Résumé
I.

Une ère d’innovations radicales

1.

Le digital : un nouvel âge pour le monde de la santé

2.

La télémédecine : un accès aux soins de partout, à tout moment

3.

Une volonté publique affichée

4.

Des initiatives privées nombreuses… surtout à l’étranger

5.

Les visio-consultations deviendront la principale porte d’entrée des parcours de soins

6.

La e-santé hospitalière prend lentement forme

7.

Vers un marché international des services de soins ?

8.

L’intelligence artificielle au service des professionnels de santé

9.

Les robots s’invitent à l’hôpital

10.

De futures thérapies porteuses d’espoir

II.

Innover à l’hôpital : comprendre les freins pour mieux les dépasser

1.

Des marges de manœuvre budgétaire resserrées

III.

Des cadres réglementaires et administratifs rigides

1.

Des rigidités organisationnelles, humaines et immobilières

IV.

Libérer le potentiel d’innovation des hôpitaux et des cliniques

1.

Pour un programme ambitieux de simplification dans le monde de la santé

2.

Financer l’innovation hospitalière avec des Health Impacts Bonds

3.

Faire entrer les start-up dans les hôpitaux

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Résumé

Le monde de la santé est entré dans une ère d’innovations radicales. Télémédecine, big data, intelligence artificielle, robotique ou encore génomique, ces disciplines médicales naissantes et aux progrès fulgurants vont propulser l’avènement d’une médecine plus prédictive, préventive, personnalisée et participative. Le système, en proie à de fortes inerties, se trouve donc confronté au défi de son adaptation en continu. Freinées par un cadre réglementaire rigide, une administration en manque de réactivité, des structures lourdes et des ressources financières limitées, les adaptations organisationnelles et technologiques du secteur hospitalier sont affreusement lentes. La problématique du numérique est un cas d’école.Alors que la société française entre de plain-pied dans l’ère du digital, l’hôpital affiche en la matière pas moins de quinze années de retard.Dans un environnement aux progrès technologiques aussi rapides que radicaux, l’hôpital doit faire preuve d’initiative, de flexibilité et de réactivité afin de se maintenir à la pointe de la modernité et assurer aux patients les meilleurs soins possibles. 

Pour l’y aider, nous formulons ici trois préconisations 
– enclencher un ambitieux programme de simplification propre au domaine de la santé, avec notamment une adaptation rapide et évolutive de la réglementation, des régimes d’autorisation et des tarifs réglementés. Le législateur doit notamment gagner en réactivité sur le sujet de la télésanté ;
– introduire de nouveaux outils de financement de l’innovation hospitalière, notamment en sollicitant des fonds privés. Pour cela, nous préconisons l’expérimentation de Health Impact Bonds;
– intégrer aux hôpitaux des incubateurs pour les start-up de la santé. Le but est de rapprocher de jeunes entreprises innovantes et prometteuses de leur clientèle pour les aider à développer des produits plus adaptés aux besoins et aux contraintes de terrain.

Christophe Marques,

Économiste chez Asterès, chargé des questions de santé.

Nicolas Bouzou,

Économiste, directeur-fondateur d’Asterès.

I Partie

Une ère d’innovations radicales

Notes

1.

Les innovations en santé sont aussi nombreuses que diverses. Pour ne pas submerger le lecteur d’informations, nous ne couvrons dans cette note qu’un champ relativement restreint de technologies et de pratiques médicales novatrices. Pour obtenir une vision plus large, nous vous invitons à consulter régulièrement le nouveau blog thématique Antropotechnie (www.anthropotechnie.com) de la Fondation pour l’innovation politique.

+ -

Une mutation radicale du système de santé est en marche. À son origine, quatre domaines de recherche et d’innovation à l’essor fulgurant : les nanotechnologies, les biotechnologies, les capacités informatiques et les sciences cognitives. Unies sous l’acronyme NBIC, ces technologies propulsent de nouvelles stratégies de prévention et de nouvelles manières de soigner, d’accompagner et d’informer les patients. Les avancées réalisées et attendues en télésanté, en intelligence artificielle et en génétique vont propulser l’avènement d’une médecine plus prédictive, préventive, personnalisée et participative. Dans cette première section, nous livrons un panorama des innovations les plus « disruptives » pour le monde de la santé1.

1

Le digital : un nouvel âge pour le monde de la santé

Smartphone en main, les Français jouissent aujourd’hui d’une abondance de services digitaux dans les domaines du commerce, des transports, du voyage ou encore de la finance. Et pour cause : poussés par de nouvelles opportunités de profit, par le besoin de se démarquer ou seulement de suivre la concurrence, entreprises et jeunes entrepreneurs se sont rapidement approprié les outils numériques pour proposer des services plus à même de répondre aux exigences des consommateurs, autant en termes de prix que d’efficacité. Des pans entiers de notre économie se sont ainsi digitalisés, avec pour effet l’apparition de nouvelles manières de consommer, de travailler ou de se déplacer, mais non encore de se soigner et de préserver sa santé. Dans l’univers de la santé, les évolutions sont lentes, très lentes. Pour reprendre une expression de Dominique Pon, directeur de la clinique Pasteur à Toulouse, et président de Santé-Cité, « les avancées se font au rythme de la tectonique des plaques ». Il va falloir que cela change pour que le numérique puisse jouer à plein son rôle de modernisation et d’optimisation du système de santé.

Graphique 1 : Les cinq branches les plus disruptives de l’innovation en santé

Source :

Étude prospective, La santé en 2030, Asterès, 1er semestre 2015.

2

La télémédecine : un accès aux soins de partout, à tout moment

Notes

3.

Code de la santé publique, art. R6316-1.

+ -

Loin de se limiter aux seules consultations à distance, la télésanté, également appelée e-santé, recouvre l’ensemble des usages numériques au service de la prévention et de l’offre de soins. Dès lors, elle englobe à la fois des applications pour smartphone orientées grand public, les actes de télémédecine ou encore l’usage de systèmes d’information et de logiciels par les acteurs de santé. La télémédecine est en France encore sous-développée et marginale. Son champ recouvre toutes les pratiques médicales assurées à distance grâce aux technologies de l’information et de la communication. Le code de la santé publique en reconnaît cinq formes3.

– les téléconsultations, soit des consultations délivrées à distance, avec ou sans l’assistance d’un professionnel de santé auprès des patients ;

– les téléexpertises, lorsqu’un médecin obtient l’avis d’un ou de plusieurs confrères éloignés ;

– les télésurveillances, soit le suivi et l’interprétation à distance de données cliniques ;

– les téléassistances, lorsqu’un ou plusieurs médecins assistent à distance la réalisation d’actes de santé ;

– la régulation médicale, lorsqu’un premier diagnostic est réalisé à distance par un médecin du service d’aide médicale urgente.

Ces téléservices sont accessibles de partout et à tout moment. Aussi constituent-ils une solution pertinente, bien que non suffisante, à de nombreux défis du système de santé. Ils peuvent notamment faciliter la prise en charge et le suivi des malades chroniques et des individus à risque. En complément de l’offre médicale « physique », ils peuvent contrer la désertification médicale dont souffrent de nombreuses localités. De la même manière, ils peuvent accompagner le désengorgement des cabinets médicaux et des urgences hospitalières. Plus généralement, la télémédecine répond au besoin de rendre le système de santé plus efficient dans un contexte de budget limité.

3

Une volonté publique affichée

Notes

4.

Laurence Bardin, « Du téléphone fixe au portable. Un quart de siècle de relations interpersonnelles médiatisées en France », Cahiers internationaux de sociologie, n° 112, janvier-juin 2002, p. 97-122.

+ -

5.

Loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014, art. 36 (www. legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028372809#LEGIARTI00003371540), et Agence régionale de santé (ARS), « Déploiement de la télémédecine : 9 régions sélectionnées » (www.ars.sante.fr/ Deploiement-de-la-telemedecine.173445.0.html).

+ -

Dans ses discours, le ministère des Affaires sociales et de la Santé promeut la télémédecine comme un axe de progrès nécessaire. Ses actes ne sont cependant pas à la hauteur des enjeux. Les acteurs de terrain que nous avons interrogés, directeurs d’établissement, managers de l’innovation hospitalière, médecins et entrepreneurs, dénoncent tous un manque de vision et de soutien de la tutelle publique dans le champ de la télémédecine. Force est de leur donner raison : alors que la téléphonie fixe s’est démocratisée en France au cours des années 19704 , les consultations médicales par téléphone sont aujourd’hui encore rarissimes. Un programme ministériel d’expérimentation de projets de télémédecine a été amorcé en 2014, dans neuf régions pilotes et pour une durée de quatre ans5. Administré « par le haut », ce modèle d’expérimentation s’est révélé opaque, lent et de portée limitée. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 y apporte toutefois des améliorations6 . Il étend l’expérimentation à tous les territoires et repousse d’un an son échéance. Il prévoit également un allégement des démarches administratives pour les porteurs de projet. En parallèle, la nouvelle convention médicale rend possible la rémunération d’actes de téléconsultations et de téléexpertises dans la prise en charge de patients par les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

4

Des initiatives privées nombreuses… surtout à l’étranger

En matière de télémédecine, de nombreux organismes privés affichent une large avance sur le secteur public. C’est le cas notamment de l’entreprise Europ Assistance7 , qui propose un service performant de conseil médico-sanitaire pour faciliter la prise en charge de ses clients partout dans le monde, de jour comme de nuit. En Suisse, les centres Medgate8 et Medi249 , forts de 8 millions de téléconsultations depuis leur lancement en 1999, disposent d’une solide expérience en télébiométrie, télédiagnostic et téléthérapie. En 2014, Medgate a franchi un cap en introduisant 360°Healthmanager, sa propre application pour smartphone qui permet, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et partout dans le monde, d’obtenir des conseils de professionnels médicaux, de prendre rendezvous dans un Health Center, de commander des médicaments, d’accéder à son plan de traitements ou encore de déclarer une urgence. La start-up finlandaise MeeDoc10, aujourd’hui implantée dans six pays européens (mais pas en France), propose des consultations en ligne par vidéo, chat et envoi de photographies. Les médecins inscrits sur la plateforme pratiquent leurs propres tarifs et peuvent exercer de partout à partir de leur ordinateur, de leur tablette ou de leur smartphone. La plateforme se rémunère quant à elle en prélevant une commission. D’après ses concepteurs, les trois quarts des visites chez le médecin pourraient être réalisées en ligne. En France, il a fallu attendre 2015 avant qu’un premier assureur, Axa, obtienne d’une Agence régionale de santé (ARS) et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) la permission d’offrir un service de consultation par téléphone11. L’offre ne porte pour le moment que sur les contrats collectifs de l’assureur. Ses télémédecins, salariés et inscrits à l’Ordre, sont joignables à tout moment et sans surcoût. S’ils disposent bien d’un pouvoir de prescription, ils ne peuvent toutefois pas consentir d’arrêts de travail, de certificats médicaux ni de renouvellements d’ordonnance. Un an après le lancement de l’offre, 95% des usagers se disent satisfaits.

5

Les visio-consultations deviendront la principale porte d’entrée des parcours de soins

À horizon 2030, les visio-consultations se seront tout à fait démocratisées et constitueront la principale porte d’entrée des parcours de soins. Elles prendront place au domicile des patients ou ailleurs, avec l’assistance ou non d’une infirmière. Elles pourront notamment être réalisées au sein de pharmacies équipées, avec l’appui d’un pharmacien. Ce modèle n’est en rien fictif. Depuis cinq ans déjà, plus de 220 pharmacies helvétiques, adhérentes au programme netCare, assurent un service de visioconsultation12. En France, la société H4D13 propose aux collectivités, aux entreprises et aux établissements de santé sa Consult Station, une cabine médicale connectée à peine plus grande qu’une cabine de Photomaton. Équipées de plusieurs instruments de mesure, dont les traditionnels stéthoscope et tensiomètre, ces cabines peuvent d’ores et déjà assurer 85% des examens réalisables dans un cabinet classique. Installées suite à une concertation avec les acteurs de santé locaux, plus d’une dizaine de Consult Station sont aujourd’hui opérationnelles en France14. Ces cabines d’un genre nouveau, à l’image de tous les autres dispositifs de télémédecine, constituent une réponse pragmatique, bien que non suffisante, au défi de la « désertification médicale ». La France ne manque pas de médecins. Fin 2015, elle en comptait 223.600, soit 3,4 praticiens pour 1.000 habitants. Elle se positionne ainsi dans la moyenne des pays de l’OCDE. Leur répartition géographique est cependant très inégale. Les écarts de densité entre départements vont de 1 à 2 pour les omnipraticiens et de 1 à 8 pour les spécialistes. À l’échelle des bassins de vie, les écarts sont encore plus marquants. Si l’augmentation du numerus clausus est une solution de bon sens, elle ne peut résorber à elle seule les inégalités territoriales d’accès aux soins. Pour cela, il ne faut pas tant jouer sur le nombre de médecins que sur leur répartition. Pour encourager les médecins à s’installer en zones « sous-denses », les successifs ministres de la Santé ont privilégié des mesures financières, à la fois coûteuses et inefficaces. Les déserts médicaux tiennent aux aspirations de vie des jeunes médecins, et non à une problématique financière. Il est temps de promouvoir de nouvelles approches. Celle de la télémédecine nous semble être la plus pertinente.

6

La e-santé hospitalière prend lentement forme

Notes

15.

Les traitements des cancers par chimiothérapie sont la plupart du temps administrés par voie intraveineuse, ce qui oblige les patients à se rendre régulièrement à l’hôpital. Pour améliorer à la fois la vie quotidienne des patients et la gestion des flux hospitaliers, la chimiothérapie orale, sous forme de gélules ou de comprimés, se développe. Elle ne représente à ce jour qu’environ 5% des médicaments de chimiothérapie commercialisés, mais 20 à 25% des médicaments de chimiothérapie en essai clinique. Les patients sous chimiothérapie orale gagnent en autonomie, ce qui rend nécessaire le déploiement de dispositifs d’éduction thérapeutique et de suivi pleinement efficaces. À cette fin, les services de télésanté se révèlent tout à fait adaptés.

+ -

16.

Source : intervention du docteur Ludmilla Ribière (Centre hospitalier privé de l’Europe) lors de l’Université d’été 2016 de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP).

+ -

17.

« Pitcher » consiste pour une start-up à présenter son projet, face à des investisseurs ou des prospects, de manière convaincante et en un temps volontairement court (généralement entre une et trois minutes).

+ -

18.

Slack4Health, système novateur de messagerie instantanée pour les équipes médicales ; Télécom Santé, système de géolocalisation des patients dans les hôpitaux ; Maela, système de télésuivi à domicile ; Nouveal, ensemble de téléservices aux patients et aux professionnels de santé (messagerie, suivi à distance, commande de services, simplification administrative).

+ -

À l’image de la médecine de ville, les hôpitaux, publics comme privés, devront nécessairement se saisir des outils du numérique pour proposer des services plus performants et efficients. Des initiatives, encore peu nombreuses, émergent. Le Centre hospitalier privé de l’Europe, dans les Yvelines, expérimente par exemple un serious game pour renforcer et personnaliser l’éducation thérapeutique des patients sous chimiothérapie orale15. Ce programme permet notamment de collecter à distance les données cliniques et comportementales des patients pour les communiquer en temps réel à l’équipe de soins16. Le monde des start-up est en ordre de bataille pour accompagner les hôpitaux dans leur révolution digitale. Les outils proposés sont de plus en plus performants et couvrent une grande diversité de fonctions. Il s’agit à la fois d’améliorer la gestion des flux de patients, le suivi médical à distance, la communication des équipes, l’information et l’éducation des patients ou encore l’organisation administrative des établissements. À l’occasion de son université d’été 2016, la Fédération de l’hospitalisation privée a émis un appel à projet pour inviter quatre jeunes start-up de la e-santé à venir « pitcher17 » devant ses directeurs de clinique. La Fédération a reçu plus de soixante candidatures. Les start-up lauréates proposaient toutes des dispositifs à la fois bénéfiques pour les patients, déjà opérationnels, rapides à déployer et, surtout, financièrement abordables18. Les start-up du big data et de l’intelligence artificielle vont permettre d’améliorer considérablement les prises en charge hospitalières. Jour après jour, les hôpitaux alimentent de formidables bases d’informations cliniques qui sont quasiment inexploitées. Leur partage sécurisé et leur traitement à grande échelle permettraient pourtant d’améliorer sensiblement la compréhension des déterminants du succès, comme d’échec, des prises en charge. De là, il serait possible d’optimiser l’organisation des établissements et des unités de soins et d’améliorer les décisions cliniques.

7

Vers un marché international des services de soins ?

La télémédecine n’ayant pas de frontière physique, un marché international pourrait parfaitement se constituer. Ce serait une aubaine pour les hôpitaux et cliniques français, dont l’expertise et la qualité sont internationalement reconnues. À l’instar des grandes universités qui exportent leurs enseignements via des massive open online course, soit des cours en ligne, accessibles à tous et de partout dans le monde, nos hôpitaux pourraient exporter leurs expertises via des e-consultations auprès d’une clientèle étrangère. Les ressources financières ainsi dégagées, émancipées des tarifs réglementés de l’Assurance maladie, viendraient renforcer les capitaux propres des établissements, et donc leur capacité d’investissement et d’amélioration des services rendus sur site.

8

L’intelligence artificielle au service des professionnels de santé

Notes

20.

Exprimée en 1965, la loi de Moore suppose un doublement du nombre de transistors sur une puce tous les dix-huit mois.

+ -

22.

Guy Vallancien, La Médecine sans médecin ? Le numérique au service du malade, Gallimard, 2015.

+ -

Les progrès de l’intelligence artificielle sont époustouflants. En mars 2016, le programme AlphaGo, de Google, s’est imposé au jeu de go contre le SudCoréen Lee Sedol19, soit le deuxième meilleur joueur au monde par le nombre de titres internationaux remportés. Jusqu’à cet exploit, nombreux étaient les experts qui n’envisageaient pas une telle possibilité avant cinq à dix ans. Alors que la loi de Moore20 marque le pas, une nouvelle tendance exponentielle s’est amorcée, celle de l’apprentissage automatique, ou deep learning. Nous n’en sommes aujourd’hui qu’à ses prémices. Dans le domaine médical, les progrès de l’intelligence artificielle vont s’accompagner d’algorithmes de diagnostic de plus en plus performants. Dans un premier temps, ils n’auront pour fonction que d’accompagner les praticiens dans leurs diagnostics et leurs choix thérapeutiques. Watson, le super-ordinateur d’IBM, est ainsi en mesure d’engager des conversations collaboratives avec des professionnels de santé pour parvenir aux meilleurs diagnostics et traitements envisageables21. À terme, l’intelligence artificielle supplantera l’expertise humaine. Pour le professeur Guy Vallancien, les algorithmes du futur pourraient diagnostiquer seuls 85 à 90% des cas cliniques22. Le rôle des médecins évoluerait alors vers des fonctions plus « humaines », favorisant l’écoute et le soutien psychologique des patients. Pour les 15 à 10% des cas restants, trop complexes ou atypiques pour être analysés automatiquement, les médecins devront toujours être en mesure d’assurer une expertise médicale de haut niveau. Conçus d’abord comme des outils d’assistance aux professionnels médicaux, de performants logiciels de diagnostic seront adaptés à l’usage des patients jusqu’à devenir des produits de grande consommation. Grâce à ces logiciels, accessibles sur Internet, les patients pourront s’adonner à une forme nouvelle et sécurisée d’e-consultation et d’automédication.

9

Les robots s’invitent à l’hôpital

Notes

24.

Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), « Bilan de l’enquête concernant les robots chirurgicaux Da Vinci de la société Intuitive Surgical, à destination des professionnels de santé », février 2014, p. 1

+ -

La robotique chirurgicale prend son essor

La chirurgie robotique est d’ores et déjà une réalité. Le fabricant américain Intuitive Surgical23, leader du marché, recense à travers le monde 3.660 unités Da Vinci, 33.000 chirurgiens formés et 3 millions de patients opérés. Fin 2013, la France possédait elle-même 80 unités24. En matière de robotique chirurgicale, la French Tech n’est pas en reste : l’entreprise montpelliéraine Medtech, rachetée en juillet dernier par l’américain Zimmer, commercialise une unité spécialisée dans les opérations du cerveau et de la moelle épinière. En septembre 2016, Medtech comptait plus de 70 hôpitaux et cliniques équipés, dont 10 en France. Son unité Rosa a déjà assisté plus de 4.000 opérations25. Pilotés par les chirurgiens, ces robots assurent la réalisation de chirurgies miniinvasives qui réduisent les risques d’erreur et d’infection, ainsi que le temps de récupération des patients. Ils travaillent au plus profond du corps sans contraintes d’axes ou d’angles, contrairement aux mains d’un chirurgien. Dans quinze ans, des chirurgies seront toujours réalisées par la main de l’homme, comme en orthopédie et en esthétique, mais d’autres, comme les interventions thoraciques et abdominales, seront la plupart du temps robotisées. La robotisation ouvre la voie aux opérations à distance. En 2001, une équipe chirurgicale, basée à New York, a opéré avec succès une patiente hospitalisée au centre hospitalier de Strasbourg. Baptisée « Lindbergh », en hommage au premier aviateur à avoir traversé l’Atlantique, cette intervention a été la première, et la seule à ce jour, à avoir été réalisée à longue distance. Le rapport coût/avantage rend peu probable le développement de tels actes à moyen terme.

 

Bientôt, des robots mobiles parcourront les couloirs des hôpitaux

D’autres types de robots s’apprêtent à faire leur entrée dans les établissements de soins. Une unité mobile, HOSPI-R, conçue par Panasonic, a obtenu cette année les agréments nécessaires pour une première commercialisation au Japon26. Cet automate sur roues est à la fois un outil de logistique, assurant la livraison de médicaments et de dossiers aux infirmières, et une borne d’information et de communication à l’usage des professionnels de santé et des patients. À ce jour, le rapport coût/avantage de ce type de robot encourage peu les établissements à passer commande. Le développement attendu de leurs fonctions et la baisse des coûts de production pourraient cependant faire décoller les ventes au cours des deux prochaines décennies.

10

De futures thérapies porteuses d’espoir

Notes

28.

Laurent Alexandre, La Mort de la mort. Comment la technomédecine va bouleverser l’humanité, JC Lattès, 2011, p. 61.

+ -

29.

Les premiers essais remontent aux années 1990, mais il n’y avait en 2014 que deux médicaments de thérapie génique commercialisés. Voir Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), dossier « Thérapie génique », mars 2014.

+ -

31.

Food & Drug Administration (FDA), « FDA permits marketing of first direct-to-consumer genetic carrier test for Bloom syndrome », fda.gov, 19 février 2015

+ -

Les progrès des NBIC laissent entrevoir de nouvelles manières de guérir. Parmi les voies les plus prometteuses, qui concentrent aujourd’hui l’attention de milliers de chercheurs à travers le monde, on compte la génomique, l’immunothérapie, les thérapies cellulaires ou encore la nanomédecine. Dans ces disciplines, le rythme des innovations thérapeutiques va tendanciellement s’accélérer, obligeant les hôpitaux et les cliniques à gagner en flexibilité pour entrer dans une logique d’adaptation en continu.

Les thérapies géniques : un champ d’application large

En 2003 s’est conclu le premier séquençage intégral d’un ADN humain. Il aura fallu treize années de recherche, des milliers d’experts impliqués et un investissement de 2,7 milliards de dollars pour y parvenir. Depuis, porté par l’augmentation exponentielle des capacités informatiques et de nouvelles méthodes de numérisation, le coût des séquençages s’est littéralement effondré : 1 million de dollars en 2008, 10.000 dollars en 2011 et seulement 1.000 dollars aujourd’hui27. Pour Laurent Alexandre, président de la société DNA Vision, un séquençage complet de l’ADN humain reviendra, avant 2020, au prix d’une paire de jeans, « même non griffé !28 ». Le prix ne sera bientôt plus un frein à la démocratisation du séquençage génomique. Nous anticipons donc une croissance exponentielle du nombre de personnes « séquencées », soit une explosion de la masse d’information à disposition des chercheurs pour mieux comprendre le fonctionnement du génome. La tâche est titanesque mais les progrès exponentiels des capacités informatiques et de l’intelligence artificielle vont considérablement accélérer les processus de recherche. De l’alliance d’une meilleure compréhension de l’ADN et des progrès en matière d’édition génomique découlera une vague de nouvelles thérapies géniques29. À ce jour, plus de 2.400 essais cliniques sont en cours de réalisation30. La connaissance génomique va permettre d’instituer une médecine plus prédictive et préventive. La société 23andMe, basée dans la Silicon Valley, propose déjà au grand public, pour moins de 200 dollars, un séquençage partiel accompagné d’interprétations médicales. Son test, réalisé à partir d’un prélèvement salivaire, couvre déjà plus de cent conditions génétiques héritées impliquant un risque médical pour les individus ou leurs descendants. Début 2015, la Food & Drug Administration a notamment autorisé 23andMe à proposer un test génétique du syndrome de Bloom31.

L’immunothérapie : une révolution attendue contre le cancer

Pour les espoirs qu’elle a fait naître dans la lutte contre le cancer, l’immunothérapie est considérée par la revue Science comme étant la plus importante avancée scientifique de l’année 2013. Elle consiste à modifier génétiquement des lymphocytes T, soit les défenses naturelles du corps, pour les orienter contre les cellules tumorales. En 2011, la méthode a réalisé un véritable bond en avant avec la guérison d’un patient leucémique. Depuis, des résultats encourageants ont également été obtenus sur certaines formes de mélanomes métastasés et de cancer du poumon. L’efficacité ne s’observe toutefois que sur un petit nombre de patients. La pratique n’est pas exempte d’effets secondaires pour les patients (fatigue, nausée, etc.). L’enjeu est à présent d’étendre le traitement à d’autres types de cancer et, surtout, de parvenir à industrialiser ses processus. Des chercheurs y travaillent. Une méthode de production industrielle de lymphocytes génétiquement modifiés, adaptés à tous les patients, permettrait de faire chuter le coût de l’immunothérapie et d’entrevoir une diffusion à grande échelle. Les thérapies cellulaires Encore balbutiante, la médecine régénérative pourrait prendre son essor dans les décennies à venir. Nous sommes aujourd’hui déjà capables de « cultiver » en laboratoire des cellules prélevées chez un patient pour reconstituer certains organes qui peuvent ensuite leur être implantés. À ce jour, les succès cliniques en la matière concernent toutefois un nombre restreint d’organes (trachée, urètre, vessie, nez et vagin). La liste est appelée à s’allonger. L’objectif ultime est de pouvoir, un jour, concevoir des organes complexes de toutes pièces, comme le cœur.

Les nanomédecines

À l’échelle nanométrique, les propriétés physiques, chimiques et biologiques des substances et des matériaux évoluent. Ceux-ci deviennent plus résistants et plus réactifs, ce qui autorise des approches médicales novatrices. Les nanoparticules permettent ainsi une action physique et directe sur les cellules tumorales. À l’avenir, ce mode d’intervention pourrait permettre de traiter plus efficacement tous types de cancer, pour des coûts plus abordables que ceux des thérapies géniques individualisées. La nanomédecine peut également aider à améliorer l’efficacité des dispositifs de diagnostic et de dépistage, avec des tests plus ciblés, plus sensibles, plus rapides et plus fiables que les tests actuellement utilisés.

II Partie

Innover à l’hôpital : comprendre les freins pour mieux les dépasser

L’ère d’innovations radicales qui s’annonce est à la fois une bonne nouvelle et un défi majeur pour le secteur hospitalier. Une bonne nouvelle, car les hôpitaux sont des hauts lieux d’innovations cliniques. Un défi, car le système est en proie à de fortes inerties. Freinées par un cadre réglementaire rigide, une administration en manque de réactivité, des structures lourdes et des ressources financières limitées, les adaptations organisationnelles et technologiques du secteur hospitalier sont lentes. La problématique du numérique est un cas d’école. Les technologies de la e-santé, disponibles depuis plus de quinze ans, n’ont en effet toujours pas conduit à une révolution vertueuse de la prise en charge hospitalière. Si des initiatives émergent, elles restent trop peu nombreuses, trop peu encouragées et trop peu suivies de véritables réformes organisationnelles. Résultat : alors que la société française entre de plain-pied dans l’ère du digital, l’hôpital suit péniblement.

1

Des marges de manœuvre budgétaire resserrées

Notes

32.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, op. cit.

+ -

33.

Prévision du cabinet Asterès.

+ -

34.

Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), Les Établissements de santé, édition 2016, p. 14 et 34.

+ -

Le déficit de l’Assurance maladie est profond, chronique et en grande partie structurel. Il court depuis plus de vingt ans et s’est dangereusement creusé au début des années 2000, soit avant même la crise économique de 2008-2009. Le gouvernement s’attend à un déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale de 5,8 milliards d’euros en 201632. Si le ministère des Affaires sociales et de la Santé se réjouit avec optimisme d’un retour à l’équilibre des comptes de la sécurité sociale en 2017, l’Assurance maladie restera quant à elle dans le rouge avec un « trou » attendu de 2,6 milliards d’euros. Cette prévision gouvernementale s’appuie sur une croissance du PIB de 1,5% en 2017. Or le consensus des économistes ne s’établissait en novembre dernier qu’à + 1,2%33. Le déficit chronique de l’Assurance maladie affecte l’ensemble des acteurs de santé, limitant de fait leur capacité à investir et à innover. Deux formes de restriction financière sont à l’œuvre :

– d’une part, la récurrence du déséquilibre budgétaire se traduit par des enveloppes de financement fléchées sur l’innovation largement insuffisantes aux regards des enjeux de la modernisation de l’offre de soins ;

– d’autre part, en recherche d’économies, l’Assurance maladie limite fortement la revalorisation des tarifs hospitaliers pour contraindre les établissements à comprimer leurs coûts et à gagner en efficience. Le revers de la médaille est une pression financière constante qui affaiblit les capacités d’investissement et d’innovation des hôpitaux. Le mode de tarification à l’activité des établissements (T2A) est inadapté à l’innovation, notamment organisationnelle. Les prix de la T2A s’appuient sur l’échelle nationale des coûts (ENC), dont la méthodologie s’avère relativement rigide. Notamment, l’ENC ne prend pas en compte les coûts liés à la coordination des professionnels et à l’accompagnement du patient avant et après une intervention. La chirurgie ambulatoire, qui requiert une coopération accrue entre l’hôpital et la médecine de ville, se trouve ainsi freinée dans son développement du fait d’actes de coordination mal valorisés.

Des efforts d’investissement en baisse, tant dans le public que dans le privé

L’hospitalisation publique affiche un déficit comptable quasi systématique depuis 2006. Pour l’exercice 2014, les comptes consolidés du secteur font apparaître un trou de 250 millions d’euros, soit 0,4% des produits, et une dette de 29,3 milliards d’euros, soit 50% des ressources stables34. Sans surprise, l’investissement du secteur est en souffrance. Depuis un sommet atteint en 2009, à 11% des produits, le taux d’investissement des hôpitaux publics décline. Il n’était plus que de 7,1% des produits en 2014. La situation n’est guère meilleure du côté des structures privées à but non lucratif. En 2014, 40% des 683 établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) ont présenté des comptes dans le rouge. Le secteur affiche un résultat net consolidé équivalent à – 0,7% des produits. Les cliniques privées dégagent, quant à elles, un résultat net consolidé positif équivalent à 3,5% du chiffre d’affaires en 2014. Cette performance s’explique surtout par le bénéfice du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), et par une modération des investissements. En 2014, l’effort d’investissement des cliniques est tombé à seulement 4,1% du chiffre d’affaires. C’est 6 points de moins qu’en 2007. Pour l’exercice 2015, le gouvernement a volontairement neutralisé l’effet du CICE en réduisant les tarifs réglementés des cliniques. Pour justifier cette décision, le gouvernement avance que le CICE introduit un biais concurrentiel entre l’hospitalisation publique et privée. Biais ou non, ce choix a mécaniquement impacté la rentabilité et l’investissement du secteur.

Une T2A peu favorable à l’innovation spontanée

Une intégration efficiente des innovations, qu’elles soient digitales ou purement thérapeutiques, nécessite souvent une adaptation organisationnelle des établissements et des services de soins. Dès lors, pour une prise en charge donnée, la structure des coûts peut se trouver bouleversée, conduisant notamment à une refonte des budgets internes. La grille de la tarification à l’activité (T2A), qui encadre la rémunération des établissements, n’est toutefois pas individuelle mais collective. Elle est définie suivant des moyennes de coûts mesurées à partir d’un échantillon d’établissements. Lorsqu’un établissement introduit une innovation majeure, il s’éloigne du modèle moyen. Dès lors, pour cet établissement, la T2A peut, pour une prise en charge donnée, ne plus refléter la réalité de ses coûts.

III Partie

Des cadres réglementaires et administratifs rigides

On compte parmi les principaux freins à l’innovation hospitalière la rigidité des réglementations et un manque de réactivité des tutelles publiques.

Une réglementation en retard sur son temps

Aussi surprenant que cela puisse paraître, il a fallu attendre la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires de 2009 pour ne serait-ce qu’obtenir une définition légale et sommaire de la télémédecine, à savoir une « forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication35 ». Il a ensuite fallu patienter quinze mois pour la publication du décret d’application36. Si l’on s’en tient à une comparaison avec la démocratisation de la téléphonie grand public, l’adaptation du Code de la santé publique en faveur de la télémédecine affiche ainsi un retard de plusieurs décennies. De nouvelles disciplines médicales émergent rapidement, en tête desquelles l’intelligence artificielle et la génomique. Le législateur gagnerait à réfléchir dès à présent aux implications futures pour le système de santé de ces innovations fortement « disruptives ». Il s’agit pour lui d’entrevoir les adaptations réglementaires qui deviendront bientôt une nécessité pour, le moment venu, proposer un cadre réglementaire adapté de manière rapide, flexible et judicieuse. Des procédures d’autorisation longues et décourageantes Pour la rédaction de cette note, nous avons auditionné une dizaine de managers de l’innovation hospitalière. Tous, sans exception, nous ont décrit des procédures d’autorisations administratives « lourdes » et « affreusement lentes ». Il faut par exemple plusieurs mois, voire plus d’un an, aux ARS et à la CNIL pour valider ou invalider un projet d’expérimentation en e-santé et lui accorder une subvention. C’est plus qu’il n’en faut pour décourager de nombreux porteurs de projet. Par ailleurs, lorsqu’une réponse défavorable est rendue par une agence, les managers de l’innovation regrettent le peu de détails et de justifications qui leur sont communiqués. Or des réponses argumentées leur permettraient de corriger les défauts des projets et de mieux se préparer les fois suivantes.

1

Des rigidités organisationnelles, humaines et immobilières

Les rigidités organisationnelles reposent à la fois sur une inertie des équipes administratrices et médicales, et sur la rigidité des structures immobilières.

Une gestion des ressources humaines complexe

Une intégration efficiente du digital et des innovations thérapeutiques impose souvent une adaptation des services hospitaliers, notamment dans les champs du management et de l’allocation des ressources humaines. Les habitudes de travail peuvent alors être bouleversées. De nouveaux métiers peuvent apparaître. Des professionnels peuvent acquérir de nouvelles compétences, certains doivent accepter une délégation de tâches et/ou un exercice en équipe pluridisciplinaire. De nouvelles synergies entre métiers et entre services peuvent se former. Tous ces changements, qui renversent le quotidien et les habitudes, ne se réalisent ni naturellement ni spontanément. Des freins corporatistes peuvent rapidement apparaître. Les rigidités corporatistes du monde de la santé sont particulièrement prégnantes. La médecine de ville tend à s’opposer à la médecine hospitalière. Les spécialités médicales défendent chacune leurs propres intérêts. L’Ordre des médecins freine la création d’une classe d’infirmières cliniciennes, de pharmaciens « vaccinateurs » ou encore d’opticiens-optométristes. Les freins corporatistes sont également forts à l’intérieur même des hôpitaux. Un salarié hospitalier s’identifie davantage à son service, à sa discipline et à sa profession qu’à la structure qui l’emploie. L’innovation hospitalière, quant à elle, bouleverse les services et les habitudes de travail, et peut ainsi être une source de conflits internes.

Un immobilier… immobile

Les bâtiments hospitaliers n’ont pas été conçus dans un souci de modularité. Ils constituent une réelle contrainte pour une intégration efficiente de nombreuses innovations. Les progrès technologiques poussent à envisager des architectures hospitalières modulaires et flexibles, capables de s’adapter rapidement et en continu. L’intégration efficiente de nombreuses innovations nécessite en effet de nouveaux agencements de services et d’équipements. Il s’agit notamment de promouvoir de nouvelles proximités, de faciliter le travail en équipes pluridisciplinaires ou encore d’optimiser la gestion des flux de patients pour, entre autres, minimiser les temps d’attente et accroître la productivité des unités de soins. Nous détaillons ci-dessous trois exemples qui illustrent l’importance d’une structure immobilière flexible :

– les innovations thérapeutiques facilitent les prises en charge ambulatoires, réduisent les temps d’observation et multiplient les opportunités d’hospitalisations à domicile. L’activité hôtelière des hôpitaux baisse en conséquence depuis plusieurs années, et cette tendance se poursuit. Les hôpitaux gagneraient donc à se concentrer sur les activités de soins et à externaliser les fonctions hôtelières vers des établissements spécialisés et mitoyens. Cette organisation a déjà démontré son efficacité aux États-Unis. En matière d’adaptation immobilière, il y a beaucoup à faire ;

– dans les aéroports, les enregistrements sur Internet se sont accompagnés d’un raccourcissement notable des files d’attente. À l’avenir, il pourrait en aller de même avec les admissions hospitalières. Enregistrées au préalable sur Internet, les admissions bénéficieraient de procédures administratives allégées. Le personnel hospitalier serait ainsi plus disponible pour accueillir les patients. Les flux de patients, prévisibles, seraient mieux régulés. Suivant cette organisation, les locaux d’accueil et la superficie des salles d’attente seraient à revoir ;

– les salles d’opération deviendront de plus en plus hybrides, dotées à la fois d’instruments d’imagerie, de chirurgie et d’endoscopie sophistiqués. Leurs tailles et leurs agencements devront être adaptés en conséquence.

IV Partie

Libérer le potentiel d’innovation des hôpitaux et des cliniques

Financée à 91% par la Sécurité sociale, l’activité hospitalière est strictement encadrée. Si un contrôle public est nécessaire pour éviter une dérive de la dépense médicale, celui-ci ne doit toutefois pas décourager ni freiner l’innovation hospitalière comme c’est aujourd’hui le cas. Au contraire, l’esprit d’initiative et d’expérimentation des hôpitaux, publics comme privés, doit être encouragé et stimulé dans un climat de confiance partagée. Nous jugeons pour cela nécessaire :

– d’accélérer l’adaptation des cadres réglementaire et tarifaire ;

– de simplifier les régimes d’autorisation et de raccourcir les délais de réponse administrative ;

– d’introduire de nouveaux modes de financement de l’innovation, en sollicitant notamment des fonds privés ;

– d’adapter la formation des professionnels de santé aux enjeux de l’innovation ;

– de promouvoir les liens entre les start-up de la santé et les hôpitaux.

1

Pour un programme ambitieux de simplification dans le monde de la santé

Notes

37.

« Moderniser l’État. Le choc de simplification », gouvernement.fr, 28 octobre 2016

 

+ -

L’actuel gouvernement a fait de la simplification administrative un cheval de bataille. Lancé en mars 2013, son « choc de simplification » s’est traduit en trois ans par 470 mesures destinées à faciliter la vie quotidienne des entreprises et des particuliers. L’objectif est de « bâtir une relation de confiance entre l’administration et ses usagers » et de « favoriser un gain collectif de temps et d’argent37 ». C’est là le genre d’ambition gouvernementale dont a besoin le monde de la santé. Les résultats du « choc » de 2013 sont encore bien en deçà des ambitions. L’idée initiale est bonne, mais les choix de mise en œuvre sont sous-efficients. Une méthode d’approche plus rapide et efficace doit être déployée pour conduire un ambitieux programme de simplification dans le domaine de l’innovation médicale. Une consultation nationale pourrait être ouverte pour permettre aux offreurs de soins et aux Français de débattre des enjeux de l’innovation en santé et sur les moyens à mettre en œuvre pour la promouvoir. Les offreurs de soins se verraient donner la possibilité de proposer des mesures de simplification et d’adaptation du cadre réglementaire. Au législateur de les accepter ou non, en argumentant ses choix en cas d’avis défavorable. Une telle méthode de concertation a déjà démontré son efficacité avec la loi pour une République numérique38.

2

Financer l’innovation hospitalière avec des Health Impacts Bonds

C’est en 2010, pour accélérer le développement de l’économie sociale et solidaire britannique, que les premiers Social Impact Bonds, ou SIB, ont vu le jour. Ces derniers sont à la base d’un mode de financement inédit des politiques sociales. Leur grand intérêt pour la puissance publique est de financer a posteriori des programmes sociaux à l’efficacité prouvée, et non de financer a priori des projets à la réussite incertaine. Les pouvoirs publics se défaussent ainsi du risque d’échec. Ce dernier est alors assumé par des investisseurs privés qui, en cas de réussite des programmes financés, se voient rétribués par l’État. Ce modèle s’est rapidement exporté aux États-Unis et est actuellement en phase d’expérimentation dans de nombreux pays européens. Les pouvoirs publics confient à une organisation sociale une action précise, par exemple l’aide à l’intégration sur le marché du travail des chômeurs de longue durée. Des objectifs mesurables, une méthode d’évaluation, des conditions de rémunération et une échéance sont fixés contractuellement. À l’échéance, si les objectifs sont atteints, les investisseurs perçoivent de l’État la rémunération contractuelle de base. Si les objectifs sont dépassés, la rémunération peut, selon les clauses du contrat, être augmentée. Inversement, en cas de sous-performance, le taux de rendement est réduit. Si l’échec est significatif, selon les clauses, la rémunération des investisseurs peut tomber à zéro. Ils auront alors effectué un simple don caritatif. La puissance publique est dans tous les cas gagnante. Si le programme réussit, le bien-être social augmente dans le pays. L’État rétribue les investisseurs mais économise en comparaison avec une situation où il aurait lui même financé le projet. L’État impose en effet une efficience budgétaire supérieure au gestionnaire privé. À l’inverse, si les objectifs sont manqués, l’État ne rembourse que partiellement, voire, selon les cas, pas du tout.

Graphique 2 : fonctionnement des Social impact bonds.

Source :

Jie Bao, in «Social Impact Bonds are going Mainstream», Jon Hartley, Forbes.com, 15 septembre 2014 

Un tel schéma peut être transposé au financement des innovations en santé. Supposons qu’un hôpital veuille expérimenter un programme d’e-santé, par exemple un dispositif d’éducation thérapeutique à distance. L’établissement va dans un premier temps soumettre son projet à l’ARS. Avec cette dernière sont convenus des objectifs mesurables à atteindre : un nombre minimum de bénéficiaires, une meilleure observance des traitements, une amélioration de l’état de santé des patients ou encore une réduction du risque d’hospitalisation. Après avoir convenu des objectifs, de la période d’expérimentation et du mode d’évaluation, un rendement contractuel et conditionnel est défini. Sur cette base, des Health Impact Bonds peuvent être émis auprès d’investisseurs institutionnels. Il peut s’agir :

– de l’hôpital en charge du projet, et celui-ci est alors à la fois financeur et porteur du projet, ce qui a pour avantage de réduire le risque d’aléa moral ;

– d’établissements de santé partenaires ;

– d’organismes d’assurance santé ;

– de banques ; – de fonds d’investissement ;

– de particuliers en recherche de placements innovants et à forte valeur sociale.

Au terme d’une période contractuellement définie, une évaluation indépendante du projet a lieu. Celle-ci s’appuie à la fois sur :

– les bases de données internes des hôpitaux et les dossiers des patients ;

– les données du Système national d’information interrégimes de l’Assurance maladie (Sniiram) ;

– des enquêtes auprès des patients et de leur médecin traitant.

Pour favoriser l’orientation de l’épargne privée vers les Health Impact Bonds, nous préconisons la création d’un fonds dédié à ce type de placement. Le fonds, abondé à la fois par la Banque publique d’investissement (BPI), des mutuelles, des institutions de prévoyance, des assurances privées, des banques et d’autres acteurs en capacité d’épargne, investirait dans un portefeuille diversifié de projets d’innovation hospitalière. Le montage financier conférerait nécessairement plus de 50% du capital du fonds (voire davantage) aux grands investisseurs privés afin que ceux-ci puissent en conserver la gestion.

3

Faire entrer les start-up dans les hôpitaux

Notes

40.

Drees, op. cit., Fiche 2, « Les grandes catégories d’établissements de santé ».

+ -

Nous proposons d’intégrer dans les structures hospitalières des incubateurs de start-up de la santé. Le but recherché est de rapprocher géographiquement, jusque dans les cantines, de jeunes entreprises innovantes et prometteuses de leur clientèle naturelle pour à la fois accélérer le développement de leur technologie et faciliter l’intégration de nouveaux produits dans les établissements de soins. En effet, proches des utilisateurs potentiels de leurs produits, les start-up seraient plus à même d’identifier les besoins et les contraintes des usagers. Elles pourraient ainsi adapter leur offre aux réalités quotidiennes des patients et du personnel hospitalier, et faciliter ainsi l’intégration de leur innovation. Ces incubateurs seraient sous la responsabilité des directeurs d’hôpitaux et de cliniques. En concertation avec les équipes de terrain, les directeurs sélectionneraient les start-up invitées à rejoindre leur incubateur. Signe d’un projet crédible en phase de trouver sa demande, l’accès d’une start-up à un incubateur hospitalier pourrait faciliter ses levées de fonds auprès d’investisseurs privés. Ces incubateurs auraient par ailleurs pour fonction de promouvoir l’intraprenariat, soit des projets innovants portés par le personnel hospitalier lui-même. Pour soutenir cette démarche, une enveloppe de financement ministériel pourrait être votée. À défaut, afin d’assurer une neutralité budgétaire et une meilleure répartition des fonds existants, une fraction des enveloppes qui financent actuellement l’innovation hospitalière pourrait être fléchée sur le développement de ces incubateurs. Pour assurer une prise en charge équitable entre le secteur public et le secteur privé, les montants pourraient être répartis suivant les capacités d’accueil des établissements, soit 57% pour le public et 43% pour le privé40. Dans tous les cas, la subvention, dont le montant serait plafonné, viendrait en complément de fonds complémentaires (fonds propres des établissements, investisseurs privés, subventions européennes…). Une évaluation des incubateurs hospitaliers par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) pourrait être prévue par la loi à horizon cinq ans.

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