Réduire la dette grâce à la Constitution : créer une règle budgétaire en France
Proposition de règle budgétaire
Explications de la règle budgétaire
Inscription dans la Constitution
Pourquoi ne pas adopter une « règle d’or sur les investissements »?
Quel périmètre ? Quel niveau de déficit de long terme ?
Inclure les collectivités locales ?
Le Comité budgétaire ou la Cour des comptes
Autres fonctions du Comité budgétaire indépendant.
Version de la règle budgétaire avec sanctuarisation des « dépenses d’avenir »
Rattrapage en cas d’exécution du budget en déficit
Exceptions à la règle : le cas de récession
Exceptions à la règle : cas de circonstances exceptionnelles
Exceptions à la règle : réformes structurelles et déficits
Exceptions à la règle : investissements en actifs financiers
Exceptions à la règle : si la dette publique est faible
Pourquoi une règle budgétaire en France ?
Préserver les générations futures
Ne pas diverger durablement de l’Allemagne
Pourquoi une règle dans la Constitution ? Règle vs institutions
Une règle budgétaire briderait-elle la politique ? Non !
Une règle bipartisane
Un ajustement de combien ?
Comment réduire les déficits ?
Qui voterait la règle ?
« En Californie, cela n’a pas marché… »
Annexes
Résumé
Cette note propose d’inscrire en 2010, dans notre Constitution et dans la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), une règle budgétaire contraignante de moyen terme. La règle proposée s’inspire de celle adoptée par l ’Allemagne en 2009. L’essence en est :
- Obligation constitutionnelle d’équilibre budgétaire (hors cycle) pour le projet de loi de finances (PLF) à partir de 2018, avec réduction graduelle des déficits à partir de 2011. Une variante de la règle propose en plus de sanctuariser les « dépenses d’avenir » et les « dépenses climat » (à hauteur de 1% à 2% du PIB), sans altérer l’obligation d’équilibre budgétaire.
- Obligation constitutionnelle d’équilibre budgétaire (hors cycle) pour le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) à partir de 2013.
- Pour les budgets des collectivités locales, sont proposées une procédure pour dette excessive et une procédure de restructuration de dette excessive, celle‐ci serait analogue à la procédure de sauvegarde pour les entreprises.
- Un Comité budgétaire (indépendant ou rattaché au Parlement) ou la Cour des comptes estimera les soldes budgétaires hors cycle ainsi que les différentes hypothèses économiques du PLF et du PLFSS. Il évaluera également la trajectoire de long terme des déficits et de la dette publique ainsi que la dette hors bilan des administrations publiques. Le Parlement débattra de ces estimations et scénarios.
- En cas d’exécution de la loi de finances en déficit, celui‐ci est amorti sur les PLF des années suivantes. Idem pour la loi de financement de la Sécurité sociale.
- Des exceptions à la règle d’équilibre budgétaire existent : en cas de récession ; en cas de circonstances exceptionnelles ; en cas de mise en œuvre de réformes structurelles qui réduisent la dette hors bilan (comme la réforme des retraites) ou qui accroissent le potentiel de croissance ; en cas d’investissements en actifs financiers et en cas de dette publique inférieure à 40% du PIB.
Pourquoi adopter une telle règle ? La stratégie dominante (et historique) du système politique français consiste à faire payer aux générations futures nos baisses d’impôts ou nos augmentations de dépenses publiques. La principale justification d’une telle règle consiste précisément à préserver les générations futures de cela. Sans règle contraignante, la France ne réussira pas à retrouver des finances publiques saines. Or, il sera très difficile pour le pays de maintenir sa crédibilité financière sans consolidation budgétaire majeure, alors que l’Allemagne s’y soumet. La première partie de cette note présente la règle proposée. C’est la partie la plus importante ; elle suffira au lecteur pressé. La deuxième partie explique la règle proposée pas à pas. La troisième partie revient sur les débats : pourquoi adopter une telle règle ? Comment la faire accepter et voter ? Comment l’appliquer ?
Jacques Delpla,
Économiste, Membre du Conseil d’analyse économique.
Proposition de règle budgétaire
Il s’agit non pas d’un texte juridique, mais de la trame économique de dispositions constituantes.
Serait inscrit dans la Constitution et dans la LOLF, en 2010, un texte dont l’essence serait la suivante1.
Explications de la règle budgétaire
Dans cette partie, sont commentés les articles (qui sont en encadré) de la règle proposée. Une règle de ce type pourrait être débattue au premier semestre 2010 et votée à l’automne 2010.
Inscription dans la Constitution
Hormis les articles transitoires et ceux, désuets, qui concernaient les colonies françaises d’Afrique.
Faut-il changer la Constitution française pour contraindre à l’équilibre budgétaire de moyen terme ? Depuis la création de l’euro, aucun des engagements solennels de réduction à moyen terme des déficits (i.e. les programmes de stabilité) n’a été respecté par les gouvernements français successifs. La simple promesse des gouvernements français à revenir à l’équilibre à moyen terme manque donc de crédibilité. Les engagements verbaux ne sont plus suffisants; d’où l’idée d’une contrainte de moyen terme beaucoup plus forte et plus crédible. Où faut-il l’inscrire ?
Dans la loi ? L’inscription d’une règle budgétaire dans une simple loi n’aurait que peu de crédibilité : ce qu’une loi a instauré, une autre loi peut le défaire aussi vite. Par exemple, au début de l’année 2009, le Parlement a voté une loi interdisant quasiment la création de niches fiscales. Quelques mois plus tard, avec le même gouvernement et avec le même Parlement, une nouvelle loi créait de nouvelles niches fiscales.
Dans une nouvelle loi organique modifiant la LOLF ? Ce pourrait être tentant d’un point de vue politique : le vote d’une loi organique est beaucoup moins lourd qu’une révision constitutionnelle. Mais il est impossible d’instituer une règle budgétaire crédible en la circonscrivant à une seule loi organique, sinon la loi organique créant la règle au sein de la LOLF serait jugée anticonstitutionnelle par le Conseil constitutionnel. En effet, la Constitution ne prévoyant pas aujourd’hui de limitation au pouvoir du Parlement à voter des déficits, une règle budgétaire contraignante inscrite seulement dans la LOLF violerait cette liberté constitutionnelle du Parlement et serait en conséquence censurée par le Conseil constitutionnel.
Dans la Constitution ? Seule une modification de la Constitution permettrait de limiter les pouvoirs futurs du Parlement à voter des déficits aussi importants qu’il le veut. Les Allemands ont inscrit l’ensemble de leur règle budgétaire (y compris les détails) dans leur Constitution (Loi fondamentale). En France, il n’est pas usuel d’inscrire dans la Constitution de tels détails; la Constitution définit seulement les grands principes et les équilibres des pouvoirs. Nous proposons donc ici une modification brève de la Constitution, qui, telle une accroche, définit le principe de la contrainte imposée au Parlement. Les détails de la règle budgétaire sont renvoyés à une loi organique, qui modifiera l’actuelle LOLF.
Quel contrôle constitutionnel ? Une fois la règle votée, sa mise en œuvre est simple. Après le vote définitif du PLF et du PLFSS, le Conseil constitutionnel vérifie le solde budgétaire inscrit dans le PLF et dans le PLFSS. Si ce solde est conforme à la règle budgétaire (et si les exceptions ne jouent pas), le PLF et le PLFSS sont validés par le Conseil constitutionnel – du moins au titre de la règle. Si le solde du PLF et/ou du PLFSS est plus large que le solde autorisé par la règle, alors l’ensemble du PLF et/ou du PLFSS est censuré. Le Conseil constitutionnel n’a pas besoin d’expertise particulière en économie : il lui suffit de constater les chiffres de solde budgétaire votés et de les comparer avec les calculs du comité budgétaire indépendant, ou bien de constater qu’une exception à la règle s’applique. Très certainement, le Conseil constitutionnel sera informé en amont des calculs économiques sous-jacents au PLF et au PLFSS.
Impact d’une censure constitutionnelle du PLF ou du PLFSS de l’année N + 1. Dans ce cas, le gouvernement doit légalement exécuter le budget (LF ou LFSS) de l’année N, par douzième chaque mois. En termes politiques, ce serait un revers majeur pour le gouvernement, obligé de revoir rapidement sa copie, avec moins de dépenses et/ou plus d’impôts. En termes économiques, une reconduction à l’identique du budget de l’année N implique que les dépenses publiques seront réduites d’environ 1 point de PIB de l’année N + 1 (avec l’hypothèse d’une inflation à 2% et en tenant compte de ce que les dépenses du PLF et du PLFSS constituent environ 50% du PIB) et que le déficit sera réduit probablement d’autant : une censure du PLF et du PLFSS ne conduirait donc pas à un statu quo ante.
Quelle est la crédibilité de l’engagement constitutionnel à réduire les déficits ? Les sceptiques pourraient dire : « La France a été incapable de respecter durablement l’équilibre budgétaire depuis 1974, époque de très forte croissance. Les prochains gouvernements contourneront la règle budgétaire à la première occasion. » En guise de réponse, il faut démontrer que la règle ici proposée est suffisamment bien définie pour réduire les futurs déficits sans rigidité aveugle. Elle combine des aspects contraignants avec une adaptation au cycle d’activité et des exceptions bien définies pour que celles-ci ne deviennent pas des échappatoires à toute contrainte. Enfin, la grande nouveauté (introduite par les Allemands) est que si une loi de finances est exécutée avec des déficits plus larges que ceux qui sont prévus dans le PLF, alors ceux-ci sont amortis ex post. Bien sûr, on ne peut jamais empêcher un Parlement futur d’abroger ou d’amoindrir une règle budgétaire inscrite dans la Constitution et dans la LOLF, mais le coût politique en sera beaucoup plus élevé : il faudra une majorité qualifiée (et donc l’appui de l’opposition). Remarquons que, depuis 1958, aucune disposition n’a été enlevée de la Constitution2, ce qui renforce la crédibilité d’une inscription d’une telle règle dans la Constitution.
Pourquoi ne pas adopter une « règle d’or sur les investissements »?
Une « règle d’or », en général, stipule que le budget ne peut pas être en déficit sur sa partie fonctionnement; l’endettement n’est autorisé que pour financer des investissements. Cette idée a priori séduisante a été adoptée par de nombreux pays (Royaume-Uni depuis 1997, Allemagne depuis les années 1970…). Ces règles n’ont pas fonctionné de manière satisfaisante, car la distinction entre budget d’investissement et budget de fonctionnement est souvent peu pertinente. Vaut-il mieux financer une route ou un pont qui ne vont nulle part (investissement) ou des salaires de chercheurs sur le sida ou le cancer (dépenses de fonctionnement) ? Les règles d’or sur l’investissement ont donc souvent conduit les gouvernements à financer d’inutiles investissements afin de faire plaisir à tel ou tel lobby régional ou lobby du BTP (comme au Japon dans les années 1990), c’est pourquoi nous ne les avons pas retenues ici.
Quel périmètre ? Quel niveau de déficit de long terme ?
Périmètre. Pour être efficace, une règle budgétaire doit couvrir l’ensemble des budgets publics, sinon il y a risque de fuite. C’est ce qui est arrivé avec la règle « croissance zéro sur les dépenses de l’État » instaurée depuis 1999 : elle a été contournée par la multiplication des baisses d’impôts ciblées (dépenses fiscales). Une règle budgétaire en France doit donc couvrir le budget de l’État (LF), la Sécurité sociale (LFSS) et les collectivités locales – les autres organismes divers d’administration centrale étant rattachés à la LF ou à la LFSS (par exemple, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, CADES).
N.B. : en Allemagne, la règle ne couvre que l’État et les Länder, car la Sécurité sociale est déjà de jure au moins en équilibre.
Quel solde budgétaire agrégé ? Pour ramener la dette entre 40% et 60% du PIB sur une génération, il faut se donner au moins un objectif de solde budgétaire de l’ensemble des administrations publiques proche de 0% du PIB. C’est d’ailleurs pour cela que le pacte de stabilité prévoit des déficits budgétaires « proches de l’équilibre », c’est-à-dire des déficits au maximum de 0,5% du PIB. Les Allemands ont choisi dans leur règle un déficit fédéral maximal de 0,35% du PIB, à la suite de subtils arbitrages politiques entre l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU) et le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD). Dans la pratique, il faudrait même que les finances publiques dégagent des excédents budgétaires structurels de l’ordre de 1% à 2% du PIB pendant de nombreuses années, si l’on veut que la dette publique retombe en dessous des 60% du PIB en moins d’une génération. On notera qu’en Suède, lors du redressement budgétaire de la fin des années 1990, le débat entre la gauche et la droite était le suivant : les sociaux-démocrates au pouvoir voulaient un excédent budgétaire de 1% du PIB, la droite voulait un excédent de 2% du PIB! De 1997 à 2007, les surplus budgétaires moyens suédois furent de 1,2% du PIB. Au Danemark, de 1997 à 2007, les surplus budgétaires furent de 2% du PIB (1% lorsque la gauche gouvernait, 3% lorsque ce fut la droite). En Finlande, avec des gouvernements de coalition gauche-droite, les surplus budgétaires furent de 3,1% du PIB sur cette période ! Avec notre niveau de dette, une règle budgétaire crédible ne peut donc pas se donner comme objectif des déficits plus importants que 0,5% du PIB. Il faudrait imposer l’équilibre strict au PLF et au PLFSS. Pourquoi ?
• La clarté politique du message est sa simplicité. Avec une obligation d’équilibre, le message sera clair à la fois pour ceux qui dépendent des dépenses publiques et pour ceux qui paieront les futurs impôts. Une annonce d’équilibre strict à terme permettra de faire converger les anticipations de tous les agents économiques.
• Limiter les risques de dérive lors du vote de la règle au Parlement. Si on propose au départ comme objectif un déficit maximal de 0,35% ou de 0,5% du PIB, il se trouvera toujours des forces pour pousser le déficit maximal au-delà : d’abord à 1% puis à 1,5%, puis… à 3%.
• L’obligation stricte, suggérée ici, d’équilibre budgétaire ne peut pas s’étendre aux collectivités locales. Même avec la règle ci-dessus (§ 3), le solde des collectivités locales sera probablement légèrement négatif en moyenne (il fut en déficit de 0,4% du PIB en 2008 et 2009). D’où l’importance d’imposer l’équilibre strict à la LF et à la LFSS.
On pourrait imaginer que le seuil de la règle soit l’équilibre strict tant que la dette publique est supérieure à 60% du PIB, puis que le seuil devienne plus laxiste (déficit maximal de 0,5% ou 1% du PIB) en dessous de 60%. Mais cette solution risque d’ajouter de la confusion. Il vaut mieux une règle simple, avec des exceptions bien conçues.
La référence ici, et plus généralement dans le texte, est le PIB, car les autres mesures de la richesse suggérées par le rapport Stiglitz-Sen sont certes intéressantes pour mesurer le bien-être ou les performances d’un pays, en revanche, elles n’apportent que très peu aux questions budgétaires, car les impôts sont assis sur le PIB et non sur le bien-être.
Le gouvernement Merkel II vient d’annoncer des baisses d’impôts de 24 milliards d’euros (1% de PIB) dès 2011. L’impact de cela est seulement de repousser l’équilibre budgétaire en 2015 au lieu de 2014 ; donc la règle allemande n’est pas touchée par ces annonces de baisses d’impôts. D’ailleurs, personne en Allemagne ne parle de remettre en cause la règle budgétaire.
Nous imposons ici un équilibre strict antérieur à l’établissement du budget de l’État. Cet équilibre est structurel3, c’est-à-dire hors cycle économique. Sinon, en cas de ralentissement conjoncturel, une obligation d’équilibre nominal obligerait à réduire les dépenses, ce qui aggraverait alors le ralentissement. Le PLF doit donc être en excédent en phase haute du cycle ; il peut être en déficit lors de la phase basse du cycle. Les calculs d’équilibre hors cycle sont délégués au Comité budgétaire.
Calendrier, voir § 4. La règle budgétaire doit être contraignante à moyen terme, mais elle ne doit pas brider la reprise à court terme. Elle ne doit donc pas forcer à une réduction des déficits publics qui irait « plus vite que la musique ». Le rythme qui semble politiquement et socialement acceptable est une réduction du déficit de 1 point de PIB par an. C’est à peu près la stratégie suivie en France après la récession de 1993. La règle doit accompagner et parachever la réduction des déficits, et donc forcer les gouvernements futurs à rester au quasi-équilibre budgétaire une fois les déficits réduits; elle ne doit pas casser la reprise. Le bon moment pour l’application pleine et entière de la règle pour la France est l’année où le solde budgétaire est censé être proche de l’équilibre, soit en 2018, comme indiqué dans le tableau du § 4. Les Allemands ont choisi 2016 comme date pour l’équilibre du budget fédéral – car leur déficit initial est plus faible –, mais 2020 pour les Länder4.
Source : Commission européenne, « European economic forecasts. Autumn 2009 », p. 61
Il est normal que les dépenses de santé augmentent plus vite que le PIB : cela reflète le fait que les gens accordent une valeur très grande au gain d’une année de vie supplémentaire en bonne santé. Voir R. E. Hall et C. I. Jones, « The value of life and the rise in health spending », Quarterly Journal of Economics, vol. 122, n° 1, février 2007, p. 39-72. L’augmentation des dépenses de santé est donc une très bonne chose en soi, mais elle ne doit pas être financée par la dette : elle doit l’être par la génération même qui en profite (via des cotisations sociales supplémentaires, des versements supplémentaires aux mutuelles de santé). Les autres pays européens, avec les mêmes préférences collectives que nous, n’autorisent pas les déficits sociaux (les pays scandinaves, l’Allemagne)
Même logique que pour le PLF.
Deux éléments spécifiques toutefois. Premièrement, il n’y a vraiment aucune raison au déficit hors cycle de la Sécurité sociale ; ce sont des dépenses de consommation qui ne préparent pas spécifiquement l’avenir. Or, de 1993 à 2006, les déficits moyens de la Sécurité sociale ont été de 0,5 % du PIB. Sans mesure correctrice, le déficit structurel de la Sécurité sociale devrait passer de 0,5% à 1,8% du PIB5 à cause du seul vieillissement. L’augmentation structurelle (et bienvenue) des dépenses de santé de la population6 implique probablement (à recettes inchangées) des déficits supplémentaires de la LFSS de l’ordre de 1 à 2 points de PIB d’ici à dix ans. Si l’on veut plus de protection sociale, il faut augmenter les cotisations sociales payées aujourd’hui et non la faire payer par les générations futures. Deuxièmement, la date de mise en œuvre : il n’y a pas de raison d’adopter le même calendrier que celui pour le PLF, car les LF supportent l’essentiel du choc budgétaire consécutif à la récession. Nous proposons 2013, une date suffisamment éloignée de la récession pour ne pas brider la reprise, mais suffisamment proche pour forcer le gouvernement à préparer dès 2010 l’assainissement des finances sociales. Ainsi, la réforme des retraites de 2010 sera d’autant plus sérieuse que l’État et les partenaires sociaux sauront que, à partir de 2013, les régimes de retraite devront être au moins à l’équilibre. Une fois de plus, il n’y a aucune raison aux déficits structurels de la Sécurité sociale.
Inclure les collectivités locales ?
Faut-il inclure les collectivités locales dans la règle et comment ? En effet, on pourrait arguer que :
• Les collectivités locales ont déjà une règle budgétaire spécifique : depuis la loi de 1982 sur la décentralisation, elles doivent être au moins à l’équilibre sur les dépenses de fonctionnement ; elles ne peuvent s’endetter que pour des investissements. (Le §3 reprend ce principe et l’inscrit dans la LOLF).
• Le budget des collectivités locales est relativement faible (11% du PIB) par rapport à la LF (20% du PIB) et à la LFSS (21% du PIB). Surtout, leurs déficits (0,4% du PIB en 2008 et 2009) et leurs dettes (7,3% du PIB à la fin 2009) sont faibles. Faut-il inscrire une règle budgétaire générale pour limiter une dette qui n’est que de 7,3% du PIB ?
• Il existe déjà un débat agonistique entre l’État et les collectivités locales à propos de leurs finances publiques: l’État arguant que les collectivités dépensent trop, celles-ci clamant que l’État leur transfère des compétences sans compensation équivalente de long terme. Une règle budgétaire n’a pas à entrer dans ce débat, tant que la dette des collectivités demeure modérée.
• Le pragmatisme politique. Il sera déjà difficile de faire voter une règle concernant l’État et la Sécurité sociale, y inclure les collectivités locales risque de susciter l’antagonisme des parlementaires qui sont élus locaux.
En faveur d’une règle s’appliquant aux collectivités locales, on peut argumenter que :
• La seule règle actuelle d’endettement pour les investissements peut inciter les élus locaux à trop investir dans des infrastructures locales (cf. critique de la règle d’or).
• Si la règle budgétaire ne concernait que la LF et la LFSS, on peut craindre que l’État ne se défausse encore davantage de ses investissements sur les collectivités locales.
Au total, la règle budgétaire peut fonctionner sans l’inclusion des collectivités locales, notamment à cause de leur clause actuelle d’équilibre hors investissement. Mais leur inclusion serait préférable. Si l’on souhaite une règle pour les collectivités locales, adapter le §1 de la règle (i.e. équilibre structurel du PLF) aux collectivités locales est irréalisable, car il est impossible de mesurer le PIB potentiel et le déficit hors cycle économique de chacune des collectivités (à la fois car elles sont très nombreuses et car les quelques données de PIB locaux qui existent sont produites avec beaucoup trop de retard pour être pertinentes). Une interdiction des déficits nominaux des collectivités locales est également une mauvaise idée car cela forcerait à réduire les investissements en cas de ralentissement économique national. Enfin, pour les petites communes, un investissement en un bâtiment (école…) peut représenter une taille significative du budget, qui justifie un déficit. Aussi nous suggérons, au §10), une stratégie qui cible les collectivités très endettées et qui se fonde sur les incitations politiques et sur la contrainte de marché :
Procédure pour dette excessive. Dans un premier temps, la règle formalise la mise sous tutelle par l’État des collectivités avec une dette excessive, après avis de la Cour régionale des comptes. Jusqu’ici la mise sous tutelle d’une commune très endettée était exceptionnelle et compliquée. Avec cette procédure, elle deviendrait plus fréquente. Il s’agit ici de responsabiliser ex ante les élus et leurs électeurs : si la dette est trop importante, la gestion de leur collectivité passera sous la coupe de l’État (i.e. le Préfet), avec ajustement sévère.
Procédure de restructuration de dette. Dans un second temps, il est introduit une procédure de quasi-faillite des collectivités locales, qui autorise une restructuration de la dette des collectivités locales (avec donc abandon de créances de la part des banques sous condition de réforme drastique du budget de la collectivité) en cas d’endettement impossible à surmonter. Une procédure analogue existe depuis peu en France pour les entreprises (sauvegarde). Aux États-Unis la faillite des collectivités locales existe depuis longtemps (Chapter 9 du United States Bankruptcy Code), utilisé pour Orange County en 1994-95). Il s’agit ici de donner de bonnes incitations ex ante aux banquiers, afin qu’ils ne prêtent pas de manière irresponsable aux collectivités locales. NB : les communes représentent 55% des dépenses des collectivités locales, contre 29% pour les départements et 16% pour les régions.
Le Comité budgétaire ou la Cour des comptes
«The Swedish Fiscal Policy Council is a government agency. Its remit is to conduct an independent evaluation of the Swedish Government’s fiscal policy. The Council fulfils its tasks primarily through the publication of the report Swedish Fiscal Policy, which is presented to the Government once a year. The report is used by the Riksdag [Parlement suédois] as a basis for its evaluation of the Government’s policy. The Council also arranges public conferences and seminars. In the series Studier i finanspolitik (Studies in Fiscal Policy), it publishes in-depth studies of different aspects of fiscal policy ». Voir leur site http://www.finanspolitiskaradet.se/
Ce Comité est essentiellement consultatif. Il a un seul pouvoir décisionnel important : il produit les hypothèses macro-économiques que le gouvernement est obligé de reprendre dans le PLF et le PLFSS. Il est illusoire de croire que le gouvernement a un pouvoir spécifique à faire de plus justes prévisions (l’élection démocratique ne prédispose pas à une meilleure prévision). Pour le reste, le Comité n’empiète pas sur la souveraineté du gouvernement et du parlement (ce qui est souvent la critique que les hommes politiques adressent aux idées du comité budgétaire indépendant). Si l’on considère que l’institution d’un tel comité chargé de produire les hypothèses économiques du PLF revient à donner trop de pouvoir à une instance non élue, on pourrait alors imaginer que le gouvernement possède la capacité de s’écarter des prévisions produites par ce comité à condition d’en fournir les raisons. De toute manière, il est probable que le Conseil constitutionnel s’appuierait sur les estimations du Comité pour formuler son jugement. Les prévisions économiques sont souvent erronées. Je ne crois pas que le Comité fera, année par année, de meilleures prévisions que les services techniques de Bercy ou que les économistes de marché. Mais – et c’est un secret de Polichinelle – les gouvernements embellissent en général les prévisions techniques de Bercy pour se valoriser auprès des électeurs et réduire les déficits annoncés. Depuis 1984, la moyenne des prévisions de croissance du gouvernement dans les PLF a été de +2,5%, alors que les réalisations ont été de +2%. Avec la crise bancaire et la contraction de la population active, il est probable que la croissance moyenne à venir (c’est-à-dire le potentiel de croissance) sera en dessous de 2%; les estimations communément admises vont de +1,25% à +1,75% par an (à politique inchangée). La force du Comité : il n’aura pas la tentation d’embellir systématiquement les prévisions et, au vu de l’ampleur de la dette, il sera probablement prudent dans ses prévisions afin de réduire les risques de déficit ex post. Procédure : le Comité budgétaire indépendant estime chaque année N, le PIB potentiel et le PIB nominal de l’année N+1 (ainsi que l’inflation…), en utilisant toutes les dernières informations disponibles (et en comparant avec les estimations de l’OCDE, Commission européenne, FMI). Il en déduit les déficits hors cycle et les déficits nominaux des PLF et PLFSS qui serviront au Conseil constitutionnel. En pratique, il y aura probablement des itérations entre le Comité et le gouvernement dans les mois et semaines qui précèderont la présentation du PLF et PLFSS. Il est probable aussi que le Comité donnera une fourchette d’estimations, le gouvernement retenant une moyenne. Si on est sceptique sur la capacité des économistes à estimer la croissance potentielle (qui est une notion tournée vers l’avenir, mais difficile à mesurer), la procédure alternative pour le Comité est d’utiliser la moyenne historique du PIB sur les sept à dix dernières années. C’est très facile à mesurer (en France, c’est 2%), mais ne permet pas de prendre en compte les dernières informations disponibles (par exemple, l’impact de la réforme des retraites de 2010). Statut du comité. Il y a trois options : la création d’un Comité budgétaire indépendant (comme en Suède), la création d’un Comité budgétaire rattaché au Parlement ou la Cour des comptes.
Le Comité budgétaire indépendant : son indépendance lui évite de subir des pressions du gouvernement pour embellir ses prévisions. Ses membres doivent être crédibles et expérimentés. Ils ne doivent pas travailler pour le gouvernement dans les [2] ans après leur sortie du Comité. Il serait bien pour leur visibilité et leur crédibilité qu’ils soient confirmés par le parlement. Idéalement, il y aurait : des macro-économistes, des spécialistes de finances publiques et de fiscalité, le DG de l’INSEE, un ancien ministre des finances de l’opposition et un de la majorité, des étrangers (économistes ou anciens ministres des finances). En Allemagne. La récente réforme a fait de l’Institut national de statistiques de Wiesbaden le fournisseur des chiffres utilisés par la règle budgétaire. En France, il ne serait pas bon de confier à l’INSEE cette tâche. L’INSEE doit être vu comme un fournisseur de statistiques compétent, indépendant et de bonne foi et non comme un acteur du processus budgétaire ; lui demander de fournir les hypothèses du PLF et PLFSS risque de dégrader le jugement que portent les utilisateurs de ses statistiques sur son indépendance. En Suède, le Comité budgétaire indépendant ne fait que de l’évaluation7, mais c’est après 10 ans d’excédents budgétaires substantiels (de +1,2% du PIB sur 1996-2007) et avec une dette publique estimée à 44% du PIB en 2010.
Le Comité budgétaire rattaché au Parlement. L’avantage ici est politique : le Parlement est le lieu par excellence de la souveraineté et de la surveillance budgétaires. Le Comité ne serait pas considéré comme empiétant sur le domaine politique. Adjoindre au Parlement un office d’évaluation des finances publiques renforcerait les fonctions de cette institution. C’est le modèle du Congressional Budget Office (CBO) aux États-Unis. Le Comité doit posséder en son sein des économistes et des budgétaires de qualité équivalente à ceux de Bercy. Le rattachement du Comité budgétaire au Parlement peut cependant porter atteinte à sa crédibilité. C’est pourquoi les travaux doivent être réalisés en totale transparence. La mise en place d’un conseil scientifique de haut niveau qui se portera garant de la qualité des travaux du comité semble également nécessaire. Aux États-Unis, le conseil scientifique du CBO rassemble les meilleurs économistes du pays (personnalités indépendantes mais aussi proches des partis démocrate ou républicain).
La Cour des comptes pourrait aussi très bien remplir cette fonction. Elle possède l’indépendance, l’autorité et l’expérience. Il faudrait toutefois qu’elle muscle ses capacités techniques en économie et diversifie ses recrutements. Seul handicap : n’y a-t-il pas conflit entre ses fonctions actuelles de magistrat et le rôle dévolu ici au Comité ? Il ne nous appartient pas ici de trancher entre un nouveau Comité indépendant, un Comité rattaché au Parlement et la Cour des comptes. Dans les trois cas, l’institution devrait se voir affecter une partie des services de Bercy qui aujourd’hui font les prévisions macro-économiques et budgétaires du PLF et du PLFSS.
Autres fonctions du Comité budgétaire indépendant.
Le Comité, tel un contre-pouvoir intellectuel indépendant, est au cœur du débat sur les stratégies de réduction des déficits publics. Notamment, il force à un débat avec des hypothèses prudentes. On l’a vu, depuis la création de l’euro, tous les gouvernements ont présenté des plans de retour à l’équilibre budgétaire de moyen terme qui n’étaient atteints qu’avec des hypothèses très optimistes sur les dépenses et les recettes. Or ces hypothèses optimistes ne se sont jamais réalisées jusqu’ici.
Un exemple, depuis des années le débat sur l’avenir des retraites suppose un retour au plein emploi (chômage à 4,5%) à horizon 5 à 10 ans. Il ne serait pas absurde de débattre de l’avenir des retraites en cas de persistance d’un chômage plus élevé.
Cf. la note de Nicolas Bouzou publiée par la Fondapol : Stratégies pour une réduction de la dette française, février 2010.
Aujourd’hui le débat budgétaire est trop centré sur l’année N+1 (avec le PLF) et aborde à peine les quatre années suivantes N+2 à N+4 (avec les programmes de stabilité). En outre, le débat est trop focalisé sur les scénarios proposés par le gouvernement. Avec le §6, le Comité animera le débat sur la réduction de la dette (et les politiques à suivre) avec une vision de longue période (il faut 15 à 20 ans pour réduire la dette sensiblement en dessous de 60% du PIB) et avec de multiples hypothèses, y compris celles qui déplaisent au gouvernement8. Il s’agit aussi de mesurer et de mettre dans le débat public l’ampleur de la dette hors bilan de l’État (constitué surtout par les retraites).9
Version de la règle budgétaire avec sanctuarisation des « dépenses d’avenir »
Elle s’obtient en ajoutant le § 1 bis après le § 1, et le § 5 bis après le § 5.
N. Stern (dir.), The Economics of Climate Change. The Stern review, Cambridge, Cambridge University Press, 2007.
P. Aghion, G. Cette, E. Cohen et J. Pisani-Ferry, « Les leviers de la croissance française », rapport n° 72 du Conseil d’analyse économique, Paris, La Documentation française, 2007.
Un point de vue plus personnel. Au sein de la commission Juppé-Rocard sur le grand emprunt, j’étais en faveur d’un grand emprunt de 100 milliards d’euros (dont 50 milliards pour les seules dotations aux universités), mais sous la seule condition de l’adoption d’une règle budgétaire comme décrite dans cette note. J’ai été d’accord avec la proposition du rapport (35 milliards d’euros d’investissements en une fois, centrés sur la recherche et l’innovation) car la question de l’adoption d’une telle règle était publiquement posée. Mais 35 milliards d’euro, ce n’était pas, à mes yeux, suffisant sur le long terme. Au vu de l’ampleur des financements publics encore nécessaires pour permettre aux universités de rattraper leur retard financier, pour assurer l’ensemble des investissements publics nécessaires afin de passer à une économie sobre en carbone, je m’étais dit, à la fin des travaux de notre commission, qu’il faudrait probablement un programme d’investissement de cette taille chaque année.
Des préoccupations classiques : éviter de sacrifier les investissements Avec la consolidation budgétaire à venir, il y a un risque fort que le processus budgétaire sacrifie d’abord les investissements et les dépenses d’avenir, comme ce fut le cas en France de 1993 à 1999, les investissements étant politiquement plus faciles à réduire que les dépenses de fonctionnement et que les subventions récurrentes.
Des préoccupations nouvelles : éviter de sacrifier les « dépenses climat » et les « dépenses d’avenir » Pour lutter contre le réchauffement climatique, le rapport Stern10 recommandait que nous (i.e. les pays riches) investissions, dès maintenant, 1% de notre PIB (public et privé) chaque année, afin de réduire les conséquences de long terme du réchauffement climatique. Or, il est à craindre que la réduction des déficits budgétaires ne sacrifie ces « dépenses climat », au motif que leur impact est de long terme. Il sera déjà difficile pour les gouvernements à venir de réduire les déficits existants, alors s’ils doivent, en plus, investir dans la lutte contre le réchauffement climatique, ils risquent de renoncer. Le récent échec (décembre 2009) de la conférence de Copenhague montre bien que la lutte contre le réchauffement climatique passera d’abord et surtout par des progrès technologiques (clean techs, énergies nouvelles décarbonées) – qui vont demander des efforts accrus en recherche et développement (essentiellement financés par les budgets publics) –, ou par des efforts nationaux d’économie d’énergie (isolation thermique, notamment), dont nombre demanderont un financement de l’État. Bref, alors qu’une consolidation budgétaire majeure est devant nous, la lutte contre le réchauffement climatique va imposer plus de dépenses budgétaires dans le domaine climatique – autant de dépenses que le processus de décision politique normal risque bien de sacrifier, car leur rendement est lointain. D’où l’idée de sanctuariser les « dépenses climat » dans la règle budgétaire. En outre, si l’on veut, comme l’a exprimé le président de la République lors de son discours du 14 décembre 2009 sur le grand emprunt, préserver les « dépenses d’avenir » (recherche, université, innovation…) de la consolidation budgétaire à venir, il faudrait les sanctuariser aussi en les isolant et en faisant porter la consolidation budgétaire sur les autres postes de dépense. D’où l’idée d’une version de règle budgétaire qui préserve les dépenses dites « d’avenir » et les « investissements climat », regroupés, ici, dans la règle, en « dépenses d’avenir », en imposant un minimum de « dépenses d’avenir » dans le PLF. Il en résultera évidemment pour les autres dépenses une consolidation budgétaire encore plus forte qu’avec la règle initiale. Comme cet ajustement supplémentaire sera fait pour les « dépenses climat et avenir » et non pour la réduction des déficits in abstracto, il sera peut-être mieux accepté par le public.
Combien ? Il ne s’agit pas ici de suggérer le niveau optimal, mais le niveau minimal (sachant que certaines dépenses existantes pourraient y être inscrites). Pour les « investissements climat », supposons (ce qui est plausible) que la moitié de « l’investissement climat » recommandé par Lord Stern doive être financé par l’État, cela fait 0,5% du PIB par an. Pour les autres « dépenses d’avenir »? Dans leur excellent travail sur les moyens de relever notre taux de croissance, Philippe Aghion, Gilbert Cette, Élie Cohen et Jean Pisani-Ferry (2007)11 ont estimé que nous devrions augmenter nos dépenses « recherche-université » de 0,7 point de PIB pour un gain de croissance permanent de 1 point. Je suggère ici un seuil de « dépenses d’avenir » de 1 à 2% du PIB12, soit 20 à 40 milliards d’euros de 2010. Est-ce que ce sera possible politiquement? Une fois de plus, les ajustements budgétaires devant nous sont considérables. Ils seront d’autant mieux acceptés qu’une partie de cet ajustement se fera au bénéfice des « dépenses d’avenir », qui font consensus dans l’opinion publique. À la différence de ce que préconise la commission Juppé-Rocard, ces « dépenses d’avenir » seraient financées soit par des baisses d’autres dépenses (version de droite), soit par des hausses d’impôts (version de gauche). Une autre manière de voir cela : il sera plus facile au gouvernement de faire un ajustement budgétaire majeur en ayant de son côté les partisans du développement durable (écologistes) et du financement accru des universités (chercheurs), tandis que les groupes de perdants de l’ajustement budgétaire seront dans la rue… Comme ces « dépenses d’avenir » seront protégées de l’ajustement budgétaire, elles devront subir d’autant plus des évaluations et des supervisions. D’où la proposition qu’elles soient évaluées par le Comité budgétaire (ou la Cour des comptes – ou tout autre organisme d’évaluation), qui ici ne donnerait qu’un avis consultatif, la décision revenant évidemment au Parlement. Ces « dépenses d’avenir » seraient logées dans un nouveau titre de la LOLF, nommé « dépenses d’avenir » (et non dans un budget spécifique). Le titre « dépenses d’avenir » bénéficierait de la fongibilité asymétrique permise par la LOLF, c’est-à-dire qu’on pourrait, dans l’année, y reverser des dépenses d’autres titres de la LOLF – mais le contraire serait interdit.
Rattrapage en cas d’exécution du budget en déficit
Jusqu’ici, les § 1 à 7 de la règle budgétaire ont concerné la préparation des budgets. Or, bien souvent, les déficits proviennent d’une croissance ou de rendements d’impôts plus faibles qu’attendus ou d’une mauvaise estimation des dépenses. La grande nouveauté de la règle allemande de 2009 est de contenir un mécanisme de rattrapage de ces déficits non anticipés. Les Allemands inscrivent, ingénieusement, ces déficits d’exécution sur un compte appelé « compte de contrôle ». Lorsque le compte de contrôle dépasse 1,5% du PIB, le gouvernement doit amortir tout ce qui est au-dessus de ce seuil aussi vite que la conjoncture le permet, le tout sans enfreindre la règle budgétaire.
Un exemple : en année N, le déficit est exécuté avec un déficit de 2,1% du PIB, alors même que le compte de contrôle était déjà à son niveau maximum. Supposons que ce déficit doive être remboursé sur 7 ans, alors les PLF des 7 années suivantes devront présenter au moins un surplus de 0,3% du PIB. C’est ce mécanisme qui est repris ici pour chacun des budgets. Ce mécanisme de rattrapage a plusieurs avantages.
• Il force à amortir sur quelques années les déficits non prévus, ce qui permet de réduire d’autant la dette.
• Il réduit les incitations des gouvernements à ne pas exécuter au mieux les lois de finances.
• Le remboursement se fait selon le cycle économique ; ce mécanisme est contra-cyclique.
• Il préserve les incitations du gouvernement en lui permettant de dépenser plus à la veille d’élections. En effet, en début de mandat, le gouvernement sera incité à dégager des surplus budgétaires hors cycle qu’il affectera au compte de contrôle de la LF et/ou à celui de la LFSS (chaque compte pouvant être aussi créditeur, auquel cas il devient une « cagnotte »). À la veille des élections, le gouvernement pourra exécuter son budget de manière plus laxiste, en tirant sur la cagnotte – si elle existe encore.
Nous avons choisi ici deux comptes de contrôle différents afin de responsabiliser au mieux les sphères budgétaire et sociale. Un compte commun n’inciterait pas le gouvernement à remplir la cagnotte en début de mandat, car il craindrait que cet argent ne soit absorbé par la Sécurité sociale (et vice versa). Ces deux comptes augmentent seulement le niveau de la dette publique (de 1,5 point de PIB au maximum si les deux comptes sont saturés) ; ils ont en moyenne un effet nul sur les déficits (il est erroné de croire que ce mécanisme augmente les déficits annuels de 1,5% du PIB). La durée d’amortissement suggérée est de cinq à dix ans (longueur d’un cycle économique). Une autre solution possible : déléguer le choix de la durée d’amortissement au Comité budgétaire, ce qui est la solution la plus adaptée car le Comité saura exploiter au mieux les informations conjoncturelles. Si l’on craint la complexité de ces comptes de contrôle, une autre solution existe, plus claire mais moins subtile :
Exceptions à la règle : le cas de récession
Aux États-Unis, c’est un comité d’économistes du National Bureau of Economic Research (NBER) qui définit le cas de récession en fonction de toutes les informations disponibles.
Mais il ne s’agit pas d’adopter la définition du cas de récession inscrit dans le pacte de stabilité, qui est probablement trop restrictive.
La règle budgétaire ne s’applique évidemment pas en cas de récession (alors qu’elle s’applique en phase basse du cycle économique). Comme il n’y a pas de définition ex ante précise de ce qu’est une récession, il vaut mieux déléguer le déclenchement du cas de récession au Comité budgétaire indépendant13, qui recueillera les avis des autres pays européens, de la Commission européenne14 et autres institutions (OCDE, FMI,marchés…). Pour la crédibilité de la règle, il ne faut pas que le cas de récession soit déterminé par le gouvernement, qui serait en l’occurrence juge et partie. L’obligation d’équilibre budgétaire ne s’applique pas non plus aux N années (N = 2 ou 3 probablement) après une récession afin de permettre une réduction graduelle des déficits post-récession et un redressement graduel des finances publiques. Le Comité budgétaire indépendant définit N; il a de meilleures informations pour juger qu’une durée standard définie ex ante.
Rattrapage post-récession. La règle budgétaire impose de rattraper, sur plusieurs années, la dette créée lors de la récession. Il ne faut pas imposer ex ante une durée standard à la période de rattrapage budgétaire, car on ignore l’ampleur des dégâts de la récession. Il vaut mieux ici déléguer le choix de la durée au Comité budgétaire indépendant (en cas de récession grave, l’amortissement pourrait ainsi être de plus de dix ans). Prenons l’exemple d’une récession extrême, analogue à celle de 2008- 2009, qui arriverait alors que la règle budgétaire est déjà instituée. Comme une récession arrive toujours après une surchauffe, le budget est alors en surplus conjoncturel conformément à la règle (1 point de PIB dans notre exemple). À la suite de la récession, le budget se détériore de 5 points de PIB la première année (comme aujourd’hui) et de 0,5 point la seconde année de récession. En pratique, le Comité budgétaire indépendant donne chaque année l’ampleur des déficits autorisés dans les années post-récession. En réduisant les déficits de 1 point de PIB lors des trois années suivantes (où la règle ne s’applique pas), on revient à l’équilibre lorsque la règle budgétaire entre de nouveau en œuvre. Dans cet exemple, le surplus de dette hérité de la récession est de 16 points de PIB; le Comité budgétaire indépendant pourrait alors indiquer qu’il faut l’amortir en dix à quinze ans. Lors de récessions moins extrêmes, la durée d’amortissement de la dette de récession sera évidemment moindre.
Tableau 1 : fonctionnement de la règle budgétaire en cas de récession extrême.
Exceptions à la règle : cas de circonstances exceptionnelles
Une règle budgétaire doit contenir une clause de circonstances exceptionnelles pour cause de : guerre, attaques terroristes, catastrophe naturelle, etc., qui demandent un accroissement rapide, large, non anticipé et temporaire des dépenses budgétaires (les déficits des retraites ou le réchauffement climatique ne sont pas des circonstances exceptionnelles, car ils sont durables). Le problème, ici, est l’abus du recours à cette clause pour contourner systématiquement la contrainte budgétaire. En Allemagne, les gouvernements, depuis vingt ans, ont largement utilisé cette clause pour adopter des déficits plus larges que ceux qui étaient autorisés par l’ancienne règle budgétaire. Deux solutions sont possibles pour maintenir la clause de circonstances exceptionnelles sans en faire un moyen de contournement systématique :
• Réduire l’impact du recours aux circonstances exceptionnelles (qui demeure voté à la majorité simple mais sur la base de l’ensemble des députés inscrits, ce qui force à mobiliser l’ensemble des députés de la majorité) en en réduisant le coût budgétaire. C’est l’option qu’ont choisie les Allemands : les déficits créés lors de la période exceptionnelle doivent être amortis après celle-ci. Cette option est reprise dans le premier cas du § 12 ci-dessus.
• Réduire l’occurrence du recours au cas de circonstances exceptionnelles, en en augmentant le prix politique : le vote de ce cas doit alors être passé à une majorité qualifiée (de l’ensemble des députés inscrits). Le seuil de la majorité qualifiée ici proposé est de 60%. Il est alors politiquement beaucoup plus coûteux à la majorité de recourir à la clause de circonstances exceptionnelles, car elle doit convaincre l’opposition et probablement lui faire des concessions en échange. En contrepartie, en cas de vote à la majorité qualifiée, il n’y a pas rattrapage obligatoire des déficits lors des années suivantes. Cette option est reprise dans le deuxième cas du § 12 ci-dessus. Nous imaginons que cette option conviendrait à un cas de guerre.
La clause de circonstances exceptionnelles ne s’applique pas à la LFSS et aux collectivités locales. En cas de guerre – ou autre –, les déficits doivent se concentrer sur les dépenses de l’État. Si les circonstances exceptionnelles entraînent une récession, la LFSS et les collectivités locales pourront alors être en déficit. Enfin, en cas de circonstances exceptionnelles, le gouvernement, autorisé à faire du déficit, pourra toujours faire des transferts de la LF vers la LFSS ou vers les collectivités locales pour qu’ils respectent la règle budgétaire. Mais, dans ce cas, le gouvernement aura un levier plus fort pour réorganiser leurs dépenses.
Exceptions à la règle : réformes structurelles et déficits
Il s’agit de la somme des réductions des déficits futurs de l’assurance-vieillesse dues à la réforme Fillon, sur les cinquante ans suivant la réforme, ramenés au PIB de 2003. Voir J. Delpla et C. Wyplosz, La Fin des privilèges. Payer pour réformer, Paris, Hachette littératures, coll. « Telos », 2007.
Certes il en restait encore 80 points selon mes calculs de l’époque, mais c’était déjà une étape significative.
À côté de la réduction des déficits, il est important de réduire la dette hors bilan de l’État (par exemple en réformant les retraites) ou de mettre en œuvre des réformes structurelles susceptibles d’augmenter notre croissance de long terme. Or, un gouvernement ayant un capital politique limité, il est à craindre qu’il ne veuille pas entreprendre une réforme majeure (exemples : retraites ou marché du travail) s’il doit en même temps allouer du capital politique pour maintenir l’équilibre budgétaire. Il est difficile politiquement pour un gouvernement d’entreprendre plus d’une grande réforme par an. Un exemple : au deuxième trimestre 2003, en phase basse du cycle conjoncturel (1,1% de croissance en 2003), le gouvernement Raffarin avait lancé une réforme des retraites courageuse (même si insuffisante), avec une réduction de la dette hors bilan du pays de 30% du PIB en une seule fois15. Au moment même où le gouvernement lançait sa réforme et affrontait nombre de manifestations et de mouvements sociaux, le déficit public de 2002 fut évalué à 3,1% du PIB (au lieu des 2,9% préalablement estimés). Cela déclencha, de la part de la Commission européenne, une procédure de déficits excessifs contre la France, suivie d’une bataille envenimée entre le gouvernement français et la Commission. Il fut alors proprement suprenant que la Commission traînât la France devant la Cour de justice de l’Union européenne, au motif que son déficit de 2002 était passé de 2,9% à 3,1% du PIB (ce qui est ridicule comme écart), alors même que le gouvernement avait réduit la dette hors bilan de 35 points de PIB16. Le § 13 de la règle proposée reprend l’idée d’aider un gouvernement qui entreprend des réformes importantes, coûteuses politiquement, en ne lui imposant pas un équilibre budgétaire l’année de la réforme et la suivante. Il pourra ainsi, au besoin, lâcher quelques compensations budgétaires temporaires pour faire passer sa réforme. Toutefois, il faut un garde-fou à cette exception : le gouvernement ne doit pas être juge et partie. Au titre de ce § 13, il ne doit ni être juge de sa réforme ni décider de l’ampleur des déficits possibles autorisés en conséquence. Sinon, on verrait les gouvernements expliquer chaque année que la moindre réforme (positive ou pas) est essentielle et l’autoriserait ainsi à ne pas respecter l’équilibre budgétaire. La crédibilité de la règle serait réduite très fortement. Si le gouvernement devait être juge de cela, autant renoncer au § 13 dans son entièreté. Dans le § 13, le Comité budgétaire indépendant estime l’ampleur de la réforme et, en conséquence, la taille du déficit autorisé l’année de la réforme et la suivante. Ce cas d’exception à la règle budgétaire en cas de mise en œuvre de réforme structurelle n’est pas prévu dans la nouvelle règle allemande.
Exceptions à la règle : investissements en actifs financiers
Cf. C. Wyplosz, « Large and unknown implicit liabilities. Policy implications for the Eurozone », p. 19-20, 2004.
Singapour, par exemple, a émis de la dette sur son marché domestique (dollar de Singapour) pour doter initialement en fonds propres ses deux fonds souverains GIC et Temasek, qui se sont vu attribuer par la suite les excédents budgétaires du pays.
P.-O. Gourinchas et H. Rey, « From World banker to World venture capitalist: US external adjustment and the exorbitant privilege », NBER Working Paper, n° 11563, août 2005
Lewis Brandeis (1856-1941), juge à la Cour suprême des États-Unis de 1916 à 1939, nommé par Wilson et proche de F. D. Roosevelt
Ce ne sera pas par le Comité budgétaire indépendant, qui n’aura aucune expertise en ce domaine.
La règle budgétaire doit réduire les déficits et la dette de l’État, mais elle ne doit pas empêcher l’État d’emprunter pour investir dans des actifs financiers afin de :
• Soit amorcer ou créer des fonds de pension publics de type fonds de réserve des retraites (FRR), financés par l’émission d’obligations du Trésor, notamment à l’occasion de réformes majeures du système de retraite17. En effet, ceux-ci, en tant que tels, n’appauvrissent pas les générations futures.
• Soit investir dans des actifs financiers de long terme (via des fonds de type fonds souverains18). L’argument ici est double.
D’une part, l’État peut vouloir investir dans les actifs délaissés par les investisseurs nationaux européens (actions cotées ou non cotées, dette non souveraine longue et peu liquide) à cause des règles prudentielles européennes (Bâle II pour les banques, Solvabilité II pour les assureurs). Dans ce cas-là, l’État ferait de l’arbitrage de long terme de régulations (il investirait là où ni les banques ni les assureurs ne peuvent plus investir d’importantes sommes).
D’autre part, l’État, par ce type de fonds, pourrait faire de la transformation internationale en empruntant sur les marchés obligataires internationaux (asiatiques notamment) et en investissant dans des actifs plus risqués et moins liquides. L’État ferait alors de l’arbitrage international et capturerait un peu du « privilège exorbitant » aujourd’hui monopolisé par les États-Unis. Les économistes Pierre-Olivier Gourinchas et Hélène Rey (2005)19 estiment ainsi que les États-Unis, en empruntant massivement en dette bancaire, en dette gouvernementale ou en dette d’agences quasi publiques (Fannie Mae…) et en investissant l’équivalent à l’étranger en actions et autres actifs risqués et longs, empochent un différentiel de rendement annuel de 3,3% sur ces sommes, et ce depuis la fin de Bretton Woods (1973).
On peut être pour ou contre le fonctionnement actuel du FRR, pour ou contre des fonds souverains en France, mais il ne revient pas à la LOLF de les interdire. Dans ces deux cas, le gouvernement pourrait toujours théoriquement vendre ces actifs pour rembourser rapidement la dette publique. C’est ce qui légitime cette exception, alors même que nous avons refusé ci-dessus la règle d’or sur les investissements. Pourquoi ? Un gouvernement peut vendre rapidement des actifs financiers évalués sur un marché, alors qu’il ne peut pas vendre ses investissements passés dans des installations universitaires, des bâtiments publics ou dans le château de Versailles.
Un cas pratique : aujourd’hui, le gouvernement grec, en pleine crise budgétaire, ne peut pas vendre ses investissements passés dans les Jeux olympiques d’Athènes ou dans l’Acropole. S’il avait des réserves financières, il pourrait les dépenser aujourd’hui pour payer sa dette. Le risque de cette exception est que le gouvernement ne s’y engouffre pour soutenir telle ou telle entreprise selon des critères non financiers. Ici, il n’y a pas de parade ex ante ; il faut s’en tenir à la maxime de Lewis Brandeis : « Le soleil est le meilleur des désinfectants20. » C’est pourquoi nous proposons que ces investissements soient revus et évalués de manière indépendante chaque année21.
Exceptions à la règle : si la dette publique est faible
La règle d’équilibre budgétaire ne doit pas conduire à une dette nulle à très long terme. Il n’y a pas de raison de se désendetter à zéro.
Quel est le niveau de dette optimal ? Il n’y a pas de réponse in abstracto. Cela dépend du taux de croissance futur, de la dette hors bilan, de la capacité à lever l’impôt, de la sensibilité de l’économie aux chocs… Mais nous avons voté le traité de Maastricht, qui stipule que la dette publique ne doit pas excéder 60% du PIB – 60% est donc le seuil maximal de dette souhaitable. Il faut probablement un objectif moindre, afin que, en cas de nouvelle crise majeure comme celle d’aujourd’hui, la dette ne monte pas trop au-dessus de 60%.
Alors, quel est le bon niveau : 20%? 30%? 40%? 50%? 40% du PIB semble un niveau prudent – c’était le niveau de dette publique, avant la crise actuelle, en Espagne (40%), en Finlande et en Suède (40%), au Royaume-Uni (43%).
En Allemagne, la nouvelle règle s’applique quel que soit le niveau de dette publique. Elle conduit à très long terme à une dette publique de 9% du PIB sans récession. Mais les auteurs de la règle estiment que le niveau de long terme serait plutôt de l’ordre de 20% du PIB en incluant les divers chocs.
Enfin, dans le § 15 de la règle, la dette publique est entendue au sens de Maastricht (dette brute de toutes les administrations publiques), après déduction des actifs financiers de l’État. Il est en effet absurde que les liquidités monétaires du Trésor, nécessaires à une bonne gestion de trésorerie de la dette publique, ainsi que les participations de l’État dans des entreprises cotées ou les avoirs du fonds de réserve des retraites ne soient pas comptabilisés en déduction de la dette totale du pays. Si le gouvernement avait des problèmes de solvabilité, il pourrait toujours vendre ces actifs pourvu qu’il y ait un marché (c’est le même argument que pour le § 14). D’où la contrainte suivante : ces avoirs financiers de l’État doivent être cotés sur un marché afin qu’ils soient valorisables et réalisables.
Pourquoi une règle budgétaire en France ?
Source : Commission européenne (2009b).
Déjà en 2005, Standard & Poor’s estimait que, à cause du vieillissement, la dette publique de la France serait dégradée à AA + en 2011, à AA en 2013, à A en 2020 et à BBB + (le niveau actuel de la Grèce) en 2023. La dette publique était alors prévue à 150 % du PIB en 2035. Cette étude prenait comme hypothèse une politique économique inchangée. Fin décembre 2009, l’agence de notation Fitch Ratings a établi des distinctions au sein des pays AAA (la meilleure note). Les meilleurs (États-Unis et Allemagne) devraient garder leur notation AAA (l’Allemagne grâce à son conservatisme budgétaire et à sa règle budgétaire ; les États-Unis grâce au rôle de refuge de leur monnaie et à leurs bons fondamentaux économiques). Les trois pays les plus faibles au sein des AAA (France, Espagne, Royaume-Uni) sont jugés sévèrement. Un tel langage laisse supposer qu’une dégradation de la note de la France en 2011 ou en 2012 est possible.
Avant la crise actuelle, la France connaissait, en moyenne, depuis 1980, des déficits publics de 3% du PIB, ce qui a fait passer la dette de 21% à 64% du PIB sur cette période.
Au seuil de la crise, en 2006, la France avait déjà un déficit structurel de 3% du PIB et n’était alors dépassée que par les cancres budgétaires de la zone euro : la Grèce, le Portugal et l’Italie22. En 2007, notre déficit budgétaire structurel était de 3,6% du PIB; seule la Grèce alors faisait pire que la France.
Cela reflète un trait du système politique français : la stratégie politique dominante est de faire payer les baisses d’impôts ou les hausses de dépenses par la génération future. Depuis trente ans, nous consommons des biens et des services publics dont la facture sera payée par les générations suivantes – qui n’en auront pas bénéficié. C’est le déni de la responsabilité budgétaire : renvoyer systématiquement le coût de nos choix politiques sur l’avenir. Il y a toujours de nombreux lobbys en faveur de baisses d’impôts ciblées ou de hausses de dépenses spécifiques; en revanche, personne ou presque ne parle pour les générations futures. En France, nous adorons les dépenses publiques de gauche et les impôts de droite.
Avec la crise actuelle, les déficits publics explosent (8,5% du PIB en 2010), et la dette devrait atteindre 90% à 95% du PIB en 2013, c’est-à-dire des niveaux inconnus jusqu’ici, hors sorties de guerre. Nos déficits structurels sont aujourd’hui de 5% à 6,5% du PIB. Si on ajoute à cela les déficits à venir du système des retraites et de l’assurance-maladie, nos déficits publics atteindront 8% du PIB vers 2020, et la dette s’envolera alors allègrement au-delà de 150% du PIB en 2025, puis de 200% en 2035, précipitant au passage l’effondrement de la notation de la France23… Mais attention, toutes ces extrapolations reposent sur une absence de réforme politique – ce qui est peu probable, d’où les propositions de cette note.
Le problème de la France n’est pas le niveau des déficits actuels, mais le fait que, en dehors des temps de crise, nos déficits publics sont autour de 3% du PIB. En ce sens, la France n’est pas keynésienne : Keynes préconisait le recours à de très larges déficits en cas de récession sévère (ce que nous faisons), mais il prônait aussi un retour à l’équilibre (ou surplus) budgétaire hors périodes de crise (ce que la France n’a jamais fait depuis 1974).
Il ne faut donc pas regretter les larges déficits en 2009-2010, mais il faut s’engager à les faire refluer lors du retour à la croissance. Comment ?
À la différence des précédents épisodes de dette publique élevée, celle-ci ne pourra pas être résorbée par l’inflation. Ni la Banque centrale européenne (BCE) ni l’Allemagne ne toléreront jamais une inflation significativement supérieure à 2% en zone euro, ce que le traité de Maastricht interdit (et il est impossible de changer le Traité européen sur ce point, car il n’y aura jamais d’unanimité sur ce thème en Europe). Ceux qui prônent aujourd’hui l’inflation comme solution à la forte dette publique française soit ignorent le Traité européen, soit appellent implicitement à une sortie de la France de la zone euro. L’inflation viendra peut-être (probablement) dans quelques années aux États-Unis ou au Royaume-Uni, mais pas en France.
Le salut ne viendra probablement pas non plus d’une forte croissance comme dans la stabilisation budgétaire gaullienne après 1958. Au contraire, il est probable que la crise actuelle et le vieillissement de la population fassent baisser notre taux de croissance à l’avenir.
Il ne nous reste donc, pour faire baisser la dette publique, que le chemin de la réduction des déficits. Pourquoi, cependant, vouloir baisser la dette publique ?
Préserver les générations futures
Un tel endettement public va peser sur les générations futures alors que nous allons en plus leur léguer deux fardeaux :
• Le coût de la prise en charge du vieillissement de la population. Comment les prochaines générations pourront-elles payer nos retraites (par répartition) de plus en plus coûteuses et des soins médicaux en très forte augmentation si elles doivent payer en parallèle un service de la dette important et croissant ?
• Le coût de la lutte contre le réchauffement climatique (ou le paiement de l’adaptation à celui-ci). L’argument en faveur de la taxe carbone (préserver le bien-être des générations futures de la fin du xxie siècle) milite aussi pour une limitation drastique des déficits et une réduction de la dette publique (ne pas grever de dettes les prochaines générations au travail). Limiter la dette écologique et la dette publique vont de pair. Si vous avez espéré un accord contraignant au récent sommet de Copenhague sur le climat, vous devriez être en faveur d’une règle budgétaire sur les déficits : le péril est beaucoup plus proche et beaucoup plus certain.
• Le principe de précaution. Avec un niveau de dette publique à 100% du PIB, la prochaine génération pourra très difficilement absorber un nouveau choc économique majeur (après 1973, 1993 et 2007-2009). Ici, le principe de précaution milite en faveur d’un retour rapide (c’est-à-dire en moins de quinze ans) à une dette publique inférieure à 60% du PIB.
Ne pas diverger durablement de l’Allemagne
Le texte (en anglais) du ministère des Finances allemand, présentant cette règle, est disponible sur le site de la Fondation pour l’innovation politique.
En juin 2009, l’Allemagne s’est dotée d’une règle budgétaire stricte, inscrite dans sa Constitution, qui interdit les déficits budgétaires hors cycle, afin de revenir à 60% de dette en dix ans24. Cette mesure va avoir un impact très fort sur la politique économique en Europe dans les années et décennies à venir – et pourtant on en a peu parlé en France. Le plus grand pays d’Europe et le plus crédible financièrement vient de décider unilatéralement de s’engager de manière ferme et irrémédiable à réduire très fortement sa dette publique, en interdisant dans sa Constitution les déficits publics hors cycle. Les pays qui ne suivront pas vont diverger fortement et vont perdre beaucoup de crédibilité financière (et donc payer des taux d’intérêt significativement plus élevés).
Ne nous leurrons pas : l’Allemagne, notre principal partenaire, est entrée dans une grande phase de réduction drastique de sa dette publique, et nous ne pouvons pas l’ignorer. Si nous faisons le chemin inverse, aux yeux des Allemands, du G20 et des marchés financiers, la France aura bientôt la crédibilité financière de l’Italie, puis celle de la Grèce. Adieu alors les rêves de puissance, de leadership européen et de relation privilégiée avec l’Allemagne. Si la France ne change rien à sa politique budgétaire, les temps seront durs pour nos dirigeants. D’abord, le gouvernement allemand réduira ses initiatives de politique économique avec la France, puis il délaissera un partenaire devenu paresseux et incapable de se réformer. La France perdra alors son crédit international et deviendra, d’un point de vue financier, d’abord ce qu’est la République italienne aujourd’hui, puis ce qu’est devenue la Grèce. En d’autres termes, sans consolidation majeure, les dirigeants de la France des années 2010 auront précipité leur pays vers la paralysie et la crise budgétaire permanente et auront perdu toute idée de grandeur et d’influence pour la France.
À très long terme (vers 2050), sans changement de politique budgétaire en France, une telle divergence avec l’Allemagne pourrait être fatale à la survie de la zone euro. Il serait difficile d’avoir dans la même zone monétaire une Allemagne avec une dette publique de 20% du PIB et une France avec une dette à 200% du PIB. La France aurait alors une forte tentation d’effacer la dette par l’inflation, l’Allemagne y serait très opposée.
Outre l’Allemagne, nombre de pays européens ont, d’une manière ou d’une autre, des mécanismes de contrôle budgétaire contraignants, de type règle ou comité indépendant : les Pays-Bas, la Suède, la Belgique, l’Autriche et même l’Italie depuis 2006 (ce qui explique une partie de ses récentes bonnes performances budgétaires). Il ne serait pas étonnant que, pris à la gorge financièrement, le gouvernement grec y vienne aussi bientôt. Dans ce contexte, la France ne pourra faire exception. Le plus tôt sera le mieux : mieux vaut l’adoption d’une règle budgétaire à froid, comme les Allemands en 2009, qu’au milieu d’une crise budgétaire.
Le président de la République a ouvert le débat le 14 décembre 2009, en invitant à réfléchir à une règle budgétaire à l’allemande, transposée en France. Cette note se veut une contribution publique à ce débat utile.
Pourquoi une règle dans la Constitution ? Règle vs institutions
Comment nous engager aujourd’hui avec crédibilité à restaurer l’équilibre budgétaire une fois la crise passée? Cette question a 3000 ans : c’est Ulysse et les Sirènes. Celles-ci ont l’habitude de chanter merveilleusement afin d’attirer à elles les marins, qui brisent alors leurs navires sur de dangereux rochers. Ulysse, pour écouter sans succomber à la tentation, s’attache au mât. Ici, le mât, c’est la règle budgétaire dans la Constitution; le chant des Sirènes, ce sont les bas taux d’intérêt actuels (liés à la récession) qui laissent penser qu’on peut s’endetter fortement sans en payer le prix. Mais le jour où les taux d’intérêt remonteront globalement (ou bien pour la France seule en cas de défiance envers sa politique), le choc sur le rocher des Sirènes sera dur. Alors autant écouter les Sirènes, sans y succomber : tant mieux si les taux d’intérêt sont bas aujourd’hui, mais n’y succombons pas, engageons-nous à ne pas nous droguer aux larges déficits permanents.
« Rules versus institutions. » Dans ce débat, il y a deux écoles. D’une part, la règle budgétaire, avec tous les cas prévus ex ante. C’est simple (il n’y a alors aucune discrétion ou presque par rapport à la règle), mais il y a toujours le risque de ne pas avoir tout prévu ou de ne pas exploiter au mieux les informations conjoncturelles. D’autre part, la délégation de la décision sur l’ampleur du déficit à un Comité budgétaire indépendant, qui aura alors les informations conjoncturelles. C’est l’idée avancée par Charles Wyplosz depuis 2002, mais refusée par les politiques en France, au motif que des gens non élus définiraient alors les déficits. La solution proposée dans cette note s’inspire des deux : c’est avant tout une règle acceptée par le Parlement, dont les mécanismes sont bien connus à l’avance; c’est le politique qui décide de sa propre limitation future. Mais, les jugements futurs sur l’état de l’économie (combien d’années de déficit après une récession? Comment et en combien d’années rattraper la dette issue de la récession? Quel déficit en cas de réforme des retraites?) sont ici délégués à un Comité budgétaire (indépendant ou rattaché au Parlement) ou à la Cour des comptes. Partout (sauf au § 13) le jugement du Comité budgétaire indépendant est (ou peut n’être que) consultatif, ce qui devrait satisfaire les opposants à l’idée de comités budgétaires indépendants décisionnels.
Une règle budgétaire briderait-elle la politique ? Non !
Une critique souvent adressée aux règles budgétaires contraignantes : « Elles abrogent le choix du Parlement et les choix politiques; elles sont la négation du politique, car c’est la règle qui prévaut. » C’est bien le contraire ! La grandeur du Parlement n’est pas de toujours faire payer à la génération suivante nos dépenses publiques de consommation (s’endetter pour payer les retraites n’a rien à voir avec la préparation de l’avenir). La grandeur du choix politique n’est pas de différer toujours à demain les conséquences de nos choix collectifs, c’est de savoir assumer ses choix devant ses électeurs.
Les vrais choix de politique budgétaire ne résident pas dans la fixation des déficits budgétaires, car, avec une dette à plus de 90% du PIB, ceux-ci sont déjà contraints. Qui peut croire qu’avec une telle dette nous avons encore le choix de définir librement nos déficits ?
Le vrai choix budgétaire, la grandeur des choix économiques collectifs est ailleurs : dans le débat sur la taille et la structure des prélèvements obligatoires, d’une part, et sur la taille et la structure des impôts, d’autre part. Les vraies questions budgétaires sont : quelles dépenses publiques ? Quelles dépenses de solidarité ? Pour qui ? Combien de transferts ? À quelles conditions ? Qui paie ces impôts et ces charges ? Comment ? Combien? Le débat budgétaire et politique doit revenir sur le montant et la structure des dépenses et des recettes, et non sur l’écart entre les deux.
Enfin, à propos de la « limitation du politique », on remarquera qu’il existe déjà de nombreuses limites au pouvoir absolu du Parlement: le Conseil constitutionnel, les traités internationaux, l’Union européenne et sa Cour de justice (CJCE). Puisque la quasi-totalité du personnel politique en France est en faveur d’un traité mondial contraignant sur le climat, il devrait être aussi en faveur d’une règle budgétaire qui sera moins contraignante pour notre économie qu’un traité sur le climat. Si vous avez voulu Copenhague, vous devriez vouloir la règle budgétaire contraignante.
Une règle bipartisane
En 2007, la France avait les dépenses publiques de la Suède (52,5% du PIB), mais les recettes publiques étaient de 49,6% du PIB en France, contre 56,3% en Suède.
Une autre critique est avancée : « La règle budgétaire est de gauche, car elle force à augmenter les impôts. » Ou bien : « La règle budgétaire est de droite, car elle force à baisser les dépenses publiques. » En fait elle est bipartisane, car elle constituerait la contrainte de long terme commune aux politiques de gauche et de droite. Avec la règle, deux types de choix sont possibles :
• Des dépenses publiques élevées, avec en face des impôts (et des cotisations sociales) élevés ; chacun étant de même ampleur, en moyenne sur le cycle économique. C’est la version de gauche de l’application de la règle. C’est ce que font les Scandinaves25.
• Des dépenses publiques plus faibles, avec en face des impôts (et des cotisations sociales) plus faibles; chacun étant de même ampleur, en moyenne. C’est la version de droite de l’application de la règle. C’était (plus ou moins) la stratégie, avant la crise, de l’Irlande, du RoyaumeUni et des pays d’Europe centrale.
La règle interdit donc le « socialisme démagogique et inconséquent », c’est-à-dire l’augmentation des dépenses sociales sans augmentation à proportion des recettes.
La règle budgétaire interdit aussi le « libéralisme démagogique et inconséquent », et notamment ses versions américaines, le reaganisme et le bushisme budgétaires, qui consistent à baisser massivement les impôts et à augmenter en même temps les dépenses militaires afin d’empêcher les démocrates de remonter par la suite les dépenses sociales.
La règle budgétaire interdit la conjugaison de politiques de gauche sur les dépenses et de droite sur les impôts. La règle budgétaire force à la cohérence des choix : d’un côté, des impôts et des dépenses de gauche, d’un autre côté, des impôts et des dépenses de droite, mais pas un mélange des deux. Dans une démocratie saine, la gauche doit assumer devant les électeurs les conséquences de ses choix en faveur de dépenses publiques élevées (en proposant des impôts élevés); la droite doit assumer ses choix en faveur de prélèvements obligatoires plus faible (en proposant des baisses de dépenses). À chaque fois, les déficits ne doivent que lisser le cycle économique.
Un ajustement de combien ?
Mon estimation personnelle est de 6 points du PIB à l’horizon de 2012 : 3 points des déficits d’avant la crise, plus 2,5 points à cause de la crise (perte durable de richesses), plus 0,5 point à cause de l’aggravation des déficits des retraites publiques.
Avec la crise actuelle, à politique inchangée, les déficits structurels de la France devraient être de 4,5% du PIB (selon le FMI) à 6,5% du PIB (selon la Commission européenne)26. À l’horizon de 2020, les dépenses de retraites vont augmenter encore d’au moins 1 point de PIB, à cause du vieillissement et du départ à la retraite des baby-boomers. Quant aux dépenses de santé, elles devraient augmenter aussi d’au moins 1 point de PIB d’ici à 2020, à cause du progrès technique médical. On en déduit que l’ajustement sur les finances publiques, pour atteindre l’équilibre budgétaire à l’horizon de 2020, est de l’ordre de 8 points de PIB, soit 160 milliards d’euros d’aujourd’hui. Dans le cas de la règle budgétaire avec préservation des « dépenses d’avenir », l’ajustement sur le reste de l’économie devrait être de l’ordre de 9 à 10 points de PIB sur le reste de l’économie. Ce sont des chiffres considérables, mais comparables à ceux obtenus par les gouvernements scandinaves ou canadien après la récession de 1993. Rappelons que, après la récession de 1993, l’ajustement budgétaire fut chez nous de seulement 3 points de PIB.
Comment réduire les déficits ?
M. Pébereau et al., « Des finances publiques au service de notre avenir. Rompre avec la facilité de la dette publique pour renforcer notre croissance et notre cohésion sociale », rapport sur la dette publique au ministre des Finances, décembre 2005.
Chacun peut avoir son jugement. La réponse n’est pas, à dessein, inscrite dans la règle. Elle appartient au débat démocratique :
• La gauche va favoriser l’augmentation des impôts (le PS l’annonce déjà). Les pays scandinaves ont des recettes fiscales de 3,5 à 6 points de PIB au-dessus des nôtres.
• La droite va favoriser les baisses de dépenses (c’est le leitmotiv du président Sarkozy). C’est très bien que la droite et la gauche assument enfin leurs préférences budgétaires, c’est un excellent débat démocratique – et ce sera une partie importante de la campagne présidentielle de 2012. Il faut que dans les mois et les années à venir les principaux partis expliquent aux électeurs comment ils prévoient de réduire les déficits publics sur dix ans. Le rôle de la règle budgétaire est de coordonner les anticipations politiques : tous les électeurs sachant que la démagogie budgétaire n’est plus possible, les partis devront renouveler leurs propositions et changer de discours. À la différence du rapport Pébereau (2005)27, qui proposait essentiellement une baisse des dépenses et un arrêt des baisses d’impôts, cette note ne prend pas parti sur les moyens de réduire les déficits. Nous pouvons juste prédire, au regard des enjeux et des exemples étrangers, qu’il y aura à la fois des baisses de dépenses, des augmentations d’impôts et des réformes substantielles des retraites publiques. Le débat portera sur la proportion de chacune.
Pour un concours entre les partis. Comme la réduction du déficit budgétaire structurel (6% du PIB) passera par une combinaison des baisses des dépenses publiques et des hausses d’impôts, je suggère qu’avant les élections de 2012, les principaux partis politiques, groupes parlementaires et syndicats soient invités à répondre aux deux questions suivantes :
• « Quels sont les 6 points de PIB (= 120 Md€) de dépenses publiques (parmi les 55 points de PIB de dépenses publiques actuelles) les moins utiles selon vous et que l’on pourrait supprimer d’ici 8 ans ? ». C’est ici forcer chacun à nommer les dépenses budgétaires les moins utiles. Au lieu de dire ce qui est prioritaire, nommer ce qui ne l’est pas – ce qui forcera à affronter les lobbies.
• « Quels sont les hausses d’impôts les moins indésirables, selon vous, à hauteur de 6 points de PIB (= 120 Md€), que vous suggéreriez ou accepteriez sur les 8 prochaines années, sachant que les prélèvements obligatoires sont de 47% du PIB en ce moment ? ». L’idée ici est de forcer les partis politiques et syndicats à révéler la hiérarchie de leurs préférences (il y a toujours des dépenses publiques que l’on aime moins que les autres et des impôts auxquels on répugne moins que les autres).
Qui voterait la règle ?
Les écologistes allemands sont depuis très longtemps favorables à la réforme des retraites au motif de la préservation des générations futures.
En Allemagne, la règle budgétaire a été portée, en 2009, surtout par les socialistes (SPD), et appuyée par la CDU-CSU. Le père de la règle était Peer Steinbrück, ministre SPD des Finances. Les Verts (et les Libéraux dans une moindre mesure) y étaient aussi favorables. Comment trouver en France une majorité au Parlement pour voter une telle règle? À l’UMP, la plupart des députés sont abasourdis par l’ampleur des déficits et de la dette; ils ressentent une certaine culpabilité à l’égard des montagnes de dette qu’ils vont laisser derrière eux. Et le débat sur le grand emprunt ne les a pas rassurés. Au centre, le combat en faveur de l’équilibre budgétaire est inscrit dans les gènes politiques. Les Verts militent pour le développement durable et devraient être en faveur d’une règle28. Les écologistes allemands sont depuis très longtemps favorables à la réforme des retraites au motif de la préservation des générations futures. qui protège les générations futures28. Au PS, une partie importante des députés sont réticents envers les déficits, qu’ils assimilent à du reaganisme budgétaire. Enfin, voter contre une telle règle budgétaire aujourd’hui, c’est voter en faveur de sa contraposée (« oui aux larges déficits perpétuels »). Pourquoi le gouvernement et le président voudraient-ils se lier ainsi les mains ? Premièrement, avec ou sans règle, tous les gouvernements sérieux vont devoir réduire les déficits de 1 point de PIB par an jusqu’en 2018 (c’est à dire l’horizon politique maximal du président). Alors, autant empocher le gain de crédibilité associé à l’adoption d’une telle règle (et ne pas risquer une dégradation de la note financière AAA de la République française). Deuxièmement, si la France ne suivait pas l’Allemagne dans cette voie, elle perdrait de son influence et de sa crédibilité. Finis alors les projets de coopération économique avec l’Allemagne. À la table du G20, nos dirigeants voudront demeurer proches de l’Allemagne et des États-Unis et non pas être assis entre l’Italie et la Grèce. Qui sera contre la règle ? Essentiellement tous les groupes d’intérêts qui bénéficient de niches fiscales ou de dépenses publiques spécifiques. Comme ils sont nombreux, les cris seront puissants. Mais est-ce une raison pour renoncer ?
« En Californie, cela n’a pas marché… »
La Californie est plongée dans une crise budgétaire considérable, alors même que, comme la plupart des États américains, elle a une règle constitutionnelle d’interdiction des déficits. Certains en tirent argument pour s’opposer à l’adoption d’une règle budgétaire en Europe. C’est un mauvais argument, car la crise en Californie vient de ce que :
• Leur règle budgétaire est nominale et non pas hors cycle. Ils doivent donc baisser les dépenses ou augmenter les impôts lors des récessions.
• À la suite des référendums des années 1970 (voir Proposition 13), il faut une super-majorité de deux tiers pour augmenter les impôts, ce qui dans la pratique n’arrive jamais.
• À la suite de référendums, nombre de dépenses ont été sanctuarisées dans la Constitution, ce qui les rend incompressibles. Leur règle budgétaire est donc profondément contradictoire et aveugle. Celle qui est présentée dans cette note est censée ne pas l’être.
Annexes
Graphique 1 : solde des administrations publiques en France depuis 1980. En points de PIB
Source :
INSEE et PLF 2010. FMI (WEO, octobre 2009)
Graphique 2 : solde des administrations publiques (LF + LFSS) hors « dépenses d’avenir » et avec « dépenses d’avenir » (1,5% du PIB). En points de PIB
Source :
Calculs de l’auteur
Graphique 3 : dette publique suivant la règle budgétaire : réduction graduelle des déficits jusqu’à 2018, équilibre budgétaire à partir de 2018 et dette à 40% du PIB au minimum
Source :
Calculs de l’auteur
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