Les enjeux de la note

Introduction – Flexibiliser le marché du travail et sécuriser les parcours professionnels : la réforme sur ses « deux jambes »

I.

Vers une plus grande flexibilité du marché du travail

1.

Résorber la segmentation du marché du travail

II.

Réformer les conditions d’éligibilité à l’assurance chômage

III.

Une politique d’allègement de charges plus ciblée

IV.

Une sécurisation accrue des parcours professionnels pour appréhender les nouveaux risques de l’environnement économique

1.

Les emplois aidés : mettre l’accent sur l’insertion dans le secteur marchand

2.

Améliorer le fonctionnement de la formation professionnelle

3.

Améliorer l’orientation professionnelle

4.

Moduler le financement de l’assurance chômage

5.

Approfondir le compte personnel d’activité

Conclusion

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Les enjeux de la note

La présente note se fixe pour objectif de réactiver et développer les arguments soumis à la discussion et à la concertation dans le cadre de la réforme du marché du travail français. Elle est organisée autour de deux axes :

– un axe portant sur la flexibilisation accrue du marché du travail, dans lequel sont ébauchées des pistes visant à résorber la dualité du marché du travail via, par exemple, la mise en place d’un contrat de travail unique aux conditions de licenciement assouplies (inscription ex ante des conditions de la rupture dans le contrat, plafonnement des indemnités de licenciement, allongement de la période d’essai, élargissement des motifs du licenciement économique…), la surtaxation des contrats à durée déterminée (établissement d’un système de quotas sur les contrats à durée déterminée) ou encore la mise en place d’un « contrat de travail intermittent ». La question des conditions d’éligibilité à l’assurance chômage y est également soulevée et les incitations les plus pertinentes y sont évaluées au regard des études disponibles sur le sujet (système d’« impôt négatif » conditionné à l’acceptation d’un travail peu rémunéré, plafonnement des revenus de remplacement en dessous de ceux du travail, responsabilisation accrue du conseiller de Pôle Emploi dans l’application des sanctions liées à la prospection d’emplois par le demandeur, réduction du taux de remplacement). Enfin, la note souligne tout l’intérêt d’une simplification des dispositifs d’allègement des cotisations sociales ciblant les salaires situés au niveau du Smic ;

– un axe concernant la sécurisation des parcours professionnels, qui souligne l’intérêt d’opérer un transfert de dotation budgétaire vers les emplois aidés du secteur marchand, pour lesquels le retour vers l’emploi des bénéficiaires est plus efficace. Des pistes visant à l’amélioration de la formation professionnelle sont également évoquées par le moyen d’un pilotage plus étroit des dispositifs, confié aux Régions et à un organisme chargé du contenu des programmes et de leur certification. L’orientation professionnelle peut également être améliorée via une information plus transparente sur les débouchés au moment de la soumission des vœux par le candidat au baccalauréat ou à un diplôme équivalent sur la plateforme d’admission post-bac (APB). La note soutient également l’institution du compte personnel de formation (CPF) en tant que socle de la formation professionnelle, soutenu par une hausse de la contribution des entreprises, son étatisation – la collecte devant désormais incomber aux Urssaf et le paiement des formations dispensées à la Caisse des dépôts. La note milite par ailleurs en faveur de la modulation du financement de l’assurance chômage et la création d’un compte bonus- malus au niveau de chaque entreprise, sur le modèle de l’« experience rating » américain incitant les entreprises procédant à des licenciements à assumer les coûts associés pour la collectivité, le chômage étant une externalité négative. Un approfondissement du compte personnel d’activité (CPA) est également suggéré dans le sens d’une plus grande universalité des droits ainsi que d’une meilleure portabilité et fongibilité de ceux-ci.

Faÿçal Hafied,

Spécialiste de la croissance et du financement de l’innovation.

Introduction – Flexibiliser le marché du travail et sécuriser les parcours professionnels : la réforme sur ses « deux jambes »

Notes

1.

Voir Sarah Belouezzane et Bertrand Bissuel, « Code du travail : ce qu’il y a dans le projet de loi d’habilitation », lemonde.fr, 21 juin 2017.

+ -

2.

L’avant-projet invite le législateur à trouver des garde-fous afin que les groupes ne soient pas tentés de créer artificiellement des filiales afin de bénéficier de conditions plus favorables dans le déclenchement d’un PSE.

+ -

3.

Le recours à cette modalité sera effectué « par accord de branche ou, à défaut, à titre expérimental », dans le12 cadre de CDI « pour la durée du chantier ».

+ -

La décision du président Macron de légiférer par ordonnances pour réformer le Code du travail s’inscrit dans sa promesse de campagne. Deux logiques sous-tendront leur déploiement : une flexibilisation accrue du marché du travail et l’octroi de nouveaux droits afin de mieux sécuriser les parcours professionnels.

L’avant-projet soumis au Parlement par le gouvernement pour le vote de la loi d’habilitation à légiférer par ordonnances a été dévoilé le 21 juin 20171. Il prévoit notamment une barémisation des indemnités prud’homales, de manière à lever les réticences des employeurs s’agissant de l’embauche en CDI. Le texte modifie également le périmètre retenu pour apprécier les difficultés financières d’un groupe international. Cette disposition avait déjà été discutée dans le cadre de la loi travail (dite loi El Khomri). L’objectif est de réduire le périmètre géographique du groupe aux seules filiales implantées en France ou en Europe dans le cadre d’un licenciement économique. Auparavant, les juges étaient conduits à considérer le groupe à l’échelle internationale dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE)2. Le projet de loi d’habilitation matérialise également la piste évoquée par le Premier ministre sur l’instauration d’un « contrat de projet », inspiré du contrat de chantier, qui ne s’applique pour l’heure qu’au secteur du BTP et qui permet notamment à l’employeur d’inscrire en amont, dans le contrat de travail, les raisons de l’extinction du contrat, dépendant de la réalisation d’un événement économique lié aux fluctuations de l’activité3. La durée du contrat peut, par exemple, être conditionnée à l’achèvement de la tâche à accomplir, ce qui donne plus de flexibilité à l’employeur. Le projet simplifie également le compte de pénibilité, notamment en matière d’obligations de déclaration.

Autre disposition majeure, le projet prévoit « de reconnaître et attribuer une place centrale à la négociation collective d’entreprise dans le champ des relations individuelles et collectives de travail applicable aux salariés de droit privé ». Cette mesure équivaut à une inversion de la hiérarchie des normes, les accords de branche et d’entreprise étant appelés à primer sur la convention de branche et la norme légale. L’effectivité de ce droit nouveau doit néanmoins se réaliser par un accord majoritaire et dans le respect des droits fondamentaux et des normes supranationales.

Le dernier volet du projet concerne la réforme des instances représentatives du personnel (délégués, comité d’entreprise, comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail, etc.), par leur fusion en une seule instance.
Le président de la République a fait savoir qu’il accolerait à ces dispositions de nouveaux droits en vue de sécuriser des parcours professionnels rendus plus volatils du fait des mutations profondes de l’économie. La numérisation accélérée disqualifie de nombreuses compétences, menace des emplois – notamment les moins qualifiés – et polarise le spectre des emplois occupés. La fragilisation du salariat conduit à des parcours professionnels plus heurtés. De là s’est imposée l’impérieuse nécessité de garantir un droit à la formation tout au long de la vie. Dans ce sens, Emmanuel Macron souhaite réformer en profondeur la formation professionnelle en l’affranchissant du paritarisme, notamment dans la collecte des fonds. Il a affirmé au moment de la campagne sa volonté d’étatiser l’assurance chômage en faisant financer l’Unédic par la contribution sociale généralisée (CSG). Il a souhaité rendre éligible à l’assurance chômage les démissionnaires et les indépendants pour prendre acte du caractère de plus en plus souvent discontinu des parcours professionnels. Enfin, le président s’est assigné pour mission de responsabiliser les employeurs lorsqu’ils licencient, via un « système de bonus-malus » aux contours qui restent à définir, le chômage étant une externalité négative pour l’ensemble de l’économie.

La présente note propose des pistes de mécanismes possibles, dans une perspective comparée et éclairée par la littérature scientifique existante, à mettre en œuvre dans l’accomplissement de ces objectifs.

I Partie

Vers une plus grande flexibilité du marché du travail

1

Résorber la segmentation du marché du travail

Notes

4.

Voir Assar Lindlbeck et Dennis J. Snower, The Insider–Outsider Theory of Employment and Unemployment, MIT Press, 1989.

+ -

5.

L’intérim constitue à cette même date 2,7% de la population active et l’apprentissage, 1,6%. Voir Simon Beck et Joëlle Vidalenc, « Une photographie du marché du travail en 2016 », Insee première, n°1648, mai 2017, p. 2.

+ -

A. Un cloisonnement contractuel CDD-CDI qui érige des barrières entre insiders et outsiders

Le modèle dit insiders-outsiders développé par les économistes Assar Lindlbeck et Dennis Snower4 permet d’éclairer la situation qui prévaut sur le marché du travail français. Les outsiders (ceux qui se situent « en dehors ») constituent les individus à faibles qualifications et faible « employabilité ». À l’opposé, les insiders (ceux qui sont protégés, « à l’intérieur » du marché) sont les individus disposant d’un capital humain élevé mais également d’un fort capital spécifique (savoir-faire et méthodes propres à chaque entreprise). Le modèle insider-outsider nous enseigne que les employeurs sont averses aux coûts de rotation de la main-d’œuvre (coûts de licenciement, coûts liés à la prospection des candidats, perte du capital humain liée au départ d’employés formés aux compétences requises en interne, etc.). Cette aversion explique également qu’un CDI très protecteur (coût de licenciement élevé) puisse se révéler dissuasif à l’embauche pour les employeurs. Cette « barrière à l’entrée » tient durablement écartés les outsiders du marché du travail. La protection dont bénéficient les salariés à durée indéterminée, combinée à l’existence d’un dualisme contractuel entre CDD et CDI, renforce en France la segmentation du marché du travail.
En effet, si en France le CDI demeure la forme de relation contractuelle dominante – d’après l’Insee, il représentait 85,3% des contrats de la population active en 2016 contre seulement 10,5% pour le CDD5 –, le pays se caractérise par un dualisme prononcé de son marché du travail. Par dualisme, on entend le fort cloisonnement entre CDD et CDI, et sa constitution en tant que marqueur de la rigidité du marché.
Tout d’abord, le CDD rassemble une population plus fragile que celle disposant d’un CDI. Trois catégories de personnes apparaissent ainsi surreprésentées à l’intérieur du CDD : les jeunes, les femmes et les individus pas ou peu qualifiés. En effet, les jeunes âgés de 15 à 24 ans représentent 32,1% des CDD (contre seulement 9,5% des personnes âgées de 25 à 49 ans). Quant aux femmes, elles représentent 12,3% des travailleurs temporaires (contre seulement 8,6% des hommes).

Notes

6.

Yves Jauneau, « Les employés et ouvriers non qualifiés », Insee première, n° 1250, juillet 2009, p. 1.

+ -

7.

Thomas Le Barbanchon et Franck Malherbet, « An anatomy of the French labour market: country case study on labour market Segmentation », Employment Working Paper, n° 142, août 2013.

+ -

8.

Jean Flamand, « Les transitions professionnelles, révélatrices d’un marché du travail à deux vitesses », La Note d’analyse, n° 50, octobre 2016.

+ -

9.

Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2004, OCDE, 2004.

+ -

Une enquête de l’Insee portant sur l’année 2007 et réalisée en 2009 avait pointé « qu’un tiers des ouvriers non qualifiés [étaient] en contrats courts », alors que cette part était relativement plus faible parmi les employés non qualifiés (18% en 2007)6. Nous ne disposons pas d’études plus récentes, mais il est raisonnable de considérer que la corrélation entre faiblesse des qualifications et précarité de la relation contractuelle a persisté au cours de la décennie suivante.

Une étude publiée par le Bureau international du travail (BIT) observait que 97% des salariés embauchés en CDI avaient une chance d’être toujours en CDI le trimestre suivant, tandis qu’un salarié embauché en CDD n’avait, lui, que 76,6% de chances de travailler en CDD le semestre suivant7. Selon cette étude, la transformation d’un CDI en CDD (on parle de « taux de transition ») ne concerne que 5,6% des individus d’un semestre à l’autre. Le CDD, conçu à l’origine comme une sorte de passerelle vers l’emploi permanent, est en fait devenu pour les entreprises un instrument d’ajustement de leur besoin de main-d’œuvre (sauf pour les individus les plus qualifiés, pour lesquels le CDD prend la forme d’une sorte de « période d’essai déguisée »). Le CDD s’impose donc progressivement comme le mode privilégié des embauches. D’après l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), sur les 21 millions de contrats signés annuellement en France, les deux tiers le sont sous la forme de CDD courts, c’est-à-dire de moins d’un mois. Le parcours professionnel des salariés temporaires est également plus précaire et chaotique. Une étude de France Stratégie le confirme : la probabilité pour un salarié en CDI de perdre son emploi l’année suivante n’est en France que de 2%, contre 13% pour le titulaire d’un CDD et 22% pour un intérimaire8.

On l’a vu, la frilosité des employeurs dans l’embauche sous contrats à durée indéterminée est due à la rigidité du CDI. Celui-ci bénéficie en effet de protections plus fortes, notamment en matière de coûts de licenciement. La juridicisation des procédures de licenciement constitue un frein à l’embauche, d’autant que la France a, selon l’OCDE, un taux de contentieux élevé, de l’ordre de 22% contre, par exemple, 5% pour la Finlande9.

Notes

10.

Jean Tirole et Olivier Blanchard, Protection de l’emploi et procédures de licenciement, Conseil d’analyse économique/La Documentation française, 2003.

+ -

11.

Pierre Cahuc et Francis Kramarz, De la précarité à la mobilité : vers une Sécurité sociale professionnelle, La Documentation française, 2005.

+ -

B. Quels ajustements possibles pour remédier à cette segmentation du marché du travail ?

Pour remédier à cette segmentation, plusieurs pistes sont envisageables. Nous présentons ci-dessous les avantages et les limites qui leur sont associés.

Piste n° 1. Un contrat de travail unique à durée indéterminée aux conditions de licenciement assouplies

Cette proposition a été lancée au milieu des années 2000 dans les rapports Tirole-Blanchard10 et Cahuc-Kramarz11. Il s’agit pour l’heure de la solution qui fait l’objet de la réflexion la plus aboutie. Elle s’est récemment traduite dans l’idée d’un « contrat agile » portée par plusieurs centrales syndicales. Toutes ces propositions pourraient s’inscrire dans un nouveau contrat unique. Elles convergent sur un point : l’assouplissement des procédures de licenciement. En effet, pour supprimer le CDD – devenu une soupape de gestion de l’activité –, le nouveau CDI unique doit incorporer davantage de flexibilité sans quoi il deviendra dissuasif. L’assouplissement des conditions de licenciement pourra être contrebalancé par l’introduction d’un système de bonus-malus dans le financement de l’assurance chômage, à la charge de l’entreprise procédant au licenciement comme nous le montrerons plus loin (voir 2e partie, IV, B). Cette réflexion sur l’assouplissement des procédures de licenciement dans le cadre du CDI unique a pris plusieurs directions.

a) Inscrire en amont du CDI unique les conditions de la rupture contractuelle pour des événements tenant aux fluctuations de l’activité économique

Le Mouvement des entreprises de France (Medef) a proposé l’extension du contrat de chantier aux activités à plus forte valeur ajoutée. Le contrat de chantier, circonscrit pour l’heure au secteur du BTP, est un CDI auquel l’employeur peut mettre fin au moment de l’extinction d’une mission précisée lors de la rédaction du contrat. Cette disposition se justifie dans ce secteur du fait de sa forte saisonnalité. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) s’est quant à elle prononcée pour un « contrat de croissance », plus souple que la solution dessinée par le contrat de chantier, qui viserait à ne maintenir le contrat que dans le cas de l’accomplissement d’objectifs progressifs dépendant de l’activité économique. Le gouvernement d’Édouard Philippe semble s’acheminer vers ce mécanisme. Dans un entretien télévisé du 20 juin 2017, le Premier ministre s’est dit intéressé par le principe du « contrat de projet, qui serait un contrat à durée indéterminée mais lié à un fait certain » proche de ce qui « existe dans le bâtiment12 ».

Notes

13.

Si le salarié a au moins 2 ans d’ancienneté dans l’entreprise et que celle-ci emploie au moins 11 salariés.

+ -

15.

Les Français et la réforme du Code du travail, sondage Elabe pour Les Échos, l’Institut Montaigne et Radio Classique, 25 mai 2017. Voir Alain Ruello, « Code du travail : les Français ne veulent pas du statu quo », lesechos. fr, 28 mai 2017.

+ -

b) Plafonner les indemnités de licenciement

Le plafonnement des indemnités de licenciement est le sens du nouveau « contrat à droits progressifs » italien entré en vigueur en mars 2015 et mis en place par le gouvernement de Matteo Renzi. S’il n’a pas été conçu comme un contrat de travail unique, il ambitionne néanmoins d’améliorer le taux de transition des CDD en CDI. Son succès spectaculaire – le taux de chômage est passé de 12,4% en mars 2015 à 11,5% en mars 2016, un an après sa mise en place – doit être nuancé par le fait que le président du Conseil italien a pris l’initiative d’une exonération importante des cotisations sociales (de l’ordre de 8.000 euros par contrat la première année pour la signature de tout contrat à droits progressifs). Cette baisse est donc possiblement biaisée par un effet d’aubaine.

En France, le salarié licencié sans cause réelle ni motif sérieux a droit à une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à 6 mois de salaire13. La loi française fixe donc un plancher d’indemnisation mais pas de plafond, ce qui s’avérerait dissuasif à l’embauche. Le principe du plafonnement a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans un avis du 5 août 201514. Le juge constitutionnel a, en revanche, jugé inconstitutionnel le fait d’adopter des régimes différenciés de plafond en fonction de la taille des entreprises au motif de la rupture d’égalité devant la loi. L’avant-projet de la loi travail retenait le principe du plafonnement en les liant à l’ancienneté du salarié, mais la mesure a finalement été abandonnée. Les Français sont majoritairement hostiles au plafonnement. D’après un sondage paru le 28 mai 2017, 56% des personnes interrogées disaient être hostiles au plafonnement15.

Notes

16.

Voir Michael Spence, « Job Market Signaling », The Quarterly Journal of Economics, vol. 87, n° 3, août 1973, p. 355-374.

+ -

18.

Par invocation de l’article 4 de ladite convention. Ce motif peut également être soulevé en application de l’article 24 de la Charte sociale européenne ainsi que l’article 30 de la Charte des droits fondamentaux.

+ -

19.

Pascal Lokiec, « Le contrat de travail unique en débat », Cahiers français, n° 394, septembre-octobre 2016, p. 42-47.

+ -

c) Allonger la période d’essai

Une autre solution consiste à allonger la période d’essai. En effet, comme nous l’enseigne la théorie dite du signal (signaling theory), développée par Michael Spence16, l’embauche est une situation classique d’asymétrie d’information : l’employeur ne connaît pas la valeur du candidat et, inversement, le candidat ne sait pas s’il s’épanouira dans le poste ouvert. Pour corriger cette asymétrie, l’employeur peut s’appuyer sur plusieurs indicateurs (diplômes obtenus, expériences antérieures figurant sur le CV…). Il peut également s’appuyer sur la période d’essai, qui lui permet de projeter la nouvelle recrue dans les conditions du poste afin de tester sa productivité et sa motivation. Allonger la période d’essai revient indirectement à faciliter les conditions de licenciement, puisque l’employeur peut se séparer sans coûts de licenciement (absence de motif de séparation, impossibilité théorique pour le salarié de contester la décision aux prud’hommes). Cette logique avait été testée au sein du contrat nouvelle embauche (CNE) et du contrat première embauche (CPE).

d) Assouplir les motifs du licenciement économique

Le licenciement est conditionné à l’expression d’un motif réel et sérieux par l’employeur. Par opposition au licenciement pour motif personnel, un licenciement est dit « économique » lorsque ses motifs ne sont pas inhérents à la personne mais procèdent d’une dégradation de l’environnement économique ou des transformations technologiques rencontrées par l’entreprise. Un licenciement économique peut être individuel ou collectif. Il est considéré comme collectif lorsqu’il concerne plus d’un salarié au cours d’une période de 30 jours. En cas de licenciement collectif, la procédure est sensiblement plus contraignante. L’article 30 de la loi El Khomri assouplissait la définition des « difficultés économiques ». Les difficultés économiques sont constatées lors d’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires sur un trimestre pour les sociétés de moins de 11 salariés, de deux trimestres consécutifs pour les entreprises de 50 à 300 salariés, de quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus17. Une définition encore plus souple tend à retenir la nécessité d’une réorganisation interne du fait d’une moindre compétitivité de l’entreprise.

La mise en place d’un contrat de travail unique n’est pas sans difficultés pratiques. En effet, la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) mentionne l’applicabilité directe et elle peut donc être invoquée par des particuliers contre leur employeur lors d’une rupture de contrat au motif qu’elle n’aurait pas été soumise à un juste motif18. Une autre difficulté de nature juridique tient dans la transition des CDI historiques en CDI uniques aux conditions de licenciement assouplies. Le Conseil constitutionnel pourrait y voir un motif d’intérêt général19.

Notes

20.

Voir Christophe Radé, Renforcer l’attractivité du contrat de travail à durée indéterminé, proposition pour France Stratégie, 2016.

+ -

Piste n° 2. Une surtaxation des CDD

Une surtaxation des CDD a récemment été mise en place dans le cadre de l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013. Son efficacité est discutable, dans la mesure où, comme nous l’avons souligné, l’essentiel des embauches se fait désormais par voie de CDD et que le taux de transition CDD-CDI demeure très faible. L’effet incitatif de la mesure a donc pu jouer au niveau du financement de l’assurance chômage en améliorant à la marge le solde structurel de l’assurance mais n’a pas eu d’impact significatif sur la part des CDI signés annuellement.

Piste n° 3. Un système de quotas du nombre de CDD passés

La mise en place d’un quota de CDD peut également être envisagée, à l’image des solutions expérimentées en Espagne, en Italie ou encore en Autriche. En Italie, par exemple, la part de CDD sur le nombre de CDI ne peut excéder 20% dans l’ensemble du pays.

Piste n° 4. Un contrat de travail intermittent

La fragilisation progressive du salariat du fait de la montée en puissance des plateformes numériques (Uber, TaskRabbit…), mais aussi, en même temps, la montée en force des velléités d’autonomie des travailleurs ont consacré de nouvelles formes d’emplois (indépendants, intérim…) et banalisé la relation travail. Parallèlement, la transformation numérique des entreprises occasionne un « chômage technologique » qui disqualifie principalement les compétences routinières (professions intermédiaires) et aboutit à une polarisation du travail (voir2e partie,V,A,c).

Le contrat à durée indéterminée a été forgé autour de l’idée de permanence. Le salariat en constitue le socle, mais les profondes mutations à l’œuvre au sein du travail rendent le CDI, dans sa forme classique, quelque peu obsolète en raison de la multiplication des périodes chômées et de la moindre linéarité des carrières – les individus étant de plus en plus amenés à alterner entre différentes formes d’emploi au cours de leur vie professionnelle, au gré de leurs aspirations. Des réflexions sont en cours autour de l’idée de « contrat de travail intermittent20». Il s’agirait d’un CDI souple, autorisant une alternance de périodes travaillées et non travaillées.

La mise en place de cette solution pose la question de la cotisation à l’assurance chômage pendant les périodes non travaillées. Un système de cotisation à des minima sociaux spéciaux pendant les périodes travaillées pourrait être l’une des pistes. Le droit à ces minima serait alors ouvert lors des périodes non travaillées, d’un montant plafonné et dégressif dans le temps.

II Partie

Réformer les conditions d’éligibilité à l’assurance chômage

Notes

21.

Pôle Emploi, « Poursuite de la baisse de l’ICDC au 1er trimestre 2016 », Statistiques et indicateurs, n° 16.022, 25 mai 2016.

+ -

23.

Voir Bruno Coquet, « Les intermittents du spectacle. Un régime d’assurance-chômage avantageux et discutable », Futuribles, n° 367, octobre 2010, p. 5-23.

+ -

24.

Plafonnée à 24 mois en dessous de 50 ans et à 36 mois au-dessus.

+ -

25.

OECD, Tax and Benefit Systems: OECD Indicators.

+ -

26.

Voir Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, Améliorer l’assurance chômage, Presses de Sciences Po, 2014.

+ -

27.

L’indice est égal à la moyenne non pondérée des sept paramètres suivants : le ratio d’éligibilité, le ratio de transformation, deux ratios nets de remplacement (la première année et en moyenne sur 5 ans), le ratio de couverture, la durée minimale de contribution exigée pour l’assurance chômage, la durée maximale des allocations d’assurance.

+ -

A. Une protection sociale trop assurantielle, dispendieuse et insuffisamment incitative

Le chômage structurel de masse dans lequel s’est enlisée la France depuis quatre décennies a un coût considérable pour la collectivité. Le chômage constitue en effet une « externalité négative ». Au premier trimestre 2016, l’indicateur conjoncturel de durée du chômage (ICDC) s’établissait à 393 jours. À la même date, la durée moyenne d’inscription à Pôle Emploi était de 13 mois21. S’agissant des seuls chômeurs de longue durée, le coût s’élève à 31,5 milliards d’euros pour l’Unédic, auxquels il faut ajouter 1,3 million de chômeurs supplémentaires, dont le coût additionnel est évalué à 10,8 milliards d’euros. Le montant total se situe donc à 42 milliards d’euros. Sur la période 2010-2016, le solde structurel de l’assurance chômage est négatif. Le déficit moyen annuel a été estimé à – 1,5 milliard d’euros, hors charges d’intérêts22. Les allègements dont bénéficient les CDD, l’intérim ou encore les intermittents du spectacle augmentent considérablement le déficit de l’assurance chômage. Alors que, par exemple, les intermittents du spectacle contribuent à hauteur d’environ 200 millions d’euros par an, ils bénéficient d’une indemnisation de 1,2 milliard d’euros annuel23.

Le régime d’indemnisation de l’assurance chômage est réputé particulièrement généreux en France. Le montant de l’allocation se situe à environ 70% du dernier salaire net perçu. La durée d’indemnisation est égale à la durée cotisée24.

À partir des données de l’OCDE25, Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo26 ont ainsi forgé un « indice de générosité » du système d’indemnisation des chômeurs. Il s’agit d’un indice synthétique composé de moyennes non pondérées pour l’année 201127. La France figurait en troisième position des pays de l’OCDE (hors Australie et Nouvelle-Zélande, qui n’ont pas de système assurantiel d’indemnisation). Les pays d’Europe du Nord se situent au sommet de la distribution – Islande (1er), Norvège (2e), Finlande (4e), Danemark (5e), à l’exception de la Suède (14e). Les pays d’Europe centrale sont situés au centre de la distribution – Pays-Bas (12e), Autriche (15e), Allemagne (19e) –, ainsi que les pays d’Europe méditerranéenne – Portugal (13e), Grèce (16e), Espagne (18e), à l’exception de l’Italie (27e). Comme le soulignent les auteurs, en tenant compte d’un taux moyen de remplacement de 5 ans (et non de 1 an), la France a le deuxième système le plus généreux de protection du risque chômage.

Notes

28.

Federal Reseve Bank of Louis, « Real Median Household Income in the United States ».

+ -

B. Quelles incitations doit-on privilégier ?

Quatre options sont envisageables. Nous les présentons ci-après selon les avantages et inconvénients associés à chacune, ainsi que leur degré d’efficacité empiriquement mesuré.

Piste n° 1. Un système d’impôt négatif pour lutter contre les « trappes à inactivité »

Les « trappes à inactivité » sont les situations dans lesquelles il est plus avantageux pour le demandeur d’emploi de continuer à bénéficier du régime d’allocation-chômage qui lui est attribué que de travailler. Ces situations concernent en général les individus allocataires d’un ensemble d’aides sociales connexes à l’allocation-chômage ou aux minima sociaux, qui ne peuvent escompter être employés à un niveau de rémunération égale à l’ensemble des dispositifs auxquels ils sont éligibles en dehors de l’emploi. Pour lutter contre ce phénomène paradoxal et « restaurer la valeur travail » (les Anglo-Saxons qualifient cette prescription générale de « make work pay » ou « faire que le travail paye »), des systèmes d’impôt négatif ont notamment été mis en œuvre. Ce dispositif consiste pour l’administration fiscale à consentir des baisses d’impôt aux individus qui acceptent un travail peu rémunéré. On parle d’impôt « négatif » car la réduction accordée est conçue de telle sorte qu’elle dépasse le montant d’impôt qui aurait dû être payé. La différence est alors directement versée au bénéficiaire. Ce système a été mis en place aux États-Unis dans les années 1970 dans le cadre de l’Earned Income Tax Credit (EITC). Il a également été mis en place au Royaume-Uni dans le cadre du Working Families Tax Credit à la fin des années 1990. Ainsi, aux États-Unis, pour l’année fiscale 2016, un parent célibataire élevant un enfant et dont les revenus annuels n’excédaient pas 39.296 dollars pouvait escompter toucher un crédit d’impôt égal à 8,6 % de son revenu annuel au titre de l’EITC, soit un maximum de 3.373 dollars. Rappelons que d’après les données de la réserve fédérale de Saint-Louis, le revenu médian américain était de 56.516 dollars en 201528.

Notes

29.

L’emploi doit être rémunéré à hauteur d’au moins 95% du salaire antérieurement perçu (85% après 6 mois de recherche) ; il doit être compatible avec les qualifications du demandeur et se situer à moins de 30 kilomètres du domicile ou à moins de 1 heure de transport en commun.

+ -

30.

Deux refus successifs sans motif légitime d’une offre raisonnable d’emploi, refus d’élaborer ou d’actualiser le PPAE, refus de répondre aux convocations des services de l’emploi.

+ -

31.

Voir Danielle Venn, « Eligibility Criteria for Unemployment Benefits. Quantitative Indicators for OECD and EU Countries », OECD Social, Employment and Migration Working Papers, n° 131, 2012.

+ -

32.

Gerard J. van den Berg, Bas van der Klaaww et Jan C. van Ours, « Punitive Sanctions and the Transition Rate from Welfare to Work », Journal of Labor Economics, vol. 22, n° 1, janvier 2004, p. 211-241.

+ -

33.

Jan Boone, Abdolkarim Sadrieh et Jan C. van Ours, « Experiments on Unemployment Benefit Sanctions and Job Search Behaviour », European Economic Review, vol. 53, n° 8, novembre 2009, p. 957-961.

+ -

34.

Patrick Arni, Rafael Lalive et Jan C. van Ours, « How Effective Are Unemployment Benefit Sanctions? Looking Beyond Unemployment Exit », IZA Discussion Paper Series, n° 4509, octobre 2009.

+ -

Piste n° 2. Plafonner les revenus de remplacement en dessous de ceux du travail

La possibilité de se voir verser des allocations complémentaires peut conduire le demandeur d’emploi, dans un nombre de situations très limité, à gagner davantage que son revenu antérieur d’activité. Ces situations peuvent dissuader les bénéficiaires de revenir vers l’emploi. Deux options s’offrent alors au législateur :

– plafonner inconditionnellement le revenu de remplacement à 100% du revenu antérieur ;
– sans aller jusqu’à la suppression de ces situations, une solution serait d’en laisser perdurer le bénéfice pendant une durée limitée.

Piste n° 3. Une responsabilisation accrue du conseiller de Pôle Emploi dans l’exercice des sanctions liées à la prospection d’emploi

En 2006 a été initié en France le Projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) qui fait peser l’obligation sur le demandeur d’emploi de participer à un entretien avec son conseiller Pôle Emploi devant se dérouler dans un délai de 15 jours après son inscription. La loi du 1er août 2008 relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi a mis en place le principe de « l’offre raisonnable d’emploi », qui instaure des critères d’adéquation de compétences, de niveau de rémunération et de distance géographique minimum du domicile29. La loi précise également les conditions de suppression des allocations30. Les radiations suspensives du versement des allocations correspondent à environ 10% des sorties mensuelles de Pôle Emploi, elles procèdent majoritairement du refus de se présenter à une convocation des services de l’emploi. La perte du droit à l’allocation du fait du refus de deux offres raisonnables correspond à moins de 10 radiations mensuelles.

Les pays nordiques, dont nous avons vu qu’ils étaient parmi les plus généreux en matière d’assurance chômage, sont également les plus sévères. Ainsi, pour le Danemark et la Norvège, la distance, les compétences acquises et le salaire proposé ne sont pas opposables par le demandeur d’emploi en cas de radiation31. Il en va de même pour l’Allemagne depuis l’entrée en vigueur du « paquet législatif » dit Hartz IV.

La crédibilité des sanctions a fait l’objet de plusieurs évaluations. Ainsi, aux Pays-Bas, une étude centrée sur la ville de Rotterdam a établi les différences entre les individus effectivement sanctionnés par une perte de 20% de leur allocation-chômage et ceux non frappés par la sanction. L’érosion de l’allocation pendant deux semaines conduisait à multiplier par deux le niveau du retour vers l’emploi des individus sanctionnés32. D’autres travaux montrent que la menace, formalisée par exemple par l’envoi d’une lettre d’avertissement, est encore plus efficace que la sanction elle-même33. Enfin, des études se sont concentrées sur le niveau de rémunération des emplois occupés après la sanction appliquée. Ces études montrent que les sanctions conduisent les demandeurs d’emploi à accepter des emplois moins bien rémunérés34.

En France, le dernier mot de la sanction revient au préfet. Or celui-ci n’est pas en mesure de juger de l’effectivité de la recherche d’emploi ou de la pertinence du refus. Ce pouvoir doit échoir au conseiller de Pôle Emploi en charge du suivi personnalisé du demandeur.

Notes

35.

Une réforme « paramétrique » ne modifie que les paramètres d’un système établi, contrairement aux réformes dites « systémiques ».

+ -

36.

Derek Perrotte, « La Cour des comptes préconise de réduire l’indemnisation des chômeurs », lesechos.fr, 18 janvier 2016.

+ -

37.

Rafael Lalive, Jan C. van Ours et Josef Zweimüller, « How Changes in Financial Incentives Affect the Duration of Unemployment », The Review of Economic Studies, vol. 73, n° 4, octobre 2006, p. 1009-1038.

+ -

38.

Le groupe de contrôle correspond aux individus qui, en raison de leurs revenus (supérieurs à 16 610 schillings) et de leur âge (strictement inférieur à 40 ans), n’étaient pas visés par la réforme.

+ -

Piste n° 4. Réduire le taux de remplacement et/ou diminuer la durée maximale d’indemnisation

D’un point de vue paramétrique35, la solution consisterait à ne pas changer le système existant mais à jouer sur le degré de générosité de l’indemnisation (taux de remplacement, durée de l’indemnité, recul de l’âge de déclenchement du régime d’indemnisation maximal…). Dans un rapport remis à l’Unédic le 16 janvier 2016, la Cour des comptes posait la question de « la soutenabilité du régime », rappelant qu’il « [n’était] pas possible d’attendre de la seule reprise de la croissance la résorption de la dette de l’Unédic ». Les sages de la rue Cambon y pointaient du doigt « un taux de remplacement élevé », une durée d’indemnisation trop longue et un montant d’indemnisation maximal (fixé à 6.200 euros par mois) trop élevé36. Les magistrats dessinaient plusieurs pistes. Côté dépenses, la baisse de 1 point du taux de remplacement – aujourd’hui fixé à 70% – permettrait de générer une économie de 422 millions d’euros. En outre, en aménagement du principe « un jour cotisé/un jour indemnisé », le passage à un ratio de 0,9 dégagerait une économie de 1,2 milliard d’euros par an. Enfin, le recul de cinq ans de l’âge auquel les chômeurs peuvent prétendre à la durée maximale d’indemnisation – aujourd’hui fixé à 36 mois pour les plus de 50 ans (contre 24 mois pour les jeunes) – pourrait conduire à une économie de l’ordre de 450 millions d’euros. Côté recettes, les magistrats soulignent qu’un rehaussement du taux de cotisation de 0,1 point générerait une entrée de 500 millions d’euros.

D’abondants travaux ont mesuré l’efficacité de ce type de dispositions. Une étude publiée en 2006 a ainsi mesuré les impacts de la réforme autrichienne du 1er août 1989 en matière d’indemnisation du chômage37. L’intérêt de cette réforme vient de ce qu’elle a permis de constituer plusieurs groupes de bénéficiaires et, par là même, de mesurer l’impact lié à une modification du taux de remplacement (en l’espèce, augmentation de 15% du taux de remplacement pour les chômeurs dont le salaire était inférieur à 16 610 schillings), ainsi que l’impact associé à une augmentation de la durée d’indemnisation (augmentation de 9 semaines de la durée maximale d’indemnisation pour les 49 ans et de 12 semaines pour les plus de 50 ans) par rapport à un groupe de contrôle38. Les résultats de l’étude sont rapportés dans le tableau 1.

Tableau 1 : La réforme d’indemnisation autrichienne de 1989 : durée moyenne de chômage au cours des 104 premières semaines (en semaines)

Notes

39.

Voir Konstantinos Tatsiramos et Jan C. van Ours, « Labor Market Effects of Unemployment Insurance Design », Journal of Economic Surveys, vol. 28, n° 2, avril 2014, p. 284-311.

+ -

40.

Brigitte Dormont, Denis Fougère et Ana Prieto, « L’effet de l’allocation unique dégressive sur la reprise d’emploi », Économie et statistique, vol. 343, n° 1, septembre 2001, p. 3-28.

+ -

On observe que pour le groupe bénéficiant doublement de la réforme, la durée moyenne du chômage est sensiblement plus importante que pour le groupe de contrôle (3,25 semaines supplémentaires en moyenne). On constate par ailleurs que l’effet hausse de la durée d’indemnisation (1,25 semaine supplémentaire en moyenne par rapport au groupe de contrôle) semble jouer davantage que l’effet hausse du montant d’indemnisation (0,96 semaine supplémentaire en moyenne par rapport au groupe de contrôle).

Une étude de synthèse de plusieurs travaux, basée sur différents pays de l’OCDE aboutit à la même conclusion : lorsque le taux de remplacement augmente de 1%, la durée de chômage augmente entre 0,3 et 1,6%, et lorsque la durée d’indemnisation augmente de 1 semaine, la durée de chômage augmente entre 0,1 et 0,4 semaine39. Il faut néanmoins bien noter que la vitesse du retour à l’emploi diffère selon le niveau de qualification. Le durcissement des conditions d’allocation-chômage entraîne un retour plus rapide vers l’emploi des plus qualifiés par rapport aux individus pas ou peu qualifiés40.

III Partie

Une politique d’allègement de charges plus ciblée

Notes

41.

Centre d’observation économique et de recherche pour l’expansion de l’économie et le développement des Entreprises (Coe-Rexcode), Tableau de bord des coûts horaires de la main-d’œuvre en Europe, juin 2017.

+ -

42.

G. Akerlof, R. Shiller, Les Esprits animaux, Flammarion, Champs actuels, p. 149-158, 2012.

+ -

43.

Yann-Gaël Amghar et Frédéric Laloue, Les Dispositifs dérogatoires en matière de prélèvements sociaux, Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), juillet 2010,

+ -

44.

Yannick L’Horty, « Les politiques d’allègement du coût du travail », Cahiers français, n° 394, septembre- octobre 2016, 48-53.

+ -

45.

La fonction de production néoclassique retient, dans le prolongement de la fonction de Cobb-Douglas, trois facteurs de productions : le travail, le capital et la Ces facteurs sont supposés parfaitement substituables.

+ -

46.

Voir Yannick L’Horty, cit.

+ -

47.

Cyril Nouveau et Benoît Ourliac, « Les allègements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires en France de 1993 à 2009 », Trésor-Éco, n° 97, janvier 2012.

+ -

48.

Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo et Thomas Le Barbanchon, « Do Hiring Credits Work in Recessions? Evidence from France », IZA Discussion Paper Series, n° 8330, juillet 2014.

+ -

A. Le constat : un coût du travail élevé

Même s’il apparaît que le coût du travail a moins augmenté en France entre 2008 et 2015 que dans le reste de l’Europe, il figure encore parmi les plus chers au sein de l’Union européenne Au premier trimestre 2017, l’heure de travail dans l’industrie et les services marchands s’élevait en France à 36,92 euros (contre 35,22 euros en Allemagne), ce qui est sensiblement supérieur à la moyenne de la zone euro (30,51 euros) et ce qui place la France en deuxième position de la zone euro pour l’industrie et les services marchands, derrière la Belgique (41,54 euros). En élargissant le périmètre aux pays membres de l’Union européenne, la France se classe quatrième, derrière le Danemark (45,05 euros), la Suède (41,56 euros) et la Belgique41.

Les salaires et les prix nominaux sont par ailleurs rigides à la baisse. Comme le montrent Robert Shiller et Georges Akerlof42, les agents répugnent à accepter des baisses de salaires, même lorsque l’inflation croît de manière soutenue, justifiant théoriquement une baisse des salaires pour rétablir l’équilibre général des prix. D’après ces auteurs, ce phénomène est étroitement lié à l’idée de justice : les agents ne sont pas rationnels, si leur salaire augmente, ils ne l’attribueront pas à l’inflation mais à leur mérite. Il est donc difficile de l’ajuster à la baisse, sauf à prendre des mesures administrées (par exemple, le gel du point d’indice dans la fonction publique). Appliquant ce raisonnement à l’existence d’un salaire minimum, l’indexation du Smic à l’inflation biaise également l’ajustement offre-demande sur le marché du travail. Les allègements de charges au niveau du Smic permettent d’atténuer partiellement ce biais.

B. Une politique volontariste d’allègement de charges

Pour modérer ce coût, la France a fait le choix de politiques successives d’allègement de cotisations sociales. L’effort en la matière a été considérable au cours des deux dernières décennies. Un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) recensait l’existence de 68 dispositifs d’allègement en 201043. Cet effort d’allègement a principalement porté sur les exonérations générales. Par « exonérations générales », il faut entendre les réductions dégressives avec le niveau du salaire. Ces exonérations sont les plus importantes au niveau du Smic (jusqu’à 26 points de cotisation et 28 points pour les entreprises de moins de 20 salariés). Elles disparaissent de manière décroissante au-delà de 1,6 fois le Smic.

À l’inverse, on parle d’« exonérations ciblées » lorsque l’effort porte sur des publics prioritaires (apprentis, contrats de professionnalisation, stagiaires…), sur des zones territoriales sinistrées (zones de redynamisation urbaine, zones de revitalisation rurale, mesures DOM…) et de franchise pour les services à la personne. D’après l’Acoss, en 2014 le total des exonérations de sécurité sociale représentait 26,2 milliards d’euros. Bien que les allègements spécifiques soient en hausse sensible (+ 8,1% en 2014), les allègements généraux représentent 77% du total des exonérations44.

Comme le rappelle Yannick L’Horty, la réduction du coût du travail exerce un effet positif sur l’emploi à travers trois canaux45. Le plus évident est l’effet de substitution. On retient en effet classiquement trois facteurs de production : le travail, le capital et la technologie46. La baisse du coût du travail va inciter les entreprises bénéficiaires à substituer du travail au capital et à la technologie. Cette baisse leur permet par ailleurs de réduire les prix. À côté de l’effet de substitution existe un effet de volume. Celui-ci fonctionne d’une façon proche de l’effet de substitution : une baisse du coût du travail répercutée sur les prix permet à une entreprise de capter une partie de la demande, sous réserve de sa forte élasticité au prix, et ainsi de stimuler l’emploi de l’ensemble des facteurs de production. Le dernier effet est appelé effet d’assiette. Il souligne l’intérêt du ciblage des mesures sur les bas salaires. Lorsque les exonérations se concentrent sur les bas salaires, elles œuvrent davantage pour abaisser le coût du travail. Trois générations de politiques d’exonération ont été conduites en France au cours des deux dernières décennies47. En 1992, un abattement forfaitaire de cotisations sociales a été établi pour encourager l’embauche à temps partiel. En juillet 1993, le gouvernement Balladur a mis en œuvre un dispositif d’exonérations générales, sans contrepartie demandée aux entreprises, sur les cotisations familles (5,4 points au niveau du Smic, divisée par 1,1 et 1,2 fois le Smic et la loi de décembre 1993 l’étendra à 1,6 fois le Smic). Par la loi du 4 août 1995, le gouvernement Juppé instaura une « ristourne » dégressive de cotisation sociale, non dans un but d’abaissement du coût du travail mais pour compenser la hausse du salaire minimum de 4% survenue durant l’été 1995 (on parle alors d’« allègements défensifs »), puis les deux dispositifs fusionneront en octobre 1996 à l’intérieur d’une ristourne unique ciblée à 1,33 fois le Smic. La deuxième génération d’allègements a accompagné les lois Aubry sur les 35 heures. En cumul des allègements précédents, les « aides Aubry » ont été accordées aux entreprises passant des accords de 35 heures.

La dernière génération a été mise en œuvre par le gouvernement Fillon, dans le cadre d’un dispositif unique d’allègement plafonné à 1,6 fois le Smic (pour corriger la situation consistant en la coexistence de deux dispositifs d’exonération : l’un pour les 35 heures, l’autre pour les 39 heures).

Notons, par ailleurs, que si le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), dont le montant a été évalué à 18,2 milliards d’euros en 2014, ne constitue pas à proprement parler une exonération de charges sociales, il exerce un impact certain sur l’emploi.

Si l’effort a principalement porté sur les exonérations de charges sociales générales, force est de constater qu’en dépit d’un coût dispendieux les résultats ont été modestes et n’ont pas permis de remédier au chômage structurel de masse. Une étude de Cyril Nouveau et de Vincent Ourliac l’atteste : seulement 400.000 à 800.000 emplois seraient détruits en cas de suppression des allègements et le coût unitaire de la création d’emplois subventionnés a été évalué entre 20.000 et 60.000 euros par emploi créé ou sauvegardé car, en plus d’être chère, la politique d’exonération ne signifie pas une création nette d’emplois48. Le dispositif Fillon était également très ciblé mais moins volontariste que le dispositif « Zéro charge ».

Notes

49.

Voir Yannick L’Horty, cit.

+ -

50.

Il s’agit de la différence entre le coût du travail (cotisations salariales et patronales) et le salaire disponible.

+ -

C. Les études militent pour des allègements ciblés sur les bas salaires

Les études empiriques tendent par ailleurs à valider l’effet de seuil. L’efficacité des dispositifs est d’autant plus importante que la mesure cible les bas salaires. L’éphémère dispositif dit « Zéro charge », mis en place entre décembre 2008 et décembre 2009, permettait aux entreprises de moins de 10 salariés de bénéficier d’exonérations à l’embauche (ou renouvellement de CDD) pour les salariés rémunérés au-dessous de 1,2 fois le Smic. Ce dispositif a fait l’objet d’une évaluation fondée sur l’observation des entreprises de 6 à 9 salariés et de celles de 10 à 13 salariés avant et après 200949. Avant la mise en place du dispositif, l’emploi se détériorait au sein des deux groupes d’entreprises. En effet, considérant le seul groupe des entreprises de 6 à 9 salariés, la poursuite du régime de baisse de taux d’emploi des années 2006, 2007 et 2008 aurait dû aboutir à un taux de décroissance de 4,8% en 2009.Or,avecl’introductiondu dispositif, elle n’a été que de 3,7%. À l’inverse, le dispositif Fillon, faiblement ciblé puisqu’il concernait toutes les entreprises ainsi que tous les niveaux de salaires jusqu’à 1,6 fois le Smic, a eu une élasticité de l’emploi au coût négatif (– 0,550, contre 2 pour le dispositif « Zéro charge »).

Notes

51.

« Coin fiscal », oecd.org.

+ -

52.

CSG, CRDS, maladie, retraite, famille,etc.

+ -

53.

En seront exemptés les retraités modestes et les demandeurs d’emploi.

+ -

54.

Pour le secteur non marchand : les contrats « travaux d’utilité collective » (1984-1990), les « contrats emploi solidarité » (1990-2005), les « contrats emploi consolidé » (1992-2005), les contrats emplois ville (1996-1997), les nouveaux services emploi jeune (1997-2002)… Pour le secteur marchand : les « contrats de retour à l’emploi » (1990-1995), la « convention de coopération » (1994-2000), les « contrats initiative emploi » (1995-2005)…

+ -

Proposition n° 1. Privilégier une politique de convergence des allègements de charges au niveau des bas salaires

Le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé que le CICE sera transformé en allègement de charges à compter du 1er janvier 2019. Cette mesure va dans le bon sens car elle renforce la lisibilité des aides. L’effort de convergence doit donc être poursuivi, en se concentrant sur les allègements au niveau du Smic.

Ce choix d’une politique massive d’allégements et d’exonérations de charges, sans rationalisation des dépenses de sécurité sociale, contribue à faire de la France un pays où le coin fiscal51 (ou « coin fiscalo-social ») est élevé. Celui-ci permet de se figurer l’ampleur de l’effet dissuasif exercé par l’impôt sur les revenus du travail et l’emploi. En 2016, il culminait en France à 48,07% du coût du travail, la moyenne des pays de l’OCDE étant située à 36,02%52. Ce niveau élevé est le produit paradoxal de la propension française à taxer davantage pour financer la générosité du système de protection sociale et avoir recours à des exonérations nombreuses pour en limiter les effets sur l’emploi. Si le coût du travail est élevé en France, c’est parce que la protection sociale des salariés représente plus de 40% de leur rémunération.

Pour baisser le coût du travail, il convient d’opérer un transfert des cotisations sociales des employeurs vers les salariés. Le salaire brut incorporerait les contributions qui pèsent aujourd’hui à la fois sur l’employeur et le salarié53. Les taxes allouées au financement de la protection sociale passeraient du travail vers les revenus ou vers les dépenses. Plutôt que d’affecter une partie de la TVA au financement de la sécurité sociale, le président Macron semble s’acheminer vers une fiscalisation du revenu pour financer ce transfert, à travers une hausse de la CSG de 1,7 point54, ce qui devrait rapporter 22 milliards d’euros à l’État. Ce gain doit permettre de supprimer les cotisations patronales sur le salaire brut (2,40% pour l’assurance chômage et 0,75% pour l’assurance maladie). D’après les projections, cette suppression coûtera 17 milliards d’euros pour les salariés du secteur. Sur les 22 milliards d’euros collectés au titre de la hausse de la CSG, 5 milliards pourront donc être répartis entre fonctionnaires et indépendants.

IV Partie

Une sécurisation accrue des parcours professionnels pour appréhender les nouveaux risques de l’environnement économique

1

Les emplois aidés : mettre l’accent sur l’insertion dans le secteur marchand

Notes

55.

Par « politiques actives », il faut comprendre les politiques qui favorisent le retour vers l’emploi, par opposition aux « politiques passives », qui se focalisent uniquement sur les conditions matérielles des chômeurs. On parle également d’« activation » des politiques de l’emploi s’agissant de la mise en œuvre de ces politiques.

+ -

56.

En général, les emplois aidés se concentrent sur les publics traditionnellement les plus marginalisés du marché du travail (jeunes, personnes sans qualifications, chômeurs de longue durée dont les compétences apparaissent moins élastiques à l’offre d’emploi…).

+ -

57.

Par exemple, pour un CDD de 12 mois à temps plein rémunéré au Smic et bénéficiant d’une aide de 35%, l’employeur percevra environ 500 euros par mois.

+ -

58.

Les collectivités locales et leur groupement, autres personnes morales de droit public, organismes de droit privé à but non lucratif (associations loi 1901, fondations, comités d’entreprise, ), personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public, etc..

+ -

59.

Les « emplois d’avenir » étaient néanmoins plus ciblés que les « emplois-jeunes », où l’employeur recevait 5 ans durant une aide plafonnée à 80% du Smic (contre 75% du Smic dans une limite de 36 mois s’agissant des emplois d’avenir). Les emplois-jeunes concernaient indistinctement tous les jeunes, tandis que les emplois d’avenir se concentraient explicitement sur les jeunes non qualifiés.

+ -

60.

Michel Forissier, « Travail et emploi », rapport au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de finances pour 2017, Sénat, avis n° 143, session ordinaire de 2016-2017, 24 novembre 2016, 26.

+ -

A. Emplois aidés dans le secteur marchand vs emplois aidés dans le secteur non marchand

Les emplois aidés ont fait l’objet de nombreux dispositifs, de sorte que le paysage de ce type de contrats est aujourd’hui morcelé. On a pu à cet égard fustiger le « maquis » des emplois aidés55. Leur définition est malaisée et diffère selon les pays. Nous retiendrons donc celle de l’OCDE, qui les classe au sein des politiques dites « actives56 » de l’emploi, c’est-à-dire celles qui visent à mobiliser des ressources afin de favoriser le retour vers l’emploi des chômeurs57. Les études disponibles tendent à les classer en deux catégories : les emplois aidés dans le secteur marchand et les emplois aidés dans le secteur non marchand.

La première catégorie renvoie à l’ensemble des subventions versées aux entreprises pour la formation et l’embauche des personnes éligibles. Les contrats d’apprentissage font ainsi partie de cette catégorie. Le contrat unique d’insertion-contrat initiative emploi (CUI-CIE), en constitue néanmoins le dispositif phare. Il permet des recrutements en CDD ou en CDI et bénéficie des dispositifs d’abattement généraux de charges patronales que nous avons évoqués plus haut58. Les CUI-CIE ont connu plusieurs appellations : CIE, puis CUI-CIE après 1995 et contrats d’avenir dans le secteur marchand depuis 2012.

La seconde catégorie est représentée par le contrat unique d’insertion-contrat d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE), qui est un contrat de droit privé en CDD ou en CDI mis à disposition des employeurs du secteur non marchand59. Lorsqu’il s’agit d’un CDD – qui demeure le recours le plus fréquent à ce type de dispositif –, sa durée doit être comprise entre 6 et 24 mois (renouvellement inclus) et l’aide allouée à l’employeur ne peut excéder 95% du Smic brut. Les « emplois-jeunes », mesure emblématique du gouvernement Jospin, supprimés par le gouvernement Raffarin en 2002, entraient dans cette catégorie. Ils ont été réactivés par François Hollande dans le cadre des « emplois d’avenir » en 201260.

Notes

61.

Assemblée nationale,n° 510, document mis en distribution le 19 décembre.

+ -

62.

Assemblée nationale, n° 1362, Rapport d’information de la Commission des Affaires Sociales, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 18 septembre 2013.

+ -

63.

Barbara Sianesi, Swedish Active Labour Market Programmes in the 1990’s: Overall Effectiveness and Differential Performance, Institute for Fiscal Studies, Working Paper 02/03, février 2002. L’étude compare les parcours à + 5 ans des bénéficiaires et non-bénéficiaires des dispositifs d’emploi aidé à partir de 1994 ; les dispositifs sont comparables à la situation française, puisqu’il existe en Suède des mesures concernant les secteurs marchand et non marchand, mais également des formations dispensées dans et en dehors de l’entreprise.

+ -

64.

Reinhard Hujer, Marco Caliendo et Stephan Thomsen, « New Evidence on the Effects of Job Creation Schemes in Germany – A Matching Approach with Threefold Heterogeneity », IZA Discussion Paper Series, n° 750, avril 2003. L’analyse évalue le dispositif Job-AQTIV-Gesetz dans le cadre des réformes dites Hartz.

+ -

65.

« Les contrats aidés : quels objectifs, quel bilan ? », Dares Analyses, n° 021, mars 2017, 6.

+ -

66.

Ibid.

+ -

67.

Delphine Corlay et Émilie Fauchier-Magnan (IGAS), Béatrice Cormier et Alain Plaud (IGAENR), Fréderic Thollon (IGEN), Plan de relance de l’apprentissage : l’accompagnement des apprentis pour une sécurisation des parcours, IGAS-IGEN-IGAENR, juin 2015, 11.

+ -

B. Le coût élevé des contrats aidés dans le secteur non marchand

Il convient tout d’abord de rappeler que les emplois aidés représentent un coût considérable. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2017 prévoit une dotation totale de 2,6 milliards d’euros (1,175 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,472 milliard d’euros en crédits de paiement) en emplois aidés pour financer l’entrée de 200.000 personnes en CAE (secteur non marchand) et 45.000 en CIE (secteur marchand)61. À titre de comparaison, la politique d’emplois aidés représente près du tiers (28,2%) du budget prévu pour le ministère de la Culture en 2016 (soit 9,4 milliards d’euros). Surtout, toujours d’après le PLF 2017, les CUI-CAE captent l’essentiel de la dotation – 1,006 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,330 milliard en crédits de paiement –, soit 2,3 milliards d’euros contre seulement 312 millions d’euros – 169,41 millions d’euros en autorisations d’engagement et 142,89 millions d’euros en crédits de paiement – pour les CUI-CIE. Or, comme nous allons le montrer, ces derniers s’avèrent beaucoup plus efficaces que les contrats aidés dans le secteur non marchand.

C. Que nous disent les évaluations disponibles sur les emplois aidés ?

Au-delà de la division matérielle entre emplois aidés du secteur marchand et non marchand, cette typologie permet d’éclairer de façon édifiante l’efficacité associée à ces deux catégories. Deux rapports parlementaires, celui de Gilles Carrez de 200262 sur les emplois-jeunes, et celui de Jean-Marc Germain de 2013 sur les emplois d’avenir63, ont dressé un bilan relativement positif des emplois aidés. Ces rapports se contentaient de dénombrer la quantité d’emplois créés dans le cadre de ces dispositifs. Cette méthode est discutable pour deux raisons : elle n’autorise aucune perspective de long terme et ne permet pas d’apprécier le « levier » qu’a pu constituer le dispositif pour les bénéficiaires au regard de ceux qui n’ont pu en disposer.

De telles évaluations sur les emplois aidés ont été conduites dans d’autres pays. Une étude se basant sur l’expérience suédoise, pays dans lequel des dispositifs d’aides ont été conduits dans les secteurs marchands ou non, aboutit à la conclusion suivante : les emplois aidés dans le secteur public (ou pour les publics ayant bénéficié d’une formation dispensée en dehors de l’entreprise par rapport aux formations dispensées dans l’entreprise) se transforment sensiblement plus faiblement en emplois durables cinq années après avoir bénéficié de la mesure64. Cette étude sur le marché suédois est confirmée par une analyse analogue réalisée sur le marché allemand65.

Prenant acte des nouveaux standards d’évaluation des politiques publiques (importance de la mesure de l’insertion à long terme, importance de la distinction entre un « groupe bénéficiaire » et un « groupe témoin » non bénéficiaire), une étude récente de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) apparaît sans appel : les emplois aidés dans le secteur marchand, dont, rappelons-le, la dotation budgétaire est la plus faible, sont sensiblement plus efficaces que les emplois aidés dans le secteur non marchand . Ainsi, d’après l’étude, six mois après la fin de l’aide de l’État, « 67% des personnes sorties en 2014 d’un CUI-CIE et 41% des personnes sorties d’un CUI-CAE […] étaient en emploi66 ». Par ailleurs, « 71% des sortants de CUI-CIE en 2014 ont été embauchés en CDI67 ». Cela signifie que l’employabilité des bénéficiaires est supérieure lorsqu’ils ont été placés dans l’entreprise. Il convient donc de rationaliser immédiatement la politique d’emplois aidés au profit du secteur marchand.

Notes

64.

Barbara Sianesi, Swedish Active Labour Market Programmes in the 1990’s: Overall Effectiveness and Differential Performance, Institute for Fiscal Studies, Working Paper 02/03, février 2002    L’étude compare les parcours à + 5 ans des bénéficiaires et non-bénéficiaires des dispositifs d’emploi aidé à partir de 1994 ; les dispositifs sont comparables à la situation française, puisqu’il existe en Suède des mesures concernant les secteurs marchand et non marchand, mais également des formations dispensées dans et en dehors de l’entreprise.

+ -

65.

Reinhard Hujer, Marco Caliendo et Stephan Thomsen, « New Evidence on the Effects of Job Creation Schemes in Germany – A Matching Approach with Threefold Heterogeneity », IZA Discussion Paper Series, n° 750, avril 2003 L’analyse évalue le dispositif Job-AQTIV-Gesetz dans le cadre des réformes dites Hartz.

+ -

66.

« Les contrats aidés : quels objectifs, quel bilan ? », Dares Analyses, n° 021, mars 2017, p. 6.

+ -

67.

67. Ibid.

+ -

2013 sur les emplois d’avenir63, ont dressé un bilan relativement positif des emplois aidés. Ces rapports se contentaient de dénombrer la quantité d’emplois créés dans le cadre de ces dispositifs. Cette méthode est discutable pour deux raisons : elle n’autorise aucune perspective de long terme et ne permet pas d’apprécier le « levier » qu’a pu constituer le dispositif pour les bénéficiaires au regard de ceux qui n’ont pu en disposer.

De telles évaluations sur les emplois aidés ont été conduites dans d’autres pays. Une étude se basant sur l’expérience suédoise, pays dans lequel des dispositifs d’aides ont été conduits dans les secteurs marchands ou non, aboutit à la conclusion suivante : les emplois aidés dans le secteur public (ou pour les publics ayant bénéficié d’une formation dispensée en dehors de l’entreprise par rapport aux formations dispensées dans l’entreprise) se transforment sensiblement plus faiblement en emplois durables cinq années après avoir bénéficié de la mesure64. Cette étude sur le marché suédois est confirmée par une analyse analogue réalisée sur le marché allemand65.

Prenant acte des nouveaux standards d’évaluation des politiques publiques (importance de la mesure de l’insertion à long terme, importance de la distinction entre un « groupe bénéficiaire » et un « groupe témoin » non bénéficiaire), une étude récente de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) apparaît sans appel : les emplois aidés dans le secteur marchand, dont, rappelons-le, la dotation budgétaire est la plus faible, sont sensiblement plus efficaces que les emplois aidés dans le secteur non marchand . Ainsi, d’après l’étude, six mois après la fin de l’aide de l’État, « 67% des personnes sorties en 2014 d’un CUI-CIE et 41% des personnes sorties d’un CUI-CAE […] étaient en emploi66 ». Par ailleurs, « 71% des sortants de CUI-CIE en 2014 ont été embauchés en CDI67 ». Cela signifie que l’employabilité des bénéficiaires est supérieure lorsqu’ils ont été placés dans l’entreprise. Il convient donc de rationaliser immédiatement la politique d’emplois aidés au profit du secteur marchand.

Proposition n° 2. Opérer un transfert sensible de dotation budgétaire des emplois aidés du secteur non marchand vers le secteur marchand.

2

Améliorer le fonctionnement de la formation professionnelle

Notes

68.

Joanie Cayouette-Remblière et Thibaut de Saint Pol, « Le sinueux chemin vers le baccalauréat : entre redoublement, réorientation et décrochage », Économie et statistique, n° 459, 2013, p. 77.

+ -

69.

Voir, notamment, Jeanine Dubié et Pierre Morange, rapport d’information sur l’évaluation de l’adéquation entre l’offre et les besoins de formation professionnelle, Assemblée nationale, rapport d’information no 1728, 23 janvier 2014, ou bien le rapport conjoint réalisé par des membres de l’IGAS, de l’IGA, de l’IGEN et de l’IGAENR, Les Freins non financiers au développement de l’apprentissage, février 2014.

+ -

La formation professionnelle souffre en France d’un fort cloisonnement entre l’Éducation nationale et l’entreprise, d’une trop forte centralisation des programmes par le ministère de l’Éducation nationale, d’une évaluation insuffisante des formations, d’une image médiocre de la voie professionnelle auprès des élèves, d’une trop grande complexité des mécanismes, ainsi que d’une allocation inoptimale des ressources.

A. La formation professionnelle souffre d’une centralisation excessive

Le cloisonnement entre monde professionnel et académique tient tout d’abord à ce que les commissions paritaires, constituées par des représentants de l’État, des partenaires sociaux et professionnels, chargées de formuler les avis et propositions dans l’orientation des diplômes professionnels et technologiques au niveau des branches d’activité n’ont qu’un rôle consultatif. Au plan pratique, elles ne peuvent pas se prononcer sur les moyens transférés et le contenu précis de la formation.

L’excès de centralisation est manifeste en matière d’apprentissage. En l’espèce, la validation des formations dispensées dans les Centres de formation en alternance (CFA) est conjointement du ressort de la Région et du rectorat, et se caractérise par sa lourdeur et sa rigidité. On a également pu fustiger le caractère trop académique du contenu des programmes, notamment au niveau du certificat d’aptitude professionnelle (CAP), qui explique partiellement le fort taux d’abandon déploré au sein de ces programmes. Alors que le gouvernement Valls s’était fixé un objectif de 500.000 jeunes en alternance d’ici à 2017, un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), de l’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) et de l’Inspection générale de l’administration, de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) pointait qu’en janvier 2015, 27% des contrats d’apprentissage commencés en 2011-2012 avaient été rompus avant leur terme théorique68. Le taux d’abandon en CAP, quant à lui, s’élève structurellement à 40% des effectifs69.

Notes

70.

Les Bundesinstitut für Berufsbildung (BIBB) sont des instituts fédéraux allemands pour la formation et l’enseignement professionnels allemands.

+ -

B. Un contrôle des formations dispensées trop lâche

Le contrôle des formations professionnelles est insuffisamment étroit et trop morcelé. Il souffre également d’un manque structurel de moyens. Pour l’apprentissage diplômant, l’évaluation relève des services académiques d’inspection de l’apprentissage (SAIA), qui ont également en charge le contrôle des CFA. L’inspection des autres types de formations était placée sous l’égide du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV), mais cet organisme a fait l’objet d’une récente réorganisation par la loi du 5 mars 2014, le fusionnant avec le Conseil national de l’emploi pour former le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Cnefop). Ce manque de moyens est préjudiciable à la qualité des formations dispensées. Il a été épinglé par plusieurs rapports70 mais n’a pour le moment pas fait l’objet d’une attention des décideurs publics.

Notes

71.

CGPME-Île-de-France, Clés de succès et facteurs de rupture en contrat d’apprentissage, juillet 2014.

+ -

72.

Voir Christopher Pissarides, Equilibrium Unemployment Theory, MIT Press, 2e éd., 2000.

+ -

73.

CGPME-Île-de-France, cit.

+ -

74.

François Patriat, rapport d’information au nom de la commission des finances sur la répartition du produit de la taxe d’apprentissage, Sénat, rapport n° 455, 27 mars 2013, 20 et 24.>

+ -

75.

Soit 150 heures pour un salarié crédité à temps plein, 400 heures pour les salariés les moins qualifiés, pour éviter que les entreprises ne sélectionnent les individus productifs à la formation professionnelle.

+ -

Proposition n° 3. Améliorer la gouvernance de la formation professionnelle.

Il convient de créer un organisme chargé du suivi et du contrôle de la qualité et de l’uniformité de la formation dispensée, doté de moyens budgétaires renforcés. Cet organisme sera chargé de la certification des contenus, à la manière des BIBB allemands71. La tutelle de la formation professionnelle doit incomber aux Régions. Une décentralisation complète des organismes de formation doit donc en être le préalable.

C. Une image injustement dégradée

Contrairement à la Suisse ou à l’Allemagne, où l’apprentissage est socialement valorisé, celui-ci souffre trop souvent d’une image dégradée en France, entendu à tort comme une « voie de garage ». Cette image est évidemment préjudiciable à l’implication des élèves, qui ont le sentiment de ne pas maîtriser leur destin, et joue sur le taux d’abandon de la filière professionnelle dans son ensemble. Du côté des employeurs, les critères de fixation des salaires – qui dépendent de l’âge et de l’accroissement des compétences de l’individu – sont rigides, ce qui peut stériliser l’intention d’embaucher un apprenti. Le taux d’abandon est fonction du niveau du diplôme préparé. Ainsi, moins celui-ci est qualifié, plus le taux d’abandon est fort. La Dares rapporte en effet que le taux d’abandon atteint 27% lorsque le diplôme préparé est un CAP ou BEP, contre seulement 11% lorsqu’il s’agit d’un contrat d’apprentissage de l’enseignement supérieur. Le déficit de motivation du côté des élèves et leur manque de maîtrise des codes de conduite élémentaires dans l’entreprise (ponctualité, soumission à l’autorité hiérarchique…) sont souvent pointés du doigt par les employeurs, comme l’atteste une récente enquête de la CGPME soulignant que 65% de ceux-ci considéraient inapproprié le comportement du jeune72. Le modèle dumatching de Christopher Pissarides est également pertinent pour comprendre l’origine des ruptures dans la formation professionnelle73. L’enquête de la CGPME rapporte que, du point de vue de l’employeur, 44% des ruptures sont dues au fait que « la formation [du] jeune n’était pas suffisamment en lien avec son travail au quotidien dans l’entreprise74 ».

La complexité de la formation professionnelle est également très décriée. Un rapport du sénateur François Patriat soulignait, par exemple, que la taxe d’apprentissage était inefficiente en raison « d’un circuit trop complexe » et d’une absence de « véritable gouvernance75 ». Il pointait par exemple une forte inégalité de la collecte de la taxe par les Organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), des dérives, du fait de la procédure d’agrément, ainsi qu’un contrôle insuffisant par manque de moyens. Ce déficit d’administration, tant dans la collecte que dans l’allocation des fonds, est préjudiciable au premier chef au ciblage des fonds vers les formations de bas niveau de qualification, vers lesquelles un volontarisme accru devrait pourtant être opéré.

Notes

76.

Selon l’école dite « marginaliste », il existe cinq critères satisfaisant au caractère « parfait » d’un marché : l’atomicité (un grand nombre d’offreurs et de demandeurs, afin d’éviter la captation indue de rentes et donc, la constitution de monopoles), l’homogénéité (les produits circulants doivent être homogènes), la fluidité (libre entrée et sortie des opérateurs sur le marché), la mobilité des facteurs (travail et capital sont abondants et facilement disponibles) et transparence de marché (l’information circule librement).

+ -

Proposition n° 4. Faire du compte personnel de formation (CPF) le nouveau socle de la formation professionnelle.

Le CPF repose sur un nombre d’heures créditées chaque année76. Au terme de la loi de finance pour 2016 du 29 décembre 2015, la contribution des entreprises de 11 salariés et plus au CPF est de 0,2%. Il conviendrait de la porter à 1%, afin de financer un « panier » d’heures par bénéficiaire plus important et d’étoffer le spectre des formations éligibles. Les formations éligibles devront faire l’objet d’une certification officielle. Le CPF doit par ailleurs être étatisé, c’est-à-dire que sa collecte ne doit plus être organisée par les OPCA, mais par l’Urssaf. La formation envisagée doit faire l’objet d’une discussion préalable entre l’employeur et l’employé, après quoi l’employé pourra solliciter la formation (certifiée) auprès de l’organisme la dispensant. La Caisse des dépôts sera chargée de payer l’organisme pour la formation dispensée.

3

Améliorer l’orientation professionnelle

Notes

77.

Robert J. Shiller, professeur à l’Université de Yale, a reçu en 2013 le prix de la banque de Suède en économie pour ses travaux sur « l’exubérance irrationnelle » des agents et les biais psychologiques aux mécanismes de fixation du prix.

+ -

78.

Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, « Le niveau d’étude selon le milieu social ».

+ -

79.

Insee, Les jeunes et l’enseignement supérieur : s’orienter, réussir, s’insérer, Insee Références, édition 2016, Éclairage.

+ -

80.

La règle d’affectation des lycéens dépend d’abord d’un critère géographique (résidant ou ayant obtenu le baccalauréat dans l’académie où est dispensée la formation correspondant aux vœux), puis, de l’ordre de soumission des demandes, de critères liés à la situation personnelle des soumissionnaires (mariage, pacs, personnes à charge, ), enfin, il est procédé à un éventuel tirage au sort.

+ -

81.

Sur ce point, voir la remarquable étude du sociologue William Julius Wilson, When Work The World of the New Urban Poor (Alfred A. Knopf, 1996), qui observe la détérioration sociale de trois quartiers sinistrés de Chicago (Douglas, Grand Boulevard, Washington) depuis les années 1950 et l’apparition d’un chômage structurel de masse. Alors que dans les années 1950, 69% des adultes âgés de plus de 14 ans disposaient d’emplois dans ces quartiers, cette proportion n’était plus que de 37% dans les années 1990. Wilson observe ensuite une explosion de la délinquance infantile, de l’alcoolisme et de la consommation de drogues, un recul de la socialisation (adhésion à des associations, pratique d’un sport…), une dissolution des familles (abaissement de l’âge de la conception, augmentation des divorces, recrudescence des foyers monoparentaux…).

+ -

Une information liquide constitue classiquement un des critères de satisfaction des marchés parfaits. Par marchés parfaits, on entend des marchés dans lesquels l’offre et la demande s’apparient parfaitement, et cristallisent un prix reflétant très exactement leur équilibre77. En termes plus concrets, cela signifie qu’une information opaque biaise l’équilibre de marché, et favorise ainsi certains agents opérant sur ce marché au détriment d’autres agents. Considérons par exemple, sur le marché financier, le délit d’initié : le fait pour certains agents de disposer d’une « information captive » (c’est-à-dire, qu’ils sont les seuls à détenir), leur confère un « pouvoir de marché » considérable et biaise donc l’équilibre de marché. Une situation identique peut exister sur le marché du travail. En effet, « l’efficience informationnelle » – pour emprunter une formule chère à l’économiste Robert J. Shiller78 – peut y être menacée par la maîtrise par une minorité des parcours les plus professionnalisants, des filières scolaires les plus lucratives et qui ont le meilleur rendement privé de l’investissement en dépense d’éducation (à savoir l’effort d’investissement de l’individu en vue de son insertion professionnelle future). Cette information est souvent l’apanage des élites et favorise bien souvent un phénomène pernicieux de reproduction sociale. Ainsi, d’après les chiffres du Ministère de l’enseignement supérieur : « en moyenne, entre 2013 et 2015, parmi les jeunes âgés de  25  à  29  ans, 65% des enfants  de  cadres  ou  de  professions  intermédiaires  sont  diplômés du supérieur contre 30% des enfants d’ouvriers ou d’employés »79. Mais au-delà de la reproduction, le taux d’abandon demeure élevé dans l’éducation supérieure : 31,7% de la cohorte passant la licence universitaire (bac + 3) pour la session 2013-2014 réussissait l’examen, et seulement 21,9% des hommes80. Cela signifie un fort taux d’abandon parmi les bacheliers de cette génération, et les chiffres se situent structurellement à ce niveau depuis plusieurs décennies. Un marché efficient est un marché sur lequel l’information circule librement et à coût de collecte nul pour les agents.

À l’heure actuelle, l’affectation de lycéens dans l’enseignement supérieur se fait en classe de terminale sur la plateforme APB (admission post-bac). Les lycéens soumettent leurs vœux l’année de passation du baccalauréat, selon un calendrier prédéfini81. Ils sont ensuite affectés dans les formations. L’affectation dans des filières dites « en tension » (droit, psychologie, STAPS) se fait souvent après épuisement de tous les critères d’arbitrage pour les exæquo, et donc, au tirage au sort final, sorte de « moindre mal méritocratique ». Ce système est perfectible :

Proposition n° 5. Utiliser la plateforme APB comme un outil de transparence du marché du travail :

L’algorithme d’affectation de la plateforme APB tient compte des critères et de l’offre mentionnés ci-dessus. On pourrait imaginer, qu’au moment de la soumission de ses vœux, le candidat au baccalauréat se voit « fléché » vers des informations quantitatives sur l’insertion professionnelle de la filière qu’il souhaite préparer (âge moyen de l’insertion professionnelle, taux de conversion en CDD et CDI, durée de prospection moyenne post-diplomation, etc.). Ceci améliorerait la transparence de l’information, et pourrait par ailleurs avoir un impact sur le taux d’abandon les premières années d’études supérieures.

4

Moduler le financement de l’assurance chômage

Notes

82.

Pierre Cahuc et André Zylberberg, Les Ennemis de l’emploi, Le chômage, fatalité ou nécessité ?, Flammarion, coll. « Champs actuels », nouvelle édition, 2015.

+ -

83.

L’« aléa moral » est le comportement optimisateur d’un agent qui, protégé d’un risque, se comporte comme s’il était exposé à ce risque.

+ -

84.

La période d’essai, qui peut atteindre jusqu’à 4 mois pour les ouvriers et 8 mois pour les cadres, peut être renouvelée une fois durant son cours.

+ -

85.

L’intérim, dont le régime est prévu à l’annexe 4 de l’assurance chômage, permet plus aisément de cumuler un revenu d’activité et une allocation chômage. Ce régime est structurellement déficitaire, ce qui entraîne des transferts indus des secteurs les plus contributifs vers ce dernier. Il en est de même, par exemple, du régime des intermittents (annexes 8 et 10 de l’assurance chômage).

+ -

86.

Les contrats d’usage sont des contrats à durée indéterminée utilisés dans des secteurs particuliers (déménagement, réparation navale, audiovisuel, production cinématographique, centres de loisirs et de vacances, travaux publics, montage et démontage d’activités foraines,…).

+ -

87.

Olivier Blanchard et Jean Tirole, « The Joint Design of Unemployement Insurance and Employment Protection: A First Pass », Journal of the European Economic Association, 6, n° 1, mars 2008, p. 45-77.

+ -

Le chômage est une « externalité négative ». Les externalités (positives ou négatives) sont des « défaillances de marché » qui apparaissent lorsqu’une partie du bien-être d’un agent peut être lésée par l’action involontaire d’autres agents. L’agent lésé assume (ou profite, dans le cas d’externalités positives) ainsi indûment le coût (ou bénéfice) de l’action d’autres agents. Les externalités négatives imputables au chômage sont nombreuses : détérioration des recettes fiscales, hausse des dépenses de santé, hausse de la délinquance, etc.82. Ces coûts sont supportés par la collectivité. Comme l’observent Pierre Cahuc et André Zylberberg, la différence entre la « valeur sociale » et la « valeur privée » d’un emploi explique également la présence d’externalités négatives au chômage. Le financement de l’assurance chômage l’illustre. Celui-ci porte principalement sur les salaires et très peu sur les employeurs. Ainsi, un employeur qui décide de rompre un emploi ne tient compte que de la valeur privée de son calcul (par exemple, l’inaptitude de l’employé à exercer les tâches requises), mais pas de la valeur sociale et du coût que fait peser la destruction de cet emploi sur la collectivité83.

A. Un système de modulation encore incomplet

La modulation du financement de l’assurance chômage constitue une possibilité de remédier à ces externalités. Depuis le 1er juillet 2013 et dans le sillage de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2014 a été introduite une ébauche de modulation du financement de l’assurance chômage. En effet, la part patronale au financement de l’assurance chômage (qui s’élève à 4% du salaire brut, contre 2,4% pour le salarié) dépend désormais de la durée et du type de contrat. Elle est majorée pour les contrats à durée déterminée courts, c’est-à-dire d’une durée inférieure à trois mois (+ 3% pour les contrats de moins de trois mois et + 1,5% pour les contrats de 1 à 3 mois). Dans le même temps, ce taux de contribution patronal a été minoré pour toute embauche d’un jeune de moins de 26 ans en contrat à durée indéterminée à la date de prise d’effet du contrat, la durée d’exonération étant de 4 mois pour les entreprises de moins de 50 salariés et de 3 mois au-dessus de 50 salariés. Ce dispositif va dans le bon sens mais demeure insuffisant pour pallier le problème de l’externalité négative que fait peser l’employeur sur la collectivité lors de la rupture d’un contrat. Des comportements d’aléa moral84 peuvent en effet subsister à l’intérieur d’un tel système. Par exemple, les CDI n’étant pas concernés par la majoration, les employeurs disposent toujours de la possibilité de mettre fin à la période d’essai85. Lorsqu’ils y procèdent effectivement, ils peuvent disposer de l’allègement si le non-renouvellement concerne un salarié de moins de 26 ans. Par ailleurs, les contrats temporaires86 ne sont pas concernés par la majoration. Il existe certes une majoration patronale de 0,5% pour tout recours aux contrats dits « d’usage87 », dans lesquels des emplois sont marqués par une forte saisonnalité et qui ne peuvent donc, par leur nature, s’effectuer sous la forme d’une durée indéterminée. La majoration des contrats courts se justifie par l’espoir d’une conversion en CDI ; or les taux de conversion effectifs en CDI, nous l’avons vu, sont meilleurs si le salarié embauché de façon temporaire est déjà très qualifié. Le CDD a alors la valeur tacite d’une période d’essai qui tait son nom. Dans la pratique, la plupart des CDD constituent pour l’employeur une variable d’ajustement temporaire de sa main-d’œuvre, et ceci est d’autant plus vrai que le salarié est peu qualifié.

Notes

88.

Patricia M. Anderson et Bruce D. Meyer, « The Effects of Unemployment Insurance Taxes and Benefits on Layoffs Using Firm and Individual Data », NBER Working Paper, n° 4960, décembre 1994.

+ -

89.

Les appareils industriels des pays développés se mettent à niveau : « Industrie 0 » en Allemagne, programme « Made different-Factories of the Futur » en Belgique, projet « Cluster Fabbrica Intelligente-CFI » en Italie, programme « Manufacturing Innovation 3.0 » en Corée, plan « Japan Revitalization Strategy » lancé par Tokyo, etc.

+ -

B. Un compte bonus-malus pour chaque entreprise

Pour qu’un système de modulation de la taxation (donc du financement) de l’assurance chômage soit efficace, il faut que la modulation soit davantage individualisée, c’est-à-dire, qu’elle tienne compte du niveau d’intensité du recours au licenciement de chaque entreprise. Comme l’ont montré Olivier Blanchard et Jean Tirole, un tel système, que l’on pourrait qualifier de « bonus- malus », inciterait les entreprises à tenir compte des externalités négatives portées par la collectivité liées aux coûts de licenciement88.

Nous disposons des retours d’une telle expérience aux États-Unis, dans le cadre du programme appelé « Experience Rating », qui correspond au principe que nous décrivons dans la proposition no5. L’impact positif de cette expérience a été démontré aux États-Unis, notamment en matière de stabilité des emplois. D’après les évaluations, la mise en place d’un tel compte fait supporter aux entreprises environ 60% des coûts de l’assurance chômage par employé. Il a été mesuré que si ce coût passait à 100%, on observerait une baisse du nombre des licenciements de l’ordre de 20 à 30%89.

Proposition n°6. Mettre en place dans chaque entreprise un compte enregistrant le solde des cotisations et allocations-chômage versées aux employés issus de l’entreprise.

Le taux de cotisation employeur ne serait pas fondé sur le type de contrat (CDD ou CDI) mais sur ce solde. Le taux de cotisation patronal à l’assurance chômage augmenterait lorsque le solde diminue, c’est-à-dire lorsque les sommes assumées par la collectivité au titre de la rupture des contrats de travail provenant de cette entreprise dépassent le montant total des cotisations qu’elle acquitte pour financer l’assurance chômage.

5

Approfondir le compte personnel d’activité

Notes

90.

Voir Ira S. Wolfe, The Perfect Labor Storm 2.0, Xlibris, 2007.

+ -

91.

Carl Benedikt Frey et Michael Osborne, The Future of Employment: How Susceptible Are Jobs to ComputeriSation, Oxford Martin School, 17 septembre 2013.

+ -

92.

Voir McKinsey Global Institute, Big Data: the next frontier for innovation, competition, and productivity, McKinsey & Company, juin 2011

+ -

93.

Christopher Pissarides, op. cit..

+ -

De nouveaux risques affectent désormais les parcours professionnels. Le compte personnel d’activité (CPA) prend acte de ces mutations et cherche à introduire une forme nouvelle de sécurisation des parcours professionnels fondée moins sur l’emploi que sur la personne.

A. Une moindre linéarité des parcours professionnels

a) Transformation numérique des entreprises et chômage technologique

La transformation numérique des entreprises – tant dans les services que dans l’industrie90 – rend les parcours professionnels moins linéaires. En effet, l’automatisation à marche forcée occasionne temporairement un chômage technologique important du fait d’un mismatch entre offre et demande de travail. En 1950, aux États-Unis, 60% des emplois manufacturiers étaient occupés par des travailleurs non qualifiés, tandis qu’en 2005, seulement 15% mobilisaient une telle main-d’œuvre91. Les « cols blancs » sont également concernés. Les progrès de l’intelligence artificielle et du deep learning permettent de substituer des « machines pensantes » aux hommes dans l’accomplissement de tâches de plus en plus complexes. Selon une étude publiée en 2013, 702 professions sont d’ores et déjà menacées par l’automatisation et, à l’horizon des dix-vingt prochaines années, 47% des emplois américains actuels auront disparu de ce fait92. Parmi les professions listées par les auteurs, on trouve des professions de cadres. À l’inverse, on observe une pénurie de talents dans les nouveaux gisements d’emplois ouverts par la révolution technologique. Cette pénurie souligne le fait que l’offre de main-d’œuvre n’est pas immédiatement élastique à la demande. Il faut du temps pour apparier les compétences nouvelles à la demande, ce qui se traduit par une situation temporaire de sous-emploi. Ainsi, la pénurie de data analystes devrait-elle être de 140.000 à 190.000 individus pour le seul marché américain93. Autre exemple : la transformation numérique conduit les managers à manquer de connaissances pour exploiter les données et ce déficit atteindrait 1,5 million d’individus sur le marché américain.

Notes

94.

Aysegul Sahin, Joseph Song, Giorgio Topa et Giovanni Violante, « Mismatch Unemployment », American Economic Review, vol. 104, n° 11, novembre 2014, p. 3529-3564.

+ -

95.

Daron Acemoglu et David Autor, « Skills, Tasks and Technologies: Implications for Employment and Earnings », Handbook of Labor Economics, 4, part. B, mars 2011, p. 1046-1171.

+ -

96.

Voir « The world is going to university », economist.com, 26 mars 2015.

+ -

97.

Robert Kelchen, « The relationship between student debt and earnings », edu, 23 septembre 2016.

+ -

98.

Ibid.

+ -
+ -

b) Une disqualification plus rapide des compétences

Pour que l’insertion professionnelle s’effectue de manière fluide, il faut que l’offre et la demande de travail soient en adéquation. Le modèle théorique de référence en la matière a été développé par Christopher Pissarides et baptisé « modèle du matching » (ou « modèle de l’appariement » en français)94. Il postule un mécanisme de tâtonnement entre l’offre et la demande de travail. Du côté de la demande, l’entreprise souhaitant pourvoir un poste définit les caractéristiques de celui-ci (dans la fiche de poste, par exemple), et, du côté de l’offre, le travailleur prospecte un emploi qui correspond à ses compétences. Il n’y a pas toujours parfaite adéquation entre les compétences recherchées et celles offertes, d’où le processus de tâtonnement (entretien d’embauche validant les compétences, période de mise à l’essai…). Ce modèle apparaît particulièrement pertinent pour expliquer la frustration des employeurs à l’heure de l’actuelle révolution des technologies de l’information et des communications qui disqualifie plus rapidement les emplois et ne parvient pas à trouver une main-d’œuvre qualifiée pour administrer ces transformations. Ce mismatch entre offre et demande de travail, sur fond de révolution numérique, est aujourd’hui bien attesté par la recherche. Ainsi, une étude de 2014 portant sur les États-Unis après 2007 montrait un creusement   de l’inadéquation (mismatch) au lendemain de la crise, alors même que s’accélérait la transformation numérique des entreprises95.

Les économistes Daron Acemoglu et David Autor ont noté que, depuis 1973, l’augmentation des gains de productivité ne se déverse plus dans les salaires, sauf pour les diplômés de l’enseignement supérieur. Ceci n’est pourtant pas dû à la baisse de leur nombre, expliquent-ils, puisque, entre 1960 et 1980, le nombre de diplômés du supérieur a augmenté de 110%, mais à l’accélération du taux de pénétration des ordinateurs dans les usines américaines à partir des années 1970. Cette transformation numérique a nécessité l’emploi de cadres bien formés pour accompagner la transition, au détriment de cadres aux compétences disqualifiées par les innovations en cours. Ce phénomène a été baptisé « changement technologique biaisé en faveur du travail qualifié » (skill-biased technical change)96.

Ce mismatch est d’autant plus inquiétant que les rendements privés de l’éducation – notamment en formation initiale –  tendent à décroître. Ceci est préoccupant car, dans le même temps, les efforts d’éducation ont considérablement augmenté au cours des dernières années. D’après l’Unesco, la part globale des étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur (global tertiary-enrolment ratio) est passée de 14 à 32% entre 2002 et 201297. Parallèlement, l’effort public de financement des universités a également considérablement augmenté. Il représente aujourd’hui 1,6% du PIB dans les pays de l’OCDE contre seulement 1,31% en 2000. Les investissements personnels en éducation se sont aussi intensifiés. Une étude du Brookings Institute chiffrait le montant total de la dette étudiante américaine à 1.250 milliards de dollars, soit trois fois plus qu’il y a dix ans98. Malgré ces efforts, le rendement privé du diplôme – c’est-à-dire les bénéfices personnels qu’un individu tire de sa formation en termes de revenus – a diminué. Pour que l’investissement soit rentable, il faut que le debt-to-income ratio, autrement dit le rapport entre la dette contractée pour financer ses études et le revenu généré par le diplôme, soit supérieur à 1. Selon cette même étude, dont le périmètre portait sur les diplômés de licence (bachelor degree) de 191 universités américaines, l’investissement dans les études supérieures n’avait été rentable que pour 15% des individus99.

Notes

100.

Voir Roland Berger Strategy Consultants, Les Classes moyennes face à la transformation numérique. Comment anticiper ? Comment accompagner ?, octobre 2014.

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101.

Olivier Marchand, « 50 ans de mutations de l’emploi », Insee Première, n° 1312, septembre 2010, p. 3.

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102.

Simon Beck et Joëlle Vidalenc, Une photographie du marché du travail en 2014, Insee Première, no 1602, juin 2016, p. 2.

+ -

103.

Laure Omalek et Justine Pignier, Revenu d’activité des non-salariés en 2010, Insee Première, n° 1448, mai 2013, p. 1.

+ -

104.

Lawrence F. Katz et Alan B. Krueger, « The Rise and Nature of Alternative Work Arrangement in the United States, 1995-2015 », NBER Working Paper, no 22667, septembre 2016.

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c) Une polarisation du marché du travail

Ce changement technologique, qui disqualifie instantanément les compétences routinières et exerce une pression constante sur le capital humain, aboutit à une polarisation du travail. Cette polarisation renvoie à l’accroissement de la part des métiers les plus qualifiés et à la baisse des moins qualifiés (à l’exception de certaines niches non affectées par la transformation numérique, telles que les services à la personne). Un rapport prospectif de France Stratégie et de la Dares confirme la polarisation du marché français : la part des emplois occupés par des cadres et des professions intermédiaires devrait passer de 40,8% de l’emploi total en 2012 à 42,5% en 2022. Une telle croissance se fait à travers un mouvement d’éviction, au détriment des emplois faiblement qualifiés qui passent de 38% de l’emploi total il y a vingt ans à moins d’un tiers en 2022100. La polarisation signifie une érosion pour les emplois situés au centre de la distribution et occupés par les classes moyennes ; ce sont les plus exposés au mouvement de disqualification. Dans une de ses études, le cabinet Roland Berger projetait que, sur les quelque 3 millions d’emplois détruits en France, l’essentiel serait constitué d’emplois routiniers, faiblement rémunérés et moyennement qualifiés101.

B. La progression des formes d’emploi alternatives au salariat

Si le salariat demeure encore la forme de relation professionnelle dominante, on observe un progrès de plus en plus important des formes alternatives d’emplois. En France, le salariat n’a cessé de progresser au cours du XXe siècle, passant de 56% de la population active au début du siècle dernier, à 72% en 1962, pour atteindre son maximum en 2007, à la veille de la crise financière, avec un taux de 90%102. Ce taux est depuis lors en léger recul : 88,5% (soit environ 23 millions d’individus) en 2014103. Il faut néanmoins noter qu’entre 2006 et 2011, hors agriculture, les effectifs des non-salariés ont progressé en France de 26%. Parmi les indépendants, l’autoentrepreneuriat – régime créé en 2009 – est la catégorie qui augmente le plus spectaculairement. Dès 2010, 15% des indépendants étaient des autoentrepreneurs, soit deux fois plus qu’à la date de leur création104. En 2013, la moitié des entreprises créées l’étaient sous la forme de l’autoentreprise. Aux États-Unis, cette tendance est encore plus prononcée. Une étude observe là-bas une explosion des formes alternatives d’emploi. Les auteurs considèrent comme alternatives les relations d’emploi suivantes : travail intérimaire, travail lié aux plateformes numériques, travail des prestataires sous contrat, travailleurs free-lance. Selon eux, ces formes alternatives employaient 15,8% des Américains fin 2015, contre seulement 10,7% une décennie auparavant. Mais, de façon plus spectaculaire encore, ils montrent qu’au cours de la période 2005-2015, 94% des emplois créés aux États-Unis l’étaient sous une forme alternative !

Proposition n° 7. Un compte personnel d’activité aux droits liquides.

Pour que les « droits de tirage » soient effectifs au sein du CPA, il convient d’en assurer l’universalité, la portabilité et la fongibilité. En effet, les droits concernés par le CPA ne sont pas tous universels. Par exemple, la généralisation de la couverture complémentaire santé prévue au sein de l’ANI du 11 janvier 2013 ne s’applique toujours pas aux employés du secteur public ainsi qu’aux indépendants, ce qui rend l’universalité encore très théorique. Par ailleurs, la multiplicité des régimes gestionnaires de droits, combinée au caractère de plus en plus discontinu des parcours professionnels (étudiants travaillant dans une activité à temps partiel, demandeur d’emploi créant son autoentreprise…), rend difficile la portabilité des droits. La fongibilité des droits est rarement assurée de façon pleine et entière, malgré des efforts notables (systèmes de points acquis dans le cadre du compte personnel de prévention de la pénibilité, création de dispositifs tels que l’aide à la reprise ou création d’entreprise (ARCE), qui permet aux demandeurs d’emploi ayant créé leur entreprise de profiter des allocations-chômage sous forme de capital plutôt que de versements mensuels classiques). L’approfondissement, mesure par mesure, de l’universalité, de la portabilité et de la fongibilité des droits doit inspirer la convergence de droits plus liquides. La démarche doit se faire progressivement au sein de la loi sociale.

La réforme du marché du travail doit s’articuler autour du double objectif d’une plus grande flexibilité et d’une protection accrue des travailleurs devant le caractère plus volatil et heurté de l’environnement économique. Il en va de leur adhésion collective. La flexibilité n’a en effet pas de sens si elle ne s’inscrit pas dans une réflexion plus globale sur la moindre linéarité des parcours professionnels.

Ce changement de paradigme économique implique de mesurer le caractère plus impératif d’une subjectivation et d’une personnalisation des droits. À cette aune, l’effectivité de « droits de tirages sociaux », à l’intérieur de comptes personnels, doit inspirer la conduite future des politiques sociales.

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