Départementales de mars 2015 (2) : le premier tour
Liste des abréviations des partis ou mouvements politiques utilisées dans cette note
Introduction
Une abstention élevée
Le score des différentes forces politiques
La sociologie des différents électorats
La droite unie a viré en tête
Le PS victime du vote sanction et de la division à gauche
Quel a été le score réel d’Europe Ecologie-les Verts ?
Le Front de gauche a amélioré légèrement son score au premier tour, mais a vu au finales positions s’éroder
La dynamique frontiste
Les votes régionalistes
Les stratégies ace aux triangulaires
Le désistement républicain a été plus pratiqué par la gauche
Les critères ayant prévalu au maintient ou au retrait des candidats de gauche
Des cantons où la gauche s’est maintenue en début d’une possible victoire du FN
La géographie de la tripolarisation
Résumé
Le 22 mars 2015 s’est déroulé le premier tour des élections départementales. Cette note présente de manière détaillée les résultats afin d’en comprendre les ressorts et d’en décrypter les principaux enseignements. Étudiant tout d’abord la variable clé de l’abstention dans les différents cantons, les auteurs mettent au jour les dynamiques à l’œuvre et présentent les déterminants d’un tel comportement.
Ils analysent ensuite les scores des différentes forces politiques en présence et dressent un portrait sociologique des différents électorats. Jugeant les multiples tactiques électorales à l’aune de leurs résultats, entre union de la droite et désunion de la gauche, cette note s’intéresse également à la concurrence des votes régionalistes. Elle revient enfin sur les fortunes diverses des stratégies mises en places face aux triangulaires.
Jérôme Fourquet,
Directeur du département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop.
Sylvain Manternach,
Géographe-carthographe, formé à l’Institut français de géopolitique.
Départementales de mars 2015 (1) : le contexte
Départementales de mars 2015 (2) : le premier tour
Départementales de mars 2015 (3) : le second tour
Européenne 2014 (1) : la gauche en miettes
Européenne 2014 (2) : poussée du FN, recul de l'UMP et vote breton
Élections européennes 2009 : analyse des résultats en Europe et en France
Liste des abréviations des partis ou mouvements politiques utilisées dans cette note
CPNT : Chasse, pêche, nature et traditions
DVD : divers droite
DVG : divers gauche
EELV : Europe Écologie-Les Verts
EXD : Extrême droite
EXG : Extrême gauche
FdG : Front de gauche
FN : Front national
Modem : Mouvement démocrate
PCF : Parti communiste français
PG : Parti de gauche
PRG : Parti radical de gauche
PS : Parti socialiste
UD : Union de la droite
UDI : Union des démocrates et indépendants
UG : Union de la gauche
UMP : Union pour un mouvement populaire. Depuis le 30 mai 2015, l’UMP a changé de nom et s’appelle désormais Les Républicains.
Introduction
Les 22 et 29 mars 2015, les Français ont été appelés aux urnes pour élire leurs conseillers départementaux. Suite à la loi du 17 mai 2013, ces derniers remplacent les conseillers généraux, tandis que les conseils généraux deviennent des conseils départementaux. En cette année 2015, l’ensemble des assemblées départementales ont été renouvelées et, dorénavant, elles le seront intégralement tous les six ans. La nouveauté réside dans ce renouvellement intégral (les conseils généraux étaient jusqu’ici renouvelés par moitié, ce qui avait pour conséquence d’atténuer les effets de bascule), mais aussi et surtout dans l’instauration d’un scrutin binominal et paritaire, puisqu’à partir de cette élection les électeurs devront désigner un binôme homme-femme au suffrage majoritaire à deux tours. Ce passage au scrutin binominal a imposé le redécoupage des cantons afin de diviser leur nombre par deux et de permettre un rééquilibrage démographique des cantons. Paris, la métropole de Lyon, la Guyane et la Martinique n’étaient pas concernés par ce scrutin.
Ce scrutin intermédiaire était très attendu après les revers enregistrés par la gauche aux élections municipales et européennes de 2014 et du fait de la dynamique du Front national observée depuis 2012. La présence de candidats du FN dans presque tous les cantons laissait augurer d’un résultat historique pour ce parti, mais le grand vainqueur de cette élection est finalement et incontestablement la droite. La stratégie de rassemblement de cette dernière a très bien fonctionné puisque, au lendemain de ces élections, elle a conquis 27 départements et n’en a perdu qu’un seul. À l’inverse, le grand perdant est la gauche qui perd 27 départements et n’en dirige plus que 30, victime d’une véritable vague bleue. Le FN, quant à lui, réalise un bon score et se maintient à un niveau élevé mais il ne poursuit pas sa dynamique et s’avère incapable, car trop isolé, de remporter un seul département.
La présente analyse se propose d’éclairer les principaux résultats de cette élection à partir de données d’enquêtes et d’une analyse de géographie électorale menée à différentes échelles.
Une abstention élevée
Les résultats du premier tour des élections départementales ont été marqués par une abstention élevée, qui s’est établie à 49,7%. C’est parmi les électeurs de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle que l’abstention a été la plus forte (56%), suivie par les électeurs de François Bayrou (45%) – mais le Modem présentait très peu de candidats, ce qui peut expliquer qu’une bonne partie des électeurs centristes se soit abstenue – et de François Hollande (44%). Les électorats de la droite et du Front national se sont davantage mobilisés (respectivement 39 et 41% d’abstentionnistes dans les électorats de Nicolas Sarkozy et de Marine Le Pen), même si le différentiel de participation entre l’opposition et la majorité gouvernementale n’a pas autant été marqué qu’il l’avait été aux élections européennes. Ainsi, alors qu’aux européennes la dynamique frontiste avait permis de faire refluer (ou de contenir) l’abstention, cela n’a pas été le cas pour ce scrutin. Le graphique 1 montre en effet une absence de lien statistique entre intensité du vote FN et abstention.
Graphique 1 : Taux d’abstention en fonction du niveau du vote FN au premier tour
Sondage Ifop et Fiducial pour iTélé, Paris-Match et Sud Radio réalisé par Internet le 22 mars auprès d’un 11 échantillon représentatif de 2.797 personnes inscrites sur les listes électorales.
Ce niveau d’abstention élevé a relancé le débat autour du vote obligatoire. Sans se prononcer philosophiquement sur le fond de cette mesure, on peut néanmoins s’interroger sur son adéquation au problème qu’elle serait censée résoudre. En effet, les principaux déterminants de l’abstention, tels qu’ils sont évoqués par les électeurs s’étant abstenus, témoignent de la profondeur du fossé qui s’est creusé entre une partie du corps électoral et le « monde politique ». Comme l’indique le tableau 1, l’absence de crédit accordé aux élections pour faire changer sa situation personnelle arrive en tête avec 39% de citations, devant le mécontentement vis-à-vis des partis politiques 33%. Le fait d’être en week-end, en congé ou en déplacement (facteur sur lequel le vote obligatoire aurait directement prise) arrive loin derrière avec 17% de citations1.
Tableau 1 : Les déterminants de l’abstention
Question : Quelle est la principale raison pour laquelle vous avez décidé de ne pas voter à ces élections départementales ? En premier ? Et en second ?
Le fait qu’aucun candidat ne défende ou représente ses idées est cité dans les mêmes proportions et n’apparaît donc pas comme un élément décisif. Ceci est d’ailleurs confirmé par la variation de l’abstention selon le nombre de binômes présentés dans le canton. En effet, si l’abstention était d’abord motivée par une offre politique incomplète ou imparfaite, elle devrait logiquement être plus forte dans les cantons où un nombre limité de candidats se présentait. Or c’est plutôt la tendance inverse qui a prévalu avec un taux d’abstention plus élevé (54,3%) dans les cantons comptant sept binômes ou plus (voir graphique 2).
Graphique 2 : Le taux d’abstention apparaît d’autant plus élevé que le nombre de binômes candidats augmente
La population qui s’abstient semble donc très distante du politique et manifeste un rejet global ou, à tout le moins, une perte de confiance. Diversifier l’offre et multiplier le nombre de candidats ne semble pas en mesure de ramener cet électorat aux urnes. En revanche, cela a eu une incidence très nette sur le vote blanc, qui décroît linéairement au fur et à mesure que le nombre de binômes augmentait (graphique 3).
Graphique 3 : Le pourcentage de vote blanc et nul décroît linéairement avec le nombre de binômes candidats
Le vote blanc est donc de nature différente de l’abstention. Il émane d’une frange de l’électorat qui « joue encore le jeu » et qui est très sensible à l’offre électorale qu’on lui propose.
On a vu précédemment (tableau 1) que la méconnaissance de l’institution départementale était assez évoquée par les abstentionnistes. Pour expliquer qu’ils ne se soient pas déplacés, 19% déclaraient ainsi ne pas connaître les candidats et 14% ne pas savoir vraiment quelles étaient les compétences des conseils généraux. On peut penser que cette distance à l’institution est plus répandue dans les zones urbaines, notamment dans les grandes agglomérations où le rapport au département et la visibilité de ses actions et de ses élus sont moins forts que dans les territoires ruraux. Cette hypothèse est validée par le fait que l’abstention augmente linéairement en fonction du nombre d’inscrits dans la commune (graphique 4).
Graphique 4 : Le taux d’abstention au premier tour des élections départementales augmente linéairement avec la taille de la commune
Elle n’est ainsi en moyenne que de 36,5% dans les communes comptant jusqu’à 100 inscrits et de 42,5% dans celles de 100 à 500 inscrits (équivalent à une population communale de 150 à 750 personnes). Dans ces territoires, le conseil général est davantage identifié au travers de ses élus et de ses missions (ramassage scolaire, entretien du réseau routier, aides au développement économique local et à l’aménagement du territoire…). À l’inverse, plus on s’élève dans la hiérarchie urbaine, plus le lien s’étiole. L’abstention franchit le seuil des 50% passé 5.000 inscrits (soit environ 7.500 habitants) et culmine en moyenne à 54,8% dans les agglomérations de plus de 100.000 inscrits (soit environ 150.000 habitants). On le voit, l’abstention se nourrit de la défiance vis-à-vis du politique, mais elle varie également, selon les scrutins, en fonction du lien avec l’institution pour laquelle il s’agit de voter.
Le score des différentes forces politiques
La sociologie des différents électorats
Voir Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach, Départementales de mars 2015 (1) : le contexte, Fondation pour l’innovation politique, août 2015, p.26-30.
La sociologie des différents électorats reste très typée. Ainsi le bloc UMP-UDI réalise ses meilleurs résultats parmi les 65 ans et plus : 40% contre 24% chez les 35-64 ans, contre 26% auprès des moins de 35 ans. Ce soutien massif des seniors, qui sont la tranche d’âge la plus civique, constitue donc toujours le principal pilier de la domination de la droite. À cela s’ajoute un niveau conséquent parmi les professions libérales et les cadres supérieurs (33%) contre seulement 19% parmi les ouvriers et employés. Les catégories populaires, quand elles sont allées voter, se sont massivement tournées vers le FN, avec un total de 43% de voix, dont 38% parmi les employés et 49% auprès des ouvriers. Le FN peine en revanche toujours à pénétrer parmi les cadres supérieurs et les professions libérales (13%) et les retraités (20%), et semble toujours handicapé par le « gender gap », puisqu’il obtient 30% chez les hommes contre seulement 22% auprès des femmes.
Si la structure par âge du vote PS est très équilibrée (23% parmi les moins de 35 ans contre 21% chez les plus de 35 ans), le clivage sociologique est assez marqué : 28% chez les cadres supérieurs et professions libérales contre seulement 16% pour les milieux populaires et 29% parmi les salariés du public contre 18% auprès de leurs homologues du privé. On retrouve donc au niveau de l’électorat les mêmes zones de force et de faiblesse que lors de l’analyse du profil sociologique des candidats présentés2.
Tableau 2 : Le vote au premier tour selon le statut
Les résultats de l’enquête Ifop réalisée lors du premier tour donnent également des informations précieuses concernant les transferts de voix et la circulation des différents électorats par rapport aux scrutins antérieurs.
On constate ainsi que les candidats du FN ont bénéficié du soutien de 87% de l’électorat de Marine Le Pen à la présidentielle (9% votant pour des candidats UMP-UDI), mais qu’ils ont également capté 18% de l’électorat de Nicolas Sarkozy, 8% de celui de François Hollande, 9% de celui de Jean-Luc Mélenchon et 6% de celui de François Bayrou. La dynamique frontiste s’explique donc par une forte fidélisation de son socle présidentiel et par une capacité à mordre significativement sur l’électorat de droite tout en drainant également des voix à gauche et au centre.
Les candidats UMP-UDI, quant à eux, captent 62% de l’électorat sarkozyste (15% votant pour les divers droite) et 50% de l’électorat de François Bayrou. La stratégie d’alliance entre UMP, UDI et Modem pratiquée dans la grande majorité des cantons a donc permis d’arrimer à droite la moitié des électeurs centristes, même si 17% ont opté pour les divers droite et 24% pour des candidats de gauche.
De leur côté, les candidats du PS recueillent 63% des voix de François Hollande, 14% allant sur les divers gauche ou les Verts, 6% sur le FdG, 8% à droite et 8% sur le FN. Si les candidats socialistes ont souffert de déperditions importantes dans l’électorat hollandais, on constate aussi que, d’une part, le taux de fidélisation est identique à celui prévalant dans l’électorat sarkozyste (63% contre 62%) et que, d’autre part, les « déçus du hollandisme » n’ont pas basculé massivement vers le Front de gauche puisqu’ils se sont assez également répartis entre « gauche de la gauche », droite et FN. Ces données concernant les trajectoires électorales comme les résultats électoraux indiquent qu’il n’y a pas, pour l’heure, d’ébauche d’un processus comparable à ce qu’on a observé en Grèce avec Syriza ou en Espagne avec Podemos.
La droite unie a viré en tête
Même si on peut penser que le FN est objectivement le premier parti à l’issue du premier tour, car il n’est devancé que de 6 points par l’alliance UMP, UDI et Modem, et, sans ses alliés, l’UMP aurait, au mieux, fait jeu égal avec le FN.
Les centristes ont obtenu le monopole de la représentation de la droite et du centre dans des zones acquises de longue date à la démocratie chrétienne. On compte ainsi quatre cantons dans ce cas dans l’Aveyron, quatre également dans les Pyrénées-Atlantiques ou bien encore deux dans le Calvados.
S’il en avait été autrement, on aurait observé des écarts importants du score moyen selon les étiquettes des binômes unitaires.
Au premier tour, dans les 1.570 cantons où la droite se présentait sous l’étiquette UMP ou Union de la droite, elle a obtenu 32,9% des voix en moyenne, ce qui l’a placée en tête dans 714 cantons et lui a ainsi souvent permis de dominer nettement la gauche et de résister à la dynamique frontiste. La stratégie de rassemblement de la droite et du centre dès le premier tour a donc été payante. Les enseignements des élections européennes, où UMP et UDI-Modem étaient parties séparément offrant la pole position au FN avec toutes les conséquences que cela a eu en termes d’image par la suite – le FN communiquant massivement sur son statut de «premier parti de France» –, avaient été tirés. Cette fois, le FN n’a pas pu se targuer d’être arrivé en tête au premier tour des élections départementales3 et, dans la bataille des commentaires, cela a participé à installer l’idée que le FN avait réalisé une performance en demi-teinte et que l’ UMP « était de retour », ce qui était psychologiquement très important.
On a vu que dans la grande majorité des cantons, la droite s’était présentée sous l’étiquette Union de la droite plutôt que sous les couleurs de l’ UMP. Ce choix d’appellation a-t-il eu un impact électoral ? La réponse est non puisque le score moyen pour la droite dans les 1.168 cantons où elle se présentait en tant qu’ Union de la droite s’est établi à 32,9%, contre 33,1% dans les 402 cantons où les binômes étaient est ampillés UMP.
De la même manière, le résultat moyen varie très peu selon la nature du parti de l’alliance choisi pour représenter la coalition dans les cantons. En effet, les accords entre l’UMP, l’UDI et le Modem ont débouché soit sur la composition de binômes mixtes, qui dans ce cas ont été siglés Union de la droite (ou Majorité départementale, par exemple), soit sur des binômes UMP, UDI, Modem ou divers droite soutenus par toutes les autres forces qui, localement, ne présentaient pas de candidats en face de ce binôme investi par elles.
Dans les 1.078 cantons où un binôme UMP ou UDI était le seul représentant de la droite et du centre, le score moyen a été de 34,5%, c’est-à-dire un niveau équivalent à celui enregistré dans les 57 cantons où l’on ne comptait qu’un binôme UDI-Union du centre ou Modem (35,3%)4 et au score obtenu (35,2%) dans les 247 cantons où la droite et le centre étaient représentés par un binôme étiqueté divers droite. Quelle que soit l’étiquette retenue, le bloc de la droite et du centre a donc obtenu un résultat homogène, ce qui démontre que les électeurs de la droite et du centre ont adhéré à cette stratégie unitaire et que l’idée du rassemblement a largement prévalu sur les réflexes partisans5.
Si l’union a été la règle dans la grande majorité des cantons, dans 426 cantons, les binômes UMP-UD ont dû faire face à des « dissidences » ou à des concurrences. Le bilan de ces primaires est très clairement à l’avantage de l’UMP-UD, qui a démontré sa domination puisqu’en moyenne, dans cette configuration, son résultat a été de 30,4% contre 10,5% pour le binôme concurrent, qu’il s’agisse d’un centriste, d’un divers droite ou d’un binôme soutenu par Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan.
C’est la concurrence des centristes qui a été la plus forte, puisque dans les 84 cantons soumis à ce type de primaires l’UMP-UD obtient en moyenne 28,5%, contre 14,3% pour les centristes, le total de la droite et du centre atteignant 42,8%. Dans les 245 cantons, avec une primaire avec un divers droite, le rapport de force s’établit à 30,3% contre 12,5% pour les divers droite, soit un total de 42,8% également. Dans les deux cas, le total droite est donc assez supérieur à ce que la droite a obtenu ailleurs, ce qui peut s’expliquer par une capacité à séduire et à couvrir une plus large partie du spectre électoral en présentant deux binômes au lieu d’un seul, mais aussi par le fait que les configurations de dissidences ou de primaires ont été plus fréquentes dans les territoires les plus favorables à la droite et au centre, cette situation suscitant les convoitises et encourageant la division. Ceci se vérifie très clairement dans les 52 cantons où les binômes UMP-UD devaient affronter non pas un mais deux autres binômes divers droite ou du centre. Dans ces 52 cantons, très favorables à la droite, l’UMP-UD a atteint en moyenne 26,8% au premier tour contre 17,4% pour le total des deux autres binômes, soit un total droite de 44,2%, très supérieur à l’étiage national moyen de la droite.
Si l’on revient sur les 84 cantons où se déroulait une primaire UMP-UD versus UDI-Modem-Union du centre, la domination de la marque UMP ne se lit pas seulement en termes d’écart de scores comme on l’a vu, mais également, en termes de nombre de victoires remportées au premier tour. Sur les 84 cantons concernés, l’UMP-UD a surclassé les centristes dans 69 d’entre eux, les binômes UDI-Modem-Union du centre ne devançant leurs concurrents de droite que dans 15 cantons. Si le nombre de victoires centristes lors de ces primaires est assez maigre, les duels gagnés l’ont souvent été haut la main comme le montre le tableau 3.
Tableau 3 : Quelques cas de primaires à droite remportées par les binômes centristes
C’est à chaque fois l’implantation locale des candidats centristes qui a fait la différence et qui leur a permis de s’imposer face au binôme UMP, dont la marque est pourtant électoralement plus puissante. Cela a été le cas, par exemple, dans le canton de Saint-Mihiel (Meuse), où l’un des membres du binôme centriste était Sylvain Denoyelle, maire de Nonsard-Lamarche, mais surtout président de la communauté de communes et vice-président sortant du conseil général. On retrouve la même logique dans le canton de Saverne (Bas-Rhin), avec Thierry Carbiener, conseiller général sortant ; dans le canton de Baïgura et Mondarrain (Pyrénées-Atlantiques), avec Vincent Bru, maire de Cambo-les-Bains et conseiller général sortant ; ou bien encore dans celui d’Anse (Rhône) ; avec Daniel Pomeret, maire d’Anse et vice-président sortant du conseil général du Rhône.
Si les binômes centristes sont parvenus à devancer au premier tour leurs concurrents de l’UMP-UD dans 19% des cas (15 cantons sur 84), les divers droite ont eu proportionnellement davantage de difficultés à s’imposer, puisque la proportion n’est plus que de 13%, soit 32 cantons sur 245. L’efficacité électorale du label UMP a donc été encore plus manifeste face à des divers droite que face à des centristes.
Tableau 4 : Quelques cas de primaires à droite remportées par les binômes divers droite
Comme pour les centristes, les binômes divers droite qui ont pu devancer les binômes UMP-UD, l’ont fait grâce à leur implantation et leur ancrage local (voir tableau 4). Ainsi, à Barcelonnette, Roger Masse était maire de La Bréole et bénéficiait du soutien du maire de Barcelonnette. À Cluses, le divers droite Jean-Louis Mivel n’était autre que le maire de cette ville et le conseiller général sortant, tout comme Jean-Pierre Féret à Vimoutiers, le candidat divers droite maire d’Orgères et conseiller général sortant. À Pontorson, André Denot, le divers droite qui remporte la primaire, était de la même façon maire de Pontorson.
Le PS victime du vote sanction et de la division à gauche
On a vu que, dans une majorité de cas, la droite unie s’était présentée sous l’étiquette Union de la droite plutôt qu’UMP seule. Du fait de la division de la gauche, le PS, lui, s’est présenté sous ses propres couleurs dans 1.070 cantons et sous le sigle Union de la gauche dans seulement 589 cantons. Autre différence avec la situation observée à droite : alors qu’il n’y avait pas d’incidence de l’étiquette sur le score moyen, on constate un résultat un peu meilleur des binômes Union de la gauche (27,7%) que des binômes strictement PS (26,2%), même si l’écart n’est pas spectaculaire. Comme le montre le graphique 5, le score du PS a assez logiquement pâti de la concurrence du reste de la gauche, mais à l’exception des 51 cantons où il affrontait trois ou quatre autres binômes de gauche, il est toujours resté la force dominante de la gauche.
Graphique 5 : Score du PS-Union de gauche et des autres forces de gauche au premier tour en fonction du nombre de binômes
Dans certains de ces cantons, des candidats divers gauche bien implantés parviennent même parfois, à l’instar de ce que l’on a observé pour leurs homologues divers droite, à devancer les candidats socialistes. L’équation personnelle et la détention d’un mandat local ont ainsi permis dans certains cas à ces candidats de résister victorieusement à la force de l’étiquette PS. Cela a été le cas par exemple dans le canton de Mauguio (Hérault), où le candidat DVG Yvon Bounel, maire de Mauguio, a obtenu 18,5% contre 17,2% pour le PS ; cela a été aussi le cas à Thénac (Charente-Maritime) avec 21,8% (20,7% pour le PS) pour le divers gauche Michel Pelletier, maire de Rétaud, ayant par ailleurs comme suppléant Christian Dugue, maire de Pérignac, autre commune du canton. On retrouve un phénomène similaire en Saône-et-Loire, dans le canton d’Autun-1, où le divers gauche Jean-Baptiste Pierre, conseiller général sortant du canton de Lucenay-l’Évêque (canton ayant été intégré au nouveau canton d’Autun-1), surclasse le PS au premier tour par 27,9% contre 21,5%.
À l’instar de ce que l’on a observé à droite, on constate que la multiplication des candidatures s’accompagne d’une hausse sensible du « total gauche ». Ici aussi, deux effets ont joué : la pluralité de l’offre à gauche a permis de capter un électorat plus large et la multiplication des candidatures a d’abord concerné les cantons structurellement les plus à gauche et où la division était la moins risquée.
Si l’on s’en tient au cas le plus fréquent, à savoir les 940 cantons où le PS ou un binôme Union de la gauche affrontait un seul rival à gauche, la concurrence la plus vive est venue des candidats DVG-PRG. Le nombre de cantons concernés est certes très restreint (35 cantons), mais ce sont ces candidats qui ont fait le score le plus élevé : 15,1% face au PS-UG (26,7%)6. Viennent ensuite les binômes FdG-EELV dans 284 cantons, avec un score moyen de 13,1% contre 27% au PS-UG, puis les candidats FdG (dans 558 cantons), avec 10% contre 26,6% au PS-UG, et enfin les candidats EELV (dans 62 cantons), avec en moyenne 9,2% contre 24,2%.
Mais si on délaisse les scores et les rapports de force internes à la gauche pour un autre indicateur qui est celui du nombre de cantons dans lequel le PS-UG a viré en tête au premier tour, on prend mieux conscience de la sanction reçue. Le bloc PS-UG n’est en effet arrivé premier que dans 521 des 1.688 cantons où il se présentait contre, comme on l’a vu, 714 cantons pour la droite (sur 1.563 où elle se présentait). Hormis l’éclatement de l’offre politique à gauche, ces résultats s’expliquent aussi par le climat d’opinion très défavorable à la gauche gouvernementale qui régnait lors du scrutin. Comme le montre le graphique 6, la volonté de sanctionner le gouvernement était en effet beaucoup plus répandue que lors des municipales, conférant à ce scrutin départemental une forte dimension nationale.
Graphique 6 : Une dimension nationale et un souhait de sanctionner l’exécutif beaucoup plus présents qu’aux municipales
Instruit de l’échec des municipales où la « municipalisation » de la campagne n’avait pas empêché la vague bleue, Manuel Valls avait décidé de donner une coloration très nationale à cette élection. Cela a sans doute permis de produire une remobilisation partielle de l’électorat socialiste. On voit ainsi que, par rapport aux municipales, la proportion d’électeurs souhaitant soutenir la politique gouvernementale a doublé, passant de 6 à 12%. Mais, dans le même temps, l’autre dimension de la nationalisation d’un scrutin, à savoir le vote sanction, est passée de 24 à 40%. La traduction a été sans appel : sur les 1.563 cantons où le bloc PS-UG se présentait, il a été éliminé le soir du premier tour dans 498 cantons, et dans 58 autres, un adversaire a été élu dès le premier tour.
Quel a été le score réel d’Europe Ecologie-les Verts ?
Compte tenu du nombre de candidats présentés (le « taux de couverture » dont nous avons parlé précédemment), mais aussi de l’étiquetage officiel des binômes, les scores nationaux de certaines formations politiques sont à interpréter avec prudence. Ainsi par exemple pour EELV, le résultat national est de 2%, soit un niveau très faible, qui s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, les écologistes ne se sont présentés sous leurs propres couleurs que dans 407 cantons sur 2.000 (ce qui est très peu et ne pouvait que tirer à la baisse le score national). D’autre part, dans 413 autres cantons, des représentants d’EELV avaient constitué des binômes avec des militants soit de l’une des composantes du Front de gauche (PCF, Parti de gauche…), soit de Nouvelle Donne, soit des associatifs. Or ces binômes ont été étiquetés « divers gauche » dans la nomenclature officielle. Quand on identifie ces différents cantons et les différentes configurations (auxquelles il faut ajouter le cas des 51 cantons PS et EELV ayant fait binômes communs), on obtient alors des résultats qui sont sensiblement différents (voir graphique 7).
Graphique 7 : Les scores d’EELV en fonction de l’étiquette du binôme
Tout comme l’est, bien entendu, le score de 27% dans les 51 cantons où EELV s’était allié au PS, ce parti tirant le résultat à la hausse.
Le niveau moyen n’est plus alors de 2% mais pratiquement de 10% quand EELV est parti seul au premier tour. Ce niveau ne correspond sans doute pas à l’audience réelle du parti écologiste dans l’ensemble de l’électorat (car on peut penser que les membres d’EELV se sont présentés dans les cantons qui leur étaient les plus favorables et, qu’à l’inverse, ils ont fait l’impasse sur les territoires les plus hostiles) et il est donc sans doute surévalué7, mais il nous apparaît objectivement moins biaisé que le chiffre de 2% découlant d’une stratégie à géométrie variable sur le territoire. Cette absence de cohérence dans la stratégie de candidatures ne renvoie pas uniquement à la difficulté congénitale de cette organisation à définir une ligne claire et partagée par tous, elle est aussi la conséquence d’une divergence au sommet sur l’orientation idéologique à donner au mouvement entre les tenants du retour au gouvernement et les adeptes de la constitution d’un pôle de radicalité à la gauche du PS. Ces derniers peuvent mettre en avant les bonnes performances des 419 binômes « vert et rouge » (un membre d’EELV et un membre du PCF ou du PG), qui ont obtenu en moyenne 14,1% au premier tour. Ce score est certes consistant, mais il n’a pas été suffisant pour inverser le rapport de force à gauche. Ainsi, si l’on se concentre sur les 257 cantons où, au premier tour, un binôme rouge-vert affrontait un binôme PS (ou Union de la gauche), le rapport de force reste très favorable au PS avec un ratio de deux pour un comme le montre le graphique 8.
Graphique 8 : Rapport de force entre le PS et l’« autre gauche » dans les 257 cantons où le PS affrontait un binôme EELV-Front de gauche
Sur ces 257 cantons où se jouait une primaire entre les deux gauches, la « gauche de la gauche » n’a surclassé le PS que dans dix-neuf cas. De surcroît, ces cantons correspondent pour l’essentiel à des fiefs communistes, tels les cantons de Vierzon-1 et Vierzon-2, Dieppe-1, Le Havre-1 et Le Havre-3, ou bien encore Migennes (Yonne) ou, en région parisienne, les cantons de Nanterre-1, Champigny-sur-Marne-2 ou Thiais. L’influence et l’implantation locales du PCF jouent donc encore un rôle déterminant dans la capacité de l’«autre gauche» à s’imposer sur le PS.
Le Front de gauche a amélioré légèrement son score au premier tour, mais a vu au finales positions s’éroder
On retrouve le même phénomène en Meurthe-et-Moselle, avec 40% pour le FdG contre 14,2% pour le PS dans le canton de Villerupt et 29,7% contre 18,6% dans celui du Pays de Briey.
Selon les données du ministère de l’Intérieur, le Front de gauche a obtenu un résultat de 6,1%, mais à l’instar de ce que l’on a vu pour EELV ce score est un score national qui ne tient pas compte ni des cantons où le FdG était absent, ni des cantons où lui ou l’une de ses composantes s’étaient alliés avec des écologistes ou avec des représentants d’autres formations de gauche (Nouvelle Donne, notamment) ou du monde associatif. Si l’on tient compte de ces deux paramètres, le résultat moyen (calculé après identification de tous les binômes estampillés officiellement « divers gauche » mais qui comptaient au moins un membre du FdG), nous arrivons à un score de 9,8% sur les 1.142 cantons concernés et de 14,1% sur les 419 cantons voyant se présenter un binôme rouge-vert.
Ce score de 9,8% s’inscrit en légère progression par rapport au niveau des élections cantonales de 2011 (8,9%) et de 2008 (8,8% pour le PCF à l’époque), mais ne traduit pas, pour autant, de poussée pour la « gauche de la gauche » dans un contexte de rejet de la politique gouvernementale. Le FdG franchit la barre des 13% dans les départements où il est historiquement implanté : Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne (voir graphique 9), Seine- Maritime, Haute-Vienne, Dordogne, Lot et Corrèze, ou bien encore dans le Gard ou les Pyrénées-Orientales. Cette implantation lui permet même de continuer à devancer parfois très nettement le PS au premier tour et donc de se qualifier comme seul représentant de la gauche au second tour comme cela a été le cas, par exemple, dans de nombreux cantons du Val-de-Marne8.
Graphique 9 : Au premier tour, le Front de gauche devance le PS dans les bastions communistes du Val-de-Marne
Voir Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach, Départementales de mars 2015 (3) : le second tour, Fondation pour l’innovation politique, p.35.
Dans le Val-de-Marne, cette domination au sein de la gauche dans de nombreux cantons et l’union à gauche réalisée dès le premier tour dans d’autres cantons ont permis au FdG de sauver la présidence du conseil général avec 18 élus sur un total de 28 élus de gauche (7 PS, 2 divers gauche et 1 EELV).
Au total, sur l’ensemble de la France, le FdG est parvenu à faire élire 163 conseillers départementaux, soit une perte assez substantielle par rapport aux 234 sièges que détenaient le PCF et ses alliés avant le 22 mars. Si les résultats du premier tour étaient assez honorables, ce scrutin se traduit au final (comme les municipales) par une nouvelle érosion des positions du PCF et du FdG car, comme l’a noté l’historien du PCF Roger Martelli, « le Front de gauche n’a plus d’élus dans 61 départements contre 37 départements avant le scrutin ». Cet affaiblissement de l’assise territoriale du PCF a été symbolisé par la perte du conseil général de l’Allier, sur laquelle nous reviendrons9.
La dynamique frontiste
Si le niveau du vote FN est resté stable par rapport aux élections européennes de juin 2014 au plan national, des variations parfois assez significatives s’observent à un niveau d’analyse plus fin. On constate en effet, par exemple, que dans la circonscription nord-ouest les candidats frontistes obtiennent des scores en retrait de la performance « personnelle » de Marine Le Pen. À l’inverse, dans la plupart des cantons du Var et dans une partie des Bouches-du-Rhône et des Alpes-Maritimes, les représentants frontistes améliorent le score de la liste FN conduite par Jean-Marie Le Pen lors des européennes. Mais, de manière plus globale, on constate une vraie différence de comportement entre les zones rurales et les agglomérations comme le montre le graphique 10.
Graphique 10 : Évolution du score du FN entre les élections européennes et le premier tour des élections départementales selon la taille de la commune sur la France entière (en points)
Au plan national, le FN est en recul sensible dans les plus petites communes et il cède du terrain dans toute la ruralité, alors qu’il s’inscrit en dynamique dans la France urbaine et progresse plus significativement encore dans les plus grandes villes (+ 2,8 points dans les communes de plus de 100.000 inscrits). On retrouve ici la même dichotomie observée pour l’abstention. Ceci n’est pas le fait du hasard mais illustre de nouveau un rapport différent à l’Europe et aux départements entre les zones rurales et les milieux urbains. Le rejet de l’Europe s’exprime avec plus de force dans les zones rurales qui, dans le même temps, on l’a vu, manifestent un attachement plus intense à l’institution départementale. De ce fait, dans les campagnes, on a plus facilement voté FN à l’été 2014 quand il s’agissait de dire non à l’Europe alors que, en 2015, le FN n’a pas autant bénéficié de la dimension vote de rejet dans ses territoires plutôt bien disposés à l’égard des conseils généraux, territoires qui se sont d’ailleurs davantage mobilisés que les grandes villes. À l’inverse, ces dernières se sentaient moins concernées par ce scrutin et moins attachées aux départements, ce qui a eu comme traduction une abstention particulièrement élevée et un vote FN en progression par rapport aux européennes où la dimension anti-Union européenne avait moins joué que dans les campagnes.
À ce rapport différent entretenu par les villes et les campagnes aux départements (et à l’Europe) est venu se greffer un autre facteur, celui de l’influence des élus locaux, facteur plus sensible en milieu rural que dans les agglomérations. Prenons à titre d’exemple le cas du département du Nord (voir graphique 11). À l’instar de ce que l’on a observé au niveau national, on constate ici aussi que plus une commune était petite, plus le FN a reculé par rapport aux européennes de 2014 et, inversement, que plus on s’élevait dans la hiérarchie urbaine, plus la dynamique frontiste était forte.
Graphique 11 : Évolution du score du FN entre les européennes et le premier tour des départementales dans le département du Nord (en points)
Mais, localement, ce reflux en zone rurale a été amplifié par la présence de maires candidats aux départementales. Ainsi, alors que le FN recule en moyenne de 0,9 point sur l’ensemble du département, il cède de 4,8 points dans les communes dont le maire était candidat suppléant dans un binôme et 7,2 points dans celles dont le maire était candidat titulaire. La carte 1 montre que bon nombre de zones de fortes pertes du FN par rapport aux élections européennes correspondant à ce type de communes. C’est le cas notamment dans le Valenciennois, dans les deux communes les plus au sud du département, mais également aux marges de l’agglomération lilloise où l’érosion « naturelle » du vote FN par rapport aux européennes dans ces communes qui ne sont plus vraiment urbaines est amplifiée par la présence d’un maire comme candidat. Ainsi, alors que la plupart de ces communes périphériques apparaissent en jaune (progression de 0 à 2 points) ou en bleu pâle (recul de 0 à 2 points), bon nombre d’entre elles ressortent en bleu plus foncé.
Carte 1 : Évolution du score Front national entre l’élection européenne de 2014 et le 1er tour de l’élection départementale de 2015 dans le département du Nord (en points)
Deux autres zones apparaissent en bleu foncé sur la carte, mais sans pour autant qu’elles comptent de communes dont le maire se présentait. Il s’agit de la région de Wormhout, au nord du département, et de celle du Cateau- Cambrésis, au sud. Dans ces deux territoires, des conseillers généraux bien implantés se représentaient cette année : Patrick Valois (divers droite), dans le canton de Wormhout, et Laurent Coulon (PS), dans celui du Cateau- Cambrésis. Ces deux candidats se sont construit de solides fiefs dans leur canton historique. Ainsi sur le nouveau périmètre du canton de Wormhout, comprenant 45 communes, Patrick Valois et son binôme obtiennent 48,4% au premier tour, mais ce score grimpe à 58,7% sur les 11 communes qui constituaient le canton de Wormhout jusqu’en 2015. De la même façon, Laurent Coulon recueille 26,8% sur son nouveau canton composé de 56 communes, mais 37,2% en moyenne dans les 18 communes de l’ancien canton du Cateau-Cambrésis. Cette « prime au notable » a, dans ces deux territoires, elle aussi freiné la dynamique frontiste et détourné localement des voix du FN.
En quittant le Nord, on retrouve le même phénomène. Partout en zone rurale, le FN a moins été porté par le vote sanction que lors des européennes et il s’est heurté de surcroît à l’implantation de certains maires qui, en se portant candidats aux élections départementales, ont capté de nombreuses voix dans leur commune, faisant baisser d’autant les autres partis politiques, dont le FN.
Prenons par exemple le canton de Saint-Pierre-le-Moûtier, dans la Nièvre. Le FN y enregistre par rapport aux européennes un recul de 4,8 points, mais ce reflux atteint 18,2 points dans la commune de Toury-Lurcy dont le maire n’est autre que Guy Hourcabie, par ailleurs conseiller général sortant divers gauche du canton de Dorgne10, 13,9 points dans celle de Livry, dirigée par Christian Barle, conseiller général divers droite sortant du canton de Saint- Pierre-le-Moûtier, et 15,4 points à Chantenay-Saint-Imbert, dont le maire est Alix Meunier, suppléant de Christian Barle.
On constate le même phénomène en Dordogne, dans le canton du Pays de Montaigne et Gurson, où la baisse du FN atteint 7,2 points sur l’ensemble du canton, mais où elle est de 27,6 points à Saint-Géraud-des-Corps, dont le maire est Thierry Boide, également conseiller général sortant de l’ancien canton de Villefranche-de-Lonchat, et de 21,1 points dans la commune de Bonneville-et-Saint-Avit-de-Fumadières, dont le maire est serge Foucaud, conseiller général sortant socialiste du canton de Vélines11, se représentant cette année.
Dans le même ordre d’idée et de manière plus globale, on observe que sur l’ensemble des cantons ruraux la présence de conseillers généraux sortants influe assez clairement sur l’évolution du score du FN entre les élections européennes de 2014 et le premier tour des élections départementales. Dans les cantons ruraux ne comptant aucun sortant se représentant, le FN progresse en moyenne de 0,7 point par rapport aux européennes. Dans ceux comptant un sortant, il est stable. Il recule ensuite de 1,9 point dans les cantons comptant deux sortants et de 3,5 points dans ceux en dénombrant trois (cas beaucoup moins fréquent).
Les votes régionalistes
Comme lors d’autres élections, des mouvements régionalistes ont présenté des candidats dans certains territoires lors de ce scrutin départemental et ont parfois obtenu des scores significatifs. Cela a été le cas en Alsace où, sous l’effet de l’annonce de la création prochaine d’une grande région regroupant Champagne-Ardenne, Lorraine et Alsace, un mouvement réclamant le maintien d’une entité alsacienne autonome a pris son essor. Ce mouvement intitulé Unser Land (« Notre pays ») a organisé différentes manifestations de rue contre le projet de réforme régionale et est parvenu à présenter des binômes dans pas moins de 23 des 40 cantons du Bas-Rhin et du Haut- Rhin. Ceci constituait déjà un premier succès, car cela représentait un effort non négligeable puisqu’il s’agissait d’aligner pas moins de 46 candidats en respectant la parité, à quoi il fallait ajouter le même nombre de suppléants, et ce sur un périmètre couvrant deux départements. Cette mobilisation militante a constitué le premier symptôme du fait qu’une partie de la société alsacienne n’entendait pas se résigner à voir disparaître la région Alsace. Le second symptôme a résidé dans le fait que ces candidats « rouge et blanc » (couleurs de l’Alsace) ont obtenu des scores significatifs. Unser Land a ainsi par exemple atteint 20,1% dans le canton de Wissembourg et 18,8% dans celui d’Obernai, dans le Bas-Rhin, tandis que dans le Haut-Rhin les scores ont été plus élevés encore, avec 24,4% dans le canton de Saint-Louis, 17,6% dans ceux de Guebwiller ou Masevaux ou encore 16,8% dans celui d’Ensisheim. Sur la moyenne des cantons alsaciens où le mouvement était présent, Unser Land enregistre un résultat de 14,4% (16,7% dans le Haut- Rhin, 13,1% dans le Bas-Rhin), ce qui représente 54.000 voix, soit 9,2% des voix dans l’ensemble de l’Alsace. Face à ce résultat, la question qui se pose est celle de l’origine de ces voix : au détriment de qui Unser Land a-t-il percé dans le paysage politique alsacien ?
Le tableau 5, qui présente les rapports de force gauche-droite-FN dans les deux groupes de cantons alsaciens, ceux dans lesquels Unser Land se présentait et ceux dans lesquels il était absent, apporte une réponse assez claire et inattendue.
Tableau 5 : Rapport de force au premier tour en Alsace
Jérôme Fourquet, Éléments d’analyse sur l’échec du référendum alsacien, Fondation Jean-Jaurès, note no 164, 11 avril 2013.
On constate en effet que, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, le vote Unser Land n’est pas venu mordre sur l’électorat FN puisque le vote frontiste est un peu plus élevé dans les cantons où Unser Land était présent que dans ceux où il était absent. En revanche, et c’est la seconde surprise, les candidats régionalistes ont apparemment capté autant de voix venant de la droite que de la gauche, puisque les deux blocs accusent un retard de 7 et 7,9 points dans les cantons où les régionalistes étaient présents. La cause de la défense d’une Alsace autonome a donc rencontré un écho de part et d’autre de l’échiquier politique et a fait naître un clivage ne recouvrant pas le traditionnel clivage gauche-droite. Il est également intéressant de constater que le vote régionaliste (d’aucuns diraient « identitaire ») n’entre pas en concurrence avec le vote frontiste. Les électeurs alsaciens attachés à la défense de leur petite patrie (Heimat) ne sont pas les mêmes que ceux qui votent pour le FN par attachement à la grande patrie, la France. Nous avions déjà démontré par ailleurs que, lors du référendum sur la fusion des départements alsaciens en 2013, le vote « non », qui s’apparentait à une défense du cadre républicain jacobin contre un projet d’inspiration girondine et décentralisatrice, était très fortement corrélé au vote FN. Ce parti avait d’ailleurs mené une campagne active en faveur du « non » en présentant ce projet comme remettant en cause le lien indéfectible entre l’Alsace et la France12. Loin d’être concurrents ou jumeaux le vote frontiste et le vote régionaliste alsacien sont donc antagonistes.
Dans la partie basque des Pyrénées-Atlantiques, des candidats régionalistes se sont également présentés. Des binômes concouraient dans les 12 cantons basques et ils ont obtenu un score moyen de 17,4%, soit un score non négligeable (et un peu supérieur à celui atteint par Unser Land en Alsace) qui montre que ce courant de pensée à une existance significative dans la société basque, même si les scores ont été assez variables d’un canton à un autre. C’est dans les zones rurales que les résultats ont été les plus élevés avec, par exemple, au premier tour, 37,9% dans le canton de Nive-Adour, 22,1% dans celui de la Montagne basque ou 20,8% dans celui du Pays de Bidache Amikuze et Ostibarre. Le niveau est en revanche beaucoup plus faible dans le BAB (conurbation de Bayonne-Anglet-Biarritz), avec 7,9% dans le canton d’Anglet, 7,1% dans celui de Biarritz, 6,8% dans celui de Bayonne-2 et 6,4% dans celui de Bayonne-1.
Alors qu’en Alsace le vote régionaliste provient autant d’un électorat de gauche que de droite, il apparaît qu’au Pays basque les régionalistes mordent essentiellement à gauche. Si l’on compare en effet les rapports de force entre Pays basque et Béarn, on constate que le niveau du bloc droite + centre est quasiment identique dans les deux parties du département, alors que l’existence d’un vote régionaliste significatif dans la partie basque s’accompagne d’un niveau de vote à gauche très en retrait par rapport au Béarn (voir tableau 6). Le manque à gagner pour la gauche entre Pays basque et Béarn (19 points) correspond de surcroît quasiment au score des régionalistes (17,4%).
Tableau 6 : Rapport de force au premier tour dans les Pyrénées-Atlantiques
Cette concurrence exercée en Pays basque s’explique par le fait que la mouvance régionaliste dite « abertzale » est marquée à gauche, à l’instar de ce qu’a été le mouvement Batasuna au Pays basque espagnol. La branche conservatrice du nationalisme basque incarnée par le Parti nationaliste basque en Espagne n’ayant pas de véritables relais du côté français, c’est la composante de gauche qui anime et structure la cause régionaliste au Pays basque Nord. On constate par ailleurs que la présence d’un vote «nationaliste» basque semble avoir assez peu d’impact sur le niveau du vote FN qui est seulement plus faible de 3 points dans la partie basque du département qu’en Béarn13. Comme en Alsace, la concurrence entre vote nationaliste français et vote nationaliste ou régionaliste local semble faible. En Bretagne, à la suite du mouvement des Bonnets rouges et dans le prolongement de sa candidature aux européennes, Christian Troadec est reparti en campagne et un certain nombre de binômes intitulés « Nous te ferons Bretagne » (slogan qui était déjà le nom retenu pour sa liste aux européennes) se sont présentés avec des fortunes diverses. Dans son canton de Carhaix, dans le Finistère, Christian Troadec, conseiller général sortant et maire du chef-lieu, en tandem avec Corinne Nicole, déléguée syndicale de l’entreprise agro-alimentaire Tilly-Sabco frappée par un plan social et la fermeture des abattoirs situés dans cette région, ont viré en tête au premier tour avec 35,6% des voix et l’ont largement emporté au second tour avec 66,7% de suffrages. Dans le canton voisin de Gourin, situé dans le nord-ouest du Morbihan, un proche de Christian Troadec, Christian Derrien, se présentait également. Fort de son implantation locale – il est maire de Langonnet et conseiller général sortant – et de celle de ses colistiers – Ghislaine Langlet, son binôme, était conseillère générale sortante du canton du Faouët14, et l’un de ses suppléants, Yann Jondot, était maire de Langoëlan –, ce candidat a obtenu 25,6% au premier tour et a été réélu au second tour avec 55,2% des voix. Si la rhétorique régionaliste, associée à la défense des intérêts du Centre-Bretagne, a rencontré un large écho, précisément dans le cœur de la Bretagne, les scores ont été beaucoup plus faibles dans le reste de la région. Les binômes « Nous te ferons Bretagne » ont obtenu 9,6% dans le canton de Lannion, dans les Côtes-d’Armor ; 5,4% dans celui d’Auray, dans le Morbihan ; et 13,6% dans celui de Briec, 7,3% dans celui de Plabennec, 4,2% dans celui de Plonéour-Lanvern et 3,6% dans celui de Guipavas, cantons tous situés dans le Finistère.
Enfin, en Corse, les régionalistes et les nationalistes ont en moyenne obtenu des scores plus élevés. En Haute-Corse, ils atteignent par exemple 36,4% dans le canton de Bastia-3, 22,6% dans celui de Corte ou bien encore 17,3% dans celui de Fiumorbo-Castello. La Corse-du-Sud n’a pas été en reste, avec 28,5% dans le canton du Grand Sud et 22,9% dans celui de Taravo-Ornano. Mais ces résultats ne doivent pas masquer le fait que nationalistes et régionalistes corses n’ont pu aligner des candidats que dans 12 des 26 cantons corses et que les résultats obtenus s’inscrivent en repli par rapport, par exemple, aux élections législatives de 2012.
Les stratégies ace aux triangulaires
À l’issue du premier tour, on dénombrait sur le territoire métropolitain 282 cas de triangulaires opposant potentiellement la gauche, la droite et le FN pour le second tour. Ce nombre, bien que plus élevé que prévu du fait d’une abstention un peu moins forte qu’annoncée (ce qui a abaissé mécaniquement le seuil de qualification), est à comparer aux 663 duels gauche-droite et aux 792 duels mettant aux prises le FN avec la droite ou la gauche. Les triangulaires ne constituent donc pas la configuration la plus fréquente, mais elle focalise l’attention pour plusieurs raisons. D’une part, on se souvient qu’elles ont coûté très cher à la droite lors des législatives de 1997 en contribuant à la défaite de la majorité RPR-UDF, et, d’autre part, elles revêtent un fort enjeu politique et symbolique dans le cadre de la lutte contre le FN dans laquelle gauche et droite se sont engagées.
Le désistement républicain a été plus pratiqué par la gauche
Face à la perspective d’une victoire du FN dans les cantons où se présentait une triangulaire, les deux familles politiques se sont trouvées face à leurs responsabilités et ont dû décider du maintien ou non de leurs candidats. Sur la base des données publiées par le ministère de l’Intérieur concernant les candidats se présentant effectivement au second tour, on ne dénombre plus que 254 cas de triangulaires gauche-droite-FN, soit 28 de moins qu’au soir du premier tour. La gauche a retiré ses candidats dans 21 cantons et la droite ne l’a imitée que dans 7 cantons (voir tableau 7).
Tableau 7 : Liste des triangulaires évitées par le retrait de candidats de gauche et de droite
Ces retraits ont eu lieu principalement dans des cantons où le FN était arrivé en tête au premier tour : dans 5 cas sur 7 pour les retraits de la droite et dans 16 cas sur 21 pour les retraits effectués par la gauche. C’est dans les départements les plus concernés par la poussée frontiste que les retraits ont été les plus fréquents : Aisne, Vaucluse, Pas-de-Calais et Somme. Au total, ces retraits ont ramené le nombre de triangulaires avec un FN en tête de 58 à l’issue du premier tour à 37, ce qui a réduit d’autant les chances de victoire de la formation lepéniste.
Les critères ayant prévalu au maintient ou au retrait des candidats de gauche
Si la gauche a pratiqué le plus de « désistements républicains », ces décisions ont été prises au cas par cas en tenant compte des rapports de forces électoraux issus du premier tour et en composant avec la volonté des candidats locaux pas toujours très allants pour se « saborder ». La dimension stratégique de ces retraits ponctuels apparaît assez clairement à l’analyse. Sur les 104 cas de triangulaires potentielles dans lesquelles un candidat de gauche a viré en tête au premier tour, les forces de gauche ne se sont retirées dans aucun canton. À l’inverse, sur les 178 cantons potentiellement soumis à triangulaires avec le FN et où la gauche n’était pas première, elle s’est retirée dans 21 cas, la droite se retirant, quant à elle, dans 5 de ces 178 cantons.
Si l’on affine l’analyse sur ces 152 cas de triangulaires restant où la gauche n’était pas arrivée première, on constate que là encore la décision de se maintenir ou de se retirer a été pesée au trébuchet dans une majorité des cas. La gauche se maintient ainsi dans la totalité des 85 cantons où elle est seconde.
En revanche, le choix du maintien face au FN dans les 67 cantons où la gauche est arrivée troisième peut paraître en contradiction avec la volonté de faire barrage au FN, car on sait que le FN a plus de chances de l’emporter en triangulaire que dans le cadre d’un duel droite-FN provoqué par le désistement du candidat de gauche. Néanmoins, le maintien d’une candidature peut être légitimé dans un peu moins de la moitié de ces cantons où la gauche était troisième (31 cas sur 67) par deux types d’arguments. On constate en effet, que dans 16 de ces triangulaires, la droite avait dominé très largement le premier tour et avait toutes les chances de gagner au second tour. Dans cette configuration, il était intéressant pour la gauche de maintenir son candidat pour continuer d’exister dans le paysage politique sans que cela accroisse les chances du FN de l’emporter. On peut citer par exemple les cas des cantons de Saint-Paulien, en Haute-Loire (48,5% pour la droite au premier tour), de Clermont-en-Argonne, dans la Meuse (46,9%), d’Is-sur-Tille, en Côte-d’Or (46%), de Magny-le-Désert, dans l’Orne (45,4%), ou bien encore de Saint- Calais, dans la Sarthe (44,2%).
Parallèlement à cela, dans quinze autres cantons où la gauche s’est maintenue alors que son candidat qualifié n’était que troisième au premier tour, cette décision peut s’expliquer par le fait que le total des voix de gauche du premier tour était élevé (voir tableau 8). Bien que troisième, le candidat de gauche encore en lice pouvait espérer s’appuyer sur des réserves significatives et éventuellement l’emporter si les voix s’étant portées au premier tour sur les autres candidats de gauche se reportaient correctement sur lui.
Tableau 8 : Exemples de cantons où la gauche bien que troisième s’est maintenue en triangulaire du fait d’importantes réserves de voix
En revanche, dans certains autres cantons, la gauche se maintient en triangulaire alors même que ses chances sont réduites. Dans 6 cantons au moins, cela peut expliquer par le fait que le binôme de gauche encore présent au second tour était constitué de divers gauche, sur lesquels les consignes ou les demandes de retrait insistantes des états-majors ont assez peu de poids. C’est le cas notamment à Albert (Somme), Vouziers (Ardennes), Ornans (Doubs), Saint-Amour (Jura) ou bien encore dans les cantons du Pays de Serres et du Sud-Est agenais, tous deux dans le Lot-et-Garonne.
Des cantons où la gauche s’est maintenue en début d’une possible victoire du FN
Dans 30 cantons concernés par une triangulaire où la gauche est arrivée troisième au premier tour, elle se maintient alors qu’elle dispose d’assez peu de réserves et que la droite n’est pas dominante, ce qui offrait des perspectives de victoire au FN dans un scrutin très serré (voir tableau 9).
Tableau 9 : Exemples de cantons où la gauche s’est maintenue en triangulaire bien que troisième et sans réserves de voix
De surcroît, dans ces 30 cas, le binôme de gauche qualifié n’était pas divers gauche, et c’est donc la gauche « officielle » qui a pris des risques. On peut également ajouter à cette liste de 30 cantons où la gauche s’est maintenue bien qu’en étant troisième et alors que le FN était fort quelques cas où le FN pouvait l’emporter mais où la gauche s’est maintenue car étant arrivée seconde (voir tableau 10). Dans ces cantons, la droite qui ferme la marche n’a pas retiré non plus ses candidats.
Tableau 10 : Exemples de cantons où la gauche s’est maintenue en triangulaire car arrivée seconde au premier tour
Sept cantons, plus celui de Corbie où la droite s’est retirée hors délai.
Ces progressions correspondent par ailleurs à la moyenne générale des progressions observées en cas de duels droite-FN et gauche-FN. Le fait que la gauche ou la droite se retirent alors qu’elles pouvaient se maintenir ne produit donc pas d’effet particulier par rapport aux mouvements électoraux occasionnés par leur élimination « naturelle » au premier tour.
Mouy (Oise), Bologne (Haute-Marne), Le Lude (Sarthe), Nord-Toulois (Meurthe-et-Moselle) et Longue- nesse (Pas-de-Calais).
Au terme de cette analyse, on constate donc que la volonté d’affronter le FN s’est traduite par des attitudes différentes. Dans les triangulaires, la droite n’a quasiment pas retiré de candidats quand la gauche a pratiqué plus nettement ce geste au nom du « front républicain ». Pour autant, si cet effort est réel, on observe que la gauche « officielle » s’est maintenue dans 30 cantons bien qu’étant arrivée troisième sans disposer de grosses réserves de voix et sans qu’à la lecture des résultats la droite paraisse sûre de l’emporter. Les chances de victoire du FN étaient également élevées dans une douzaine d’autres cantons où soit des divers gauche se sont maintenus, ou soit la gauche « officielle » n’a pas retiré ses binômes car ceux-ci étaient arrivés devant la droite au premier tour.
À l’aune des résultats du second tour, quel bilan peut-on faire de ces différents choix et stratégies qui ont prévalu ? Pour ce qui est des triangulaires évitées du fait d’un retrait, les chiffres sont sans appel : dans les 21 cantons où la gauche s’est retirée occasionnant un duel FN-droite, la droite bat le FN dans la totalité de ces cantons. Le retrait républicain a donc très bien fonctionné quand il a été pratiqué par la gauche. On savait que la situation était plus complexe pour la droite qui ne s’est retirée que dans 8 cantons15. Or, dans 6 d’entre eux, la gauche l’a emporté face au FN. Le retrait des candidats de droite a certes pour résultat de « libérer » son électorat dont une partie se porte sur les candidats du FN qui, de fait, progressent entre les deux tours davantage qu’en cas de retrait des candidats de gauche (+ 9,4 points contre + 5,8 points en cas de duels droite-FN16). Néanmoins, la stratégie de « retrait républicain », même quand elle est pratiquée par la droite, est quand même très efficace pour faire barrage au FN qui ne l’emporte que dans 2 des 8 cantons où il a été pratiqué : à Guise (Aisne) et à Corbie (Somme). Le maintien de la gauche dans un certain nombre de cas que nous avons listés précédemment n’a pas abouti non plus à la victoire du FN. Dans 5 cas sur 5 où la gauche s’est maintenue en triangulaire sans réserve de voix, c’est la droite qui a remporté cette triangulaire17. Dans les cantons où la gauche avait des réserves de voix importantes, elle parvient à gagner la triangulaire dans 4 cas sur 7 – Montauban-2, (Tarn), Lattes (Hérault), Roanne-2 (Loire) et Fleury-les-Aubrais (Loiret) – et s’incline face à la droite dans 3 cas – Arras-2 (Pas-de-Calais), Mont-sous-Vaudrey (Jura) et Neufchâtel-en-Bray (Seine-Maritime) –, mais dans aucun de ces cantons le FN n’a pu s’imposer.
La géographie de la tripolarisation
Durant la campagne, il a beaucoup été question de la « tripolarisation de la scène politique », la montée en puissance du FN ayant mis fin à la bipolarisation gauche-droite. Au soir du premier tour, ce diagnostic a été confirmé, mais aucun des trois blocs n’était d’importance égale : l’UMP-UDI (32%) a devancé le FN (25%) et le PS (21%), et les autres formations de gauche et les divers droite et divers gauche ont capté le reste des voix. En fonction des stratégies d’alliance entre les partis d’un même bloc, ce rapport de force peut être amené à évoluer, mais l’existence de trois grands courants structurants nous semble une réalité durablement installée. De la même façon et de manière très intéressante, les configurations de second tour issues des résultats du premier tour permettent de représenter géographiquement de quelle façon la tripolarisation s’est organisée territorialement. La carte 2, réalisée par Céline Collange du laboratoire de Modélisation, traitements graphiques en géographie (MTG) de l’université de Rouen, fait ainsi clairement apparaître que cette tripolarisation a mis aux prises des blocs qui sont rarement de poids équivalent sur un même territoire, de telle sorte que, contrairement à ce qu’on pourrait penser instinctivement, la configuration la plus répandue n’était pas la triangulaire mais les duels gauche-droite, droite-FN et gauche-FN. Tout se passe comme si, pour reprendre une expression attribuée à Bismarck, « dans un système à trois puissances, il fallait être l’une des deux » et que, sur la plus grande partie du territoire national, la tripolarisation se traduisait localement par la domination de deux forces au détriment d’une troisième. Mais, comme le montre la carte 2, la composition du couple dominant varie d’une région à une autre.
Carte 2 : Configuration des candidatures pour le second tour des élections départementales (par cantons)
Source :
Ministère de l’Intérieur, mars 2015.
Conception, réalisation : Céline COLANGE ©UMR CNRS 6266 IDEES, Université de Rouen.
Ainsi, si l’on a beaucoup parlé de la dynamique frontiste, on constate que la configuration la plus répandue pour le second tour était encore et toujours le duel gauche-droite (660 cantons). Cette configuration constitue quasiment la règle sur toute la façade ouest, de la Bretagne aux Pyrénées en passant par une bonne partie du Massif central (à l’exception de la vallée de la Garonne). Dans ces régions, bien que le FN renforce son audience et progresse, ce sont encore la gauche et la droite qui dominent.
Plus à l’est, dans ce que l’on pourrait appeler un bassin parisien élargi comprenant la seconde couronne francilienne (Val-d’Oise, Essonne, une partie des Yvelines, Seine-et-Marne) mais aussi une bonne partie de la Picardie, de la Haute-Normandie, du Centre et de Champagne-Ardenne, ce sont la droite et le FN qui s’affrontent en duel, la gauche étant systématiquement reléguée en troisième place, voire parfois, quasiment littéralement rayée de la carte. On retrouve cette même configuration en Alsace-Moselle, dans la grande couronne lyonnaise et sur la majeure partie de Provence-Alpes-Côte d’Azur, la gauche n’étant par exemple présente au second tour que dans 2 cantons sur les 23 que compte le département du Var. Mais, fait intéressant, à quelques kilomètres d’écart, à l’ouest, la configuration dominante change une nouvelle fois : le FN fait toujours partie du duopole, mais c’est alors à la gauche qu’il fait face sur toute la moitié ouest du littoral méditerranéen. Si le FN bénéficie d’une forte audience sur tout l’arc méditerranéen, de Perpignan à Nice, une frontière passant à l’ouest des Bouches-du-Rhône coupe cet espace en deux : en Languedoc-Roussillon (le « Midi rouge »), c’est la gauche qui est en première ligne face à la poussée frontiste, alors qu’en Provence-Alpes-Côte d’Azur, c’est la droite. Hormis dans le Languedoc-Roussillon, le duopole gauche-FN (configuration la moins fréquente) s’observe dans des territoires historiquement marqués à gauche et de tradition ouvrière. On peut ainsi citer le bassin minier du Pas-de-Calais, le Valenciennois, la région amiénoise, la Lorraine métallurgique ou bien encore certains cantons limougeauds. Enfin, on constate que, pour une bonne part d’entre elles, les triangulaires ont lieu dans des espaces de transition. Elles sont en effet souvent situées à la périphérie des blocs identifiés précédemment. Pour ce qui est du littoral méditerranéen, on rencontre des triangulaires en marge des zones soumises à des duels droite-FN ou gauche-FN. C’est le cas dans une partie du Vaucluse, dans le sud de la Drôme et de l’Ardèche, dans le sud-ouest de l’Aude ou dans la plaine du Roussillon et dans le Conflent, pour ce qui est des Pyrénées- Orientales. On constate la même configuration dans la vallée de la Garonne, avec des triangulaires concentrées dans le Lot-et-Garonne et la Gironde, dans la troisième couronne lyonnaise (Loire, Ain, nord de l’Isère et de la Drôme) ou bien encore sur les marges du bassin parisien élargi : Pays de Caux, plaine de Caen, région de Loches, de Blois, une partie du Cher et de la Nièvre.
Tout se passe comme si on était en présence de territoires où les trois grands blocs ont encore le droit de cité et sont parvenus à un équilibre instable, mais où cet équilibre instable ou provisoire peut être remis en question de deux manières : en cas de nouvelle poussée frontiste, qui se traduirait localement par l’éviction de la gauche et de la droite, ces cantons auraient alors potentiellement vocation à s’agréger aux blocs décrits précédemment comme les espaces de duels droite-FN et de duels gauche-FN ; ou, au contraire, dans l’hypothèse d’un reflux du vote FN qui laisserait alors les premiers rôles à la gauche et à la droite, ces cantons pourraient rebasculer vers la configuration traditionnelle gauche-droite, l’influence du FN se rétractant sur ses bastions géographiques.
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