Départementales de mars 2015 (1) : le contexte
Liste des abréviations des partis ou mouvements politiques utilisées dans cette note
Introduction
Le rapport des Français à leur département
L’offre de candidatures : les forces en présence
Le Front National a présenté le meilleur taux de couverture
Le poids des divers droite et divers gauche
Un fort éclatement de l’offre politique à gauche
Une forte présence du front de gauche, signe de la fracture existant au sein de la gauche
Le profilsosciologlique des candidats: une certaine homologue avec la sociologie des électorats
Résumé
Les 22 et 29 mars 2015, les Français ont été appelés aux urnes pour élire leurs conseillers départementaux. Cette note, la première d’une série de trois consacrées à ce scrutin, s’intéresse au regard porté par les électeurs sur leur département ainsi qu’à l’engagement des forces politiques dans cette bataille électorale. À partir de nombreux sondages réalisés par l’Ifop, la note analyse l’attachement des différentes catégories de la population à leur collectivité départementale, leurs doutes quant à son avenir mais aussi leurs attentes.
Les auteurs passent ensuite en revue l’offre de candidatures, détaillant notamment l’impact du nouveau maillage territorial du Front national et de l’éclatement des candidatures de gauche. Enfin, ils s’attachent à réaliser un profil sociologique des candidats selon leur sensibilité politique afin de pouvoir le comparer avec celui de l’ensemble des Français.
Jérôme Fourquet,
Directeur du département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop.
Sylvain Manternach,
Géographe-carthographe, formé à l’Institut français de géopolitique.
Départementales de mars 2015 (1) : le contexte
Départementales de mars 2015 (2) : le premier tour
Départementales de mars 2015 (3) : le second tour
Européenne 2014 (1) : la gauche en miettes
Européenne 2014 (2) : poussée du FN, recul de l'UMP et vote breton
Élections européennes 2009 : analyse des résultats en Europe et en France
Liste des abréviations des partis ou mouvements politiques utilisées dans cette note
CPNT : Chasse, pêche, nature et traditions
DVD : divers droite
DVG : divers gauche
EELV : Europe Écologie-Les Verts
EXD : Extrême droite
EXG : Extrême gauche
FdG : Front de gauche
FN : Front national
Modem : Mouvement démocrate
PCF : Parti communiste français
PG : Parti de gauche
PRG : Parti radical de gauche
PS : Parti socialiste
UD : Union de la droite
UDI : Union des démocrates et indépendants
UG : Union de la gauche
UMP : Union pour un mouvement populaire. Depuis le 30 mai 2015, l’UMP a changé de nom et s’appelle désormais Les Républicains.
Introduction
Les 22 et 29 mars 2015, les Français ont été appelés aux urnes pour élire leurs conseillers départementaux. Suite à la loi du 17 mai 2013, ces derniers remplacent les conseillers généraux, tandis que les conseils généraux deviennent des conseils départementaux. En cette année 2015, l’ensemble des assemblées départementales ont été renouvelées et, dorénavant, elles le seront intégralement tous les six ans. La nouveauté réside dans ce renouvellement intégral (les conseils généraux étaient jusqu’ici renouvelés par moitié, ce qui avait pour conséquence d’atténuer les effets de bascule), mais aussi et surtout dans l’instauration d’un scrutin binominal et paritaire, puisqu’à partir de cette élection les électeurs devront désigner un binôme homme-femme au suffrage majoritaire à deux tours. Ce passage au scrutin binominal a imposé le redécoupage des cantons afin de diviser leur nombre par deux et de permettre un rééquilibrage démographique des cantons. Paris, la métropole de Lyon, la Guyane et la Martinique n’étaient pas concernés par ce scrutin.
Ce scrutin intermédiaire était très attendu après les revers enregistrés par la gauche aux élections municipales et européennes de 2014 et du fait de la dynamique du Front national observée depuis 2012. La présence de candidats du FN dans presque tous les cantons laissait augurer d’un résultat historique pour ce parti, mais le grand vainqueur de cette élection est finalement et incontestablement la droite. La stratégie de rassemblement de cette dernière a très bien fonctionné puisque, au lendemain de ces élections, elle a conquis 27 départements et n’en a perdu qu’un seul. À l’inverse, le grand perdant est la gauche qui perd 27 départements et n’en dirige plus que 30, victime d’une véritable vague bleue. Le FN, quant à lui, réalise un bon score et se maintient à un niveau élevé mais il ne poursuit pas sa dynamique et s’avère incapable, car trop isolé, de remporter un seul département.
La présente analyse se propose d’éclairer les principaux résultats de cette élection à partir de données d’enquêtes et d’une analyse de géographie électorale menée à différentes échelles.
Le rapport des Français à leur département
Sondage Ifop pour Dimanche Ouest-France réalisé par Internet du 27 février au 5 mars 2015 auprès d’un échantillon national représentatif de 1.400 personnes.
À deux semaines du premier tour des élections départementales, moins de 3 Français sur 10 (29%) connaissaient le nom du président de leur conseil général (15% pensaient le savoir, mais à tort), attestant de la sorte le déficit de notoriété dont pâtissent ces institutions locales et leurs représentants1. Les personnes les plus âgées semblaient toutefois plus au fait que leurs cadets : 48% des personnes âgées de 65 ans et plus ont été en mesure de donner le nom exact du président de leur conseil général, contre 15% seulement pour les moins de 35 ans, génération qui lit moins la presse quotidienne régionale ou les magazines édités par les conseils généraux. De la même façon, les habitants de l’agglomération parisienne, territoire où les notions de département et de conseils généraux sont moins incarnées, apparaissaient en retrait (21%, – 8 points par rapport à l’ensemble).
Par ailleurs interrogés sur la répartition des compétences, les Français penchent en faveur du maintien aux conseils généraux de chaque compétence testée. L’écart entre les personnes souhaitant que la compétence reste attribuée au niveau départemental et celles désirant que celle-ci soit transférée au niveau régional est tangible pour ce qui constitue le cœur d’activité de l’institution : l’action sociale (44% des interviewés préfèrent que l’aide sociale reste gérée au niveau du département, contre 31% qui préfèrent un transfert à la Région), les transports (scolaires, 44% contre 34% ; entretien des routes départementales et des axes locaux, 42% contre 36%) ou les aides au développement économique local (42% contre 34%). En revanche, sur la construction et l’entretien des collèges, il est difficile de dégager une inclinaison pour l’une ou l’autre des solutions, l’écart n’étant que de 4 points entre les partisans de la compétence départementale (41%) et ceux de la compétence régionale (37%).
Tableau 1 : Choix entre conseil général et conseil régional pour l’attribution de différentes compétences
Question : Vous savez que dans le cadre de la réforme territoriale, les compétences actuelles des conseils généraux, c’est-à-dire les départements, pourraient être attribuées aux conseils régionaux. Pour chacune des compétences suivantes, estimez-vous qu’il faudrait qu’elle reste attribuée aux conseils généraux ou qu’elle soit transférée aux conseils régionaux ?
Dans le détail et de manière assez attendue, il apparaît que les ruraux témoignent d’un attachement plus grand aux compétences du conseil général. Il en est ainsi concernant les transports scolaires (50%, + 7 points par rapport aux urbains), l’entretien des routes départementales et des axes routiers locaux (45%, + 3 points), les aides au développement économique local (47%, + 6 points) ou la construction et l’entretien des collèges (45%, + 6 points). Sans surprise, les partisans de la suppression des conseils généraux sont plus enclins à favoriser le transfert des compétences proposées aux conseils régionaux. Pour autant, il en demeure systématiquement environ un tiers pour se prononcer pour leur maintien au niveau départemental !
Enfin, il convient de noter que la question de l’action sociale du département est celle qui divisait le plus équitablement les Français, quasiment aucun écart ne se faisant jour selon leur lieu d’habitation (45% des habitants de zone rurale préféreraient qu’elle reste attribuée aux conseils généraux, 44% au sein des communes urbaines de province, 39% dans l’agglomération parisienne). Même le fait d’adhérer à la suppression des conseils généraux ne génère pas de rejet massif du maintien de la compétence au niveau départemental: 38% des interviewés favorables à la suppression des conseils généraux sont tout de même d’avis que cette compétence leur reste, contre 38% pour un transfert à la Région.
Autre enseignement de cette enquête : à deux semaines des élections les concernant, l’existence même des conseils généraux était clairement questionnée et divisait les Français, puisque 52% d’entre eux se déclaraient favorables à la suppression de l’institution locale. La légitimité de la représentation départementale, fortement affaiblie par l’impact de la crise économique et la sensibilité plus forte de nos concitoyens à la dépense publique, vacille en effet depuis le début de l’année 2014 où 6 Français sur 10 se prononçaient alors en faveur de leur suppression.
Tableau 2 : Adhésion à la suppression des départements
Question : Êtes-vous favorable ou opposé à la suppression des conseils généraux, c’est-à- dire des départements, qui fusionneraient avec les régions ?
C’est donc un certain rééquilibrage des positions qui s’observait à la veille du scrutin (52%, – 8 points en faveur de la suppression de l’échelon), comme si les arguments déployés par les « départementalistes » à l’occasion des débats sur la réforme territoriale avaient fini par rencontrer un certain écho, notamment dans les campagnes. En effet, c’est parmi les ruraux que l’adhésion à la suppression a le plus reculé : – 11 points par rapport à l’enquête d’avril 2014, contre – 7 points parmi les urbains de province et – 4 points seulement en région parisienne.
Les clivages observés précédemment se vérifient, les personnes témoignant d’un attachement plus fort à l’institution étant, assez logiquement, plutôt en faveur de son maintien (60% des habitants de communes rurales sont opposés à la suppression des conseils généraux, + 14 points par rapport aux citadins). Quant au clivage politique, il s’opère davantage entre les partis dits de gouvernement et les extrêmes, qu’entre gauche et droite : 61% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon en 2012 et 57% de ceux de Marine Le Pen sont opposés à la suppression des départements, contre 39% des électeurs de François Hollande, 40% de ceux de François Bayrou, et 41% de ceux de Nicolas Sarkozy.
L’offre de candidatures : les forces en présence
Si l’opinion était partagée sur le sort de l’institution départementale et sur l’éventuel transfert des compétences historiques des conseils généraux aux conseils régionaux, les élections départementales des 22 et 29 mars s’annonçaient malgré tout comme un rendez-vous politique d’importance dans la mesure où la dimension nationale de ce vote devait être beaucoup plus présente que lors des élections municipales. Ainsi, interrogés dans le cadre du Tableau de bord politique Ifop-Fiducial pour Paris-Match et Sud Radio, seulement 47% des Français envisageaient de se prononcer principalement en fonction de considérations locales, contre 69% à l’occasion des municipales. Cette dimension nationalisée du scrutin n’était a priori pas une bonne nouvelle pour la gauche, car le vote sanction risquait de s’y exprimer avec une grande intensité : 40% des personnes interrogées avaient ainsi l’intention de sanctionner le couple exécutif et sa politique, contre 20% au moment des municipales, pourtant déjà particulièrement meurtrières pour la gauche. Cette sanction pouvait encore être amplifiée par le très fort éclatement de l’offre politique à gauche, telle qu’elle ressort de l’analyse des données publiées par le ministère de l’Intérieur.
Le Front National a présenté le meilleur taux de couverture
Le dénombrement sur la base des données publiées par le ministère de l’Intérieur a permis d’établir un état des lieux des forces en présence. Le FN affichait le meilleur taux de couverture, avec une présence de binômes dans 1.896 cantons sur 1.995, soit un taux de 95%. Pendant longtemps, et même lors des élections municipales de mars 2014, la formation frontiste a éprouvé des difficultés à mailler le territoire et a souffert de ressources militantes limitées. Lors des cantonales de 2011, par exemple, le FN n’avait aligné que 1.360 candidats alors que 2.000 cantons étaient soumis à renouvellement (soit un taux de couverture de 67%). Il semblerait que cet obstacle a été surmonté et qu’en dépit de polémiques sur le profil et le recrutement de personnalités controversées dans différents cantons, le parti se soit constitué un vivier militant suffisamment étoffé pour se présenter quasiment partout. On notera que parmi les 1.560 élus municipaux que le FN a fait élire en mars 2014, 1.170 étaient candidats aux départementales. Ce taux de couverture presque total conjugué à sa très forte audience attendue – un sondage Ifop pour Le Figaro créditait le FN de 30% d’intentions de vote à quelques jours du scrutin – pouvait déboucher, lorsque le ministère de l’Intérieur totaliserait les résultats de chaque canton, sur un score national très élevé.
Graphique 1 : Taux de couverture des différentes formations politiques pour les élections départementales
Inversement, la droite (représentée par les binômes UMP-UDI ou Union de la droite) et le PS (binômes PS ou Union de la gauche) risquaient de voir leur score national respectif mécaniquement tiré à la baisse par le fait qu’ils n’étaient pas présents dans environ un cinquième des cantons. Mais à côté de ces 79 et 78% de cantons pourvus en candidats « officiels » de la droite et du PS, on pouvait ajouter respectivement 16 et 14% de cantons dans lesquels il n’y avait pas de binôme officiel mais un binôme divers droite ou divers gauche dont on peut penser qu’il était soutenu dans une bonne partie des cas par l’UMP-UDI ou le PS. Avec cet appoint, le taux de couverture des deux grandes forces politiques devenait similaire à celui du FN : 95% pour l’UMP-UDI et 92% pour le PS. Au soir du premier tour, la définition du périmètre pertinent à retenir pour calculer les scores de la droite et de la gauche revêtira une vraie importance politique et symbolique dans la mesure où selon que l’on agrégera ou non les divers droite à l’union UMP-UDI, cette dernière pourrait se retrouver soit devant, soit derrière le FN.
Le poids des divers droite et divers gauche
Intellectuellement parlant, il n’est pas évident de trancher cette question dans la mesure où comme le montre le graphique 2, les configurations dans lesquelles se présentaient les candidats DVD et DVG étaient très variables. Dans respectivement 44 et 38% des cas où ils étaient présents, ces « divers » n’affrontaient pas de candidat officiel, et il pouvait alors être légitime d’additionner au plan national leurs scores à ceux de l’UMP et du PS. Mais dans une majorité de cas (56 et 62%), les divers se retrouvaient en concurrence avec les candidats officiels et il était donc difficile d’agréger leurs scores avec ceux du PS et de l’UMP au soir du premier tour pour déterminer quelle formation était arrivée en tête.
Graphique 2 : Configurations dans lesquelles se présentent les divers gauche et les divers droite
Les cartes 1 et 2 représentent les départements où les dissidences exercées par les divers droite et les divers gauche ont été proportionnellement les plus nombreuses. On constate une forte présence des DVD en situation de primaires en Île-de-France (notamment du fait d’un important contingent de binômes Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan) et en Rhône-Alpes, mais aussi et surtout dans quasiment tous les départements méditerranéens. Les candidats de l’UMP ou de l’Union de la droite affrontaient ainsi des DVD dans les deux tiers des cantons des Bouches-du-Rhône et dans la moitié de ceux du Vaucluse et des Alpes-Maritimes. Cette forte dispersion pouvait apparaître particulièrement dangereuse dans une zone où la poussée frontiste risquait d’être très puissante mais le risque d’une non-qualification de la droite au second tour était à relativiser car la gauche était structurellement faible dans cette région et également divisée.
Carte 1 : Pourcentage de cantons où des binômes UMP et DVD s’affrontent au 1er tour
Carte 2 : Pourcentage de cantons où des binômes PS et DVG s’affrontent au 1er tour
On comptait six binômes du Parti radical de gauche dans le Tarn-et-Garonne, fief de Jean-Michel Baylet, six également dans les Hautes-Pyrénées et quatre dans chacun des bastions du radicalisme que sont la Haute-Corse, la Charente-Maritime et l’Aveyron.
Les divers gauche ont quant à eux fait peser leur pouvoir de nuisance de manière un peu plus fréquente (468 cas de primaire avec le PS, contre 414 pour les DVD avec l’UMP) dans des départements répartis un peu partout sur le territoire. On voit ainsi apparaître certains départements où les radicaux de gauche sont historiquement implantés2, notamment dans le Sud-Ouest (Midi-Pyrénées), voire dirigent le conseil général (Puy-de-Dôme), ou dans les Bouches-du-Rhône en proie à la dissidence guériniste ainsi que toute une série d’autres départements PS-DVG. La plupart de ces derniers présentaient la caractéristique commune de ne présenter aucun binôme estampillé Front de gauche (Oise, Rhône ou Maine-et-Loire) ou quasiment aucun (Côtes- d’Armor, Drôme et Yonne). Cette situation qui pouvait résulter d’alliances réalisées par le FdG avec les Verts ou avec le PS avait, par ricochet, incité à des candidatures divers gauche : soit des socialistes désavouant ces accords ou s’estimant lésés avaient décidé de se présenter en dissidents, soit des personnalités de gauche voyant qu’un espace se libérait ont tenté leur chance. Au total, ces nombreux candidats « divers » ont drainé à eux un volume de voix important. Au soir du premier tour, les binômes estampillés divers gauche par le ministère de l’Intérieur – on verra plus loin qu’une bonne part d’entre eux pouvaient en fait être assimilés à des candidatures EELV ou FdG – ont totalisé 6,8% de suffrages et les divers droite quasiment le même score (6,7%). Ces résultats ont été obtenus, on l’a vu, dans la majorité des cas en situation de primaire entre un binôme officiel et un « divers » qu’on pourrait qualifier de dissident. Les électeurs qui se sont portés sur ces candidats l’ont donc fait en connaissance de cause et vraisemblablement parce qu’ils ne souhaitaient pas voter pour le candidat « officiel » de leur camp. Cette plus grande distance aux deux grands partis des électeurs DVG et DVD se retrouve dans les taux de reports au second tour de ces deux électorats. Ainsi, en cas de duels gauche-droite au second tour et selon les enquêtes Ifop réalisées, les voix des divers gauche et divers droite se sont très mal reportées sur le candidat de leur camp respectif resté en lice comme le montre le graphique 3.
Graphique 3 : Reports des voix des divers gauche et divers droite au second tour en cas de duels gauche-droite
On retrouve le même phénomène en cas de duels face au Front national. Dans cette configuration, seuls 38% des électeurs DVG se reportent sur le candidat de gauche affrontant le FN (les électeurs du Front de gauche se reportent à 65% et ceux du PS à 83%), une très large majorité (60%) choisissant l’abstention ou le vote blanc.
Dans la configuration symétrique, 48% des électeurs DVD se reportent sur le candidat de droite opposé au FN (les électeurs UMP-UDI-Modem se reportant à 85%), 50% décidant de s’abstenir ou de voter blanc. La présence de ces candidats divers droite et divers gauche a donc contribué à la dispersion électorale à gauche et à droite, et à la fragmentation du corps électoral, mais elle a également permis au premier tour de détourner de l’abstention des électeurs qui auraient difficilement opté pour les binômes socialistes et UMP.
Un fort éclatement de l’offre politique à gauche
Ces chiffres ne prennent pas en compte les nombreux binômes « divers gauche » formés en fait par des membres du FdG ou d’EELV mais qui n’ont pas été répertoriés comme tel par le ministère de l’Intérieur. Nous abordons ce point dans Départementales de mars 2015 (2) : le premier tour, Fondation pour l’innovation politique, août 2015.
Mais le PS ne devait pas affronter que la seule concurrence de DVG, il était également confronté dans de très nombreux cantons au Front de gauche (ou à une de ses composantes) et, dans une moindre mesure, à Europe Écologie-Les Verts. D’après nos pointages, le PS se voyait opposé au FdG et à EELV dans 232 cantons, au FdG seul dans 731 cantons et à EELV seuls dans 85 cantons3.
Tableau 3 : Fréquence des différentes configurations à gauche
Au total, et alors que le parti de la rue de Solférino et le bloc UMP-UDI alignaient à quelques unités près (1.552 contre 1.566) le même nombre de binômes, du fait du très fort éclatement de l’offre politique à gauche le PS ne serait le seul représentant de la gauche que dans 12% des cantons alors que l’alliance UMP-UDI se retrouverait seule dans son camp au premier tour dans 54% des cantons. Le graphique 4 traduit la même idée : la gauche n’allait être représentée par un seul binôme que dans seulement 21% des cantons, alors que la droite le serait dans ce cas dans 69% des cantons.
Graphique 4 : Répartition des cantons en fonction du nombre de candidats présentés par la gauche et par la droite et le centre
Ce spectaculaire décalage dans l’éclatement de l’offre politique à droite et à gauche risquait d’avoir de lourdes conséquences pour cette dernière. Or il semble que la division de la gauche a eu un impact certain mais limité sur la capacité de ses candidats à se qualifier pour le second tour. Comme le montre le graphique 5, et de manière totalement contre-intuitive, on constate en effet que le taux d’élimination des candidats socialistes (ou étiquetés Union de la gauche) au premier tour diminue d’autant plus que le nombre d’autres binômes de gauche était élevé dans le canton.
Graphique 5 : Taux d’élimination des candidats socialistes ou Union de la gauche en fonction de la configuration à gauche du premier tour
Dans les 245 cantons où le PS n’affrontait aucun concurrent à gauche, ses candidats ont été éliminés au soir du premier tour dans 29,4% des cas, alors que ce taux n’a été que de 20,3% dans les 64 cantons où le PS était face à trois ou quatre autres binômes de gauche.
Ce paradoxe s’explique par un fait relativement simple : les différentes formations ou personnalités de gauche ont été d’autant plus tentées de se présenter que le canton apparaissait favorable à la gauche. On constate en effet que plus le total des voix de gauche et d’extrême gauche aux élections européennes était élevé dans un canton, plus le nombre de candidatures à gauche était important. À l’inverse, comme on peut le voir sur le graphique 6, c’est dans les cantons les moins favorables à la gauche (à l’aune du résultat des européennes) que les vocations ont été les plus rares.
Graphique 6 : Score de l’ensemble de la gauche et de l’extrême gauche aux européennes en fonction du nombre de binômes de gauche aux élections départementales
La dispersion des voix de gauche consécutive à une offre de candidats très fournie a donc d’abord concerné les cantons les plus à gauche, ce qui est venu limiter l’impact négatif de la division. Cette dernière a joué un rôle dans l’échec de la gauche mais n’en est pas la cause unique et « automatique », comme le montre par exemple le cas du département du Nord. Il ressort en effet de l’analyse des rapports de forces canton par canton que le basculement à droite de cet emblématique bastion de la gauche n’est pas imputable à la seule division. Le tableau 4 montre ainsi que, dans plusieurs cantons où la droite et le FN étaient faibles, la division de la gauche ne l’a pas empêchée de se qualifier au second tour et de l’emporter la plupart du temps en duel face au FN.
Tableau 4 : Département du Nord : bien que divisée, la gauche se qualifie au second tour dans de nombreux cantons
Mais dans d’autres cantons, où droite et FN étaient plus puissants, la division de la gauche (plus aboutie : trois binômes se présentant souvent contre généralement deux dans les cantons précédemment cités) a conduit à son élimination à l’issue du premier tour, alors que le total des voix de gauche était pourtant assez conséquent.
Tableau 5 : Dans d’autres cantons, la division a été fatale à la gauche
Une forte présence du front de gauche, signe de la fracture existant au sein de la gauche
Afin de pouvoir observer de la manière la plus claire possible les seuls reports du FdG sur le PS, nous avons volontairement laissé de côté les cantons où se présentaient en plus du PS et du FdG d’autres candidats de gauche.
Évaluée selon le nombre de binômes présentés, la concurrence la plus vive pour le PS était celle du Front de gauche qui l’affrontait dans un canton sur deux. Soucieuse de préserver ses mairies et son réseau d’élus municipaux, la direction du PCF avait largement joué le jeu de l’union à gauche dès le premier tour des municipales dans de nombreuses communes il y a un an seulement. Si cette décision tactique, qui avait fortement irrité Jean-Luc Mélenchon, avait pu être justifiée idéologiquement en mettant en avant les bilans et les projets municipaux des équipes de gauche, le paysage politique avait beaucoup évolué en douze mois. Avec l’arrivée de Manuel Valls à Matignon et d’Emmanuel Macron à Bercy, le virage social-libéral s’était encore nettement accentué, à tel point que le prix idéologique pour justifier des candidatures communes devenait beaucoup trop élevé pour le PCF. Dans ce contexte, on a observé un nombre élevé de primaires FdG-PS en Île-de-France, notamment dans le département de la Seine-Saint-Denis, longtemps dirigé par le PCF, avec des duels dans 90% des cantons séquano- dionysiens. C’était le cas également dans d’autres bastions communistes : duels FdG-PS dans 74% des cantons de Seine-Maritime et dans 78% de ceux du Nord, mais seulement 42% dans l’Allier, conseil général également présidé par un communiste. Mais cette combativité a été très fortement tempérée dans certains départements où la menace frontiste était réelle et où le FdG a conclu des alliances avec les autres formations de gauche. Ainsi, en vertu d’un accord avec EELV, on ne comptait aucun binôme estampillé Front de gauche dans l’Oise (des membres du FdG étaient présents dans certains binômes, mais ces derniers n’étaient pas siglés FdG). On n’en dénombrera de la même façon que dans 12% des cantons du Vaucluse, dans 22% de ceux de la Somme et dans 29% de ceux de l’Aisne. Mais en dépit de la pression frontiste s’exerçant également dans d’autres départements, le Front de gauche a quand même voulu se compter en présentant par exemple des binômes dans 57% des cantons du Var, 59% de ceux des Alpes-Maritimes et dans 81% de ceux de Moselle. On notait enfin une présence très clairsemée du Front de gauche dans des départements comme la Drôme ou l’Yonne (du fait d’une alliance avec EELV), dans les Côtes-d’Armor (dans plusieurs cantons des tickets PS-PCF ont été constitués) ou bien encore dans le Maine-et-Loire où le PCF s’est allié à Nouvelle Donne.
Cette forte présence du FdG ou de l’une de ses composantes n’est pas en soi inédite, le PCF ayant en effet historiquement aligné des candidats dans la plupart des cantons, mais par rapport aux municipales de 2014 elle traduit néanmoins les tensions grandissantes au sein de la gauche et l’hostilité croissante du monde communiste et de la « gauche de la gauche » à la politique menée par le tandem Hollande-Valls.
Cette opposition se lira également au second tour au travers de mauvais reports de l’électorat du FdG sur le PS. Pour tenter de mesurer ce phénomène, nous nous sommes concentrés sur les 193 cantons où avait lieu une primaire PS-FdG au premier tour4 et dans lesquels le binôme du Front de gauche a été éliminé à l’issue du premier tour. Dans l’ensemble de ces cantons, les candidats PS progressent en moyenne entre les deux tours de 14,2 points, en partie du fait des reports de l’électorat du FdG (qui pèse en moyenne 9,5% dans ces cantons) mais aussi de l’apport d’abstentionnistes de gauche qui ne se sont mobilisés qu’au second tour, voire de celui d’autres électeurs (de candidats « divers », par exemple).
On peut évaluer cette progression « mécanique » ou « naturelle » à +4,7 points, que l’on obtient en retranchant à la progression du PS (+ 14,2 points) le score du FdG au premier tour (9,5%). Une fois déterminée cette progression « naturelle », on peut dans un second temps calculer la progression théorique des candidats socialistes canton par canton en ajoutant cette progression « naturelle » au score du FdG dans le canton. Or, comme le montre le tableau 6, plus le niveau du Front de gauche était élevé au premier tour, plus l’écart négatif entre la progression théorique du PS et sa progression réellement observée est fort.
Tableau 6 : L’ écart entre la progression « théorique » et la progression réelle du PS est indexé sur le score du Front de gauche
Quelque 3% optant pour le vote en faveur du candidat de droite.
En d’autres termes, plus le vote FdG était élevé au premier tour et plus le manque à gagner par rapport au potentiel des voix de gauche a été important pour le PS au second tour. Le fait que cet écart augmente linéairement avec le niveau du vote FdG au premier tour indique que nous sommes en présence d’un phénomène qui s’est répété dans la plupart des cantons et dont l’intensité a causé du tort au PS.
Les données de sondages de l’Ifop confirment cette observation. Les interviewés ayant voté pour le FdG au premier tour et confrontés au second tour à un duel gauche-droite ont certes déclaré pour 60% d’entre eux voter pour le candidat de gauche restant en lice au second tour, mais 37% ont indiqué une préférence pour l’abstention ou le vote blanc5, soit un manque à gagner très important pour la gauche au second tour.
Carte 3 : Pourcentage de cantons où un binôme PS est présent
Mais il semblerait que, plus structurellement et compte tenu du climat d’opinion national très défavorable à la gauche, les socialistes (anticipant une défaite ?) n’aient pas redoublé d’efforts dans toute une série de départements historiquement acquis à la droite. On voit en effet apparaître sur la carte, en filigrane et de manière imparfaite, les bastions traditionnels de la droite. Le PS n’alignait ainsi des binômes que dans moins de 40% des cantons de Lozère, Haute-Savoie, Haut-Rhin ou de la Manche. La présence socialiste était inférieure à 50% des cantons dans l’Aube, l’Eure-et-Loir, le Cantal ou bien encore l’Aveyron, et à 65% en Vendée, dans l’Orne, le Calvados, la Marne, la Haute-Marne, la Meuse, les Vosges, la Savoie et les Alpes- Maritimes.
L’UMP, quant à elle, couvrait moins de 50% des cantons dans certains départements favorables à la gauche, qu’il s’agisse de l’Ariège, du Tarn, du Gers, du Lot, de la Haute-Vienne et des Côtes-d’Armor, mais aussi dans différents territoires pourtant marqués à droite. C’est le cas dans le Cantal, l’Aveyron, la Lozère, la Manche ou bien encore dans l’Est, dans l’Aube, la Haute-Marne, les Vosges ou la Meuse, du fait de la présence de candidats divers droite, UDI ou Union du centre, alors même que bon nombre de ces conseils généraux étaient dirigés par un président UMP.
Le profilsosciologlique des candidats: une certaine homologue avec la sociologie des électorats
Hormis la présentation détaillée de l’offre politique canton par canton, le profil des différents candidats fourni par le ministère de l’Intérieur comportait également des informations concernant la profession des membres des binômes enregistrés. Il est vrai que certaines personnes n’ont pas rempli cette case, mais les éléments disponibles étaient assez complets et permettent de dresser un portrait sociologique des candidats des grandes formations.
On constate tout d’abord une forte présence des cadres du privé et du public (17,7% de l’ensemble des candidats) et des enseignants (8,3%). Mais ces deux groupes sociaux sont inégalement représentés selon les familles politiques. Comme le montrent les graphiques 7 et 8, cadres et enseignants étaient proportionnellement plus nombreux parmi les candidats écologistes.
L’UMP se distinguait par une légère sous-représentation des enseignants, tandis que PS, FdG et UMP comptaient une proportion assez similaire de cadres dans leurs rangs.
Graphique 7 : Proportion de cadres parmi les candidats
Graphique 8 : Proportion d’enseignants parmi les candidats
Concernant ces deux groupes, le FN se singularisait nettement avec seulement 9,5% de cadres ou d’enseignants, contre 26% en moyenne. Ce déficit en CSP+ était comblé par une très nette surreprésentation des ouvriers et employés du privé (graphique 9) : 22,6% des candidats frontistes appartiennent à l’une de ces deux catégories, soit 10 points de plus que la moyenne. Les importants efforts de recrutement de militants et de candidats fournis par le FN dans le cadre de cette campagne ont donc d’abord porté leurs fruits dans les milieux populaires. Ceci démontre une nouvelle fois l’ancrage de ce parti dans ces milieux (le FN y obtenant ses meilleurs résultats électoraux), ancrage faisant aujourd’hui défaut aux autres principales formations politiques (à l’exception du FdG). On notera que c’est au PS que la proportion d’employés et d’ouvriers du privé était la plus faible (6,5%).
Graphique 9 : Proportion d’employés ou ouvriers du privé parmi les candidats
Cette proportion est identique à ce que pèsent les chefs d’entreprise et les professions libérales (7,2%) parmi les candidats du parti à la rose (graphique 10). Ce groupe social y est quasiment représenté à son poids moyen alors que les petits indépendants (agriculteurs, commerçants et artisans), eux, y sont sous-représentés (graphique 11). De façon plus marquée et de manière assez attendue, le FdG souffre d’un vrai déficit dans ces deux catégories, alors que l’UMP semble avoir eu beaucoup moins de mal à y recruter (26,5% pour le total des deux groupes contre 16,6% en moyenne).
Graphique 10 : Proportion de chefs d’entreprise et de professions libérales parmi les candidats
Graphique 11 : Proportion d’agriculteurs, d’artisans et commerçants parmi les candidats
Ces deux catégories agrégées étaient quasiment à leur poids moyen parmi les candidats frontistes, mais on constate néanmoins un léger déséquilibre au profit des indépendants et au détriment des chefs d’entreprise et professions libérales, ce qui vient encore renforcer la surreprésentation des CSP– et/ou des moins diplômés dans les troupes lepénistes. À ce clivage s’en ajoute un autre, celui opposant privé et public (graphique 12). L’ensemble des salariés et des retraités de la fonction publique représentait en effet un gros tiers (35,3%) de l’ensemble des candidats, mais cette proportion y était nettement supérieure (plus de 50%) au FdG et au PS ; alors qu’elle n’atteignait que 26,7% à l’UMP et seulement 16,6% au FN.
Graphique 12 : Proportion de salariés ou retraités du public parmi les candidats
Pour une présentation plus complète sur cette mode de comptabilisation via les prénoms, voir Jérôme Four- quet, Nicolas Lebourg et Sylvain Manternach, Perpignan, une ville avant le Front national ?, Fondation Jean- Jaurès, décembre 2014.
La proportion la plus élevée (8,5 %) est observée parmi les candidats divers gauche. Ceci témoigne d’un tro- pisme assez marqué en faveur de la gauche de la population issue de l’immigration mais aussi de la difficulté rencontrée par ces candidats à se faire investir par ces partis d’où le choix de candidatures indépendantes. On retrouve par exemple ce phénomène assez fréquemment en Seine-Saint-Denis.
Sur la base de cette analyse du profil des candidats apparaissent de manière très appuyée les tropismes sociologiques de chaque famille politique : la gauche et la fonction publique, l’UMP et les CSP+, le FN et les catégories populaires du privé. Ainsi la tripartition du paysage politique entre trois blocs – gauche, droite, FN – renverrait également d’une certaine manière à une tripartition de l’espace social.
On constate par ailleurs que la nouvelle loi électorale n’a pas vraiment permis une meilleure représentation des catégories populaires au sein des candidats. On observe, parallèlement, que les personnes issues de l’immigration étaient très peu présentes. Les candidats portant un prénom d’origine arabo- musulmane ne représentaient en effet que 3% du total des candidats6. Si cette proportion était un peu plus importante à gauche, avec 4,5% parmi les candidats PS et EELV, 3,7% au FdG, contre 1,8% seulement à l’UMP-UD et 0,6% au FN7, force est de constater que la « diversité » n’a pas fait de progrès significatif à l’occasion de ce scrutin. Ce dernier, en revanche, du fait de l’introduction du principe du binôme paritaire, a abouti à une féminisation massive de l’univers des conseillers départementaux. Mais si la parité a été mécaniquement atteinte par la loi d’un point de vue quantitatif (les femmes représentant 50% des élus), des progrès demeurent à faire au plan qualitatif : à l’issue du « troisième tour », les femmes ne représentent en effet que 10% des présidents de conseils généraux.
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