Résumé

Introduction

I.

Un PS K.O. debout

II.

Europe écologie-les verts (EELV) : un résultat en demi-teinte

III.

Nouvelle donne : en concurrence avec EELV pour capter les déçus du PS

IV.

Le front de gauche : une stabilité décevante

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Résumé

Lesté par l’impopularité record du président de la République, le Parti socialiste a enregistré son pire résultat à une élection européenne avec moins de 14 % au plan national. Cette déroute se traduit par le fait que, dans     de nombreux territoires où le PS était historiquement faible (pourtour du bassin parisien, notamment), il ne franchit plus la barre des 10 %. Ailleurs, l’abstention a été massive dans son électorat populaire, notamment dans les communes de banlieue, et la présence du très emblématique Édouard Martin, syndicaliste d’ArcelorMittal, n’a pas permis d’endiguer la poussée frontiste dans les terres ouvrières de l’Est. Malgré cette déroute socialiste, ni Europe Écologie-Les Verts ni le Front de gauche ne sont parvenus à tirer leur épingle du jeu.

En l’absence de la locomotive Cohn-Bendit, la formation écologiste est en fort recul mais concurrence, comme en 2009, le PS dans les régions les plus proeuropéennes (Rhône-Alpes, Île-de-France, Bretagne).Une analyse plus fine laisse également apparaître, par-delà les centres des grandes métropoles, des points d’appuis dans certains territoires ruraux. Le Front de gauche, quant à lui, maintient son score par rapport à 2009 et à ses positions structurées autour d’une implantation communiste en déclin s’ajoute la zone d’influence de Mélenchon dans le Sud-Ouest. Mais il ne capte donc pas les déçus du hollandisme ni les victimes de la crise économique, les territoires les plus frappés par le chômage se tournant beaucoup plus massivement vers le FN.

Jérôme Fourquet,

Directeur du département opinion et stratégies d’entreprises de l’ifop

Avec 13,9 % des voix aux élections européennes de mai 2014, le Parti socialiste (PS) a non seulement reculé par rapport à son score déjà faible de 2009 (16,5%), mais il a également enfoncé son plancher historique pour une consultation européenne, plancher qui avait été atteint en 1994 par la liste Rocard (14 % à l’époque, du fait notamment de la concurrence de la liste Tapie). Pour autant, en dépit de cet échec sans précédent du PS, ni Europe Écologie-Les Verts (EELV), qui s’était pourtant opportunément retiré du gouvernement à quelques semaines du scrutin, ni le Front de gauche (FG), tirant à boulets rouges sur l’exécutif, n’ont su profiter de ce désaveu, comme si, quelque part, c’était bien la gauche dans son ensemble (et non pas seulement le PS) qui était en crise.

I Partie

Un PS K.O. debout

Payant au prix fort l’impopularité de François Hollande et le flou de sa ligne européenne, le PS a vu, à l’instar des municipales, son électorat se mobiliser très faiblement (seulement 43% des électeurs de François Hollande du premier tour de la présidentielle ont voté aux européennes) et tous ses points d’appui céder. Parmi les électeurs s’étant déplacés, il a obtenu 16% parmi les plus de 50 ans mais seulement 11% chez les 25-49 ans et un score résiduel de 9% auprès des 18-24 ans. De la même façon, si le bastion du public a un peu mieux résisté (17%), le parti majoritaire n’a obtenu que 11% des voix des salariés du privé s’étant rendus aux urnes.

La carte du vote PS porte les stigmates de cette déroute sans précédent. Hormis les fiefs historiques du Limousin, des Landes, des Pyrénées, de l’Aude et du Poitou-Charentes, dans tout le reste du territoire le score du PS est réduit à la portion congrue, avec de vastes zones où il a été comme rayé de la carte avec des scores oscillant entre 3 et 9%, ce qui est très peu pour le parti du président de la République.

Vote pour les listes du Parti socialiste aux élections européennes 2014 (en % des suffrages exprimés)

C’est le cas dans un grand Bassin parisien élargi (Picardie, Eure, Beauce, Aube et Marne), mais aussi en Alsace et dans l’est de la Moselle, ou bien encore en Savoie ou dans le Var et les Alpes-Maritimes. Les structures traditionnelles du vote socialiste n’ont pas été bouleversées, mais le phénomène d’érosion généralisé a été si violent que, dans les départements peu favorables à la gauche que nous venons de citer, le PS y a presque disparu lors de ce scrutin européen avec des scores en deçà de 10%.

carte 2 : Évolution du vote pour les listes du Parti socialiste aux élections européennes entre 2009 et 2014 (en % des suffrages exprimés)

Néanmoins, ce coup de rabot n’a pas eu la même ampleur partout. Comme le montre la carte 2 (page 9), les pertes par rapport au précédent scrutin de 2009 ont été particulièrement massives dans tout le Nord-Pas-de-Calais, en Picardie et en Seine-Maritime. Dans ces terres ouvrières, le PS a pâti à la fois de la forte abstention de la composante populaire de son électorat mais aussi de la concurrence de Marine Le Pen qui a obtenu dans cette zone des résultats tout à fait impressionnants. Une partie de cette dynamique frontiste s’explique par des transferts en provenance de la gauche.

Ainsi d’après nos données d’enquêtes cumulées, dans l’ensemble Nord-Pas- de-Calais, Picardie et Haute-Normandie, 13% des électeurs de François Hollande ayant voté aux européennes ont glissé un bulletin FN dans l’urne, contre 8% au niveau national. Les fuites en direction du parti lepéniste ont également été très supérieures à la moyenne (de l’ordre de 15%) dans une autre région industrielle en crise, le Grand Est (Champagne-Ardenne, Lorraine, Alsace et Franche-Comté), qui ressort également en bleu foncé sur la carte 2 et où la présence du syndicaliste d’ArcelorMittal Édouard Martin en tête de liste n’a donc pas eu l’effet escompté. À Florange même, le PS n’a obtenu que 18,6%, en recul de plus de 7 points par rapport à 2009.

tableau 1 : Évolution du score du Ps entre 2009 et 2014 à Florange et dans les communes voisines

Notes

1.

Le recul du Ps par rapport à 2009 atteint 7,4 points à Nilvange et 6,6 points à Neufchef, communes égale- ment située dans cette vallée.

+ -

2.

où le frontiste et ancien syndicaliste de la CGt Fabien engelmann a été élu maire lors des dernières municipales.

+ -

La baisse est également marquée dans les communes voisines de Fameck (-7,7), Serémange-Erzange (– 7,2), Uckange (– 7) ou bien encore Hayange (– 6,8), qui constituent la vallée industrielle de la Fensch, durement frappée par la crise1. Et, plus grave encore pour les socialistes et leur candidat, c’est à Hayange2 et à Florange que l’avance de la liste FN sur celle du PS est la plus importante.

tableau 2 : scores comparés du Ps et du FN à Florange et dans les communes voisines

Des pertes, notamment au profit du FN, sont aussi à souligner dans des espaces plus ruraux où le PS est implanté de longue date mais où il a reculé assez sensiblement par rapport à  2009.  C’est  le  cas  en  Saône-et-Loire et dans la Nièvre, dans la Vienne et en Charente ou bien encore dans les Landes ou l’Aude. Dans tout le Centre-Bretagne, constitué de campagnes historiquement acquises à la gauche, le PS est aussi en fort repli mais cette fois sous la concurrence des Bonnets rouges (voir notre note « Européennes 2014 (2) : poussée du FN, recul de l’UMP et vote breton »).

Enfin, le PS est en très fort recul dans les communes de banlieues où l’électorat populaire et/ou issu de l’immigration, qui s’était fortement mobilisé pour François Hollande et contre Nicolas Sarkozy lors de l’élection présidentielle de 2012, a cette fois très massivement boudé les urnes et le PS. Dans ces villes, si l’on ne raisonne pas en pourcentages des suffrages exprimés mais en nombre de voix, l’hémorragie est colossale, puisque par rapport au premier tour de l’élection présidentielle le PS perd autour de 90% de ses électeurs !

tableau 3 : Nombre de voix obtenues par le Ps au premier tour de l’élection présidentielle et aux européennes dans certaines communes de seine-saint-Denis

Si les socialistes ont donc essuyé des pertes très conséquentes sur la majeure partie du territoire, le PS a cependant progressé dans quelques régions. Il en va ainsi dans la quasi-totalité du Limousin où le fait que Jean-Paul Denanot, président du conseil régional, a succédé en tant que tête de liste à Henri Weber a contribué localement à mobiliser au profit du PS. Le PS progresse ainsi de 3,1 points dans le Limousin alors qu’il est en recul dans les autres régions de la circonscription Massif central-Centre : – 3 points dans le Centre et – 2,8 en Auvergne. Le changement d’offre politique explique également sans doute en partie pourquoi, en l’absence cette année d’un Philippe de Villiers qui, en tant que notable disposait localement d’un électorat assez composite, le PS soit parvenu à regagner du terrain dans le bocage vendéen.

Quelques espaces plus dispersés affichent également une légère progression du PS par rapport à 2009. Il s’agit par exemple de l’Ouest francilien, du golfe du Morbihan, de quelques stations balnéaires (Granville, Saint-Malo, Étables-sur-Mer, Perros-Guirec) ou bien encore de la vallée de Chamonix, soit autant de zones touristiques et/ou aisées où le PS a pu reconquérir des électeurs qui avaient opté pour EELV en 2009.

 

II Partie

Europe écologie-les verts (EELV) : un résultat en demi-teinte

En dépit des difficultés rencontrées par le gouvernement socialiste, EELV n’est pas parvenue cette année à rééditer l’exploit réalisé en 2009 où, avec 16 % des voix, le mouvement avait fait jeu égal avec le PS. Bien qu’avec   un PS très affaibli, les Verts ne franchissent pas la barre symbolique des 10% (9,2 %) et le pari de Cécile Duflot et de ses proches visant à capitaliser sur le rejet du PS en quittant le gouvernement quelques semaines avant le scrutin n’a été que partiellement remporté. Les Verts ont certes capté une part non négligeable des voix de gauche – et sont apparus comme la seconde force à gauche en distançant assez nettement le Front de gauche – mais, au regard du contexte politique, leur résultat ressort en demi-teinte. Les écologistes sont en recul sur quasiment tout le territoire, avec des baisses plus accusées en Rhône-Alpes3 et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, mais aussi en Alsace et en Île-de-France, régions qui correspondent à leurs zones de force traditionnelles. En Bretagne, autre région traditionnellement acquise aux écologistes, la baisse n’est pas générale mais néanmoins réelle dans l’agglomération rennaise et le littoral du Morbihan.

Ces baisses s’expliquent sans doute en partie par l’absence de Daniel Cohn-Bendit qui avait joué le rôle de locomotive électorale en 2009 et tiré, notamment en Île-de-France où il était tête de liste, le score des Verts vers le haut. Dans cette région, leur résultat passe ainsi de 20,9% en 2009 à 9,5% cette année, tandis que le PS maintient ses positions (14,3% contre 13,6% en 2009) et devance ainsi ses alliés alors que ces derniers l’avaient largement surclassé il y a cinq ans dans la région-capitale, que semblerait d’ailleurs convoiter Cécile Duflot dans la perspective des prochaines élections régionales.

Si les Verts ont donc pâti de l’absence de Daniel Cohn-Bendit, le choix de réinvestir José Bové, autre figure médiatique du mouvement, comme tête de liste dans la circonscription Sud-Ouest a été judicieux et porteur (voir carte 3).

On constate ainsi à la lecture de la carte 3 que c’est dans cette grande région que les écologistes ont le mieux résisté (11,5% contre 15,5% en 2009). José Bové est même parvenu à améliorer son score dans toute une partie de son fief aveyronnais et dans quelques cantons limitrophes de la Lozère, du Gard et de l’Hérault. L’analyse détaillée des résultats sur le seul département de l’Aveyron fait bien ressortir cette logique de fief et l’existence d’une prime au candidat local, comme si José Bové était devenu en quelque sorte un notable bien malgré lui. Il obtient ainsi 22,2 % dans son canton de Peyreleau et des scores élevés dans les cantons voisins : 27,3% à Nant, 26,7% à Saint-Beauzély, 24,2% à Cornus ou bien encore 23,7% à Millau. Quand on s’éloigne davantage de son fief du Larzac, les résultats déclinent (15,6% dans le canton de Laissac et 16,2% dans celui de La Salvetat-Peyralès) pour atteindre ensuite des niveaux nettement plus faibles à l’autre extrémité du département, dans l’Aubrac : 9,9% dans le canton de Mur-de-Barrez, 9,4% dans celui de Laguiole et 8,9% dans celui de Sainte-Geneviève-sur- Argence…

Hormis les régions où l’écologie politique est historiquement bien implantée (Rhône-Alpes, Alsace, Bretagne, Île-de-France), les villes universitaires ou les territoires d’élection de tel ou tel responsable du parti4, on peut également se demander si le vote en faveur des Verts a pu bénéficier localement de mobilisations environnementales contre différents  projets, sachant  que le thème de l’environnement était jugé « déterminant » pour 86% des électeurs écologistes (contre seulement 34% de citations dans l’ensemble de l’électorat), ce sujet arrivant en tête de leurs motivations (26 points devant « l’emploi et le développement économique »).

carte 3 : Vote pour les listes eeLV aux élections européennes 2014 (en % des suffrages exprimés)

Notes

5.

et si dans ce périmètre le vote écologiste a reculé par rapport à 2009 avec la même amplitude qu’au plan départemental (– 7,2 points sur l’ensemble de la Loire-atlantique), il a néanmoins résisté dans l’épicentre : seulement – 1,9 point à Notre-Dames-des-Landes et – 0,1 à Fay-de-Bretagne.

+ -

Dans le nord de la Loire-Atlantique, il ressort très clairement de l’analyse des résultats au niveau communal que le vote écologiste a profité d’un « effet Notre-Dame-des-Landes ». Le vote pour EELV a en effet atteint 26,8 % dans cette commune, mais aussi des niveaux élevés dans la plupart des communes voisines (22,6 % à Vigneux-de-Bretagne et 21,5 % à Fay-de-Bretagne, par exemple). L’importante mobilisation populaire contre le projet d’aéroport a concerné un large périmètre allant bien au-delà des seules communes limitrophes. On retrouve la traduction électorale de cette mobilisation dans des résultats pour les Verts nettement supérieurs à la moyenne dans un rayon de 20 à 30 kilomètres autour de Notre-Dame-des-Landes comme le montre la carte 45.

 

carte 4 : Le vote eeLV en Loire-atlantique : un « effet Notre-Dame-des-Landes »

D’autres mobilisations ont eu lieu localement pour s’opposer à des projets d’implantation d’activités au nom de la protection de l’environnement. Ainsi, à Nonant-le-Pin, dans l’Orne, des riverains contestent un projet de création d’une vaste décharge dans une région agricole qui compte plusieurs haras et dans cette commune la liste EELV a obtenu un très bon score (19,5 %, voir tableau 4 page 16), ce qui signifie que, là aussi, le vote écologiste a été porté par ce type de mobilisation. L’effet s’est également fait sentir aux alentours mais sur un périmètre bien plus restreint que dans le cas de Notre-Dame- des-Landes.

tableau 4 : Le vote en faveur d’eeLV à Nonant-le-Pin (orne) et dans les communes voisines

On a pu observer un autre effet du même type mais cette fois encore plus localisé à Drucat, dans la Somme. Cette commune s’est fait connaître suite au projet dit de « la ferme des 1 000 vaches ». De multiples manifestations et actions, parfois violentes, ont eu lieu – et ont encore lieu – pour empêcher ce projet de ferme agro-industrielle de voir le jour et toute une partie de la population locale s’est mobilisée. Ici encore, le vote EELV a constitué un débouché électoral naturel à ce type de mobilisation de défense du cadre de vie et les Verts ont obtenu 31,4 % des voix à Drucat, soit un score tout à fait inhabituel pour une commune rurale de la Somme. Néanmoins, l’effet électoral de ce mouvement social n’a guère dépassé les limites communales comme le montre le tableau5.

Tableau 5 : Le vote en faveur d’eeLV à Drucat (somme) et dans les communes voisines

Si les projets d’implantation des différents équipements ou activités ont eu localement un effet « dopant » sur le vote écologiste, tel n’est pas le cas     à proximité des centrales nucléaires. Alors que les Verts sont clairement identifiés de longue date comme des opposants résolus au nucléaire et que l’abandon de cette filière énergétique constitue l’une de leurs principales revendications, ils ne bénéficient pas d’un soutien plus important, et c’est même le contraire, parmi les électeurs vivant à proximité immédiate de l’une des dix-neuf centrales françaises. Alors que d’aucuns auraient pu penser le contraire, le vote en faveur d’EELV a plutôt tendance à augmenter au fur et à mesure que l’on s’éloigne d’une centrale et il atteint en moyenne son niveau le plus bas dans un rayon de moins de 5 kilomètres de ce type d’installation.

graphique 1 : Le vote eeLV aux européennes de 2014 en fonction de la distance entre la commune et la centrale nucléaire la plus proche

note de lecture : Dans les communes situées à moins de 5 kilomètres d’une centrale nucléaire, EELV a obtenu en moyenne 6,7 % des voix. C’est en fait assez logique dans la mesure où les communes dans laquelle est installée une centrale nucléaire et les communes limitrophes « vivent » des retombées économiques de cette activité. De nombreux salariés d’EDF et de sous-traitants résident dans ces communes, ils contribuent ainsi par leurs revenus à faire fonctionner le commerce local et, grâce aux taxes versées par EDF, ces communes ont pu financer de nombreux équipements publics tout en maintenant relativement bas le niveau des impôts locaux. Tous ces éléments contribuent à expliquer pourquoi le vote EELV est moins audible à proximité des centrales nucléaires.

Au terme de ce parcours, on peut se demander si le vote écologiste est avant tout un vote émanant des grandes agglomérations (et de leurs quartiers « bobos ») ou s’il se développe aussi dans le monde rural à la faveur notamment de mobilisations environnementales. L’hypothèse d’un vote hyper-urbain serait confortée par les données sociologiques issues de nos sondages. EELV  a en effet obtenu 15 % parmi les cadres supérieurs   et les professions libérales, mais seulement 10 % auprès des professions intermédiaires et les employés, et 7 % chez les ouvriers. L’analyse du vote selon la distance à la grande ville la plus proche fait également ressortir le fait qu’EELV obtient ses meilleurs résultats dans le cœur ou à proximité immédiate des principales aires urbaines (11,1 %). Comme la forme inversée du vote FN, le vote EELV atteint son point bas dans le grand péri-urbain (7,7 %) mais remonte ensuite et s’établit à des niveaux conséquents à plus de 80 kilomètres des principales aires urbaines. Il est donc caricatural de présenter ce vote uniquement comme métropolitain, EELV disposant aussi d’un électorat dans certains territoires très ruraux, dont nous présenterons le profil un peu plus loin.

graphique 2 : score moyen d’eeLV aux européennes de 2014 en fonction de la distance à la grande ville la plus proche

note de lecture : Dans les communes situées entre 10 et 20 kilomètres de l’aire urbaine de 200 000 habitants la plus proche, EELV a obtenu en moyenne 8,7 % des voix.

III Partie

Nouvelle donne : en concurrence avec EELV pour capter les déçus du PS

Avec  près de 3% des voix, la modeste formation de Pierre Larrouturou a réussi son test électoral en acquérant le statut de petit parti parmi les grands. Va-t-elle  parvenir à s’ancrer dans la vie politique ou assiste-t-on   à un phénomène éphémère comme les scrutins européens en génèrent régulièrement ? L’analyse de la sociologie et de la géographie de ce vote peut nous apporter quelques éléments de réponse.

La carte du vote en faveur de Nouvelle Donne laisse apparaître de vastes zones où cette jeune formation n’a rencontré aucun écho. C’est le cas notamment dans tout le quart Nord-Est industriel, dans toute une partie du Massif central et de la région Centre. Les scores sont en revanche bien meilleurs en Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes, Île-de-France, dans l’Ouest et le Sud-Ouest. Les lignes de forces de cet électorat présentent donc de grandes ressemblances avec la carte traditionnelle du vote écologiste (voir carte 5 ci-dessous).

Notes

6.

on observe également un survote à l’ouest de Caen, territoire correspondant à la cinquième circonscription du Calvados, dont la députée isabelle attard a quitté les Verts pour Nouvelle Ce soutien explique sans doute les bons résultats observés localement : 8 % dans la commune de Douvres-la-Délivrande, 7,3 % à Creully, 5,7 % à Balleroy, 5,1 % à Bayeux ou encore 4,8 % à trévières.

+ -

Ce parallèle existe également si l’on se place non plus à l’échelle régionale mais à un niveau plus local. Comme le vote écologiste, le vote en faveur de Nouvelle Donne a plutôt concerné des espaces urbains et périurbains. On voit en effet nettement ressortir sur la carte les aires urbaines de Rennes, Nantes, Angers, Poitiers, Bordeaux, Dijon ou Pau par exemple6. Parmi ces villes, le vote en faveur de Nouvelle Donne est plus élevé dans les villes universitaires, accueillant davantage de diplômés du supérieur que la moyenne, comme le montre le graphique ci-joint.

graphique 3 : un survote en faveur de Nouvelle Donne dans les villes universitaires

Mais, à l’instar du vote écologiste, le vote Nouvelle Donne ne saurait être réduit à un vote urbain ou métropolitain. Dans certains espaces ruraux présentant des caractéristiques semblables à ceux votant pour EELV, le vote Nouvelle Donne est nettement supérieur à la moyenne. Il s’agit de campagnes pauvres (souvent de montagne ou de moyenne montagne) où se pratique une agriculture extensive ou bio et où la Confédération paysanne (dont certains cadres sont proches de Nouvelle Donne) est implantée et où l’influence   de ceux qu’on appelle les « néoruraux » (arrivés dans les années 1970 ou plus récemment) est assez prégnante. On peut ainsi citer par exemple le Béarn, les Hautes-Pyrénées, l’Ariège, le Quercy, l’Ardèche, la Drôme ou bien encore les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence. Dans ces territoires ruraux, comme dans les villes à forte proportion de diplômés du supérieur, la concurrence entre Nouvelle Donne et EELV a été rude dans la mesure où cette jeune formation vise peu ou prou le même espace politique que les Verts. Le sondage Jour du vote de l’Ifop indique en effet que 13 % des électeurs d’EELV de 2009 auraient voté cette année pour Nouvelle Donne, ce qui représente environ 2 points sur les 2,9 % obtenus par le parti de Pierre Laroutourou. Le cas de l’Aveyron, où José Bové, on l’a vu, a maintenu ses positions par rapport à 2009 de par son ancrage local, est assez parlant de ce point de vue puisque Nouvelle Donne y enregistre du coup des résultats plus faibles que dans les départements limitrophes où le mouvement a pu davantage mordre sur l’électorat écologiste.

carte 5 : Vote pour les listes de Nouvelle Donne aux élections européennes 2014 (en % des suffrages exprimés)

Cet électorat, dont l’avenir dira s’il parvient à s’autonomiser et à se structurer, constitue une fraction de cet électorat de gauche volontiers distant vis-à-vis du PS et tenté par l’offre écologiste ou par tout autre alternative au credo socialiste traditionnel et gestionnaire. Signe de cette gémellité, quand on additionne le score de EELV et celui de Nouvelle Donne, et que l’on compare le total ainsi obtenu avec le résultat du PS, on retrouve quasiment trait pour trait la carte de la répartition des voix entre le PS et EELV en 2009 (voir carte 6).

La carte 6 est très intéressante dans la mesure où elle fait ressortir de vieilles lignes de clivage entre ce qu’on a appelé la première et la deuxième gauche. Le PS, représentant cette première gauche, est dominant dans les vieilles terres industrielles comme le Pas-de-Calais, les Ardennes ou bien encore la Lorraine. À cela s’ajoutent des départements ruraux, déchristianisés de longue date et historiquement acquis à la gauche, comme la Nièvre, l’Indre, tout le Massif central et ses contreforts, les Côtes-d’Armor, les Landes, le Gers, l’Ariège et l’Aude. À l’inverse, le bloc EELV/Nouvelle Donne (comme les Verts seuls en 2009) devance le PS dans des régions marquées par l’influence de la deuxième gauche (forte assise de la CFDT,  notamment).  Il s’agit la plupart du temps de régions de tradition catholique, où la fibre girondine et européenne est présente (vote « oui » élevé lors des différents référendums). On peut citer l’Alsace, Rhône-Alpes, l’Aveyron et la Lozère, le Pays basque ou bien encore l’Ouest intérieur. À cela s’ajoutent des territoires où la matrice de la deuxième gauche est moins présente mais où le PS est en grande difficulté soit du fait de l’abstention et de la concurrence frontiste lors de cette élection (Oise, Calvados, Vaucluse ou Alpes-Maritimes), soit qu’à ces facteurs se superpose également le poids des affaires ayant touché localement le parti (Gard ou Hérault).

carte 6 : rapport de forces Parti socialiste/eeLV + Nouvelle Donne aux élections européennes 2014 (en % des suffrages exprimés)

Dans ce contexte particulier, une partie de l’électorat socialiste traditionnel a pu localement préférer EELV ou Nouvelle Donne, cette prime permettant à ce bloc de virer devant le PS dans ces endroits. Mais hormis ces quelques cas particuliers, nous sommes bien en présence de la carte des « deux gauches » qui correspond aussi, peu ou prou, à la carte du rapport à l’Europe. Le PS arrive en tête de la gauche dans les régions les moins acquises à la construction européenne, tandis qu’EELV et Nouvelle Donne le devancent dans les régions les plus europhiles, comme si l’électorat de gauche le plus allant en matière d’avancées européennes s’était plutôt retrouvé dans ces partis que dans le PS.

 

IV Partie

Le front de gauche : une stabilité décevante

En 2009, les élections européennes avaient constitué le baptême du feu pour le Front de gauche qui venait d’être créé. Avec 6,1 % des voix, l’alliance du Parti communiste français et du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon était parvenue à installer cette nouvelle marque dans le paysage politique et à envoyer quatre députés au Parlement européen. Cinq ans après, alors que la crise économique se poursuit et que la gauche au pouvoir suscite un vrai mécontentement, la configuration apparaissait favorable au Front de gauche. En dépit de ce contexte, celui-ci n’a pas pourtant enregistré de dynamique et a vu son score stagner à 6,3 %. Ce résultat est d’autant plus décevant que, dans le même temps, l’extrême gauche, en perte de vitesse, passait de 6,1 % en 2009 à 1,6 % en 2014 sans que le Front de gauche parvienne à capter cet électorat s’étant détourné du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ou  de Lutte ouvrière (LO).

Notes

7.

Calculé au niveau des 4 000 cantons français.

+ -

Hormis les scores nationaux, l’analyse statistique confirme l’absence de transferts significatifs entre l’électorat d’extrême gauche de 2009 vers le Front de gauche. Le coefficient de corrélation7 entre le score cumulé des listes de LO et du NPA en 2009 et l’évolution du score du Front de gauche entre 2009 et 2014 s’établit à 0, ce qui signifie une absence totale de lien entre les deux séries de données comme le montrent quelques exemples (tableau 6) où la baisse importante de l’extrême gauche entre les deux scrutins n’a pas profité au Front de gauche.

tableau 6 : Le Front de gauche n’a pas profité du fort recul de l’extrême gauche

De la même façon, alors que le vote Front national (FN) prospère dans les communes les plus durement touchées par la crise, le score du Front de gauche est lui aussi indexé sur le taux de chômage communal mais dans une bien moindre mesure. Pourtant en pointe dans la critique des « politiques austéritaires » et des « ravages du capitalisme financier », cette formation peine à incarner un débouché politique à cette colère sociale qui s’exprime d’abord au travers du vote FN, dont le programme et le discours semblent plus en phase avec les attentes et la vision du monde des électeurs vivant dans les zones les plus touchées par la crise.

graphique 4 : Les scores du FN et du Front de gauche aux européennes 2014 en fonction du taux de chômage dans le bassin d’emploi de la commune (4e trimestre 2013)

note de lecture : Dans les communes où le taux de chômage est inférieur à 8 %, le FN a obtenu en moyenne 21,6 % des voix et le Front de gauche 5,2 %.

La structure de la carte du vote Front de gauche (voir carte 7)   est très similaire à celle apparue en 2009. Elle s’organise pour l’essentiel autour des emprises communistes traditionnelles. On retrouve ainsi : le bassin minier, le Calaisis et le Valenciennois dans le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine métallurgique, les mairies communistes de la région parisienne, une partie du Centre-Bretagne, le Massif central et ses contreforts avec les vieux fiefs du communisme rural dans le Cher, l’Allier, le Puy-de-Dôme, la Creuse, la Haute-Vienne, la Dordogne, la Corrèze et le Lot et, plus au sud, ce qui reste du « Midi rouge » : Bouches-du-Rhône, Gard, Hérault et Pyrénées- Orientales.

 

carte 7 : Vote pour les listes du Front de gauche aux élections européennes 2014 (en % des suffrages exprimés)

L’enracinement ancien du PCF dans tous ces territoires s’avère précieux pour le Front de gauche qui atteint des niveaux parfois très élevés dans certains cantons (voir graphique 5).

C’est notamment le cas dans de nombreuses communes minières. On peut ainsi citer Billy-Montigny (22,9%) et Sallaumines (18,4%), dans le Pas-de- Calais ; Villerupt (24,5%) et Jarny (18,1%), en Lorraine ; La Ricamarie (19,7%), dans la Loire ; La Grand-Combe ou Chamborigaud (24,5% dans les deux villes), dans le bassin minier d’Alès (Gard) ; Decazeville (22,1%) et Aubin (25,1%), dans l’Aveyron ; ou bien encore Corsavy (25,5%) et Corneilla-de-Conflent (24,2%) dans le massif du Canigou (Pyrénées- Orientales). Alors même que l’extraction du charbon ou du minerai de fer y a cessé il y a vingt-cinq voire quarante ans, la population de ces communes demeure marquée par cette histoire particulière et une proportion significative de ces électeurs, souvent âgés, reste fidèle au PCF et, désormais, au Front de gauche. De la même façon qu’Hervé Lebras et Emmanuel Todd ont pu parler d’un « catholicisme zombie », on pourrait évoquer ici un « communisme zombie » dont la traduction électorale perdure localement alors que les conditions socio-économiques ayant prévalu au développement d’une conscience de classe et à un fort vote de gauche ont disparu depuis longtemps.

graphique 5 : Des scores élevés pour le Front de gauche dans les cantons où le Parti communiste est implanté de longue date

Notes

8.

Les résultats sont pour chacun des exemples cités ici, calculés à l’échelle du canton.

+ -

9.

L’offre Front de gauche a, à l’inverse, parfois rencontré un électorat de gauche éloigné de la culture commu- niste, d’où des scores du FG souvent assez supérieurs à ceux que le PCF enregistrait précédemment dans de nombreux « déserts communistes » : 2,4% pour le PCF aux européennes de 2004 dans la manche contre 4,9% aujourd’hui pour le Front de gauche, 2,6% contre 4 % en Vendée, 2,3 % contre 5,1 % dans la meuse et 4,1% contre 6,9 % dans les Pyrénées-atlantiques, par exemple.

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10.

en dépit de cette très forte baisse, le Front de gauche a obtenu un score élevé dans cette ville (21,1 %). on retrouve également des niveaux de vote importants dans d’autres communes à forte identité cheminote : 23 % à Longueau, dans la somme ; 19,3 % à somain, dans le Nord ; 16,4 % à migennes, dans l’Yonne ; ou bien encore 14,5 % à tergnier, dans l’aisne.

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11.

Le recul est également important dans les deux cantons voisins d’olmeto (– 12,4 points) et de tallano- scopamène (– 9,7 points).

+ -

À cette implantation communiste traditionnelle vient s’ajouter l’équation personnelle de Jean-Luc Mélenchon qui, comme en 2009, tire le score de la liste Front de gauche dans la circonscription Sud-Ouest (zone qui ressort en rouge sur la carte 7). Avec 8,6 % des voix (contre 8,1 % en 2009), c’est dans cette circonscription que le Front de gauche obtient ainsi son meilleur résultat.

Si les bastions communistes ont constitué d’utiles points d’appui électoraux pour les listes du Front du gauche, on s’aperçoit néanmoins que les résultats sont en recul dans ces fiefs par rapport à 2009. Le coefficient de corrélation entre le score obtenu en 2009 et l’évolution entre 2009 et 2014 s’établit en effet à – 0,5, ce qui indique qu’en tendance plus le score du Front de gauche était élevé en 2009, plus le recul a été important en 2014. On enregistre ainsi des baisses dans bon nombre de places fortes communistes, que ce soit dans le Nord-Pas-de-Calais (– 13,5 points à Divion8, – 11,4 à Rouvroy, – 8,1 à Marchiennes, – 7,1 à Denain), dans le Massif central (– 7,1 points    à Lurcy-Lévis, – 6,3 à Oradour-sur-Vayres, – 5,5 à Cerilly), sur le littoral méditerranéen (– 7,7 points à Port-Saint-Louis, – 5,6 à Sète) ou dans une moindre mesure dans la banlieue rouge (– 5,6 points à Champigny-sur- Marne, – 3,7 à Morsang-sur-Orge et à Villejuif). À ce phénomène d’érosion assez générale du vote communiste dans les bastions historiques du PCF (tendance de fond que la création du Front de gauche n’a donc pas permis d’enrayer9) est venue partiellement s’ajouter la non-présence sur la liste d’élus locaux communistes, qui avaient tiré localement sur leur seul nom les scores du Front de gauche en 2009. C’est ainsi dans le canton de Saint- Pierre-des-Corps, cité cheminote de la banlieue de Tours et fief historique du PCF10, que la baisse entre 2009 et 2014 a été la plus massive puisqu’elle s’établit à 22 points. À l’époque, c’est la sénatrice-maire de la ville, Marie- France Beaufils, qui était tête de liste. Son remplacement par Corinne Morel Darleux, membre du Parti de gauche, conseillère régionale de la Drôme (département qui ne fait pas partie de cette circonscription), a donc eu un coût électoral très lourd pour le Front de gauche localement et plus globalement sur toute la circonscription Massif central-Centre dans laquelle son score est en recul de 0,6 point alors qu’il est stable où progresse légèrement dans la plupart des autres circonscriptions européennes. De la même façon, on enregistre un recul de 15 points dans le canton de Sartène, en Corse-du-Sud, dont le maire, Dominique Bucchini, ne faisait cette année pas partie de la liste, contrairement à 200911. En l’absence d’Alain Bocquet, député-maire de Saint-Amand-les-Eaux, le même phénomène s’est produit à l’autre extrémité du pays, avec une baisse de 10 points par rapport à 2009 dans le canton nordiste de Saint-Amand-les-Eaux. Ces quelques exemples démontrent que, parallèlement à l’implantation historique du PCF, l’équation personnelle des notables communistes constitue un vrai atout électoral pour le Front de gauche dans la mesure où elle lui a permis localement d’élargir son audience bien au-delà des seuls électeurs PCF ou PG.

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