Europe : la transition bas carbone, un bon usage de la souveraineté
Introduction
Quelle stratégie de résilience dans un monde globalisé ?
Vers un audit de la globalisation : nécessité et limites de l’exercice
Poursuite d’un aggiornamento davantage qu’une rupture
La transition énergétique comme bon usage de la souveraineté
L’impossible statu quo : une Europe assujettie à ses fournisseurs d’hydrocarbures
Une inéluctable dépendance à l’importation d’énergies fossiles…
… place l’Union européenne sous la menace grandissante de chocs de prix et de ruptures d’approvisionnement
La marche vers la neutralité carbone européenne : first in-first out ?
Les orientations d’un New Green Deal post-Covid-19
Un large éventail de filières génératrices d’emplois européens…
… dont le déploiement produira une variété de cobénéfices
Quelle place pour l’Europe dans la géopolitique d’un monde en sortie de l’ère du carbone ?
Conclusion
Résumé
La crise sanitaire renforce une demande d’aggiornamento d’un modèle de globalisation déjà malmené par l’administration américaine actuelle et dont les impasses environnementales sont pointées depuis longtemps. Dans ce contexte émergent des exigences de résilience centrées sur la sécurisation des chaînes de valeur de produits nécessaires pour affronter d’autres crises sanitaires. Cet impératif débouche en Europe sur des préoccupations bien plus larges liées à une dépendance (réelle ou déformée au prisme de la crise), en bout de certaines chaînes de valeur mondiales, dans la production de biens manufacturés.
La présente analyse se concentre sur la transition énergétique dite « bas carbone », initialement impulsée dans le cadre de la lutte contre le changement climatique mais dont la portée doit être réappréciée à l’abord de cette décennie ouverte dans le chaos.
La capacité de cette transition à répondre à la fois à la demande de résilience et de renforcement de la base industrielle des Européens mérite attention : parce que la dépendance aux importations de pétrole et de gaz monte inexorablement, parce que l’ancrage dans l’Union européenne des actifs nécessaires à la délivrance de services énergétiques permettra de faire face à une diversité de chocs futurs (climatiques, géopolitiques…), parce que l’actuel modèle énergétique fait peser sur les Européens des pollutions délétères dont le coût collectif représente plusieurs points de PIB chaque année (et une mortalité plus importante que le Covid-19), parce que l’Union européenne est en quête de leadership industriel et qu’aucune autre option ne présente un tel potentiel…
Sans nul doute, l’engagement d’un Green Deal ambitieux dans le monde post-Covid-19 constitue, plus encore qu’auparavant, un défi : dans une Union européenne ébranlée par la crise économique, les effets redistributifs de cette transition doivent être anticipés, notamment sur les ménages précaires, les secteurs intensifs en carbone et les pays encore dépendants du charbon.
Patrice Geoffron,
Professeur à l’université Paris-Dauphine-PSL.
Relocaliser la production après la pandémie ?
Relocaliser en France avec l'Europe
Relocalisations : laisser les entreprises décider et protéger leur actionnariat
Souveraineté économique : entre ambitions et réalités
Une civilisation électrique (1) un siècle de transformations
Une civilisation électrique (2) vers le réenchantement
Prix de l’électricité : entre marché, régulation et subvention
Vers une société post-carbone
Énergie-climat en Europe : pour une excellence écologique
L’avenir de l’hydroélectricité
L’Europe face aux défis du pétro-solaire
Good COP21, Bad COP21 (1) : le Kant européen et le Machiavel chinois
Good COP21, Bad COP21 (2) : une réflexion à contre-courant
Énergie-climat : pour une politique efficace
Introduction
Récemment, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, résumait ainsi sa nouvelle feuille de route : « La réindustrialisation est prioritaire, la relocalisation est prioritaire » (cité in Julien Dupont-Calbot, « Relocalisation : des pistes concrètes pour l’industrie française », Les Échos, 9 juillet 2020). Selon un sondage OpinionWay, 81% des consommateurs seraient prêts à acheter en moindre quantité pour s’offrir des produits fabriqués dans l’Hexagone (voir Insign, « Les Français davantage prêts à consommer français après la crise sanitaire ? », communiqué de presse, 10 juillet 2020).
Voir Keith Head, Philippe Martin et Thierry Mayer, « Les défis du secteur automobile : compétitivité, tensions commerciales et relocalisation », Les Notes du Conseil d’analyse économique, n° 58, juillet 2020.
Pour une réflexion plus large sur la transition bas carbone, voir Patrice Geoffron, Vers une société post-carbone, Fondation pour l’innovation politique, février 2019.
Ces bénéfices cachés sont qualifiés de « cobénéfices » dans le jargon économique.
Sur les effets économiques induits par réduction des pollutions, voir Patrice Geoffron et Benoît Leguet, « Co-bénéfices environnementaux et sanitaires de l’action publique : it’s (also) the economy, stupid! », Terra Nova, 7 mai 2020.
Sur ce sujet, voir European Environment Agency (EEA), Air quality in Europe – 2019 report, Publications Office of the European Union, 2019. De surcroît, certaines des affections respiratoires favorisées par la pollution de l’air ont été identifiées comme rendant les personnes plus vulnérables aux formes graves du Covid-19 (voir Lauri Myllyvirta et Hubert Thieriot, « 11,000 air pollution-related deaths avoided in Europe as coal, oil consumption plummet », Centre for Research on Energy and Clean Air, juin 2020).
La crise sanitaire a dévoilé des fragilités dont se croyaient exempts les États les plus avancés. Ces circonstances sont venues renforcer une demande d’aggiornamento d’un modèle de globalisation déjà malmené par l’administration américaine actuelle et dont les impasses environnementales sont pointées depuis longtemps. Dans ce contexte émergent à présent des exigences de résilience centrées sur la sécurisation des chaînes de valeur de produits nécessaires pour affronter d’autres crises sanitaires. Mais, loin d’être circonscrit aux produits et équipements de santé, cet impératif débouche en Europe sur des préoccupations bien plus larges liées à une dépendance (réelle ou déformée au prisme de la crise), en bout de certaines chaînes de valeur mondiales, dans la production de biens manufacturés 1. La France ne fait pas exception, et le débat sur la résilience s’y entremêle, par glissement, avec celui portant sur l’aptitude à ancrer des capacités industrielles dans l’Hexagone, débat qui, lui, est bien plus ancien et fait l’objet de fréquentes résurgences 2.
En plein choc centennal, la clarification des idées demandera sans doute du temps et l’objectif n’est pas ici d’engager une revue des modalités d’une résilience de notre société et/ou du périmètre sectoriel d’une souveraineté renforcée. Nous proposons, plus spécifiquement, de centrer l’analyse sur la transition énergétique dite « bas carbone 3 », initialement impulsée dans le cadre de la lutte contre le changement climatique (à la fin des années 2000 pour ce qui est de l’Europe) mais dont la portée doit être réappréciée à l’abord de cette décennie ouverte dans le chaos. La capacité de cette transition à répondre à la fois à la demande de résilience et de renforcement de la base industrielle des Européens mérite que l’on s’y attarde.
L’un des objectifs de cette transition est d’ancrer dans l’Union européenne une part plus importante des actifs industriels permettant de délivrer des services énergétiques. Les technologies impliquées (énergies renouvelables, efficacité énergétique, nouveaux vecteurs de mobilité…) induisent une substitution par rapport à des produits importés massivement et sur une longue distance en Europe (pétrole, gaz et leurs dérivés), qui pâtissent d’une dépendance d’ores et déjà aiguë, appelée à s’accroître inéluctablement, sans effort de transition. Nombre de ces technologies – pour l’efficacité thermique du bâtiment, en particulier – présentent déjà un degré de maturité avancé, avec un ancrage élevé de la valeur ajoutée en Europe, même si d’autres sont encore à un stade amont – l’hydrogène, par exemple – et appelleront des efforts de R&D et d’expérimentation au fil de la décennie.
Si l’un des objectifs primordiaux, face à une crise sanitaire et économique d’une telle magnitude, est naturellement de dégager des bénéfices directs (création d’emplois et de valeur ajoutée à court et moyen termes), les bénéfices cachés 4 de la transition seront massifs et doivent impérativement être pris en compte dans le calcul économique et l’orientation des politiques publiques 5. Ce devrait être impérativement le cas de la qualité de l’air, dont la pollution est à l’origine de 370.000 morts en Europe chaque année 6.
Il est utile de garder à l’esprit que, en France, la crise des Gilets jaunes a en partie été provoquée par une forte hausse des cours du pétrole (supérieure à 50%) au second semestre de l’année 2018, ayant conduit à pointer les responsabilités des autorités publiques dans une fiscalité carbone dont l’acceptabilité avait été mise à mal par ce choc de prix.
En 2020, la consommation d’énergie devrait baisser de 12% aux États-Unis, de 8% en Europe et ne croître que de 0,5% en Chine (voir Enerdata, « Covid-19: A Tremendous Impact on Energy Demand », enerdata.net, 12 août 2020).
Cela d’autant que, dès lors que le changement climatique entraînera davantage de phénomènes météorologiques extrêmes, la continuité dans l’approvisionnement en hydrocarbures sera également soumise à ces menaces nouvelles. Par ailleurs, une partie des investissements bas carbone permettront également de mieux faire face à des événements climatiques extrêmes (l’amélioration de l’efficacité thermique des bâtiments permet ainsi non seulement d’affronter le froid dans de meilleures conditions de confort mais également d’affronter les épisodes caniculaires).
On pourrait penser par exemple à l’échec de la COP15 en 2009, qui s’est tenue à Copenhague.
Voir International Energy Agency (IEA), Sustainable Recovery. World Energy Outlook Special Report, juin 2020.
Voir Commission européenne, « Le pacte vert pour l’Europe », Communication au Parlement, COM(2019) 640 final, 11 décembre 2019.
Voir Convention citoyenne pour le climat, « Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat », version corrigée, 20 juillet 2020.
Voir Wenzhi Ding, Ross Levine, Chen Lin et Wensi Xie, « Corporate Immunity to the Covid-19 Pandemic », NBER Working Paper Series, Working Paper no 27055, avril 2020.
Enfin, la dépendance croissante aux importations d’hydrocarbures implique une vigilance non seulement face aux risques pesant sur la sécurité d’approvisionnement mais également face aux menaces de hausse brutale de prix, sachant qu’un choc pétrolier est également susceptible d’alourdir fortement la facture d’importations 7. Même si la crise du Covid-19 n’a pas été aggravée par des ruptures des services énergétiques, notamment en raison d’une baisse de la demande 8, et s’est traduite par une forte chute des prix du pétrole, cette période ne doit pas masquer des menaces bien réelles pour l’Europe. La transition fournira un bénéfice « assurantiel », en réduisant la portée de ces chocs (ainsi que des effets du changement climatique) 9, dimension qui doit également être prise en compte.
Comme en 2008, la crainte que les pressions économiques de court terme relèguent dans le temps les enjeux environnementaux est certes fondée 10 mais de nombreux signaux suggèrent cependant que les temps ont changé.
Bien que notre analyse soit ici centrée sur l’Europe, observons que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) préconise une stratégie mondiale de sortie de crise centrée sur les énergies « propres » et un investissement annuel de 1.000 milliards de dollars pour les trois prochaines années (soit un effort d’environ 0,7% du PIB mondial) qui serait susceptible de contribuer à la création de 10 millions d’emplois et à une augmentation du PIB mondial de 1,1% par an 11. Cela reflète les progrès réalisés par ces technologies durant la dernière décennie et leur degré de maturation plus avancé. En Europe, la Commission européenne a exposé en décembre 2019 son ambition de faire de l’Union européenne la première région mondiale neutre en carbone 12 et prolongé cette annonce en mars 2020 par la présentation de la nouvelle stratégie industrielle visant à soutenir un leadership européen dans les renouvelables, la numérisation des systèmes énergétiques et les technologies de décarbonation industrielle (notamment via l’hydrogène et les batteries lithium-ion).
Ces orientations sont concomitantes d’expérimentations institutionnelles, avec la mise en place de conventions citoyennes pour le climat en quête de consensus afin d’articuler transition écologique et justice sociale. En France, la Convention citoyenne pour le climat a ainsi rendu ses conclusions en juin 2020 13 et ses travaux ont inspiré d’autres nations européennes, dont l’Allemagne, l’Espagne, la Grande-Bretagne et la Pologne.
Soulignons, enfin, que différents travaux académiques indiquent que les entreprises manifestant une plus grande responsabilité environnementale ont connu de meilleurs rendements boursiers lors du choc du Covid-19, en contradiction avec l’idée qu’un tel événement, inédit de surcroît, détournerait les investisseurs des préoccupations environnementales et climatiques 14. Cette période de crise sanitaire a également été celle durant laquelle deux majors pétroliers européens, Shell et Total, ont annoncé des objectifs de neutralité carbone pour 2050, emboîtant le pas de la société BP qui avait pris cet engagement en 2019. Certes, les stakeholders suivront avec grande attention la définition des feuilles de route associées à ces ambitions mais le fait qu’elles aient été affirmées durant cette période ne peut que marquer les esprits ou, a minima, intriguer.
L’objet de la présente étude est d’analyser la capacité à répondre à la demande sociale de résilience et de renforcement de la base industrielle par la transition énergétique bas carbone, sans occulter les difficultés de mise en œuvre d’une telle stratégie dans un contexte « post-traumatique » d’un point de vue macroéconomique.
Dans un premier temps, nous survolerons les termes du débat en cours sur la résilience en soulignant que si la crise accélère l’« audit » de la globalisation, l’issue de cet examen prendra plus sûrement la forme d’une mise à jour de ce modèle plutôt que celui d’une rupture conduisant vers une déglobalisation. Ce qui conduira à mettre en avant, au cœur d’un débat dense, les vertus de la transition énergétique comme une stratégie de réponse aux attentes à la fois de résilience et de renforcement d’une base industrielle (partie I). Nous exposerons ensuite la montée de la dépendance de l’Union européenne à l’importation d’énergies fossiles, phénomène irréversible intensifiant les menaces de chocs de prix et de ruptures d’approvisionnement (partie II). Ce qui nous conduira ensuite à discuter la portée du Green Deal comme levier majeur pour la localisation d’actifs industriels en Europe, ainsi que ses cobénéfices environnementaux et sanitaires à intégrer dans l’équation économique de sortie de crise (partie III). Enfin, nous discuterons la place de l’Europe dans la géopolitique d’un monde en voie de décarbonation, dans lequel la fragilité de certains producteurs se trouvera accrue et où des tensions sur l’approvisionnement en matériaux ou équipements critiques se feront jour (partie IV).
Quelle stratégie de résilience dans un monde globalisé ?
Vers un audit de la globalisation : nécessité et limites de l’exercice
Voir Kevin Sneader, Susan Lund, COVID-19 and climate change expose dangers of unstable supply chains, McKinsey Global Institute, 2020. D’après les données de la Banque mondiale, Worldwide Governance Indicators, 2018.
Voir Anne Muxel, De la distanciation sociale à la distanciation intime, Fondation pour l’innovation politique, juin 2020.
Voir Fonds monétaire international (FMI), « Une crise sans précédent, une reprise incertaine. Mise à jour des perspectives de l’économie mondiale », juin 2020, et OCDE, « L’économie mondiale sur une ligne de crête », Perspectives économiques de l’OCDE, juin 2020.
Voir Dave Altig, Scott Baker, Jose Maria Barrero, Nick Bloom, Philip Bunn, Scarlet Chen, Steven Davis, Julia Leather, Brent Meyer, Emil Mihaylov, Paul Mizen, Nick Parker, Thomas Renault, Pawel Smietanka et Greg Thwaites, « Economic uncertainty before and during the Covid-19 pandemic », Bank of England, Staff Working Paper n° 876, juin 2020. Au plan épidémiologique, les incertitudes portent sur la contagiosité et la létalité du virus (voir Anthony S. Fauci, H. Clifford Lane et Robert R. Redfield, « Covid-19 – Navigating the Uncharted », The New England Journal of Medicine, vol. 382, n° 13, 26 mars 2020, p. 1268-1269), l’efficacité de la distanciation sociale (voir Martin S. Eichenbaum, Sergio Rebelo et Mathias Trabandt, « The macroeconomics of epidemics », NBER Working Paper Series, Working Paper n° 26882, mars 2020) et le temps requis pour l’obtention d’un vaccin (voir Archana Koirala, Ye Jin Joo, Ameneh Khatami, Clayton Chiu et Philip N. Brittonc, « Vaccines for Covid-19: the current state of play », Pediatric Respiratory Review, vol. 35, septembre 2020, 43-49). Sur le plan économique, les incertitudes portent sur la vitesse et l’ampleur de la reprise au fil de la résorption de la pandémie (voir Congressional Budget Office, « An Update to the Economic Outlook: 2020 to 2030 », juillet 2020), et les changements structurels dans les habitudes de consommation, de loisir et de travail (voir Jose Maria Barrero, Nicholas Bloom et Steven Davis, « Covid-19 and labour reallocation: Evidence from the US », voxeu.org, 14 juillet 2020).
Voir John Hassler, Per Krusell, Morten Ravn et Kjetil Storesletten, « Economic policy under the pandemic: A European perspective », voxeu.org, 7 juillet 2020. Même si l’épargne forcée, constituée durant le confinement et dans son prolongement (tant qu’auront pesé des contraintes de distanciation), pourrait bien se transformer ensuite en une épargne de précaution, phénomène plus conventionnel en des temps incertains.
Pour comprendre ce qui est en jeu, rappelons que le terme « globalisation » désigne une période de trente années inaugurée par la chute du mur de Berlin et marquée par l’intégration de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001. Ces trois décennies auront vu l’instauration d’une nouvelle division internationale du travail induisant une fragmentation des chaînes de valeur, un essor du commerce de services, l’émergence d’États auparavant sous-développés et la formation de classes moyennes en leur sein. Plus largement, la sortie de l’extrême pauvreté d’une fraction importante des habitants des pays les plus peuplés aura été combinée à une concentration historique des niveaux de richesse et de patrimoine.
L’accroissement des interdépendances qui caractérise cette période en explique aussi la sensibilité aux chocs. Des secousses majeures (crises économiques et financières, actes de terrorisme de masse et, désormais, pandémie) ont vu leurs effets renforcés par la facilité de circulation des flux de produits, de capitaux et de personnes. De surcroît, l’évolution du commerce mondial a conduit à « englober » des pays fragiles au long des chaînes de valeur : la part du commerce réalisée avec des pays situés dans la moitié inférieure du classement des nations pour la stabilité politique est passée de 16% en 2000 à 29% en 2018. Près de 80% des échanges commerciaux impliquent des pays dont le score de stabilité politique a décru durant cette même période 15. Surtout, ce régime de « fluidité » s’est établi sans régulation efficace des émissions de gaz à effet de serre (en négligeant les externalités négatives du transport, en favorisant le moins-disant environnemental), le protocole de Kyoto étant un évident échec et l’Accord de Paris restant asservi aux revirements politiques.
La « fatigue » de ce modèle s’est imposée comme une évidence, avant même le choc du Covid-19, à mesure de l’avancée dans la décennie 2010. L’incapacité à effacer les stigmates de la crise de 2008 et à répartir les gains de la croissance a même fragilisé certaines des vieilles démocraties qui avaient impulsé la globalisation. L’altération des processus multilatéraux, clef de voûte de ce modèle, a constitué un facteur aggravant de cette « fatigue » ces dernières années.
Si la crise de 2008 relevait de la complexité des systèmes financiers et de graves défauts de régulation, celle de 2020 a enrayé tous les rouages socio-économiques, jusqu’à menacer la continuité des services essentiels : santé, alimentation, éducation, transports, déchets, eau… Certes, les progrès des services numériques auront partiellement préservé les interactions socio-économiques essentielles, évitant l’écroulement total et laissant entrevoir de nouvelles formes d’organisation dans la phase de recomposition 16. Malgré cela, un choc aussi violent ne pouvait que conduire en terra incognita macroéconomique, avec un effondrement du PIB sans commune mesure avec la crise de 2008 17 et une diversité d’incertitudes jamais observée jusqu’alors, rendant peu opérants les modèles traditionnels de prévision 18. Cette situation constitue un défi pour les politiques économiques : la plupart des récessions sont associées à des déficits de la demande comportant une dimension autoréalisatrice susceptible d’être jugulée par des politiques de relance, mais les conséquences de la pandémie échappent largement à cette caractérisation 19.
Au cœur des confinements, la globalisation a rapidement été pointée comme un facteur déclenchant ou, a minima, aggravant de la crise, d’un point de vue tant sanitaire (l’empreinte environnementale a atteint la biodiversité, les mouvements de population ont accéléré la diffusion du virus) qu’économique (l’intégration des chaînes de valeur, résultant de la recherche de l’optimisation des coûts, a conduit à des ruptures, bloquant des filières entières et privant certains pays de biens essentiels, y compris dans le domaine sanitaire).
Les conditions de l’après-crise sanitaire sont naturellement subordonnées à la durée de celle-ci, de sorte que la profondeur d’une remise en question de la globalisation reste encore indéterminée et, en outre, subordonnée au prochain cycle politique américain (entre autres paramètres géopolitiques). Mais, en dépit de ces incertitudes, la crise refonde un discours de souveraineté centré sur la maîtrise de productions jugées « critiques », sur une base nationale ou régionale.
Poursuite d’un aggiornamento davantage qu’une rupture
Voir Frédéric Gonand, Relocalisations : laisser les entreprises décider et protéger leur actionnariat, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2020.
Voir Yves Bertoncini, Relocaliser en France avec l’Europe, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2020.
Voir El Mouhoub Mouhoud, « Après le choc : relocalisations dans l’industrie, délocalisations dans les services », theconversation.com, 6 avril 2020.
Selon certains, une augmentation de 1% de l’automatisation réduit de 0,05% le prix à la production de l’industrie et augmente de 0,4% des ventes dans l’industrie manufacturière française (voir Philippe Aghion, Céline Antonin, Simon Bunel et Xavier Jaravel, « What Are the Labor and Product Market Effects of Automation? New Evidence from France », CEPR Discussion Paper no DP144432020, janvier 2020).
Voir Paul-Adrien Hyppolite, Relocaliser la production après la pandémie ?, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2020.
Voir Élie Gerschel, Alejandra Martinez et Isabelle Mejean, « Propagation des chocs dans les chaînes de valeur internationales : le cas du coronavirus », Les Notes de l’IPP, n° 53, mars 2020.
Ibid.
Il est à noter que des progrès techniques, comme ceux relatifs aux outils fondés sur la blockchain, offrent des possibilités nouvelles de monitoring des chaînes logistiques.
Voir Sébastien Miroudot, « Resilience versus robustness in global value chains: Some policy implications », voxeu.org, 18 juin 2020. La résilience peut être définie comme la capacité de revenir à la norme de fonctionnement dans un délai acceptable, tandis que la robustesse est la capacité à maintenir la continuité des opérations en cas de crise (voir Emma Brandon-Jones, Brian Squire, Chad W. Autry et Kenneth J. Petersen, « A Contingent Resource-Based Perspective of Supply Chain Resilience and Robustness », Journal of Supply Chain Management, vol. 50, n° 3, juillet 2014, p. 55-73).
Voir Keith Head, Philippe Martin et Thierry Mayer, art. cit.
La crise du Covid-19 inaugure-t-elle une ère de « déglobalisation » ? De nombreux facteurs conduisent à proposer un diagnostic nuancé, le premier d’entre eux étant très prosaïque : les entreprises occidentales ne pourront se couper des marchés asiatiques qui « pèsent » plus de 3 milliards de consommateurs. Surtout, le renforcement d’une base industrielle n’est pas la panacée dans toutes les économies, certains secteurs d’activité parmi les plus touchés dépendant surtout de la circulation des personnes. Pour les pays européens les plus fragilisés (Espagne, France, Italie), l’effondrement du tourisme aura été le phénomène prédominant, observation invitant à ne pas focaliser tous les questionnements sur la base industrielle. Au-delà de ces constats d’évidence, différents travaux récents permettent d’approcher la complexité du débat. Tout d’abord, l’hypermondialisation des chaînes de valeur avait déjà commencé à s’éroder depuis la fin des années 2000, sous l’effet d’un rehaussement des coûts salariaux dans les pays émergents 20 ainsi que de problèmes de livraison et de qualité 21, le tout contribuant à une amorce de relocalisations au sein de l’OCDE 22. Un tel mouvement est aussi lié à une diffusion de la robotisation, tendance qui devrait s’accélérer dans les secteurs où l’automatisation des chaînes d’assemblage est économiquement avantageuse (automobile, électronique, mécanique) 23. Mais, à l’inverse, la délocalisation des activités de services doit être scrutée avec attention : des banques aux assurances, les fondamentaux technologiques laissent entrevoir un flux de délocalisations dans la gestion de la relation client, la comptabilité, l’informatique ou les services juridiques, voire la recherche et développement.
Par ailleurs, selon certaines études, les problèmes induits par la fragmentation des chaînes de valeur procèdent plus sûrement de la concentration géographique des lieux de production 24 que d’un éloignement des marchés de destination finale 25. Ainsi, c’est la densité du tissu industriel de la province chinoise du Hubei dans certains domaines comme l’optoélectronique qui induit des conséquences graves en cas de ruptures d’approvisionnement et non leur distance par rapport à l’Europe ou aux États-Unis. Ce diagnostic vaut aussi pour certains matériels médicaux : en substance, relocaliser la production de gants chirurgicaux de Malaisie en Slovaquie ne serait ni suffisant ni même nécessaire pour gérer les risques afférents. La clé du problème résiderait dont plutôt dans la traçabilité 26, c’est-à-dire l’accessibilité de données granulaires, renouvelées fréquemment, sur l’ensemble des maillons de la chaîne logistique 27. Ce à quoi font écho d’autres analyses qui soulignent qu’une littérature assez dense, consacrée à la gestion des risques du commerce, s’est penchée sur la résilience et la robustesse des chaînes d’approvisionnement pendant plus de vingt ans sans pour autant conclure que leur raccourcissement constituait la meilleure réponse 28.
Enfin, pour balayer le champ des possibles dans le monde post-Covid, des chercheurs considèrent que la pandémie est susceptible d’accroître les frictions relatives aux flux transnationaux, augmentant les coûts de transport et de coordination à long terme, et ce de façon structurelle et non pas seulement transitoire durant la période de gestion de la crise sanitaire. Dès lors, cet effet structurel pourrait conduire à des réévaluations de stratégies de localisation par les entreprises, indépendamment des inflexions de politique commerciale étatiques et des considérations liées à une recherche de souveraineté. Ces auteurs proposent notamment un scénario de « démondialisation spontanée » où les entreprises, réévaluant les coûts de la délocalisation, réaffectent la production sur leurs marchés principaux 29.
La transition énergétique comme bon usage de la souveraineté
Carl Schmitt, Théologie politique [1922], J.-L. Schlegel, Gallimard, 1988, p. 15.
La souveraineté étatique ne procède pas de l’autonomie absolue d’action ; elle signifie que les relations entre États sont d’ordre contractuel et non pas hiérarchique, qu’elles reposent sur la liberté et non sur la contrainte (voir Gilles Andréani, « Vous avez dit souveraineté ? », Telos, 12 juin 2020). Dans le modèle de globalisation, « les États souverains n’occupent plus la place souveraine, c’est-à-dire qu’ils ne sont plus à la hauteur absolue, mais à une hauteur relative vis-à-vis des autres agents de la globalisation. Une telle situation évoque l’ordre médiéval d’avant l’établissement du système des États souverains » (Kazumasa Kado, « Revisiter la notion de souveraineté », Droits, n° 53, 2011/1, p. 215).
Voir El Mouhoub Mouhoud, art. cit.
Voir Keith Head, Philippe Martin et Thierry Mayer, art. cit.
« Qu’est-ce qu’un secteur stratégique ? L’approche économique normative d’abord n’apporte pas de réponse précise : les secteurs économiques sont égaux devant le processus concurrentiel qui leur garantit un fonctionnement optimal. Est-ce à dire que les secteurs stratégiques seraient ceux en situation de concurrence imparfaite, dont les productions, parce qu’elles procurent des gains importants pour la collectivité mais insuffisants pour les entreprises privées, risqueraient de ne pas être fournies selon le processus concurrentiel ? Les approches économiques positives ensuite affirment pouvoir identifier les secteurs qui ont joué ou jouent un rôle plus déterminant que les autres dans la réalisation de différents objectifs : développement économique, supériorité technologique, compétitivité… » (Med Rezzouk, « Secteurs stratégiques. Concept et politique Une perspective économique », document de travail CEDE/DT/MR /100110, juillet 2011, p. 1).
Voir Luigi De Paoli et Patrice Geoffron, « A critical overview of the European National Energy and Climate Plans », Economics and Policy of Energy and the Environment, LXI, n° 1, 2019, p. 31-41.
Patrick Criqui, « Économie – Énergie & Climat : quels futurs possibles pour l’après-Covid19 ? », enerdata.fr, 29 mai 2020. Voir également la vision de Thomas Piketty d’un nouvel internationalisme, notamment fondé sur la justice climatique.
Cameron Hepburn, Brian O’Callaghan, Nicholas Stern, Joseph Stiglitz et Dimitri Zenghelis, « Will Covid-19 fiscal recovery packages accelerate or retard progress on climate change? », Oxford Smith School of Enterprise and the Environment, Working Paper n° 20-02, 4 mai 2020.
En 1922, Carl Schmitt considérait qu’est « souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle 30 ». Face à la crise du Covid-19, situation éminemment exceptionnelle, la souveraineté de tous les États du monde aura été réduite à organiser l’encadrement drastique des libertés publiques, en figeant une majeure partie des interactions socio-économiques, internes et externes 31.
La crise sanitaire constitue une alerte majeure, préfigurant d’autres chocs à venir dans un monde perturbé par les dérèglements du climat. Cette crise étend la diversité des craintes et, mécaniquement, des attentes en termes de maîtrise du destin des peuples. Certains chefs d’État, qui avant même cette crise, revendiquaient le retour à une « souveraineté absolue » (c’est-à-dire dépouillée des obligations contractuelles tissées entre États depuis l’après-guerre), ont d’abord pu voir dans la pandémie une opportunité, conduisant à appeler plus encore à la maîtrise des flux de tous ordres et à fermer les frontières. La réalité s’est par la suite imposée : la gestion de cette crise (comme de celles qui viendront) perd en efficacité sans coopération, c’est-à-dire sans corps de règles communes préétablies ou dictées par les circonstances et, quoi qu’il en soit, librement consenties par les États. Le pire n’étant jamais sûr, la crise aura même débouché en Europe sur une décision de faire – encore trop timidement – dette commune, décision qui procède bien d’un consentement de partage de souveraineté, à rebours de volontés d’« exit » évoquées dans certains pays membres par des partis politiques gravitant aux marges du populisme.
L’audit de la globalisation, qu’aura accéléré la crise, livre des résultats peu conformes aux attentes du moment : au fil du temps, les chaînes de valeur mondiales ne sont pas nécessairement fragiles par construction… mais pas intrinsèquement robustes non plus. En outre, leur raccourcissement produirait un choc de productivité, à un moment où le monde affronte l’une des plus grandes crises économiques de son histoire. Des évolutions sont déjà amorcées 32. La crise pourrait les précipiter si les entreprises réappréciaient les coûts de délocalisation à la lumière de la crise sanitaire 33. Elles procèdent d’évolutions des stratégies des entreprises, plus sûrement que de modifications des politiques publiques.
Mais, au-delà de ces observations, quelle politique publique pourrait être mise en œuvre ? S’il est légitime de chercher à sécuriser l’approvisionnement en équipements médicaux de base (à supposer qu’ils puissent permettre d’affronter une grande diversité de risques), réorienter plus profondément les politiques publiques au sortir du choc sanitaire constitue un exercice bien plus délicat 34 et sans doute assez déceptif s’il s’agit d’asseoir une souveraineté alimentaire et militaire ainsi qu’une compétitivité dans une large gamme de secteurs industriels, et cela à l’échelle d’économies européennes de taille moyenne.
Cela ne signifie pas, au-delà de ce choc, que le cours de la globalisation devra reprendre, dès lors que l’actuel modèle de création de richesses est insoutenable en termes environnementaux : au niveau mondial, les émissions de gaz à effets de serre devront avoir été divisées par cinq d’ici à 2050. C’est cet impératif qui constitue le réel motif de mise à jour de la globalisation et qui doit guider les politiques publiques d’après-crise sanitaire, au risque de devoir affronter des chocs de grande magnitude dès cette décennie 35.
Dans cette optique, Patrick Criqui, directeur de recherche émérite au CNRS, décrit un scénario prospectif de coordination internationale des efforts de transition comme réponse aux attentes des citoyens en sortie de crise sanitaire :
« Une réflexion commune est menée, par exemple entre l’Europe, avec son Green Deal (CEPS), et la Chine, avec les plans “nouvelles infrastructures”, OBOR et autres. Ainsi sont mis en place des “New Green Deals” coordonnés et tenant compte des enseignements de la crise pour tout ce qui renvoie aux contraintes de sécurité et de protection de l’environnement. Ces investissements sont mis en place suffisamment rapidement pour éviter que ne s’installe une stagnation prolongée. La consommation se porte majoritairement sur des produits verts, alors que l’investissement est un puissant vecteur de croissance : on a alors une reprise en U, voire en Z si l’effet d’entraînement de l’économie s’enclenche rapidement, dans une logique de reconstruction et de croissance verte 36. »
Une telle orientation n’est pas que théorique : un groupe de chercheurs (dont faisaient partie Cameron Hepburn, Nicholas Stern et Joseph Stiglitz) a interrogé plus de 200 responsables de banques centrales, de ministères des Finances et d’experts économiques des pays du G20 sur la performance relative de vingt-cinq grands archétypes de relance budgétaire susceptibles de combiner relance économique et impact climatique 37. Il ressort de cette enquête que cinq domaines susceptibles de produire ces deux effets conjointement pourraient être priorisés : les infrastructures physiques propres, l’efficacité énergétique des bâtiments, l’investissement dans le capital naturel et la R&D verte, ainsi que l’éducation et la formation aux métiers de filières bas carbone.
Dans la suite de cette étude, nous allons nous attacher à montrer l’intérêt que l’Europe trouvera à mettre en œuvre une stratégie de Green Deal dans le monde post-Covid-19, sans négliger les problématiques redistributives associées à un tel processus de transition.
L’impossible statu quo : une Europe assujettie à ses fournisseurs d’hydrocarbures
Une inéluctable dépendance à l’importation d’énergies fossiles…
International Energy Agency (IEA), European Union Energy Policy Review, 2020, p. 25.
Ibid., p. 29.
L’Allemagne a par ailleurs inauguré une centrale à base de ce combustible en juin 2020, non loin de Dortmund (Allemagne).
La fin de l’exploitation du gisement de Groningue (Pays-Bas) a été rapprochée à 2022, alors qu’elle était initialement envisagée en 2030.
Pour estimer la rationalité d’une accélération de la transition bas carbone en Europe, il convient tout d’abord d’observer les tendances longues relatives à l’actuel modèle énergétique. L’Union européenne est à l’origine de 12% de la consommation d’énergie, de 9% des émissions de CO2 mondiales 38, mais de 22% du PIB mondial. En trente ans, ces émissions ont reculé de 20%, cela malgré une progression du PIB par habitant de 50% (en parité de pouvoir d’achat), reflétant à la fois une diminution de 40% de l’intensité énergétique de l’économie (également liée à la montée des services dans la structure de l’activité productive) et de 20% de l’empreinte carbonée de l’approvisionnement énergétique.
Malgré ces performances qui placent l’Union à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique, les combustibles fossiles représentent toujours environ 70% du bouquet énergétique, contre 81% à l’échelle mondiale, ce qui donne une idée du chemin à parcourir pour atteindre la neutralité carbone. En 2017, le pétrole occupait encore 33% du bouquet, le gaz naturel 25% et le charbon 14%. Ces données masquent une très forte hétérogénéité parmi les États membres, les combustibles fossiles pesant de 26%, en Suède, à 95%, à Malte.
Par ailleurs, même si le pétrole et le gaz sont les énergies fossiles prédominantes dans de nombreux pays, la dépendance au charbon reste forte à l’Est, notamment en Pologne ou en République tchèque 39, sans compter l’Allemagne qui ne s’engage à un abandon de ce combustible qu’en 2038 pour la production d’électricité 40.
Cette persistance des énergies fossiles à un très haut niveau en Europe n’est pas seulement une problématique environnementale mais également un sujet de sécurité collective en raison de la nette diminution de la production « autochtone » de ces ressources : durant la dernière décennie, l’extraction de pétrole et de gaz a chuté de 40%, tandis que celle de charbon reculait de 30%. À noter également, sur la même période, une diminution de la production d’énergie nucléaire, avec une baisse de 11% (en particulier en Allemagne, dans le cadre de sa stratégie dite de l’Energiewende).
La conséquence mécanique de cette tendance est que l’Union européenne dépend à 90% des importations pour couvrir la consommation de pétrole, à 77% pour le gaz et à 42% pour le charbon. Alors que le Danemark était encore exportateur net d’énergie en 2006 (le seul pays dans ce cas), il n’y a actuellement plus aucun État membre à présenter une telle balance. En particulier, la cessation anticipée de la production de gaz aux Pays-Bas 41 est emblématique de la fin d’une époque. Cette évolution est également à mettre en parallèle avec le déclin, aux marges de l’Union, des productions britannique et norvégienne.
Production d’énergie par source en Europe
Source :
International Energy Agency (IEA), European Union 2020. Energy Policy Review, 2020, p. 28.
… place l’Union européenne sous la menace grandissante de chocs de prix et de ruptures d’approvisionnement
Voir Étienne Goetz, « Le prix du baril de pétrole négatif aux États-Unis pour la première fois de l’histoire », Les Échos, 20 avril 2020.
Pour juger de l’enjeu, observons que, durant la décennie 2010, la facture d’importations de la France a varié de 40 milliards d’euros (soit 1,5% du PIB environ) au gré des oscillations des prix du baril.
Voir International Energy Agency (IEA), The Oil and Gas Industry in Energy Transition, 2020.
Ibid.
La compagnie BP s’est engagée à multiplier ses capacités renouvelables par vingt d’ici à 2030 et de réduire de 40% sa production de pétrole sur la même période.
Cette dépendance inéluctablement croissante doit être réévaluée dans le monde post-Covid-19, en évitant les contresens dans l’appréciation de ce qui aura été observé courant 2020. La baisse des prix du pétrole durant le confinement (jusqu’à des niveaux négatifs en avril 2020 sur le marché américain 42) pourrait laisser espérer un effet d’aubaine pour les Européens, avec une ristourne durable sur les approvisionnements 43. Toutefois, rien n’est moins sûr : l’industrie pétrolière aura subi récemment deux périodes d’effondrement des prix (après 2014 et en 2020), avec un effet traumatique sur une partie de l’industrie (notamment américaine) et une chute des investissements qui crée toutes les conditions d’une hausse des prix en sortie de crise sanitaire, voire de choc pétrolier au-delà.
Rappelons le contexte : pour s’extraire du contre-choc pétrolier amorcé brutalement en 2014, Saoudiens et Russes ont inauguré un schéma de coopération (qualifié d’OPEP+) à partir de 2016, dans l’espoir de stimuler les cours du baril tombés alors à 30 dollars. Cette action aura contribué à rehausser le prix dans une fourchette comprise entre 50 et 80 dollars à partir de 2017, insuffisamment pour assurer l’équilibre financier de beaucoup d’exportateurs mais suffisamment pour éviter leur effondrement. Début mars 2020, la Russie a pourtant décidé de mettre un terme à cette alliance, en ne prenant pas sa part des efforts préconisés par les Saoudiens pour contrer la chute de la demande liée à la crise sanitaire. En réaction, l’Arabie saoudite s’est engagée dans une guerre des prix brutale, conduisant à un effondrement des cours en mars 2020, au moment où nombre de pays entraient en confinement.
Les raisons de cette dissension russo-saoudienne doivent être recherchées du côté des États-Unis, devenus un acteur majeur sur les marchés d’hydrocarbures durant la dernière décennie (via l’exploitation intensive du pétrole et du gaz non conventionnels), perturbant tous les équilibres et mécanismes de régulation préexistants. L’affirmation par le président Donald Trump de la puissance énergétique américaine a conduit à ouvrir les vannes de la production de pétrole, jusqu’à atteindre le premier rang mondial, et même à attaquer le marché européen du gaz, pré carré russe.
Ces années d’instabilité ont traumatisé l’industrie pétrolière, producteurs américains compris : le pétrole de schiste a été le plus touché par cette débâcle, s’agissant des barils les plus coûteux à extraire et requérant d’importants capitaux, avec un large recours à la dette. Au sortir de la crise sanitaire, une partie significative de l’industrie américaine pourrait être acculée à la faillite, tandis que des pays exportateurs fragiles ont été déstabilisés par une baisse de leurs revenus comprise entre 50 et 85% 44. Ces bouleversements surviennent dans un marché déjà perturbé par les incertitudes sur les productions irakienne et libyenne – entre autres producteurs précaires –, par les sanctions américaines sur les exportations iraniennes, ainsi que par une insécurité latente dans le détroit d’Ormuz. D’ores et déjà, les compagnies pétrolières ont réduit leurs investissements dans l’exploration-production, dans une proportion comprise entre 20 et 35% 45. Rappelons aussi que Shell et Total ont annoncé, durant la crise sanitaire, un objectif de neutralité carbone en 2050, comme BP quelques mois auparavant 46, et que les majors européennes chercheront à réduire leur exposition aux risques de fluctuations du prix du brut (conduisant à minorer leur appétence pour l’exploitation de gisements à coûts élevés).
Source :
International Energy Agency (IEA), The Oil and Gas Industry in Energy Transition, 2020, p. 11.
Note : Le SDS caractérise une trajectoire de la demande de pétrole compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris (très en deçà du business as usual, qui reste supérieur à 100 millions de barils par jour). Il s’avère que le prolongement de l’exploitation des champs pétroliers actuellement en production est très insuffisant pour couvrir ce niveau de demande, y compris en réinvestissant dans leur périmètre. Ce qui revient à dire que, pour satisfaire la demande, il sera indispensable de relancer un cycle d’investissements dans de nouveaux champs pétroliers, perspective hautement incertaine.
Matthieu Auzanneau, « L’UE risque de subir des contraintes fortes sur les approvisionnements pétroliers d’ici à 2030 – Une analyse prospective prudentielle de The Shift Project, juin 2020 », aspofrance.org, 2 juillet 2020.
Ces facteurs obligent à anticiper, à plus ou moins brève échéance, que des barils manqueront pour couvrir la demande (même dans le scénario d’une demande très contenue en raison des efforts de lutte contre le changement climatique) avec un risque élevé de choc pétrolier. Certains commentateurs analysent cette perspective pour l’Union européenne, considérant que les rythmes potentiels de contraction des sources d’approvisionnement de l’Europe sont supérieurs au rythme de décrue de sa consommation pétrolière depuis 2010 et que l’exploitation des ressources susceptibles d’intervenir en relais est frappée d’un degré d’incertitude important 47.
La marche vers la neutralité carbone européenne : first in-first out ?
Les orientations d’un New Green Deal post-Covid-19
Commission européenne, art. cit., p. 2.
Le Carbon Capture Utilisation and Storage (CCUS) consiste à envisager le remploi du CO2 dans l’industrie comme matière première (utilisation) ou à le séquestrer dans le sous-sol (storage).
En septembre 2020, le Parlement européen a souhaité rehausser l’objectif, avec une baisse de 60% en 2030.
Voir Commission européenne, « Financer la transition verte : le plan d’investissement du pacte vert pour l’Europe et le mécanisme pour une transition juste », europa.eu, 14 janvier 2020.
Par ailleurs, le principe do no harm doit prévaloir concernant les 70% des fonds qui ne sont pas explicitement réservés à l’action climatique : aucune dépense ne doit être faite pour des projets susceptibles de causer des dommages environnementaux.
Voir « Accord du Conseil européen sur un Plan de relance européen et le cadre financier pluriannuel », note Afep, 23 juillet 2020. Une note du Parlement européen met toutefois en garde sur les difficultés de détermination des dépenses relevant de l’action climatique : « La méthode actuellement utilisée par la Commission se concentre sur la part des dépenses consacrées aux objectifs climatiques, que le changement climatique soit ou non un objectif déclaré des dépenses – une approche qui diffère des recommandations de l’OCDE pour le suivi des dépenses en matière de coopération au développement. Dans un certain nombre de domaines, les dépenses relatives à l’action pour le climat enregistrées font l’objet de critiques, étant considérées comme excessives » (Martin Nesbit, Thorfinn Stainforth, Kaley Hart, Evelyn Underwood et Gustavo Becerra, Documenting climate mainstreaming in the EU budget – making the system more transparent, stringent and comprehensive, Parlement européen, PE 654.166, juillet 2020, p. 9.
Première région du monde à entrer dans l’ère du carbone au XIXe siècle, l’Europe affiche l’ambition d’être la première à en sortir. La Commission européenne a défini fin 2019 le Green Deal, qui doit conduire l’Union à la neutralité carbone en 2050, à la fois comme une réponse aux défis environnementaux et comme une « nouvelle stratégie de croissance 48 ». Cet objectif signifie qu’à cet horizon les émissions de gaz à effet de serre (qui pourraient notamment être dues alors à un usage marginal du gaz naturel pour la production d’électricité et de carburants fossiles pour le transport) devront être compensées par une capture naturelle (puits de carbone via la biomasse) ou artificielle (CCUS 49). L’objectif est non moins impressionnant à l’horizon 2030 : une baisse de 55% des émissions reviendrait à les réduire en moyenne de 8% par an, contre un rythme annuel observé de 1,5% durant la décennie passée 50. La Commission européenne a estimé qu’atteindre ces objectifs impliquera de combler un déficit d’environ 260 milliards d’euros d’investissements bas carbone par an, soit un effort additionnel de 1,5% du PIB.
L’une des difficultés à venir résulte de l’hétérogénéité des modèles énergétiques des États membres : en Pologne et en République tchèque, le charbon (encore présent en grandes quantités dans le sous-sol) est l’un des piliers de la compétitivité industrielle depuis les années 1990. Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre s’y traduiront par une augmentation des coûts de production et, possiblement, par une augmentation de la dépendance énergétique (en cas de substitution charbon/gaz par exemple). L’allocation d’un Fonds de transition juste, dédié de manière privilégiée aux pays producteurs de charbon, constituera l’un des mécanismes essentiels du Green Deal 51.
La crise sanitaire a conduit à intégrer le Green Deal dans la stratégie européenne de relance. En mai 2020, la Commission européenne a proposé le plan Next Generation EU conduisant à lever 750 milliards d’euros sur les marchés sans grever les dettes publiques des États et à porter le budget pluriannuel européen à hauteur de 1.100 milliards d’euros. Bien que l’objectif principal soit de soutenir l’économie, l’accord prévoit notamment qu’un minimum de 30% des fonds Next Generation EU soit consacré à des projets liés à la lutte contre le réchauffement climatique. Les dépenses seront guidées par une nouvelle taxonomie du financement durable, qui encouragera les investissements privés dans les technologies qui contribueront à au moins un des six paramètres et objectifs environnementaux définis par l’Union européenne, y compris l’atténuation du changement climatique 52. Les États membres devront élaborer des « plans de relance et de résilience » nationaux pour la période 2021-2023, intégrant une part environnementale minimale de 30% 53. En 2022, le Conseil européen pourra examiner et contrôler la dimension environnementale des plans nationaux. En France, 30 des 100 milliards d’euros du plan de relance dévoilé en septembre 2020 sont dédiés à la transition énergétique (bâtiment, rail et nouvelles mobilités, énergies renouvelables, hydrogène, etc.).
En outre, une partie du fonds étant allouée sous forme de subventions, il sera impératif que l’Union européenne crée de nouvelles ressources propres pour rembourser elle-même les 750 milliards, sans imputation directe aux États ou aux contribuables européens. Les approches envisagées reposent sur l’introduction de taxes écologiques, que Bruxelles percevrait directement. Elles pourraient consister notamment à étendre le système actuel d’échange de droits d’émission de carbone aux secteurs de l’aviation et du transport maritime, à créer une taxe sur les déchets plastiques à partir de 2021 ou à imposer une taxe carbone aux frontières extérieures de l’Union européenne, de manière à sanctionner les pays tiers qui ne respectent pas l’Accord de Paris.
Un large éventail de filières génératrices d’emplois européens…
Voir Commission européenne, « Le pacte vert pour l’Europe », art. cit.
Sans occulter une contribution significative des carburants de substitution durables et des améliorations de l’efficacité du système de transport.
Voir IFP Énergies nouvelles (Ifpen)-Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), « Transition énergétique bas-carbone : quelles évolutions de la géopolitique de l’énergie ? Conclusions du projet Generate », communiqué de presse, 18 juin 2020, p. 4.
Les différentes trajectoires envisagées dans le Green Deal et susceptibles d’aboutir à la neutralité visée en 2050 s’appuient sur plusieurs piliers communs 54 :
- un rôle central de l’efficacité énergétique conduisant à une diminution de la demande d’énergie primaire en 2050, qui devrait être de 30 à 50% inférieure aux niveaux de 2005, et dans le secteur résidentiel, ce recul serait de 40 à 60% ;
- des niveaux très élevés d’électrification des utilisations finales (jusqu’à plus de 50%), avec une décarbonation quasi complète du secteur de l’électricité rendue possible par une production renouvelable à plus de 80%. Ces transferts d’usages seraient massifs dans le domaine de la mobilité, avec une part prédominante des voitures électriques dans le parc automobile de l’Union européenne (et un recours à l’hydrogène pour le transport de marchandises, le ferroviaire, etc.) 55 ;
- le développement d’une infrastructure de réseau intelligent et des interconnexions étendues entre États membres, l’électrification et le déploiement d’énergies renouvelables variable nécessitant une coopération transfrontalière accrue ;
- dans l’industrie, une diminution de la demande d’énergie de 20 à 30% par rapport à 2015, impliquant des processus d’économie circulaire (comme l’organisation de filières de recyclage ou la production d’énergie à base de déchets).
Certes, l’expérience du photovoltaïque par le passé et des batteries actuellement (et peut-être des véhicules électriques à l’avenir) met à l’abri de toute vision angélique quant à la capacité de l’Europe à gagner les batailles industrielles des technologies bas carbone. En guise d’alerte, certains soulignent que l’innovation dans le secteur des renouvelables « est largement tirée par l’Asie, qui représente aujourd’hui près de 52% des brevets, dont 29% sont détenus par la seule Chine 56 ».
Voir International Renewable Energy Agency (Irena), Renewable Energy and Jobs. Annual Review 2019, p.29. Selon une autre estimation, « en 2015, on comptait un peu plus de 2 millions d’emplois directs dans le secteur de l’énergie en Europe, dont plus de 50% dans le secteur des énergies renouvelables. Avec l’augmentation rapide des installations d’énergie renouvelable jusqu’en 2025, les emplois dans le secteur de l’énergie devraient atteindre environ 3,7 millions et se stabiliser entre 3,3 millions d’ici à 2035 et 3,4 millions d’ici à 2050 [traduit de l’anglais] » (Manish Ram, Arman Aghahosseini et Christian Breyer, « Job creation during the global energy transition towards 100% renewable power system by 2050 », Technological Forecasting & Social Change, n° 151, février 2020).
Voir Lionel Fontagné, Philippe Martin et Gianluca Orefice, « The international elasticity puzzle is worse than you think », Journal of International Economics, n° 115, novembre 2018, p. 115-129.
Pour anticiper les effets en termes d’emploi, il convient cependant de garder à l’esprit les repères suivants : dès lors que les filières d’hydrocarbures correspondent à l’exploitation de ressources extraites hors d’Europe, une part importante de la valeur ajoutée et des emplois (extraction, transport, raffinage en partie) est d’ores et déjà localisée hors d’Europe. Les filières pétrolière, gazière et charbonnière emploient environ 500.000 personnes en Europe, contre 1,2 million pour les renouvelables 57. Surtout, dès lors que les bâtiments sont la principale source d’émissions de l’Union européenne (représentant plus d’un tiers du total), l’amélioration de l’efficacité thermique de millions de bâtiments créera des centaines de milliers de nouveaux emplois « ancrés » en Europe. Une observation du même ordre peut être formulée pour ce qui procède de l’économie circulaire et de l’organisation de « circuits courts ». Naturellement, dès lors qu’il s’agit d’envisager des transformations profondes du système énergétique, il convient également de prendre en compte les effets induits via le coût des consommations énergétiques : par exemple, concernant l’impact des coûts de l’électricité sur les exportations de voitures, des chercheurs ont estimé qu’une augmentation de 1% réduisait le volume d’exportations d’environ 0,2% 58.
Voir Hadrien Hainaut, Maxime Ledez, Quentin Perrier, Benoît Leguet et Patrice Geoffron, Relance : comment financer l’action climat, Institute for Climate Economics (I4CE), juillet 2020.
Un travail d’évaluation, pour la France, d’un plan de relance « verte » fournit des ordres de grandeur utiles 59. Se référer au cas de la France est intéressant dans la mesure où le développement des énergies renouvelables y est moindre qu’en Allemagne ou au Danemark, ce qui permet d’illustrer la capacité néanmoins à capter emplois et valeur ajoutée. Schématiquement :
- la transition permettrait de créer ou de sauvegarder 400.000 emplois à l’horizon 2025 et 680.000 en 2030, représentant une hausse du taux d’emploi de la population active de 2,6%. Ces créations sont sans commune mesure avec les pertes dans le secteur de l’énergie (– 5.000 emplois en 2025) ;
- le secteur de la construction serait celui qui créerait le plus d’emplois (+ 135.000 en 2025, soit 34% du total des créations). L’industrie hors énergie créerait ou sauvegarderait 22.000 emplois et la relance serait neutre sur le secteur automobile (sous réserve d’une localisation de la fabrication des batteries électriques) ;
- l’augmentation des dépenses publiques serait plus que compensée par la croissance des recettes publiques, permettant de réduire le ratio de dette publique de 2,4 points de PIB en 2025 et de 6,7 points de PIB en 2030.
Pompes à chaleur : l’exemple d’une filière discrètement dominée par l’Europe
Les pompes à chaleur sont de plus en plus utilisées en Europe. Les marchés les plus importants sont les pays du sud de l’Europe où ces dispositifs sont principalement utilisés pour fournir du froid. L’Italie, l’Espagne et la France représentent à elles seules près de 80% des ventes, dont le volume a augmenté de 40% entre 2014 et 2017. Le chiffre d’affaires généré en 2017 en Europe était supérieur à 7 milliards d’euros. La construction de logements neufs constitue le principal marché. Toutefois, les perspectives sont importantes en matière de rénovation des logements : les pompes à chaleur actuelles peuvent fournir des températures plus élevées et donc mieux répondre aux besoins énergétiques du parc immobilier ancien. L’Europe compte près de 200 entreprises de pompes à chaleur, soit 70% du nombre total d’entreprises dans le monde. En termes de prix à la consommation, les coûts d’exploitation des pompes à chaleur sont parmi les plus bas du secteur du chauffage et du refroidissement. Toutefois, les coûts d’investissement initiaux sont élevés, ce qui se traduit par des délais d’amortissement pouvant aller jusqu’à vingt ans. Source : Commission européenne, Competitiveness of the heating and cooling industry and services, final report, 28 juin 2019, part. 1 et part. 2. |
Une zone grise est le rôle que l’énergie nucléaire pourrait jouer dans la stratégie européenne de décarbonation : l’enjeu est la définition en cours de la taxonomie des financements durables pour l’Union européenne et l’inclusion ou non de l’énergie nucléaire dans son périmètre (ainsi que les centrales électriques et les infrastructures gazières). En obligeant les fournisseurs de produits financiers à divulguer les investissements qui répondent aux critères climatiques à partir de la fin de 2021, les nouvelles règles de financement vert de l’Union européenne sont conçues pour canaliser les ressources vers des projets concordants avec ses objectifs climatiques. Les acteurs du nucléaire craignent que si leur industrie est jugée « non durable » selon les critères fondant la taxonomie, le coût du capital pour les centrales électriques augmentera, alors que des projets comme celui du réacteur Hinkley Point C, en Grande-Bretagne, doivent faire face à des coûts très élevés. Il est à noter que le nucléaire est bien inclus dans le plan de relance français de septembre 2020, à hauteur de 500 millions d’euros.
… dont le déploiement produira une variété de cobénéfices
« The positive effects that a policy or measure aimed at one objective might have on other objectives, thereby increasing the total benefits for society or the environment » (Intergovernmental Panel on Climate Change-IPCC, Global warming of 1.5°C, 2019, p. 546).
Voir Christophe Cassen, Céline Guivarch et Franck Lecocq, « Les cobénéfices des politiques climatiques : un concept opérant pour les négociations climat ? », Natures Sciences Sociétés, 23, suppl. n° 3, juin 2015, p. 41-51 ; Wolfgang Buchholz, Anil Markandya, Dirk Rübbelke et Stefan Vögele (dir.), Ancillary Benefits of Climate Policy. New Theoretical Developments and Empirical Findings, Springer, 2020 ; et Mikael Karlsson, Eva Alfredsson et Nils Westling, « Climate policy co-benefits: a review », Climate Policy, vol. 20, n° 3, mars 2020, p. 292-316.
Voir Patrice Geoffron et Benoît Thirion, Les Co-Bénéfices du fret ferroviaire. Éléments d’évaluation et propositions, rapport pour l’alliance Fret ferroviaire français pour le futur, Altermind, 22 juin 2020. D’autres auteurs présentent la valorisation des cobénéfices locaux comme susceptible d’entraîner un effet yes-in-my-backyard, soit l’inverse du not-in-my-backyard (« pas dans ma cour », en français), expression utilisée pour caractériser l’opposition de citoyens à l’implémentation locale de politiques publiques d’intérêt général par peur d’externalités négatives près de chez eux (voir Arturo Balderas Torres, Douglas C. MacMillan, Margaret Skutsch et Jon C. Lovett, « ‘Yes-in-my-backyard’: Spatial differences in the valuation of forest services and local co-benefits for carbon markets in México », Ecological Economics, n° 109, janvier 2015, p. 130-141).
Certains auteurs indiquent que les cobénéfices sont généralement négligés dans la définition des politiques, biais qui peut conduire à une sous-estimation des effets positifs et à une mauvaise calibration de ses Cette absence d’intégration des cobénéfices conduit à rester centré sur les coûts directs des politiques et à en fixer l’ambition à un niveau suboptimal (voir Mikael Karlsson, Eva Alfredsson et Nils Westling, art. cit.).
Voir John Balbus, Jeremey B. Greenblatt, Ramya Chari, Dev Millstein et Kristie Ebi, « A wedge-based approach to estimating health co-benefits of climate change mitigation activities in the United States », Climatic Change, vol. 127, n° 2, octobre 2014, p. 199-210.
Voir Jason West, Steven J. Smith, Raquel A. Silva, Vaishali Naik, Yuqiang Zhang, Zachariah Adelman, Meridith M. Fry, Susan Anenberg, Larry W. Horowitz et Jean-Francois Lamarque, « Co-benefits of mitigating global greenhouse gas emissions for future air quality and human health », Nature Climate Change, vol. 3, n° 10, octobre 2013, p. 885-889.
Voir David Coady, Ian H. Parry, Louis Sears et Baoping Shang, « How Large Are Global Energy Subsidies? », IMF Working Paper n° 15/105, 18 mai 2015.
Voir Mikael Skou Andersen, « Co-benefits of climate mitigation: Counting statistical lives or life-years? », Ecological Indicators, n° 79, août 2017, 11-18 ; et Johannes Bollen, « The value of air pollution co-benefits of climate policies: Analysis with a global sector-trade CGE model called WorldScan », Technological Forecasting and Social Change, vol. 90, janvier 2015, p. 178-191.
Les contraintes qui pèseront sur les finances publiques européennes dans la décennie à venir impliquent de mettre en œuvre les politiques susceptibles de produire une variété de bénéfices économiques, environnementaux, mais également, à la lumière de la crise, sanitaires. Il est donc essentiel d’intégrer les cobénéfices associés aux politiques de transition bas carbone et définis comme « les effets positifs qu’une politique ou une mesure visant un objectif pourrait avoir sur d’autres objectifs, augmentant en cela les bénéfices totaux pour la société ou l’environnement 60 ». Cette recherche de cobénéfices forme de longue date l’un des objectifs explicites des politiques climatiques, apparu dès le milieu des années 1990 dans les travaux du GIEC 61. Tandis que les bénéfices directs de la réduction des gaz à effet de serre sont globaux, certains cobénéfices, comme la réduction de la pollution de l’air, sont directement observables à l’échelle régionale et à court terme, le tout étant propice à la mobilisation des moyens et à l’émergence de consensus locaux 62.
De nombreux travaux viennent confirmer que les évaluations qui ne tiennent pas compte des cobénéfices sous-estiment inévitablement les avantages réels d’une transition bas carbone, ce qui est d’autant plus préjudiciable que ces effets ne sont généralement pas de second ordre 63.
À titre d’exemple :
- les avantages en termes de santé sont évalués pour un montant compris entre 40 et 200 dollars par tonne de CO2 évitée (variable selon les pays considérés) 64 ;
- la réduction annuelle des décès prématurés pourrait être, respectivement, de 0,5 et 1,3 millions en 2030 et 2050, à l’échelle globale 65 ;
- le coût des dommages est réduit de 6,5% du PIB mondial lorsque les combustibles fossiles sont remplacés par des énergies propres 66 ;
- à l’échelle mondiale, les avantages connexes en termes de qualité de l’air représentent environ 75% des coûts d’atténuation 67.
Voir Detlef van Vuuren, Janusz Cofala, Hans Eerens, Rineke Oostenrijk, Chris Heyes, Michel den Elzen, Zbigniew Klimont et Markus Amann, « Exploring the ancillary benefits of the Kyoto Protocol for air pollution in Europe », Energy Policy, vol. 34, n° 4, mars 2006, p. 444-460.
Voir Simone Schucht, Augustin Colette, Shilpa Rao, Mike Holland, Wolfgang Schöpp, Peter Kolp, Zbigniew Klimont, Bertrand Bessagnet, Sophie Szopa, Robert Vautard, Jean-Marc Brignon et Laurence Rouïl, « Moving towards ambitious climate policies: Monetised health benefits from improved air quality could offset mitigation costs in Europe », Environmental Science & Policy, n° 50, juin 2015, 252-269.
Voir Antoine Dechezleprêtre, Nicholas Rivers et Balazs Stadler, « The economic cost of air pollution: Evidence from Europe », OECD Economics Department, Working Papers n° 1584, 12 décembre 2019.
Voir Anna Krook Riekkola, Erik Ahlgren et Patrik Söderholm, « Ancillary benefits of climate policy in a small open economy: The case of Sweden », Energy Policy, vol. 39, n° 9, septembre 2011, p. 4985-4998.
Voir Myriam Tobollik, Menno Keuken, Clive Sabel, Hilary Cowie, Jouni Tuomisto, Denis Sarigiannis, Nino Künzli, Laura Perez et Pierpaolo Mudu, « Health impact assessment of transport policies in Rotterdam: Decrease of total traffic and increase of electric car use », Environmental Research, n° 146, avril 2016, 350-358.
Voir Felix Creutzig, Rainer Mühlhoff et Julia Römer, « Decarbonizing urban transport in European cities: four cases show possibly high cobenefits », Environmental Research Letters, 7, n° 4, octobre-décembre 2012.
Voir Benjamin Sovacool, Mari Martiskainen, Andrew Hook et Lucy Baker, « Beyond cost and carbon: The multidimensional co-benefits of low carbon transitions in Europe », Ecological Economics, n° 169, article 106529, mars 2020.
Voir Hadrien Hainaut, Maxime Ledez, Quentin Perrier, Benoît Leguet et Patrice Geoffron, Investir en faveur du climat contribuera à la sortie de crise, Institute for Climate Economics (I4CE), avril 2020, et id., Relance : comment financer l’action climat, op. cit.
Intégrer les cobénéfices à la décision publique est non seulement une nécessité, mais une source d’espérance pour les Européens. Des travaux ont établi de longue date leur portée pour l’Union dans son ensemble : les seuls cobénéfices de la qualité de l’air liés à la réalisation des objectifs européens du protocole de Kyoto représentent environ 50% des coûts de mise en œuvre de cette politique 68, proportion parfois même évaluée à 85% 69. D’autres chercheurs observent, à l’inverse, qu’une croissance de la concentration de particules fines (PM2,5) de 1 μg/m3 (correspondant à une augmentation moyenne d’environ 10 % en Europe) induit une contraction du PIB de 0,8% et concluent que ces coûts économiques dépassent largement ceux engagés pour réduire ces pollutions 70.
L’ensemble de ces travaux fait écho à des estimations réalisées sur une base nationale qui constatent que la politique climatique suédoise produit des effets bénéfiques pour la santé pouvant atteindre 32 euros par tonne de CO2 évitée 71. D’importants cobénéfices sont également mis en évidence dans le cadre d’analyses conduites à l’échelle de villes européennes comme Rotterdam 72 ou Barcelone, Malmö, Sofia et Fribourg-en-Brisgau 73. Pour apprécier la diversité des cobénéfices, on pourra se référer à des recherches qui en estiment une large gamme dans les domaines économiques, environnementaux, techniques, sociaux et politiques à partir d’un travail très « granulaire » portant sur l’Allemagne, la France, la Norvège et la Grande-Bretagne 74. Spécifiquement pour la France, on pourra également consulter un travail en cours qui a sélectionné différents secteurs susceptibles de produire des cobénéfices économiques- environnementaux-sanitaires s’ils faisaient l’objet d’une impulsion publique en sortie de crise : la rénovation des logements privés et des bâtiments tertiaires (publics et privés), le déploiement des voitures bas carbone, les infrastructures de transport en commun, les infrastructures ferroviaires, les aménagements cyclables et la production d’électricité renouvelable 75.
Exemple des cobénéfices d’un accroissement du fret ferroviaire en France
Les acteurs de la filière estiment possible de doubler la part modale du fret ferroviaire à horizon 2030. La réalisation de cet objectif passe par l’amélioration de la compétitivité des opérateurs, par un investissement additionnel dans l’infrastructure, estimé à environ 13 milliards d’euros (dont une partie a également vocation à bénéficier au transport de voyageurs) et par des mesures de soutien public renforcées, à hauteur de 200 millions d’euros supplémentaires par an. Compte tenu de l’importance d’un tel investissement, au sortir d’une crise inédite par sa nature et ses répercussions, l’appréciation de sa pertinence doit nécessairement prendre en compte tous ses effets, y compris, au-delà du multiplicateur de l’investissement public sur l’activité et l’emploi locaux, les bénéfices environnementaux et sanitaires. Différents scénarios tendent à montrer que cet investissement, accompagnant un doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici à 2030, permettrait d’éviter entre 16 et 30 milliards d’euros d’externalités négatives sur la période 2021-2040 (bruit, congestion, CO2, pollutions de l’air, accidents…), avec une année pivot, c’est-à-dire présentant des externalités négatives évitées au moins égales aux 13 milliards d’euros d’investissement, située entre 2033 et 2037. Source : Patrice Geoffron et Benoît Thirion, Les Co-Bénéfices du fret ferroviaire. Éléments d’évaluation et propositions, Rapport pour l’alliance « Fret ferroviaire français pour le futur », Altermind, 22 juin 2020. |
Quelle place pour l’Europe dans la géopolitique d’un monde en sortie de l’ère du carbone ?
Voir Jean-François Mercure, Hector Pollitt, Jorge Vinuales et al., « Macroeconomic impact of stranded fossil fuel assets », Nature Climate Change, 10, n° 7, juillet 2018, p. 588-593.
Voir Clément Bonnet, Samuel Carcanague, Emmanuel Hache, Gondia Sokhna Seck et Marine Simoën, « Vers une géopolitique de l’énergie plus complexe ? Une analyse prospective tridimensionnelle de la transition énergétique », Policy Research Working Paper, Projet Generate, Ifpen-Iris, janvier 2019.
Ces perspectives offertes à l’Europe doivent être replacées face aux incertitudes d’un monde en transformation, la sortie du modèle énergétique historique étant susceptible de provoquer une diversité de chocs : macroéconomiques, commerciaux ou encore migratoires 76.
Trois enjeux forment le cœur de la géopolitique d’un monde en voie de décarbonation : l’importance des matériaux nécessaires à la production des technologies bas carbone ; les dynamiques d’innovation dans ces technologies et le rôle de la propriété intellectuelle ; les interactions entre la transition énergétique et les économies exportatrices de combustibles fossiles 77.
Le graphique ci-dessous permet d’entrapercevoir les turbulences de la transition et d’identifier, de façon schématique, les perdants et les gagnants d’un tel processus de transformation historique : les États sont différemment préparés à l’entrée dans un monde post-carbone. Certains dépendent massivement des exportations d’hydrocarbures (Russie, OPEP), flux qui représente jusqu’à plus de 90% de leurs recettes d’exportations. D’autres ont développé un portefeuille de technologies (énergies renouvelables, batteries, véhicules électriques) qui présentent un grand potentiel de valeur économique dans ce monde nouveau.
Exposition aux risques de transition
Source :
International Renewable Energy Agency (Irena), A New World. The Geopolitics of the Energy Transformation, 2019, p. 27.
Voir World Bank, The Growing Role of Minerals and Metals for a Low Carbon Future, World Bank Publications, juin 2017, p.17.
Voir à ce sujet Jacques Percebois, Prix de l’électricité : entre marché, régulation et subvention, Fondation pour l’innovation politique, février 2019.
Clément Bonnet, Samuel Carcanague, Emmanuel Hache, Gondia Sokhna Seck et Marine Simoën, art. cit., p. 3.
International Renewable Energy Agency (Irena), Global Renewables Outlook: Energy transformation 2050, avril 2020, p. 110.
Par ailleurs, il importe d’observer le positionnement des États dans les chaînes de valeur structurant l’économie bas carbone et l’émergence de nouvelles formes de pouvoirs qui en résultera. En amont, les technologies et les batteries renouvelables nécessitent l’extraction de minerais spécifiques tels que le cobalt, le lithium et les terres rares. La plupart de ces minerais ne sont certes pas géologiquement rares, mais leur production est assez concentrée. Surtout, la demande de ces métaux pourrait décupler d’ici à 2050, pour la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris 78.
La Chine, qui concentre la production de terres rares, peut en faire une arme stratégique, étant donné sa position forte, au cœur des chaînes de valeur, dans la production de produits intermédiaires ou finis (panneaux photovoltaïques, batteries, éoliennes, véhicules électriques…). De plus, la taille de son marché intérieur donne mécaniquement à ses leaders nationaux une taille critique sur la scène internationale. En aval, de nombreux pays pourraient devenir des exportateurs structurels d’électricité sans carbone. Par exemple, on estime que les ressources éoliennes et solaires de l’Australie sont supérieures de 75%, en termes économiques, à ses ressources combinées de charbon, de gaz, de pétrole et d’uranium.
Certes, comme dans le cas du Chili, l’éloignement des zones de consommation limitera probablement le potentiel d’exportations, mais certains pays, comme le Brésil, le Bhoutan, le Laos ou la Norvège, sont d’ores et déjà des exportateurs nets. De telles évolutions préfigurent également une nouvelle géographie des échanges énergétiques : si le pétrole et le gaz naturel liquéfié sont négociés à l’échelle mondiale, l’électricité est actuellement échangée à l’échelle régionale.
Des innovations dans le transport à très haute tension – minimisant les pertes – pourraient contribuer à renforcer les échanges d’électricité sur de plus longues distances 79. Cette perspective constitue l’un des axes du projet chinois, la Belt and Road Initiative, qui avec de multiples développements d’infrastructures (ports, chemins de fer, routes, pipelines…) a aussi pour ambition de créer un réseau électrique mondial pour transporter de l’électricité à très longue distance. Préfigurant, à un terme sans doute encore lointain, de nouvelles routes énergétiques.
Une étude conclut à la complexification de la géopolitique énergétique durant les prochaines décennies, en attirant l’attention sur trois dimensions essentielles :
- « les pouvoirs de marché des pays producteurs des matériaux de la transition énergétique risquent de s’accentuer dans les années à venir et les politiques de recyclage pourraient permettre de réduire le coût de la transition énergétique ;
- les politiques climatiques doivent s’assurer que les droits de propriété intellectuelle ne deviennent pas un point de blocage de la négociation climatique ;
- la diversification des économies productrices d’hydrocarbures est déterminante pour le déploiement des énergies renouvelables et, plus largement, sur le rythme et les modalités de la transition énergétique au niveau global 80. »
Soulignons enfin, pour anticiper cette aptitude de l’Europe à tirer les fruits de cette transition dans ce nouveau cadre géopolitique, les conclusions d’une autre étude : l’ensemble des effets d’une transition bas carbone représentera des gains cumulés de l’ordre de 100.000 milliards de dollars d’ici à 2050 en termes de PIB mondial, soit près de 400 dollars par habitant de la planète chaque année 81. Si la répartition de ces gains est inégale entre les régions, elle pourrait représenter pour l’Union européenne jusqu’à 3.000 dollars par habitant et par an, très au-delà de ce qui pourrait être observé dans chacune des autres régions du monde. Ce qui revient à dire que l’Europe aura les moyens d’opérer sa transition, à la condition de compenser ses États membres les plus fragilisés, mais également les industries et les ménages pour lesquels le coût de cette grande transformation pourrait être écrasant.
Effets sur la croissance d’une transition bas carbone
Source :
International Renewable Energy Agency (Irena), Global Renewables Outlook: Energy transformation 2050, avril 2020, p. 50.
Conclusion
Ibid.
Les temps étaient incertains avant la crise sanitaire, ils le sont encore plus depuis son avènement. Le monde aura affronté deux crises (supposément) centennales en une douzaine d’années, turbulences qui n’auront pas épargné l’Union européenne et fondent une demande de résilience. Dans un tel contexte, une stratégie qualifiée de « sans regret » correspond à une orientation de politique publique susceptible de produire des résultats bénéfiques, quels que soient les « états du monde » au cours de cette décennie. Nous avons analysé la transition bas carbone en Europe à la lumière des événements de cette année 2020 et en concluons que cette transition est dans l’intérêt des Européens quelles que soient les circonstances futures : parce que la dépendance aux importations de pétrole et de gaz augmente inexorablement, parce que la localisation dans l’Union des actifs nécessaires à la délivrance de services énergétiques permettra de faire face à une diversité de chocs futurs (climatiques, géopolitiques, économiques), parce que l’actuel modèle énergétique fait peser sur les Européens des pollutions délétères dont le coût collectif représente plusieurs points de PIB chaque année (et une mortalité plus importante que le Covid-19 à ce jour), parce que l’Europe est en quête de leadership industriel et qu’aucune autre option ne présente un tel potentiel 82.
Enfin, le continent qui a inauguré l’ère du carbone au XIXe siècle possède une responsabilité historique dans l’invention de l’ère post-carbone, responsabilité que ne sauraient occulter les circonstances présentes. Sans nul doute, l’engagement d’un Green Deal ambitieux dans le monde post-Covid-19 constitue plus encore un défi qu’auparavant : dans une Union européenne ébranlée par la crise économique, les effets redistributifs de cette transition doivent être anticipés (sur les ménages précaires, les secteurs intensifs en carbone, les pays encore dépendants du charbon…). La richesse créée en Europe par la transition bas carbone doit servir à ne pas laisser de regret à quiconque dans l’Union européenne.
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