Calais : miroir français de la crise migratoire européenne (1)
Introduction : une crise euro-méditerranéenne
Une crise migratoire et humanitaire Nord-Sud
Occident-monde musulman : deux représentations hautement mobilisatrices
Pourquoi Calais ?
Un problème qui se pose depuis près de vingt ans à Calais, porte d’entrée vers la Grande-Bretagne
L’externalisation de la frontière britannique à Calais
Le précédent de Sangatte
Sangatte, un centre débordé et un traumatisme local profond
Le camp de Sangatte fait l’unanimité contre lui
Fermer Sangatte n’a rien réglé
2009 : arrivée des No Border et destruction de la première jungle calaisienne
Une histoire sans fin ?
2013-2014 : années de tensions à Calais
Des tensions politiques dès l’automne 2013
Une présence des migrants de plus en plus pesante
Vers la fin des squats à Calais ?
2015 ou le syndrome de la perte de contrôle
Un Sangatte à ciel ouvert
Des assauts et des morts
L’objectif du plan Cazeneuve : reprendre le contrôle
Conclusion
Résumé
À Calais, depuis le milieu des années 1990 et l’ouverture du tunnel sous la Manche, la pression migratoire est allée grandissante. Aux réfugiés kosovars ont succédé Afghans, Iraniens, Soudanais ou encore Érythréens, et à la « jungle » pachtoune démantelée à l’été 2009 a succédé, en 2015, la « nouvelle jungle », véritable bidonville en périphérie de la ville. L’ampleur de la crise migratoire européenne, commencée en 2014, a provoqué une situation d’extrême tension.
Dans cette note, les auteurs reviennent sur les épisodes les plus marquants de ces vingt années de présence des migrants à Calais et comment ils ont marqué les esprits des habitants et du personnel politique. Ils analysent la situation particulière de Calais et le rôle des acteurs présents sur le territoire (réfugiés, responsables politiques locaux et nationaux, associations, forces de l’ordre…).
Ils montrent comment la situation a semblé se répéter à Calais pendant une quinzaine d’années pour atteindre en 2015-2016 une intensité inédite, qui a donné le sentiment d’une perte de contrôle par les autorités et d’une véritable submersion. Diffusées localement et nationalement, ces représentations ont fait de Calais le symbole de la crise migratoire, en même temps qu’elles ont participé du phénomène de rejet des migrants par une partie significative des citoyens français.
Jérôme Fourquet,
Directeur du département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop.
Sylvain Manternach,
Géographe-carthographe, formé à l’Institut français de géopolitique.
Calais : miroir français de la crise migratoire européenne (2)
Le Front national face à l’obstacle du second tour
Le Front national en campagnes. Les agriculteurs et le vote FN.
Régionales 2015 (1) : vote FN et attentats
Régionales 2015 (2) : les partis, contestés mais pas concurrencés
Départementales de mars 2015 (1) : le contexte
Départementales de mars 2015 (2) : le premier tour
Départementales de mars 2015 (3) : le second tour
Introduction : une crise euro-méditerranéenne
La crise migratoire, commencée en 2014, redoublée en 2015 et qui s’est poursuivie en 2016, doit être appréhendée à l’échelle euro-méditerranéenne.
Une crise migratoire et humanitaire Nord-Sud
Voir Hérodote, « Géopolitique de la Méditerranée », n°103, 4e trimestre 2001.
Au moins dans les représentations, la zone située des côtes turques au Sinaï, bien qu’à l’est de la Méditerranée, appartient à la façade. La séparation entre la façade sud et la façade nord se matérialise par les détroits du Bosphore et des Dardanelles, limites entre les continents européen et asiatique.
Chiffres du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (www.daunhcr.org/mediterranean/ regional.php).
Ces derniers ont déjà parcouru des milliers de kilomètres lorsqu’ils arrivent dans les pays de transit de la façade sud, ayant traversé les montagnes irano-afghanes puis l’Anatolie ou le Sahara, selon qu’ils viennent d’Asie ou d’Afrique, avant même de tenter la périlleuse traversée de la Méditerranée.
Il s’agit d’abord très symboliquement d’une crise entre les deux rives de la Méditerranée, la rive nord et la rive sud. Comme le rappelle Yves Lacoste, la Méditerranée sépare les pays européens développés, au nord, des pays dits en voie de développement, au sud, cette mer étant traversée par de nombreuses routes migratoires abondamment fréquentées1. C’est plus précisément au sud, depuis les côtes libyennes (et dans une moindre mesure tunisiennes et égyptiennes), et à l’est, depuis les côtes turques, que de nombreux migrants ont quitté cette « façade sud2 » de la Méditerranée pour rejoindre le plus souvent l’Italie, la Grèce ou encore la Bulgarie au nord. Cette traversée a coûté la vie à 500 migrants en 2012, à 600 en 2013, à 3.500 en 2014, à 3.771 en 2015 et à 5.096 en 20163. Ce décompte macabre illustre bien la montée en puissance de cette crise à partir de 2013-2014, ponctuée de naufrages qui provoquent la mort de plusieurs centaines de migrants à la fois. Il est essentiel de noter que, de même que les pays de la façade sud ne sont pas les pays d’origine de la majorité des migrants4, ceux de la façade nord, et ce n’est pas leur faire injure, ne constituent pas la destination finale de l’immense majorité des migrants mais bien la porte d’entrée dans l’espace européen, en particulier dans l’espace de libre circulation Schengen. Ce contexte Nord-Sud facilite la diffusion de l’idée selon laquelle c’est d’abord pour des raisons économiques que les migrants traversent la Méditerranée. Le coût de la traversée incite pourtant à relativiser cette représentation, puisque les populations les plus pauvres des pays concernées ne peuvent absolument pas financer ce périple vers l’Europe. La multiplication des traversées à partir de 2013 (voir graphique 1) ne plaide pas non plus en faveur d’une simple motivation économique puisque cette multiplication ne renvoie pas à une dégradation économique particulière des pays de départ en cette année 2013 mais plutôt aux conséquences des révolutions arabes qui ont déstabilisé des régimes qui maintenaient jusque-là la rive sud de la Méditerranée relativement hermétique.
Graphique 1 : Nombre de traversées annuelles de migrants en Méditerranée entre 2008 et 2016
Source :
données du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
Occident-monde musulman : deux représentations hautement mobilisatrices
Sondage Ifop pour la Fondation Jean Jaurès réalisé par internet du 8 au 10 mars 2016 auprès d’un échantillon national représentatif de 1.005
On peut ajouter au titre des représentations entre ce « Eux » et ce « Nous » le fait que la façade nord regroupe une partie des anciens États coloniaux européens et la façade sud leurs anciennes colonies.
Cette formule, hautement évocatrice, s’est imposée pour dénoncer la libre circulation instaurée dans l’espace Schengen. On la retrouve en France à de nombreuses reprises dans des déclarations de Marine Le Pen ou de Florian Philippot mais aussi de Nicolas Sarkozy (notamment pendant la campagne électorale de 2012).
À la représentation de cette frontière entre un Nord développé et un Sud pauvre, frontière parcourant la Méditerranée, se superpose la limite entre « Occident » et « monde musulman ». Ces deux ensembles constituent, à n’en pas douter, deux des plus puissantes représentations géopolitiques existantes, avec les sentiments d’appartenance nationale. Quelles que soient les différences et divergences bien réelles que l’on retrouve d’un bout à l’autre de cet Occident et de ce monde musulman plus ou moins fantasmés, ces deux notions possèdent une force évocatrice extrêmement prononcée.
Les deux notions sont d’ailleurs d’une importance capitale dans le cadre du djihad lancé par Daech contre l’« Occident croisé » (et Israël) et, par extension, pour ce qui concerne les interrogations et les inquiétudes par rapport à une infiltration des flux de migrants par des commandos terroristes accompagnant l’arrivée de réfugiés syriens en Europe. En mars 2016, 80% de nos concitoyens partageaient ainsi l’idée selon laquelle « parmi les très nombreux migrants qui arrivent actuellement en Europe se trouvent également des terroristes potentiels5 », cette opinion ayant progressé de 14 points à la suite des attentats du 13 novembre 2015, dont plusieurs des auteurs avaient effectivement emprunté la fameuse « route des Balkans ».
Ces éléments constituent un cadre général susceptible de nourrir des représentations d’un « Eux » inquiétant et d’un « Nous » agressé6, qui, aussi bien au niveau européen qu’à l’échelle du Calaisis, rendent plus ou moins envisageables la démarche d’accueil des populations migrantes ou leur rejet massif. De ce « Eux » et ce « Nous » découle également la représentation, majeure chez les mouvements nationaux-populistes européens qui la prédisent et la diffusent depuis des décennies, d’une invasion de l’« Europe passoire7 » par diverses populations « barbares » traversant la Méditerranée et mettant en péril les cultures européennes.
C’est parce que la crise migratoire ne manque pas de renforcer de façon diffuse les partis populistes européens et de structurer de plus en plus le débat politique sur tout le continent (quasi-victoire de l’extrême droite à la présidentielle en Autriche, poussée spectaculaire du parti anti-migrants AfD dans différents scrutins régionaux en Allemagne, victoire des Brexiter en Grande-Bretagne après une campagne quasiment totalement axée sur les frontières et l’immigration…) que l’analyse minutieuse de la situation calaisienne (représentations en jeu, considérations géographiques et étude des facteurs sociologiques favorisant la diffusion des représentations anti- migrants…) revêt un caractère nécessaire.
Pourquoi Calais ?
Un problème qui se pose depuis près de vingt ans à Calais, porte d’entrée vers la Grande-Bretagne
Entretien réalisé à Calais Nord avec un patron-buraliste, juin 2016.
Entretien réalisé avec Alexandre, ex-No Border, proche du PCF, juin 2016.
Même si certains migrants, bloqués dans leur quête d’Angleterre, vivent aujourd’hui en toute légalité à Calais, ils sont une infime minorité. Les statistiques de l’Insee confirment que Calais n’est pas une terre d’immigration : lors du recensement de 2012, on ne comptait que 2,8% d’immigrés dans la population calaisienne, contre 8,8% au plan national.
La raison sans cesse répétée que l’on voit les côtes anglaises « par beau temps » relève de l’anecdote mais souligne aussi le rôle attractif premier de l’Angleterre pour les migrants.
« Les migrants, ça n’est pas nouveau à Calais, ça fait vingt ans que ça dure, on a su faire avec pendant des années8 », « Moi, depuis tout petit, j’en ai toujours vu9 » : ce genre de propos se retrouve dans la bouche de presque tous les Calaisiens car, effectivement, la problématique des migrants n’est pas nouvelle à Calais. Elle ne date pas de la crise migratoire déclenchée en 2014 par l’afflux de migrants sur la côte d’Opale mais plutôt des années 1990. Cela fait donc une vingtaine d’années que les habitants du Calaisis vivent « avec » les migrants selon des modalités diverses (proximité géographique plus ou moins relative, solidarité ou rejet de leur présence…). Ces années ont été ponctuées d’épisodes marqués par une augmentation du nombre de migrants et une visibilité accrue de ces derniers. L’ouverture puis le fonctionnement du camp de Sangatte entre 1999 et 2002, le démantèlement de la jungle des Afghans en 2009 ont notamment donné lieu à un traitement médiatique important et marqué les consciences locales. Cette récurrence de la question migratoire sur un territoire intrinsèquement peu prédestiné à attirer les migrants en quête de s’y installer10 est la conséquence d’une situation géographique unique et paradoxale11.
C’est en effet en raison de la présence des deux principales infrastructures permettant de rallier rapidement et facilement le Royaume-Uni, à savoir le tunnel sous la Manche et le port ferries de Calais, que le Calaisis se distingue du reste du littoral de la Manche. En raison de leur important trafic, ces deux infrastructures majeures de transport de fret et de voyageurs représentent les deux options principales pour les migrants désireux de rejoindre la Grande-Bretagne, y formuler une demande d’asile ou travailler (parfois clandestinement) afin de rembourser leur passage et/ou financer celui de leur famille restée au pays. Ce ne sont toutefois pas les seules options. Des migrants en nombre plus limité s’installent également dans d’autres ports des littoraux de la mer du Nord et de la Manche (Dieppe, Dunkerque, Ouistreham, Cherbourg ou encore Zeebrugge, en Belgique), interfaces maritimes très actives vers l’Angleterre.
Si tant de migrants sont bloqués à Calais et dans tout le Calaisis malgré la présence de ces infrastructures qui permettent la traversée de la Manche très facilement, c’est évidemment parce que l’accès au tunnel et au port leur est refusé, et que la porosité de la frontière s’est considérablement réduite au fil des crises migratoires successives et des aménagements sécuritaires réalisés depuis près de vingt ans. Le temps d’attente pour passer clandestinement en Grande-Bretagne depuis Calais serait passé de quelques jours à la fin des années 1990 à plusieurs mois aujourd’hui. Alors même que fonctionne à Calais une des infrastructures de transport les plus spectaculaires et efficaces de la seconde moitié du XXe siècle, à savoir le tunnel sous la Manche, les migrants et les réfugiés, qui circulaient relativement facilement en Europe jusqu’à cette récente crise, s’entassent donc de plus en plus dans cette zone. La raison est bien plus à chercher dans la frontière administrative et policière entre territoires britannique et français que dans l’obstacle naturel que constituent la Manche et la mer du Nord. En effet, la Grande-Bretagne n’appartient pas et n’a jamais appartenu à l’espace de libre circulation Schengen. Tous les passagers passant par le tunnel, le port ferries de Calais et les autres ports du littoral de la Manche sont donc soumis à un contrôle aux frontières.
L’externalisation de la frontière britannique à Calais
En vertu de plusieurs accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni, le passage de la douane s’effectue sur le territoire de l’État de départ des voyageurs. Cette disposition est absolument centrale dans la crise qui nous préoccupe. Elle a d’abord été mise en œuvre au niveau du tunnel sous la Manche dans le cadre de l’accord de Sangatte, préparatoire à l’ouverture du tunnel sous la Manche. Signé le 25 novembre 1991, cet accord prévoit également la mise en place par chacun des deux États de contrôles douaniers sur le territoire de l’État partenaire. Concrètement, dans le sens du départ vers l’Angleterre, une fois franchie la douane française, les passagers doivent se soumettre au contrôle de la douane britannique. La sortie du tunnel de l’autre côté de la Manche peut ainsi se dérouler sans contrôle et beaucoup plus rapidement. La douane française dispose des mêmes prérogatives à Douvres afin de permettre une sortie rapide des passagers du côté français. La révision à plusieurs reprises de cet accord, notamment par le fameux accord du Touquet, signé en février 2003 à la suite de la fermeture du centre d’accueil de la Croix-Rouge à Sangatte, a entraîné la mise en place d’une procédure identique au port de Calais à partir de 2004. Pour schématiser, on procède à la matérialisation de la frontière britannique sur le sol français avec un poste- frontière à Calais au niveau du port ferries et un autre à Coquelles-Fréthun au niveau du terminal d’Eurotunnel. C’est la conjonction de ce contexte, marqué par la multiplication de ces différents accords entre les deux pays et par le renforcement des contrôles et de la sécurité des deux sites depuis vingt ans, et des crises migratoires successives qui ont abouti à l’accumulation sans précédent de migrants que connaît aujourd’hui le Calaisis.
Le précédent de Sangatte
C’est sous ce terme que sont alors désignés les migrants qui se voient refuser l’accès au territoire britannique et demeurent au terminal du port ferries en attendant de tromper la vigilance des chauffeurs de camion afin d’entrer clandestinement en Angleterre ou dans l’attente d’une solution pour retourner dans leur pays.
Entretien réalisé en juin 2016 avec Francis Gest, secrétaire général EELV-Calais et environs, membre du collectif C’Sur dès les années À la suite du visionnage d’une émission décrivant les conditions de l’asile en Grande-Bretagne, ces familles roms avaient pris un bus « Prague-Londres » et se sont trouvées stoppées au terminal portuaire de Calais.
Le terme « refoulés » sera remplacé plus tard par celui de « réfugiés » dans l’intitulé du collectif en question.
Ils passent d’une quarantaine à environ 70 entre le début et la fin de l’année 1998, et à plus de 100 au cœur du conflit, au printemps 1999.
Dès cette première période, on constate que les structures d’accueil sont rapidement saturées et débordées, situation nourrissant l’idée d’un processus rapidement incontrôlable.
Jusqu’à la création, en 1994, de l’association La Belle Étoile par Véronique Desenclos, le soutien aux refoulés12 s’organisait de façon informelle, selon les bonnes volontés de divers bénévoles locaux. Les effectifs migrants étaient alors
« dérisoires » au regard des chiffres du début des années 2000 et a fortiori de ceux dénombrés aujourd’hui. En 1997, l’arrivée de quelques familles roms de République tchèque13, fuyant le racisme et les brimades, entraîne à la fois une mobilisation plus grande et la création du Collectif de soutien d’urgence aux refoulés14 (C’Sur) – la seule Belle Étoile (mais aussi les bénévoles catholiques) n’étant pas en mesure de soutenir ces quelques dizaines de personnes. Dans ce collectif, on trouve notamment La Belle Étoile, Emmaüs, le Secours catholique, la Ligue des droits de l’homme, l’Action catholique ouvrière ou encore les Verts. Le collectif obtient du préfet la réquisition de l’ancienne maison de retraite Coubertin, à Calais, pour reloger ces familles roms, dont la moitié obtiendra l’asile en Angleterre après quatre mois de procédure et l’insistance du ministère de l’Intérieur français.
Avec la guerre du Kosovo, la pression migratoire à Calais change d’échelle. Dès 1998, les violences dans la future république balkanique mettent de nombreux Kosovars sur les routes. Et on en trouve de plus en plus à Calais qui souhaitent rejoindre l’Angleterre15. À partir d’avril 1999, l’interdiction sur décision du préfet de demeurer au terminal portuaire de Calais met les Kosovars à la rue. Un local de la chambre de commerce et d’industrie (CCI), le hangar Bore, situé à quelques kilomètres du port, est finalement mis à la disposition des réfugiés le 24 avril 1999 et sa gestion est confiée à l’association La Belle Étoile. Prévu pour accueillir de 70 à 80 personnes, ce « dispositif d’accueil des réfugiés du Kosovo » dépassera rapidement ses capacités initiales16 et accueillera entre 120 et 200 réfugiés, notamment des Kurdes irakiens, des Somaliens, des Sahraouis et même un Palestinien. La fermeture du hangar Bore le 4 juin 1999 par le sous-préfet de Calais, au motif que des réfugiés d’autres nationalités y demeurent, jette à la rue plusieurs dizaines de réfugiés qui dorment alors dans le parc Saint-Pierre, en face de la mairie de Calais. Des solutions d’hébergement sont trouvées par les associations pour quelques familles. Les fortes pluies amènent la SNCF à autoriser les migrants à s’abriter et à dormir dans la gare, proche du parc, tandis que certains migrants squattent des bâtiments vides. La situation est donc des plus précaires durant l’été 1999.
Sangatte, un centre débordé et un traumatisme local profond
C’est sur ce site qu’étaient produits des éléments en béton préfabriqués ayant servi à la construction du tunnel sous la Ironie grinçante dont l’histoire a le secret, c’est donc cet endroit qui deviendra quelques années plus tard le lieu où seront placés les migrants… à qui l’on interdit de traverser la Manche.
Anne Guillard, « Quand on tape Sangatte sur Google… c’est “camp de réfugiés” qui sort », fr, 7 avril 2016.
Ibid.
C’est dans ce contexte que l’intervention d’Hélène Flautre, députée européenne les Verts, auprès du préfet et la persévérance des membres du collectif C’Sur entraînent l’ouverture de trois structures d’accueil, dont une dans une ancienne usine d’Eurotunnel17, sur la commune de Sangatte, à quelques kilomètres de Calais. Ouverte le 24 août 1999, gérée par un ancien policier et qualifiée de « centre de rétention » par les associations qui s’en voient refuser l’accès, elle accueille entre 100 et 150 réfugiés mais ferme avant même la fin du mois d’août. C’est une nouvelle intervention, celle de l’abbé Pierre, qui facilite la réouverture de cette structure le 24 septembre 1999, dont la gestion est alors confiée à la Croix-Rouge. Très vite, et comme ce fut le cas pour le hangar Bore, les capacités du centre sont dépassées, voire « explosées ». Ainsi, selon la Croix-Rouge, plus de 67.000 étrangers ont transité par le camp entre septembre 1999 et décembre 2002, et les effectifs présents chaque jour sont passés d’environ 150 à son ouverture à près d’un millier à l’automne 2001 et à plus de 1.500 à l’automne 2002, la Croix-Rouge enregistrant certains pics à plus de 1.800, voire 2.000 personnes accueillies en même temps lors des derniers mois de fonctionnement du centre.
Le camp de Sangatte s’est alors progressivement inscrit dans la mémoire collective comme le symbole de la perte de contrôle par les pouvoirs publics face aux flux migratoires clandestins massifs. Mais le camp de Sangatte constitue parallèlement un véritable traumatisme local. À cet égard, un article d’Anne Guillard pour le journal Le Monde, ponctué de citations de Sangattois réunis dans l’unique bar-tabac de cette petite commune balnéaire, constitue une illustration éloquente des sentiments régnant dans la population locale : « Quand on tape Sangatte sur Google, c’est “camp de réfugiés” qui sort. J’ai encore des touristes qui demandent où ils se trouvent, quinze ans après ! », résume ainsi le patron du bar18. Le sentiment que le camp a laissé une marque indélébile sur l’histoire de la commune constitue la trace la plus flagrante de ce traumatisme. C’est ensuite la question de l’impact local qui est discutée. Un habitué, horticulteur à Sangatte depuis trente ans, évoque des « nuisances qu’on n’avait jamais connues. Les migrants voulaient aller au plus court bien sûr, alors ils ne respectaient pas les clôtures. Des gars se lavaient dans les flaques d’eau laissées après le passage des tracteurs. On n’avait jamais vu ça19 ».
Cette question des nuisances a d’ailleurs occupé une place centrale dans l’entretien que nous a accordé Catherine Fournier, maire de Fréthun depuis 1995, rencontrée dans le cadre de cette étude : « Le phénomène migratoire nous a déjà fortement touchés à l’époque du camp de Sangatte, explique-t-elle. Seules les communes de Sangatte et Fréthun, et un peu Coquelles, ont réellement été ennuyées par ce phénomène à l’époque. Ici, c’est parce que le périmètre d’Eurotunnel et les voies Eurostar bordent les limites de ma commune et de nombreuses habitations. Certains migrants dormaient à proximité du périmètre d’Eurotunnel, au fond des jardins ou des terrains des agriculteurs, dans les cabanons ou les hangars, ce qui entraînait des dégradations et des accidents. J’ai un agriculteur de ma commune dont un hangar a brûlé au début des années 2000. Je ne vous parle pas d’un grand propriétaire terrien mais de quelqu’un qui travaillait tous les jours sans prendre de week-end ni de vacances ! »
Le camp de Sangatte fait l’unanimité contre lui
Selon Francis Gest, les membres de ce collectif tenaient des propos racistes et discriminatoires.
Ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de l’Aménagement du territoire de 2002 à 2004.
Ce n’est pas sans rappeler le positionnement de Jean-Jacques Barthe, maire communiste de Calais, qui déclarait en substance : « J’ai déjà suffisamment à faire avec la misère des Calaisiens, ça n’est pas mon problème, c’est à l’État de s’en occuper ! » (entretien avec Francis Gest, juin 2016). On retrouve aujourd’hui encore au sein du PCF cette question de savoir s’il est pertinent de se focaliser sur la question des migrants ou si le rôle du parti n’est pas de s’occuper des Calaisiens et de leurs problèmes (entretien avec Jean-Jacques Triquet, secrétaire général du PCF-Calaisis, juin 2016).
D’abord, les nouvelles arrivées sont refusées, puis la fermeture définitive est réalisée (plus tôt qu’initialement prévue).
Voir Valérie Gas, « Comment gérer l’après-Sangatte », rfi.fr, 11 novembre 2002.
« La double pression du gouvernement britannique et de la quasi-totalité des élus locaux a fait de Sangatte le centre à abattre. À l’époque, tous les partis politiques, sauf les Verts, se sont prononcés pour la fermeture de Sangatte », se souvient Francis Gest. Cette unanimité répond à un ras-le-bol d’une partie des habitants du Calaisis, qui le font savoir. Un collectif sangattois est notamment constitué20, tandis que la situation autour du site devient ingérable suite à l’afflux massif de migrants. Catherine Fournier se souvient et revendique avoir, durant la campagne présidentielle de 2002, « écrit à tous les députés européens pour leur demander de nous venir en aide. « J’ai vu Jacques Chirac, j’ai remis une lettre à Jean-Paul Delevoye21 lorsqu’il est venu sur le secteur », témoigne-t-elle. Et elle résume ainsi sa position d’élue : « Mon rôle n’est pas de gérer ce phénomène migratoire et, de toute façon, notre territoire n’en est pas capable, je suis l’élue d’un territoire, ma mission est de protéger ce territoire et mes administrés, et uniquement cela !22 »
Jacky Hénin, maire communiste de Calais de 2000 à 2008, ne s’est pas posé non plus en opposant à Nicolas Sarkozy lorsque ce dernier a annoncé la prochaine fermeture du camp, puisqu’il l’a accompagné à Londres, ainsi que Jack Lang, député PS de la circonscription, lors de sa rencontre avec le ministre britannique de l’Intérieur David Blunkett. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, négocie avec les Britanniques la fermeture (en deux temps23) du centre de Sangatte. Le gouvernement britannique accepte alors d’accueillir une partie des exilés (1.039 sur les 1.268 personnes encore présentes à la fermeture du camp).
L’ouverture de Sangatte a permis un comptage extrêmement précis des migrants présents mais a aussi entraîné une visibilité accrue de ces derniers avec, comme conséquence majeure, la montée en puissance puis l’imposition comme grille de lecture dominante de la notion d’« appel d’air » dans le débat politique. À titre d’illustration, alors que la fermeture de Sangatte est actée depuis plusieurs mois, Nicolas Sarkozy déclare en novembre 2002 : « Il faut envoyer un signal au monde entier pour dire que ce n’est plus la peine de venir dans ce hangar du bout du monde parce qu’il n’y a plus d’avenir24. » La représentation selon laquelle ce sont les conditions d’accueil des migrants à Calais – qui n’est pourtant qu’une étape sur leur parcours – qui motivent leur départ de leur pays est dénoncée par les associations et nous semble en effet biaisée. Elle dénote en tout cas d’une erreur d’échelle manifeste. Comme le rappelle l’abbé Boutoille à La Voix du Nord le 28 février 2003 : « Soyons sérieux. La soupe du collectif C’Sur n’est pas réputée jusqu’en Irak […], si les Kurdes viennent à Calais, c’est qu’ils fuient ! » Parmi les diverses hypothèses qui permettent d’expliquer la réalité chiffrée du camp de Sangatte, qui est d’abord une affaire de frontières, nous pensons que la mise en place progressive de l’espace Schengen tient un rôle plus important que le phénomène d’“appel d’air” provoqué par les conditions d’accueil à Calais. Signés le 14 juin 1985 par l’Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas, les accords de Schengen ont été mis en œuvre dans ces cinq pays ainsi qu’en Espagne et au Portugal à partir du 26 mars 1995, puis en Italie le 26 octobre 1997 et en Grèce le 26 mars 2000. Ces accords ont incontestablement favorisé les déplacements à l’intérieur de l’Europe et facilité l’arrivée de migrants à Calais.
Fermer Sangatte n’a rien réglé
Censée régler le problème des migrants, la fermeture de Sangatte n’a pourtant pas tout réglé. Certes, les migrants ont été moins nombreux, mais pour les associations, ils ont surtout été moins visibles, notamment en raison de leur dispersion : quelques centaines en permanence à Calais et quelques dizaines dans d’autres villes portuaires du littoral Manche-Mer du Nord. Ils dorment alors dans des tentes fournies par les associations, se cachent dans les bois, s’abritent sous les auvents ou à l’intérieur de bâtiments vides. D’autres encore s’installent le long des autoroutes, à proximité immédiate des aires de repos où stationnent les camions qui font route vers l’Angleterre. Mais quasiment nulle part leur présence n’atteint la masse critique à partir de laquelle ils constitueraient à nouveau une problématique politique et elle n’attire pas l’attention médiatique.
Natacha Bouchart, candidate UMP, est élue à la mairie de Calais en 2008. Elle met alors fin à un projet de centre d’accueil pour migrants en cours de négociation entre Jacky Hénin, le maire communiste battu, et le collectif historique de soutien aux réfugiés. Selon Francis Gest, membre du collectif C’Sur et candidat Europe Écologie-Les Vets (EELV) à Calais, Natacha Bouchart n’a pourtant pas une politique univoque à l’égard des migrants puisqu’elle « accorde des subventions et des facilités que la municipalité communiste n’avait jamais accordées, mais adopte aussi une position totalement sarkozyste et retoque le projet au nom de l’“appel d’air”. Elle a donné des subventions à Salam, à L’Auberge des migrants ou à La Belle Étoile, par exemple. Elle a mis des douches et des points d’eau au quai de la Moselle et aussi des abris sur le lieu de la distribution des repas, mais dans le même temps elle a systématiquement fait fermer les squats et fait virer les migrants des lieux publics tous les matins. Et elle a été obnubilée par l’arrivée des No Border ».
2009 : arrivée des No Border et destruction de la première jungle calaisienne
Entretient avec Philippe Wannesson, animateur-rédacteur du blog Passeurs d’hospitalités, installé à Calais depuis avril 2009 et relativement proche de ce mouvement (ses coordonnées nous ont été données dans le local No Border du boulevard La Fayette, ce dernier étant loué au PCF calaisien).
Entretien avec Francis Gest, juin La méthode est bien connue (même si le délai de 48 heures n’est pas inscrit dans la loi), notamment de la sénatrice-maire de Calais Natacha Bouchart, qui a fait voter une loi le 24 juin 2015 « tendant à préciser l’infraction de domicile », avec en point de mire la possibilité de procéder plus facilement aux expulsions de squats.
On retrouve sur leur site internet un onglet « ACAB », acronyme d’All Cops Are Bastards (« Tous les flics sont des bâtards »), expression fort répandue dans les milieux de l’ultragauche. À l’hiver 2015, taguée sur une cabine sanitaire dans la partie sud de la jungle, on pouvait également admirer, sous le même acronyme ACAB, la très explicite formulation « Un flic, une balle », que l’on retrouvera dans les manifestations anti-loi El Khomri.
Les Pachtounes sont la principale ethnie afghane. On notera que Calais enregistre l’écho des conflits mondiaux avec l’arrivée de Kosovars à la fin des années 1990, puis d’Afghans fin des années 2000 et, désormais, de Soudanais et d’Érythréens.
L’année 2009 est une année charnière marquante à plus d’un titre. D’une part, les projecteurs médiatiques se braquent à nouveau sur Calais et ses migrants, notamment à l’occasion d’opérations policières importantes. D’autre part, le groupe européen No Border, qui regroupe des personnes qui militent pour l’abolition des frontières et la libre circulation des migrants, s’installe à Calais. Selon Francis Gest, leur arrivée « change le paysage associatif calaisien, car ils ne font pas seulement les choses pour les migrants mais avec eux. Par exemple, ils font la cuisine avec eux plutôt qu’apporter des plateaux-repas ».
Mais ce ne sont pas uniquement les pratiques des associations qui se trouvent modifiées par l’arrivée sur la scène calaisienne de ces militants libertaires et anarchistes qui apportent aussi avec eux leur savoir-faire en matière d’agit-prop et d’occupation de squats. Les No Border organisent ainsi un camp d’été d’une semaine en juin 2009. Majoritairement anglais, ils fondent avec des citoyens français et calaisiens le collectif Calais Migrant Solidarity (CMS), une dénomination qui montre bien la filiation avec les Anglais et la dimension européenne de la problématique soulevée. Dès leur arrivée, les No Border « sont dans le collimateur des pouvoirs publics, il y avait plus de flics autour que de militants25 ». La nouvelle maire de Calais entre rapidement en guerre contre ces militants, qui oscillent entre altermondialisme et gauche radicale, et multiplient les ouvertures de squats dans sa ville. « De nombreux squats ont été ouverts à leur initiative ou avec leur aide, témoigne Francis Gest. Ils ont des juristes, généralement ils arrivent le vendredi soir, restent discrets pendant le week-end, se prennent en photo dans les locaux qu’ils occupent devant le journal du jour ou un autre élément permettant de dater leur arrivée et revendiquent leur occupation le lundi. Après 48 heures, on ne peut plus les expulser d’après la loi puisque le délai de flagrance est dépassé26. » Antiracistes, viscéralement « anti-flics27 » et extrêmement méfiants vis-à-vis des journalistes, leur présence polarise et politise nettement la question des migrants, voire divise les associations à Calais.
Cette même année, le ministre de l’Immigration, Éric Besson, orchestre une série d’expulsions de squats et de campements, avec en point d’orgue, le 22 septembre 2009, la destruction très médiatisée de la « jungle des Pachtounes28 », campement d’environ 80 tentes abritant 800 personnes et situé dans la zone industrielle des Dunes. Le terme de « jungle », bien que probablement issu d’une traduction phonétique maladroite d’un mot en langue persane signifiant « bois », s’invite et s’impose alors dans le discours médiatique. Or il est porteur de représentations très négatives renvoyant à l’aspect sauvage et à l’absence de règles sur cet espace. Dans la droite ligne de la posture adoptée par Nicolas Sarkozy quelques années plus tôt quand il était ministre de l’Intérieur, la fermeté est de mise face à l’immigration clandestine en route vers l’Angleterre et se traduit par la signature de l’arrangement administratif d’Évian qui répartit les coûts de la gestion de la frontière, faisant notamment peser le coût des investissements matériels sur la Grande-Bretagne et celui de leur utilisation (par les fonctionnaires français) sur la France.
Une histoire sans fin ?
Généralement sur décision de justice.
C’est exactement le même processus qui s’est mis en place dans l’Est parisien depuis l’été 2016 où plusieurs dizaines de démantèlements de campements ont eu lieu pour éviter que ne se crée une « jungle » en plein Paris. On voit ainsi, que le cas calaisien a servi de matrice et de laboratoire, et que les problèmes des migrants survenant ailleurs sur le territoire sont aujourd’hui « gérés » et analysés à l’aune de ce qui s’est passé à Calais.
En 1940, on comptait pas moins de 177 denteliers à Calais ; il n’en reste plus que 3 aujourd’hui. Noyon, l’une de ces trois entreprises, a vu ses effectifs fondre de 850 ouvriers en 2002 à 240 aujourd’hui. Voir Nicole Vulser, « Le chemin de croix de la dentelle calaisienne », lemonde.fr, 24 septembre 2016.
Les années suivantes seront marquées par des cycles d’expulsions 29-réinstallations d’une série de squats ouverts par les No Border et/ou par les migrants dans la ville. Militants ou simples citoyens qui apportent aide et soutien aux migrants mais aussi forces de l’ordre connaissent bien ces séquences qui s’apparentent à un jeu du chat et de la souris sans fin que les associations dénoncent comme un harcèlement policier dont le but est de signifier aux migrants qu’ils sont indésirables30. Une fois expulsés d’un camp ou d’un squat, les migrants se dispersent en plus petits groupes, passent leurs nuits dehors dans les parcs ou sous les porches et autres interstices urbains, et dont ils sont généralement délogés au petit matin. Ils tentent ensuite de se réinstaller sur une parcelle abandonnée ou une maison vide mais se font le plus souvent expulser au cours de la journée du fait de la vigilance policière qui suit les opérations d’expulsion. Parallèlement, le travail des associations est rendu plus difficile par l’éparpillement, distribution des repas et soins s’en trouvent bouleversés. De guerre lasse ou suite à une protestation médiatisée, les migrants se réinstallent alors progressivement, de nouveaux squats sont ouverts, de nouvelles procédures sont engagées par les propriétaires, parfois sous la pression de la mairie quand les bâtiments n’appartiennent pas directement à l’Office public de l’habitat de Calais. La durée des procédures, les délais obtenus par les No Border et les hivers espacent les cycles d’expulsions. Ce sont au total des dizaines de bâtiments/logements qui seront squattés successivement. Ainsi trouve-t-on traces de nombreux squats dans d’anciennes usines à Calais. En voici une liste non exhaustive, qui permet aussi de toucher du doigt le phénomène de désindustrialisation31 qui frappe Calais où les friches se multiplient :
- ancienne usine Darquer (squattée dès octobre 2009 à la suite des expulsions de la « séquence Besson », expulsée en mai 2012, seule la façade est préservée) ;
- ancienne usine de menuiserie Paniez, squattée entre 2003 et 2006 puis en 2009-2010 (expulsion en juin 2010) ;
- ancienne usine Thélu, rue Descartes, squattée en 2011 (expulsion en juin 2011) ;
- ancienne usine de dentelle Noyon, squattée en 2011 (expulsion en novembre 2011) ;
- ancienne douane, squattée en 2012 (expulsion le 26 septembre 2012).
De nombreux logements vides sont également squattés. Une fois les squats vidés, les bâtiments sont murés ou détruits par les propriétaires ou la municipalité pour éviter les réinstallations. Quand on circule dans la ville, de nombreux quartiers offrent un spectacle assez saisissant de successions de friches industrielles et de maisons murées. Cette transformation du paysage urbain nourrit les représentations d’une ville en déclin, tout comme, nous le verrons, la multiplication des équipements de sécurité privés et publics vient alimenter le sentiment d’insécurité.
2013-2014 : années de tensions à Calais
Des tensions politiques dès l’automne 2013
Le nom de ce collectif fait référence à la chanson Salut à toi, l’un des titres les plus connus du groupe de rock alternatif des années 1980 Bérurier Noir.
« Calais : Salut ô toit ! Communiqué suite à l’occupation de plusieurs bâtiments », squat.net, 28 février 2014. L’orthographe et la ponctuation sont ici reproduites telles quelles.
En septembre et octobre 2013, les expulsions de squats reprennent et un nouveau cycle d’expulsions-réinstallations s’enclenche. Malgré une volonté politique affichée, Natacha Bouchart ne parvient pas à se débarrasser des militants No Border installés sur sa commune et sait pertinemment que de nouveaux squats vont s’ouvrir. Le 23 octobre 2013, sur sa page Facebook officielle, elle appelle ses administrés à dénoncer les ouvertures de squats :
« Je m’adresse tout particulièrement aux Calaisiens et Calaisiennes touchés par les nombreux squats de migrants sur Calais. La situation est difficile, c’est pourquoi nous faisons le maximum pour vous. Il ne faut pas hésiter à laisser un mail sur cette adresse : securitesquatcalais@gmail.com, lorsque vous voyez des No borders ou des migrants s’implanter illégalement dans une maison. Ainsi, la Police pourra intervenir, en utilisant une procédure spécifique uniquement valable dans un délai de 48H à partir du constat d’intrusion, afin d’évacuer les lieux. Les services de la ville arrivent ensuite pour nettoyer ce qui est possible et condamner le bâtiment. »
Pour ses opposants politiques, ce véritable « appel à la délation » marque un tournant politique local et prépare le terrain à l’extrême droite. Ainsi, selon Jean-Jacques Triquet, secrétaire de section du PCF de Calais, « elle a une lourde responsabilité dans la création du groupuscule Sauvons Calais, qui se crée quelques semaines après son appel à la délation, mais aussi parce que deux de ses adjoints sont allés saluer les gens de ce collectif lors de leur manifestation devant la mairie. Ils leur ont ainsi apporté une reconnaissance officielle ».
Ce collectif prend de l’ampleur et quelques mois plus tard, en février 2014, un face-à-face de près d’une semaine oppose les militants identitaires de Sauvons Calais aux No Border autour d’un squat dans la commune voisine de Coulogne. Assiégés, insultés, menacés et même agressés, les No Border finissent par quitter les lieux. La police s’est interposée mais n’est pas intervenue pour éloigner et disperser les membres de Sauvons Calais. Les tensions sont alors à leur paroxysme comme en atteste le communiqué du collectif No Border Salut ô toit32 qui, le 28 février 2014, revendique l’ouverture de quatre nouveaux squats : « “Sauvons Calais” a depuis lors prolongé la campagne de stigmatisation des squats, campagne qu’il a accompagné d’un discours xénophobe nauséabond. Ce collectif est devenu la branche opérationnelle de l’appel à la délation de la maire de Calais, et a mis en place un système de traque des migrants et des militants pour repérer leurs lieux de vie. S’il était déjà presque impossible de se loger à Calais lorsque l’on était sans abris, et plus particulièrement sans abris et sans papiers, sans être victimes des exactions des autorités, depuis la semaine dernière, un nouveau pallier a été franchi. Des extrémistes et des riverains manipulés ont en effet assiégés une maison squattée par un couple de personnes dans le besoin, ne lésinant pas sur les menaces de mort, les jets de pierres, et les incendies volontaires à coups de cocktails Molotov. Aujourd’hui, à Calais et ses environs, squatter, c’est prendre le risque de se faire lyncher, sous l’œil impassible des forces de police et l’inaction du sous préfet et du préfet33. »
Cet épisode sonne donc comme une victoire pour le collectif Sauvons Calais et focalise un peu plus l’attention autour des squats. La population s’en inquiète d’ailleurs, l’idée qu’un simple départ en vacances suffit pour voir sa maison squattée et se retrouver sans logement se diffuse. C’est pourtant factuellement faux, comme nous l’a expliqué Jérémy, qui a participé aux actions des No Border en 2009-2010 : « On se renseigne sur le lieu que l’on envisage, le but est de faire durer le squat le plus longtemps possible. Une maison vide ou une usine abandonnée, il faut déjà retrouver les propriétaires avant que les procédures judiciaires soient engagées, alors que squatter chez quelqu’un qui part en vacances, c’est se faire virer en quelques semaines, et en plus le but n’est pas de se mettre la population à dos. »
Une présence des migrants de plus en plus pesante
Ils s’y étaient installés en novembre 2013, suite à la fermeture du squat de la rue Neuve.
Ouvert par des exilés syriens après le mouvement de protestation entamé le 2 octobre 2013 par l’occupation de la passerelle d’accès au port, qui dénonçaient le fait d’être délogés tous les matins et de voir tentes et affaires personnelles finir à la déchetterie depuis l’expulsion du squat de la rue Mouron.
« Sécurité portuaire : FO en colère », Nord Littoral, 31 juillet 2014.
« Camions assiégés, port menacé, et l’hoverport désaffecté ? », Nord Littoral, 23 septembre 2014.
« 5 à 10 interventions par garde auprès des migrants », Nord Littoral, 25 septembre 2014.
Le 25 février 2014, Nord Littoral publie une photo de Kevin Reche, leader de Sauvons Calais, arborant une croix gammée tatouée sur la Ses liens et affinités avec Génération identitaire sont également soulignés.
« La police calaisienne dégaine son ras-le-bol » Nord Littoral, 14 octobre 2014.
À l’approche des festivités de l’été 2014 prévues par la municipalité pour la saison touristique, les campements dans lesquels se sont installés les migrants à l’automne 2013 font tache. Dans ce contexte, les expulsions reprennent le 28 mai lorsque des Africains de l’Est sont délogés du quai de la Batellerie34. Les squats No Border ouverts en février et le campement de la rue Lamy35, en face du lieu de distribution des repas, sont eux aussi évacués. En protestation, les migrants se regroupent et occupent le lieu de distribution des repas. Le 1er juillet 2014, les militants repèrent l’arrivée de renforts de police, synonyme d’expulsion imminente. Les militants, alertés la veille, sont présents ainsi que les journalistes. Les forces de l’ordre les maintiennent à l’écart et procèdent à l’expulsion de près de 600 migrants pendant la journée. Environ 200 d’entre eux seront envoyés dans des centres de rétention, les autres étant dirigés vers les commissariats de la région ou encore relâchés dans la nature, loin de Calais. Ils appellent les militants, leur expliquent leur situation et prennent le chemin du retour vers Calais. Ceux placés dans les commissariats sont libérés rapidement et reviennent également massivement. Pour les placés en rétention, la situation est plus complexe mais le résultat final équivalent : issus la plupart de pays vers lesquels la France ne peut les expulser, ils bénéficient d’une décision de justice qui casse les procédures d’expulsion, quand ce n’est pas simplement la préfecture du Pas-de-Calais qui renonce au renouvellement de leur incarcération. Certains sont renvoyés vers l’Italie. L’immense majorité des migrants revient donc à Calais en quelques jours. Si cette opération lancée à l’été 2014 ressemble à un grand coup d’épée dans l’eau, le message envoyé aux migrants est pourtant clair : ils sont indésirables à Calais. Une grande manifestation est organisée le 12 juillet par les associations pour dénoncer les expulsions. À l’issue de celle-ci, une partie du cortège se dirige vers l’ancienne usine Vandamme, c’est le début de l’occupation dite du squat Galloo, dans l’impasse des Salines, à dix minutes de la mairie. La cour de l’usine Tioxide est investie également et un campement y prend rapidement des allures de « jungle ».
Face à l’augmentation du nombre de migrants à Calais, l’opération d’éloignement est sans impact et de nouveaux squats se créent. Début août 2014, Médecins du monde annonce environ 1 200 migrants (contre seulement 200 à l’automne 2013 et 500 en mai 2014) à Calais, répartis dans les différents campements. Seule une infime partie des migrants qui traversent en grand nombre la Méditerranée depuis le printemps essaie de rejoindre l’Angleterre et s’accumule à Calais et sur le littoral. Pour autant, le volume de migrants concerné représente une masse importante à l’échelle du Calaisis et l’augmentation du nombre de migrants n’est pas sans impact sur le secteur. La presse locale s’en fait l’écho, en particulier Nord Littoral, le quotidien de la côte d’Opale. Si à travers les différents articles les lecteurs sont invités à ne pas faire de généralités, la description souvent sans filtre interprétatif donne à voir une situation qui commence à échapper au contrôle des autorités. C’est en particulier le cas, par exemple, dans un article du 31 juillet 2014 consacré aux tentatives d’intrusion de migrants dans les camions qui empruntent le port de Calais pour rejoindre l’Angleterre : « La stratégie a changé […], avant, les migrants se faufilaient par groupes de deux ou trois. Quand ils étaient contrôlés, ça se passait de façon pacifique. Maintenant, ils arrivent en groupe de 15, voire 20. Ils organisent des intrusions simultanées en trois points du port, pour que la police et les agents de sécurité soient débordés […], entre 3 heures et 6 heures, le parking du port-est est livré aux migrants36 », ou encore, dans celui publié le 23 septembre : « Le parking sous douanes, un parking d’attente, est trop petit. Les mardi, mercredi, jeudi, il y a énormément de poids lourds, ça crée des ralentissements, les migrants guettent et après c’est la foire à l’empoignade37. » Ce sont ensuite les pompiers qui sont sollicités pour décrire leur quotidien38, le récent « caillassage » d’un camion lors d’une intervention à l’occasion d’un affrontement entre migrants, attestant la montée des tensions envers cette profession.
À partir du milieu de l’année 2014, on le voit, les conséquences de l’afflux migratoire sont palpables pour un public bien plus large que seuls les militants d’extrême droite de Sauvons Calais, qui sont maintenant clairement identifiés39. Ainsi, le 13 octobre 2014, le syndicat Unité SGP Police-FO organise une manifestation pour réclamer plus de moyens face à l’afflux migratoire. Entre 300 et 500 personnes y participent, dont des transporteurs, des commerçants et des agriculteurs. Selon la presse locale40, « des militants de “Sauvons Calais”, qui étaient venus apporter leur soutien, ont été priés de quitter les lieux ». La manifestation, qui ne se veut pas dirigée « contre les migrants mais contre l’afflux migratoire et le manque de moyens donnés à la police pour y faire face », sera néanmoins pointée du doigt par les militants pro-migrants, la question des migrants commençant à cliver fortement la population calaisienne.
Vers la fin des squats à Calais ?
Cité dans l’article « Calais : contre toute attente, la maire Natacha Bouchart propose de créer un centre pour migrants », fr, 22 août 2014.
Le ministre déclare ainsi le 29 août 2014, sur Europe 1 : « Je ne veux pas d’un nouveau Sangatte à Calais. Parce que la situation à Sangatte, c’était le désastre humanitaire, l’appel d’air pour les migrants, et surtout un extraordinaire terrain de cynisme et d’intervention pour les passeurs. Je ne veux pas de cela ». On voit ainsi qu’à l’époque un ministre de gauche reprend la grille de lecture autour de l’exemple repoussoir de Sangatte et de la problématique de l’« appel d’air ».
Cité dans l’article « Cazeneuve opposé à l’ouverture d’un centre pour migrants à Calais », lavoixdunord.fr, 28 août 2014.
Association Salam, « On a lu, on a vu ».
Pour sa rentrée politique, le 21 août 2014, la maire de Calais Natacha Bouchart crée la surprise en annonçant sa volonté de demander au ministre de l’Intérieur l’ouverture d’un centre d’accueil pour migrants d’environ 400 places à Calais, à la condition que l’État en finance la gestion. L’objectif annoncé, selon la maire, est « de vider à 80% le phénomène [de la présence migratoire] dans la ville [et] de soulager les Calaisiens qui ont droit à un peu de sérénité » et le camp se situera « loin des habitations, car dès qu’on est trop près des riverains, ça devient sensible41 ». En d’autres termes, elle propose le regroupement des migrants en périphérie de la ville afin de mettre fin aux squats du centre-ville qui se reconstituent sans cesse (phénomène contre lequel elle a, on l’a vu, lutté avec détermination mais sans succès) et se dit prête à mettre des locaux ou un terrain à la disposition de l’État. Si le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve rejette cette suggestion42, les contours d’une « plate-forme » regroupant des services et des informations aux migrants (vestiaire, distribution des repas, point d’eau, sanitaires, prestations de santé, accompagnement social et juridique…) en périphérie de la ville se dessinent rapidement. Cette plate-forme n’est d’ailleurs pas la conséquence de l’annonce de Natacha Bouchart mais celle de la venue de Manuel Valls à Calais à la fin de l’année 2013. Initialement dénommé comme « Maison des migrants », le cahier des charges a été proposé par les associations et présenté à la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) par le préfet du Pas-de-Calais Denis Robin, pour validation et financement pendant l’été 2014. L’hébergement réclamé par les associations n’est envisagé que pour les « publics vulnérables », c’est-à-dire des femmes et des enfants.
La proposition annoncée permet en fait à la maire de Calais de reprendre la main dans la négociation qui s’annonce sur la localisation de cette plate- forme. Elle propose le centre Jules-Ferry. Situé à environ cinq kilomètres du centre-ville, à la limite de Marck, à l’est de la zone industrielle des Dunes et de la rocade portuaire, ce centre de loisirs ne sera mis à disposition de l’État que si ce dernier s’engage à en financer un nouveau, que Natacha Bouchart déclare vouloir implanter en centre-ville. Sa proposition vise clairement le démantèlement des squats, car il s’agit là, on l’a vu, d’une des constantes de sa politique municipale. Sa réélection en mars 2014, à l’issue d’une campagne municipale profondément marquée par la question des migrants, montre d’ailleurs qu’une bonne partie des Calaisiens l’a soutenue dans sa démarche. Suite au refus qu’oppose Bernard Cazeneuve à son projet de structure d’accueil en périphérie, elle déclare notamment : « Cela veut dire quoi ? Qu’il compte doubler dans le centre-ville de Calais des dispositifs qui ne fonctionnent pas ? Et on refuse que je propose un lieu d’accueil. On veut que les migrants continuent à dormir dehors et à squatter les biens privés et publics, voilà ce que veut le ministre. Ce n’est pas possible43. » Les militants No Border et les animateurs-visiteurs réguliers des squats ne s’y trompent d’ailleurs pas, Philippe Wannesson déclarant au lendemain de sa proposition : « Telle quelle, la proposition de Natacha Bouchart ne répond pas aux besoins […]. Un lieu d’accueil pour plusieurs centaines de personnes coupé de la ville reproduirait les côtés négatifs du centre de Sangatte, la relégation, la difficulté d’accéder à ses droits, la stigmatisation, la violence sourde ou ouverte qui s’installe dans ce genre de lieu-ghetto. Les solutions à terme sont donc à penser à taille humaine, et dans le tissu urbain, donc participant à une vie sociale normale44. »
2015 ou le syndrome de la perte de contrôle
Un Sangatte à ciel ouvert
Voir Jean-Baptiste François, « À Calais, un “Sangatte à ciel ouvert“ se reconstitue », la-croix.com, 1er avril 2015.
Selon la préfecture du Pas-de-Calais, leur nombre serait passé d’environ 2.500 en novembre 2014 à environ 1.800-1.900 en février-mars 2015.
« Un nouveau bidonville se construit depuis hier », Nord Littoral, 24 mars 2014.
« Le sous-préfet précise que l’État met en place “une démarche pour pouvoir convaincre les migrants de se déplacer vers ce lieu et ainsi de pouvoir récupérer leurs affaires. S’ils ne veulent pas, nous en reviendrons aux évacuations via le biais des forces de l’ordre” » (« Natacha Bouchart veut faire des migrants “un atout” », Nord Littoral, 6 mars 2015).
Entretiens avec Steve Barbet, responsable du service départemental de la Communication interministérielle du Pas-de-Calais, juin-juillet 2016.
Après des mois de tractations et de bras de fer entre la mairie et le ministère de l’Intérieur, la première partie de l’année 2015 est marquée par la mise en route du dispositif d’accueil de jour de l’État au centre Jules-Ferry, à la périphérie de la ville45. Ce dernier ouvre progressivement ses nouvelles activités à partir du premier trimestre 2015, alors que le nombre de migrants a baissé depuis l’automne46, les premiers repas sont servis le 15 janvier par l’association La Vie active (mandatée par l’État), avec l’aide de bénévoles de L’Auberge des migrants et de Salam, associations de soutien aux migrants présentes depuis des années. Des travaux nécessaires (sanitaires, douches pour 1.500 personnes à installer…) pour adapter ce centre à son nouveau public – à l’origine, il s’agissait d’un centre de loisirs pour enfants – repoussent l’ouverture, initialement envisagée pour décembre 2014. Le centre ne sera finalement opérationnel à 100% que le 13 avril 2015, femmes et enfants ayant été accueillis progressivement à partir du 23 mars 2015. Leur arrivée marque le début de la construction du bidonville de la lande47 (dont le nom deviendra ensuite la « jungle », terme à nouveau employé comme il l’avait été quelques années avant pour désigner d’autres campements sauvages), puisque les hommes, s’ils ne sont pas hébergés, sont « tolérés » à proximité du centre Jules-Ferry, sur un terrain marécageux. Bien plus que tolérés, même, ils sont très fortement invités à s’y rendre, la sous-préfecture agitant la menace de prochaines évacuations des squats48 situés en ville. Le sous-préfet de Calais lui-même s’est rendu à plusieurs reprises dans les squats pour rencontrer les « représentants » des différentes communautés49. Au final, au moment du démantèlement des squats, on n’y trouvait plus que quelques migrants et des militants No Border, la plupart des migrants s’étant déjà installés sur la lande ou « auto-expulsés ». Le squat de l’usine Tioxide est fermé début avril et, le 2 juin, les deux derniers squats du centre-ville (Vandamme et Leader Price) sont évacués. À la fin de l’été 2015, après de nombreuses expulsions-réinstallations, il n’y a plus de squat dans le centre-ville de Calais (voir carte 1).
Carte 1 : Des squats du centre-ville à la Nouvelle Jungle en périphérie de Calais
Pourtant, la seconde partie de cette année 2015 va rapidement tourner à la catastrophe. Durant cette année, la crise migratoire européenne s’est en effet intensifiée, puisque 4,7 fois plus de migrants ont traversé la Méditerranée qu’en 2014 et… 17 fois plus qu’en 2013 (voir graphique 1).
Graphique 2 : Nombre de migrants ayant franchi la Méditerranée au cours de l’année 2015 et évolution du nombre de migrants présents à Calais
Source :
Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, préfecture du Pas-de-Calais.
La concomitance entre l’emballement de la crise migratoire en Méditerranée et la hausse très importante du nombre de migrants à Calais entretient l’idée d’un système de vases communicants entre les arrivées sur la rive nord de la Méditerranée et l’afflux mécanique quelques semaines plus tard de migrants à Calais.
« Émeutes dans la jungle : “J’ai connu Sangatte mais là, c’est pire” », Nord Littoral, 2 juin 2015.
- « Migrants : pourquoi les associations se mettent-elles en grève ? », Nord Littoral, 4 juin 2015.
Le nombre de traversées mensuelles de la Méditerranée enregistrées par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) explose littéralement. Les pics mensuels d’août (33.478 traversées) et septembre (33.944 traversées) 2014 sont totalement surpassés pour les mois de mai à novembre 2015, avec un nouveau record de pas moins 221.374 traversées en octobre 2015. Et à plusieurs centaines de kilomètres de la Méditerranée, la situation à Calais tourne au désastre. La nouvelle jungle ou « bidonville d’État », comme l’appellent ceux des bénévoles qui déplorent que les réfugiés aient été déplacés hors de la ville, voit sa population littéralement exploser. Dans le Calaisis, on passe d’environ 2 000 migrants en février-mars à 3.000 en juin pour atteindre un pic de 6.000 migrants en octobre 201550. Le nombre de migrants bloqués à Calais peut sembler marginal par rapport aux flux que connaît la Méditerranée en cette année 2015, mais en dehors de certaines îles grecques, aucun territoire européen ne connaît une telle concentration de migrants et réfugiés.
Le résultat ne se fait pas attendre longtemps, les tensions annoncées par les associations surviennent et une première rixe massive, impliquant entre 300 et 400 migrants, éclate dans la nuit du 30 mai au 1er juin 2015, soit deux mois seulement après la constitution du bidonville en bordure du centre Jules- Ferry. Au cours de ces affrontements, vingt-quatre migrants sont blessés, la confrontation entre Soudanais et Érythréens dure plusieurs heures et nécessite l’appel de renforts « des casernes de gendarmerie d’Ardres, Marquise ou encore Boulogne qui épaulent ainsi celles de Calais et de Marck. Des forces de police de Boulogne, Béthune, Lens et Saint-Omer viennent renforcer le dispositif51 ». Cet épisode est le premier d’une longue liste d’événements qui contribueront à inscrire dans l’imaginaire collectif la ville de Calais comme la nouvelle référence en matière de perte de contrôle par les pouvoirs publics face aux flux migratoires. Calais et sa jungle succèdent ainsi à la commune voisine de Sangatte et à son camp de réfugiés dans les représentations collectives à l’occasion de cette crise migratoire. Par ailleurs, les associations rappellent à l’envi que l’idée de réunir sur un même terrain et dans des conditions précaires, voire indignes, autant de migrants était une mauvaise idée et que dans les squats les tensions étaient plus faciles à gérer52. Elles réclament des aménagements dans la jungle et demandent à l’État de mettre en place une vraie politique humanitaire.
Des assauts et des morts
Entretient avec Michel Boudoussier réalisé en juin 2016.
Ibid.
En fait, 2.000 passages devant les caméras de sécurité, avec des décomptes multiples pour certains individus.
À partir d’octobre 2015, la sécurité du tunnel, situé en zone gendarmerie, est assurée par un seul corps opérationnel, celui des gendarmes mobiles.
À partir d’octobre 2015, la situation évolue sur la rocade et les blocages volontaires de la circulation et les affrontements avec les CRS se multiplieront en novembre 2015 et dans les premiers jours de janvier 2016, et deviendront réguliers à partir d’avril 2016 (selon des interviews réalisées auprès des syndicats policiers et de la préfecture du Pas-de-Calais).
L’afflux massif de migrants entraîne aussi la multiplication des tentatives d’intrusion sur les sites du tunnel sous la Manche et du port (par la rocade portuaire ou depuis l’autoroute A16), et la multiplication des drames humains. Pendant plusieurs mois, le tunnel est l’objet de véritables stratégies pour forcer le passage de la part des migrants. Depuis le début des années 2000, Eurotunnel est certes confrontée sur son site de Calais aux intrusions des migrants dans les camions qui se rendent en Angleterre, mais à partir de mai 2015 celles-ci changent d’échelle : « Tout d’un coup, on a vu cette problématique des migrants dans les camions exploser. D’un flux contrôlé par les passeurs, avec des intrusions parfois très loin de Calais, on est passé à une logique de libre entreprise, à des stratégies individuelles. Il y avait des migrants tout du long de l’autoroute en attente d’un ralentissement et d’opportunités pour entrer dans les camions en route vers le tunnel53. » La mise en place de fouilles automatiques débouchant sur le débarquement des migrants cachés dans les camions s’avère efficace, mais les migrants s’adaptent et répondent à cette mesure par une nouvelle stratégie, comme l’explique Michel Boudoussier, directeur du site Eurotunnel à Calais54 : « Suite à ça, on a assisté à l’augmentation des tentatives d’intrusion directement sur le site pour se glisser dans les véhicules qui ont déjà passé les contrôles de frontières ou sur les navettes ferroviaires. En juin 2015, ça explose complètement et finalement, là aussi, on a l’impression qu’on est passé d’un système régi et organisé par les passeurs et donc d’une logique de discrétion à des stratégies globales et individuelles à la fois, des attaques massives, peu importe si on se fait voir. Des groupes de 80 à 100 personnes qui prennent d’assaut certains points et forcent le passage. Il y a eu une nuit où l’on a compté 2.000 migrants55. Ces attaques étaient de mieux en mieux organisées avec des comportements quasi militaires, des attaques construites avec des stratégies, des leurres pour mobiliser les effectifs de sécurité à un endroit pendant que d’autres essayaient de passer ailleurs. »
Ce n’est qu’au prix de la pose de pas moins de 43 kilomètres de nouvelles clôtures le long du périmètre du site – qui a aussi vu certains secteurs être déboisés ou inondés (pour constituer autant d’obstacles aux tentatives d’intrusion) –, du recrutement d’une centaine d’agents de sécurité supplémentaires et suite à l’arrivée des renforts de gendarmerie56 que les tentatives d’intrusion sur les installations du site d’Eurotunnel cessent à la fin du mois d’octobre 2015.
Au niveau du port, la situation est légèrement différente. Les tentatives restant essentiellement dépendantes des ralentissements sur la rocade et sur l’autoroute A1657, elles sont en quelque sorte plus spontanées mais présentent de plus en plus, comme pour le tunnel, un caractère massif. Autre point commun, ces tentatives sont parfois mortelles pour les assaillants. Pour le tunnel, ce sont les personnels d’Eurotunnel qui sont confrontés aux décès des migrants sur le site, tandis qu’au niveau de l’autoroute et de la rocade, les routiers mais aussi les autres automobilistes risquent de renverser un migrant et de le blesser gravement ou de le tuer. En 2013, trois migrants avaient perdu la vie à Calais et sur le littoral. L’année 2014 fut nettement plus meurtrière, avec quatorze décès, mais c’est en 2015 que le nombre de morts sera le plus important puisqu’on y déplore vingt-cinq morts sur l’année. Plus dramatique encore, on ne comptait qu’un décès au début du mois de juin 2015, mais ils se sont enchaînés lorsque les migrants se sont entassés à Calais et ont multiplié les tentatives d’intrusion sur le site du port et dans les camions sur la rocade portuaire et l’autoroute A16 qui y mène. Le graphique 3 met particulièrement en évidence la dégradation de la situation et la détermination des migrants.
Graphique 3 : Nombre de décès de migrants du fait d’accidents ou de violences à Calais en 2015
Source :
blog Passeurs d’hospitalités.
À la suite de cet été meurtrier, Bernard Cazeneuve se rend à Calais le 21 octobre 2015 et annonce une série de mesures en réponse à la crise calaisienne, dont le but est de réduire le nombre de migrants à Calais et de reprendre le contrôle d’une situation dramatique.
L’objectif du plan Cazeneuve : reprendre le contrôle
« Calais : Cazeneuve annonce que 1 346 migrants ont été expulsés de France depuis janvier », lemonde.fr, 15 septembre 2016. Le nombre de migrants ayant rejoint les CAO était d’environ 4 500 au début du mois de juillet 2016 (entretiens avec Steve Barbet).
Alors que la préfecture estime qu’entre 800 et 1.000 migrants se trouvent dans la moitié sud de la Jungle, les associations annoncent la présence de 3.450 migrants dans cette zone sur la base de leur recensement.
La première mesure prise, dont découleront les deux autres annonces qui seront faites ensuite, est le renforcement de la frontière, avec l’arrivée de 300 gendarmes et de 160 CRS supplémentaires. Ils s’ajoutent aux 225 gendarmes et aux 440 CRS déjà présents. Au total, si l’on ajoute les policiers de la Police aux frontières et ceux de la sécurité publique (le commissariat de police de Calais), les effectifs des forces de l’ordre sur Calais s’élèvent à environ 1.600 personnes, ce qui pour une ville de la taille de Calais est tout à fait hors norme. Foncièrement, ces renforts ne constituent ni une surprise, ni une nouveauté (les pouvoirs publics ayant déjà procédé à plusieurs reprises à l’envoi de renforts, alimentant ainsi l’idée d’une situation en dégradation constante). En revanche, les autres mesures annoncées marquent une réorientation politique profonde et un changement d’échelle géographique.
Ces autres mesures visent à réduire le nombre de migrants dans la jungle. Plus les migrants sont nombreux, plus la situation est compliquée à gérer. Les images d’affrontements violents entre les CRS et les migrants se multiplient et l’impact politique s’annonce majeur. La deuxième mesure phare consiste donc en la réalisation d’un centre d’hébergement en dur de 1.500 places. L’objectif de ce « centre d’accueil provisoire » n’est pas l’accueil à long terme des migrants qui se trouveront bloqués à Calais. S’il est dès le départ « sous-dimensionné » face aux 6.000 migrants présents dans la jungle, c’est parce qu’il a pour but de faciliter leur départ de Calais vers un nouveau dispositif, à savoir l’ouverture partout en France de centres d’accueil et d’orientation (CAO) ou « centres de répit », où les migrants pourront poursuivre ou entamer leurs démarches de demande d’asile. L’ouverture de ces CAO constitue donc la troisième annonce. Concrètement, le centre d’accueil provisoire doit permettre aux migrants qui arrivent à Calais de se reposer et de recevoir une information concernant l’asile en France par les services de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Il tient de rôle de sas de sortie dans le dispositif. Idéalement, les migrants qui acceptent de renoncer à passer en Angleterre sont envoyés vers les CAO répartis partout en France, afin d’y effectuer une demande d’asile. Enfin, si celle-ci reçoit une réponse positive, ils sont alors dirigés vers des centres d’accueil des demandeurs d’asile (Cada).
Dans la réalité, convaincre les migrants s’avère difficile, la prise d’empreinte palmaire à l’entrée du centre d’accueil provisoire est vivement critiquée par les associations et inquiète les migrants. En effet, certains risquent en vertu du règlement Dublin III (entré en application le 1er janvier 2014) d’être renvoyés dans le pays par lequel ils ont pénétré dans l’espace Schengen, ce qui s’est généralement accompagné d’une prise d’empreinte digitale. Dans ce cadre, le pays où il a été procédé à la prise d’empreinte est considéré comme responsable de la demande d’asile du demandeur. Pour les migrants à Calais, c’est donc le spectre d’un renvoi vers l’Italie, la Grèce ou encore la Bulgarie que soulève cette question des empreintes.
Néanmoins, depuis le 27 octobre 2015, ce sont plus de 5.700 migrants qui ont rejoint les 184 CAO présents dans toute la France58. D’après la préfecture du Pas-de-Calais, la nouvelle politique a permis de faire baisser le nombre de migrants présents à Calais. De 6.000 en octobre 2015, ils n’étaient plus que 4.500 en décembre et 3.500 en mars 2016. Avant même l’ouverture du centre d’accueil provisoire, une partie des migrants avait quitté Calais. Selon les associations, un certain nombre de demandeurs d’asile en attente dans le bidonville d’une place en Cada ont été intégrés dans le décompte, ce qui a permis de gonfler le bilan chiffré du dispositif. Entre 15 et 20% des migrants quittent les CAO sans donner de nouvelles, tandis que 80 à 85% entament ou ont entamé une demande d’asile d’après la préfecture du Pas-de-Calais. L’ouverture en deux temps (mi-janvier, puis mi-février) des 1.500 places d’hébergement associée aux départs volontaires vers les CAO a permis à l’État d’envisager le démantèlement de la partie sud du bidonville. Une bataille juridique a opposé l’État aux associations suite à la saisie du tribunal administratif le 18 février 2016 par plusieurs associations, parmi lesquelles L’Auberge des migrants et Help Refugees. Ces dernières ont notamment réalisé un recensement des migrants sur la jungle qui diffère nettement de celui de la préfecture59. Le jugement du tribunal administratif de Lille du 25 février 2016 a validé le démantèlement, tout en sauvegardant certains aménagements collectifs (école, églises et mosquées, notamment). La destruction de la zone sud a démarré le lundi 29 février 2016 et a été émaillée de nombreuses violences. On notera que face aux risques encourus par les incendies de cabanes où se trouvent de nombreuses bombonnes de gaz, les pompiers ont exercé leur droit de retrait mais aussi, qu’au-delà des violences, une dizaine d’Iraniens se sont cousus la bouche, provoquant un vif émoi. Les travaux se sont achevés le 15 mars 2016.
Conclusion
« Christian Estrosi : “Non à la création de micro jungles de Calais au cœur de nos régions” », nicematin.com, 10 septembre 2016.
Cité par Jean-Baptiste de Montvalon, Nathan Loheac et Patrick Roger, « Surenchère à droite sur le démantèlement de Calais », lemonde.fr, 21 septembre 2016.
Anne Guillard, « Les migrants sont de retour à Calais », lemonde.fr, 21 janvier 2017.
Données du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. On notera que cette forte baisse résulte du tarissement quasi complet de la route migratoire dite de la Méditerranée orientale (de la Turquie vers la Grèce) depuis avril 2016.
À l’inverse de la route migratoire de Méditerranée orientale, celle de la Méditerranée centrale (de la Libye vers l’Italie) ne s’est pas tarie en 2016. Le nombre de traversées en ce début d’année 2017 est légèrement supérieur à celui de 2016 (9.101 traversées entre le 1er janvier et le 29 février 2016, contre 9.449 entre le 1er janvier et le 15 février 2017). En cas de multiplication des traversées à partir du printemps, comme ce fut le cas en 2016, les migrants en quête d’Angleterre pourraient affluer à nouveau sur le Calaisis.
Le démantèlement partiel n’a pas permis, bien au contraire, de faire diminuer la pression migratoire à Calais et les autorités se trouvent confrontées à une nouvelle hausse du nombre de réfugiés (la préfecture en annonce 6.900 au 19 août 2016, tandis que L’Auberge des migrants et Help Refugees revendiquent le recensement de 10.188 migrants au 12 septembre). Aussi Bernard Cazeneuve a-t-il annoncé en septembre 2016 le démantèlement intégral de la jungle pour la fin de l’année. Pour ce faire, le ministre de l’Intérieur compte créer partout en France 12.000 places d’hébergement d’ici à la fin de l’année 2016. Il a adressé une note aux préfets le 1er septembre afin de leur préciser le nombre de places à créer région par région et leur a demandé de procéder au recensement des sites pouvant accueillir temporairement les migrants évacués de Calais.
La polémique engagée par Laurent Wauquiez, à l’initiative d’une pétition pour refuser la répartition des migrants de Calais sur l’ensemble du territoire, a montré combien la seule évocation de Calais et de sa « jungle » sert aujourd’hui de repoussoir politique, tandis que dans un communiqué de presse Christian Estrosi lui emboîtait le pas en proclamant : « Non à la création de micro-jungles de Calais dans nos régions60. » Hervé Morin, président de la région Nomandie, signalait quant à lui au Monde son refus de « participer à la création de mini-Calais sur les côtes normandes61 ».
Les très fortes réserves de l’opposition n’empêchent pas le démantèlement d’avoir lieu. Il débute le lundi 24 octobre 2016 à l’aube et s’achève le mercredi 26 octobre au soir. Les associations coopèrent, les migrants font la queue pour rejoindre les bus qui les conduisent vers les CAO.
Ces images, diffusées dans tous les journaux télévisés, assurent le succès médiatique de l’opération, marquée par une communication politique maîtrisée, en dépit des nombreux départs d’incendies dans la jungle et la situation en attente de plusieurs centaines de mineurs isolés désireux de rejoindre l’Angleterre.
Toutefois, il semble qu’une fois de plus l’histoire bégaie à Calais. Malgré la forte pression policière pour empêcher la réinstallation de migrants, deux mois après le démantèlement de la jungle, les associations présentes sur place font part d’un mouvement de retour des réfugiés62 depuis la fin du mois de décembre 2016. Des mineurs isolés n’ayant pas obtenu l’accès à l’Angleterre et des primo-arrivants composent les quelques dizaines de migrants dispersés dans la ville que les associations retrouvent lors des maraudes rétablies en janvier 2017.
Alors même que les traversées en Méditerranée sont au plus bas (6.856 en janvier 2017 contre 73.135 en janvier 201663) et que les autorités ont pour objectif d’empêcher la réinstallation de migrants à Calais, un retour partiel des réfugiés a bien lieu. Si cette tendance semble aujourd’hui, encore maîtrisée, qu’en serait-il en cas d’augmentation massive des traversées en Méditerranée64 ? De même, les autorités sont aujourd’hui extrêmement attentives afin d’éviter la réinstallation des migrants à Calais, mais les moyens qui y sont consacrés ont-ils vocation à perdurer et que se passera-t-il si la pression se relâche ?
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