Régionales 2015 (2) : les partis, contestés mais pas concurrencés
Introduction
Le premier tour : Les partis, contestés mais pas concurrencés
Influence du redécoupage sur la participation
Le vote régionaliste alsacien noyé dans la nouvelle région
Vote protestataire breton : entre Bonnets rouges et régionalistes
Une candidature sans les partis ? La tentative de Philippe Saurel
Le second tour
Le front républicain a fonctionné
L’électorat Front national et le vote stratégique
L’impact contrasté du découpage régional sur l’issue du vote
Jean-Pierre Masseret fait de la résistance et maintient son score au second tour
Résumé
Les élections régionales des 6 et 13 décembre 2015 se déroulaient dans le cadre renouvelé de treize régions métropolitaines, contre vingt-deux lors des élections régionales de 2010. Certaines fusions régionales ont donné lieu à une forte opposition.
Dans cette étude, seconde partie d’une double note, les auteurs analysent tout d’abord l’impact du redécoupage sur la participation. Ils montrent que, dans les régions fusionnées, plus on s’éloigne de la nouvelle capitale régionale et donc du nouveau cœur des décisions politiques, plus la participation a reculé comparativement au premier tour des élections régionales précédentes.
Ils analysent ensuite la géographie des forces politiques régionalistes ou s’étant opposées au redécoupage dans certaines régions : les régionalistes en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine et en Bretagne, et la liste Citoyens du Midi emmenée par Philippe Saurel, maire de Montpellier, en Languedoc- Roussillon-Midi-Pyrénées.
Les auteurs montrent également l’efficacité du front républicain lors des duels droite-Front national du second tour (en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Nord-Pas-de-Calais-Picardie) et les différents choix stratégiques adoptés par les électeurs frontistes en fonction de l’éventualité d’une victoire Front national ou de la possibilité de renforcer la droite pour faire échec à la gauche. Enfin, ils étudient l’impact du redécoupage sur l’issue du second tour dans certaines régions fusionnées.
Jérôme Fourquet,
Directeur du département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop.
Sylvain Manternach,
Géographe-carthographe, formé à l’Institut français de géopolitique.
Européenne 2014 (1) : la gauche en miettes
Départementales de mars 2015 (1) : le contexte
Départementales de mars 2015 (2) : le premier tour
Départementales de mars 2015 (3) : le second tour
Européenne 2014 (1) : la gauche en miettes
Européenne 2014 (2) : poussée du FN, recul de l'UMP et vote breton
Élections européennes 2009 : analyse des résultats en Europe et en France
Introduction
Dernières élections programmées du quinquennat de François Hollande, les élections régionales de 2015 ont été aussi les premières à se dérouler dans le cadre des nouvelles régions redécoupées. Le nombre de régions métropolitaines passant de vingt-deux à treize, le poids des régions fusionnées s’en est trouvé renforcé, mais ces fusions ont provoqué une forte opposition car elles faisaient disparaître certaines «régions historiques» ou provoquaient la perte de la capitale régionale au profit de la métropole voisine. Ces fusions ont abrasé les équilibres démographiques et électoraux existants, et en ont créé de nouveaux.
Compte tenu des contraintes éditoriales, nous avons pris le parti dans le cadre de cette double note non pas de traiter de manière détaillée le cas de chacune des treize régions métropolitaines mais de nous concentrer sur certains questionnements qui ont émergé lors de la campagne et au lendemain des résultats afin d’y apporter des éléments de réponse et de contribuer à éclairer la compréhension de cet important scrutin.
Dans cette seconde note, nous aborderons les problématiques suivantes :
- Quel a été l’effet du redécoupage sur la participation ?
- Quelle a été la portée de ce scrutin sur les partis à forte identité locale ou contestant le nouveau découpage régional ?
- Quels enseignements peut-on tirer des résultats du second tour ?
- Quel a été l’effet du redécoupage sur l’issue finale dans les régions fusionnées ?
Le premier tour : Les partis, contestés mais pas concurrencés
Influence du redécoupage sur la participation
Sondage ifop-Sud-Ouest Dimanche réalisé auprès de 978 personnes par questionnaire auto-administré en ligne du 9 au 11 avril
Sondage TN-Sofres pour l’institut de la gouvernance territoriale et de la décentralisation, réalisé en ligne auprès de 1.005 personnes âgées de 18 ans et plus, entre le 2 et le 7 septembre
En 2014, d’après plusieurs sondages, l’opinion française semblait favorable à la réforme territoriale et à la réduction de moitié du nombre de régions métropolitaines comme l’atteste par exemple celui réalisé par l’Ifop pour Sud-Ouest Dimanche en avril 20141 et qui donnait 60% d’opinions favorables à la réforme. Mais, au fil des mois et à mesure que les opposants donnaient de la voix, l’adhésion s’est érodée. Ainsi, à quelques mois des élections régionales, un sondage TN-Sofres réalisé en septembre 20152, indiquait que 37% des Français jugeaient que la réforme territoriale était une mauvaise chose, contre 27% qui y voyaient une bonne chose et 28% ni une bonne ni une mauvaise.
On peut dès lors se demander si ce retournement de l’opinion a eu un impact sur la mobilisation électorale, notamment dans les régions redécoupées. Impact qui pourrait être soit positif – les électeurs de ces régions se mobilisant davantage pour exprimer leur mécontentement –, soit négatif – le même sentiment se traduisant alors par la grève des urnes.
Si l’on traite globalement les régions redécoupées et celles qui ne l’ont pas été, on constate que la participation progresse plus fortement dans les régions redécoupées que dans celles qui ont conservé leur périmètre historique : +4,2 points pour les régions redécoupées entre les premiers tours des régionales 2010 et 2015, contre +3,2 points pour les régions intactes, la moyenne métropolitaine s’établissant, elle, à +3,8 points. L’hypothèse d’une démobilisation générale dans les régions redécoupées est donc infirmée.
Si la participation a le plus augmenté en tendance dans les régions redécoupées, ce phénomène a-t-il été observé à l’identique dans tous les territoires ou ces derniers ont-ils réagi différemment selon leur situation ? On peut ainsi se demander si le redécoupage régional a entraîné dans les régions redécoupées une moindre mobilisation dans les régions dont la capitale s’est trouvée «déclassée» en perdant son statut de capitale régionale et si, à l’inverse, la hausse de la participation a été d’abord le fait des régions, voire des départements, abritant la capitale du nouvel ensemble, territoire renforcé à l’issue de cette réforme.
L’évolution de la participation entre les premiers tours des régionales 2010 et 2015 valide largement cette hypothèse. En dehors de la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, où c’est en Languedoc-Roussillon que la participation progresse le plus (+2 points, contre +1 point en Midi- Pyrénées), toutes les autres régions offrent le même profil. La participation y progresse plus, voire nettement plus, dans la région qui conserve la capitale régionale. Alors que la différence est nulle entre le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie où la candidature de Marine Le Pen a créé une forte dynamique participative dans les deux régions ou entre les deux Normandie où, d’après les sondages, les habitants des deux régions étaient favorables à la fusion ; elle est très marquée entre l’Aquitaine, d’une part, et le Limousin et Poitou- Charentes, d’autre part, ou encore entre Rhône-Alpes et Auvergne, ou enfin entre Bourgogne et Franche-Comté comme le montre le graphique 1.
Graphique 1 : évolution de la participation entre le 1er tour des régionales de 2010 et le 1er tour des régionales de 2015 dans les anciennes régions métropolitaines ayant fusionné
Au-delà des chiffres à l’échelle des anciennes régions présentés dans le graphique 1, la cartographie nationale (voir carte 1) de l’évolution de la participation électorale entre 2010 et 2015 est aussi riche d’enseignements. Comme on peut le voir, en Rhône-Alpes-Auvergne, par exemple, la mobilisation est beaucoup moins forte en Auvergne qu’en Rhône-Alpes. Malgré la forte mobilisation dans le département de la Haute-Loire, fief de Laurent Wauquiez (+8 points entre 2010 et 2015), c’est bien en Rhône- Alpes que la participation progresse le plus avec +5,1 points, contre +0,9 point en Auvergne. C’est d’ailleurs dans le département du Cantal, le plus éloigné de Rhône-Alpes et de sa capitale lyonnaise, que le bleu, couleur froide choisie pour identifier la démobilisation électorale, se fait le plus insistant. L’éloignement géographique de la nouvelle capitale régionale joue dans le Cantal un rôle de démobilisation (–0,9 point) dans un contexte général de forte mobilisation électorale.
On retrouve cette même tendance dans les autres régions redécoupées, où l’éloignement de la nouvelle capitale régionale a aussi découragé une partie des électeurs de se prononcer pour un scrutin portant sur un échelon administratif et politique dont le centre de décision s’est éloigné à l’occasion de la réforme territoriale.
En Limousin, c’est le département de la Creuse, le plus éloigné de Bordeaux, qui se teinte nettement de bleu pour une participation en baisse de 2,1 points, tandis qu’en Poitou-Charentes, en dehors de la Charente-Maritime, limitrophe de la Gironde, la baisse est d’autant plus forte que l’éloignement à Bordeaux grandit : –0,7 point en Charente, –0,9 point dans la Vienne et, surtout, –3 points dans les Deux-Sèvres.
Carte 1 : évolution de la participation entre le 1er tour des élections régionales de 2010 et le 1er tour des élections régionales de 2015 (en %)
La logique est la même en Lozère, département de la nouvelle région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées qui voit sa participation baisser le plus (–2,8 points), alors qu’elle augmente partout ailleurs en Languedoc- Roussillon, ce qui est à rapprocher des scores élevés du Front national sur le littoral languedocien. Dans cette même grande région, l’éloignement à Toulouse semble aussi jouer un rôle majeur dans le nord de l’ancienne région Midi-Pyrénées avec des baisses de participation enregistrées dans l’Aveyron (–1,3 point) et le Lot (–1,6 point), alors que la tendance sur l’ensemble du périmètre de l’ancienne région est à +1 point. On peut aussi relever qu’en Normandie, malgré une progression de la participation quasiment identique entre les deux régions, c’est bien dans le département de la Manche, le plus éloigné de Rouen, que la participation progresse le moins fortement, avec +2,3 points contre +3,3 points dans la nouvelle région.
Enfin, dans la nouvelle région rassemblant l’Alsace, la Lorraine et Champagne- Ardenne, c’est à nouveau le département le plus éloigné de Strasbourg qui se distingue, puisque c’est dans les Ardennes que la participation progresse le moins avec +1,9 point contre +5,1 points pour l’ensemble de l’ancienne région Champagne-Ardenne. À l’inverse, c’est l’ancienne région Alsace qui affiche la progression de la participation la plus forte avec +6 points. C’est aussi dans cette nouvelle région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine (Acal) que l’opposition à la fusion était la plus forte (d’après un sondage TNS réalisé en septembre 2015, 57% des habitants y étaient opposés, contre 20% d’habitants favorables) et qu’une offre politique spécifique s’efforçait de rassembler les opposants à la réforme territoriale.
Le vote régionaliste alsacien noyé dans la nouvelle région
Voir Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach, Départementales de mars 2015 (2) : le premier tour, « Les votes régionalistes », Fondation pour l’innovation politique, août 2015, p. 30-34.
Menée par le parti régionaliste alsacien Unser Land («Notre pays»), associé au Parti lorrain, au Parti mosellan et à l’Alliance écologiste indépendante (AEI), la liste «Non à l’Acal, oui à nos régions !» n’obtient des scores notables qu’en Alsace, région qui pourtant conserve la capitale régionale. Ce vote a essentiellement été porté par Unser Land, parti régionaliste alsacien qui a organisé l’opposition à la réforme territoriale, notamment en maintenant, le 30 novembre 2014, une manifestation interdite par la préfecture du fait de la présence supposée de personnes violentes. La manifestation s’est déroulée sans incident, en présence d’élus ou d’anciens élus alsaciens.
Fort de cette mobilisation réussie, Unser Land est parvenu lors des départementales de 2015 à présenter des binômes dans vingt-trois des quarante cantons alsaciens et a réalisé des scores en très nette progression par rapport aux élections cantonales de 2011, avec en moyenne 14,4% dans les vingt-trois cantons où il était présent et une capacité à mordre aussi bien sur l’électorat de droite que sur celui de gauche3. Les dirigeants du mouvement ont donc décidé de poursuivre sur leur lancée en présentant une liste aux régionales de décembre 2015 mais, conscients qu’il leur fallait trouver des alliés et relais au-delà de l’Alsace, ils se sont rapprochés de différents petits mouvements en Lorraine et Champagne-Ardenne. Cette stratégie a montré ses limites puisque cette liste n’obtient que 4,7% des suffrages exprimés sur l’ensemble de la grande région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, avec des résultats qui se déclinent comme suit : 1,1% en Champagne-Ardenne, 1,6% en Lorraine et 11,1% en Alsace.
Carte 2 : Score de la liste «Non à l’Acal, oui à nos régions !» au 1er tour des élections régionales de 2015 (en % des suffrages exprimés)
On le voit nettement sur la carte 2, le vote «Non à l’Acal, oui à nos régions !» n’est pas seulement marqué par les considérables différences de niveau entre les anciennes régions, avec un rapport de 1 à 10 entre la Champagne-Ardenne et l’Alsace et de 1 à 7 entre la Lorraine et l’Alsace mais surtout par les frontières que dessinent ce vote entre l’Alsace et la Lorraine.
Au passage de la frontière administrative entre le Haut-Rhin et les Vosges et entre le Bas-Rhin et la Moselle, en dépit d’une certaine résistance de ce vote dans cette dernière, le vote «Non à l’Acal, oui à nos régions !» s’effondre littéralement. Comme on peut le constater sur le graphique 2, le franchissement des cols entre le sud-est vosgien et le Haut-Rhin marque le passage brutal d’un vote «Non à l’Acal, oui à nos régions !» résiduel à un vote qui place cette liste en première ou deuxième position lors du 1er tour des élections régionales. Pourtant, entre le centre-bourg de Ventron, qui accorde 1,2% à cette liste, et celui de Kruth, où le vote est de 26,9%, il y a très exactement douze kilomètres en passant par le col d’Oderen. De la même façon, en passant par le col de Bussang, dix kilomètres seulement séparent Bussang (Vosges) et Urbès (Haut- Rhin), mais la liste enregistre un écart considérable de son score entre ces deux communes (respectivement 3,1 et 25,8%).
Le franchissement des cols d’Oderen et de Bussang correspond au franchissement de l’ancienne frontière administrative entre la Lorraine et l’Alsace mais aussi à la frontière entre la France et l’Allemagne entre 1871 et la fin de la Première Guerre mondiale. C’est aussi le franchissement de la limite linguistique du dialecte alsacien.
Graphique 2 : Score de la liste «Non à l’Acal, oui à nos régions !» de part et d’autre des cols vosgiens (en %)
Mentionné plus haut, le score de la liste «Non à l’Acal, oui à nos régions !» en Moselle, avec 2,1% des suffrages, est légèrement plus élevé que dans les autres départements de Lorraine. Si, là encore, l’histoire de la frontière entre la France et l’Allemagne a laissé des traces, il semble que ce soit aussi la limite linguistique entre zones francophone et germanophone qui a influencé le vote pour les régionalistes réunis sous la bannière «Non à l’Acal, oui à nos régions !», puisque les communes qui ont accordé entre 2 et 5% des suffrages à la liste opposée à la fusion régionale ont été beaucoup plus nombreuses au nord-est de la frontière linguistique de la fin du XIXe siècle qu’au sud-ouest, où les résultats se sont situés le plus souvent sous les 2% des suffrages exprimés (voir carte 2).
Comme nous l’avons constaté plus haut, la hausse de la participation entre le 1er tour des élections régionales 2010 et celui des régionales 2015 a été légèrement plus importante dans l’ancienne région Alsace (+6 points) que dans les anciennes régions Champagne-Ardenne et Lorraine (+5,1 points). Or, en Alsace, le vote «Non à l’Acal, oui à nos régions !» est fortement corrélé à la hausse de la participation entre les régionales de 2010 et 2015. Comme le montre le graphique 3, en 2015, plus le score de cette liste a été important et plus la participation a augmenté par rapport à 2010. Nous avons là une autre conséquence très localisée du redécoupage des régions, mais c’est cette fois l’opposition à ce redécoupage qui, grâce à une offre politique adaptée, a entraîné une forte mobilisation électorale. La hausse de la participation a ainsi été de 3,5 points en moyenne dans les communes où la liste a fait moins de 5% des suffrages exprimés et de 9,4 points dans celles où elles ont obtenu 20% des suffrages ou plus.
Graphique 3 : évolution de la participation entre le 1er tour des élections régionales de 2010 et le 1er tour des élections régionales de 2015 en Alsace en fonction du score de la liste «Non à l’Acal, oui à nos régions !»
Copyright :
Score de la liste «Non à l’Acal, oui à nos régions!» en % des suffrages exprimés
La question posée était précisément : « Approuvez-vous le projet de création d’une collectivité territoriale d’Alsace, par fusion du conseil régional d’Alsace, du conseil général du Bas-Rhin et du conseil général du Haut- Rhin ? »
Site internet d’Unser Land
Voir Jérôme Fourquet, « éléments d’analyse sur l’échec du référendum alsacien », Fondation Jean-Jaurès, note no 164, 11 avril 2013
Il est intéressant de noter par ailleurs que la liste « Non à l’Acal, oui à nos régions ! » obtient de meilleurs scores dans le Haut-Rhin (12,6 %) que dans le Bas-Rhin (10,1 %). Pourtant, lors du référendum alsacien du 7 avril 2013 sur la création d’une collectivité territoriale unique4, c’est le Haut-Rhin qui s’était nettement prononcé contre cette éventualité avec 55,7% de non, alors que le oui l’emportait dans le Bas-Rhin avec 67,5%. Or cette collectivité unique est un objectif nettement affiché des régionalistes alsaciens, notamment du mouvement Unser Land : «L’Alsace doit devenir un territoire autonome organisé autour de trois échelons : la région, les pays, les communes. Toutes les autres structures doivent être fusionnées dans le nouvel ensemble5.» Les disparitions programmées de la préfecture du Haut- Rhin et du tribunal de Colmar avaient notamment amené le maire de la ville, Gilbert Meyer, à se positionner contre le projet, ce qui a contribué sans aucun doute au non-franchissement de la barre des 50% de oui dans le Haut- Rhin, département qui apparaissait alors comme étant plus «jacobin» que le Bas-Rhin. Toutefois, le fait que les Haut-Rhinois aient été en 2015 les plus en pointe sur le vote pour les régionalistes d’Unser Land n’est peut- être qu’un paradoxe apparent. Dans les deux cas, lors du référundum de 2013 comme aux élections régionales, il s’est agi d’un vote de protection face à une évolution institutionnelle perçue avec inquiétude par un territoire fragilisé. Nous avions alors montré que le non au référendum alsacien était fortement corrélé au plan géographique avec le non au référendum de 2005 sur la Constitution européenne6. À chaque fois, le Haut-Rhin apparaît donc davantage sur la défensive que le Bas-Rhin, et plus particulièrement que l’aire strasbourgeoise, plus dynamique économiquement et qui a peu voté pour Unser Land et avait affiché les taux d’adhésion aux référendums de 2013 et 2005 les plus élevés d’Alsace.
Vote protestataire breton : entre Bonnets rouges et régionalistes
Voir Jérôme Fourquet, Européennes 2014 (2) : poussée du FN, recul de l’UMP et vote breton, « Le vote Troadec : les Bonnets Rouges s’invitent aux urnes », Fondation pour l’innovation politique, octobre 2014, p. 39-44.
Barbara Loyer et Bertrand Guyader, «Les Bonnets rouges : un mouvement pour un projet géopolitique», Hérodote, no 154, 3e trimestre 2014, p. 223-242.
Cette liste a obtenu 9,7% des suffrages exprimés au 1er tour puis a fusionné avec la liste PS-PCF-PRG de Jean-Yves Le Drian créditée de 38,5% des suffrages exprimés. L’UDB, parti régionaliste breton fondé en 1964, s’allie régulièrement au PS ou à EELV lors des scrutins
« Nous te ferons, Bretagne […] En te nommant Bretagne/Nous te donnerons figure/Nous te ferons patrie […] Nous te ferons nation… », cité in Barbara Loyer et Bertrand Guyader, cit.
Sur le site de la campagne « Nous te ferons Europe », Christian Derrien exprime ainsi son souhait de voir se créer une Europe des régions : «Je me suis engagé depuis les élections régionales de 2010 avec Christian Troadec et le Mouvement Bretagne et Progrès dans le projet de faire de la Bretagne à cinq départements [c’est-à-dire intégrant la Loire-Atlantique] une région forte et ouverte sur le monde, à l’image des grandes démocraties régionales comme l’écosse, la Catalogne, le pays Basque ou encore les Länders Cette démarche est indissociable du développement d’une Europe fédérale des régions accompagnant les initiatives des territoires sur les plans économique, social, culturel et environnemental, au plus près des citoyens.»
Créé en 2010 à la suite de la campagne «Nous te ferons Bretagne» des régionales de
La Bretagne, elle, n’était pas concernée par la réforme territoriale alors même que les régionalistes bretons réclament de longue date le rattachement de la Loire-Atlantique à leur région. Le vote régionaliste, qui s’appuie sur des élus à l’implantation locale forte, n’en est pas moins puissant après avoir su se greffer sur le mouvement social des Bonnets rouges de l’automne 2013. Alors même que ces élections régionales 2015 ont confirmé la tripolarisation de l’espace politique et que le Parti socialiste, la droite unie et le Front national France, le Centre Bretagne se distingue en portant en tête au 1er tour la liste «Oui la Bretagne» emmenée par Christian Troadec. Cette particularité n’est toutefois pas une surprise. Déjà, lors des européennes de 2014, la liste «Nous te ferons Europe», menée par le même Christian Troadec faisait de ce territoire une exception française7. Il s’agissait du prolongement électoral du mouvement social des Bonnets rouges, constitué autour de l’opposition frontale au gouvernement sur l’instauration de l’écotaxe de l’automne 2013 en Bretagne et opportunément pris en main par Christian Troadec, leader régionaliste incontournable du Centre Bretagne et porte-parole du Mouvement Bretagne et Progrès (MBP). Comme le rappellent Barbara Loyer et Bertrand Guyader8, la charte d’adhésion au Mouvement Bretagne et Progrès indique qu’il s’agit d’un «mouvement politique qui rassemble des femmes et des hommes qui ont pour ambition d’aboutir à l’émancipation politique, économique, culturelle et sociale de la Bretagne».
Lors des états généraux des Bonnets rouges, le 8 mars 2014, des doléances aussi éloignées de la crise de l’écotaxe que l’officialisation de la langue bretonne, le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne ou encore la création d’un parlement breton sur le modèle de l’Écosse ou de la Catalogne furent présentées par les comités locaux. Pour la fermeture de ces états généraux, c’est André Lavanant, qui dirigea le chant de l’hymne breton. Cet ancien président de Diwan (réseau d’écoles en langue bretonne) est le secrétaire général de l’association Mouvement Bretagne et Progrès dont Christian Troadec est le porte-parole. Mais ce dernier cumule les casquettes. Maire de Carhaix-Plouguer depuis 2001, après avoir cofondé le festival des Vieilles Charrues dans la commune en 1992, il a été élu conseiller régional en 2004 sur une liste écolo-régionaliste menée par Les Verts et l’Union démocratique bretonne (UDB)9. En 2008, il prend la tête de la mobilisation pour le maintien de la maternité de Carhaix et sera élu conseiller général du canton de Carhaix-Plouguer en 2011, en même temps que Christian Derrien, autre leader du MBP, dans le canton voisin de Gourin, dans le Morbihan. Mais Christian Troadec a surtout mené dès 2010 une liste de gauche alternative et régionaliste «Nous te ferons Bretagne». L’intitulé de cette liste renvoie à des vers d’une chanson de Xavier Grall, écrivain nationaliste breton10, et «Nous te ferons Europe» en sera la déclinaison à l’échelle européenne11 pour les élections de 2014.
Aussi le bilan du 1er tour des élections régionales du vote «Oui la Bretagne» peut-il se lire à l’aune de ces deux précédents européens et régionaux. En pourcentage des suffrages exprimés sur l’ensemble de la Bretagne, le gain de 2,9 points enregistré entre les régionales de 2010 et les européennes de 2014 (soit quelques mois après le mouvement d’opposition à l’écotaxe) est quasiment intégralement conservé en décembre 2015, puisqu’avec une perte marginale de 0,5 point ; c’est donc encore un gain de 2,4 points qu’enregistre le Mouvement Bretagne et Progrès12 entre les régionales de 2010 et celles de 2015.
Tableau 1 : évolution du vote Troadec dans les départements bretons de 2010 à 2015
Cette progression par rapport aux précédentes élections régionales a permis à la liste «Oui la Bretagne», également soutenue par l’UDB, de finir à une quatrième place régionale, juste devant Europe Écologie-Les Verts (avec 6,7% des suffrages exprimés pour chacune des listes, mais avec une avance de 211 voix pour les régionalistes bretons). Sur la période 2010-2014-2015, la progression en voix est même continue, puisque la liste Troadec passent de 47.109 voix en 2010 à 75.888 voix en 2014, soit une évolution de + 61,1%, puis à 80.932 voix en 2015, la légère baisse du score en pourcentage des suffrages exprimés (de 0,5 point) est donc provoquée par la plus forte mobilisation électorale en Bretagne lors de ces élections de fin d’année 2015.
C’est dans le département du Finistère, où se trouve la commune de Carhaix- Plouguer, que la progression est la plus importante, ce qui permet à la liste Troadec de dépasser les 10% des suffrages exprimés dans ce département lors des européennes de 2014 (11,5% des suffrages exprimés, contre 6,8% en 2010) et des régionales 2015 (10,6% des suffrages exprimés). Viennent ensuite les départements des Côtes-d’Armor et du Morbihan, dans cet ordre inchangé de 2010 à 2015. Et non seulement l’ordre est le même, mais la très forte «logique de fief» identifiée lors des élections européennes de 2014 n’a été en fait que la reproduction accentuée du vote de 2010. Comme le montre le graphique 4, le vote Troadec atteint ainsi son maximum à Carhaix-Plouguer (44,8% des suffrages exprimés en 2015 dans cette commune dont il est maire) et à proximité immédiate de la commune, pour décroître progressivement à mesure de l’éloignement de cet épicentre politique : 37,4% à moins de 5 kilomètres puis 29,7% dans un rayon de 5 à 15 kilomètres, ce score ne tombant sous la barre symbolique des 10% qu’une fois atteint les 40 kilomètres, comme en 2014, pour finir à moins de 5% au-delà de 80 kilomètres de distance.
Ce phénomène très marqué est identique depuis 2010 et le vote Troadec est antérieur au «vote Bonnets rouges» et l’a profondément structuré.
Néanmoins, l’observation attentive des données de ce graphique montre aussi que le vote Troadec a su profiter du mouvement des Bonnets rouges pour élargir son audience puisque, s’il réalise un score quasi identique à celui de 2010 à proximité immédiate de Carhaix-Plouguer (37,4% en 2015, contre 36,2% en 2010, après une pointe à 40,4% en 2014 dans la zone des 5 kilomètres), la progression est nettement plus forte lorsque l’on s’éloigne de Carhaix-Plouguer : +5,8 points entre 5 et 15 kilomètres, +4,6 points entre 15 et 25 kilomètres…
Graphique 4 : Le vote Troadec en fonction de la distance à Carhaix-Plouguer de 2010 à 2015
Si l’on met en regard la carte du vote Troadec en 2015 et celle des destructions de portiques écotaxe (actions ayant symbolisé ce mouvement des Bonnets rouges), on constate que ce vote s’est parfaitement inscrit dans ce territoire qui a constitué l’épicentre du mouvement des Bonnets rouges, qui n’a pas pris avec la même ampleur partout en Bretagne. Occuper cet espace de contestation, qui correspond au Centre Bretagne, a permis à Christian Troadec de sortir de son aire d’influence personnelle.
La présence d’élus locaux – des maires principalement – sur la liste «Oui la Bretagne» a aussi participé localement à la propagation de ce vote à distance de Carhaix-Plouguer. La carte du vote «Oui la Bretagne» est sans appel quant à la mise en évidence de l’impact électoral de tous ces ralliements de notables locaux : quels que soient le département breton et la distance à Carhaix-Plouguer, la présence d’un maire sur la liste a entraîné une nette mobilisation en faveur de la liste régionaliste. À Langoëlan et Locmélar, grâce aux renforts des maires Yann Jondot et Pierre-Yves Le Moal, les scores de la liste «Oui la Bretagne» se sont établis à 40,7% et 40,5%, soit 28,6 et 28,4 points de plus que l’ensemble des communes situées à la même distance de Carhaix-Plouguer (entre 25 et 40 kilomètres). Un peu plus loin de Carhaix- Plouguer, dans la strate des villes situées entre 40 et 60 kilomètres, les maires de Plonévez-Porzay (Paul Divanac’h) et de Ploumagoar (Bernard Hamon) ont entraîné avec eux de nombreux électeurs, permettant à la liste d’atteindre 30,5 et 23% dans leurs communes, pour un gain respectif de 22,1 et 14,6 points par rapport aux scores moyens à cette distance de Carhaix-Plouguer. Même à plus de 80 kilomètres de Carhaix-Plouguer, au-delà de la limite historique du parler breton, les maires d’Évran, Langouet ou Lassy ont porté le vote Troadec dans leurs communes : alors qu’à cette distance ce vote n’est plus en moyenne que de 4%, il atteint 22,5% à Évran, 15,1% à Langouet et 9,2% à Lassy.
Alors même que le canton de Gourin, fief de Christian Derrien, est passé en 2015 de 5 à 29 communes du fait du redécoupage
De leur côté, Christian Troadec et Christian Derrien, deux des principaux leaders du Mouvement Bretagne et Progrès et des Bonnets rouges, ont su capitaliser sur l’élan de la mobilisation de 2013-2014 afin de se faire élire ou réélire conseillers départementaux lors des élections départementales de 201513. Et si la non-qualification pour le 2e tour des régionales 2015 et l’absence d’accord de fusion avec les listes socialistes n’ont pas permis aux régionalistes du MBP et de l’UDB de se faire élire au conseil régional, l’emprise du Mouvement Bretagne et Progrès sur ce territoire se trouve confirmée et renforcée.
Carte 3 : Score de la liste «Oui la Bretagne» au 1er tour des élections régionales de 2015 (en % des suffrages exprimés)
Une candidature sans les partis ? La tentative de Philippe Saurel
Voir Jérôme Fourquet, Sylvain Manternach, Départementales de mars 2015 (3) : le second tour, « Un effet domino », Fondation pour l’innovation politique, août 2015, p. 19-30.
Autre mécontent du redécoupage territorial, Philippe Saurel n’est pas un régionaliste mais est l’homme d’une marque, celle de sa ville, Montpellier, dont il a ravi la mairie au Parti socialiste en mars 2014 et qui, à l’occasion de la fusion des régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, a perdu son titre de capitale régionale, attribuée à Toulouse. Lors des élections régionales, il présentait la liste Citoyens du Midi dans la nouvelle région, en espérant se qualifier pour le 2e tour et peser sur les résultats de la nouvelle région.
Certes, Montpellier n’a pas tout perdu, puisque les effectifs administratifs sont partagés entre Toulouse et Montpellier, qui conserve notamment l’Agence régionale de santé, le rectorat coordinateur, le siège de la Chambre régionale des comptes, la direction générale des Affaires culturelles et celle de la Jeunesse et des Sports. Mais le choc symbolique a néanmoins été assez rude, car Montpellier a été imprégné des années durant par un discours frêchiste présentant la ville comme la principale métropole du Grand Sud et vantant les réalisations architecturales du maire bâtisseur. Dans ce contexte, Philippe Saurel, fort de sa victoire aux municipales de 2014 face au Parti socialiste et des succès remportés aux élections départementales de 2015 par ses alliés et lieutenants dans quatre des cinq cantons dans lesquels ils se présentaient (sur les six cantons montpelliérains14), décida de présenter aux régionales une liste de gauche faisant la part belle aux élus locaux et aux citoyens. Au-delà du discours sur la participation citoyenne et la dénonciation de la confiscation de la démocratie par les appareils partisans, l’un des principaux ressorts sur lequel misaient les initiateurs de cette liste résidait dans le ressentiment des Languedociens et des Montpelliérains vis-à-vis de ce «mariage forcé». Il est dès lors intéressant d’analyser la géographie de ce vote pour voir si cette logique régionale a fonctionné.
Si la liste Citoyens du Midi a réussi à atteindre les 5% des suffrages exprimés (à une cinquantaine de voix près) sur l’ensemble de la nouvelle région, lui permettant théoriquement de fusionner avec d’autres listes au 2e tour, elle a échoué dans sa quête des 10%, ce qui lui aurait permis de se maintenir au 2e tour et de peser fortement sur le résultat final. Pour Philippe Saurel et son mouvement, qui rêvaient de réitérer l’exploit des municipales et des départementales, la marche était trop haute, non seulement en Languedoc- Roussillon où ils n’ont obtenu que 7,8% des suffrages exprimés mais, surtout, en Midi-Pyrénées où les électeurs ne leur ont accordé que 2,4% des suffrages.
Comme le montre le graphique 5, la forte influence de Philippe Saurel, qui lui aurait éventuellement permis de gagner son pari, s’arrête à 25 kilomètres de Montpellier. Au-delà, que ce soit en Languedoc-Roussillon ou en Midi- Pyrénées (la commune de Midi-Pyrénées la plus proche de Montpellier se trouve au-delà de 25 kilomètres), la barre des 10% n’est plus jamais atteinte. Si l’influence de Philippe Saurel est d’abord perceptible à Montpellier, où il recueille 24,1% des suffrages exprimés, elle décroît très rapidement mais reste forte à proximité immédiate de l’ancienne capitale régionale. On le voit, la distance et même les liens à Montpellier jouent un rôle essentiel dans les scores réalisés par la liste Saurel. En effet, dans les deux premières couronnes autour de Montpellier où le dynamisme de la ville se fait le plus ressentir, les scores sont encore de 15,9% entre 5 et 15 kilomètres et 11,6% entre 15 et 25 kilomètres.
Graphique 5 : Score de la liste Citoyens du Midi en fonction de la distance à Montpellier en Languedoc-Roussillon et en Midi-Pyrénées
C’est dans ces deux zones géographiques que l’on retrouve les villes membres de Montpellier Méditerranée Métropole, dont Philippe Saurel est le président. Le score dans ces villes (en retirant Montpellier) est de 17,5% : le lien organique à Montpellier joue donc même légèrement plus que la simple distance géographique.
Le vote pour la liste Citoyens du Midi continue à décroître au fur et à mesure que l’on s’éloigne de Montpellier, pour atteindre un minimum dans la strate de communes situées entre 100 et 150 kilomètres en Languedoc-Roussillon et remonter ensuite du fait de la présence d’élus locaux sur la liste et du nombre réduit de communes dans la dernière strate. De plus, on remarque qu’à une distance équivalente, le fait qu’une commune soit située dans une ancienne région ou dans l’autre a aussi un léger impact puisqu’à distance identique les résultats sont automatiquement inférieurs en Midi-Pyrénées par rapport au Languedoc-Roussillon.
À l’instar de ce que l’on a observé en Bretagne avec le vote Troadec, hormis la distance au fief montpelliérain, une autre variable majeure des fluctuations du vote pour la liste Citoyens du Midi se dégage lorsque l’on considère l’impact de certains élus locaux (maires ou anciens maires, conseillers départementaux…). Conscient qu’il lui fallait trouver des relais en dehors de l’agglomération montpelliéraine pour tirer vers le haut le score de sa liste dans cette région, Philippe Saurel est parvenu à recruter certains notables. Plus de trente maires et anciens maires étaient ainsi présents sur la liste Citoyens du Midi. Comme on peut s’en rendre compte sur la carte 4 avec l’exemple de deux conseillers départementaux présents sur la liste – Bernard Palpacuer, conseiller du canton de Langogne, en Lozère, et Régis Cailhol, conseiller du canton des Monts-du-Réquistanais, dans l’Aveyron –, la présence de ces élus a pu parfois très ponctuellement doper les performances de la liste. Ainsi, dans la fourchette des distances à Montpellier de 100 à 150 kilomètres, les résultats ont été presque identiques d’une région à l’autre (3,4% en Languedoc-Roussillon contre 3% en Midi-Pyrénées), puisque ces élus locaux ont permis à la liste Citoyens du Midi de surperformer, non pas dans une commune mais dans une vaste zone. Ainsi, dans neuf des onze communes de la circonscription départementale de Bernard Palpacuer, les résultats obtenus ont dépassé les 9%, et même les 11% dans sept d’entre elles, alors que dans ce département la moyenne obtenue n’a été que de 5,2%. L’apport de Régis Cailhol est plus significatif encore : sur les quatorze communes que compte son canton, une commune dépasse les 30%, deux dépassent les 20% et sept dépassent les 12% pour la liste Citoyens du Midi, contre seulement une moyenne de 3,5% dans le département de l’Aveyron.
Carte 4 : Score de la liste Citoyens du Midi au 1er tour des élections régionales de 2015 dans la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées (en % des suffrages exprimés)
Le tableau 2 permet de constater les très bons scores réalisés grâce à l’apport d’un certain nombre d’autres maires présents sur la liste Citoyens du Midi et le gain substantiel qu’ils ont apporté en comparaison avec la moyenne dans leurs départements respectifs.
Tableau 2 : Apport électoral de maires candidats sur la liste Citoyens du Midi
Le second tour
Le front républicain a fonctionné
Jérôme Fourquet, Sylvain Manternach, Régionales 2015 (1) : vote FN et attentats, Fondation pour l’innovation politique, mars 2016
Comme on l’a examiné dans notre première note15, le Front national, au terme d’une progression supplémentaire, a atteint des niveaux très élevés et est arrivé en tête au premier tour. Cette situation a, une nouvelle fois, polarisé l’attention et fait l’objet de nombreux pronostics de victoires pour le parti lepéniste au 2e tour.
Néanmoins, le Front national n’a pas tout emporté sur son passage et il a été défait dans toutes les régions au 2e tour, y compris dans le Nord-Pas- de-Calais-Picardie et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, où il fondait ses plus grands espoirs. Alors que l’on pouvait avoir légitimement quelques doutes sur la propension des électeurs de gauche à voter massivement en faveur de Xavier Bertrand et de Christian Estrosi, dans ces deux régions la consigne du «front républicain» a été très largement appliquée (voir graphique 6).
D’après les estimations Ifop-Fiducial pour iTélé réalisées au soir du 2e tour, dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, 70% des électeurs du Parti socialiste du premier tour ont voté pour la liste de droite, ainsi que 62% de ceux de la liste Europe Écologie-Les Verts-Parti de gauche et même 53% de ceux de la liste du Parti communiste français (le reste des voix de gauche partant vers l’abstention).
Graphique 6 : Les reports de voix entre les 1er et 2e tours en Nord-Pas-de-Calais-Picardie et Provence-Alpes-Côte d’Azur
Même scénario en Provence-Alpes-Côte d’Azur, où Christian Estrosi a pu compter sur un report de deux tiers des électeurs de la liste Europe Écologie-Les Verts-Front de gauche et de ceux de la liste du Parti socialiste. Sous l’effet de ces imposants renforts du camp adverse, mais aussi du soutien de 17% des abstentionnistes du premier tour dans la région septentrionale et de 14% dans la région méridionale, les listes de droite ont spectaculairement refait leur retard au premier tour – Xavier Bertrand accusait un retard de près de 16 points et Christian Estrosi de 14 points – et pu ainsi arriver en tête au 2e tour. Leurs adversaires, cloués sur place par un véritable tir de barrage «républicain», ont vu s’envoler la perspective de conquérir un exécutif local, à l’image de ce qui avait eu lieu huit mois plus tôt lors des départementales. On peut voir dans cette absence de victoire du Front national au 2e tour, une illustration supplémentaire de cette résilience de la société française, même si jamais l’influence de l’idéologie frontiste n’a été aussi prégnante, notamment dans le contexte post-attentats qui demeure extrêmement pesant.
L’électorat Front national et le vote stratégique
Au 2e tour, des triangulaires se sont aussi déroulées dans dix régions métropolitaines et une quadrangulaire en Corse. À l’instar de ce qui s’était passé lors des élections municipales, l’évolution du score du Front national entre les deux tours a été contrastée selon les configurations, car une partie de l’électorat frontiste a été adepte du vote stratégique. Comme le montre le graphique 7, dans trois des quatre régions où le Front national était arrivé en tête au premier tour (Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, Bourgogne- Franche-Comté et Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine), il a progressé ou bien conservé son score du 1er tour, son électorat demeurant fidèle et des abstentionnistes du premier tour sont allés voter, motivés par une possibilité de victoire. À l’inverse, dans cinq des six régions où le Front national avait été distancé au premier tour, son score a reculé d’un tour à l’autre car la victoire apparaissait moins évidente. Il n’y a qu’en Bretagne où le score du Front national a légèrement progressé d’un tour à l’autre (0,7 point), en partie sous l’effet de reports de voix venant de l’électorat de la liste de Christian Troadec.
Graphique 7 : évolution du score du Front national entre les 1er et 2e tours pour les triangulaires des élections régionales de 2015
Copyright :
*Front national en tête au premier tour.
Ce phénomène ne s’observe pas que pour le Front national, le score de la liste de droite et de celui de la gauche progressent également d’autant plus d’un tour à l’autre que le niveau de vote pour la liste Troadec était important. Tout se passe comme si cette liste avait capté au premier tour des électeurs dans les différentes familles politiques et, qu’en son absence au second tour, ces électeurs étaient retournés vers leur formation politique
Comme le montre le graphique 8, plus le candidat régionaliste a obtenu des scores élevés au 1er tour, plus le Front national a progressé au 2e tour16.
Graphique 8 : Progression du score du Front national en Bretagne entre les 1er et 2e tours en fonction des résultats de la liste Troadec au 1er tour
Hormis ce petit apport de voix des Bonnets rouges, le cas de la Bretagne est intéressant car il permet une comparaison avec l’Île-de-France où le Front national est également arrivé troisième au 1er tour avec pratiquement le même score : 18,4%, contre 18,2% en Bretagne.
Hormis ce petit apport de voix des Bonnets rouges, le cas de la Bretagne est intéressant car il permet une comparaison avec l’Île-de-France où le Front national est également arrivé troisième au 1er tour avec pratiquement le même score : 18,4%, contre 18,2% en Bretagne. Or, alors qu’il a consolidé ses positions d’un tour à l’autre en Bretagne, il a été victime d’un tassement significatif dans la région capitale où il a perdu 4,4 points en une semaine. Selon nous, cette différence de comportement renvoie à la configuration du 2e tour. En Bretagne, Jean-Yves Le Drian est sorti assez nettement en tête du 1er tour, avec 34,9% des voix contre 23,5% pour la liste de droite emmenée par Marc Le Fur et sa victoire apparaissait quasiment certaine. Dans ce contexte, où l’hypothèse de «sortir» la gauche semblait hors de portée, les électeurs frontistes bretons n’ont pas été tentés par le vote utile en faveur de la droite et sont demeurés fidèles à leur vote du premier tour. À l’inverse, en Île-de-France, c’est Valérie Pécresse qui est sortie en première position au premier tour et, au regard des résultats (30,5% pour sa liste, contre 25,2% pour la liste de Claude Bartolone), la possibilité de voir la région basculer à droite était réelle. Tout comme on avait pu le constater lors des élections municipales, cette perspective de se débarrasser de la gauche a motivé une partie de l’électorat frontiste qui, au 2e tour, a «voté utile». D’après les matrices de reports calculées par un logiciel d’estimation, l’Ifop a chiffré à 21% la proportion de ces électeurs frontistes ayant soutenu Valérie Pécresse au 2e tour. Ces pertes enregistrées par Wallerand de Saint-Just entre les deux tours n’ont pas été compensées par le report de 20% des voix de Nicolas Dupont-Aignan et le Front national est ainsi passé de 18,4% à 14%.
L’impact contrasté du découpage régional sur l’issue du vote
Dans certaines régions, les résultats ont été très serrés et il a fallu attendre tard dans la soirée pour savoir qui l’avait emporté. Ce fut le cas notamment en Bourgogne-Franche-Comté et en Normandie. Ces deux régions ont la particularité d’être de nouvelles régions issues de la fusion de deux anciennes régions et l’on peut se demander si, dans ces cas très tangents, l’issue du scrutin aurait été différente dans l’hypothèse d’une absence de fusion.
Dans le cas de la nouvelle région Bourgogne-Franche-Comté, la liste de gauche de Marie-Guite Dufay a obtenu 34,7% au 2e tour, contre 32,9% pour celle de droite emmenée par François Sauvadet et 32,4% pour la frontiste Sophie Montel. La victoire de la gauche s’est donc jouée à moins de 2 points, soit seulement 20.700 bulletins sur 1.162.020 suffrages exprimés.
Tableau 3 : Nombre de voix obtenues par la droite et la gauche en Bourgogne-Franche- Comté au 2e tour des élections régionales
Or, comme le montre le tableau 3, si la gauche a creusé l’écart avec la droite en Franche-Comté, avec 24.711 voix d’avance dans cette ancienne région, c’est en revanche François Sauvadet qui est arrivé premier, d’une très courte tête, en Bourgogne avec 4.011 voix d’avance. Fort de son ancrage en Côte-d’Or, département dont il préside le conseil départemental et où il a emmagasiné 12.013 voix d’avance, le candidat de droite a été capable de s’imposer sur l’ancien périmètre de la Bourgogne. Bien entendu, le déroulement de la campagne et une partie des candidats auraient été différents si les deux régions n’avaient pas fusionné, tant et si bien que l’on ne peut pas projeter mécaniquement les résultats observés pour en déduire au point près quel aurait été le rapport de force dans cette hypothèse. On constate néanmoins que, du fait de la fusion de ces deux régions et de l’avance prise en Franche- Comté, la gauche est parvenue à l’emporter sur l’ensemble de ce nouveau territoire, alors que la Bourgogne aurait potentiellement pu lui échapper si l’ancien découpage avait perduré.
La défaite de la droite dans cette nouvelle région est donc en partie liée au redécoupage mais tient aussi au fait que le Front national y est très puissant. Le parti frontiste a en effet atteint 32,4% au 2e tour, soit seulement 0,5 point de moins que la liste de la droite et du centre, et il est arrivé en tête dans trois départements au second tour : l’Yonne, la Haute-Saône et le Territoire- de-Belfort. Cette présence à un haut niveau a constitué un handicap majeur pour la droite. À cela s’ajoute, enfin, un effet indirect de la fusion. Ce rapprochement a eu en effet pour conséquence une mise en concurrence entre le Bourguignon François Sauvadet et le Franc-Comtois Alain Joyandet pour le leadership de la droite dans le nouvel ensemble. C’est finalement François Sauvadet qui a obtenu l’investiture et la tête de liste régionale. Or, bien que son rival Alain Joyandet ait récupéré en lot de consolation la tête de liste dans son département de la Haute-Saône, on observe que, par rapport aux régionales de 2010, où Alain Joyandet conduisait la liste en Franche- Comté, la droite est en fort recul. Les pertes atteignent même 15 points dans son département et pratiquement 18 points dans son fief de Vesoul, alors qu’elles sont beaucoup plus limitées dans l’ancienne Bourgogne, où François Sauvadet avait déjà été candidat en 2010 (voir tableau 4).
Tableau 4 : évolution du score de la droite en Bourgogne-Franche-Comté entre les premiers tours des régionales de 2010 et 2015
La fusion entre deux régions peut donc avoir eu comme effet de faire basculer l’une d’entre elles dans le camp opposé sous l’effet d’entraînement de la région voisine, mais elle pose également la question du leadership. L’ancrage local de la tête de liste dans sa région d’origine, qui lui permet d’y maximiser son score, doit donc s’accompagner du choix de personnalités pesant fortement dans la région voisine et de leur intégration dans de bonnes conditions à la liste et au dispositif, ce qui n’a apparemment pas été le cas ici.
Le mariage de la Bourgogne et de la Franche-Comté a donc permis à la gauche de l’emporter dans ces deux territoires, alors que la victoire en Bourgogne seule, au regard des chiffres du 2e tour, n’était pas évidente. On retrouve une situation assez identique plus au sud. Avec 44,8% des voix, la liste de gauche de Carole Delga s’est très largement imposée face au frontiste Louis Aliot (33,9%) et à la liste de la droite et du centre emmenée par Dominique Reynié (21,3%) dans le nouvel ensemble Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées.
Mais la candidate socialiste a construit la quasi-totalité de son avance dans l’ancienne région Midi-Pyrénées, bastion de la gauche. Elle franchit ainsi la barre des 50% dans le Lot (52,7%), l’Ariège (52,1%), les Hautes-Pyrénées (51,9%) et, aussi et surtout, en Haute-Garonne, département le plus peuplé de la région, où avec 52,9% elle enregistre un résultat deux fois supérieur à celui du Front national et le devance de pas moins de 140.000 voix. La situation est en revanche singulièrement différente en Languedoc-Roussillon. Comme le montre le tableau 5, la gauche s’impose certes dans l’Hérault, l’Aude et la Lozère, mais le Front national est devant dans ses deux fiefs que sont le Gard et les Pyrénées-Orientales.
Tableau 5 : Nombre de voix obtenues par la gauche et le Front national en Languedoc- Roussillon au 2e tour des élections régionales
Cette avance prise dans ces deux départements lui permet non seulement de combler le retard enregistré dans les trois autres départements mais également de devancer d’un peu plus de 3.300 voix la liste de Carole Delga sur l’ensemble du Languedoc-Roussillon. Même si le score de Louis Aliot a été souligné au soir du 1er tour, la fusion de ces deux régions a en partie occulté son audience sur le seul Languedoc-Roussillon où il a atteint 37,9% (contre 31,8% sur l’ensemble de la nouvelle région), ce niveau plaçant cette ancienne région au troisième rang national derrière Provence-Alpes- Côte d’Azur et Nord-Pas-de-Calais-Picardie en termes d’importance du vote frontiste. Si le Languedoc-Roussillon n’avait pas été «marié» à Midi- Pyrénées, on peut penser, au regard de ces chiffres, que cette région aurait fait l’objet de la même attention politique que Provence-Alpes-Côte d’Azur et Nord-Pas-de-Calais-Picardie.
Le rapport de force constaté sur le périmètre de l’ancienne région ne peut pas être transposé mécaniquement et l’on ne peut pas en déduire que le Front national se serait forcément imposé dans cette région car la campagne aurait sans doute pris une autre tournure, mais l’on peut néanmoins avancer que l’hypothèse d’une victoire possible du parti lepéniste aurait fait peser sur le 2e tour une pression encore plus importante qu’elle ne l’a été.
La nouvelle carte régionale a donc facilité la tâche à la gauche face à la droite en Bourgogne et face au Front national en Languedoc-Roussillon. Dans ces deux cas, du fait de l’avance accumulée par la gauche dans les deux régions associées (respectivement Franche-Comté et Midi-Pyrénées), celle-ci a pu s’imposer dans le nouvel ensemble alors qu’elle était devancée en Bourgogne et en Languedoc-Roussillon. Mais le redécoupage a-t-il toujours été aussi favorable à ceux qui «tenaient les ciseaux» ?
Le cas de la Normandie montre qu’il n’en est rien. On se souvient que l’issue de ce scrutin est restée particulièrement incertaine toute une partie de la soirée du 13 décembre et qu’au final la droite l’a emporté de justesse sur la gauche par 36,4% contre 36,1%, soit seulement 4.709 voix d’avance sur une base de 1.360.000 bulletins exprimés. Mais quand on décompose les résultats selon l’ancien découpage, on s’aperçoit que la droite devance la gauche de 19.400 voix en Basse-Normandie alors qu’en Haute-Normandie, c’est la gauche qui vire en tête avec 14.700 voix et un score haut-normand de 36,2% contre 34,2% pour la droite.
Tableau 6 : Nombre de voix obtenues par la droite et la gauche en Normandie au 2e tour des élections régionales de 2015
Comme le montre le tableau 6, la gauche n’est en fait arrivée première que dans un département, la Seine-Maritime, mais c’est, grâce aux agglomérations rouennaise et havraise, le département le plus peuplé de la Haute-Normandie et même de la Normandie tout entière. Dans un contexte national défavorable à la gauche, le maintien de l’ancien découpage lui aurait permis de conserver la Haute-Normandie en s’appuyant sur son fief de Seine-Maritime, mais en ajoutant les trois départements bas-normands, penchant tous à droite, le redécoupage a dilué cet «effet fief» et le réservoir de voix de gauche de la Seine-Maritime n’a pas été suffisamment profond pour contrebalancer à la fois l’avance prise par la droite dans l’Eure, fief d’Hervé Morin, et dans les trois départements bas-normands.
Comme souvent, victoires ou défaites électorales ne sont pas le fait d’une cause unique et si l’effet du découpage a joué négativement pour la gauche dans cette région, on peut également penser qu’une partie des 4.709 voix de retard sur la droite trouve aussi sa source dans des reports imparfaits d’électeurs de la «gauche de la gauche» du premier tour sur la liste d’union de la gauche au second tour. Par rapport au total des voix de gauche au premier tour qui s’établissait à 39,3% sur l’ensemble de la région, le score de la liste d’union est en effet en retrait de 3,2 points (36,1%) au 2e tour. Ce premier élément indique donc des déperditions, hypothèse confirmée quand on constate que le «manque à gagner» est nettement plus important dans les bastions communistes normands (voir tableau 7). Au 2e tour, la liste de Nicolas Mayer-Rossignol se situe par exemple 9,7 points en deçà du total gauche observé au premier tour à Gonfreville-l’Orcher. On constate également 8,2 points en moins à Dieppe, ville dont Sébastien Jumel, tête de liste du Front de gauche au premier tour, est maire ou bien encore 7,7 points de moins à Harfleur, ville communiste de la banlieue havraise.
Tableau 7 : évolution du score de la gauche entre les deux tours des élections régionales de 2015 dans certains bastions communistes normands
Le cas breton démontre également que les choix retenus au moment de la délimitation de la nouvelle carte régionale n’ont pas tous été optimaux pour la gauche. On se rappelle qu’à l’époque Jean-Yves Le Drian avait usé de toute son influence auprès de François Hollande pour que la Bretagne reste en l’état et ne soit pas fusionnée notamment avec les Pays de la Loire. Cette attitude prudente lui a permis de cultiver la fibre de l’identité bretonne toujours vivace, mais aussi de «bétonner» son fief. Le ministre de la Défense et président de Région sortant s’est fait réélire en triangulaire avec le score enviable de 51,4% des voix au 2e tour. Le fidèle lieutenant de François Hollande a donc parfaitement rempli sa mission. On peut néanmoins s’interroger sur ce qu’aurait donné ce scrutin dans le cadre d’une région Bretagne-Pays de la Loire. Encore une fois, il est impossible de modéliser les résultats de cette hypothèse car une partie des candidats, la campagne et donc les résultats auraient sans doute été différents dans cette configuration, mais le tableau 8 montre toutefois que la très large avance acquise par Jean-Yves Le Drian dans son fief breton (pratiquement 283.000 voix de plus que son rival de droite Marc Le Fur) compense très largement le retard enregistré par son collègue Christophe Clergeau dans les Pays de la Loire voisins (74.000 voix de retard par rapport à la droite).
Si l’on calcule les résultats du 2e tour sur l’ensemble Bretagne +Pays de la Loire, on obtient alors le rapport de forces suivant : 44,1% pour la gauche, 36,5% pour la droite et 19,4% pour le FN. La campagne aurait certainement pris une autre tournure si elle avait eu pour cadre l’ensemble des deux régions, mais l’écart en termes de rapport de force entre la droite et la gauche est tel qu’il permet d’envisager qu’un scénario «à la bourguignonne» aurait été possible : les Pays de la Loire fusionnés avec la Bretagne restant à gauche du fait de l’effet d’entraînement de cette dernière où la gauche domine très largement.
Tableau 8 : Nombre de voix obtenues par la droite et la gauche en Bretagne et Pays de la Loire au 2e tour des élections régionales de 2015
Carte 5 : Liste gagnante lors du 2e tour des élections régionales de 2015 par communes
Lors du débat sur la réforme de la carte régionale, une autre hypothèse avait été avancée : celle du rattachement (maintes fois demandé) de la Loire- Atlantique à la Bretagne. Comme le montre la carte 5, un tel choix aurait été assez cohérent sur le plan électoral dans la mesure où la Loire-Atlantique apparaît comme étant solidaire et dans la continuité de la large zone de vote à gauche couvrant la Bretagne. Si un tel découpage avait été retenu, il aurait eu pour effet de renforcer à la fois la domination de la gauche en Bretagne mais aussi celle de la droite dans les Pays de la Loire, la Loire-Atlantique étant le seul département ligérien avec la Sarthe à ne pas avoir placé la droite en tête.
Jean-Pierre Masseret fait de la résistance et maintient son score au second tour
Dans le Grand Est, où le Front national est arrivé en tête au 1er tour et le Parti socialiste troisième, la décision de Jean-Pierre Masseret, tête de liste du Parti Socialiste et président sortant du conseil régional de Lorraine, de se maintenir au 2e tour contre la volonté de la direction de son parti a suscité une intense polémique. Non seulement ce choix venait brouiller l’image d’un Parti socialiste ayant «pris ses responsabilités» face à la possibilité d’une victoire du Front national, mais il rendait de surcroît envisageable la conquête de la région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine par le numéro 2 du parti lepéniste Florian Philippot qui avait obtenu 36,1% au 1er tour, contre 25,8% pour la liste de droite et du centre de Philippe Richert et 16,1% seulement pour celle du Parti socialiste. Face à cette éventualité, de nombreux colistiers de Jean-Pierre Masseret ont démissionné dans l’entre- deux-tours et la plupart des grands élus socialistes du Grand Est ont appelé au «front républicain».
Dans ce contexte, une des questions qui se posait était de savoir comment allait réagir l’électorat de gauche : allait-il appliquer la consigne du Parti socialiste de faire barrage au Front national en votant pour la liste de droite ou allait-il confirmer son choix du premier tour et voter de nouveau pour la liste qui, entre-temps, avait perdu le label «PS» et s’appelait donc «divers gauche» ? Dans des circonstances similaires, on avait constaté que le candidat socialiste arrivé troisième à un premier tour et qui se maintenait en triangulaire face au Front national en dépit de la décision de la rue de Solférino conservait ses voix d’un tour à l’autre. Cela fut le cas aux élections législatives de 2012 dans la 3e circonscription du Vaucluse et aux élections municipales de 2014 à Béziers. En 2014 toujours, le candidat socialiste dans le 7e secteur de Marseille qui s’était maintenu, progressa même significativement au 2e tour du fait de l’existence d’importantes réserves de voix à gauche. On relèvera aussi que, dans ces trois précédents, le maintien du candidat du Parti socialiste et sa capacité à conserver ses électeurs d’un tour à l’autre avaient abouti à «geler» ses voix, soit autant de renforts en moins pour le candidat de droite face au Front national qui l’emporta à chaque fois.
Graphique 9 : évolution du score d’un candidat du Parti socialiste en cas de maintien au 2e tour après un appel national de retrait
Comme le montre le graphique 9, Jean-Pierre Masseret est parvenu comme ses camarades en insubordination à maintenir son score d’un tour à l’autre en dépit d’une intense pression. Il est certes loin d’atteindre l’étiage du «total gauche» du premier tour, mais le maintien de son score est néanmoins une performance dans la mesure où la participation a fortement augmenté (du fait, précisément, du fort enjeu que revêtait ce 2e tour), en passant de 48 à 59%, ce qui représente plus de 400.000 suffrages exprimés supplémentaires entre les deux tours. Dans ce contexte de hausse de la participation, la stabilité du score de la liste Masseret masque, en fait, un gain de plus de 50.000 voix par rapport au 1er tour, voix qui proviennent pour partie de l’abstention mais aussi également de la «gauche de la gauche», dont une partie des électeurs s’est reportée sur la liste Masseret, ces apports venant combler les pertes d’électeurs socialistes ayant pratiqué le front républicain. Mais, si le président sortant de la région Lorraine a maintenu ses positions au niveau de l’ensemble de la région, des variations très sensibles sont à noter d’un territoire à l’autre (voir tableau 9). Le score reste par exemple constant entre les deux tours à Mulhouse, Colmar, Châlons-en-Champagne ou Chaumont. Il chute en revanche très nettement à Nancy, mais aussi à Metz et Strasbourg, les maires socialistes de ces deux grandes villes – et aussi, pour le cas de Strasbourg, les deux députés Philippe Bies et Arnaud Jung – ayant appelé à voter et fait campagne pour le candidat de droite.
Tableau 9 : évolution du score de la liste Masseret entre les deux tours
À Nancy, le fort repli de la liste Masseret d’un tour à l’autre s’explique sans doute également par la prise de position hostile du président du conseil général, Mathieu Klein, et de la députée Chaynesse Khirouni. En Moselle, le député-maire de Fameck, Michel Liebgott, opposé au maintien de la liste a également vraisemblablement pesé de tout son poids puisque la liste Masseret recule fortement dans cette commune d’un tour à l’autre.
Aucun commentaire.