Italie 2022 : populismes et droitisation
Introduction
Les élections législatives du 25 septembre 2022
De la crise gouvernementale aux élections anticipées
La loi électorale et les réformes constitutionnelles
Principaux acteurs et principaux enjeux
Les résultats
La nouvelle coalition de la droite
Entre instabilité politique et crise de la gauche
L’ancrage du populisme
Le leadership de Giorgia Meloni et de Fratelli d’Italia
Les positions des partis de droite sur l’Union européenne, les États-Unis et la Russie
Les relations avec l’Union européenne : vers une normalisation
Les évolutions possibles des relations avec l’Union européenne
Quelles relations avec la Russie ? Et avec les États-Unis ?
Dans un contexte économique difficile, que propose la nouvelle coalition ?
Une situation économique contrastée, des difficultés historiques
Les approvisionnements énergétiques : de la Russie à l’Algérie
Le programme économique de la coalition de droite
Conclusion
Résumé
En Italie, les élections anticipées du 25 septembre 2022 se sont soldées par la victoire de la coalition de droite associant les partis d’extrême droite Fratelli d’Italia et la Lega à Forza Italia. Pendant la campagne électorale, Giorgia Meloni, leader de Fratelli d’Italia, a opté pour un ton moins agressif en essayant de faire oublier ses origines politiques et son euroscepticisme. Profitant des faiblesses de son « rivallié » Matteo Salvini et du rôle d’opposition de son parti au sein du gouvernement de Mario Draghi, elle a réussi à s’imposer à la tête de la coalition de droite.
Cette victoire suscite de nombreuses interrogations et l’inquiétude de l’Union européenne, notamment la crainte d’un virage autoritaire du pays, alimenté par les liens privilégiés qu’entretiennent ces trois partis avec Vladimir Poutine, Viktor Orbán et Donald Trump.
Anna Bonalume,
Journaliste et docteure en philosophie de l’École normale supérieure (ENS) de Paris.
Saxe et Brandebourg. Percée électorale de l'AfD lors des élections régionales du 1er septembre 2019
Vox, la fin de l'exception espagnole
Alternative für Deutschland : de la création en 2013, aux élections régionales de Hesse d'octobre 2018
Un an de populisme italien
Les "Démocrates de Suède" : un vote anti-immigration
L'Italie aux urnes
Autriche : Virage à droite
L'Autriche des populistes
Comprendre le Tea Party
Pays-Bas : la tentation populiste
Introduction
Cité in « Démission de Draghi : Macron salue “un partenaire de confiance” », lepoint.fr, 21 juillet 2022.
Voir Federico Fubini, « Così Francia e Italia si stanno fondendo sul piano produttivo : da PSA-FCA a Luxottica (e la moda) », corriere.it, 4 novembre 2020.
Établi en février 2021, le gouvernement de Mario Draghi a été désavoué le 21 juillet 2022 à la suite d’une crise gouvernementale provoquée par plusieurs partis. Mario Draghi, ancien gouverneur de la Banque centrale européenne, président du Financial Stability Board et membre du Board of Trustess de Princeton, avait été choisi par le président de la République Sergio Mattarella pour accompagner l’Italie à travers un programme visant conjointement la relance économique et la sortie de la crise sanitaire, l’Italie ayant été l’un des pays les plus touchés par la pandémie de Covid-19. Il a mené les négociations nécessaires pour obtenir des fonds de soutien de l’Union européenne (recovery plan) et fournir les garanties demandées par Bruxelles afin de pouvoir allouer les aides. De plus, il a contribué à rendre au pays sa crédibilité internationale, souvent malmenée par l’excentricité et l’opportunisme de sa classe politique et de ses coalitions politiques. À l’occasion de sa démission, le président de la République française Emmanuel Macron a salué « un grand homme d’État italien […], un partenaire de confiance [et] un ami de la France1 ». Le Mouvement 5 étoiles (M5S), la Lega et Forza Italia ont contribué à mettre fin au gouvernement Draghi, provoquant un tremblement de terre politique.
Les élections se sont déroulées le 25 septembre 2022, à la suite d’une brève campagne électorale. Marqué par une abstention record (37%), ce scrutin aura surtout révélé les fragilités du système politique italien : déclin des partis, loi électorale favorisant la création de coalitions, culte de la personnalité des leaders et, pour finir, une société italienne fortement précarisée par la succession de crises et par l’inflation.
La coalition de droite dirigée par Giorgia Meloni, Matteo Salvini et Silvio Berlusconi a remporté le scrutin. La grande nouveauté qui a suivi est un gouvernement conduit par un parti d’extrême droite aux origines postfascistes, une première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’impact de ces élections s’étend donc bien au-delà les frontières italiennes. Les entreprises françaises, par exemple, observent la situation avec attention. Nombre de groupes français ont développé une présence forte dans le pays : entre 2007 et 2020, ils ont pris le contrôle de 344 entreprises italiennes, pour 47,3 milliards d’euros2.
Les élections législatives du 25 septembre 2022
De la crise gouvernementale aux élections anticipées
Voir Direction générale du Trésor, « Relations économiques bilatérales France-Italie », tresor.economie.gouv.fr, 13 avril 2021.
Pour la première fois dans l’histoire de la République italienne, des élections législatives se sont déroulées en automne. Une crise politique déclenchée au mois de juillet par le M5S, la Lega et Forza Italia a mis fin au gouvernement d’union nationale dix-sept mois seulement après son entrée en fonction, le 13 février 2021, lorsque le président de la République Sergio Mattarella avait confié la charge de président du Conseil à Mario Draghi. L’objectif de Draghi était d’aider l’Italie dans sa relance économique et la sortie de crise grâce à l’obtention de fonds du Plan national de relance et de résilience (PNRR) de l’Union européenne, fonds octroyés en garantie de la réalisation d’un certain nombre de réformes prédéfinies.
En dépit de nombreux conflits internes, presque tous les partis politiques avaient initialement appuyé le gouvernement de Mario Draghi, le troisième depuis les élections législatives de 2018. Presque tous, sauf, précisément, Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite guidé par Giorgia Meloni. Après une série de tensions entre le M5S et le gouvernement, la cohésion du gouvernement prit fin lors du débat sur le vote autour du decreto aiuti (« décret aides »), censé allouer 23 milliards d’euros au soutien des familles et des entreprises. Dans ce décret figurait également l’autorisation de la construction d’une usine d’incinération à Rome, un tabou pour les écologistes du M5S. Cette mesure a constitué le casus belli : le M5S n’a pas voté la confiance au décret proposé par le gouvernement. À la suite de cette énième mise en cause de la part du M5S de la politique menée par Mario Draghi et son gouvernement, le président du Conseil a demandé un vote de confiance au Sénat afin de vérifier la solidité de sa majorité. Mais, le 20 juillet, le M5S, la Lega et Forza Italia n’ont pas voté la confiance, ouvrant une crise politique contraignant Mario Draghi à présenter sa démission. Aussitôt, Fratelli d’Italia faisait connaître son soutien à l’organisation d’élections anticipées.
Conduit par Mario Draghi, le gouvernement dit d’« union nationale » a su restaurer l’influence et la crédibilité de l’Italie. L’instabilité politique italienne n’est pas simplement un problème au plan national, elle pose aussi un problème à l’ensemble de l’Union européenne. L’Italie est l’un des pays fondateurs de l’Union européenne, la troisième économie de la zone euro et le troisième partenaire commercial de la France, après l’Allemagne et la Chine3. Par ailleurs, cette nouvelle crise politique italienne intervient dans un moment particulièrement critique où l’Union européenne tente de rester unie face à la Russie et de relancer son économie malgré une inflation importante, une crise énergétique historique et le risque d’une crise sociale.
Les conséquences anticipées des résultats électoraux :
majorité stable ou gouvernement d’union nationale ? (en %)
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
La loi électorale et les réformes constitutionnelles
En Italie, les électeurs élisent directement tous les parlementaires (à l’exclusion des sénateurs nommés à vie par le président de la République), qu’ils soient membres de la Chambre des députés ou du Sénat. Dans d’autres pays, l’une des deux chambres est souvent composée selon des critères différents. Par exemple, en Allemagne, les membres de la chambre haute (Bundesrat) sont choisis par les différents États fédéraux et non directement par les citoyens. Les membres du Sénat français, eux, sont élus au suffrage indirect.
Comme les élections de 2018, les élections du 25 septembre 2022 se sont déroulées selon la loi électorale appelée « Rosatellum », du nom de son inspirateur Ettore Rosato. Cette loi a été approuvée en 2017 ; il s’agit d’une formule mixte dans laquelle une partie des sièges est attribuée selon le scrutin majoritaire uninominal et une autre partie selon le scrutin proportionnel. Cette loi permet l’élection directe de 400 députés, formant la Chambre des députés, et de 200 sénateurs composant le Sénat.
À la Chambre des députés comme au Sénat, les trois huitièmes des sièges sont attribués au scrutin uninominal, tandis que le reste est attribué au scrutin proportionnel. Une fraction des sièges est attribuée aux partis en fonction du nombre de leurs victoires dans certaines circonscriptions, tandis qu’une autre fraction est répartie entre les formations politiques sur la base du pourcentage obtenu, au niveau national pour la Chambre des députés et au niveau régional pour le Sénat.
Les sièges attribués au scrutin proportionnel sont les plus nombreux : 245 à la Chambre des députés et 122 au Sénat, soit 367 sur un total de 600 sièges. Le nombre des sièges attribués au scrutin majoritaire est de 147 à la Chambre des députés et de 74 au Sénat, soit un total de 221 (les 12 députés restants sont élus dans des circonscriptions étrangères). Le principal effet de cette loi est de favoriser des alliances ou des coalitions entre différents partis. Il est en effet difficile de gagner seuls dans les circonscriptions uninominales et cela a pour conséquence la mise en place de cohabitations surprenantes, voire fantaisistes.
La grande nouveauté de cette élection est la réduction du nombre de parlementaires : dans les deux chambres, le nombre de sièges a été réduit par un amendement constitutionnel entré en vigueur à la suite du référendum constitutionnel de 2020, sur la base d’une promesse électorale du M5S. L’Italie compte ainsi 600 parlementaires au lieu de 945 parlementaires (635 au Parlement, 350 au Sénat), passant d’un ratio d’un député pour 64.000 habitants à celui d’un député pour 101.000 habitants. Le pays n’est donc plus le pays européen avec le plus grand nombre de parlementaires élus directement4.
Un autre changement concerne les électeurs qui pourront voter pour le Sénat. Jusqu’aux dernières élections, seuls les électeurs âgés d’au moins 25 ans pouvaient voter pour la chambre haute. La nouvelle loi constitutionnelle de 2021 permet à tous les électeurs de désigner les représentants des deux chambres du Parlement.
Voter pour un candidat ou voter pour un parti/une coalition ? (en %)
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
Principaux acteurs et principaux enjeux
Nombre de partis et de coalitions ont pris part aux élections du 25 septembre 2022. Les principales forces politiques en jeu étaient au nombre de cinq :
– une coalition du centre droit, associant Fratelli d’Italia (Giorgia Meloni), Forza Italia (Silvio Berlusconi), la Lega (Matteo Salvini) et Noi Moderati (Maurizio Lupi) ;
– une coalition du centre, comprenant Azione (Carlo Calenda) et Italia Viva (Matteo Renzi) ;
– une coalition de centre gauche, formée du Parti démocrate (Enrico Letta), de Sinistra Italiana et des Verts (chefs de file Nicola Fratoianni et Angelo Bonelli), de +Europa (Emma Bonino) et d’Impegno Civico (Luigi Di Maio) ;
– une coalition de gauche, composée de l’Unione popolare (leader Luigi De Magistris), de Democrazia e Autonomia, de Potere al popolo!, de Rifondazione Comunista et diverses autres organisations ;
– le M5S, dirigé par l’ancien président du conseil Giuseppe Conte.
Évolution du nombre d’abonnés des principaux candidats sur les réseaux sociaux (avril-septembre 2022)
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
Gains et pertes d’abonnés des principaux candidats sur les réseaux sociaux (avril-septembre 2022)
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
La coalition de centre droit était la mieux préparée et organisée. Depuis plusieurs années, elle se présentait unie, aussi bien aux élections municipales qu’aux élections régionales. Et cette alliance ne date pas d’hier : il ne faut pas oublier que cette même coalition avait permis à Silvio Berlusconi de gagner les élections en 1994 et de constituer son premier gouvernement. À l’époque, Forza Italia concourait dans le cadre d’une coalition regroupant la Lega et Alleanza Nazionale, ancêtre de Fratelli d’Italia, au sein duquel militait déjà la jeune Giorgia Meloni. Pour les élections législatives de 2022, la coalition a fait montre d’une véritable cohésion, malgré de nombreuses divergences internes, notamment en ce qui concerne les relations avec la Russie et l’Union européenne, et en dépit de conflits entre les trois chefs de parti. Cette attitude tranchait avec celle de concurrents beaucoup plus divisés et moins préparés à la campagne électorale. Finalement, cette alliance a bouleversé la carte électorale traditionnelle en réalisant des progrès spectaculaires dans le centre du pays, dans des territoires où les partis de gauche dominaient historiquement. En 2016, la Lega avait déjà emporté les villes de Cascina, Pise, Sienne et Massa, en Toscane, puis la présidence de l’Ombrie en 2019. En 2018, elle a obtenu la présidence du Molise, autre région traditionnellement à gauche, grâce à la candidature de Donatella Tesei, aujourd’hui seule femme présidente de Région dans le pays. Un an plus tard, Fratelli d’Italia, à l’époque parti minoritaire au sein de la coalition, gagnait dans les Marches, autre fief de la gauche.
L’image des principales personnalités politiques (en %)
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
Une évaluation publique de la campagne électorale (en %)
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
Comment la gauche a-t-elle réagi face aux victoires de la coalition de droite ? Lors de cette campagne électorale, la coalition de gauche est apparue très fragile et reposait essentiellement sur les forces du Parti démocrate (PD), les trois autres partis l’accompagnant étant minoritaires. Les tentatives d’Enrico Letta, secrétaire du PD, pour former une grande alliance avec les partis du centre Azione et Italia Viva n’ont pas abouti, très probablement à cause d’une incompatibilité de caractère entre les trois leaders.
Les résultats
Conduit par Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia a donc remporté les élections, avec 26% des suffrages exprimés, multipliant par six son résultat de 2018 (4,3%), tandis que reculaient fortement la Lega (8,8%) et Forza Italia (8,1%), à quoi il faut ajouter le score de Noi Moderati (0,9%). L’alliance conduite par Giorgia Meloni a obtenu la majorité absolue à la Chambre des députés et au Sénat, avec environ 44% de suffrages exprimés, 235 députés et 112 sénateurs. La coalition de centre gauche a obtenu environ 26% des suffrages, 80 sièges à la Chambre des députés et 39 sièges au Sénat. Le M5S, pourtant considéré comme affaibli par ses années de gouvernement et une grave crise interne, a obtenu 15,43% des suffrages pour la Chambre des députés et 15,55% pour le Sénat. Enfin, la coalition du centre composée des partis Azione et Italia Viva a réuni 7,8% des suffrages pour la Chambre des députés (21 députés) et 7,7% des suffrages pour le Sénat (9 sénateurs).
Composition de la Chambre des députés – XIXème législature
Copyright :
Pagella politica, Tutti gli eletti in Parlamento, partito per partito, 22 septembre 2022
Composition du Sénat – XIXème législature
Copyright :
Pagella politica, Tutti gli eletti in Parlamento, partito per partito, 22 septembre 2022
Évolution du nombre de suffrages obtenus par les principaux partis
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
Le MSI, fondé par Giorgio Almirante, est un parti né des cendres de la République sociale italienne (ou République de Salò), l’État fasciste établi par Mussolini en Italie du Centre et du Nord de 1943 à 1945.
Approche géographique du vote
Historiquement, le Movimento sociale italiano (MSI)5 d’abord, puis son enfant, Alleanza Nazionale, et, enfin, son neveu, Fratelli d’Italia étaient ancrés dans le Sud, où les discours protestataires et les promesses d’aides sociales se sont montrés efficaces. La Lega, en revanche, s’est implantée dans les régions du Nord, notamment en Lombardie et Vénétie. C’est dans ces deux régions industrielles qu’ont vu le jour les premières formations autonomistes qui se sont fondues plus tard dans la Lega Nord : pendant trente ans, ce parti autonomiste s’est présenté comme le défenseur des intérêts des entrepreneurs résidant autour de la plaine du Pô.
Les élections générales de 2018 ont donné l’image d’un pays qui semblait alors coupé en deux, avec le Nord, dominé par la Lega, et le Sud dominé par le M5S. Si la Lega de Matteo Salvini, nouveau projet politique issu de la Lega Nord, a réussi à s’implanter dans le centre du pays, le parti antisystème M5S est arrivé à détrôner l’extrême droite et la droite de Forza Italia dans les régions du Sud, telles la Sicile, la Calabre ou la Basilicate.
La carte des résultats aux élections législatives du 25 septembre 2022
Source :
Filippo Teoldi pour le journal Domani, ministère de l’Intérieur.
Ces aides sont associées à un parcours d’insertion professionnelle et de réinsertion sociale. Il ne s’agit pas d’un revenu de base mais d’un dispositif de sécurité sociale, un revenu minimum garanti fourni sous condition, pas universellement et sur demande. Les données pour les deux premiers mois de 2022 font état de 1 287 274 ménages recevant un paiement mensuel du revenu de citoyenneté, avec 3 001 948 personnes concernées et un montant moyen déboursé à l’échelle nationale de 591,25 euros. La répartition par zone géographique prévoit 556 346 bénéficiaires dans le Nord, 416 388 dans le Centre et 2 029 214 dans le Sud et les îles (voir Osservatorio Reddito e Pensione di Cittadinanza: i dati di febbraio, inps.it, données mars 2022).
Au mois de mars 2022, les bénéficiaires du revenu de citoyenneté et de la retraite de citoyenneté étaient 0,1% dans la province de Bolzano, 2% à Milan, 15,1% à Palerme et 15% à Naples.
Concernant la géographie du vote en 2022, Fratelli d’Italia a gagné dans presque toute l’Italie. Dans le Nord, le parti de Meloni a fait presque trois fois plus que la Lega. Mais, paradoxalement, il n’a pas enregistré des résultats importants dans le Sud, où il arrive loin derrière les M5S6. Comment expliquer ce manque d’attrait du Sud à l’égard d’un parti historiquement proche de cette partie du territoire ? Si le M5S a réalisé la moitié de son résultat de 2018, passant de 32% à 15% des suffrages, il a cependant réussi à conserver ses bastions et il est le premier parti dans plusieurs régions du Sud. En Campanie, il a même dépassé l’ensemble de la coalition de droite. Ses meilleurs résultats ont été obtenus à Naples où, dans deux circonscriptions, il a dépassé 40% des suffrages. On a pu observer une corrélation entre le vote M5S dans le sud du pays et le nombre de bénéficiaires du revenu de citoyenneté, porté par le M5S et consistant en aides économiques destinées à compléter les revenus familiaux des ménages modestes7, lesquels leur ont assuré en retour une certaine fidélité électorale. En effet, dans le Mezzogiorno la condition économique des citoyens est plus mauvaise, avec un revenu moyen par habitant de 19.000 euros, soit près de la moitié de celui du Nord. Et c’est dans le Sud que ces aides financières ont été le plus largement distribuées8.
Dans le Nord, Fratelli d’Italia a réalisé une percée importante, lui permettant de se substituer à la Lega de Matteo Salvini. C’est le cas en Vénétie, où dans toutes les circonscriptions les suffrages recueillis par Fratelli d’Italia sont plus du double de ceux recueillis par la Lega. Mais le parti de Meloni est également arrivé en tête dans des régions telles que le Frioul-Vénétie-Julienne, la Lombardie, le Piémont et la Ligurie, ainsi que le Latium, les Marches et les Abruzzes.
La région Nord-Ouest, qui comprend la Ligurie, le Piémont, le Val d’Aoste et la Lombardie, montre une domination du centre droit, gagnant pratiquement partout, à l’exception de trois circonscriptions en Lombardie, au Piémont et en Ligurie, où le centre gauche l’a emporté (au Sénat, toutefois, la circonscription ligure va au centre droit). Pour le reste, c’est un triomphe pour Fratelli d’Italia, qui obtient des résultats importants au Piémont et en Lombardie, où il dépasse 25% des suffrages. En Lombardie, région qui a vu naître la Lega et Forza Italia, le premier parti est Fratelli d’Italia.
Milan est restée à gauche, bien que le premier parti de Lombardie soit Fratelli d’Italia. Si nous examinons le vote dans la ville lombarde actuellement dirigée par le PD, nous constatons qu’au Sénat, dans la circonscription uninominale, le centre gauche l’a emporté avec 39,08% des voix, suivi du centre droit et d’Italia Viva. À Turin, on observe un face-à-face entre le centre droit et le centre gauche, ce dernier l’emportant d’environ quatre points : 37,7% (au Parlement) contre 33,5%. Le M5S obtient 12,2%, la moitié par rapport à 2018. Rome, en revanche, a viré résolument à droite. Dans la capitale, la coalition de centre droit est en tête (37,62%). Au sein de la coalition, c’est Giorgia Meloni qui l’emporte (28,44% des suffrages), devant Forza Italia (4,47%), la Lega (4,28%) et Noi Moderati (0,43%).
Transfert de voix entre les élections législatives de 2018 et de 2022 (en %)
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
Transfert de voix entre les élections législatives de 2018 et de 2022 (en %)
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
Approche socio-professionnelle et démographique du vote
L’analyse de l’électorat est un élément important pour comprendre l’ampleur du phénomène Meloni. D’après les sondages d’Ipsos Italie, Fratelli d’Italia arrive en tête chez les ouvriers, les enseignants et les commerçants. Point intéressant, il réalise un vieux rêve de l’extrême droite française en regroupant autour d’un même leader bourgeoisie et classes populaires, jusqu’alors proches du PD. Le M5S l’emporte parmi les chômeurs et les jeunes, tandis que le PD se maintient parmi les diplômés de l’enseignement supérieur.
Le profil des électeurs (en %)
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
Nando Pagnoncelli, directeur d’Ipsos Italie, observe : « Fratelli d’Italia est le parti plébiscité par les personnes à revenus moyens et faibles, mais aussi par la classe aisée (23,4%). Jusqu’à il y a quelques semaines, cette suprématie appartenait au PD, puis il y a eu l’effet de nouveauté de Meloni agissant comme une force motrice, s’imposant comme le phénomène électoral de ces dernières années. Dans cette enquête, Giorgia Meloni est en tête dans tous les segments sociaux, même chez les entrepreneurs et les cadres dirigeants. » L’intérêt porté à Giorgia Meloni par la classe entrepreneuriale italienne, plutôt encline à soutenir Forza Italia et la Lega, est une nouveauté surprenante. En effet, les origines de Fratelli d’Italia se situent clairement dans la droite sociale, c’est-à-dire dans une pensée politique combinant les principes de la droite classique et antilibérale, tels que la tradition, la hiérarchie et la justice sociale, entendue comme communautaire, la solidarité nationale étant réservée aux membres de la communauté. Ce corpus idéologique, dans ses formes modérées, promeut une intervention de l’État dans l’économie afin de corriger le libéralisme pur. Il est possible que, dans la très courte campagne électorale de septembre, Giorgia Meloni ait réussi à rallier les cadres dirigeants de son appui à des mesures comme la réduction de la pression fiscale pesant sur les entreprises et sur le travail, la promotion du label made in Italy, comme l’atteste l’accueil chaleureux reçu par Giorgia Meloni lors du Forum Ambrosetti, sorte de Davos italien.
Le vote de la Génération Z (personnes nées après 1996) et des Millennials (personnes nées entre 1981 et 1996)
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
Voir Ipsos, « I sondaggi politici di Pagnoncelli: Fratelli d’Italia primo partito delle elezioni politiche 2022, ma l’astensione è stata la più alta di sempre », ipsos.it, 26 septembre 2022.
YouTrend, « Report. Elezioni politiche 2022 », youtrend.it, 27 septembre 2022.
Istituto Ixè, « Osservatorio politico – Elezioni politiche, 25 settembre 2022 Analisi del comportamento elettorale », istitutoixe.it, 26 septembre 2022, p. 11.
Presidenza del Consiglio dei Ministri, « Per la partecipazione dei cittadini. Come ridurre l’astensionismo e agevolare il voto », 14 avril 2022, p. 59-73.
L’abstention devient le comportement électoral le plus répandu
L’un des éléments les plus marquants de ces élections est celui du niveau d’abstention (37%, soit 16,5 millions d’électeurs inscrits), un record dans l’histoire républicaine italienne9. Si un tel niveau d’abstention devait devenir la norme, ce serait un changement majeur. Il s’agit non seulement du record d’abstention, mais aussi de la plus forte baisse jamais enregistrée entre deux scrutins législatifs. Cette nouvelle réalité reflète la désaffection des citoyens à l’égard de la politique, le déclin des partis et les modalités de la participation politique des nouvelles générations. Des analyses montrent que, par rapport à 2018, la participation a reculé davantage dans les communes les moins peuplées, disposant d’un revenu moyen plus faible, avec un pourcentage plus élevé de chômeurs et un pourcentage plus faible de diplômés10. L’abstention concerne particulièrement les plus jeunes : 39,8% chez les 18-24 ans, 40,5% chez les 25-34 ans, 36,2% chez les 35-44 ans, 32,5% chez les 45-54 ans, 31,6% chez les 55-64 ans et 38,1% pour les 65 ans et plus11.
Le phénomène de l’abstention est commun à d’autres pays européens. Si le niveau est moins élevé en Italie qu’en France, il n’en demeure pas moins qu’il est sans précédent et plus élevé que dans la plupart des pays de l’Union européenne. En Italie, un livre blanc sur l’abstention publié en 2022 distingue les différentes causes, mettant en lumière un phénomène d’abstentionnisme involontaire, représenté par les personnes à mobilité réduite (4,2 millions de personnes de plus de 65 ans, dont 2,8 millions ont de graves difficultés de mobilité) et par les fuori sede, ceux qui, pour des raisons de travail ou d’études, se trouvent loin de leur commune de résidence le jour du scrutin (4,9 millions d’électeurs)12. D’après Ipsos, cette cause est destinée à s’accentuer, compte tenu des tendances démographiques caractérisées par l’augmentation de la part des personnes âgées dans la population électorale. Certaines dynamiques sociales contribuent au déclin de la participation électorale, notamment et depuis longtemps déjà, la mobilité croissante des citoyens : « Par rapport à il y a cinq ans, le nombre des électeurs s’étant abstenus a augmenté de 4,5 millions. Cela signifie qu’il existe un écart important entre les politiciens et le territoire », analyse Alessandra Ghisleri, directrice d’Euromedia Research.
La participation électorale aux législatives depuis 1994 (en %)
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
Voir Pierre Rosanvallon, Les Épreuves de la vie. Comprendre autrement les Français, Paris, Seuil, 2021.
Au phénomène de l’abstention s’ajoute celui de la volatilité électorale. Si, en 2018, le M5S a remporté les élections législatives avec près de 11 millions de suffrages, en 2022 il en perd 6,4 millions, soit plus de la moitié. La Lega, quant à elle, passe de 5,7 millions de suffrages en 2018 à 2,5 millions en 2022, également victime du cycle de désaffiliation partisane et de volatilité électorale. Il y a de nombreuses années déjà que n’existent plus les systèmes de représentation du monde qui en offraient une vision cohérente, déterminant des comportements électoraux stables dans la durée qui constituaient des communautés d’appartenance. Nando Pagnoncelli souligne à ce propos que le rapport à la politique est devenu « utilitaire », c’est-à-dire que la politique doit répondre à « mes besoins personnels », ou, comme dirait Pierre Rosanvallon, aux attentes produites par les épreuves de la vie de chacun13. L’individualisation du rapport à la politique fragilise la relation aux gouvernants, l’électeur les juge de plus en plus rapidement décevants et son vote se déplace aisément d’un parti à l’autre.
La nouvelle coalition de la droite
Entre instabilité politique et crise de la gauche
Voir Ipsos, « I sondaggi politici di Pagnoncelli: elezioni politiche 2022, chi sono gli elettori italiani di ciascuna forza politica? », ipsos.it, 28 septembre 2022.
Voir Paolo Rumiz, La secessione leggera. Dove nasce la rabbia del profondo Nord, Milan, Feltrinelli, 2016.
Pour comprendre la rapidité de l’ascension politique de Giorgia Meloni, précédée par celle de son « rivallié » Matteo Salvini, ainsi que les bons résultats engrangés par les deux partis d’extrême droite, il est indispensable de comprendre le paysage politique italien. Les évolutions historiques des adversaires de la droite ont influencé l’émergence de ces personnalités souverainistes et populistes.
Les raisons du succès de Giorgia Meloni sont complexes. Elles tiennent au rôle de ses adversaires politiques, à l’héritage laissé par les différentes formations politiques qui se sont succédé à la tête du pays et, enfin, au délitement de la gauche. Les résultats montrent clairement que Fratelli d’Italia a réussi à récupérer les électeurs de la Lega et les anciens électeurs du PD : Fratelli d’Italia arrive en tête parmi les ouvriers, avec 34,6% des voix, suivi du M5S (16,4%) et de la Lega (13,4%), tandis que le PD n’arrive qu’en quatrième position14. Le succès de Giorgia Meloni au sein des classes populaires, historiquement représentées par le PD et les autres forces de gauche, invite à analyser les causes de cette transformation.
L’émergence des partis populistes de droite en Italie est liée à l’histoire politique des trente dernières années. Une succession d’alliances au pouvoir, parfois contre nature, la multiplication de conflits internes aux partis et la personnalité encombrante de plusieurs leaders ont contribué à la crise et au déclin des partis de la gauche modérée favorisant le glissement à droite de l’électorat.
Le PD, fruit de la convergence de forces communistes et de la démocratie chrétienne, a montré moins d’unité que la coalition de droite initiée en 1994 par le premier gouvernement Berlusconi. La crise officielle du PD coïncide avec la fin du gouvernement de Matteo Renzi, à la suite du lancement du référendum constitutionnel de décembre 2016. C’est le point de départ de l’agonie du PD et de sa fragmentation, mais les divisions au sein du parti ont commencé à se manifester en février 2014, lorsque Matteo Renzi est devenu président du Conseil, après avoir provoqué la chute du gouvernement Enrico Letta, inaugurant une opération de rottamazione (« démantèlement ») de la classe dirigeante historique de la gauche, alimentant des rivalités et d’importantes divisions internes. Des frondes internes se sont développées ainsi que des règlements de comptes et des conflits de plus en plus intenses.
Paolo Rumiz, journaliste à La Repubblica, a pointé l’un des problèmes idéologiques majeurs qui caractérisent aujourd’hui la gauche italienne : il accuse la gauche, d’avoir refusé au début des années 2000 de prendre en considération l’enjeu de l’ethnos, des « racines », en se contentant de le disqualifier en le renvoyant à une expression de l’hitlérisme ou à la guerre des Balkans, et l’offrant ainsi en monopole à la droite15. Rumiz signale une contradiction dans cette attitude idéologique : appliqué à la situation du Tibet, aux Amérindiens ou à la vieille musique populaire, l’ethnos est une « affaire de gauche », il est synonyme de peuple, tandis qu’appliqué à des sujets « occidentaux » il devient immédiatement un problème de la droite, l’« équivalent régressif de “race” ». La question de l’ethnos n’est pas la seule à avoir été délaissée par les partis politiques se réclamant de la gauche, et pas seulement en Italie. On a pu reprocher au Parti socialiste français comme au Parti démocrate italien ou aux socialistes espagnols d’avoir donné la priorité, depuis une vingtaine d’années, aux questions des minorités, de la diversité et du genre, au détriment de la lutte contre l’augmentation des inégalités économiques et sociales. Sur le plan économique, le virage libéral de la plupart des formations démocrates est aussi à la base de la perte de leurs soutiens, un abandon qui a favorisé la volatilité électorale des électeurs de gauche, souvent au profit de l’extrême droite, et parfois de l’extrême gauche.
En 2018, les élections ont confirmé l’agonie de la gauche modérée, en cours depuis des années. Depuis les fameux 40,8% de Renzi en 2014, le PD a perdu près de 5 millions de suffrages. En 2022, cette tendance est à nouveau confirmée, le PD n’obtient que 19% de voix. Pour l’analyste Alessandra Ghisleri, « le PD était confronté à trois adversaires : un centre droit cohérent et compact, le pôle du centre Azione-Italia Viva et le Movimento Cinquestelle. Le PD, au niveau national, a perdu un million de voix par rapport à 2018 au profit des différentes formations nées entre-temps de scissions au sein de la maison des démocrates ».
L’ancrage du populisme
Voir Ilvo Diamanti et Marc Lazar, Peuplecratie. La métamorphose de nos démocraties, Paris, Gallimard, 2019.
Voir Nando Pagnoncelli, La Penisola che non c’è. La realtà su misura degli italiani, Milan, Mondadori, 2019.
Il s’agit d’une série d’enquêtes judiciaires ayant mis en lumière un système de corruption et de financement illicite des partis, reliant le monde économique et politique.
Au congrès de Tours, qui vit la nomination de Marine Le Pen à la tête du Front national.
Voir Anna Bonalume, Un mois avec un populiste, Paris, Pauvert, 2022, p. 125.
Lors de mon enquête sur le populisme italien (Anna Bonalume, op. cit.), des sympathisants de Matteo Salvini me l’ont décrit comme l’« un d’entre nous ».
Le rôle du rire en politique et les liens entre le populisme italien et la commedia dell’arte ont été traitée dans l’étude de l’anthropologue Lynda Dematteo, L’Idiotie en politique. Subversion et néo-populisme en Italie, Paris, CNRS Éditions/Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2007.
L’histoire politique de l’Italie de ces trente dernières années est marquée par une diffusion large et profonde du populisme16 dans un contexte caractérisé par l’affirmation d’un « système » où la course aux électeurs est devenue l’unique objectif de la politique17.
Après les scandales politico-financiers qui ont donné lieu à l’opération « Mani pulite » (« Mains propres »), en 199218, une nouvelle manière de faire de la politique a émergé, celle du populisme incarné par Silvio Berlusconi et qui lui valut son premier succès en 1994. Le slogan « Un président ouvrier » illustre le récit d’un homme ne devant sa réussite qu’à lui-même, en dépit des obstacles engendrés par la bureaucratie d’État. Il fait mouche dans le cœur des Italiens tout juste sortis de « Mani pulite », qui estiment qu’un entrepreneur charismatique capable de créer de l’emploi pourrait sûrement mieux faire que des institutions traditionnelles, corrompues et devenues incapables d’œuvrer à l’intérêt général. La force de cette nouveauté a inspiré ensuite de nouveaux leaders capables de bouleverser le paysage politique par leur charisme et un nouveau récit. Ainsi, en 2013, le M5S obtient 25,6% aux élections législatives et devient la première force politique du pays en 2018, avec 32% des suffrages. Son fondateur, Beppe Grillo, dénonce constamment une classe politique corrompue qu’il appelle la casta. Son discours, versatile et opportuniste, flirte tantôt avec la gauche, tantôt avec la droite, mêlant écologie, justice sociale et hostilité au droit du sol pour les immigrés. Si le M5S remporte ses plus grands succès dans le Sud, une autre force politique, la Lega, historiquement populiste, d’extrême droite et eurosceptique, obtient des résultats très importants, notamment dans le Nord, grâce à la personnalité excentrique de Matteo Salvini qui, alors jeune eurodéputé milanais, lance sa carrière en dénonçant l’immigration, l’Union européenne et l’excès de pression fiscale. Il obtient le meilleur score du parti aux élections législatives de 2018 (17,3%). C’est à ce moment-là que les destins de la Lega et du Rassemblement national français se croisent officiellement, après une longue entente inaugurée par leur présence au sein du même groupe européen Identité et Démocratie.
Salvini emploie le crucifix et l’appel aux valeurs chrétiennes comme outils de dédiabolisation19. La semaine précédant les élections italiennes du 4 mars 2018, lors d’un meeting en présence de ses alliés européens place du Dôme, à Milan, il brandit un chapelet et un évangile. D’après Ipsos, c’est la semaine de la campagne électorale où la Lega a dépassé Forza Italia, le parti de Berlusconi. Pour Nando Pagnoncelli, il y a un report vers Salvini de votes des électeurs modérés, des femmes au foyer, des retraités, des catholiques, qui votaient auparavant pour Berlusconi. En affichant de tels symboles, le leader de la Lega a rassuré cet électorat qui avait des réticences à l’égard de son agressivité et de thèmes, comme la lutte contre l’immigration, qu’il avait pu mettre au premier plan20. Mais, depuis 2018, Matteo Salvini a semblé perdre la main : les outrances et les incohérences du « Capitano » face à la pandémie et au conflit ukrainien l’ont affaibli au profit de Giorgia Meloni, qui a fini par l’éclipser.
Durant la campagne électorale, Giorgia Meloni, ancienne militante du parti postfasciste Alleanza nazionale, s’est efforcée de faire oublier ses origines politiques et de se montrer rassurante vis-à-vis des institutions internationales, usant de slogans en faveur de la « famille naturelle » et pointant les difficultés économiques des ménages italiens. Le terrain pour la victoire de Giorgia Meloni a été sans doute préparé à la fois par les discours à l’emporte-pièce de Matteo Salvini et par la grogne sociale.
Toutes ces personnalités politiques se présentent comme des « gens ordinaires21 » et des vengeurs venus du peuple capables de « détruire » l’establishment, en occurrence la gauche, les technocrates, la finance. Comme Matteo Salvini, Giorgia Meloni insiste sur son histoire personnelle d’enfant abandonnée par son père, originaire de quartiers populaires de Rome et ayant su se construire toute seule (rappelant le récit berlusconien du self-made-man triomphant malgré l’État).
Les idées de cette droite radicale sont communiquées au moyen d’un sourire, voire d’un rire rassurant22 qui atténue la dimension autoritaire et conservatrice des mesures politiques proposées (blocus naval, fermeture des ports, défense de la famille naturelle, droit à l’avortement sous conditions, priorité à tout ce qui est national…).
À ce facteur s’ajoutent les transformations permanentes de la vie politique italienne qu’illustre la tendance de ses protagonistes à évoluer sur l’échiquier politique : l’extrême droite de Giorgia Meloni, comme celle de Marine Le Pen, a su muter, faisant preuve de trasformismo.
Le leadership de Giorgia Meloni et de Fratelli d’Italia
En 2006, pour la première fois dans l’histoire de la Deuxième République, est inauguré un ministère pour les Politiques pour la jeunesse et les Activités sportives. En 2008 ce ministère est renommé ministère pour la Jeunesse. Le terme italien alors utilisé est gioventù, un terme archaïque employé notamment à l’époque du fascisme pour désigner la jeunesse. La Gioventù italiana del littorio (GIL), fondée en 1937, était une organisation de la jeunesse fasciste destinée à la « préparation spirituelle, sportive et paramilitaire des jeunes ». Le mot littorio signifie « licteur » et renvoie au fascio (« faisceau ») devenu le symbole du parti fasciste. Par ailleurs, Gioventù fascista (« Jeunesse fasciste ») était un magazine destiné à la jeunesse italienne pendant la période de l’État fasciste de Benito Mussolini.
Successivement appelée Polo delle Libertà (1994), Casa delle Libertà (2001), puis Popolo delle Libertà (2008).
Voir Edouard Mir, « Fini tourne la page du Mouvement social italien », liberation.fr, 30 janvier 1995.
Orientation politique des partis ou mouvements catholiques qui se sont succédé en Italie à partir du Parti populaire italien fondé en 1919 par don Luigi Sturzo.
« Il centrodestra, come lo abbiamo conosciuto, è finito. Che ormai è nato un blocco di destra, che è naturale chiamarlo lepenista, formato da Meloni e Salvini divenuto il baricentro di quello schieramento politico, oggi » (« Fini: “Meloni presuntuosa e sconclusionata. Berlusconi? Altro che fascisti, non sa innovare”, interview de Gianfranco Fini par Goffredo De Marchis, repubblica.it, 17 mars 2016).
Lors des élections du 25 septembre, Forza Italia a cédé un tiers des voix obtenues en 2018 à Fratelli d’Italia. Plus précisément : 37% de ceux qui avaient voté pour Forza Italia en 2018 votent désormais pour Fratelli d’Italia, 36% ont confirmé leur vote pour Forza Italia, tandis que 27% ont voté pour d’autres partis ou se sont abstenus (voir Swg, « Radar. Speciale elziono 2022 », 26 septembre 2022, p. 5).
www.facebook.com/watch/?v=1179850086190765, 10 août 2022.
Gorgia Meloni, née en 1977, s’engage en politique très jeune. À l’âge de quinze ans, aux débuts des années 1990, elle milite au Fronte della Gioventù du Movimento Sociale Ialiano (MSI), un mouvement d’extrême droite, fondé après la Seconde Guerre mondiale par des anciens cadres de la République de Salò. Entre 1995 et 2009, elle évolue au sein d’Alleanza nazionale, parti fondé par Gianfranco Fini sur les cendres du MSI. Gianfranco Fini est considéré comme le mentor de Giorgia Meloni. Après une expérience en tant que ministre de la Jeunesse23 au sein du gouvernement Berlusconi entre 2008 et 2011, elle fonde son propre parti politique, Fratelli d’Italia, en 2012. De 1994 à 2008, Alleanza Nazionale est l’une des forces composant, avec la Lega Nord d’Umberto Bossi, l’alliance soutenant les trois gouvernements de droite dirigés par Silvio Berlusconi24. Le leader d’Alleanza Nazionale, Gianfranco Fini, arrive à réaliser l’un des rêves de l’extrême droite italienne : occuper l’espace conservateur-modéré de l’échiquier politique et obtenir le soutien des électeurs du centre. Gianfranco Fini abandonne la présidence d’Alleanza Nazionale en 2008. Plusieurs déçus du « virage modéré » d’Alleanza nazionale25 essaient alors de donner un nouvel élan aux formations politiques d’extrême droite. Ainsi, en 2008, Daniela Santanché, ancien membre d’Alleanza Nazionale, se présente aux élections législatives sur la liste de La Destra-Fiamma Tricolore, alliance électorale d’orientation néofasciste et sociale de droite, entre La Destra de Francesco Storace et le Movimento Sociale Fiamma Tricolore.
Avec Guido Crosetto, un ancien membre de la Democrazia Cristiana (Démocratie chrétienne), et Ignazio La Russa, ancien militant du MSI, Giorgia Meloni fonde donc le parti Fratelli d’Italia en 2012. Dans le manifeste du parti26, les idées clés sont le nationalisme et un renforcement du pouvoir exécutif au détriment du Parlement. L’« Europe des peuples » est présentée comme la solution face à la crise de légitimé de l’« Europe économique », mise en cause comme « une Europe bureaucratique et oligarchique qui favorise souvent des intérêts très éloignés du “bien commun” ». Au centre des priorités figure « la souveraineté populaire » et la « volonté populaire », à respecter « à tous les niveaux », et des propositions pour une révision de la Constitution. Au sein de l’Union européenne, les intérêts nationaux des peuples primeraient et la volonté populaire serait prioritaire, à la différence des valeurs proeuropéennes défendues par le popularismo italien27. Des tendances antiparlementaristes s’entrevoient dans les propositions de réforme constitutionnelle : appel à une transition urgente « vers une république présidentielle, avec élection directe du président de la République et le renforcement des pouvoirs de l’exécutif », « suppression du “bicamérisme parfait” avec une seule chambre législative » et « réduction de moitié du nombre de parlementaires ».
Lors du premier rendez-vous électoral suivant la création du parti, à l’occasion des élections législatives de 2013, Fratelli d’Italia obtient 4,3% des suffrages. À partir de 2013, avec la crise financière grecque, se montrant proche d’Aléxis Tsípras, Giorgia Meloni mène des attaques contre l’Union européenne, qu’elle dénonce comme un « comité d’affairistes, de lobbyistes et d’usuriers ». Plus récemment, face à la nouvelle coalition de droite de Berlusconi, Salvini et Meloni, Gianfranco Fini a affirmé que « le centre droit, tel que nous l’avons connu, est terminé. Un bloc de droite, que l’on peut qualifier de lepéniste, a maintenant émergé. Il est représenté par Giorgia Meloni et Matteo Salvini. Il est devenu le centre de gravité politique aujourd’hui28 ». Pour le mentor de Giorgia Meloni, la tentative de Berlusconi de garder le front de l’extrême droite et de la droite uni, comme en 1994, semble « un exploit impossible ». D’après l’ancien leader d’Alleanza Nazionale, Silvio Berlusconi devrait « considérer Salvini et Meloni comme des adversaires et non comme des alliés », comme l’ont fait Angela Merkel, avec Alternativ für Deutschland (AfD) de Frauke Petry, ou Nicolas Sarkozy avec Marine Le Pen. Pourtant la situation a rapidement évolué et les prévisions de Gianfranco Fini se sont révélées correctes. N’ayant montré qu’une faible capacité créatrice par rapport au renouvellement du centre droit, Forza Italia, créée autour de la figure de Silvio Berlusconi, leader incontesté de la coalition de droite jusqu’en 2018, s’est vu fortement concurrencée par ses alliés29. Entre 2018 et 2021, Matteo Salvini a réussi à occuper l’espace de la droite libérale rendu disponible par le déclin de Forza Italia et de son leader.
L’autre facteur ayant déterminé le succès de Giorgia Meloni est sa capacité à jongler entre l’euroscepticisme, l’affirmation de valeurs identitaires et une relation restée ambiguë avec son héritage postfasciste. En effet, la présence d’une composante politique d’origine fasciste est aujourd’hui pointée essentiellement par la presse étrangère. En Italie, le parti Fratelli d’Italia est plutôt considéré comme un parti de droite appartenant légitimement à l’arc constitutionnel et membre d’une coalition qualifiée de « centre droit ».
La question se pose de savoir comment l’implantation de Fratelli d’Italia dans le paysage politique italien a été possible. La première clarification apportée par Giorgia Meloni à propos de son rapport avec le fascisme a été proposée dans une vidéo, en réponse aux critiques de la presse étrangère. Giorgia Meloni se présente : « Bonjour à tous, je suis Giorgia Meloni, j’ai 45 ans et je suis la présidente de Fratelli d’Italia, le parti politique des conservateurs italiens30. » La vidéo est tournée en trois langues : français, anglais et espagnol. En anglais, elle affirme que « la droite italienne a relégué le fascisme dans l’histoire depuis des décennies, condamnant sans ambiguïté la privation de démocratie et les infâmes lois antijuives ». Le sujet de cette prise de distance n’est pourtant pas Fratelli d’Italia ni Giorgia Meloni, mais plus généralement « la droite ». De plus, cette première clarification n’a jamais été proposée en italien. Pourquoi les clins d’œil au fascisme de Giorgia Meloni, tout comme le faisait Matteo Salvini auparavant, sont-ils acceptés ?
Le jugement public sur la compétence des leaders de droite (en %)
Source :
Ipsos Italie | Elezioni politiche 2022 – Report post voto (version française par la Fondation pour l’innovation politique)
Voir Francesco Filippi, Mussolini ha fatto anche cose buone. Le idiozie che continuano a circolare sul fascismo, Turin, Bollati Boringhieri, 2019.
Voir Federico Marconi, « Dopo Ostia, CasaPound vuole il Parlamento: “Ma niente blocco di destra, sono tutti morti” », espresso.repubbkica.it, 6 novembre 2017.
Voir Franco Giubilei, « Predappio cancella il museo sul fascismo: “Sarà un centro dedicato alla storia locale” », lastampa.it, 15 janvier 2020.
Voir Luca De Vito, « Saluto romano, perché è così difficile arrivare a una condanna: cosa dicono le sentenze e le leggi », milano.repubblica.it, 22 septembre 2022.
Voir Carlo Marini, « “Noi possiamo guardarti negli occhi”. Fratelli d’Italia rende omaggio ad Almirante », secoloditalia.it, 13 février 2018.
Le slogan est attribué à Giovanni Giuriati, secrétaire du Parti national fasciste.
Les chiffres de l’Istituto nazionale di statistica (Istat) indiquent qu’en 2018, 25,6% des Italiens n’avaient pas fréquenté une église depuis douze mois, contre 22,7% en 2016.
En Italie, il n’y a jamais eu de véritable prise de conscience formelle ni l’expression d’un refus collectif définitif du passé fasciste. Du point de vue juridique, la forme la plus importante d’exclusion est la loi Scelba, signée le 20 juin 1952. Elle sanctionne le délit d’organisation d’un nouveau parti fasciste, d’apologie et de manifestations fascistes, mais pas la propagande fasciste. En Italie, une forme de nostalgie du fascisme est aujourd’hui encore présente. Elle est documentée et mise en perspective par l’historien Francesco Filippi31. En 2017, le parti néofasciste CasaPound, dissous depuis, a obtenu de très bons résultats aux élections locales32. Des pèlerinages sont régulièrement organisés à l’occasion de l’anniversaire de la marche sur Rome, à Predappio, lieu de naissance du Duce, où il a été question d’installer un musée du fascisme33. Sur la base de cette attitude et d’une forme de banalisation des gestes ou des mots rappelant le fascisme34, Giorgia Meloni a décidé d’emprunter aux partis postfascistes MSI et Alleanza nazionale la flamme tricolore. Dans ses campagnes électorales, elle a déjà fait des clins d’œil aux affiches du MSI de Giorgio Almirante35 et, surtout, son slogan « Dieu, patrie, famille » est clairement une référence aux valeurs défendues officiellement par le régime fasciste36.
Un autre élément explicatif du succès de Giorgia Meloni est la sensibilité religieuse encore largement présente, et à plusieurs niveaux, dans la société italienne. Même si, depuis l’accord du 16 février 1984 entre l’Italie et le Saint-Siège, le catholicisme n’est plus la religion d’État et même si les données statistiques témoignent d’un recul de la pratique religieuse des Italiens37, tous les Italiens fréquentant l’école publique peuvent voir un crucifix en salle de classe et des cours de religion catholique sont assurés à tous les degrés scolaires et jusqu’au lycée. Dans ce contexte culturel, la défense de la famille naturelle et la volonté d’interdire aux femmes le recours à l’avortement ne sont pas souvent perçus comme une mise en cause des droits et des libertés de la personne. Au contraire, l’évocation du discours religieux autour de la protection de la famille et de la vie, des racines chrétiennes, la dénonciation de l’« islamisation de l’Europe » a conféré une forme d’acceptabilité et de « modération » au discours identitaire et autoritaire sur l’immigration que peut tenir Giorgia Meloni.
Enfin, le succès de Giorgia Meloni tient aux faiblesses de ses adversaires, de Matteo Salvini en particulier. Alors que celui-ci a changé d’avis presque chaque jour sur les décisions à prendre face à la pandémie ou se faisait prendre à partie, par exemple, par le maire d’une ville polonaise située à la frontière avec l’Ukraine pour ses positions prorusses, Meloni a continué à brandir fièrement le sceptre de la continuité. Elle n’a pas pris de position tranchée sur la question des vaccins pendant la pandémie de Covid-19, elle n’a pris part à aucune des coalitions gouvernementales comprenant des partis adversaires, comme la Lega a accepté de le faire depuis 2018, et elle a maintenu une position de soutien aux sanctions contre la Russie.
Les positions des partis de droite sur l’Union européenne, les États-Unis et la Russie
Les relations avec l’Union européenne : vers une normalisation
Probablement au moment où les priorités du PNRR seront moins pressantes et le climat social moins assombri et agité par l’augmentation des prix de consommation et des factures énergétiques.
Le politologue Giovanni Orsina définit la ligne politique de Meloni comme un « conservatisme national », une ligne proche du popolarismo. Le conservatisme de Giorgia Meloni partagerait avec ce courant les valeurs de Dieu et de la famille, mais pas celles de la patrie (voir Giovanni Orsina, « Giorgia e quel conservatorismo che fa presa sugli elettori disperati », lastampa.it, 8 septembre 2022).
Les trois partis de la coalition de droite ont toujours affiché des relations houleuses avec l’Union européenne. Si la figure de Mario Draghi a réussi à dompter les partis les plus nationalistes et populistes d’Italie pendant dix-sept mois, le temps d’un gouvernement d’union nationale, la réémergence de positions antieuropéennes chez la Lega ou Fratelli d’Italia n’est pas à exclure38. Au sein du Parlement européen les trois partis composant l’alliance de droite victorieuse sont membres de groupes différents : Forza Italia appartient au Parti populaire européen (PPE), la Lega est inscrite au groupe Identité et Démocratie et Fratelli d’Italia a rejoint le groupe des Conservateurs et Réformistes, dont elle est présidente. Par le passé, les discours populistes de ces deux dernières formations ont donné lieu à différentes déclinaisons du combat habituel contre la technocratie et les directives européennes. Les deux forces national-populistes et conservatrices39, Fratelli d’Italia et Lega, ont flirté avec l’idée de quitter l’Europe, au moins jusqu’à l’attribution des fonds de soutien destinés à faire face aux conséquences de la pandémie. Plus récemment, pendant la campagne électorale, la mise entre parenthèses de la rhétorique hostile à l’Europe leur a permis d’apparaître plus modérés et rassurants vis-à-vis des partenaires internationaux. Il est intéressant de connaître les idées et les décisions assumées par les partis de la coalition de droite avant la campagne électorale.
Giorgia Meloni, Io sono Giorgia. Le mie radici, le mie idéee, Milan, Rizzoli, 2021, p. 213.
« Creazione di hot-spot nei territori extra-europei, gestiti dall’Unione Europea, per valutare le richieste d’asilo » (Per l’Italia. Accordo quadro di programma per un Governo di centrodesta, 2022, p. 6).
Voir Fratelli d’Italia, Programma elezioni europee, 2019, p. 15.
« Noi difenderemo quei simboli, quelle chiese e difenderemo la nostra identità. Difenderemo Dio, la Patria e la famiglia, e fatevene una ragione. Ci batteremo contro l’islamizzazione dell’Europa, perché non abbiamo alcuna intenzione di diventare un continente musulmano » (discours de Giorgia Meloni piazza San Giovanni, à Rome, 19 octobre 2019).
Giorgia Meloni, op. cit., p. 41-42.
« Che cosa le piacerebbe importare dall’Ungheria? “La tassazione fissa al 15%, con esenzione totale per chi ha tre figli. Gli asili nido gratis, il 5% del Pil investito sulla famiglia, che è il vero modo con cui si risolve il problema demografico, i muri all’immigrazione clandestina, la difesa dell’identità cristiana e le super tasse a banche e speculatori, con i soldi reinvestiti in welfare” » (Giorgia Meloni, 1er mars 2018).
« Abbiamo iniziato un rapporto che continuerà quando saremo anche noi al governo. Vorrei che l’Italia collaborasse con i Paesi del gruppo di Visegrad – Ungheria, Polonia, Repubblica Ceka e Slovacchia –, che dal 1993 si adoperano per salvaguardare gli interessi nazionali dal pensiero unico e dall’omologazione che Bruxelles cerca di imporci » (ibid.).
Voir Vincenzo Sofo, intervention à la CPAC, vidéo (9’20”), 20 mai 2022.
« Un’Europa confederale, rispettosa della sussidiarietà e delle sovranità nazionali, che faccia meno cose ma le faccia meglio » (Giorgia Meloni, « L’Europa secondo Giorgia Meloni », ilfoglio.it, 13 avril 2022).
« L’Ue ha abbracciato l’agenda politica globalista, ultra-ambientalista e arcobaleno » (ibid.).
Voir Giuseppe Asta, « Tra Giorgia Meloni e Enrico Letta molte distanze ma il confronto è senza acuti », rainews.it, 12 septembre 2022.
Cette politique lui vaudra trois procès pour enlèvement de personnes dans les affaires liées au refus de laisser débarquer des navires humanitaires Open Arms, Gregoretti et Sea Watch.
Quelques semaines plus tard, il lance un appel d’offres pour les centres d’accueil, ce qui affaiblit en fait l’ensemble du système en allouant moins d’argent aux centres les plus répandus, les Centri di Accoglienza Straordinaria (CAS, « centres d’accueil d’urgence »). Le 6 août 2019 a été approuvé le décret de sécurité bis, modifiant les règles concernant le débarquement des migrants secourus en mer. L’article premier attribue de nouveaux pouvoirs au ministre de l’Intérieur, comme la possibilité d’interdire aux navires qui enfreignent les lois italiennes sur l’immigration l’accès aux eaux territoriales de la Péninsule. L’article 2 garantit au gouvernement la possibilité d’imposer des amendes énormes aux capitaines de navires qui ignorent l’interdiction d’entrée prévue à l’article premier. Le décret prévoit également de nouveaux fonds pour le rapatriement des migrants en situation irrégulière.
Expression souvent utilisée par Matteo Salvini en référence à des groupes d’intérêts politiques et économiques supposés très puissants.
Cité in Jean-Michel Gradt, « Nouvelle attaque en règle de Salvini contre Macron », lesechos.fr, 23 janvier 2019.
Voir Emanuele Bonini, « ‘Partito popolare europeo’ nel simbolo di Forza Italia per le elezioni di settembre », eunews.it, 9 août 2022.
Fratelli d’Italia
Les positions sur la défense des frontières, la protection de l’état de droit, l’euro, le plan de relance NextGenerationEU, le PNRR et l’immigration marquent une certaine distance avec le projet européen actuel. Concernant l’État de droit, Giorgia Meloni a affirmé à plusieurs reprises soutenir la Pologne et la Hongrie. En novembre 2020, Giorgia Meloni s’est opposée à l’accord du Parlement européen et du Conseil européen visant à conditionner le versement des fonds européens au respect de l’État de droit. Dans l’un de ses livres, elle déclare que l’idée d’État de droit est utilisée par l’Union européenne comme « une barre de fer avec laquelle on frappe la tête des Polonais et des Hongrois40 ».
Sur le plan de l’immigration, Meloni défend une politique de défense des frontières motivée par des raisons économiques et identitaires et par ce qu’elle qualifie d’invasion. Selon elle, la mesure du blocus naval serait le « seul moyen d’arrêter l’immigration illégale » : les ports d’un État seraient bloqués par les forces armées d’un ou de plusieurs autres États. Elle a cependant changé d’avis sur la nature de ce blocus, et dans le programme de gouvernement de la coalition de droite le blocus naval est décrit comme la « création de hotspots dans les territoires non européens, gérés par l’Union européenne, pour évaluer les demandes d’asile41 ». Pour Giorgia Meloni, l’immigration représente aussi le danger de l’islamisation et constitue une attaque contre les valeurs traditionnelles chrétiennes de l’Europe42. « Nous défendrons ces symboles, ces églises et nous défendrons notre identité. Nous défendrons Dieu, la patrie et la famille, faites-vous une raison. Nous nous battrons contre l’islamisation de l’Europe, parce que nous n’avons aucune intention de devenir un continent musulman », affirme-t-elle à Rome en 201943. La perte des valeurs et de l’identité des nations serait favorisée par « l’Union européenne actuelle, une entité indéfinie, gérée par d’obscurs bureaucrates ne tenant aucun compte des identités nationales44 ».
Du point de vue de ses alliances internationales, comme déjà évoqué, l’axe de Meloni penche clairement à l’Est. Elle a affiché à plusieurs reprises son amitié avec la très autoritaire Hongrie d’Orbán, et le parti polonais Droit et Justice (PiS) appartient au même groupe européen que Fratelli d’Italia. Son admiration pour Orbán est ancienne. Quelques jours avant les élections législatives de 2018, elle s’était rendue à Budapest pour rencontrer le président hongrois. Dans un entretien donné en marge de cette rencontre, elle avait décrit une sorte de programme de gouvernement directement inspiré par le modèle hongrois : « [De la Hongrie, je voudrais importer] la flat tax à 15% avec une exonération totale pour ceux qui ont trois enfants, des crèches gratuites, 5% du PIB investis dans la famille, qui est le véritable nœud avec lequel on peut résoudre le problème démographique, des murs contre l’immigration illégale, la défense de l’identité chrétienne et des super taxes sur les banques et les spéculateurs, l’argent étant réinvesti dans le bien-être de la population45. » Elle déclare que Fratelli d’Italia a « entamé une relation [avec Orbán] qui se poursuivra lorsque nous serons également au gouvernement. Je voudrais que l’Italie coopère avec les pays du groupe de Visegrád – Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie – qui, depuis 1993, s’emploient à préserver les intérêts nationaux de la pensée unique et de l’homologation que Bruxelles tente de nous imposer46 ». Par ailleurs, les 19 et 20 mai 2022, la Conservative Political Action Conference (CPAC), rencontre annuelle à laquelle participent les militants conservateurs d’Amérique du Nord et du reste du monde, s’est tenue pour la première fois en Europe, à Budapest. Vincenzo Sofo, eurodéputé de Fratelli d’Italia, autrefois leader des jeunes de La Destra-Fiamma Tricolore de Francesco Storace, et mari de Marion Maréchal, était l’un des invités italiens47.
Quelle Europe défend donc Giorgia Meloni ? Dans un article paru en avril 2022, elle soutient une certaine idée du souverainisme nationaliste, soulignant l’importance de la défense de « l’Europe des valeurs » classiques et chrétiennes respectant les « identités nationales ». Elle affirme vouloir « une Europe confédérale, respectant la subsidiarité et les souverainetés nationales, faisant moins de choses mais les faisant mieux48 » et elle critique l’Union européenne pour avoir « adopté le programme politique mondialiste, ultra-environnemental et arc-en-ciel49 ». Elle s’oppose aux « contraintes de plus en plus strictes » du « Green Deal » qui affecterait négativement la capacité de production des entreprises du secteur agroalimentaire. Plus récemment, lors de l’un de ses derniers meetings de campagne et lors d’un entretien avec le directeur du Corriere della Sera, elle assure qu’il faut changer l’Europe, en donnant moins de pouvoir à l’« axe franco-allemand50 ».
La Lega
Il n’est pas simple d’évaluer la signification des discours sur l’Europe quand ils sont politiques. Dans le cadre de la liberté d’opinion et du pluralisme des idées qu’implique la démocratie libérale, l’hostilité à l’euro et à l’Europe est évidemment recevable. L’opposition à l’Union européenne et à l’euro ne saurait suffire pour caractériser un projet extrémiste et autoritaire. Certains partis populistes bataillent contre l’euro et même contre l’Europe mais modèrent soudainement leurs propos à l’entrée d’une campagne électorale et plus nettement encore lorsqu’il leur semble possible d’accéder au pouvoir. Ainsi, d’un côté, en 2013, au moment de sa nomination en tant que secrétaire de la Lega Nord, Matteo Salvini prend un virage important qui annonce la ligne à venir du parti : il scelle une alliance avec les partis anti-euro, et se rapproche à cette occasion de Marine Le Pen. Au congrès du Front national, à Lyon, en 2014, il arbore un tee-shirt « Basta €uro ». À cette même occasion, il évoque la proximité entre son parti et celui de son alliée française : tous les deux sont contre « le super-État européen, la pensée unique et le vol de notre souveraineté ». Il souligne leur volonté de sortir de la monnaie unique, leur foi en la famille traditionnelle comme valeur fondamentale. Puis il désigne leurs ennemis communs : l’Union européenne, l’« immigration sauvage » et la « bien-pensance » de la gauche. Il porte cette ligne politique commune avec le Front national à Strasbourg : dans une intervention en 2015 au Parlement européen, vêtu du même tee-shirt « Basta €uro », il déclare que l’Union européenne prépare « un futur de guerre et de chômage » pour 500 millions de citoyens. Pour les élections générales de 2018, après une campagne anti-migrants, la Lega compose un gouvernement en coalition avec le M5S et, dans la même période, désigne deux universitaires anti-euro, Alberto Bagnai et Claudio Borghi, élus respectivement sénateur et député ainsi que présidents des commissions parlementaires Finances au Sénat et Budget à la Chambre (jusqu’en juillet 2020), dans l’intention de préparer un plan de sortie de la monnaie unique de l’Italie. Mais cette opération ne s’est jamais réalisée.
Si les promesses de révolte à l’égard du projet européen n’aboutissent pas, en revanche des décisions durcissant les règles organisant l’immigration sont adoptées par Matteo Salvini, vice-président du Conseil, pendant les quatorze mois de gouvernement allié avec le M5S. En tant que ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini applique la politique des « ports fermés51 » et fait passer le décret de sécurité, en vigueur depuis le 5 octobre 2018, qui concerne principalement le système d’accueil italien. La principale mesure de ce décret est la suppression du permis de séjour pour raisons humanitaires, forme de protection d’une durée de deux ans, remplacé par d’autres permis plus spécifiques et pratiquement impossibles à obtenir52. Jusqu’au mois d’août 2019, Matteo Salvini mène une campagne électorale permanente basée sur des attaques contre l’Europe, les arrivées de migrants et les « puissances de ce monde » (ceux qu’il appelle les poteri forti, les « puissances fortes »53). Il a multiplié également les attaques ad hominem contre la France et le président Emmanuel Macron, déclarant ainsi, en janvier 2019 : « En France, ils ont un très mauvais gouvernement et un très mauvais président de la République. Macron parle d’accueil mais refoule les migrants à la frontière. […] Macron ne sera peut-être plus notre interlocuteur (à l’avenir). J’espère que les Français pourront bientôt faire d’autres choix54. »
Pendant la durée du gouvernement de Mario Draghi, alors que l’Union européenne se voit confrontée à la nécessité de renforcer sa politique étrangère et de redoubler d’efforts en vue de la création d’une défense commune européenne, Matteo Salvini se tourne vers l’Est. À partir de 2020, le leader de la Lega mène des discussions avec le premier ministre hongrois Viktor Orbán et le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki pour la formation d’un nouveau groupe des droites souverainistes au Parlement européen. Son alignement sur la Hongrie d’Orbán, affiché depuis 2019, est devenu encore plus explicite en 2021 : dans le cadre du recours de la Commission européenne à la Cour de justice de l’Union européenne contre la loi hongroise condamnant la « propagande » LGBT, Salvini se range du côté d’Orbán. Au Parlement européen, de nombreux votes de la Lega témoignent du soutien au premier ministre hongrois. Le 15 septembre 2022, la Lega et Fratelli d’Italia ont voté contre le rapport du Parlement européen dans lequel la Hongrie est décrite comme une « menace systémique » pour les valeurs fondatrices de l’Union européenne et une « autocratie électorale ».
Forza Italia
Forza Italia, le parti fondé par Silvio Berlusconi en 1994, a mené la coalition de droite jusqu’en 2018, au moment où Salvini a gagné les élections. Ce parti est historiquement atlantiste, proeuropéen, conservateur et libéral. Depuis trente ans, Berlusconi est l’un des maîtres de la vie politique italienne et, à 85 ans, il vient à nouveau d’être élu sénateur. Forza Italia est considéré par l’Union européenne comme le gardien de la continuité du programme de gouvernement de Mario Draghi. Pendant la campagne électorale, le parti se pose en garant du respect des pactes internationaux. Au Parlement européen, son appartenance au PPE vise à affirmer son ancrage dans la tradition chrétienne-démocrate, libérale, proeuropéenne et atlantiste. L’introduction du symbole du PPE dans celui du parti vise à contrebalancer l’attitude extrémiste de ses deux alliés de droite55. Antonio Tajani, ancien président du Parlement européen, vice-président et coordinateur unique de Forza Italia, a maintes fois souligné que le PNRR ne sera pas modifié et que son parti assurera la continuité avec le processus de réformes lancé par Mario Draghi.
Les évolutions possibles des relations avec l’Union européenne
Voir European Commission, « Italy’s recovery and resilience plan », 2021.
Cité in Amy Kazmin, « What an Italy led by the far-right might mean for Europe », ft.com, 22 septembre 2022.
Après une crise sans précédent due à la pandémie, l’Union européenne a mis en place un plan de relance pour accompagner la reprise italienne. Le plan comprend 132 investissements et 58 réformes, soutenus par 68,9 milliards d’euros de subventions et 122,6 milliards d’euros de prêts56. L’ampleur des aides allouées à l’Italie est inédite : « L’Italie ne pourrait pas supporter le prix de la discontinuité », souligne Stefano Stefanini, ancien ambassadeur de l’Italie à l’OTAN57. En effet, la crise du gaz qui affecte actuellement l’Europe, la récession à venir, le risque d’une aggravation du conflit en Ukraine ne devraient pas permettre à la nouvelle coalition au pouvoir de modifier radicalement les accords pris avec l’Union européenne dans le court terme. Giorgia Meloni a déjà garanti qu’elle renégocierait les conditions du PNRR et, qu’une fois les élections gagnées, pour l’Europe « les plaisanteries » allaient « prendre fin ». Mais il est possible que ses premières décisions politiques soient dictées par davantage de prudence.
Avec la victoire des Démocrates de Suède, le nouveau pouvoir de Giorgia Meloni pourra sans doute renforcer l’alliance des souverainistes et des nationalistes européens. Pourtant, il est difficile de comprendre quels intérêts ces partis foncièrement nationalistes pourraient avoir en commun, sinon celui de la gestion de l’immigration. Un possible virage de la part de la droite italienne vers le projet politique et social d’Orbán et de Morawiecki, notamment concernant la défense de la famille chrétienne, la stigmatisation des personnes LGBT et des mesures défavorisant l’avortement, n’est pas à exclure. De plus, il faudra surveiller le discours à propos des sanctions contre la Russie de la part de Giorgia Meloni. Si l’opinion publique devait manifester son mécontentement à la suite de l’augmentation du coût de l’énergie, des prix des produits alimentaires et des licenciements à venir, comment la coalition de droite réagirait-elle ?
Quelles relations avec la Russie ? Et avec les États-Unis ?
Intervention de Matteo Salvini, XVe congrès du Front national, vidéo (10’26”), youtube.com, 29 novembre 2014.
Voir discours de Matteo Salvini « Putin il miglior uomo di governo al mondo », vidéo (56”), youtube.com, 13 juillet 2019, et « Salvini: “Staremmo meglio se avessimo un Putin in Italia. Fake news? Follia del Pd” », rainews.it, 28 novembre 2017.
Voir « La politica estera della Lega per Salvini Premier: conferenza stampa di Matteo Salvini e Giancarlo Giorgetti », conférence de presse, vidéo (1h38), radioradicale.it, 13 février 2020.
Le site Facebook de l’association Lombardie-Russie n’est plus accessible. Il est toujours possible de retrouver les références au manifeste sur des sites annonçant la création de l’entreprise en 2014 et des entretiens du président Savoini (voir lindipendenzanuova et ilgiornale).
« A oggi chi è stato sanzionato sta guadagnando, mentre chi ha messo le sanzioni è in ginocchio. Evidentemente qualcuno in Europa sta sbagliando i conti: ripensare la strategia è fondamentale per salvare posti di lavoro e imprese in Italia » (Matteo Salvini, twitter.com, 3 septembre 2022).
Citée in Matteo Pucciarelli et Tommaso Ciriaco, « Meloni condanna l’annessione di Putin: “Il suo imperialismo è una minaccia”. I timori della leader per gas e recessione », repubblica.it, 30 septembre 2022.
Ibid.
Voir Lyuba Lulko, « Italy’s new Prime Minister Meloni chooses road to chaos », english.pravda.ru, 17 août 2022.
Voir « Urso a Washington, ‘per Usa Meloni è pienamente affidabile’ », ansa.it, 14 septembre 2022.
Voir Adolfo Urso, twitter.com, 12 septembre 2022.
L’International Republican Institute (IRI), le plus important groupe de réflexion du monde républicain, a été fondé en 1983 avec le soutien de l’ancien président américain Ronald Reagan.
Citée in Cesare Zapperi, « Giorgia Meloni sull’Ucraina: “Giusto mandare le armi. Attacchi a Salvini stucchevoli” », corriere.it, 10 mars 2022.
Per l’Italia…, op. cit., p. 10.
Cité in Alan Friedman, « Berlusconi-Putin: storia segreta di una relazione (speciale) », corriere.it, 3 octobre 2015.
Ibid.
Voir « Russia fuori del G8, Berlusconi: “Un errore” », vidéo, repubblica.it, 26 mars 2014.
Voir « Berlusconi da Vespa: “Putin voleva sostituire il governo Zelensky con persone perbene” », vidéo, rainews.it, 23 septembre 2022.
Fratelli d’Italia
À la différence des ambiguïtés de la Lega et de Forza Italia, la politique étrangère de Giorgia Meloni est très claire. Dès le début du conflit, elle a affirmé son soutien à l’Ukraine et appuyé les décisions de l’OTAN et de l’Union européenne, plaidant, d’un côté, pour l’envoi d’armes en Ukraine et, de l’autre, pour le maintien des sanctions contre la Russie. Récemment, elle s’est déclarée officiellement et clairement hostile à Vladimir Poutine, qualifiant d’« illégaux » ses référendums d’annexion . Elle affirme à ce propos : « La déclaration d’annexion à la Fédération de Russie après la farce du référendum organisé sous une occupation militaire brutale n’a aucune valeur juridique ou politique. […] Poutine démontre une fois de plus sa vision néo-impérialiste de style soviétique qui menace la sécurité de tout le continent européen63. » Elle souligne également « la nécessaire cohésion et unité des démocraties occidentales64 ». Pravda.ru, journal en ligne contrôlé par des oligarques pro-Poutine et fondé en 1999 après la scission d’une partie de la rédaction du quotidien Pravda, toujours organe du Parti communiste de la Fédération de Russie, s’est exprimé contre la victoire de Giorgia Meloni, qui aurait répudié « son euroscepticisme historique » et épousé la croisade atlantiste contre la Russie. D’après ce journal elle « conduira l’Italie dans une crise encore plus profonde que la crise actuelle65 ».
En revanche, Giorgia Meloni s’affiche très proche de l’Amérique de Trump. En 2018, Fratelli d’Italia a invité à sa réunion annuelle l’ancien conseiller de Trump, Steve Bannon, accueilli comme une star à Atreju par les « patriotes » du parti. Giorgia Meloni a reçu des éloges importants de la part du célèbre communicant et après cette rencontre elle n’a cessé de tisser des liens aux États-Unis. Au mois de février 2020, elle a participé à la 68e édition du National Prayer Breakfast, un rendez-vous annuel auquel Donald Trump était présent comme chaque année. Puis elle s’est rendue à Washington DC s’exprimer pour la seconde année consécutive à la CPAC, une fois encore en présence de Donald Trump.
Plus récemment, au mois de septembre, Adolfo Urso, président du Comitato parlamentare per la sicurezza della Repubblica (Copasir) et sénateur de Fratelli d’Italia, s’est rendu à Washington66 pour montrer aux membres du Congrès et aux analystes le programme du parti en politique étrangère, défense, sécurité ainsi que sur les sujets de coopération67. Giorgia Meloni a aussi conclu un accord avec l’International Republican Institute (IRI)68 pour organiser une grande conférence sur l’Afghanistan à Rome. Elle est également membre de l’Aspen Institute et a participé à la CPAC de cette année. Elle a déclaré que l’Italie et les États-Unis ont des « racines communes69 » et s’est exprimée dans de grands journaux américains pour défendre ses positions.
La Lega
En Europe, la Lega a été le parti le plus actif dans la contestation des sanctions économiques contre le régime de Moscou depuis l’annexion de la Crimée. Depuis 2014, Matteo Salvini affiche officiellement sa proximité avec Poutine. Les relations conflictuelles avec l’Europe et ses institutions se développent avec, en toile de fond, un lien privilégié avec la Russie. En 2014, lors du congrès du Front national à Lyon, Salvini affirmait : « Les choix ignobles des gouvernements occidentaux nous consternent. Il suffit de penser à la Russie et à la politique insensée menée par les décideurs européens qui ne sert certainement pas les intérêts de nos concitoyens58. » Il estimait que les mesures prises à son encontre à la suite de l’invasion de la Crimée, où il se rendra d’ailleurs lui-même en 2016, pénalisaient les entrepreneurs occidentaux. En 2017, le leader de la Lega affirmait avoir signé un accord programmatique entre son parti et Russie unie, le parti de Poutine. Il déclare à ce propos : « Poutine est l’un des meilleurs chefs d’État au monde avec Trump. Si on avait Poutine en Italie, nous irions mieux, et je dis cela car j’en suis convaincu59. » Lors d’une conférence de presse tenue à Rome en 2020, il définit Poutine comme « un homme d’État estimé et respecté » et affirme que la Lega au pouvoir travaillera à « améliorer les relations économiques, culturelles, gastronomiques, diplomatiques, géopolitiques et stratégiques » avec la Russie60.
Salvini a toujours nié avoir reçu des financements du Kremlin, mais des investigations journalistiques ont abouti à l’ouverture d’une enquête pour corruption internationale. L’hebdomadaire L’Espresso et le site américain Buzzfeed ont révélé les détails d’une rencontre, en octobre 2018, à l’hôtel Métropole de Moscou, entre trois Italiens, dont Gianluca Savoini, ami et collaborateur de Matteo Salvini, et trois Russes, pour évoquer le financement de la Lega par la Russie via un montage financier à travers la compagnie pétrolière italienne ENI. Gianluca Savoini, ancien porte-parole de Salvini, était le président de l’association culturelle Lombardie-Russie qui se disait « non partisane mais avec des idées très précises qui correspondent pleinement à la vision du monde énoncée par le président de la Fédération de Russie lors de la réunion de Valdaï 2013 et qui peuvent être résumées en trois mots : identité, souveraineté, tradition61 ». Savoini a été présent de manière récurrente lors de rencontres avec des représentants institutionnels russes.
La participation de Salvini à la coalition gouvernementale guidée par Mario Draghi l’a obligé, d’une certaine manière, à se ranger derrière le consensus en faveur d’une aide logistique à l’Ukraine : le contraire aurait entraîné la sortie de son parti de la coalition. Salvini ne pouvait se le permettre car son aura et son influence avaient été écornées durant la pandémie. Il avait donc besoin de visibilité. Mais ses changements de position et ses ambiguïtés à l’égard de la Russie l’ont affaibli. Depuis l’invasion de l’Ukraine, il se livre à un numéro d’équilibriste, montrant son empathie avec le peuple ukrainien mais se gardant de rendre nommément Poutine responsable de la situation. Pendant plusieurs mois, il s’est contenté de qualifier le conflit de « tragédie », sorte d’événement tombé du ciel.
Pendant la campagne électorale, il a pris ses distances avec Giorgia Meloni, affirmant que les sanctions contre la Russie ne fonctionnaient pas : « Jusqu’à présent, ceux qui ont été sanctionnés gagnent, tandis que ceux qui ont appliqué les sanctions sont à genoux. Il est clair que quelqu’un en Europe fait un mauvais calcul : il est essentiel de repenser la stratégie pour sauver les emplois et les entreprises en Italie », a-t-il par exemple déclaré récemment sur Twitter62.
Forza Italia
Forza Italia se considère comme fidèle à l’Alliance atlantique, confirmant son soutien à l’OTAN, souhaitant, entre autres, ajuster les investissements italiens dans la défense et renforcer encore les relations avec les États-Unis70. Pourtant les relations entre Vladimir Poutine et Silvio Berlusconi ont toujours été plutôt ambiguës. Leur amitié a commencé au début des années 2000, lorsque Berlusconi a joué le rôle de médiateur entre Poutine et George W. Bush. Vladimir Poutine a déclaré que la création du Conseil à Pratica di Mare, en mai 2002, était « une étape positive dans l’établissement de relations de partenariat entre la Russie et l’OTAN71 ». Les deux leaders sont très proches et ont passé plusieurs fois leurs vacances ensemble, en Russie et en Italie. Berlusconi a rendu visite à Poutine en Crimée en 2015, après l’annexion de la péninsule ukrainienne par Moscou. À la même époque, l’ancien président du Conseil italien affirmait : « Certains voudraient séparer la Russie de l’Europe et l’Ukraine de la Russie72. » Le leader de Forza Italia a toujours soutenu Poutine à propos de la Crimée et de l’Ukraine. Il a fortement critiqué les sanctions européennes contre la Russie, expliquant, sur la question de l’Ukraine, être « en désaccord avec la politique de l’Union européenne et des États-Unis, et avec le comportement de l’OTAN. Les habitants de la Crimée parlent russe et ils ont voté par référendum en faveur d’une réunification avec la Mère Russie. Les sanctions internationales décidées contre des citoyens russes considérés comme proches de Poutine sont absurdes. L’expulsion de la Russie du G8 était une erreur73 ». Plus récemment, à l’occasion de sa présence dans un talk-show télévisé très populaire, il a réaffirmé son soutien à Poutine : selon le Cavaliere, « il ne voulait que remplacer le président ukrainien Volodymyr Zelensky par un gouvernement composé de personnes respectables », mais a rencontré une « résistance inattendue » sur le terrain74.
PER L’ITALIA – SYNTHÈSE DU PROGRAMME UNITAIRE DU CENTRE DROIT ITALIENRespect des alliances, adhésion à l’Alliance atlantique et soutien au projet européen
Réformes institutionnelles et du système judiciaire
Réformes fiscales
Soutien à la famille et à la natalité
Sécurité et lutte contre l’immigration illégale
Santé
Défense du travail, de l’entreprise et de l’économie
Retraites
Les politiques énergétiques
L’environnement
* Actuellement, l’élection présidentielle en Italie consiste en une élection au suffrage indirect, par une assemblée composée des membres de la Chambre des députés, du Sénat de la République, et des délégués des Régions. |
FRATELLI D’ITALIA – SYNTHÈSE DU PROGRAMMESoutien à la famille et à la natalité (point 1, p. 5)
Utilisation des ressources du Next Generation EU et des fonds européens (point 2, p. 6)
Politiques fiscales et pouvoir d’achat (point 3, p. 8)
Soutien au système entrepreneurial (point 4, p. 9)
Soutien à l’embauche (point 6, p. 12)
L’État-providence (points 9 et 10, p. 17 et 18)
Santé (point 11, p. 19)
Droits et libertés individuels (point 12, p. 21)
Agroalimentaire (point 15, p. 24)
Environnement (point 16, p. 25)
Énergie (point 17, p. 26)
Sécurité et lutte contre l’immigration illégale (point 21, p. 31)
Justice (point 22, p. 33)
Présidentialisme et réformes institutionnelles (point 24, p. 35)
Alliances internationales et Union européenne (point 25, p. 37)
*** Comme le nutriscore, introduit par le gouvernement français. |
Dans un contexte économique difficile, que propose la nouvelle coalition ?
Une situation économique contrastée, des difficultés historiques
Ex-gouverneur de la Banque d’Italie et président de la République italienne entre 1999 et 2006.
Voir Ipsos, « Millenials e Generazione Z: il rapporto tra i giovani e la politica in Italia », ipsos.com, 22 juin 2022.
« Le taux de chômage à 7,0 % dans la zone euro », Euroindicateurs, no 16/2022, 1er février 2022, p. 5.
Voir ISTAT, Individus pauvres – région de résidence.
Les élections se sont déroulées sur fond de forte inflation (8,9%), d’annonce d’une récession imminente et d’une crise énergétique, précipitée par le discours qu’à tenu Vladimir Poutine le 30 septembre à Moscou et à la suite duquel Gazprom, principale société de gaz russe, a commencé à suspendre les livraisons de gaz à la compagnie d’énergie italienne ENI. Le contexte géopolitique actuel n’explique cependant pas à lui seul les difficultés économiques de l’Italie. La tendance à la baisse de la croissance du PIB présente des racines structurelles anciennes et relève de multiples facteurs. La Commission européenne signale notamment le recul des investissements de production depuis 1990, ainsi que la raréfaction de la main-d’œuvre, associée au vieillissement de la population, et le faible taux d’investissement du secteur public comme des entreprises. Le pays a également appliqué à partir de 1992 des mesures fiscales très restrictives afin de pouvoir réduire la dette publique. Entre 1992 et 2000, on a assisté à une augmentation du taux de chômage, accompagnée d’une réduction des salaires.
Au début des années 2000, avec l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMS), l’élargissement de la concurrence a affaibli l’économie du pays. La structure de production est devenue de plus en plus fragile : lorsque la crise économique a éclaté en 2008, l’Italie se caractérisait par la petite taille de ses entreprises, une forte dépendance au crédit bancaire et une spécialisation dans les secteurs du tourisme, de l’agroalimentaire et des produits de luxe. Le mandat de Carlo Azeglio Ciampi75, en 1993, a inauguré une nouvelle tradition, à savoir la nomination de différents gouvernements techniques ou institutionnels suscités par le président de la République. Ce choix politique a été fait à la suite de crises de gouvernementales, afin de mener des réformes politiques et économiques jugées nécessaires et difficiles. L’économiste Mario Monti, président du Conseil entre 2011 et 2013, a fait approuver différentes réformes pour la requalification de la dépense publique, la réduction de la dette publique et la diminution du financement public des partis politiques. En 2015, après trois ans de récession, l’Italie a connu une croissance du PIB de 0,8%. Pourtant, cette tendance positive ne s’est pas stabilisée. Depuis au moins 2008, le pays est affecté par une crise du marché du travail et une faible croissance, qui ont particulièrement affecté les plus jeunes76. D’après les données Eurostat, en décembre 2021, 26,8% des moins de 25 ans étaient au chômage en Italie, contre 6,1% en Allemagne et une moyenne de 14,9% dans l’Union européenne77. Un échec politique que l’on peut notamment attribuer à un manque d’investissements dans l’éducation, la recherche, l’innovation et la culture.
Cependant, malgré ces vents contraires, l’économie italienne a clôturé l’année 2021 sur des bases solides. En 2021, le PIB réel a augmenté de 6,6% retrouvant presque les niveaux antérieurs à la pandémie. Le marché de l’emploi s’est amélioré parallèlement au rebond économique et le taux de chômage est passé de 9,9% en 2019 à 9,5% en 2021. Mais les nouveaux emplois créés ont en grande partie pris la forme de contrats temporaires et la productivité du travail est restée relativement faible.
Dans ce contexte, le pays doit faire face à deux de ses problèmes structurels, à savoir la question du Mezzogiorno et l’évasion fiscale. La question du Mezzogiorno renvoie à l’écart important qui sépare le nord et le sud du pays sur le plan économique. Les résultats du vote ont confirmé l’existence de cette ligne de fracture : le fait que l’on constate, au sud, le succès du M5S, dont le programme comprend de nombreuses mesures sociales, tandis qu’au nord on enregistre la victoire des partis de la coalition de centre droit, adeptes d’une ligne plutôt libérale, illustre ce clivage socio-économique autant que politique. Cette fracture a des origines anciennes. Le boom économique des années 1960 n’a pas profité à toute la Péninsule : si le nord est très industrialisé et développé, le sud continue à reposer sur une économie essentiellement agricole. Aujourd’hui, la fracture entre le nord et le sud est confirmée par les indicateurs de pauvreté et le taux de chômage. Selon les données de l’Istat, en 2021 l’incidence de la pauvreté relative s’élevait à 25,3% dans le sud de l’Italie, soit plus du double des 9% du nord et des 10% du centre78. Le taux de chômage de la tranche d’âge 15-74 ans est passé, la même année, à 19,3% en Campanie et 18% en Calabre, contre 5,3% en Vénétie et 5,9% en Lombardie79.
L’évasion fiscale est un autre problème historique de l’économique italienne. Elle représente une perte importante pour l’État. Pour en saisir le poids, il faut s’appuyer sur des estimations. La fraude fiscale et la fraude aux cotisations représenteraient environ 100 milliards d’euros par an. Du point de vue de la valeur pure, l’impôt le plus éludé est la TVA, entraînant un manque à gagner annuel moyen de 35,6 milliards sur la période 2011-2016. Selon le PNRR, l’Italie doit, d’ici à 2024, réduire l’écart fiscal à 15,8%, contre 18,5% en 2019, ce qui signifierait 12 milliards d’évasion fiscale en moins.
Les approvisionnements énergétiques : de la Russie à l’Algérie
Voir « Du gaz russe coule de nouveau vers l’Europe », letelegramme.fr, 21 juillet 2022.
Le gazoduc transadriatique (Trans Adriatic Pipeline) est un gazoduc qui part de la frontière gréco-turque, traverse la Grèce et l’Albanie, et débouche en Italie, sur la côte Adriatique, dans la province de Lecce.
Voir Istituti per gli Studi di Politica Internazionale (ISPI), « Russia e Ue alla guerra del gas », ispionline.it, 9 septembre 2022.
Depuis le début de l’année, l’Algérie a fourni à l’Italie 13,9 milliards de mètres cubes de gaz, dépassant de 113% les volumes prévus initialement. Selon l’agence officielle algérienne APS, elle prévoit de lui livrer au total 6 milliards de mètres cubes supplémentaires d’ici à la fin 2022.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis en péril l’approvisionnement en gaz naturel de l’Europe, utilisé comme arme pour la punir de son soutien à l’Ukraine en lui infligeant un traumatisme socio-économique. De la réduction des flux via Nord Stream à l’assèchement de la route ukrainienne, le manque à gagner est désormais considérable.
Pour l’Italie et les autres membres de l’Union européenne, la Russie est le principal fournisseur de gaz (45% des importations de l’Union européenne), de charbon (45%) et de pétrole (25%). Parmi les pays européens, l’Allemagne, la France et l’Italie sont les seuls dont la consommation a été supérieure à 100 mégatonnes équivalent pétrole (Mtep) en 2020, représentant 48% de la consommation d’énergie de l’ensemble de l’Union européenne.
L’Italie est le deuxième pays de l’Union européenne pour les importations de gaz naturel, dont elle dépend à 95% : environ 40% proviennent de la Russie80 et 23% de l’Algérie. La part du gaz dans le mix énergétique (42%) est nettement supérieure à la moyenne de l’Union européenne (24,4%). En 2020, l’Italie a importé 66 milliards de mètres cubes de gaz, précédée seulement par l’Allemagne, qui enregistre environ 80,4 milliards de mètres cubes importés la même année.
Comme l’Europe, l’Italie a connu une diminution notable des importations de gaz russe : moins 46% depuis le début de l’invasion, et moins 66% au cours du mois d’août 2022. Trois facteurs ont permis cette réduction : l’ouverture du Trans Adriatic Pipeline (TAP) en 202181, l’augmentation des importations de GNL (gaz naturel liquéfié) et l’augmentation des approvisionnements algériens. Cette dernière manœuvre a été possible car l’Espagne a réduit ses approvisionnements en gaz algérien de plus d’un tiers à la suite d’un différend sur la question du Sahara occidental82. Au mois de juin 2022, le gouvernement Draghi a annoncé avoir réussi à réduire sa dépendance au gaz importé de Russie à 25%, contre 40% en 2021. Ce résultat a été obtenu grâce aux efforts de diversification des fournisseurs engagés à la suite de l’invasion de l’Ukraine. L’Algérie est devenue un partenaire privilégié. Elle a joué un rôle fondamental comme exportateur alternatif : depuis le printemps 2022, à la suite de l’accord de coopération énergétique signé entre le président du Conseil Mario Draghi et le président algérien Abdelmadjid Tebboune, l’Algérie est devenue le premier fournisseur de gaz italien83.
Le prix journalier de l’électricité en Italie au cours de ces sept premiers mois de 2022 a été en moyenne 426% plus élevé que pendant la même période lors des neuf années précédentes. Il convient de faire la distinction avec les pays européens, car l’Italie souffre d’un certain nombre de dysfonctionnements qui restent à résoudre : la configuration du réseau électrique national, la répartition déséquilibrée de la capacité en renouvelable et les besoins d’importation en provenance de la France et de la Suisse.
Le programme économique de la coalition de droite
Voir Pierre de Gasquet, « Giorgia Meloni ou l’art d’amadouer le patronat italien », lesechos.fr, 21 septembre 2022.
Voir Amy Kazmin and Giuliana Ricozzi, « Hard-right Giorgia Meloni’s rise from rough streets to cusp of power in Italy », ft.com, 6 septembre 2022.
Per l’Italia…, op. cit.
Voir Serenella Mattera, « Più energia e transizione lenta, FdI riscrive il Pnrr di Draghi », repubblica.it, 14 août 2022.
Giorgia Meloni s’est tenue loin des promesses impossibles telles que l’augmentation des pensions minimales, annoncée par Silvio Berlusconi, ou la flat tax à 15%, mesure phare de Matteo Salvini difficilement réalisable compte tenu des contraintes budgétaires. Une partie du monde des affaires italien nourrit un certain optimisme à l’égard de Giorgia Meloni84 : lors du dernier Forum Ambrosetti, certains entrepreneurs ont semblé faire le pari qu’elle voudra prouver être capable de tenir ses promesses sur le plan économique85.
Dans l’accord-cadre de programme pour un gouvernement de centre droit, présenté par Georgia Meloni, Matteo Salvini et Silvio Berlusconi lors des élections générales, se trouvent de nombreux points portant sur la politique étrangère, l’économie et la culture86 :
- Politique étrangère. C’est le premier sujet abordé. Y sont évoqués la protection de l’intérêt national et de la patrie, le respect des alliances internationales et des engagements de l’OTAN, y compris le soutien à l’Ukraine, et la perspective d’une Union européenne plus politique et moins bureaucratique. Il est fait mention de la « sauvegarde des intérêts nationaux dans la discussion des dossiers législatifs européens ».
- Réformes. Parmi les réformes les plus discutées présentées par la coalition de centre droit figure l’élection directe du président de la République, mais aussi le renforcement des collectivités locales et la mise en œuvre complète de la loi sur le fédéralisme fiscal.
- Immigration. L’immigration est abordée dans le chapitre sur la sécurité. Le programme commun propose le rétablissement des décrets sécuritaires votés par Matteo Salvini, la « défense des frontières nationales et européennes, comme demandé par l’Union européenne dans le nouveau pacte pour l’immigration et l’asile, avec le contrôle des frontières et le blocage des débarquements pour faire cesser le trafic d’êtres humains, en accord avec les autorités nord-africaines ; la création de hotspots dans les territoires non européens, gérés par l’Union européenne, afin d’évaluer les demandes d’asile ».
- Jeunes. Sur la question des politiques de la jeunesse, il est question de la promotion du sport comme outil d’intégration sociale, de croissance économique et de promotion de modes de vie sains. À cela s’ajoutent la réintroduction du prêt d’honneur pour les étudiants universitaires et l’introduction de bourses universitaires pour le mérite sportif.
- Plan national de relance et de résilience (PNRR). Dans le programme, il est envisagé un « accord avec la Commission européenne, comme le prévoient les règlements européens, pour réviser le PNRR en fonction de l’évolution des conditions, des besoins et des priorités ». Selon le quotidien La Repubblica, le centre droit planifierait un financement plus important des infrastructures énergétiques, au prix d’un léger ralentissement de la transition verte si nécessaire87.
- Économie et entreprises. Parmi les objectifs économiques, nous retrouvons la réduction de la pression fiscale, la protection du pouvoir d’achat des familles, des travailleurs et des entreprises, la réduction de la TVA sur les produits énergétiques, la défiscalisation des entreprises, la protection du travail indépendant et des professions libérales, la lutte contre le travail irrégulier, mais aussi le renforcement des politiques d’emploi et la mise en place de primes.
Conclusion
Marqué par une abstention record, le scrutin du 25 septembre 2022 a mis en lumière les failles du système politique italien, qui plus est dans une société fragilisée par la succession des crises – crise des partis, loi électorale favorisant la recomposition des coalitions, personnalisation excessive de la politique – et désormais, par l’inflation. À cela s’ajoute un élément caractéristique et fondamental de la politique italienne : le rôle reconnu à l’opinion publique et aux sondages affecte trop fortement la stabilité des gouvernements en place. C’est aussi sur la base de tels indicateurs que les leaders et les partis ont décidé de retirer leur confiance au gouvernement de Mario Draghi, provoquant sa chute.
La nouvelle coalition est parvenue au pouvoir dans un contexte qui non seulement n’a pas disparu mais qui, de plus, la menace presque aussitôt, d’autant qu’elle doit immédiatement faire face à une situation particulièrement périlleuse sur de nombreux points. Les décisions que prendra la majorité issue des élections du 25 septembre dernier seront scrutées avec attention par les Européens et les marchés financiers compte tenu de l’état des finances publiques du pays. Mais les Italiens qui font face à une situation singulièrement tendue, notamment en ce qui concerne l’inflation et leur approvisionnement énergétique, n’attendent probablement pas les mêmes décisions de la part de cette alliance populiste et de droite conduite par Giorgia Meloni.
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