Résumé
I.

Être fiscaliste volcanologue pour constater le changement de paradigme

1.

La disparition des frontières : la fin de l’État acteur de l’économie

2.

Qui taxe quoi ? Ou l’émergence de la géopolitique fiscale

II.

Une réforme fiscale nécessaire

1.

Pertinence de la répression comme réponse au changement de paradigme?

2.

Réinventer la fiscalité, c’est possible et faisable

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Résumé

Dans le cadre du séminaire Bastiat organisé le 18 décembre 2013 par la Fondation pour l’innovation politique, Gianmarco Monsellato a fait la proposition ci-dessous afin de réformer la politique fiscale française :

mettre en place un nouveau contrat fiscal à l’échelle européenne pour réconcilier la fiscalité avec le monde tel qu’il est et tirer parti de la globalisation plutôt que de la subir.

Gianmarco Monsellato,

Avocat associé, directeur général de Taj, société d’avocats, membre de Deloitte Touche Tohmatsu Limited.

La fiscalité a toujours été la cristallisation, à un moment donné de l’Histoire, d’un rapport de forces entre la puissance publique et les libertés individuelles. Contrairement à certaines idées reçues, la fiscalité ne peut être juste. C’est toujours un acte contraignant, qui permet de passer de l’anarchie à la société organisée. L’impôt, par nature, restreint la liberté individuelle au profit d’un intérêt public ou collectif. Cela a été vrai tout au long de l’Histoire, où l’on a pu voir de nombreuses mutations sociales naître à travers la fiscalité.

I Partie

Être fiscaliste volcanologue pour constater le changement de paradigme

Même si je ne prends pas la parole en cette qualité, mon métier  d’avocat  fiscaliste au sein d’un réseau international me donne une position privilégiée en me permettant  d’anticiper   les mutations de fond de l’économie mondiale. En effet, il  offre la possibilité  d’observer les grands mouvements fiscaux, comme la réforme du régime fiscal chinois en 2008 ou la réforme  fiscale  américaine  de l’administration  Clinton  au  début  des années 1990, qui, à chaque fois, annoncent des mutations économiques, sociologiques et géopolitiques absolument fondamentales, que cela soit consciemment ou inconsciemment.

À cet égard, le métier de fiscaliste peut être comparé à celui de volcanologue. Le fiscaliste est un volcanologue économique qui occupe un poste d’observateur privilégié au sein de l’économie mondiale afin d’en anticiper les mutations. Or nous sommes aujourd’hui confrontés à une onde née il y a une vingtaine d’années et qui ne cesse de prendre de l’ampleur, au point de générer un véritable raz-de-marée. À défaut de maîtriser cette évolution, nous pouvons soit décider de la  comprendre et de l’accompagner par le biais d’une réforme en phase avec les mutations économiques actuelles, soit la subir, et, dans ce cas, les dégâts seront considérables pour notre économie car il est impossible de lutter contre de tels mouvements.

Nous sommes actuellement dans une situation qui est exactement à  l’opposé de celle de la fin de l’Empire romain. Au moment du déclin de  l’Empire  romain,  la légion a progressivement perdu son avantage technologique sur les barbares. Plus  personne  ne  souhaitait   rester   aux frontières de l’empire, car ceux-ci multipliaient les attaques et pillaient les campagnes. Dans cette situation, l’empire décida de créer une stay tax, en forçant les citoyens romains à  rester  sur  place et en créant une sorte de passeport qui interdisait aux Romains de quitter leur région. Cette situation est  l’inverse  de  ce que nous faisons aujourd’hui, mais répond à la même logique : nos citoyens veulent partir et l’État, dans un moment de faiblesse tragique, cherche à les retenir. L’État met ainsi en place des exit tax,  pour empêcher le départ de ses citoyens. Être réduit à trouver des expédients pour empêcher ses citoyens et ses ressortissants de partir devient très inquiétant.

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La disparition des frontières : la fin de l’État acteur de l’économie

La mutation profonde à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés porte un nom : c’est la disparition des frontières. Ce mouvement, qui a commencé il y a une vingtaine d’années, s’affirme aujourd’hui comme une évidence. La notion de frontière est en passe de disparaître ; elle a disparu en Europe et s’estompe également au niveau mondial. Cette disparition est un choc qui bouleverse nos rapports à l’État et à la société. En effet, qu’on le veuille ou non, la fin de la frontière induit inévitablement la fin de la transcendance de l’État. Durant plusieurs siècles, l’État, en France comme ailleurs, s’est défini comme la puissance publique qui protège ses citoyens, essentiellement contre la guerre (contre les invasions, contre les risques de violence extérieure). Avec la suppression des frontières, cette légitimité n’existe plus. Si le risque de violence n’a pas disparu, l’État doit donc  réinventer sa légitimité dans un monde ouvert et nécessairement communautaire, avec les communautarismes que cela suppose. Dans un monde sans frontières, le modèle de diaspora est en passe de devenir un modèle dominant. Cependant, à l’inverse des diasporas construites autour de la pauvreté des immigrants, la France est en passe de construire une diaspora autour de la richesse des exilés.

Cette évolution amène à repenser l’idée de la puissance publique : l’État n’est plus une puissance régalienne, mais devient un partenaire contractuel. Dans ce système globalisé, l’investissement des entreprises devient un arbitrage économique entre différents États. L’obligation d’optimiser s’impose alors aux entreprises qui cherchent à préserver leur compétitivité au sein de marchés mondialisés. Aucune entreprise ne peut se  permettre  de  payer nettement plus d’impôt que ses concurrents. Dans ce contexte, l’État n’est plus un acteur de l’économie mais devient un régulateur. L’État n’a plus les moyens d’agir directement dans l’économie, et lorsqu’il  intervient,  son   intervention  est forcément néfaste. En revanche, la régulation est une puissance effective très forte.

Ce changement impacte nécessairement et inévitablement le rapport à l’impôt. Au sortir du Moyen Âge, la puissance étatique s’est affirmée à travers un double processus de monopolisation de la violence légitime et de l’impôt légitime. L’impôt que nous connaissons encore aujourd’hui a ainsi été conçu pour un monde fermé, dans lequel les frontières sont hermétiques et où l’État peut décider quelle partie de l’économie privée il peut prélever pour financer l’action publique. Désormais, la situation est devenue plus subtile. Dans un monde ouvert, un niveau d’imposition trop élevé peut conduire à une fuite des capitaux générée par l’arbitrage économique des entreprises et des particuliers. Dans un monde globalisé, l’État n’est plus confronté seulement aux contribuables dans le rapport à l’impôt, mais il est également confronté aux autres États.

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Qui taxe quoi ? Ou l’émergence de la géopolitique fiscale

Toute base fiscale est une base fiscale transnationale. Si l’on excepte les artisans et les très petites entreprises (TPE), toute entreprise est désormais transnationale, donc tout revenu est transnational. Pour toute base fiscale concernant au moins deux États, la question qui se pose est donc : qui taxe quoi ? Dans ce contexte, 94% des entreprises européennes ont déjà subi des doubles impositions. Sur un même flux, elles paient deux fois l’impôt revendiqué par deux États différents. Cette situation résulte de la compétition exacerbée entre les États pour taxer cette base fiscale, et c’est l’entreprise qui en est la victime puisque chaque État cherche à taxer en priorité sur son territoire avant de voir si le voisin en fera de même. La fiscalité devient dans ce contexte une source de conflit que se livrent les États pour capter des recettes au détriment des entreprises qui se retrouvent prises en otage.

Les champions de la double  imposition en Europe sont actuellement les Français. Il existe de nombreux cas de doubles impositions entre la France et l’Allemagne ou la France et l’Italie. En Amérique du Nord, le groupe Chrysler a quant à lui fait faillite à cause d’une double imposition de 1 milliard de dollars entre les États-Unis et le Canada, pas entre les États-Unis et les Bermudes !

Nous sommes donc un État qui se confronte à d’autres États pour capter les recettes fiscales des entreprises. La préemption de recettes fiscales françaises par ses partenaires économiques américains, anglais,  allemands,   japonais,   chinois  ou indiens représente ainsi des sommes considérables. Si les grandes entreprises multinationales peuvent espérer obtenir un ajustement, les petites et moyennes entreprises (PME), elles, n’en ont pas les moyens et subissent de plein fouet ces rivalités interétatiques. Il y a une forte compétition entre États sur l’impôt afin de capter les recettes et les entreprises en sont les victimes.

II Partie

Une réforme fiscale nécessaire

Face à cette situation, sommes-nous condamnés à avoir un État dont la recette fiscale va baisser à l’infini et dont l’action publique va disparaître, faute de moyens de la financer, ou pouvons-nous réformer pour être plus efficace ? Pour savoir comment réformer, il faut comprendre qu’aujourd’hui,  pour  un  pays   comme  la France, au sein d’un marché unique, avec une devise unique, il n’y a que deux possibilités en matière de fiscalité : la France n’a le choix qu’entre harmonisation ou compétition avec ses voisins, voire un mélange des deux. En revanche, le choix d’une troisième voie, non compétitive et non harmonisée, est nécessairement voué à l’échec. La troisième voie qui consiste   à penser qu’un État a une vocation universelle et qu’il peut apprendre aux autres comment procéder en matière fiscale est irréaliste. Désormais, nous ne pouvons plus avoir raison contre le reste du monde et il n’est plus possible de privilégier des politiques fiscales qui vont à contre-courant de nos voisins et qui se révèlent inévitablement pénalisantes pour les investissements  –  voir  notamment  le rapport sur l’investissement dans le monde en 2013 publié par la Conférence des  Nations  unies  sur   le   commerce   et le développement (CNUCED). Malheureusement, la puissance publique française est encore persuadée qu’il existe une troisième voie et que la France peut apprendre au monde comment mieux taxer et s’imposer comme un exemple pour les autres États. Il est cependant primordial d’abandonner rapidement cette idée avant que la situation économique de la France se détériore.

La France s’oriente aujourd’hui vers la voie de la répression. Force est de constater que le système dysfonctionne et que la base fiscale se contracte. En effet, comme l’avait souligné l’économiste américain Arthur Laffer, à partir d’un certain seuil, l’augmentation du niveau des prélèvements obligatoires entraîne une baisse des recettes fiscales. Or, dans un monde ouvert comme l’Union européenne, le choix d’investissement des entreprises sera toujours orienté vers les États ayant une fiscalité plus avantageuse. La politique fiscale de la France, située à l’opposé de cette logique de compétitivité, se révèle donc préjudiciable.

Pour savoir comment réformer, il faut comprendre qu’aujourd’hui, pour un pays comme la France, au sein d’un marché unique, avec une devise unique, il n’y a que deux possibilités en matière de fiscalité : la France n’a le choix qu’entre harmonisation ou compétition avec ses voisins, voire un mélange des deux. En revanche, le choix d’une troisième voie, non compétitive et non harmonisée, est nécessairement voué à l’échec.

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Pertinence de la répression comme réponse au changement de paradigme?

Face à ce constat, la réponse du gouvernement actuel, comme celle du précédent, a été la répression. Dans la logique actuelle, si les recettes fiscales diminuent, cette baisse est nécessairement liée à la fraude. Si les entreprises ou les particuliers fraudent, il faut mettre en place des lois répressives pour y remédier. Nous nous réfugions alors dans la  recherche de boucs émissaires au point d’aboutir à un message absurde : si nous manquons d’impôt, c’est de la faute de ceux qui le payent ! La loi de lutte contre la fraude fiscale qui vient ainsi d’être adoptée en France est une loi qui rappelle le régime de Vichy dans son attaque en règle des libertés publiques. En effet, pour la première fois en France depuis 1944, à l’exception des lois sur le terrorisme, on présume les citoyens coupables sur le plan pénal jusqu’à preuve du contraire. Le fait de  détenir  un compte à l’étranger est ainsi devenu une circonstance aggravante qui conduit à être présumé fraudeur, sauf à prouver l’origine de chacun des euros présents sur son compte domicilié à l’étranger. De plus, cette nouvelle loi octroie aux enquêteurs la possibilité d’utiliser des techniques dites « spéciales » d’enquête, comme la surveillance, les écoutes, l’infiltration ou la garde à vue de deux jours. Pris dans une fuite en avant, dans un système fiscal qu’il ne maîtrise plus, l’État en vient ainsi à oublier que, même si la fraude fiscale est un mal contre lequel il faut lutter, l’optimisation est une liberté publique fondamentale qui permet de différencier la démocratie d’un État totalitaire.

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Réinventer la fiscalité, c’est possible et faisable

Face  aux  dérives  et  à   l’obsolescence  de notre système fiscal qui pénalisent l’État, les entreprises et les particuliers, la fiscalité doit donc être réinventée. Il est indispensable de penser l’impôt comme un acte économique dans un monde globalisé. La première étape de cette réforme indispensable consiste à construire un impôt européen sur les sociétés, commun à la zone euro. Nous avons à présent une devise commune, un marché commun et dix-huit fiscalités différentes. Cette situation ne peut pas fonctionner durablement. Par conséquent, pour les États membres de la zone euro, ou tout au moins une majorité d’entre eux, il est nécessaire d’instaurer une base commune d’impôt sur les sociétés. Le projet existe déjà. En effet, partant du constat que la diversité des régimes d’imposition sur les sociétés est un frein au bon fonctionnement du marché intérieur, la Commission européenne a présenté, le 16 mars 2011, une proposition de directive visant à instituer une assiette commune consolidée pour l’impôt  sur  les sociétés (ACCIS). Neuf pays, dont la France,  l’Allemagne,  l’Italie,  l’Espagne  la Belgique et les Pays-Bas, étaient même prêts à soutenir ce projet. L’instauration d’une assiette commune permettrait de changer la donne au niveau européen et représenterait une véritable opportunité d’harmonisation et de transparence pour les entreprises et les États. Avec la mise en place d’une assiette commune, les taux seraient alors inévitablement amenés à converger, entraînant une réduction des risques et des coûts administratifs pour les entreprises.

Néanmoins, les acteurs publics rechignent à mettre en place une telle réforme par crainte de voir s’opérer un transfert de leur souveraineté nationale vers l’Europe. Cependant, ce transfert de souveraineté au niveau de la collecte de l’impôt n’entraverait en rien la capacité d’action économique des États. Certes, un seul pays serait amené à prélever l’impôt, mais celui- ci serait ensuite réparti en fonction d’une formule basée sur le  chiffre  d’affaires,  les salariés et les actifs. Or cette formule, dans toutes les simulations, est en faveur des grandes économies comme la France et l’Allemagne, parce qu’elle favorise le renvoi de l’impôt vers les grands marchés. Les perdants seraient alors inévitablement les petits pays à économie ouverte, qui ont su jusqu’alors profiter de la compétition européenne pour accroître leurs recettes budgétaires.

Cette réforme permettrait donc d’accroître la compétitivité et les recettes fiscales françaises et d’éliminer l’arbitrage fiscal qui existe aujourd’hui pour les entreprises au niveau européen. L’abandon de la souveraineté étatique sur l’impôt sur les sociétés (IS) serait ainsi compensé par  un   accroissement   et   une   sécurisation des recettes fiscales qui permettrait de dégager des ressources pour attaquer la réforme qui consiste, dans un deuxième temps, à harmoniser l’impôt sur le revenu au niveau européen. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle un salarié français garde seulement 25 à 30% des revenus de son travail – après avoir enlevé toutes les charges patronales, salariales et l’impôt sur le revenu, mais sans compter ni l’impôt sur la fortune (ISF) ni la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Un Belge, lui, garde 75% de ses revenus si c’est un entrepreneur, et un Allemand garde 50%. Au sein d’un marché unique et d’une Europe commune, cette situation n’est pas tenable et nous ne pouvons pas avoir de telles divergences.

Dans un deuxième temps, il sera donc impératif de s’attaquer la fusion européenne de l’impôt sur le revenu, ce qui suppose la mise en place d’un système de prélèvement à la source. Cette réforme est cependant plus complexe, car elle implique une période de transition difficile. Actuellement, seuls trois pays au sein de l’OCDE n’ont pas mis en place un système d’impôt sur le revenu prélevé à la source : la France, la Suisse et Singapour. La France devra donc inévitablement procéder à cette réforme pour ne pas rester un musée de la fiscalité parmi les pays développés. Dans cette optique d’harmonisation, l’ISF, qui est une exception française, serait également voué à disparaître.

Enfin, après la réforme de l’impôt sur les sociétés et sur le revenu, il resterait alors à mettre en place une réforme de la fiscalité locale. Les Régions ou les Départements seraient alors amenés à lever directement les impôts locaux. Les contribuables pourraient donc avoir une meilleure vision des dépenses locales et les élus locaux seraient plus responsabilisés dans l’orientation des dépenses publiques.

La mise en place de ces mesures pourrait générer un effet domino  provoquant  une véritable réaction en chaîne dans l’harmonisation de la politique fiscale européenne. Avec cette réforme, nous pourrions profiter de la fin des frontières pour réinventer le rapport entre la France et l’Europe, et replacer la France au centre de l’Europe. Dans cette optique, nous ne serions plus handicapés par une fiscalité d’un autre âge. La puissance économique, la puissance de ses talents et la puissance géographique de la France reprendraient leur importance au sein de l’Europe, alors que pour le moment cette importance est largement voilée par un système fiscal obsolète qui nous bride. Si nous acceptons de faire ce gambit et de transférer notre souveraineté fiscale au niveau du prélèvement – pas au niveau de la dépense – à la Commission européenne, nous retrouverons toutes nos forces dans l’Europe, ce qui serait une chance non seulement pour la France mais également pour l’Europe elle-même.

Face aux dérives et à l’obsolescence de notre système fiscal qui pénalisent l’État, les entreprises et les particuliers, la fiscalité doit donc être réinventée. Il est indispensable de repenser l’impôt comme un acte économique dans un monde globalisé.

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