Introduction
Les micropolluants chimiques dans les eaux
Les micropolluants biologiques dans les eaux
Exposition humaine et risques pour la santé
Comment améliorer l’Etat de nos ressources ? Réformes possibles pour accroître la qualité des eaux à la disposition du citoyen
Conclusion
Résumé
On distingue deux types de micropolluants. La pollution chimique, d’une part, est liée à la contamination des ressources en eau par l’activité humaine, au traitement de l’eau destinée à la consommation ou à son altération au cours de la distribution ou du stockage. La pollution biologique des eaux (bactéries, virus et parasites), avant tout liée aux déjections humaines et animales, est aussi très importante. La prévention doit permettre de surveiller la qualité de tout ce qui a une influence sur la production de l’eau, de son captage au transport mais aussi des réseaux de distribution publics comme privatifs et jusqu’au robinet. Les défis ne manquent pas pour réduire les risques de contamination. Si des progrès notables ont été enregistrés en vue de réduire les pollutions d’origine industrielle et urbaine, il reste encore beaucoup à faire pour lutter contre les pollutions diffuses en grande partie liées à l’agriculture et à l’élevage et pour améliorer l’évaluation des risques sanitaires liés aux micropolluants biologiques.
D’autre part, les techniques d’épuration des eaux usées produisent de grosses quantités de boues dans lesquelles sont accumulés les polluants. En France, les unités de production et de distribution d’eau sont trop éclatées pour accomplir cette tâche. Si l’eau destinée à la boisson est en général de très bonne qualité, les eaux destinées aux loisirs ne sont pas au même niveau. Des dizaines de molécules organiques issues des industries chimiques et pharmaceutiques ont été découvertes. Dans tous ces domaines, la réglementation, qu’elle soit européenne ou nationale, est souvent satisfaisante. Elle doit cependant être appliquée de manière optimale. Enfin, les citoyens doivent être mieux informés sur les risques liés aux multiples usages de l’eau.
Philippe Hartemann,
Professeur de santé publique et médecine sociale Faculté de médecine de Nancy
Docteur en biochimie – Docteur en médecine
Introduction
L’eutrophisation est la modification et la dégradation d’un milieu aquatique.
Anthropique : lié à l’activité humaine
Solubilité : aptitude à se dissoudre dans l’eau. Certaines molécules sont très hydrosolubles et d’autres sont insolubles, mais peuvent l’être dans les graisses comme certains pesticides.
Rémanence : aptitude à persister dans le milieu du fait de leur non-dégradation chimique passive ou active par des organismes vivants et leur devenir dans les eaux, les sols et la chaîne alimentaire.
L’eau est d’une importance capitale pour la vie, elle en est le fondement. L’eau est à la fois un aliment, éventuellement un médicament, une matière première industrielle, énergétique et agricole, et un moyen de transport. Ses usages sont donc multiples, mais s’agissant de santé humaine, ils sont dominés par l’agriculture et l’aquaculture, l’industrie et l’artisanat, les loisirs aquatiques (dont la baignade) et surtout la fourniture collective ou individuelle d’eau potable, utilisable à des fins alimentaires (eau de boisson, cuisine), mais aussi domestiques et d’hygiène corporelle.
Quelle qualité des eaux ?
Le degré de qualité exigible des eaux dépend évidemment de ces usages et on est particulièrement attentif à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (EDCH), elle-même dépendante de celle des ressources en eau disponibles. Rappelons que l’essentiel des ressources planétaires est représenté par les eaux océaniques (environ 97 %) qui sont très difficilement utilisables. L’eau de mer est, après évaporation, à l’origine des ressources hydriques continentales, souterraines et de surface, dont la quantité et/ou la qualité peuvent parfois poser problème. Cette qualité est tout particulièrement affectée par les déchets issus des activités humaines, qu’il s’agisse de déchets solides (ordures ménagères, résidus industriels, etc.), gazeux (acidification liée à la pollution atmosphérique), ou liquides (eaux résiduaires urbaines, industrielles ou agricoles, eaux de ruissellement). Ces eaux, plus ou moins convenablement traitées, font courir des risques au milieu récepteur, dont les capacités autoépuratrices naturelles sont limitées. En effet, les phénomènes physico-chimiques naturels (agitation entraînant un dégazage, UV naturels et transformations chimiques, absorption sur les sédiments) et les transformations biologiques par la flore et la faune sont souvent insuffisants ou inefficaces. Il en résulte des altérations écologiques et des répercussions sur les usages humains des eaux plus ou moins faciles à corriger par des traitements onéreux et complexes. Une bonne gestion des déchets, en amont, se répercute ainsi sur la qualité des ressources en eau et sur leurs usages tout en réduisant au minimum indispensable les traitements correctifs éventuels.
Les eaux souterraines sont plus ou moins bien protégées des contaminations des sols, selon leur profondeur et, surtout, la nature géologique des terrains sous-jacents. Certains polluants atmosphériques transmis à longue distance (oxydes de soufre et d’azote, ammoniac, en particulier) sont susceptibles de provoquer acidification et/ou eutrophisation1 des sols et des eaux. C’est le cas, par exemple, des eaux lacustres acidifiées au Canada et en Scandinavie). Les eaux superficielles sont bien sûr les plus affectées par les rejets et leur contamination peut affecter divers organismes vivants aquatiques directement consommés par l’homme (poissons, crustacés, coquillages) ou être indirectement en cause dans la contamination progressive de la chaîne alimentaire. Ainsi, certaines molécules organiques de synthèse sont peu ou non-biodégradables par les micro-organismes aquatiques. Elles vont donc persister dans le milieu récepteur et pourront être bio accumulées au fil de la chaîne trophique : les bactéries et le plancton sont contaminés et ensuite absorbés par des organismes plus gros pour se retrouver dans les poissons en bout de chaîne (par ex. polychlorobiphényles).
Quelles pollutions pour le milieu hydrique ?
Diverses formes de pollution affectent les ressources en eau. La pollution « thermique» est la conséquence du déversement dans le milieu aquatique (fleuves, eaux littorales) de quantités considérables d’eau utilisées pour le refroidissement, surtout lors de la production d’énergie électrique par les centrales thermiques ou nucléaires. L’élévation excessive de la température de l’eau fluviale, surtout en période de faibles débits (étiage), peut modifier l’équilibre biologique des eaux au regard des espèces piscicoles et faciliter le développement d’amibes libres, pathogènes pour les baigneurs.
Si la pollution radioactive est celle qui inquiète le plus la population, elle est de très loin la plus faible. Cette inquiétude est liée en particulier à une méconnaissance des différents types de rayonnements et de leur dangerosité. Le rayonnement alpha est arrêté par une feuille de papier, mais peut poser problème si l’on ingère un radioélément émettant ce type de rayonnement. Les rayonnements bêta et surtout gamma sont beaucoup plus pénétrants et peuvent poser problème sur la santé en cas d’exposition sans ingestion ou inhalation. Les émetteurs de rayonne- ment alpha (226Radon, 234Uranium, 238Uranium, …) sont généralement d’origine naturelle et éventuellement présents dans les eaux souterraines de zones géographiques déterminées comme, par exemple, les zones granitiques (Bretagne, Massif central et Vosges) pour le radon. Les émetteurs bêta sont en général associés à des activités humaines (90Strontium, 134Césium, 131Iode, …) et la radiocontamination peut provenir de déversements hydriques volontaires ou accidentels, ou de retombées atmosphériques comme l’Iode en cas d’accident nucléaire. La plupart des radioéléments s’absorbent facilement sur des particules (sédiments des eaux, boues de station d’épuration, etc.). Des organismes aquatiques (poissons, mollusques, crustacés) sont susceptibles d’accumuler certains radioéléments, créant une contamination de la chaîne alimentaire. Quant aux émetteurs de rayonnement gamma, utilisés surtout en diagnostic par les services de médecine nucléaire, leur usage strictement réglementé en interdit les rejets.
La pollution chimique, très largement répandue et très diverse, est probablement la plus fréquente. Il s’agit d’abord de contaminations par des composés inorganiques, par exemple :
- Sodium et chlorures ;
- Nitrates : principalement issus des engrais agricoles, d’eaux usées domestiques et industrielles (abattoirs, tanneries, etc.), on les retrouve dans de nombreuses ressources souterraines. Ils sont dangereux après réduction en nitrites, pouvant se lier à l’hémoglobine dans les globules rouges et éventuellement précurseurs de nitrosamines cancérigènes ;
- Phosphates : provenant des lessives et des engrais, ils participent en première ligne au processus d’eutrophisation, phénomène qui a des conséquences environnementales, comme cela a été bien décrit en Bretagne (développements d’algues, notamment en zones estuariennes), et sanitaires (par libération de toxines algales) ;
- Métaux lourds : (plomb, mercure, cadmium) d’origine industrielle ou artisanale, ils peuvent être accumulés dans les sédiments en certains points fluviaux ou littoraux bioaccumulés par la flore et la faune aquatiques (poissons, coquillages, etc.) et à l’origine de véritables intoxications humaines. Il existe des exemples historiques ou plus récents : mercure transformé en méthylmercure accumulé dans les poissons à consommer à Minamata au Japon ou en Guyane française, cadmium et maladie Itaï-Itaï au Japon.
Par ailleurs, les contaminants organiques d’origine anthropique2 sont potentiellement innombrables : détergents, produits phytosanitaires, solvants, hydrocarbures, résidus de médicaments, plastifiants… Liés aux activités humaines de tous ordres, ils créent des problèmes différents selon leur solubilité3 et leur rémanence4. Hormis des accidents (sub) aigus ponctuels ou des phénomènes cumulatifs, les molécules organiques interrogent de plus en plus du fait de leur présence ubiquitaire, polyvalente et insidieuse, se manifestant par des effets avérés sur les espèces animales et des effets réels ou potentiels sur la santé de l’homme à long terme (cancers, altérations endocriniennes, par exemple).
La pollution microbienne et parasitaire des eaux, est aussi très importante. Son origine est avant tout fécale, due aux déjections humaines et animales, au travers des eaux usées plus ou moins bien maîtrisées. Cette pollution se retrouve donc au niveau des stations d’épuration des eaux usées, dont le premier stade (traitement primaire) est une décantation où l’on fait sédimenter les particules en suspension, ce qui produit des boues. Le deuxième stade est une oxydation chimique et biologique (par des micro-organismes aérobies) qui dégrade certaines molécules et inactive certains micro-organismes. Il se termine également par une décantation qui produit encore des boues. Ces traitements primaires et secondaires des eaux usées n’affectent qu’en partie leur charge microbienne et, surtout, transfèrent cette pollution dans les boues qui sont microbiologiquement très contaminées, sauf traitement approprié.
Les micro-organismes de pollution des eaux sont des bactéries (salmonelles, shigelles, E. coli, vibrions cholériques, etc.) susceptibles de provoquer des troubles gastro-intestinaux (entéropathogènes), des virus (entérovirus de type poliovirus, coxsackies et echovirus, virus de l’hépatite A, corona et rotavirus, virus de Norwalk et assimilés) responsables, selon les cas, de gastro-entérites, hépatites ou syndromes neuroméningés. Ces virus sont, en général, plus persistants dans le milieu et plus résistants aux traitements de désinfection que les bactéries. Des parasites sont aussi en cause : ils sont fort nombreux dans les pays tropicaux à impliquer un stade hydrique important dans leur cycle de développement, tel Entamoeba coli. Dans les pays développés, on connaît aussi des parasites unicellulaires, tels Giardia lamblia et Cryptosporidium parvum, qui sont de redoutables agents pathogènes, notamment pour des sujets immunodéprimés; leurs kystes sont aussi particulièrement résistants dans le milieu et face aux désinfectants. Enfin, des algues microscopiques peuvent être en cause (cyanobactéries et autres) par prolifération dans le milieu aquatique (baignades) et créer, par leurs toxines, des problèmes pour les eaux potables.
Nous allons envisager successivement et plus en détail ces micropolluants chimiques et biologiques, puis l’exposition humaine et les risques sanitaires avant de proposer des pistes pour le changement de la situation et les réformes nécessaires pour continuer à améliorer l’état de nos ressources en eau.
Les micropolluants chimiques dans les eaux
Les eaux peuvent contenir naturellement des sels minéraux et des matières organiques provenant des terrains traversés : roches libérant du sodium, du potassium, du fluor, des carbonates ; tourbe et humus appor- tant des acides humiques ou fulviques. Ainsi, la composition naturelle des eaux minérales est très diverse selon les sources, allant d’une eau très peu chargée en éléments minéraux (ex. Evian – Volvic) à une eau très riche (ex. Vichy – St Yorre). Dans ce cas on ne parlera pas de micropolluants puisque ces substances sont d’origine naturelle.
On pourra parfois retrouver les mêmes sels minéraux qualifiés de polluants lorsqu’ils seront issus d’une activité humaine : par exemple les rejets salins des mines de sel et de potasse. Ainsi, un contentieux sérieux existe entre la France et ses voisins situés en aval qui se plaignent, à juste titre, de la pollution saline rejetée en rivière leur posant problème pour la potabilisation de cette ressource très chargée en sels minéraux (sodium, potassium).
Cependant, en général, la micropollution chimique des eaux est due à des sels, des métaux ou des molécules organiques qui, même s’ils sont parfois présents dans l’environnement naturel, sont spécifiquement liés à l’agriculture, l’industrie, les transports et à d’autres activités humaines. Parmi ces micropolluants chimiques, nous pouvons citer :
- Les sels minéraux tels les phosphates et les nitrates ;
- Les métaux lourds tels que le plomb, le cadmium, le mercure ou légers tels que le fer, l’aluminium, le cuivre ;
- Les hydrocarbures comme ceux contenus dans les carburants et leurs additifs organiques, mais aussi ceux résidus de combustions (HAP, benzopyrène, etc.) ;
- Les solvants : trichloréthylène, tétrachloréthylène ;
- Les produits phytosanitaires dont la gamme est très large : pesticides, herbicides, rodenticides ;
- Les molécules d’origines industrielles persistantes dans l’environne- ment ;
- Les désinfectants, les détergents et les sous-produits d’oxydation des désinfectants ;
- Les résidus de médicaments qui font l’objet actuellement à leur tour de campagnes systématiques de mesures afin de mieux connaître cette problématique nouvelle, en particulier pour les antibiotiques et leur éventuelle pression de sélection pour l’émergence de bactéries résistantes
- Et bien d’autres…
La liste des micropolluants chimiques déversés par les activités humaines dans l’environnement est longue
Voici, à titre d’exemple, une liste non-exhaustive des molécules à rechercher dans les eaux (souterraines et de surface) comme préconisé par la circulaire du 29 septembre 2010 relative à la surveillance de la présence de micropolluants dans les eaux rejetées au milieu naturel par les stations de traitement des eaux usées (ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer). Cette circulaire a été élaborée dans le cadre de la directive européenne 2000/60 (directive cadre sur l’eau : DCE) en application de la Loi 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques.
- Substances dangereuses prioritaires (DCE et liste I de la directive 2006/11/CE) :
*Métaux : cadmium, mercure, tributyl-étain,
*Alkylphénols : nonylphénols, NP1OE, NP2OE,
*Chlorobenzènes et solvants : hexachlorobenzène, penta-chloroben- zène, hexachlorobenzène, tétrachlorure de carbone, tétrachloroéthylène, trichlorethylène….
*Hydrocarbures polycycliques, aromatiques : anthracène, benzo(a) pyrène, benzo(b)fluoranthène, benzo(k)fluoranthène….
*Pesticides : DDT, endosulfan, HCH, endrine, aldrine…
- Substances de l’état chimique (substances prioritaires) et écologique de la DCE :
*Métaux : nickel, plomb, arsenic, chrome, cuivre, zinc…
*Chlorobenzènes et solvants : trichlorobenzènes, benzène…
*HAP : naphtalène, fluoranthène…
*Pesticides : isoproturon, diuron, simazine…
- Autres substances :
*Métaux : aluminium, fer, étain…
*BTEX : toluène, xylènes…
*PCB : 28, 52, 101…
*Pesticides : chlordane, chlordécone, lindane…
*etc.
L’évaluation du risque chimique
L’évaluation du risque d’origine chimique est effectuée principalement lors de la préparation des directives ou recommandations de qualité d’eau potable. Cette démarche peut être aussi utilisée lors de dépasse- ments de valeurs de certains paramètres dans une eau afin de déterminer l’importance et le type de mesures à prendre pour protéger la santé de la population. La première étape utilisée habituellement dans l’évaluation de risques consiste à déterminer si la substance étudiée a un caractère cancérigène et si celui-ci est suffisamment documenté (cancérigène certain ou probable pour l’humain).
Cas des substances considérées comme non-cancérigènes, avec seuil (dites aussi déterministes)
Ces molécules ont ou n’ont pas d’effet bénéfique sur la santé lorsqu’elles sont consommées à faible dose. Lorsque l’on augmente la dose absorbée, on verra apparaître une toxicité (effet néfaste sur la santé) à partir d’une certaine valeur appelée seuil.
Dans le cas de ces substances, la première étape consiste à déterminer le niveau (ou la dose) pour lequel il n’y a pas d’effets nocifs obser- vés (DSENO) communément appelé en anglais NOAEL (no observed adverse effect level). La dose sans effets observés est la plus importante pour laquelle aucun effet nocif n’a été observé dans les études de toxicité habituellement réalisées chez l’animal. Idéalement, ces études doivent être menées à la suite d’une exposition chronique. En revanche, lorsque les études de toxicité chronique ne sont pas disponibles, on peut utiliser des études de toxicité d’exposition plus courte. Dans le cas de substances pour lesquelles la toxicité aiguë ou subaiguë est plus importante (par exemple, les nitrites chez l’enfant), la détermination du NOAEL est faite au regard de l’exposition aiguë ou subaiguë. Le NOAEL est défini habituellement sous forme de dose, c’est-à-dire sous forme de milligrammes par kilogramme de poids.
L’étape suivante consiste à déterminer la dose journalière acceptable (DJA), appelée aussi en anglais ADI (« acceptable daily intake »). Cette dose est calculée habituellement en divisant le NOAEL par un certain nombre de facteurs, parfois appelés « facteurs de sécurité » ou encore « facteurs d’incertitude ». Il est habituel de considérer un facteur allant de 1 à 10 pour l’extrapolation inter-espèces, un facteur allant de 1 à 10 pour l’extrapolation intra-espèces, afin de tenir compte des individus les plus sensibles. Dans certains cas, on est amené à utiliser la dose journalière tolérable (DJT), appelée en anglais TDI (tolerable daily intake). Lorsqu’on utilise un LOAEL (lower observed adverse effect level) plutôt qu’un NOAEL ou lorsque l’on utilise des études de toxicité subchronique à la place de toxicité chronique, on peut être conduit à incorporer un facteur de sécurité supplémentaire. Si bien que pour certaines substances, des facteurs de sécurité très importants sont utilisés lorsqu’il y a beaucoup d’incertitude. Par exemple, un facteur de 10.000 a été utilisé pour le trichloréthylène alors qu’un facteur de 1 à 2 est utilisé pour le plomb et les nitrates.
Une fois la DJA déterminée, il faut calculer la concentration maximale acceptable en tenant compte du poids moyen de l’individu et de sa consommation d’eau (2 litres par jour selon les règles internationales). Le dernier facteur consiste à déterminer quelle est la proportion de cette substance qui est absorbée via l’eau potable : habituellement il s’agit d’un facteur allant de 20 à 80 %. La concentration maximale acceptable en milligrammes par litre d’eau est alors fixée et elle incorpore une très grande marge de sécurité. Ce chiffre (par ex. 1,5 mg/l pour le fluor) est improprement appelé « norme ». Il correspond à un niveau de risque nul et peut donc être dépassé temporairement sans que des conséquences néfastes pour la santé des consommateurs soient à craindre (notion de dépassement temporaire acceptée par la réglementation européenne).
Cas des substances cancérigènes sans seuil (dites aussi probabilistes ou stochastiques)
Les connaissances actuelles de ces molécules n’ont pas permis de leur attribuer une action bénéfique pour la santé et des effets néfastes apparaissent quelle que soit la dose absorbée (sans seuil), de type augmentation de la fréquence des cancers, des mutations ou autres anomalies.
Dans le cas des substances cancérigènes, étant donné qu’il n’y a pas de niveau habituellement considéré sans effet, on doit viser à ne produire au sein de la population qu’un risque minimal. Cet excès de risque considéré comme « acceptable », suite à une ingestion prolongée pendant toute la vie, a été fixé par convention internationale à un niveau de 10-5 ou 10-6, ce qui signifie qu’après ingestion de la substance pendant 70 ans à une dose x, l’excès de risque de cancer sera de 1 sur 100.000 ou 1 sur 1 million de personnes exposées. Le risque actuel cumulé de cancer chez un individu est de 50 %. Ainsi cet excès de risque (10-5 ou 10-6) a été considéré comme acceptable, sinon négligeable par les personnes en charge de la gestion du risque sanitaire et de la législation. Ceci reste bien évidemment discutable et certains militent, quel qu’en soit le coût ou les conséquences techniques, pour l’application du principe de pré- caution et la totale absence de la molécule considérée, tout excès de risque, même aussi faible, étant pour eux inacceptable.
Les autres éléments pris en considération pour l’établissement de la concentration maximale acceptable pour les substances cancérigènes dans le cadre de l’application du traditionnel principe de prévention sont les méthodes courantes de traitement de l’eau pouvant être utilisées pour réduire cette concentration au minimum et les méthodes disponibles pour l’analyse de cette substance dans l’eau potable. Ainsi on vise toujours l’exposition minimale aux substances cancérigènes, mais les aspects de gestion de risque sont pris en considération pour la fixation de la concentration maximale admissible (CMA) dans l’eau de boisson, comme pour toute autre activité économique.
En cas de dépassement de « normes chimiques », des évaluations de risque fondées sur divers scénarios peuvent permettre de prendre la décision de laisser consommer une eau dépassant la « norme » ou d’arrêter la consommation.
Ainsi la CMA correspond à un risque nul pour les molécules de la première catégorie et à un risque dit « acceptable » (10-6) pour celles de la deuxième catégorie. La réactualisation de ces valeurs est périodique, allant dans le sens d’une plus grande protection de la population. Ainsi la CMA du plomb dans l’eau est passée de 50µg/l à 25 µg/l, puis en 2013 à 10µg/l/ au fur et à mesure du durcissement de la réglementation lié au progrès des connaissances.
Selon les concentrations de ces molécules, selon leurs caractéristiques intrinsèques de toxicité (mutagénèse, cancérogénèse), selon la voie et l’intensité de l’exposition, le risque chimique est, suivant les cas, bien réel ou seulement suspecté. Il se manifeste parfois à court terme et de manière (sub) aiguë dans des circonstances accidentelles, mais le plus souvent de façon différée comme pour certains cancers. Sauf accidents ou actes de malveillance, il a été plus particulièrement étudié pour l’eau de boisson.
Dans de rares cas, le danger lié aux sels minéraux, si l’on prend cet exemple, tient à un déficit de l’eau en certains éléments d’intérêt nutritionnel (iode, fluor), mais la plupart du temps, il résulte d’un accrosement, momentané ou non, de la teneur de ces éléments dans l’eau. Des contaminations naturelles par le fluor peuvent ainsi entraîner une fluo- rose osseuse, le dérèglement de pompes doseuses à fluorure utilisées pour prévenir les caries dentaires par injection de fluor dans l’eau de boisson a été souvent rapporté aux États-Unis comme étant à l’origine d’intoxication (sub) aiguës par le fluor. À moyen terme, des pathologies en relation avec le fluor (fluorose dentaire) ou les nitrates (méthémoglobinose) ont été décrites, avec quelques interrogations, dans ce dernier cas, tenant à leur rôle de co-facteur toxique associé à des contaminations bactériennes. À long terme, s’agissant du risque cardiovasculaire, le rôle néfaste de sels minéraux constituant la matrice chimique de l’eau tels le sodium et le calcium n’a pas été confirmé. En revanche, certains micro-constituants sont réellement impliqués dans le risque hydrique, tels les métaux lourds (plomb, mercure, cadmium) et l’arsenic. Des interrogations subsistent en termes de risque cancérigène pour diverses molécules organiques comme les produits phytosanitaires, les sous-produits de la désinfection (chloration en particulier). Ceux-ci sont formés par la réaction du désinfectant sur des molécules organiques contenues dans l’eau, d’origine naturelle ou anthropique.
D’une façon générale, le risque chimique peut être relié soit, le plus communément, à la contamination des ressources en eau (produits phytosanitaires, nitrates, solvants, hydrocarbure), soit au traitement de l’eau destinée à la consommation humaine (dérivés de l’aluminium utilisés comme coagulants, sous-produits de la désinfection), soit encore à des altérations de l’eau en cours de distribution ou de stockage (plomb, hydrocarbures aromatiques polycycliques).
Rappelons enfin le pouvoir bioconcentrateur des coquillages (métaux, micro-organismes, toxines algales) ainsi que les dangers résultant de la réutilisation agricole des eaux usées et surtout des boues de stations d’épuration des eaux usées, au regard des métaux toxiques et de diverses molécules organiques mal identifiées.
Les micropolluants biologiques dans les eaux
Selon le type de ressource (eau souterraine, eau superficielle, origine mixte), la pollution microbiologique sera plus ou moins régulière et importante. On connaît depuis longtemps l’existence de maladies hydriques dont l’agent pathogène est véhiculé par l’eau, et notamment les eaux superficielles. Cet agent peut être une bactérie, un virus et des êtres unicellulaires tels que levures et champignons (fungi), amibes, algues microscopiques.
La grande variété des micro-organismes de l’eau
L’eau a été le milieu dans lequel s’est développée primitivement la vie sur notre planète, aussi la richesse de la flore aquatique en micro-organismes est très importante. Ainsi on va retrouver des micro-organismes « indigènes » qui ne peuvent en aucun cas être considérés comme des polluants puisque leur présence dans les milieux aquatiques (eau douce ou eau marine) est normale. Ils sont d’ailleurs de bons indicateurs du maintien de la qualité de ce milieu. Parmi eux certains peuvent cependant avoir un effet néfaste sur la santé humaine, en général du fait d’une nouvelle utilisation de l’eau. Ainsi la présence de bactéries de type Legionella est normale dans les eaux et n’entraîne aucune pathologie par ingestion ou par contact. L’homme a ensuite inventé l’aérosolisation de l’eau (tours aéroréfrigérantes, jeux d’eau, douche, brumisation, bains bouillonnants, etc.). L’homme est à ce moment exposé à l’inhalation par voie respiratoire de cette bactérie, en particulier Legionella pneumophila 1, la plus virulente. Selon son terrain immunitaire et l’état de ses poumons, la bac- térie pourra s’y développer et provoquer une pneumonie grave, parfois mortelle. Dans ce contexte, Legionella pneumophila devient un micro- polluant biologique, mais seulement dans les eaux chaudes, les tours aéroréfrigérantes et les eaux pour les loisirs. Ce sera aussi le cas de certaines bactéries dites pathogènes opportunistes, naturellement présentes dans les eaux, mais pouvant poser des problèmes pour des usages très spécifiques, notamment en milieu hospitalier, et provoquer des infections chez des patients immunodéprimés ou en raison d’une inoculation intempestive dans le corps. Citons pour exemple l’affaire de la Clinique du Sport à Paris et l’introduction de Mycobacterium xenopi dans les articulations lors d’examens endoscopiques après rinçage de l’appareil à l’eau du robinet et non à l’eau stérile !
De façon plus classique, il y a transitoirement dans les eaux des micro- organismes d’origine humaine ou animale susceptibles de provoquer des troubles de santé, dits pathogènes vrais. Ainsi, parmi les bactéries on peut citer rapidement les salmonelles, les shigelles, Escherichia coli et les bacilles coliformes d’origine fécale, les vibrions cholériques, etc. Les virus les plus fréquemment observés dans les eaux polluées sont les entérovirus (poliovirus), mais aussi les virus coxsackies et les échovirus, responsables de gastro-entérites ou de syndromes neuro-méningés. On connaît également le rôle de l’eau dans la transmission du virus de l’hé- patite A, des corona et rotavirus, redoutables agents de gastro-entérites, en particulier infantiles. En général, ces virus sont plus persistants dans l’environnement et plus résistants aux traitements de désinfection que les bactéries, comme les parasites dont la liste est longue. Elle compte notamment Entamoeba histolytica, Giardia lamblia et Cryptosporidum parvum, dont les kystes, résistants aux désinfectants, peuvent survivre très longtemps dans l’eau, ainsi que, sous d’autres climats, les parasites tropicaux dont le milieu hydrique est riche.
La surveillance de la qualité biologique des eaux
Dans tous les pays développés, une surveillance bactériologique de la qualité des ressources en eau et des eaux destinées à la consommation humaine (avec ou sans traitement) ainsi qu’une surveillance des épisodes de pathologies liées à l’eau sont réalisées. Les données de ce système témoignent de l’évolution du profil des épisodes infectieux dus à l’eau au cours des dernières décennies. L’agent étiologique responsable n’est identifié que dans moins de la moitié de ces épisodes, sans doute parce que les techniques performantes de recherche de virus et de parasites dans les selles et les eaux ne se sont développées que récemment. Les agents étiologiques identifiés sont des parasites tels que Giardia lam- blia et Cryptosporidium et des virus, certainement très sous-estimés. Ces données suggèrent qu’une chloration utilisée comme seul procédé de désinfection, tel qu’il est mis en oeuvre actuellement, laisse subsister un risque infectieux dû à la présence dans certaines ressources de micro- organismes pathogènes résistants au chlore.
D’ailleurs en 1993, la plus grande épidémie de gastro-entérites (G.E) jamais observée (403 000 cas) survenue à Milwaukee, a confirmé l’importance du rôle joué par les Cryptosporidium dans l’étiologie des GE liées à l’eau. Elle a aussi montré que des unités de distribution de grande taille pouvaient être concernées, même lorsque les indicateurs de qualité bactériologique donnent des résultats satisfaisants au cours du contrôle sanitaire. En effet, dans tous les pays, le contrôle de la qualité microbiologique des eaux est effectué sur la base de la recherche de bactéries dites indicatrices de contamination fécale d’origine humaine et/ou animale (coliformes et streptocoques fécaux) très peu résistantes à la chloration. Ensuite, une épidémie de cryptosporidiose survenue à Las Vegas en 1994 a mis en évidence que seule une recherche active de cas permet de mesurer la diffusion de cette épidémie et son impact (ampleur et gravité particulière avec un taux d’attaque de 9,7 % et de nombreux décès) dans une population immunodéprimée, infectée par le VIH. Pourtant, les analyses de l’eau donnaient des résultats satisfaisants avec absence de bactéries indicatrices de contamination fécales et eau de boisson conforme à la norme de potabilité. Ce type de population avait à l’époque, faute de traitement médical efficace, une sensibilité très grande à tous les micro-organismes. Les progrès de la chimiothérapie du Sida ont permis, dans les pays développés, d’améliorer très significativement l’état immunitaire et la survie de ces patients.
Les virus, même si on ignore lesquels (Coronavirus ?), ont aussi un rôle non-négligeable dans la morbidité (gastro-entérites) au sein d’une population alimentée par une eau pourtant conforme aux critères de potabilité biologique fondés depuis Koch au début du xxe siècle sur des bactéries indicatrices de contamination fécale, fort peu résistantes aux traitements de désinfection, comme le sont certains virus et parasites. Ainsi, des études canadiennes ont attribué à l’eau du robinet plus de 30 % des cas de GE observés en dehors des épidémies dans une population alimentée par de l’eau conforme aux normes bactériologiques.
En France une étude prospective conduite dans une population de 29272 personnes desservie par une eau non-désinfectée a étudié les risques digestifs liés à cette non-conformité bactériologique de l’eau distribuée. Elle a mis en évidence un risque relatif de 3,5 de survenue de pathologie digestive pour une population exposée à une eau non-conforme par rapport à une population exposée à une eau conforme. La suite de cette étude menée chez des élèves du cycle primaire a comparé l’absentéisme scolaire pour cause de GE, dans des villages alimentés en eau non- désinfectée, car présentant naturellement une bonne qualité bactériologique, et dans des villages dont la qualité bactériologique de la ressource nécessitait une chloration de l’eau avant distribution. L’incidence brute des GE était 1,4 fois plus élevée (IC 95 % : 1,30-1,40) parmi les enfants buvant de l’eau traitée. Ceci montre que le traitement n’élimine pas tous les micropolluants biologiques que l’analyse de l’eau (conforme à la norme bactériologique) ne permet pas de mettre en évidence.
Ces études confirment qu’en l’absence d’un recueil actif des cas, seuls les épisodes les plus aigus de pathologie digestive sont observés, sans que la part qu’ils représentent dans la totalité des cas de GE liés à l’eau soit connue. Elles indiquent également que la chloration de l’eau avant distribution laisse subsister un risque résiduel de GE.
Actuellement, près de 5 % des unités de distribution françaises desservant plus de 5000 habitants sont concernées par une non-conformité plus ou moins fréquente de la qualité bactériologique de l’eau (sur la base des indicateurs de contamination fécale). La part des gastro-entérites attribuables à l’eau parmi l’ensemble des G.E. n’est pas connue, mais elle fait l’objet de programmes de recherche menés par l’Institut de veille sanitaire.
Ainsi, il y a eu des progrès énormes liés au traitement des eaux, qui a fait disparaître la mortalité et la morbidité imputables aux bactéries (par ex. typhoïde, cholera) dans les pays développés. Cependant il reste des points à éclaircir quant à la pertinence des indicateurs de qualité microbiologique dans le cas des eaux traitées, car la détection des pathogènes eux-mêmes n’est pas envisageable, trop longue et trop coûteuse.
Quelles pathologies liées aux micro-organismes hydriques ?
Les pathologies les plus classiques sont liées à l’ingestion d’une eau contaminée par des bactéries, virus ou parasites cités plus haut avec sur- venue de signes digestifs (GE) plus ou moins graves, pouvant parfois conduire à la déshydratation et à la mort comme dans le cas du choléra. D’autre part, on peut noter de façon plus anecdotique, dans le cas des eaux de loisirs, des affections cutanées transmises plus par contact avec le sol ou des surfaces contaminées qu’avec l’eau. Ce sont d’abord des mycoses à dermatophytes (« pied d’athlète »), avec épaississement de la couche cornée, fissurations et atteintes de l’ongle, ou des candidoses car les fungi sont favorisés par l’ambiance chaude et humide (sols des plages et des vestiaires). Les verrues plantaires ou des mains sont également fréquentes et touchent plutôt les enfants. Dues à des papillomavirus et très contagieuses, elles sont transmises à partir des sols ou par contact interhumain. D’autres affections cutanées sont moins ou peu fréquentes : Molluscum contagiosum, due à un poxvirus; le granulome des piscines, dû à des mycobactéries non-tuberculeuses, localisé au coude ou au genou, transmis par l’eau; des dermatites à Pseudomonas aeruginosa, etc.
Des affections oculaires, de type conjonctivite, sont à rattacher à des adénovirus ou a des chlamydiées. Les affections ORL, également fréquentes, se révèlent à l’occasion du bain : otites externes à Pseudomonas aeruginosa, rhinites, rhinopharyngites, sinusites, angines bactériennes (staphylocoque, streptocoque, Pseudomonas) ou virales (adénovirus). Sont heureusement rarissimes, car gravissimes, les méningites à virus (adénovirus) ou à protozoaires (méningo-encéphalite amibienne primitive, MEAP) du groupe des amibes libres (Naegleria fowleri). La MEAP est plus fréquemment en relation avec des bains en étang, rivière ou lac qu’avec des piscines où elles ont été décrites chez des sujets jeunes fréquentant des bassins très mal gérés. Des pathologies « nouvelles» sont plus particulièrement liées aux « nouveaux bains » (spas, etc.). Elles sont dues à Pseudomonas aeruginosa (folliculites cutanées surtout, cystites et prostatites, pneumopathies parfois) et à Legionella pneumophila (syndromes pseudo-grippaux, et surtout legionellose, dus à une contamination par aérosols contaminés.
En rivière et en mer, les principaux risques sont les troubles rhinopha- ryngés et oculaires, mais aussi la leptospirose en eau douce, les microalgues et les dermatites à cercaires toxiques en baignade littorale. Par exemple, 800 cas de leptospirose sont notifiés en France chaque année, dont 300 en métropole. Cette affection, qui peut être contractée en eau douce par voie digestive ou cutanée (eau souillée par l’urine animale contaminée) revêt diverses formes, notamment ictéro-hémorragique, d’évolution généralement favorable. Les dermatites à cercaires, très prurigineuses, décrites ces dernières années en eaux douces, sont dues à la pénétration dermique de cercaires parasitant des canards contaminés par des Limnées dans des zones envahies de plantes aquatiques.
Les eaux de mer littorales chaudes et trop riches en phosphates et en nitrates (eutrophies) peuvent être affectées par des efflorescences d’algues microscopiques (« blooms ») responsables d’affections digestives ou neurologiques par l’intermédiaire de coquillages contaminés (Dinophysis, par exemple) par ces algues et leurs toxines. Certaines toxines algales sont accusées de provoquer des sensations de brûlures, des démangeai- sons, voire des réactions allergiques par contact avec l’eau (algues bleues dont Microcystis sp.).
Exposition humaine et risques pour la santé
Injection ou dialyse.
L’ensemble de ces micropolluants peut atteindre l’homme de manière directe, par contact avec l’eau contaminée elle-même, ou indirecte par l’intermédiaire d’aliments ou d’air contaminés par une eau de qualité impropre à l’usage (végétaux, fruits de mer, aérosols etc.). Ce contact peut se réaliser par diverses voies, dites d’exposition, qui dépendent des usages de l’eau (boisson, hygiène corporelle, baignade, inhalation, etc.). Selon la voie d’exposition (ingestion, inhalation, contact), en particulier pour les micro-organismes, l’effet pourra être différent. Ainsi, l’absorption digestive de Legionella sera sans aucune conséquence, en raison d’une dégradation au sein de tube digestif par alternance de pH et d’atmosphères différents (anaérobies), à l’inverse d’une inhalation qui pourra conduire à une pneumonie grave causée par cette bactérie.
Les différentes voies d’exposition de l’homme aux polluants hydriques
La voie d’exposition dominante est l’ingestion, qui concerne les apports alimentaires par l’eau de boisson ou des aliments contaminés par de l’eau in situ, tels les coquillages, qui sont de très efficaces bioconcentrateurs de polluants. Cette ingestion peut également être involontaire et avoir lieu au cours de loisirs, de sports aquatiques ou lors d’opérations professionnelles pouvant impliquer un contact avec des eaux fortement contaminées.
La voie respiratoire entraîne une pénétration pulmonaire, soit d’aérosols contaminés (spas, jeux d’eau, tours aéroréfrigérantes, brumisateurs), soit involontairement d’eau dans le cas de baignade, de fausse route alimentaire, etc. Cette voie concerne les activités de loisirs, le thermalisme, le milieu domestique ou hospitalier (risque de légionellose) mais aussi professionnelles (traitement et épandage des eaux et boues résiduaires ou encore de lisier).
La voie cutanéo-muqueuse se retrouve également dans les activités de baignade et de loisirs aquatiques (affections cutanées, rashs allergiques, etc.), mais aussi par le contact avec la muqueuse oculaire comme dans le cas des infections à amibes libres à la suite d’une contamination de lentilles cornéennes par lavage avec de l’eau du robinet contaminée.
Certains usages de l’eau, en particulier pour les soins, exposent l’individu par voie parentérale5 pouvant être à l’origine d’intoxications chimiques. Ces infections étaient souvent liées à l’aluminium. Plus récemment, elles ont pour cause les chloramines et certaines toxines de cyanobactéries ou des infections bactériennes. Ceci souligne la nécessité de bien prendre conscience que toute eau n’est pas bonne à tout usage. Ainsi les critères de qualité définis pour un usage de l’eau (par exemple l’eau destinée à la consommation humaine) seront parfois tout à fait inadaptés pour garantir la qualité de cette eau pour un autre usage (par exemple le lavage des lentilles cornéennes).
Quelle prévention ?
Face aux micropolluants, il convient d’organiser la prévention de leurs conséquences pour la santé des populations utilisant l’eau, soit pour la boisson, soit pour d’autres usages, y compris de loisirs. La meilleure solution est la limitation de la pollution de notre environnement hydrique. La restauration de la qualité de nos réserves en eau fait partie des objec- tifs du gouvernement mais les moyens à mettre en œuvre (en particulier l’épuration de toutes les eaux usées) sont très importants et coûteux. Si des progrès notables sont été enregistrés pour la réduction des pollutions d’origine industrielle et urbaine, il reste encore beaucoup à faire pour les pollutions diffuses, en particulier d’origine agricole.
Ainsi la mise en œuvre de moyens de traitement est-elle indispensable et le sera encore pendant longtemps. Les eaux de surface (rivières, lacs, barrages, etc.) sont très largement utilisées aujourd’hui car ce sont les seules capables de fournir des quantités considérables pour des consommations diverses. Mais elles sont inévitablement sujettes à contamination par des eaux de ruissellement et des eaux usées, qu’elles soient traitées ou non. Elles peuvent véhiculer des micro-organismes et des polluants chimiques, d’où la nécessité d’un traitement adapté avant leur utilisation. La pollution biologique est heureusement atténuée par les processus naturels d’autoépuration : destruction des micro-organismes pathogènes par l’action des rayons ultra-violets solaires, par la concurrence vitale des micro-organismes saprophytes, des bactériophages, etc. Malheureusement, cette autoépuration est de plus en plus entravée par l’abondance des pollutions physico-chimiques (notamment détergents synthétiques et hydrocarbures) qui rompent l’équilibre biologique et empêchent la réoxygénation de l’eau.
Le point de captage (source ou prélèvement en rivière) doit être protégé par un triple périmètre de protection. S’il s’agit d’utiliser un cours d’eau, on appréciera le volume et le degré de pollution des eaux usées reçues et des analyses complètes apporteront des indications sur la qualité bactériologique et chimique, en fonction de laquelle on jugera, en conformité avec les directives, du traitement à leur appliquer.
Tout captage d’une eau souterraine (source ou forage) nécessite une enquête hydrogéologique, menée par un géologue officiel en vue de déterminer :
- L’origine des eaux que l’on se propose de capter et ses caractéristiques ;
- Les réserves de la nappe et le débit de la source ;
- Les contaminations que l’eau est susceptible de recevoir ;
- La délimitation des périmètres de protection, zones légalement protégées où sont interdits tous travaux, dépôts ou installations susceptibles d’être une cause de nuisance pour la qualité de l’eau.
Le traitement de l’eau sera inexistant en cas d’utilisation d’une eau souterraine bien protégée, conforme aux normes de potabilité et pour un court réseau de distribution. Il peut comporter simplement une étape de filtration couplée à une postdésinfection au chlore. Il peut enfin comporter toute une série d’étapes lorsque la ressource est d’origine superficielle, contenant donc divers polluants chimiques et biologiques. Il comporte en général les étapes suivantes (le nombre et le choix des étapes étant fonction de la qualité de l’eau brute) :
- Décantation : celle-ci peut être accélérée par l’addition d’un floculant (sels de fer ou d’aluminium) ;
- Filtration sur lit de sable : cette opération étant parfois combinée à la première, et plus récemment, réalisée sur filtres en matériaux céramiques ou cellulosiques ;
- Élimination des composés organiques ou minéraux indésirables ou en excès par passage sur charbon actif (absorption des molécules organiques) ou sur résine échangeuse d’ions (élimination des sels minéraux) ;
- Désinfection par traitement oxydant à l’ozone, au chlore, au bioxyde de chlore ou aux dichloramines, qui élimine les micro-organismes ;
- Postchloration avant envoi dans le réseau ou les réservoirs, de façon à maintenir une teneur résiduelle en chlore libre actif de 0,1 mg/l environ.
Une assurance qualité est mise en place par le producteur et respecte la règle des 5 M : matières, matériaux, méthodes, main d’œuvre et milieu. En effet il est nécessaire de prendre en compte la qualité de tout ce qui a une influence sur l’eau produite, de l’eau brute (milieu) au consommateur en passant par les réactifs ajoutés (matières) et les méthodes, les matériaux de transport et la formation du personnel. Tout procédé de traitement de l’EDCH doit avoir été préalablement agréé en France par le ministère chargé de la Santé. Dans ce cadre, l’évolution actuelle va dans le sens d’une diminution de l’importance des étapes faisant appel à des procédés chimiques et divers réactifs, au profit d’une remise en œuvre de procédés physiques, parfois anciens, telle la filtration lente sur sable, car plus parfaitement maîtrisables et comportant des étapes biologiques d’épuration dont le rôle apparaît assez difficilement remplaçable. De même, la désinfection chimique perd une partie de son « aura » au profit de la filtration car elle conduit à former un certain nombre de contaminants, les sous-produits de la désinfection, potentiellement toxiques, qu’ils soient dus au chlore, au bioxyde de chlore ou à l’ozone. Les membranes de filtration et leur mise en œuvre ont connu de grands progrès, et l’ultrafiltration, voire plus récemment la nanofiltration (qui élimine non seulement les micro-organismes mais aussi de nombreuses molécules organiques et minérales), sont de plus en plus souvent utilisées pour la production d’EDCH à l’échelle industrielle, en France et en Amérique du Nord.
La problématique du réseau de distribution
La distribution jusqu’au robinet de l’usager est une autre étape critique car les canalisations constituent une partie vulnérable, exposée aux souillures les plus diverses, avec des temps de transit parfois très longs (une semaine ou plus). Ces interactions eau-matériau sont inévitables tant sur le plan microbiologique (adhésion bactérienne, croissance et développement de biofilm qui servira de niche écologique à la survie, voire à la prolifération de certains germes), que chimique (agressivité d’une eau pouvant entraîner corrosion et dissolution). Le saturnisme peut être lié, par exemple, à la stagnation d’eau peu minéralisée et acide dans les canalisations en plomb. De même, les Legionella pourront utiliser le biofilm comme support de prolifération et de résistance à la désinfection.
En raison de la difficulté croissante à fournir en quantité suffisante une eau d’alimentation parfaitement conforme aux critères de qualité de l’EDCH, certains ont proposé un double réseau de canalisations. En effet, l’eau nécessaire pour l’alimentation (boisson et cuisine) représente moins de 1 % de la consommation; le reste des besoins pourrait être cou- vert par une eau de moins grande qualité, mais suffisante pour les usages « externes » privés et publics (bains, chasse d’eau, lavage, arrosage, etc.). Malgré son apparence séduisante, ce projet n’est pas raisonnable : coût élevé, débit trop restreint du réseau d’eau de boisson, erreurs à peu près inévitables des usagers et des installateurs, fraudes, etc.
On s’attache donc à améliorer la qualité des canalisations constituant les réseaux (résistance à la corrosion, matériaux non-toxiques), la qualité de l’eau envoyée dans le réseau (correction d’une éventuelle agressivité, pauvreté en éléments minéraux et organiques pouvant servir de nutriments aux micro-organismes, postchloration pour éviter une prolifération excessive) afin d’éviter la contamination microbiologique et chimique de l’eau parvenant au consommateur. Le maillage du réseau (interconnexions, absence de stagnation, etc.), sa surveillance, son entre- tien (désinfections, purges, détection des fuites, etc.) et le contrôle de la qualité de l’eau sont d’autres points très importants pour obtenir un résultat qui satisfasse l’usager et la santé publique.
Si le réseau public de distribution est de plus en plus pris en compte, la partie privative à l’intérieur des immeubles est du ressort du propriétaire dont la vigilance et le niveau d’information ne sont pas toujours satis- faisants. Le saturnisme hydrique est lié en quasi-totalité à l’utilisation de canalisations en plomb dans les logements anciens. Des traitements peuvent être ajoutés sans grand discernement (adoucissant, antitartre, anticorrosion), tant dans les eaux froides que dans les eaux chaudes sanitaires. Celles-ci doivent répondre aux critères de potabilité de l’EDCH mais, souvent, leur température est insuffisante et Legionella prolifère dans les ballons de stockage et les tuyauteries dont la température est de l’ordre de 40 à 50°C. Là aussi, la maintenance de l’installation (celle-ci devant, bien sûr, avoir été choisie de façon adéquate), la surveillance des systèmes et de la qualité sont des paramètres très importants pour garantir la sécurité sanitaire des usagers.
Le rôle de la tutelle vis-à-vis de la production et de la distribution d’eau
Pour assurer une protection de la population face aux risques hydriques liés aux eaux d’alimentation, la gestion technique et sanitaire doit être la plus préventive possible et, à ce titre, s’appliquer dès le choix de la ressource, puis lors de la conception et de la réalisation des installations. En fonctionnement quotidien, elle doit être dynamique pour permettre des actions adaptées aux difficultés : celles-ci peuvent apparaître lors d’une dérive légère de la qualité qui reste encore comprise dans les « zones de sécurité » des règles fixées, ou lors d’un dysfonctionnement majeur dont les effets sont constatés sur la santé des utilisateurs. Elle doit tenir compte de l’inertie des systèmes de production et de distribution d’eau qui peut se compter en jours pour les réseaux ou en années voire en dizaines d’années pour des ressources souterraines.
Au travers de l’expérience accumulée au cours des années, peuvent être décrites les principales règles suivantes qui portent sur l’ensemble de la chaîne de production, de sa conception à la qualité de l’eau distribuée ; elles sont l’objet de divers textes réglementaires et d’un suivi par les services Santé-environnement, situés auparavant dans les DDASS, et maintenant dans les ARS (agences régionales de santé) :
Mise en œuvre des procédures
Elles s’appliquent essentiellement au moment de la conception des installations de production d’eau. Chaque installation est soumise à une autorisation administrative préalable : elle porte sur le choix du captage, sur l’éventuelle filière de traitement et elle détermine les périmètres de protection des captages dans lesquels des constructions, des installations et des activités potentiellement polluantes sont interdites ou réglementées. Les éléments essentiels des installations de distribution (réservoirs, canalisations) font l’objet d’une déclaration à l’autorité sanitaire pour permettre des contrôles mais aussi une approche d’épidémiologie géo- graphique en cas de survenue de difficultés.
Obligations de moyens
Elles concernent essentiellement la conception et la réalisation des différentes installations : captages, traitements, distribution par les réseaux publics, distribution dans les réseaux intérieurs aux immeubles. De plus en plus souvent, ces règles sont contenues dans des normes comme celles qui ont été élaborées par le Comité européen de normalisation : procédés ou produits de traitement, matériaux de revêtement au contact de l’eau, etc.
Obligation de résultats
Elles portent sur la qualité de l’eau au point de mise à disposition du consommateur et se traduisent par des limites de qualité fixées pour des séries de paramètres caractérisant l’eau. En particulier, suite aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, l’approche sanitaire sur ce point tend à distinguer d’une part des paramètres microbiologiques pour lesquels sont fixées des valeurs pour des germes indicateurs de contamination fécale, ou indicateurs de l’efficacité des traitements (de désinfection ou de filtration) qui doivent les éliminer, et d’autre part les paramètres chimiques qui par leur nature peuvent avoir un effet sur la santé. Enfin, il y a les paramètres qui ne sont pas en relation directe avec le risque sanitaire mais qui peuvent influencer l’acceptabilité de l’eau par l’utilisateur ou qui constituent des indicateurs d’efficacité technologique importants. L’ensemble de ces paramètres constitue la norme de potabilité à laquelle une eau doit être conforme pour la distribution publique.
Comment améliorer l’Etat de nos ressources ? Réformes possibles pour accroître la qualité des eaux à la disposition du citoyen
L’eau est l’aliment le plus contrôlé. La réglementation relative à la production et à sa distribution est extrêmement fournie et régulièrement remise à jour, en particulier par l’application des directives européennes successives. Les progrès en matière de qualité des masses d’eau superficielles et souterraines sont nets, même s’il y a encore des progrès importants à faire pour lutter contre la pollution, en particulier d’origine diffuse. C’est probablement au niveau des eaux destinées aux loisirs qu’il faut encore le plus progresser.
La pollution de nos ressources en eau
Il y a encore une trentaine d’années, nombreuses étaient les grandes agglomérations, les industries ou entreprises artisanales à déverser leurs effluents dans le milieu récepteur sans aucun traitement. L’application de la réglementation, les taxes perçues et les aides apportées par les agences de l’eau (une par grand bassin hydrographique) ont permis d’améliorer la situation. Les stations d’épuration des eaux usées sont de plus en plus nombreuses, performantes et contrôlées quant à leur efficacité. En revanche, les rejets diffus, en particulier liés aux activités d’agriculture et d’élevage, aux petites collectivités et à un assainissement individuel mal maitrisé restent des sources de pollution non-négligeables. Le débat récurrent sur la pollution par les nitrates et les rejets de porcheries en est un exemple.
Dans ce domaine, il convient de mieux faire respecter la réglementation existante (tout à fait suffisante) et d’encourager par tous les moyens possibles les pratiques vertueuses plus respectueuses de l’environnement. Taxation des produits polluants (engrais, pesticides) et des rejets, aides à la dépollution ou à la revalorisation des déchets (méthanisation des lisiers pour produire de l’énergie, compostage, etc.), création de labels commerciaux associés à des campagnes de sensibilisation des consommateurs sont des voies à mettre en œuvre ou à encourager.
Les techniques d’épuration des eaux usées produisent de grosses quantités de boues dans lesquelles sont accumulés les polluants chimiques et biologiques. Elles ont été initialement « valorisées» par déversement comme amendement agricole, pouvant ainsi contribuer à la pollution des sols et des eaux. Ceci n’est plus acceptable actuellement et il convient de les traiter pour en faire un produit valorisable sans risque ou de les éliminer sans impact sur l’environnement. Il s’agit d’un immense défi technologique, économique et pratique, qui demeure en grande partie devant nous.
Comment organiser la mise sur le marché de produits moins polluants ?
L’amélioration des techniques analytiques sur les eaux a permis de découvrir des dizaines de molécules organiques, issues des progrès de la chimie ainsi que des industries chimiques et pharmaceutiques. Ces polluants dits « émergents » sont susceptibles de poser de nombreuses questions quant à leurs effets. Parmi les découvertes récentes, on peut citer les effets perturbateurs endocriniens sur diverses espèces animales décrits pour plus de 300 de ces molécules (pesticides, plastifiants, résidus médicamenteux, etc.). La découverte initiale a été faite dans une zone polluée de la Tunisie où on ne trouvait plus que des poissons femelles (les molécules présentes jouent sur le déterminisme sexuel au cours de la croissance des alvins, les mâles devenant femelles sur le plan morphologique). Tout récemment, il vient d’être démontré que la sexualité des ibis était perturbée par le méthylmercure : les mâles intoxiqués se reproduisent moins et certains ont des tendances homosexuelles.
Outre les classiques propriétés de toxicité, cancérogénèse et mutagénèse, il faut donc maintenant prendre en compte cette nouvelle dimension. La directive REACH, que l’Union européenne a eu l’immense courage politique de mettre en œuvre, va permettre de demander aux industriels de fournir des dossiers complets d’étude de toxicité des produits mis sur le marché ou à venir, et de réglementer leur usage en interdisant les plus néfastes pour l’environnement.
De même, des substitutions sont possibles comme le montre l’exemple de la prescription médicamenteuse en Suède. Dans ce pays, les molécules à usage pharmaceutique ont été classées en fonction de leur impact sur l’environnement avec un indice simple qui prend en compte leur toxicité, leur persistance et leur possible bioaccumulation par les flores et faunes hydriques. Dans ce pays, le médecin prescripteur prend donc en compte ce troisième critère, en plus de l’efficacité thérapeutique et du coût. En quelques années, les résultats sont là. Lorsqu’il y a substitution possible, la molécule la moins toxique pour l’environnement a supplanté les autres. L’industrie pharmaceutique travaille donc maintenant sur ce critère avant toute mise sur le marché. À quand l’adoption de ce système en France et dans les autres pays européens, comme le propose la Suède ?
La prise en compte d’autres critères de qualité microbiologique
Comme indiqué plus haut, la qualité microbiologique des eaux est appréciée depuis un siècle par la mesure des germes indicateurs de contamination fécale, signant la contamination de la ressource en eau par des matières fécales, donc éventuellement par des germes pathogènes éliminés dans les urines et les selles (par ex. Salmonella, Vibrio cholera). Ces bactéries indicatrices sont très sensibles au traitement de désinfection, davantage que des virus ou des parasites. Ainsi, on peut retrouver des agents pathogènes dans une eau traitée, comme cela est le cas sur les plages soumises à rejets d’eaux usées traitées par désinfection, mais cependant conformes aux normes car ne contenant plus de germes indicateurs. Pour cette raison, la désinfection des eaux usées a été interdite en France dans ce type de situation, à la grande incompréhension des élus locaux. Ce procédé est en effet autorisé dans les pays voisins dont les cartes touristiques peuvent afficher un bleu éclatant, tandis que les touristes peuvent nager au milieu des excréments plus ou moins dilués et traités. À quand une harmonisation ?
Pour l’eau destinée à la consommation humaine, les résultats présentés plus haut montrent qu’il peut persister un faible risque de gastroentérites dans le cas d’une eau conforme à la norme de potabilité fondée sur l’absence de bactéries de contamination fécale. Pour cette raison, l’OMS a proposé de mettre en œuvre une démarche d’évaluation de risque pour tout captage d’eau, de façon à identifier les sources potentielles de pollution, d’adapter le traitement et de mettre en œuvre les contrôles spécifiques nécessaires (Water Safety Plans).
Ces constats posent trois questions :
- Débattue depuis un certain nombre d’années, la première question concerne la pertinence des indicateurs de qualité microbiologique actuellement utilisés par le contrôle sanitaire, le dénombrement des germes témoins de contamination fécale. Si cette question n’a pas encore été résolue, c’est que la détection des micro-organismes pathogènes eux-mêmes est complexe et coûteuse et que les autres indicateurs microbiens ou physicochimiques (par ex. turbidité) envisageables ont eux aussi leurs
- Une deuxième question touche à la signification des concentrations en micro-organismes tels que les virus ou les protozoaires, notamment les plus faibles, au regard du risque sanitaire en population générale mais aussi dans les populations sensibles telles que les immunodéprimés, en admettant que la mesure de ces concentrations ou leur estimation par des indicateurs plus appropriés soit réalisée.
- Enfin, un troisième sujet fait débat : celui de la contamination micro- biologique des eaux distribuées en fonction des différentes eaux brutes sollicitées, de leur vulnérabilité et des filières de traitement.
La législation française a repris ce concept, mais les unités de production et de distribution d’eau sont très nombreuses en France (avec ses 36.000 communes) et la mise en œuvre de cette démarche sur les petites unités sera longue et coûteuse. Il convient donc d’envisager des mises en commun, des regroupements, seuls capables d’avoir la masse critique pour assumer l’ensemble des charges inhérentes à l’application de la démarche.
De même, la prise en compte de populations de plus en plus âgées et sensibles nous conduit à garantir une qualité microbiologique toujours croissante.
Améliorer la qualité des eaux de loisirs
Si l’eau destinée à la boisson est en général de très bonne qualité, les eaux destinées aux loisirs ne sont pas au même niveau. Si la qualité des eaux de baignade en mer est de mieux en mieux contrôlée et s’améliore, il n’en est pas de même pour de nombreux sites non-agréés en zone continentale. Devant les coûts inhérents au contrôle et à l’application de la réglementation, et dans des rivières dont la qualité n’est pas assurée, de nombreuses municipalités renoncent à maintenir des baignades officielles. Ces zones non-contrôlées sont cependant très utilisées et on préfère en général fermer les yeux sur la non-application des arrêtés municipaux. Pourtant, toutes les études épidémiologiques montrent les effets néfastes sur la santé de la fréquentation de ces baignades « sauvages».
Les eaux de piscine sont obligatoirement traitées et désinfectées. Le risque microbien y est très faible. Mais le traitement de désinfection, en particulier au chlore, conduit la formation, par réaction chimique avec les matières organiques azotées et carbonées apportées par les usagers, de molécules organochlorées toxiques en particulier par voie respiratoire comme les haloformes (par ex. le chloroforme) et les chloramines. Il est maintenant bien établi épidémiologiquement que ces molécules augmentent le risque d’apparition d’allergie chez les enfants et les adolescents. Seuls des traitements supplémentaires de l’eau et de l’air permettent de limiter la présence de ces sous-produits de désinfection dans l’eau et dans l’air des bassins. Il n’y a pas encore de réglementation dans ce domaine et il est urgent de se pencher sur ce sujet.
Comment sensibiliser le consommateur dans un contexte réglementaire compliqué ?
La réglementation est très abondante pour l’eau destinée à la boisson et protège bien le consommateur. Cependant celui-ci n’en a pas conscience et continue à jeter trop souvent un regard soupçonneux sur l’eau distribuée à son robinet. L’information existe sur cette qualité ; elle est obligatoire- ment diffusée avec la facture d’eau. Qui la lit ? Qui la comprend ?
Le consommateur a tendance à acheter beaucoup d’eau conditionnée, dont la France est l’un des leaders mondiaux. L’eau minérale embouteillée est d’une qualité microbiologique et chimique irréprochable sur le plan des micropolluants. Mais elle peut contenir des sels minéraux en excès, selon les marques, avec éventuellement des effets néfastes pour certaines populations (par ex. des sulfates pour les nourrissons, du sodium pour les hypertendus). Qui est capable de lire une étiquette et de la comprendre ?
Une nouvelle mode est celle des boissons aromatisées dont l’intérêt nutritionnel pour les enfants est incontestable si elles sont substituées aux sodas et autres boissons fortement sucrées… à condition qu’elles ne contiennent pas elles-mêmes des sucres ou même des édulcorants qui vont donner aux enfants le goût de sucré dont ils ne pourront plus ensuite s’affranchir! Qui, là aussi, est capable de lire et de comprendre l’étiquette ?
Conclusion
L’eau est l’objet d’une réglementation extrêmement fournie, très pro- tectrice et il n’y a probablement pas grand chose à mettre en œuvre de plus dans ce domaine. En revanche, l’application de cette réglementation n’est pas optimale et c’est sur ce point qu’il faut chercher à progresser. La Commission de Bruxelles nous le montre d’ailleurs par ses jugements relatifs à la lutte contre les nitrates.
En revanche, le citoyen n’est guère sensibilisé à tout ce contexte juridique et technique ; il n’a guère conscience des progrès réalisés durant ces dernières décennies. Tous les efforts devraient être consacrés à une meilleure information objective de ce consommateur en puissance. Il est regrettable que des publicités pour le moins « orientées » ou des émissions de télévision catastrophistes, mensongères mais accrocheuses, soient souvent les seules sources d’information facilement accessibles.
Il conviendrait d’améliorer la culture du risque en France de façon à éviter des comportements inadaptés et la persistance d’idées reçues, voire d’opinions totalement fausses.
Enfin, pour léguer aux générations futures des eaux souterraines de bonne qualité, il faudrait réfléchir aux conséquences de leur utilisation en croissance rapide pour des forages permettant l’installation de pompes à chaleur. L’eau restituée à la nappe peut avoir légèrement été altérée. Quand constituera-t-on des réserves sanctuarisées d’eau, comme on protège de plus en plus de littoral à l’état sauvage ?
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