûment17. Le niveau de diplôme est déterminant ; dans une étude de 2014, l’INSEE notait que « chez les jeunes, le niveau de formation mesuré par l’âge de fin d’études, semble de plus en plus conditionner leur futur professionnel. Au début des années 1980, avant 30 ans et à âge donné, les jeunes peu ou pas diplômés, c’est-à-dire sortis du système éducatif à 16-17 ans, connaissaient un taux de rotation inférieur aux diplômés. À la fin des années 2000, la situation s’est inversée : ce sont les plus diplômés qui, dès leur entrée sur le marché du travail, bénéficient d’un taux de rotation plus faible que les peu ou pas diplômés18».
Les difficultés ne s’arrêtent pas là. Une fois sur le marché du travail, le taux de chômage est également fortement corrélé au niveau de diplôme. Le taux de personnes dont le seul diplôme est un brevet des collèges, un CAP ou un BEP est proche de 11%, contre 6% pour ceux dont le diplôme est supérieur à bac + 2. Or, pour rappel, 10,9% des enfants des professions intermédiaires ont un CAP ou un BEP pour seul diplôme et 56,9% un diplôme du supérieur, soit des proportions sensiblement inférieures à celles des enfants d’enseignants et de cadres supérieurs. Par voie de conséquence, ils deviennent plus exposés au risque de chômage19.
Si le taux de chômage des professions intermédiaires est relativement faible, à 5,2% (contre 10% pour les employés ou 23,3% pour les ouvriers) 20, les statistiques précédentes sur l’entrée dans l’emploi et les taux de chômage permettent de comprendre que les classes moyennes peuvent ressentir une inquiétude pour leur avenir professionnel et celui de leurs enfants.
Tableau 9 : Taux de chômage selon le niveau de diplôme (en %)
Source :
INSEE (2014).
Éric Maurin, « La mobilité sociale des nouvelles classes moyennes », Idées économiques et sociales, 2014/1, no 175, janvier 2014, p. 31.
Éric Maurin écrit à ce sujet : « Le malaise, si malaise il y a, ne provient […] pas d’une détérioration de la valeur des diplômes acquis mais bien plutôt de la persistance de formes archaïques d’inégalité à l’école et sur le marché du travail. De fait, les enfants des classes moyennes demeurent non seulement désavantagés dans l’accès aux filières scolaires d’élites (classes préparatoires, grandes écoles), mais désavantagés également par la suite sur le marché du travail face aux diplômés des classes sociales supérieures, bénéficiant de meilleurs réseaux pour l’accès aux meilleurs emplois21. »
En d’autres termes, les enfants des classes moyennes qui ne sont pas enfants d’enseignants ou de cadres supérieurs ont sensiblement moins de chance de faire de «belles » études et, par conséquent, plus de risques d’être exposés au chômage. Les discours politiques peuvent avoir pour ambition de revaloriser la pluralité des formations, mais dans la pratique, cette diversité des parcours de réussite n’existe pas.
Compenser les défauts de l’école (I) : La quête du meilleur établissement
Voir sur ce thème : Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg, La Fabrique de la défiance… et comment s’en sortir, Albin Michel, 2012 (rééd. Livre de poche, 2013) ; Olivier Galland, Les Jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ? Éléments de réponse, Armand Colin, 2009 ; Yann Algan et PierreCahuc, La Société de défiance. Comment le modèle social français s’autodétruit, Cepremap, 2007.
La dynamique sociale des classes moyennes et, à travers elles, de la société tout entière est fonction des performances du système scolaire et des possibilités de s’enrichir par le travail. Les dysfonctionnements, voire la panne, qui affectent ces deux moteurs déstabilisent gravement le groupe central. En France, les difficultés structurelles de l’économie en général et du marché du travail en particulier, jointes aux limites du système scolaire, favorisent un climat de défiance et d’inquiétude dans l’ensemble de la société22. Par leur position spécifique, les classes moyennes y sont particulièrement sensibles.
Tableau 10 : La société est jugée moins tolérante avec ceux qui ne réussissent pas à l’école Pour chacune des opinions suivantes, pouvez-vous me dire si vous êtes tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas d’accord du tout ?
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Dans ces conditions, on ne peut être surpris de voir nombre de familles appartenant aux classes moyennes rechercher les instruments et les stratégies permettant d’accroître les chances de réussite de leurs enfants. Les parents des classes moyennes accordent une importance toute particulière à l’institution scolaire devenue « le seul vecteur susceptible d’aider à la promotion attendue pour leurs enfants23». Pour cette catégorie de parents, l’école continue en effet d’incarner la principale opportunité de réussite et de promotion sociale. Aussi, dans ce domaine les attentes sont grandes, comme le montrent les résultats de l’enquête menée par notre Fondation. Déjà, en 2010, interrogés sur la priorité accordée aux différents objectifs de l’action publique24, les répondants plébiscitaient la qualité de l’éducation, qui venait en deuxième position, après la sauvegarde du système de santé.
Tableau 11 : La qualité de l’éducation
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Jean-Christophe François et Franck Poupeau, « L’évitement scolaire et les classes moyennes à Paris », Éducation et sociétés, vol. 2, 2, no 14, p. 51-66.
Gabrielle Fack et Julien Grenet, « When do better schools raise housing prices? Evidence from Parispublic and private schools », Journal of Public Economics, 94, no 1-2, février 2010, p. 59-77.
Jean-Christophe François et Franck Poupeau, art. cit.
À défaut d’améliorations perceptibles ou de perspectives crédibles, les parents développent des stratégies visant à augmenter les chances de réussite de leurs enfants.Ils tentent ainsi de les inscrire dans les établissements qu’ils considèrent être meilleurs, sinon les meilleurs. Ces pratiques sont bien renseignées et elles ont notamment été étudiées à Paris et en proche banlieue25. C’est au point que, dans la capitale comme dans les grandes villes françaises, les prix de l’immobilier sont corrélés à la réputation des établissements publics26. Ce sont les instituteurs, les cadres de la fonction publique et les professeurs qui ont le plus recours aux pratiques d’évitement27. Les familles les plus aisées déploient des stratégies résidentielles coûteuses mais efficaces en domiciliant leur ménage à l’intérieur du périmètre d’affectation des écoles publiques les plus réputées. Ici, pas de frais d’inscription mais des frais d’installation.
Cependant, les données disponibles montrent qu’au jeu de l’évitement, les groupes qui composent les classes moyennes n’ont pas les mêmes possibilités. Ainsi, les enseignants et les cadres de la fonction publique l’emportent largement, devant, par ordre décroissant, les professions libérales, les cadres du secteur privé, les chefs d’entreprise, les commerçants et, enfin, les artisans.Évidemment, tous ces groupes sont mieux placés que les employés et les ouvriers.
Tableau 12 : L’ évitement des établissements publics à Paris (taux global par catégorie socioprofessionnelle)
Source :
Jean-Christophe François et Franck Poupeau (2004).
Une étude portant sur le département des Hauts-de-Seine montre que les parents des classes moyennes fuient les établissements scolaires qu’ils considèrent incapables de porter la réussite de leurs enfants. C’est particulièrement le cas des villes qui ne proposent aucune offre privée alternative au niveau du collège (Gennevilliers, Nanterre, Villeneuve- la-Garenne, Clichy). Dans ces communes, particulièrement lorsque les contrastes sociaux y sont forts, les « données révèlent une fixation spatiale et scolaire des enfants des catégories populaires et au contraire une plus grande facilité à sortir du secteur scolaire pour les autres catégories sociales28», relève Marco Oberti, auteur de l’étude. À Nanterre, par exemple, près de la moitié des enfants de cadres de 16 à 18 ans sont scolarisés hors de la commune, comme plus du quart des enfants de professions intermédiaires du même âge. L’auteur note ainsi que, dans cette ville, «une véritable tension s’exprime, tout particulièrement chez les ménages de deux quartiers de Nanterre à forte présence de classes moyennes, entre l’envie de rester dans le quartier et le souci de scolariser les enfants dans un collège “convenable”29». Convaincus par l’opportunité de promotion sociale méritocratique qu’offre l’école, les parents des classes moyennes déploient des efforts très importants pour augmenter les chances de réussite de leurs enfants ; dans leurs villes, cela implique souvent de se tourner vers l’enseignement privé ou, en l’absence d’alternative satisfaisante, de scolariser leurs enfants dans d’autres villes.
Néanmoins, comme le fait remarquer Marco Oberti, les classes moyennes se retrouvent « piégées » : inscrites dans un « espace contraint », elles n’ont pas les ressources financières toujours nécessaires pour accéder aux établissements privés les plus prestigieux ; de plus, elles se voient souvent reprocher de mettre en œuvre des stratégies d’évitement des établissements défavorisés, plus populaires. L’accusation est paradoxale puisque nous avons vu que ce sont les membres enseignants de la fonction publique qui adoptent avec le plus d’efficacité ces conduites d’évitement.
Tableau 13 : Sentiment d’injustice et choix scolaire
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2010).
Fondation pour l’innovation politique, Enquête sur la France des classes moyennes, 2010.
Dominique Glasman et Leslie Besson, Le Travail des élèves pour l’école en dehors de l’école, HautConseil de l’évaluation de l’école, décembre 2004, p. 68 (disponible sur le site de La Documentation française).
Les classes moyennes intermédiaires sont particulièrement défavorisées. Elles en nourrissent un sentiment d’injustice qu’elles expriment lorsqu’elles sont interrogées : parmi elles, 76% des personnes interrogées pensent que seules les familles les plus aisées peuvent choisir l’école ou l’établissement scolaire de leurs enfants30. C’est dans ce contexte contraint que les classes moyennes cherchent en dehors du système administratif des solutions qui complètent la prise en charge scolaire de leurs enfants.
Chacun comprend aisément que des familles se mobilisent et déploient tous les moyens à leur portée pour assurer la réussite de leurs enfants, y compris par un important investissement humain et culturel, par des dépenses financières, voire par des stratégies immobilières commandées par l’impératif scolaire. Or une grande partie des travaux français sur l’école relevant des sciences sociales parvient à des conclusions inverses. On ne compte plus les articles qui dénoncent le caractère individuel des choix opérés par les familles, jusqu’à produire un discours culpabilisant.
Ainsi les parents des classes moyennes qui scolarisent leurs enfants dans le privé et qui réalisent un effort financier important pour le soutien scolaire, de l’ordre de 245 euros par an31, se voient reprocher d’accroître les inégalités – comme si telle était l’intention de leur démarche, alors que, bien souvent, ils tentent d’échapper à des situations d’inégalité dont ils sont eux-mêmes les victimes. Il est impossible de dédouaner l’institution scolaire dans l’émergence de ces stratégies de compensation.
On ne peut que s’interroger sur ces analyses. La question d’un agenda politique sous-tendu par ces recherches se pose quand, après avoir dénoncé les pratiques en cause, les auteurs choisissent d’avancer des propositions de politique publique qui expriment généralement une préférence pour des politiques contraignantes, voire disciplinaires,justifiées au nom d’une vision ronflante de l’égalité, mais qui ne dissimule pas une forte dimension autoritaire.
La quête du meilleur établissement peut enfin conduire certains parents à décider de quitter l’enseignement public et de confier leurs enfants à des établissements privés. Ce n’est pas la stratégie la plus facile dans un pays où l’école est considérée comme efficace et égalitaire à condition d’être un monopole d’État.
Tableau 14 : Plus de la moitié des enfants scolarisés dans le privé viennent de l’école publique
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Compenser les défauts de l’école (II) : le recours au soutien scolaire, au profit de la mobilité scolie des classes moyennes
Christian Baudelot et Roger Establet, L’Élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, Seuil, « La République des idées », 2009, p. 67.
En 2009, Christian Baudelot et Roger Establet notaient que « la France est […] l’un des pays où l’enseignement dispensé à l’école implique, pour être valorisé ou assimilé, la plus grande part de ressources extrascolaires privées32». Pour les classes moyennes, le soutien scolaire est ainsi un moyen de pallier d’éventuelles déficiences et particulièrement de tenter de conserver une certaine maîtrise de l’avenir de leurs enfants.
Le soutien scolaire payant, un marché naissant mais en pleine expansion
Commençons par une précision méthodologique : les études sur le soutien scolaire privé et gratuit sont peu nombreuses – notamment en raison des difficultés de mesure d’une activité qui reste exercée majoritairement hors du cadre légal. Certains travaux, faute de données sur la France, se réfèrent à des études étrangères qui portent sur des modèles scolaires parfois très différents du nôtre. Nous avons fait le choix de présenter l’ensemble des informations disponibles, en nous limitant bien sûr à la France par souci de cohérence et de fiabilité des conclusions.
En France, le soutien scolaire, payant ou gratuit, est significativement beaucoup plus développé que dans nombre de pays similaires.
Graphique 2 : Pourcentage d’élèves de 15 ans bénéficiant de soutien scolaire (gratuit ou payant)
Source :
Centre d’analyse stratégique (2013).
Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Les Aides aux devoirs en dehors de la classe, note d’information no 06-04, février 2006.
Les cours de soutien scolaire sont dispensés dans un cadre très diversifié. Citons en premier lieu, par ordre d’importance, les cours donnés par des enseignants à titre personnel. Ils représentent 38% des cours de soutien gratuits ou payants dispensés dans le cadre du premier cycle et 28% dans le cadre du second cycle33. Viennent ensuite les cours donnés par des étudiants, qui représentent un tiers du marché, soit 32% dans le premier cycle et 31% dans le second cycle. Enfin, nous trouvons en dernière position les offres de soutien scolaire proposées par des entreprises engagées sur le secteur (Acadomia, Cours Legendre, etc.). Ces entreprises ne représentent qu’une part minoritaire de l’offre globale, soit 18% des recours dans le premier cycle et 31% dans le second cycle. Ce constat conduit nécessairement à s’interroger, sans que les données permettent de conclure : il se pourrait ainsi que les familles qui ont recours aux entreprises de soutien scolaire le font car elles ne bénéficient pas, par exemple, d’un accès aisé à un enseignant de l’Éducation nationale ou à un étudiant dans leur entourage.
Graphique 3 : Personnes donnant des cours particuliers
Source :
Éducation Nationale (2006).
Dans notre enquête d’octobre 2014, nous avons cherché à évaluer à la fois l’importance du recours au soutien scolaire et la variété des formes qu’il peut prendre. Les informations recueillies témoignent de l’importance du phénomène.
Tableau 15 : Estimation du recours au soutien scolaire en 2014
Avez-vous recours ou avez-vous eu recours pour l’un ou plusieurs de vos enfants à… ?
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Centre d’analyse stratégique, « Quelle organisation pour le soutien scolaire ? », La Note d’analyse, no 315, janvier 2013.
Cabinet Xerfi, Le Marché du soutien scolaire, juillet 2014, p. 9.
Renaud Coulomb, « Le soutien scolaire, public ou privé ? », Regards croisés sur l’économie, no 2, septembre 2007, p. 166-167.
Cabinet Xerfi, op. cit. p. 14.
La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes(DGCCRF) a mené en 2012 et 2013 près de 450 contrôles, donnant lieu à 1.450 vérifications ; le taux d’anomalie s’est élevé à 20% (source : DGCCRF, communiqué de presse, 29 octobre 2013).
Cabinet Xerfi, op. cit. p. 42.
Dominique Glasman et Leslie Besson, op. cit., p. 75.
Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale, Les Services à la personne, rapport no 8, 2008, 129 (disponible sur le site de La Documentation française).
Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Les Aides aux devoirs…, op cit., p. 3.
Jean-Paul Caille, « Les cours particuliers en première année de collège : un entrant en sixième sur dix bénéficie de soutien scolaire payant », Éducation & Formations, no 79, décembre 2010, p.59-80.
On le voit, le recours au soutien scolaire en France est massif. Il n’est donc pas surprenant de constater qu’en Europe, c’est la France qui est aujourd’hui le premier marché pour le soutien scolaire. Le volume d’affaires de ce secteur en France était estimé à 1,5 milliard d’euros en 201134; en 2013, il est estimé à 1,6 milliard d’euros35. Cela représente environ 40 millions d’heures de cours dispensées chaque année. La concurrence y est intense. Si certaines entreprises bénéficient d’une forte notoriété,globalement, les entreprises ne sont pas en position de force. Elles subissent la concurrence d’un secteur informel, sous la forme d’un travail non déclaré, particulièrement fort dans ce secteur puisqu’il représenterait 55 à 65% de l’activité de soutien scolaire36. Les entreprises subissent également la concurrence des associations qui ne paient ni TVA ni impôt sur les sociétés. Même si elles ne s’adressent pas nécessairement au même public, les associations proposent des services subventionnés, en particulier par les collectivités locales. Le contexte d’une offre de services si particulier explique pourquoi les entreprises ne représentent que 12,5% du volume d’affaires37. En revanche, leur croissance est très rapide puisqu’en 2000 elles n’avaient que 1% des parts de ce marché. Les principaux acteurs du secteur du soutien scolaire sont des groupes désormais bien installés. Ils interviennent généralement sur le modèle du «mandat». Leur fonction est de mettre en relation des clients (familles) avec des producteurs de services (enseignants). Les trois principaux acteurs sont :
- Domia Group (Acadomia), leader du secteur, qui détient 100 agences et rassemble près de 25.000 enseignants ;
- Complétude, qui réalise un chiffre d’affaires d’environ 15 millions d’euros, détient 45 agences en France et rassemble 11.000 enseignants ;
- Cours Legendre, qui serait le troisième en termes de chiffre d’affaires (10 millions d’euros environ), même s’il n’a que 16 agences.
Des stratégies d’entreprise fondées sur la qualité du service et l’innovation
La stratégie des entreprises de soutien scolaire repose sur deux objectifs. Le premier est la recherche de la qualité qui leur permet de se distinguer de leurs concurrents, en particulier lorsqu’ils relèvent du travail non déclaré, des associations, etc. Confrontées dans les années récentes à des problèmes d’image38, les entreprises du secteur ont développé un effort de valorisation de la qualité de leurs offres, qui se perçoit par exemple dans les processus de recrutement de leurs enseignants. Elles ont également recours à des certifications de qualité39.
Le second objectif est la recherche d’innovation dans les modes d’accompagnement des élèves. Les entreprises de cours particuliers développent depuis longtemps une prise en charge individuelle des élèves, qui est particulièrement valorisée par les familles : un rapport pour le Haut Conseil de l’évaluation de l’école de 2004 notait que les cours particuliers se distinguent par « la possibilité offerte à l’élève, par le soutien enface à face ou en petits groupes, d’être suivi individuellement, de bénéficier personnellement de l’attention de l’enseignant, de ses explications et de ses ré-explications au besoin40». En outre, ces entreprises ont également diversifié leur offre : elles proposent des cours collectifs, des stages pendant les vacances (3% des élèves seraient concernés41), etc. Depuis peu, le développement des cours en ligne et de pédagogies qui y sont liées a contribué à renouveler les pratiques et les offres des entreprises du secteur.
Le recours au soutien scolaire ne concerne pas seulement les classes moyennes
S’il reste minoritaire, le recours au soutien scolaire payant s’est diffusé dans la société française. Peu étudié, le soutien scolaire est mal connu. En 2005, l’entreprise Acadomia estimait que 45% de ses élèves se trouvaient au lycée et 20% en terminale. En 2006, selon le ministère de l’Éducation nationale, seuls 2% des élèves de l’école élémentaire recourraient au soutien scolaire, mais la proportion montait à 8,5% au collège et à 15% en second cycle42. Une étude de 2010 portant sur les classes de 6e estimait enfin qu’environ 1 élève sur 10 avait recours à des cours particuliers payants43.
Tableau 16 : Recours au soutien scolaire au long de la scolarité (% de familles y ayant recours)
Source :
Éducation Nationale (2006) ; Acadomia (2005).
Acadomia, Toute la vérité sur le soutien scolaire, résultats d’une enquête Acadomia/Ifop, 2005.
Les études sur le soutien scolaire payant montrent que la clientèle est dominée par les classes moyennes mais qu’elles ne sont cependant pas les seules à recourir au soutien scolaire pour leurs enfants. En 2005, un acteur majeur du secteur, la société Acadomia, relevait ainsi que 37% des parents ayant recours au soutien scolaire appartenaient aux catégories des professions intermédiaires et des employés, tandis que 28% appartenaient à la classe ouvrière44.
Tableau 17 : Le recours au soutien scolaire déborde le monde des classes moyennes Avez-vous recours ou avez-vous eu recours pour l’un ou plusieurs de vos enfants à… ?
Récapitulatif « Total Oui » (en %)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
(*) Effectifs insuffisants.
Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Les Aides aux devoirs…, op. cit., p. 3.
Jean-Paul Caille, art.cit.
Ibid., p. 67.
Sur ce sujet, voir notamment l’article de Yaël Brinbaum et Annick Kieffer, « D’une génération à l’autre, les aspirations éducatives des familles immigrées : ambition et persévérance », Éducation & Formations, no 72, septembre 2005, p. 53-75.
Cabinet Xerfi, op.cit. p. 28 sqq.
Jean-Paul Caille, art. cit., p. 62.
Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Les Aides aux devoirs…, op. cit., p. 3-4.
Thomas Collas, « Le public du soutien Cours particulier et façonnement familial de la scolarité », Revue française de sociologie, vol. 54, no 3, août 2013, p. 465-506.
En 2006, l’Éducation nationale estimait que « les élèves qui ont recours aux cours particuliers payants ont un profil socio-économique marqué : les familles d’enseignants, de cadres et de chefs d’entreprise ou commerçants y sont relativement plus représentées45».
Ces résultats, fondés sur une enquête de l’Insee, semblent contradictoires avec ceux fournis en 2010 par le ministère de l’Éducation nationale46, dans une enquête qui ne reposait toutefois que sur la classe de 6e. Sur la base des informations recueillies à ce niveau, la recherche concluait que le soutien scolaire payant était principalement le fait des chefs d’entreprise et des professions libérales ; elle assurait, à l’inverse des travaux précédents, que les familles d’enseignants y avaient peu recours. Une étude sur le soutien scolaire payant qui ne porte que sur les classes de 6e n’est cependant pas suffisamment significative. On peut d’ailleurs, pour expliquer ce faible recours, faire l’hypothèse que la plupart des parents enseignants ont à la fois le temps et encore la compétence pour apporter eux-mêmes un soutien scolaire à leurs enfants au moment de l’entrée au collège. Cependant, cela ne retire pas tout intérêt à ce travail limité à la classe de 6e. Ainsi il a permis de montrer que « les enfants d’immigrés semblent échapper en grande partie aux disparités sociales » et « constituent l’une des catégories d’élèves qui fait le plus fréquemment appel aux cours particuliers47». Pour l’auteur, « un tel résultat peut être relié aux aspirations scolaires plus ambitieuses des familles immigrées par rapport à l’école qui sont mises en évidence de manière récurrente par les travaux consacrés à ces élèves48».
En 2014, l’étude sur le secteur du marché du soutien scolaire menée par le cabinet Xerfi considère que « les principaux clients du soutien scolaire privé sont les ménages des classes moyennes supérieures, avec une représentation plus forte des catégories n’ayant pas ou peu réalisé d’études de troisième cycle, mais qui disposent de revenus plus élevés que la médiane, soit, le plus souvent, la catégorie socioprofessionnelle des commerçants et des artisans49».
Les raisons du recours au soutien scolaire
Les motivations du recours au soutien scolaire payant sont plurielles50. Les familles semblent ainsi l’utiliser parce qu’elles considèrent qu’elles n’ont pas le temps nécessaire pour suivre au plus près la scolarité de leurs enfants. Dans son étude de 2006, le ministère de l’Éducation nationale notait que les parents ayant recours au soutien scolaire privé « sont également des parents qui se disent plus que la moyenne dépassés et qui disent manquer de temps, à la fois le père et la mère51». Le développement des cours de soutien scolaire pourrait également être lié à la montée de la monoparentalité et de la bi-activité, ce que conteste toutefois une étude qui considère que ces paramètres auraient finalement peu d’influence et qui juge plus déterminants deux autres critères : le nombre d’enfants (car l’enfant unique ne reçoit pas d’aide de frères et sœurs, et bénéficie d’un investissement plus fort de la part de ses parents) ou la commune d’habitation (le recours aux cours particuliers ayant tendance à croître avec la taille de l’agglomération)52.
Tableau 18 : En 2014, le recours au soutien scolaire déborde le monde des classesmoyennes Diriez-vous que le recours pour votre enfant à du soutien scolaire ou des coursparticuliers… ?
Récapitulatif « Total Oui » (en %)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
(*) Effectifs insuffisants.
Certaines familles ont également recours au soutien scolaire afin de pacifier les relations familiales entre parents et enfants, par la mobilisation d’un tiers plus capable d’apaiser la gestion d’un sujet aussi sensible que les performances scolaires. Enfin, d’autres familles, estimant que leur « capital scolaire » est insuffisant, recourent au soutien scolaire afin de constituer un «capital scolaire de substitution».
Il est donc particulièrement frappant d’observer que certaines familles ne peuvent pas recourir au soutien scolaire, comme elles le souhaitent pourtant, en raison de revenus trop faibles. Ainsi, parmi les catégories sociales moyennes et modestes, un cinquième des familles sont en mesure de se représenter la nécessité de recourir à un tel appui pour favoriser la réussite scolaire de leurs enfants mais sont cependant contraintes d’y renoncer, faute de revenus suffisants. Le chiffre atteint même 43% parmi les familles appartenant à la catégorie « défavorisée ».
Tableau 19 : Des familles n’ont pas recours au soutien scolaire faute de revenus suffisants
Pour quelle raison principale n’avez-vous pas recours à du soutien scolaire pour votre enfant ? ( en %)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014)
(*) Effectifs insuffisants.
Jean-Paul Caille, art. cit.
Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale, op. cit.
Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Les Aides aux devoirs…, op. cit.
Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale, op. cit.
Dominique Glasman et Leslie Besson, op. cit.
Ibid.
Thomas Collas, art cit.
Centre d’analyse stratégique, art. cit., p. 2.
Acadomia, cit. ; Complétude, Résultats enquête de satisfaction Ifop 2006.
Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale, op. cit., p. 129.
Dominique Glasman et Leslie Besson, op. cit. p. 70.
Un phénomène de type intensive parenting
Indépendamment des causes, la question des objectifs poursuivis à l’aide du soutien scolaire débouche sur deux réponses : pour les enfants en classe de 6e, il s’agit de soutenir l’élève et de le faire progresser53 ; pour les enfants en collège c’est plutôt une logique de rattrapage qui prévaut54. L’idée d’améliorer le niveau de l’élève pour qu’il puisse suivre les études qu’il souhaite55, ou que les parents souhaitent pour lui, s’inscrit peu à peu dans une logique d’excellence qui semble prédominer au niveau du lycée56. Il est clair que,pour les classes moyennes, le recours au soutien scolaire est motivé par une volonté parentale de conduire la réussite scolaire de leurs enfants au-delà d’un parcours simplement satisfaisant57. En pratique, le recours à des cours de soutien payants s’accroît au fil de la scolarité et particulièrement à l’approche des passages décisifs58.
Ces usages révèlent l’existence de pratiques déjà constatées au sein des classes moyennes américaines, dites d’intensive parenting : choix des établissements, implication dans les associations de parents59…
Un taux de satisfaction élevé
La diffusion du soutien scolaire payant est aussi portée par le succès qu’elle rencontre auprès des parents. Une note émanant d’un organe du gouvernement parle même de « plébiscite60 ». De manière générale, les différents travaux montrent un fort niveau de satisfaction des parents qui ont recours aux cours particuliers payants61 :
- 8 parents sur 10 remarquent que leurs enfants gagnent en confiance ;
- 8 parents sur 10 constatent que leurs enfants s’organisent mieux dans leur travail ;
- 7 parents sur 10 constatent que leurs enfants se concentrent mieux ;
- 8 parents sur 10 estiment que leurs enfants progressent à l’issue des stages collectifs payants pendant l’été62.
Ces résultats sont confirmés par des enquêtes d’opinion et des expertises. En 2004, le rapport établi pour Haut Conseil de l’évaluation de l’école indiquait que près des deux tiers des utilisateurs se disaient satisfaits des progrès permis par les cours de soutien63. De la même manière, l’étude réalisée par l’Ifop en 2006 pour Complétude établissait que 80% des parents étaient satisfaits des prestations de cours particuliers payants.
Le haut niveau de satisfaction exprimé par les parents qui ont recours à du soutien scolaire pour leurs enfants s’exprime également en 2014 dans notre enquête d’opinion.
Tableau 20 : En 2014, le recours au soutien scolaire suscite la satisfaction des familles
Diriez-vous que le recours pour votre enfant à du soutien scolaire ou des coursparticuliers… ?
Récapitulatif « Total Oui » ( en %)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
(*) Effectifs insuffisants
Le soutien scolaire vient au secours de l’éducation nationale, mais il suppose un cadre fiscal et réglementaire encourageant
Centre d’analyse stratégique, art. cit.
Pour beaucoup de parents, le soutien scolaire n’est pas un concurrent mais un complément à l’Éducation nationale, soit parce qu’il renforce les compétences des enfants, soit parce qu’il leur donne plus de confiance et de maîtrise des matières enseignées. Certes, les parents qui recourent au soutien scolaire pour leurs enfants pointent en creux les limites ou les faiblesses de l’institution publique64 mais, d’une certaine façon, ils inventent aussi de cette manière une des solutions capables d’aider notre système éducatif à mieux former nos enfants. D’ailleurs, la dernière enquête de la Fondation pour l’innovation politique montre que les parents attendent un soutien scolaire individualisé dans le cadre de l’Éducation nationale.
Tableau 21 : Le soutien scolaire déborde le monde des classes moyennes *
Selon vous, quelle est la meilleure solution pour aider son enfant dans son parcoursscolaire ? En premier ? En second ?
Total des citations (en %)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
(*) Total supérieur à 100, les interviewés ayant pu donner deux réponses.
(**) Effectifs insuffisants.
Mark Bray, The Challenge of Shadow Private tutoring and its implications for policymakers in the European Union, Commission européenne, 2011, p. 9.
Loi no 2005-841 du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.
Centre de documentation économie-finances (Cedef), « Quels sont les avantages liés auxservices à la personne ? », (consulté le 10 novembre 2014).
Jean-Paul Betbèze, Les Services à la personne en Quels leviers pour réussir ?, étude réalisée à la demande de la Fédération du service aux particuliers (FESP), Betbèze Conseil, juin 2013, p. 6.
Oliver Wyman, Les Services à la personne : pourquoi ça ne marche pas mieux ? Évaluation de 15 ans d’initiatives publiques, Marsh & McLennan Companies, juin 2013 ; Centre d’analyse stratégique, «Les secteurs de la nouvelle croissance : une projection à l’horizon 2030», La Note d’analyse, no 259, janvier 2012.
Centre d’analyse stratégique, « Les secteurs de la nouvelle croissance… », op. cit., p. 12.
Pour les familles, le recours aux cours particuliers payants est motivé par la volonté d’accompagner leurs enfants de façon plus appropriée. De toute évidence, ces familles ne trouvent pas – ou estiment ne pas trouver – les réponses adéquates dans le cadre de l’Éducation nationale ; elles se tournent donc vers le secteur privé. Mark Bray, spécialiste du sujet et auteur de plusieurs rapports sur le soutien scolaire, qu’il juge d’ailleurs plutôt défavorablement, considérant qu’il entretient les inégalités, estime ainsi que «le soutien scolaire constitue souvent un recours parce que le système scolaire traditionnel présente des faiblesses65».
Un secteur dépendant d’un régime social et fiscal encourageant L’activité des cours de soutien scolaire relève des services à la personne. Cette activité a connu un régime législatif favorable à partir de 2005. L’adoption de la loi Borloo66 avait en effet introduit des dispositions visant à développer le secteur, principalement67 :
- l’emploi d’un salarié à domicile donne droit à un avantage fiscal : il s’agit d’une réduction ou d’un crédit d’impôt pouvant atteindre 50% des dépenses engagées, plafonné à 12.000 euros (article 199 sexdecies du Code général des impôts) ;
- un taux de TVA réduit de 10% ;
- le Chèque emploi service universel (Cesu), qui a permis un paiement simplifié des prestations de service.
Constatant la rigidité réglementaire et la pression fiscale excessive qui pèsent sur les entreprises en France, et à défaut de s’engager dans une réforme fiscale d’ampleur, le législateur a ainsi mis en place un régime simplifié. Ce système favorable a nourri une croissance forte du secteur des services à la personne, dont la valeur ajoutée a crû de 8% entre 2005 et 201168, générant de fortes créations d’emplois69. Il a également, de l’avis des acteurs du secteur et des observateurs, contribué au dynamisme du marché du soutien scolaire
- les familles se sont précipitées dès lors que l’offre a été libérée. Le Centre d’analyse stratégique prévoyait ainsi en 2012 que le secteur pourrait créer entre 140.000 et 173.000 emplois dans les décennies à venir70.
Tableau 22 : Évolution de l’emploi dans les services à la personne d’éducation (2010 – 2030)
Source :
Centre d’Analyse Stratégique (2010).
La loi de 2005 qui a eu pour effet de légaliser une offre qui existait au moins partiellement, a permis de faire passer tout un pan de l’activité du secteur illégal vers les entreprises. Économiquement, ce cadre législatif a eu un effet positif puisqu’il a généré des revenus pour des entreprises, et conséquemment des emplois, conduisant@ à des recettes fiscales au profit de la collectivité.
Pour les classes moyennes, ces évolutions législatives ont ouvert de nouvelles possibilités : elles leur ont permis d’avoir accès à des services dont elles étaient auparavant tenues à l’écart71. En soulageant la pression fiscale qui pèse sur les entreprises du secteur, l’État a libéré l’offre et l’a ainsi rendue accessible au plus grand nombre. Malheureusement, les pouvoirs publics ont adopté depuis une attitude erratique.
Tableau 23 : La refiscalisation du soutien scolaire fragiliserait les classes moyennes
Si l’actuelle défiscalisation de cours de soutien scolaire était remise en cause, est-ce que cela vous inciterait…? (en %)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Voir par exemple le rapport du Conseil d’État, Sécurité juridique et complexité du droit, LaDocumentation française, 2006.
Loi no 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013.
Voir les articles de Solveig Godeluck, « Les particuliers employeurs réclament leur coup de pouce », Les Échos, 8 octobre 2014, et de Leïla de Coramond, « Un coup de pouce limité pour l’emploi à domicile »,Les Échos, 23 octobre 2014.
Décret no 2013-510 du 17 juin 2013 fixant la liste des activités de services à la personne éligiblesaux taux réduits de taxe sur la valeur ajoutée.
Selon l’Insee, le « pouvoir d’achat par personne » a baissé respectivement de 0,3% (2008), de 0,3% (2011), de 1,4% (2012) et de 0,4% (2013). En 2009, il a crû de 1,1% et en 2010 de 0,7%.
Cabinet Xerfi, op. cit., p. 14.
Jean-Paul Betbèze, cit. ; Oliver Wyman, Services à la personne. Bilan économique et enjeux de croissance, conférence de presse, Marsh & McLennan Companies, 7 juin 2012; id.,Les Services à la personne…, op. cit.
Cabinet Xerfi, op. cit., p. 34.
Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), « Les particuliers employeurs au premier trimestre 2013 », Acoss Stat, no 173, juillet 2013, et « Les particuliers employeurs au deuxième trimestre 2014 », Acoss Stat, no 198, octobre 2014.
Un secteur fragilisé par l’instabilité normative
Les autorités juridique et académique dénoncent régulièrement notre instabilité normative et ses effets nuisibles sur l’activité économique72. Le cas des services à la personne en général et celui du soutien scolaire en particulier sont des cas d’école. Depuis 2010, les règles les concernant ont changé substantiellement, et dans le sens d’un alourdissement de la pression fiscale :
- la possibilité pour les particuliers employeurs de cotiser « au forfait » a été supprimée: désormais, le calcul des cotisations se fait sur la base du salaire réel. Une déduction forfaitaire de 75 centimes par heure déclarée sur les cotisations patronales a été instaurée73 ; elle devait être majorée (à 1,50 euro) en 2014 pour certains services à la personne, mais le gouvernement semble y avoir renoncé, avant de ne l’ouvrir que très partiellement en restreignant très fortement la portée de la mesure (dans le cadre des discussions du PLF 2015)74 ;
- la TVA a augmenté pour une partie des services à la personne, dont les cours de soutien scolaire : ils sont désormais soumis aux taux de TVA dit « normal », soit 20% depuis le 1er janvier 201475. Si le gouvernement a, en contrepartie, relevé le plafond de réduction ou crédit d’impôt pour certains services, il ne l’a pas fait pour les cours de soutien scolaire.
Ces modifications intempestives de la règle fiscale sont venues s’ajouter à un contexte économique dégradé : la crise économique a certainement eu un effet sur la consommation de services scolaires des ménages76. En outre, le secteur est évidemment sensible aux évolutions réglementaires et fiscales qui affectent l’ensemble des entreprises : abaissement du plafond des réductions d’impôts de 18.000 à 10.000 euros par la loi de finances pour 2012 ; augmentation du Smic dans la mesure où les frais de personnel représentent près de 70 % du chiffre d’affaires dans le secteur du soutien scolaire77.
Sans surprise, l’ensemble de ces chocs a eu un impact très négatif sur l’activité du secteur et son emploi78, conduisant à un renchérissement soudain et abrupt du coût des services79. Le secteur des services à la personne a ainsi connu une baisse immédiate et très sensible de son activité80.
Tableau 24 : Évolution du secteur des services à la personne
Source :
ACOSS (2013, 2014).
Les effets négatifs de l’instabilité normative et de la hausse de la pression fiscale ne se mesurent pas seulement à court terme, ils pèsent aussi lourdement sur la sérénité des acteurs du secteur : il n’est en effet pas possible pour les entreprises de construire une stratégie de développement sur le long terme dans un contexte aussi perturbé et avec un régulateur aussi instable.
L’augmentation des impôts a probablement eu pour effet de transférer une partie de la demande vers le marché « illégal » et les activités non déclarées, faisant perdre des éléments de protection sociale pour les travailleurs concernés et des recettes fiscales pour l’État.
Dans le segment spécifique du soutien scolaire, les informations disponibles ne permettent pas d’établir de manière définitive les effets des changements législatifs ; néanmoins, il est probable que ceux-ci ont joué dans le même sens de pénalisation de l’activité. Provoquée par les modifications fiscales, l’augmentation soudaine des coûts du soutien scolaire pour les familles semble être la cause immédiate du résultat financier décevant d’Acadomia, le leader du secteur, en 2012 (– 16,9 millions d’euros)81. De la même façon, la pression fiscale accrue expliquerait la stagnation du marché, dont les taux de croissance estimés pour les années à venir sont particulièrement faibles, voire nuls82.
Graphique 4 : Évolution annuelle de l’activité de soutien scolaire (en %)
Source :
Xerfi (2014)
Cour des comptes, Le Développement des services à la personne et le maintien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie, enquête demandée par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, juillet 2014.
La politique d’augmentation de la pression fiscale n’a donc pas nui seulement aux entreprises, elle a également été défavorable aux familles. Celles qui ont recours au soutien scolaire ont été confrontées à une hausse soudaine et abrupte du prix des cours; elles ont probablement renoncé à tout ou partie des services des entreprises du secteur. Seules les familles les plus fortunées ont pu faire face à l’augmentation des coûts. La politique de fiscalisation croissante des cours de soutien scolaire pourrait donc avoir eu pour effet d’accroître les inégalités scolaires.
Les débats actuels, visant à augmenter toujours la fiscalité, motivés par de purs raisonnements budgétaires issus de la nécessité de trouver de nouvelles recettes sans parvenir à décider une baisse des dépenses, constituent à ce titre une menace supplémentaire, pour les entreprises comme pour les familles83. La fiscalité croissante et les changements récurrents de législation ont pour effet de nuire en premier lieu aux familles des classes moyennes qui expriment un besoin particulièrement fort de soutien scolaire pour leurs enfants.
Proposition : pour une « assurance complémentaire éducation »
L’Éducation nationale ne suffit plus à répondre aux attentes des familles en matière de formation. Sans remettre en cause le système général, elles expriment une insatisfaction d’autant plus légitime que notre pays a laissé s’installer une culture du diplôme et de l’excellence que l’école n’est plus en mesure de garantir aux enfants, en particulier à ceux issus des classes moyennes, soit parce que l’école n’y parvient plus pour le grand nombre des élèves, soit parce que les familles ne parviennent plus à soutenir leurs enfants, soit encore parce que les chemins qui conduisent à la réussite sont devenus labyrinthiques ou obscurs et, de ce fait, réservés aux seuls initiés que sont les enfants d’enseignants ou des catégories les plus aisées. Aujourd’hui, les familles des classes moyennes attendent une aide de l’État.
Tableau 25 : L’aide de l’État favoriserait le recours au soutien scolaire.
Si vous en aviez la possibilité, par exemple grâce à des aides de l’État améliorées, souhaiteriez-vous recourir ou recourir davantage pour votre enfant à…? (en %)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Guillaume Cerutti, « Mécénat Pour un acte deux », Commentaire, vol. 36, no 143, automne 2013, p. 623-628.
Rémi Pellet, « La protection sociale complémentaire », in Marc de Montalembert (dir.), La Protection sociale en France, La Documentation française, 2004.
Marc Perronnin, Aurélie Pierre et Thierry Rochereau, « La complémentaire santé en France en 2008 :une large diffusion mais des inégalités d’accès », Questions d’économie de la santé, no 161, janvier 2011.
Direction de la Sécurité sociale, Les Chiffres clés de la Sécurité sociale 2013, 2014, p. 22.
Conseil d’orientation des retraites, Le Poids du système de retraite dans l’économie et son financement, fiche 4, mai 2013, p. 1.
Rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), La Généralisation de la couverture complémentaire en santé, 2013.
En prenant exemple sur ce qui se pratique déjà largement dans l’ensemble des secteurs faisant intervenir la solidarité nationale, particulièrement la protection sociale, nous proposons de mettre en place un régime d’assurance complémentaire éducation. Cette assurance complémentaire sera facultative mais ouverte à toutes les familles. De cette façon, la France mobilisera toujours plus de moyens, publics et privés, pour garantir la réussite de tous les enfants.
Les retraites et la santé : régime de base public, complémentaire privée
La fourniture de services publics est marquée, en France comme ailleurs dans le monde occidental (voir la Big Society de David Cameron), par une tendance croissante à la collaboration entre les secteurs public et privé. Le second intervient toujours plus dans un esprit de coopération, non pas à la place mais en complément de l’action publique : dans le secteur de la culture, la loi Aillagon de 2003 a ainsi permis le développement particulièrement important du mécénat, qui est passé de 150 millions d’euros en 2004 à 1,2 milliard en 2012, et dont un quart est consacré à un investissement culturel84. Cette dynamique est encore plus structurée dans le secteur de la protection sociale.
Dans les secteurs des retraites et de la santé, des dispositifs complémentaires assurés par le secteur privé s’ajoutent à un régime général de base, assuré par la collectivité ; c’est le cas, par exemple, pour la retraite et la santé, qui s’organisent en « étages », dans lequel le secteur privé vient compléter les prestations de base publiques85. Ces complémentaires sont largement répandues dans la société française : en 2008, 94% des Français disposaient d’une complémentaire santé86 ; en 2012, les pensions de retraite complémentaires et supplémentaires représentaient 3,3% du PIB87, soit près du quart des prestations totales versées aux 16,4 millions de retraités français en 201188.
Le secteur des retraites, présenté de façon synthétique, est organisé dans un système à plusieurs étages :
- le premier étage est celui du socle de prestations de base garanties à tous: les régimes de base (MSA, CNAV, RSI, Cancava, CNAPL, etc.) prennent en charge les retraites des salariés et des non-salariés ;
- le deuxième étage est celui du complément privé obligatoire : les régimes complémentaires en monopole (Agirc, Arrco, Ircantec, etc.) apportent, de façon obligatoire, une prestation qui s’ajoute à celle du régime de base. La loi du 8 août 1994 précise d’ailleurs que les institutions de retraite complémentaire assurent une « mission d’intérêt général » ;
- le troisième et dernier étage est celui des compléments privés facultatifs, qui prennent des formes diverses. On distingue en leur sein ceux qui sont souscrits à titre individuel (Perp, Préfon pour les fonctionnaires…) ou par les entreprises ; parmi ces derniers, il existe des régimes applicables à tous les salariés (Perco, par exemple), qui pourraient être assimilés à des régimes supplémentaires « de base », et d’autres applicables à des catégories de salariés (les dispositifs « article 83 », notamment).
Le secteur de la santé est également organisé dans une structuration qui conduit le privé à apporter un complément nécessaire aux prestations de base:
- le premier étage est celui du socle de prestations de base garanties à tous les assurés (Cnam, MSA, Canam, etc.) ;
- le second étage est celui du complément privé : souscrit individuellement ou collectivement dans le cadre des entreprises, il est assuré par les organismes complémentaires – compagnies d’assurances, institutions de prévoyances, mutuelles89… Afin de faciliter la souscription d’une complémentaire, l’Assurance maladie propose même une aide qui prend la forme d’une « attestation-chèque90». Facultatif auparavant, le régime complémentaire de santé a été rendu obligatoire par la loi sur la sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013.La souscription de complémentaires, collectives ou individuelles, ouvre le bénéfice de dispositifs fiscaux spécifiques : par exemple, la souscription par une entreprise d’une complémentaire santé collective lui permet de réduire les cotisations employeurs de son bénéfice imposable et les salariés peuvent également déduire leurs cotisations de leur impôt sur le revenu.
Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, Généraliser l’accès à une complémentaire santé de qualité, dossier de presse, 30 juin 2014, p. 3.
Le secteur privé producteur de service public, les leçons tirées de ces expériences
Plusieurs leçons peuvent être tirées de ces expériences dans les secteurs de la santé et des retraites, qui peuvent inspirer de nouvelles politiques publiques, notamment en matière d’éducation.
Leçon no1 : une volonté publique de se reposer sur le privé
L’organisation des régimes de retraite et de santé montre que, pour la puissance publique, le secteur privé est un fournisseur de service public complémentaire et indispensable aux prestations de socle. La continuité de ces politiques et de ces tendances dans le temps montre également que les motivations du législateur sont structurelles : la soutenabilité délicate des finances publiques aujourd’hui n’est donc certainement pas la raison première de ces stratégies de solidarité ; l’État semble au contraire admettre sans difficulté que le secteur privé apporte un service spécifique.
Leçon no2 : une complémentarité, non une remise en cause
Les exemples des régimes de retraite et de santé, promus par les gouvernements successifs, montrent que le secteur privé intervient en complémentarité des régimes de base, sans s’y substituer. L’État a même souhaité généraliser ces compléments privés, dans un esprit de meilleure prise en charge des citoyens, sans que cela remette en cause la nécessité du maintien d’un régime de base public, ni d’ailleurs sa qualité. La généralisation récente, par le gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault, de la complémentaire santé montre bien que cette vision est partagée par l’ensemble du spectre politique, sans que cela induise une menace sur le système de solidarité nationale.
Leçon no3 : une priorité donnée au service fourni aux citoyens, et non au prestataire
L’organisation des régimes de retraite et de santé montre que ce qui importe, c’est la fourniture du service public aux citoyens, et non la nature juridique du prestataire. Dans la santé comme pour les retraites, des acteurs de nature différente (privés, publics, mutualistes, etc.) interviennent de façon coopérative et efficace. Le plus important est que les Français bénéficient d’une retraite solide ou d’un remboursement fort de leurs dépenses de santé ; au-delà du régime de base, peu importe que cela soit assuré par la puissance publique ou une entreprise privée.
La complémentaire éducation : justification
Les modèles des régimes de santé et de retraite pourraient inspirer la mise en œuvre d’une complémentaire éducation. La loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 commence en proclamant que « l’éducation est la première priorité nationale. […] Le droit à l’éducation est garanti à chacun ». Pour y parvenir, il faut s’inspirer des régimes de complémentaire de santé et de retraite.
La généralisation des complémentaires santé, voulue par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et mise en œuvre par celui de Manuel Valls, offre un parallèle intéressant en termes de motivations. Le gouvernement s’est en effet appuyé, en premier lieu, sur le Préambule de la Constitution de 1946, qui proclame que la Nation « garantit à tous […] la protection de la santé » (alinéa 11)92. Or c’est précisément ce même Préambule de la Constitution de 1946 qui proclame également, dans son treizième alinéa, que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction ». Il ajoute que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ». Dans la santé, le gouvernement a fait appel au secteur privé, en complément du régime de base, afin de réaliser un objectif essentiel de notre République sociale. Il devrait en être de même dans l’éducation.
La complémentaire éducation : principes généraux d’organisation
Comme dans les régimes de protection sociale, la complémentaire éducation s’organisera par « étages » :
- le premier étage est celui du socle de prestations de base garanties à tous : il appartient à la puissance publique de le structurer et relève de l’Éducation nationale. Ce service public est offert à tous par la collectivité publique, comme dans les secteurs des retraites et de la santé;
- le second étage sera du celui du complément privé : les entreprises privées sont amenées à fournir des services complémentaires à ceux de l’Éducation nationale. Comme dans le secteur des retraites et de la santé, ils ne s’y substituent pas mais apportent une réponse supplémentaire aux besoins des citoyens, dans l’objectif d’assurer pleinement les priorités que se donne la Cet étage existe aujourd’hui à l’état potentiel, mais beaucoup de familles en restent exclues ; la volonté du législateur permettra, dans l’intérêt de la réussite des enfants, de l’ouvrir à tous.
Dans l’éducation comme dans la santé ou les retraites, la collectivité doit confirmer sa volonté de faire intervenir le privé en complément du socle public (leçon no1). Cette coopération ne se substituera pas à l’Éducation nationale, ni ne lui fera concurrence : il s’agit de deux activités distinctes et additionnelles. Pas plus que les complémentaires retraites et santé ne remettent en cause la qualité des régimes de base, ce projet ne remet en rien en cause la qualité de l’Éducation nationale (leçon no2). Tout doit être mis en œuvre pour assurer l’objectif national d’éducation des enfants; c’est la seule priorité qui importe. Pour y parvenir, il peut être envisagé de faire intervenir des prestataires de service public de nature différente (leçon no3).
En pratique, la mise en œuvre de la complémentaire éducation pourra prendre des formes diverses, non exclusives :
- pour les familles qui paient l’impôt sur le revenu, les heures de soutien scolaire seront défiscalisées. Ce régime consiste à stabiliser dans le temps et à étendre le dispositif existant ; il permet de faire exister une offre légale qui serait autrement difficilement attractive, compte tenu du niveau de fiscalité en France ;
- pour les familles qui ne paient pas l’impôt sur le revenu, un « bon complémentaire éducation » sera créé, qui leur donnera droit à un volume d’heures de soutien scolaire. Il pourrait être financé par les collectivités locales ;
- pour les entreprises, un régime de défiscalisation sera instauré, qui créera pour elles un intérêt à proposer des heures de soutien scolaire à leurs salariés. L’entreprise mutualisant la demande des familles parmi ses salariés pourra négocier des tarifs intéressants avec les entreprises du secteur du soutien scolaire et prendre en charge une partie (ou la totalité) de ces prestations. Les cotisations pourront être défiscalisées.
La dépense induite par ces mesures devra par ailleurs être financée par des économies, mais cette réforme est indispensable car elle permettra d’améliorer les performances scolaires en France. Rappelons que la France engage depuis de nombreuses années des dépenses importantes pour des résultats marginaux ou inexistants.
Depuis 2009, la Fondation pour l’innovation politique analyse l’évolution des Françaisvers une culture de type libérale. Cette fois encore, le sujet atteste ce mouvement de fond. Les Français en général et ceux qui appartiennent aux classes moyennes en particulier attendent une aide de la part des pouvoirs publics afin de mieux surmonter les difficultés qu’ils rencontrent ou d’augmenter les chances d’atteindre le but qu’ils se sont fixé dans leur vie. Toutefois, cette aide de l’État, ils ne la souhaitent pas sous la forme d’une allocation mais, très significativement, sous la forme d’une réduction de la pression fiscale leur permettant de retrouver une partie de leur pouvoir d’achat perdu et de l’affecter à l’usage qu’ils décideront d’en faire.
Tableau 26 : L’aide attendue n’est pas une allocation mais une baisse d’impôt* Quel type d’aide attendriez-vous en priorité de l’État et des pouvoirs publics ?
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
(*) Total supérieur à 100, les interviewés ayant pu donner deux réponses.
Cette solution permettra de renforcer les possibilités de choix des parents dans l’éducation de leurs enfants, répondant ainsi à la volonté affirmée des classes moyennes de s’investir dans le suivi scolaire de leurs enfants. La liberté de choix scolaire doit être valorisée et renforcée.
Cette proposition facilitera également l’accès à des services éducatifs reconnus parleurs usagers pour leur efficacité. Complémentaire à l’Éducation nationale, leur offre permettra d’améliorer le suivi scolaire des élèves.
La mise en place d’une complémentaire éducation ne résoudra pas tous les problèmes de l’Éducation nationale ni de l’égalité des chances. Elle n’apportera pas une réponse à la nécessaire réforme structurelle de la première administration de notre pays, ni aux rythmes scolaires, ni aux pédagogies appliquées dans les écoles. À défaut d’une réforme fiscale qui libérerait l’activité de nos entreprises, elle proposera cependant une respiration à celles du soutien scolaire. Elle offrira aussi une bouffée d’air frais, de prise en charge individualisée et de liberté de choix aux familles des classes moyennes qui le demandent légitimement.
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