Résumé
I.

Le second tour des élections départementales

1.

Un second tour d’un nouveau type

2.

Avantage à la droite en situation de duel

3.

Le FN battu, même en triangulaires …

4.

… ou en duel face à la gauche

II.

Le second tour des élections régionales

1.

Pas de vrai gagnant

2.

Le FN touché de plein fouet par le retrait des listes socialistes …

3.

… et par une mobilisation en forte hausse

4.

Une gauche également minoritaire dans l’espace régional

III.

Un vrai perdant : le Front National

Conclusion

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Résumé

Dans le système majoritaire qui caractérise les scrutins de la Ve République, le second tour a changé depuis peu de nature. Avec la tripartition de l’espace politique, les duels gauche-droite, totalement dominants durant la période 1962-2012 (cinquante ans !), ne sont plus la règle absolue ni même la configuration dominante. Avec la montée du Front national en tête dans les premiers tours de scrutin, les résultats du second tour ne sont plus contenus dans ceux du premier,alors que jusque-là ils ne faisaient le plus souvent que confirmer voire accentuer le choix initial desélecteurs. Le scrutin de ballottage redistribue les cartes.

Aux élections départementales de mars 2015, sorte de mini-répétition d’un scrutin législatif, les électeurs de gauche ont massivement voté à droite au second tour lors des duels droite-FN. Et, surprise, malgré leur forte hostilité au pouvoir socialiste, les électeurs de droite ont préféré voter en majorité pour un binôme de gauche dans les duels de second tour gauche-FN.

Aux élections régionales de décembre 2015, sorte de mini-répétition d’un scrutin présidentiel, la hausse de participation très forte entre le premier et le second tour s’est principalement opérée sur une motivation de vote contre le Front national. Et les électeurs de gauche ont voté sans rechigner pour des adversaires politiques comme Xavier Bertrand ou même Christian Estrosi. D’une certaine façon, le système « UMPS » existe bel et bien mais il procède avant tout de la volonté des électeurs de ces deux formations d’adopter le comportement le plus adéquat en vue de faire obstacle à l’élection d’un représentant du Front national, même si celui-ci sort nettement en tête du premier tour. Tout se passe comme si le fameux plafond de verre qui empêche la victoire finale de ce parti ne cessait de s’élever au fur et à mesure de sa progression électorale.

Jérôme Jaffré,

Directeur du Centre d’études et de connaissances sur l’opinion publique (CECOP) et chercheur associé au CEVIPOF.

Le schéma classique des élections intermédiaires, particulièrement prononcé en France depuis le milieu des années 1970, veut que l’impopularité du pouvoir national – gauche ou droite – profite directement à l’opposition – droite ou gauche – qui engrange victoire sur victoire avant de reprendre à son tour les rênes du pays. Le schéma classique de la Ve République, là aussi depuis les années 1970, veut que les résultats du second tour soient contenus dans ceux du premier. Au vu des rapports de force entre la gauche et la droite au soir du premier tour, les tendances du scrutinde ballottage apparaissent déjà très clairement. Si l’on considère les élections législatives depuis les années 1960, on constate ainsi que les cas de retournement de tendance sont rarissimes (1978 peut-être, et encore…); de resserrement, très rares (1967, 2007) ; de simple confirmation, possibles (1988, 2012) ; et de confirmation accentuée, fréquents (1962, 1968, 1973, 1981, 1993, 1997 et 2002).

C’est ce double schéma classique que les élections intermédiaires de 2015 – départementales puis régionales – viennent bousculer. La tripolarisation de l’espace politique français – gauche, droite, Front national – devient une réalité majeure. Aux soirs des premiers tours, le Front national arrive en tête dans chacun de ces scrutins, face à une gauche divisée et affaiblie, et une droite unie maissans dynamique électorale. Dès lors, le second tour devient véritablement un nouveau scrutin. Le premier tour donne la photographie des forces en présence ; le second devient celui de la décision électorale où les cartes sont en partie redistribuées. La question du Front national devient l’enjeu majeur, interrogeant à la fois sur sa capacité de victoire et sur le choix de ses électeurs quand ils se trouvent confrontés à un duel classique gauche-droite. Et le jeu entre la gauche et la droite se trouve beaucoup plus compliqué que dans les élections des décennies précédentes.

La gauche, si impopulaire, peut-elle tirer profit de la force du Front national pour tirer son épingle du jeu, en particulier dans les triangulaires ? La droite s’installera-t-elle dans la position centrale qui lui permettrait de bénéficier à la fois des voix des électeurs du Front national pour battre la gauche dans les duels gauche-droite et des voix des électeurs de gauche pour empêcher toute victoire du Front national dans les duels qu’elle connaît avec celui-ci ? C’est à cet examen que nous allons procéder en étudiant les résultats du second tour des élections départementales puis régionales en France métropolitaine.

Les élections départementales offrent une grande diversité de configurations au second tour qui, resituées dans un historique s’étendant sur une trentaine d’années, les font ressembler à des mini-élections législatives et permettent de détailler très finement les orientations des électorats. Les élections régionales offrent un enjeu de pouvoir politique fort avec la conquête ou non deprésidences de région, présentant ainsi des similitudes avec les élections présidentielles et posant dans ce scrutin de 2015 la question de savoir si le Front national est en capacité ou non de gagner des présidences de région avant de viser plus haut.

I Partie

Le second tour des élections départementales

1

Un second tour d’un nouveau type

Le second tour des élections départementales de 2015 est d’un type tout à fait nouveau : pour la première fois depuis cinquante-trois ans, les duels gauche-droite sont minoritaires. C’est en 2015 que les conditions d’accès au second tour ont évolué. Jusque-là, aux cantonales, la condition requise était d’obtenir au moins 10% des inscrits ou de figurer parmi les deux premiers du premier tour. En 2015, la règle des deux premiers subsiste, mais la barre de qualification est alignée sur celle des législatives : au moins 12,5% des inscrits, dans l’espoir sans doute, de la part du législateur socialiste, de limiter le nombre de qualifications du Front national. Si tel était le calcul, il se retourne contre ses auteurs (tableau 1). Le Front national est présent dans 60% des cantons en ballottage, moins que la droite (79%), mais presque autant quela gauche (66%). Conséquence majeure, les duels gauche-droite ne représentent plus que 36% desaffrontements.

Or, depuis les élections législatives de 1962 et le changement de pied entre les deux tours de Guy Mollet, le secrétaire général de la SFIO (l’ancêtre du Parti socialiste), affirmant qu’il préférait l’élection d’un député communiste à la victoire d’un candidat gaulliste, le clivage gauche-droite était devenu le marqueur des seconds tours d’élection, sauf aux deux seules présidentielles de 1969 (Georges Pompidou et Alain Poher) et 2002. Dès le lendemain du fameux second tour Chirac-Le Pen, les duels gauche-droite représentaient au second tour des élections législatives de 2002 90% des affrontements. Au second tour des législatives de 2007, ils atteignaient le taux record de 96% et aux législatives de 2012, malgré le score élevé du Front national au premier tour, ils étaient encore 82%. Aux élections cantonales, que l’on peut étudier depuis 1985 grâce aux fichiers du Cevipof et avec le logiciel EDEN créé par Jean Chiche, la proportion des duels gauche-droite est moins importante qu’aux législatives en raison d’une barre d’accès au second tour plus basse et d’un émiettement plus grand des candidatures avec moult divers gauche et divers droite. Elle reste cependant constamment dominante, dépassant toujours la majorité absolue des affrontements du second tour. Aux élections cantonales de 2011, marquées par la montée du Front national après ses piètres scores des scrutins de 2007-2008, les duels gauche-droite comptaient pour 57% des affrontements. Cela montre à quel point leur chute à 36% seulement au second tour des départementales de 2015 bouleverse les structures électorales.

Tableau 1 : L’évolution des configurations de second tour aux élections cantonales / départementales depuis 1985

Source :

Jérôme Jaffré – Fondation pour l’innovation politique – 2017.

Jusqu’alors le Front national n’avait réussi à dépasser la barre des 20% de présence au second tour qu’à trois reprises sur les neuf scrutins cantonaux intervenus de 1985 à 2011. Ce fut le cas en 1992, où la gauche était au plus bas, en 1998 et plus encore aux cantonales de 2011 où le Front national était présent dans un peu plus du quart des affrontements, réduisant déjà de façon significative la proportion des duels gauche-droite. Aux élections législatives aussi, il avait réussi cette même performance mais seulement dans les années 1990 : au scrutin de 1993 marqué par l’effondrement de la gauche (21% de taux de présence pour le Front national) et aux législatives de 1997 (avec un taux de présence de 24%) où, grâce à son score de premier tour et à une assez forte participation électorale facilitant la qualification pour le second tour, il avait imposé un nombre élevé de triangulaires contribuant à affaiblir les positions de la majorité de droite sortante.

Le grand changement politique intervient aux élections départementales de 2015, où le Front national, après avoir déjà réalisé cette performance aux européennes de 2014, se place en tête du scrutin au premier tour avec 25,2% des suffrages exprimés. Il se qualifie pour le second tour dans 60% des cantons en ballottage, bouleversant l’ordre électoral établi. Cependant, avec l’élévation de la barre de qualification à 12,5% des inscrits, la proportion des triangulaires gauche-droite-Front national reste proche de ses précédents records, retrouvant avec 14% des affrontements ses niveaux de 1998 et 2004. De même, la proportion de duels gauche-Front national, qui avait déjà beaucoup augmenté en 2011, reste, avec un taux de 16% des affrontements, à un niveau comparable au scrutin précédent. C’est la proportion de duels droite-Front national qui augmente considérablement, passant de 8% en 2011, pourtant son taux le plus élevé jusque-là, à 29% en 2015.

Le phénomène tient en partie aux divisions profondes de la gauche qui, présentant le plus souvent deux voire trois binômes par canton, a émietté ses forces et échoué à se qualifier. Le second tour des départementales se trouve entièrement placé autour de la question du Front national. La droite sera-t- elle en mesure de profiter du rejet de la gauche et du refus du Front dans une large partie de l’électorat ? Le Front national va-t-il tirer parti de sa position de premier parti au premier tour pour gagner des cantons, en particulier dans les triangulaires où chaque camp, en principe, garde son capital électoral ? Comment les électeurs de droite, si violemment hostiles depuis 2012 au pouvoir socialiste, vont-ils se comporter dans les duels entre la gauche et le Front national ? Pousseront-ils leur hostilité jusqu’à faire gagner de nombreux cantons aux candidats «marinistes » ou même leur permettre d’accéder à des présidences de conseils départementaux, comme cela paraît possible dans le Vaucluse, voire dans l’Aisne ?

2

Avantage à la droite en situation de duel

Notes

1.

Sur le scrutin départemental, on se reportera avec profit à l’article de Martial Foucault et Jean Chiche, «Les reports de voix aux élections départementales de 2015», Revue politique et parlementaire, n° 1075, avril-juin 2015, p. 61-75.

+ -

2.

Pour une analyse menée selon cette méthode, on peut se reporter à Jérôme Jaffré, « La décision électorale au second tour : un scrutin très serré », Revue française de science politique, vol. 47, n° 3-4, juin-août 1997, p. 426-437.

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Même s’ils ne représentent plus qu’une minorité des affrontements du second tour, les duels gauche-droite permettent de prendre la mesure de ce rapport de force classique et de le situer dans le temps. Leur examen permet aussi de savoir comment se situe l’électorat du Front national dans ce cas de figure et si ses électeurs sont prêts à aider la droite à vaincre la gauche1. Le rapport de force observé en 2015 confirme bien la tendance des élections intermédiaires à sanctionner la majorité politique qui occupe le pouvoir national (tableau 2). La gauche, nettement majoritaire auxcantonales de 2004, 2008 et 2011 sous les présidences Chirac et Sarkozy et sous une majorité absolue de droite à l’Assemblée nationale, devient à son tour nettement minoritaire sous la présidence Hollande et sous une majorité socialiste et radicale de gauche.

Mais pour prendre l’exacte mesure du rapport gauche-droite, il convient de corriger le biais qui affecte les cantons (ou les circonscriptions) en ballottage, car ceux-ci ne couvrant qu’une partie du territoire ne sont pas représentatifs de la situation nationale2. Pour effectuer cette correction, on a examiné pour chaque scrutin le vote de ces cantons en ballottage lors du second tour de l’élection présidentielle qui précède le scrutin cantonal concerné. Ainsi, par exemple, en 1998 dans les 953 cantons à duel gauche-droite, le rapport gauche/ droite s’est établi à 51,4% pour la gauche et 48,6% pour la droite. Mais, dans ces mêmes cantons, Lionel Jospin obtenait au second tour de 1995 48,8% des suffrages exprimés, soit 1,5 point de plus que son score dans l’ensemble du pays (47,3%). Pour être projeté au plan national, le rapport de force du second tour des cantonales de 1998 entre la gauche et la droite doit donc être amputé au détriment de la gauche de 1,5 point, ce qui le ramène à un presque parfait 50/50. Le même calcul a été opéré pour chaque scrutin. Toutefois, faute de disposer des résultats par canton pour la présidentielle de 1981, l’ajustement de 1985 a été mené sur la présidentielle de 1988. Et en 2015, en raison du redécoupage total des cantons, l’ajustement a été mené sur la base des limites des anciens cantons reconstituées à partir des données électorales par commune, ce qui a été possible pour une comparaison portant exactement sur 632 cantons en duel gauche-droite en 2015 et dont on peut suivre les résultats avant et après le redécoupage. Observons que le biais joue systématiquement en faveur de la gauche, ce qui s’explique par une pratique plus grande de la concurrence au premier tour entre ses différentes composantes, alors que la droite pratique souvent l’union immédiate qui lui permet d’engranger des succès sans courir le risque du scrutin de ballottage.

Le biais observé en 2015 est le plus important de la série que nous avons pu reconstituer depuis le scrutin cantonal de 1985, ce qui signifie que les cantons où la gauche est parvenue à accéder à la situation de duel avec la droite lui sont particulièrement favorables. L’affichage d’un rapport de force de 47,6% pour la gauche et de 52,4% pour la droite est trompeur. Le score de la gauche doit être amputé de 4,7 points pour apprécier la réalité du rapport de force gauche/ droite, ce qui le ramène à 43/57, le plus mauvais observé dans cette série de dix élections cantonales et départementales à égalité avec le scrutin de 1992. Une référence peu rassurante pour la gauche puisque, cette année-là, elle avait subi une véritable déroute, annonciatrice de la plus lourde défaite de son histoire aux législatives de 1993 où au second tour de scrutin le rapport gauche/droite corrigé de son biais s’établissait aussi au niveau exceptionnel de 43/57.

Tableau 2: Le rapport de forces gauche/droite au second tour des élections cantonales/départementales depuis 1985

Source :

Jérôme Jaffré – Fondation pour l’innovation politique – 2017.

Dans les 659 cantons en ballottage relevant du duel gauche-droite, la droite et le centre n’atteignaient au premier tour de 2015 que 37,4% des suffrages exprimés ; alors que la gauche, toutes tendances confondues, recueillait 43,9% des voix et le Front national 17,8% (et les divers 0,9%). Le passage au rapport de force observé au second tour est de 52,4% pour la droite (soit un gain de quinze points entre les deux tours) et 47,6% pour la gauche (un surplus limité à quatre points). Il est clair que les électeurs du Front national se sont massivement reportés sur les binômes de l’UMP, alors même qu’aucune consigne en ce sens ne leur avait été donnée par la direction de leur parti, qui au contraire invitait ses électeurs à refuser l’un et l’autre camp. Entre les deux tours, le total des voix de droite augmente dans cette configuration de 748.000 voix, le total des voix de gauche de seulement 53.000, l’abstention et les blancs et nuls de 384.000.

Au vu de ces chiffres et compte tenu des reports imparfaits au sein de la gauche, on peut évaluer approximativement à 60% la proportion des électeurs du Front national qui, en cas de duel gauche-droite au second tour, ont apporté leur suffrage à la droite, tandis que 20% sont allés vers la gauche et les 20% restant vers l’abstention et le vote blanc. Des calculs similaires effectués sur les duels gauche-droite aux cantonales de 2011 permettent d’évaluer à environ 35% la proportion d’électeurs FN qui avaient alors choisi de porter leurs suffrages vers la gauche. Depuis cette date, le vote Front national, fortement hostile à la gauche au pouvoir et gonflé d’un apport d’électeurs venus le plus souvent de la droite, apporte une contribution majeure à la droite classique si celle-ci se trouve en situation binaire d’affrontement avec la gauche. On est loin de la dénonciation absolue de l’«UMPS» proclamée urbi et orbi par Marine Le Pen.

Symétriquement, la droite classique, qui bénéficie donc du renfort d’un grand nombre d’électeurs du Front national en cas de duel avec la gauche, enregistre le très large soutien des électeurs de gauche quand elle doit affronter en duel le Front national (tableau 3). Dans les 541 cantons concernés par cette configuration aux départementales de 2015, elle l’emporte 538 fois, ne laissant que trois cantons au Front national. Au premier tour, la gauche y totalisait 1,6 million de voix et les divers près de 100.000. Au second tour, la droite progresse de 1,2 million de voix, le Front national de seulement 200.000, l’abstention et le vote blanc d’environ 300.000. Sur cette base, on peut évaluer grosso modo aux deux tiers la proportion des électeurs de gauche du premier tour venus apporter leur suffrage aux binômes de la droite en cas de duel avec le Front national, un cinquième préférant l’abstention ou le vote blanc, et le solde (un peu plus du dixième) se portant vers les candidats de Marine Le Pen. Sur la série des élections cantonales et départementales que l’on peut étudier depuis 1985, sept d’entre elles ont connu un nombre suffisant de duels droite-Front national pour permettre une analyse longitudinale. Sur ces sept scrutins, jamais la progression du Front national entre les deux tours n’a été aussi faible qu’en 2015. À ce dernier scrutin, le Front national ne gagne que 5,3 points, au lieu de 10,7 en 2011 et 8,2 en 2004. Inversement, la progression de la droite est particulièrement forte : + 22 points, une avancée record à la seule exception de 1992 où l’écologie, alors doublement autonome sous l’étiquette de Génération Écologie et des Verts, fournissait un important réservoir de voix.

Avec ce gain moyen de 5,3 points entre les deux tours, il est aisé d’évaluer à 45% au premiertour le seuil nécessaire au Front national pour passer au second tour la barre des 50% et l’emporteren duel face à la droite. Si son score national reste dans une fourchette entre 25 et 30% dessuffrages exprimés, le Front national reste encore très loin de toute perspective de victoire s’il doit affronter les candidats de la droite dans les seconds tours présidentiel et législatif de 2017.

Tableau 3 : La situation des duels droite/Front National au second tour des élections cantonales/départementales depuis 1985

Source :

Jérôme Jaffré – Fondation pour l’innovation politique – 2017.

3

Le FN battu, même en triangulaires …

La tripolarisation de la vie politique aurait pu laisser croire à une multiplication des triangulaires au second tour de scrutin. Mais, compte tenu du relèvement de la barre de qualification à 12,5% des électeurs inscrits (au lieu de 10% précédemment) et de la forte abstention (49,9% des inscrits), le nombre des triangulaires gauche-droite-Front national reste contenu. Avec 254 cantons concernés, soit 13,7% des ballottages, la situation est très proche des scrutins de 1998 (14,3% des affrontements du second tour) et de 2004 (14,3% également) (tableau 4).

En revanche, le bond est spectaculaire par rapport aux seconds tours de 2008 et 2011 où ce type de triangulaires représentait moins de 1% des ballottages. Comme c’est le cas depuis 1998 dans cette situation, c’est la gauche qui, en 2015 encore, remporte le plus grand nombre de victoires avec 141 cantons remportés ; la droite doit se contenter de 109 succès et le Front national est réduit à la portion congrue avec seulement 4 cantons gagnés. Pourtant, sur le plan de la dynamique électorale de l’entre-deux-tours, c’est la droite qui progresse le plus (+ 3,4 points), récupérant à l’évidence un peu de l’électorat frontiste (– 2,2 points) alors que la gauche qui progressait dans les scrutins précédents, marque le pas (– 0,9 point). C’est le signe d’un déficit de sa capacité de rassemblement mais dans ces triangulaires sa force électorale acquise au premier tour est suffisante pour lui assurer le plus grand nombre de victoires. Dans 33 de ces cantons à triangulaire, le Front national se classait en tête au premier tour, y obtenant 32,9% des suffrages exprimés. Il n’y progresse pourtant pas entre les deux tours, réussissant tout juste à maintenir son influence (– 0,5 point, à 32,4%) sans profiter de sa position de leader. Il ne l’emporte que dans 4 de ces 33 cantons, la droite en gagne 4 autres et la gauche se taille la part du lion avec 25 succès. Lorsque dans cette situation, un binôme de gauche s’est classé au premier tour juste derrière le FN, ce dernier ne progresse pas davantage (– 0,3 point), signe que même dans ce cas-là l’électorat de droite refuse de considérer le vote FN comme le vote utile pour battre la gauche. Et lorsque c’est un binôme de droite qui se classe second au premier tour derrière le FN, il progresse fortement entre les deux tours (+ 4,4 points), au détriment de la gauche (– 2,8 points) et même du Front national (– 1,2 point). Même en l’absence de duel gauche-droite, la hiérarchie du second tour est claire : la victoire continue de se jouer entre la droite et la gauche et, sauf rares exceptions, le Front national occupe la place du vaincu.

Tableau 4 : La situation des triangulaires gauche/droite/Front National au second tour des élections cantonales/départementales depuis 1985

Source :

Jérôme Jaffré – Fondation pour l’innovation politique – 2017.

 

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… ou en duel face à la gauche

Les duels gauche-Front national confirment cet enseignement. Malgré l’impopularité du pouvoir socialiste et l’hostilité sans nuance que lui vouent les électeurs de droite, ces derniers préfèrent donner la victoire à la gauche plutôt qu’au Front national. Dans les 294 cantons présentant ce cas de figure au second tour, la gauche remporte la victoire dans 93% des cas (274 cantons), le FN dans seulement 7% (20 victoires). On relève (tableau 5) qu’entre les deux tours, la gauche progresse davantage (+ 12,8 points) que le Front national (+ 9,5 points). L’abstention et les blancs et nuls étant assez stables (+ 0,8 point aux inscrits), il apparaît clairement qu’une majorité des électeurs de droite a préféré voter pour la gauche plutôt que pour le Front national. Ce résultat est tout à fait nouveau puisque pour les six élections cantonales précédentes dans lesquelles on dispose d’un nombre suffisant de duels de ce type, le Front national progressait davantage que la gauche entre les deux tours de scrutin, à la seule exception de 1992 où, comme nous l’avons déjà souligné, l’écologie autonome, forte et duale servait au second tour de réservoir de voix à la droite ou à la gauche. Hormis ce cas, les candidats FN bénéficient dans la décennie 1985-1994 d’un puissant renfort de la droite sans pour autant connaître la victoire tant les cantons concernés sont orientés à gauche. C’est encore vrai dans la période 1998-2011 où les gains respectifs sont davantage équilibrés mais toujours avec une plus forte avancée pour les candidats le pénistes.

En 2015, la tendance s’inverse en faveur de la gauche, sans doute pour deux raisons. Tout d’abord, une fraction des électeurs de la droite entre 2012 et 2015 a rejoint dès le premier tour le vote FN et dès lors ne peut plus lui fournir un apport supplémentaire au second tour. En second lieu, la puissance du Front national change sans doute la perception qu’en ont les électeurs de droite : loin de la force d’appoint au RPR puis à l’UMP qu’il pouvait constituer, il peut désormais apparaître comme la force dominante au risque de renvoyer la droite classique au rang d’une force secondaire. Pour une partie des électeurs de droite, il s’agit, en freinant les succès possibles du Front national, de réduire un tel risque.

Dans ce type de duel direct avec la gauche, le gain moyen du Front national est de 9,5 points, ce qui indique que le niveau où il peut espérer la victoire dans cette situation se situe un peu au-dessus de 40% des voix au premier tour. Cependant, l’examen des résultats canton par canton montre que la certitude de la victoire FN ne s’établit qu’au-dessus de 45% des voix au premier tour (7 cantons gagnés pour lui sur les 7 concernés). Entre 42 et 45%, le taux de victoire n’est plus que de un sur deux (6 cantons gagnés sur les 14 dans ce cas). Entre 40 et 42% le Front national ne l’emporte qu’une fois sur trois (3 victoires pour les 10 cantons). Enfin, relevons que dans les 13 cantons à duel gauche-Front national où le total de voix de droite dépassait au premier tour le total de la gauche sans obtenir la qualification au second tour en raison de sa division en plusieurs binômes, la gauche l’emporte systématiquement au second tour contre le FN. Sa progression entre les deux tours est même un peu plus du double que celle de son concurrent : + 27,7 points pour la gauche contre + 13,2 points pour le FN.

À l’évidence, nous sommes loin du « ni-ni » que le bureau politique de l’UMP, à la demande de son président Nicolas Sarkozy, avait fixé comme règle pour ce type de duel au second tour. Au contraire, quand les états-majors de la droite se prononçaient pour un Front républicain, leurs électeurs étaient nombreux à aller vers le FN ; et quand est fait le choix du « ni-ni », ils vont massivement voter et davantage pour le Parti socialiste…

Tableau 5 : La situation des duels gauche/Front national au second tour des élections cantonales/départementales depuis 1985

Source :

Jérôme Jaffré – Fondation pour l’innovation politique – 2017.

Parti vainqueur du premier tour, le Front national est le parti vaincu du second. Un véritable cordon sanitaire se met en place pour l’empêcher de gagner un grand nombre de sièges et a fortiori de conquérir des présidences de conseils départementaux. Au vu du premier tour, le FN aurait pu yprétendre dans deux départements, le Vaucluse de Marion Maréchal-Le Pen et, à un moindre degré, l’Aisne, dont la figure de proue est l’UMP Xavier Bertrand. Mais dans ces deux départements, il asèchement échoué au scrutin de ballottage.

Examinons le cas du Vaucluse, qui suite au redécoupage compte en tout 17 cantons, ce qui fixe la majorité absolue à 9 sièges. À l’issue du premier tour, le Front national, déjà élu dans un canton, pouvait espérer en gagner six autres, auxquels pouvaient s’ajouter deux élus de la Ligue du Sud deJacques Bompard. La majorité absolue paraissait à portée de main. Mais, en fin de compte, si laLigue du Sud gagne bien les deux cantons promis, le Front national n’en emporte que deux supplémentaires, loin donc de la majorité absolue visée. À Cheval-Blanc, le binôme socialiste s’est retiré alors qu’il pouvait se maintenir, facilitant ainsi la victoire de « divers droite ». En sens inverse, à Pernes-les- Fontaines, le binôme UMP s’est retiré dans les mêmes conditions, au risque que ses électeurs préfèrent la victoire du binôme frontiste. Il n’en a rien été et les socialistes ont été élus avec une nette avance. Les états-majors locaux de l’« UMPS » ont fait un échange de bons procédés pour réduire les chances de succès du FN. Mais les électeurs de droite comme de gauche sont entrés activement dans la réussite de cette stratégie. Dans les cantons d’Avignon 2 et d’Avignon 3, les électeurs de droite ont préféré la victoire d’un binôme EELV et même celle d’un binôme Front de gauche pour éviter deux gains frontistes qui paraissaient probables à l’issue du premier tour. À Valréas, la droite, en très mauvaise posture à l’issue dupremier tour avec seulement 27% des voix face au FN fort de 39% et des 10% supplémentairesd’un binôme d’extrême droite, l’emporte finalement au second tour avec 53% des suffrages.

II Partie

Le second tour des élections régionales

1

Pas de vrai gagnant

Organisées neuf mois après les élections départementales, dans treize régions pour partie réunies au lieu des vingt-deux précédentes, les élections régionales auraient pu tourner au net avantage du Front national. À l’issue du premier tour de scrutin, le 6 décembre 2015, ne se classe-t-il pas entête de toutes les forces politiques avec 27,7% des suffrages exprimés en France métropolitaine, devançant les différentes listes de gauche divisées (le PS obtient tout de même 23,4%) et en surclassant même les listes LR-UDI-MoDem, pourtant unies dès le premier tour dans les douze régions continentales (à la seule exception d’une liste autonome MoDem en Bourgogne-Franche-Comté), et qui ne recueillent que 26,9% des suffrages ?

La performance du mouvement de Marine Le Pen est d’autant plus remarquable qu’aux départementales de mars le cumul des binômes de la droite partisane (hors divers droite) l’aurait placée avec 29,5% des voix devant le FN crédité de 25,7%. Pour le second tour des élections régionales, le Front national peut nourrir de grands espoirs de conquête de présidences de région. La barre de qualification pour y accéder est inchangée, avec seulement 10% des suffrages exprimés. Ce qui, compte tenu de la progression frontiste, supprime totalement les duels gauche-droite et met en place partout, au moins sur le papier, des triangulaires. Or le Front national est arrivé en tête au premier tour dans six des douze régions continentales, parfois avec une nette avance. C’est le cas de trois régions où sont présents ses grands leaders.

En Nord-Pas-de-Calais-Picardie (qu’on appellera désormais de son futur nom Hauts-de-France), Marine Le Pen passe la barre des 40% (40,6% exactement) et devance de plus de 15 points la liste d’union de la droite de l’ancien ministre Xavier Bertrand. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, sa nièce Marion Maréchal-Le Pen obtient le même score et devance de 14 points la liste d’union de la droite menée par le maire de Nice Christian Estrosi. Enfin, en Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne (futur Grand Est), le vice-président du mouvement Florian Philippot avec 36,1% des voix devance de plus de 10 points la liste d’union de la droite conduite par le président sortant de l’Alsace Philippe Richert. Dans trois autres régions, le Front national est bien placé à l’issue du premier tour. Il s’agit du Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées (future Occitanie), où c’est le Parti socialiste qui arrive en second position, de la Bourgogne-Franche-Comté et, enfin, de la région Centre-Val de Loire. Dans ces deux dernières régions, les écarts sont si serrés que les triangulaires du second tour s’annoncent comme un jeu de roulette russe où l’électeur qui voudrait absolument éviter une victoire du FN ne sait pas à quelle liste de celle de la droite ou de celle de la gauche donner son vote pour être efficace.

Au total, avec un schéma général de triangulaires, le mouvement mariniste serait grandissime favori dans les Hauts-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, bien placé dans le Grand Est et pourrait même espérer l’emporter par surprise en Bourgogne-Franche-Comté, voire dans le Centre-Val-de-Loire. Jamais depuis trente ans qu’existent les scrutins régionaux il n’a semblé aussi proche de succès lui permettant de diriger des régions où, grâce au mode de scrutin, une victoire avec une minorité de suffrages exprimés, garantit à la liste gagnante la majorité des sièges. Marine Le Pen élue présidente de la région Hauts-de-France ? Un tel succès la placerait dans une position idéale en vue de l’élection présidentielle de 2017.

2

Le FN touché de plein fouet par le retrait des listes socialistes …

Pourtant, les espoirs du Front national vont s’envoler pour deux raisons principales. En premier lieu, la direction du Parti socialiste, en liaison avec l’Élysée et Matignon, décide unilatéralement le retrait de ses listes dans les trois régions les plus menacées par une victoire du Front national. Cette annonce, proclamée dès le soir du premier tour pour avoir un impact maximal, change la physionomie du scrutin de ballottage et marque la volonté de faire du Front national l’adversaire principal, avec sans doute l’arrière-pensée que cette attitude obligera la droite en 2017 en cas de duel final entre le candidat socialiste et la candidate du Front national. Le Parti socialiste avait évoqué cette possibilité avant le premier tour mais en précisant qu’il conviendrait de faire l’addition des voix de gauche (PS + Front de gauche + EELV + le cas échéant divers gauche) pour déterminer qui de la droite ou de la gauche devrait se retirer si une fusionn’était pas possible entre les deux camps.

Mais, au vu des résultats du premier tour, la direction socialiste va beaucoup plus loin. Seule la région Provence-Alpes-Côte d’Azur entrait dans la catégorie prévue, avec un total gauche (23,7%) inférieur au score de la liste de droite (26,5%). Dans le Grand Est, le total gauche (26%) est un tout petit peu supérieur à celui de la liste Richert (25,8%). Surtout, dans les Hauts-de- France, la gauche avec 28,2% des voix devance nettement la liste de Xavier Bertrand (25%), ce qui n’empêche pas le retrait immédiat et sans condition de la liste socialiste.

À la suite de ces décisions, la gauche devrait se retrouver totalement absente du second tour dans ces trois régions, les autres listes, Front de gauche ou EELV, n’ayant pas atteint la barre des 10% des suffrages exprimés nécessaire pour décider de se maintenir ou de se retirer. Cependant, dans le Grand Est, la tête de liste socialiste Jean-Pierre Masseret, président sortant de l’ancienne région Lorraine, refuse de respecter la consigne de la rue de Solférino et décide de se maintenir, suscitant en retour un appel à voter Richert de la part de plusieurs personnalités socialistes de la région et d’une partie importante de ses propres colistiers. Mais l’incertitude sur le résultat final renaît dans cette région et elle persiste également dans les Hauts-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur où le niveau atteint au premier tour par le Front national, l’ampleur de son avance sur la liste de droite, la difficulté vraisemblable de beaucoup d’électeurs de gauche à glisser dans l’urne un bulletin au nom de Bertrand ou d’Estrosi incitent à la prudence sur l’issue du scrutin.

3

… et par une mobilisation en forte hausse

Or, aux consignes de vote des socialistes puis du reste de la gauche dans les trois régions les plus menacées par le Front national, va s’ajouter une hausse très importante de la participation électorale au second tour, le 13 décembre. Alors que le premier tour avait été marqué par une abstention élevée (49,9% des électeurs inscrits), le second voit l’abstention tomber à 41,5%. La hausse de participation est supérieure à 8 points, 3,7 millions d’électeurs supplémentaires sont allés aux urnes. Le mouvement s’exerce sur tout le territoire, quelle que soit la région, sa configuration au second tour ou son degré d’incertitude sur le résultat final.

Il convient de noter que rien de tel ne s’était produit lors des élections départementales du mois de mars où le niveau de l’abstention au second tour (50,0%) était à peu de chose près le même qu’au premier tour (49,8%). Un seul précédent existe dans notre histoire électorale : la hausse de participation intervenue au second tour de la présidentielle de 2002, celle précisément du duel Chirac-Le Pen où l’abstention était passée de 28,4% des électeurs inscrits au premier tour à 20,3% au second. Une hausse de participation de 8,1 points légèrement moins importante que celle intervenue en décembre 2015 (+ 8,4 points). Mais il convient de noter qu’en valeur relative, la baisse de l’abstention était beaucoup plus importante en 2002 (– 30%, soit 19% rapportés à 27%) qu’en2015 (– 17%, soit 41,5% rapportés à 49,9%). Comme en 2002, cette hausse de participation est suscitée par le choc du premier tour qui voit le Front national effectuer une percée et être cette fois-ci en mesure d’emporter plusieurs présidences de région.

L’Enquête électorale française conduite par le Cevipof, enquête par panel commencée en novembre 2015 et qui se poursuivra jusqu’aux scrutins du printemps 2017, permet, grâce à la taille de son échantillon (plus de 20.000 interviews), de dresser région par région le sens du vote des abstentionnistes et blancs et nuls du premier tour venus aux urnes au second (tableau 6). Dans les régions à duel droite-Front national, la hausse de participation joue aux trois quarts au bénéfice des listes des Républicains. Dans les régions à triangulaire, la hausse bénéficie à la gauche ou à la droite, souvent un peu plus à la gauche, le cas d’une triangulaire devant être mis à part, celle du Grand Est où, rappelons-le, la direction du Parti socialiste appelle à voter pour la liste de droite. Mais, surtout, le Front national ne profite qu’assez peu de l’afflux de nouveaux votants. Alors qu’il obtenait au premier tour plus de 40% de suffrages exprimés dans les Hauts-de-France et en Provence- Alpes-Côte d’Azur, il n’obtient dans chacune de ces deux régions que moins de 25% des voix des nouveaux votants. Dans les autres régions à triangulaires, il doit se contenter en moyenne de 13% des suffrages des nouveaux votants soit seulement la moitié environ de sa performance du premier tour dans ces régions.

Grâce à L’Enquête électorale française, il est possible d’évaluer le coût pour le Front national de la remobilisation du second tour. Pour ce faire, on a recalculé le résultat du scrutin de ballottage en ôtant l’appoint des abstentionnistes et blancs et nuls venus voter le 13 décembre. Ce coût est en moyenne de 1,5 point de suffrages exprimés. Il atteint ou dépasse même les 2 points dans troisrégions où le FN pouvait prétendre à la victoire : Provence-Alpes-Côte d’Azur, Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté. Il est un peu plus faible dans le Centre-Val de Loire et dans les Hauts-de-France. Et encore moins important dans les autres régions, en particulier sur la façade atlantique. Mais ses conséquences sur l’issue du scrutin, en particulier dans les triangulaires serrées, ne sont pas négligeables et contribuent à l’échec généralisé des listes du Front national.

Tableau 6 : La mobilisation des abstentionnistes du premier tour lors du second tour des élections régionales de 2015

Source :

Calculs de l’auteur à partir de la vague 1 bis de l’Enquête électorale française du Cevipof réalisée entre le 16 décembre 2015 et le 3 janvier 2016 auprès de 21.385 personnes. Les résultats par région ont été pondérés sur la base des scores obtenus par les différentes listes aux 1er et 2nd tours et de l’indice d’évolution de l’abstention et des blancs et nuls entre les deux tours.

Jérôme Jaffré – Fondation pour l’innovation politique – 2017.

Avec l’impopularité record du pouvoir socialiste et la mobilisation anti-FN du second tour, le scrutin régional de 2015 aurait pu être le triomphe de la droite et du centre alliés dès le premier tour. Le Parti socialiste n’avait-il pas gagné 20 régions sur les 22 aux élections de 2004 et, avec le radical de gauche Paul Giacobbi en Corse, 21 régions en 2010, ne laissant à la droite que l’Alsace. Cinqans plus tard, le tour de la droite paraissait venu, mais en fin de compte elle est loin du triomphe. Elle ne l’emporte que dans sept des treize régions nouvellement constituées, une courte majorité. Et ses résultats auraient pu être pires. C’est la gauche qui offre à la droite ses succès dans les Hauts-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans ces deux régions, le maintien de la gauche au second tour aurait à coup sûr entraîné la victoire de Marine Le Pen et de Marion Maréchal-Le Pen. Dans le Grand Est, l’appel des socialistes à voter pour la liste Richert a été entendu et a facilité la nette victoire de la droite. Selon L’Enquête électorale française, 48% desélecteurs de la liste socialiste au premier tour ont voté Richert au second. La liste du socialiste devenu dissident Masseret ne retrouve qu’un peu plus de la moitié de l’influence électorale de la gauche au premier tour, alors que s’il y avait eu une triangulaire classique le résultat final aurait été très incertain entre la droite et le Front national.

Au lieu donc de sept régions gagnées par la droite, cinq par la gauche et une par les autonomistes corses, le résultat aurait pu être de deux ou trois régions pour le FN, quatre ou cinq seulement pour la droite qui aurait été ramenée au niveau de la gauche. Dans les neuf régions à vraie triangulaire (Grand Est excepté, donc), la droite obtient au second tour 36% des suffrages exprimés contre 40,8% à la gauche et 23,2% au Front national. Sa progression entre les deux tours ne lui permet pas de devancer la gauche.

Cette absence de dynamique de la droite se voit clairement au niveau des cantons en isolant les résultats au second tour des élections départementales et régionales en triangulaire constante gauche-droite-Front national (tableau 7). Entre mars et décembre, la droite recule fortement, passant dans les 207 cantons où ce suivi est possible de 36,1% des voix à 31,8% (– 4,3 points) ; la gauche maintient à peu près ses positions (– 0,8 point), alors que le Front national progresse fortement (+ 5,1 points). La politique de containment, comme était qualifiée la doctrine Truman à l’égard du communisme, fonctionne contre le FN grâce au second tour en le privant de la victoire finale mais elle ne peut empêcher la progression significative de son influence électorale.

Tableau 7 : Le recul de la droite entre le second tour des élections départementales de mars 2015 et le second tour des élections régionales de décembre 2015 en situation de triangulaires (cumul des 207 cantons triangulaires constantes gauche/droite/Front National)

Source :

Jérôme Jaffré – Fondation pour l’innovation politique – 2017.

4

Une gauche également minoritaire dans l’espace régional

Pour sa part, la gauche enregistre sa cinquième défaite consécutive dans les élections intervenues depuis 2012 : municipales, européennes et sénatoriales en 2014, départementales puis régionales en 2015. Elle devient pour la première fois depuis le scrutin de 1998 minoritaire dans l’espace régional. Tout au plus échappe-t-elle au désastre en sauvant cinq présidences de région. Trois représentent des victoires indiscutables, quoique acquises en triangulaire avec la présence du Front national : la Bretagne, l’Aquitaine-Poitou-Charentes- Limousin (aujourd’hui Nouvelle-Aquitaine) et l’Occitanie, où l’adversaire principal est le parti de Marine Le Pen.

À ce butin s’ajoutent deux régions gagnées sur le fil du rasoir et de façon assez inattendue. En premier lieu, il s’agit de la Bourgogne-Franche-Comté où la liste socialiste au premier tour n’arrivait qu’en troisième position loin derrière le FN et derrière aussi la liste de la droite, sans pouvoir fusionner avec les listes Front de gauche et EELV qui n’atteignaient pas le seuil de 5% requis. Dans la région Centre-Val de Loire, le PS était également en troisième position mais en pouvant fusionner avec la liste EELV mais pas avec celle du Front de gauche. Dans ces deux régions, le Parti socialiste parvient à l’emporter sur le fil. Il le doit à des divisions au sein du bloc modéré. En Bourgogne-Franche-Comté, la présence d’une liste autonome MoDem venue concurrencer au premier tour la liste LR-UDI conduite par… le centriste François Sauvadet ne recueille que 3,3% des suffrages exprimés. Mais, selon L’Enquête électorale française, le plus grand nombre de ses électeurs a préféré au second tour se reporter vers la liste socialiste, ce qui a assuré sa victoire. Dans la région Centre-Val de Loire, la victoire finale de la gauche se joue à moins d’un point. La liste LR-UDI- MoDem conduite par le centriste Philippe Vigier ne fait pas le plein des voix des sympathisants républicains : 80% d’entre eux, toujours selon L’Enquête électorale française, lui apportent au second tour leurs suffrages, 17% lui préfèrent la liste du Front national, alors que dans les huit autres régions à vraie triangulaire (hors Grand Est, donc), le taux de vote des sympathisants LR est en moyenne de 86% pour la liste de droite et de 11% pour la liste du Front national. Une différence à laquelle s’ajoute une plus forte mobilisation des abstentionnistes vers la gauche, ce qui explique la défaite finale de la liste d’union de la droite et du centre. La gauche conserve ainsi à l’arraché ces deux régions limitant ainsi sa défaite.

Mais ces succès occultent l’ampleur de son recul électoral, que l’on peut mesurer en comparant dans les deux régions Bourgogne-Franche-Comté et Centre-Val de Loire les votes du second tour aux élections régionales de 2004, 2010 et 2015 (tableau 8). Une telle comparaison est licite car, lors des trois scrutins, le second tour y opposait la gauche, la droite et le Front national. En 2004 et 2010, la gauche survolait le scrutin en obtenant à elle seule ou en frôlant la majorité absolue dessuffrages exprimés. En 2015, la gauche l’emporte encore mais son recul est massif puisqu’il atteint 15 points. La droite, elle-même, recule de 2 points par rapport au scrutin de 2010, pourtant une très mauvaise référence pour elle. C’est le Front national qui, seul, bénéficie des mouvements de voix avec un gain de près de 18 points, qui lui fait pulvériser son score par rapport à 2010 et presque le doubler par rapport à 2004. Pourtant, ce Front national en pleine progression électorale rate la dernière marche, celle qui lui aurait permis de compter à son actif une ou plusieurs présidences de région.

Tableau 8 : La gauche victorieuse en Bourgogne-Franche-Compté et dans le Centre-Val-de-Loire mais en recul d’environ quinze points par rapport aux précédentes élections régionales (triangulaires constantes, suffrage exprimés)

Source :

Jérôme Jaffré – Fondation pour l’innovation politique – 2017.

III Partie

Un vrai perdant : le Front National

Comme on l’a souvent écrit, le FN se heurte à un plafond de verre l’empêchant de gagner au second tour. Mais tout se passe en fait comme si ce plafond de verre montait au fur et à mesure desa progression. Au second tour, en effet, le Front national échoue sur toute la ligne. En Occitanie,où il est arrivé en tête devant la liste socialiste, il ne bénéficie pas d’un effet de « vote utile » pour battre le PS, alors même que la droite est totalement hors jeu pour la victoire. Selon L’Enquête électorale française, 7% seulement des électeurs de droite du premier tour vont vers le FN au second tour et le même pourcentage de 7% va vers la liste de gauche neutralisant ainsi les mouvements. Au total, le Front national ne gagne que 2 points entre les deux tours sans inquiéter la liste de gauche qui a fusionné entre ses différentes composantes et le distance finalement de 11 points.

Si le Front national ne bénéficie pas d’un vote utile des électeurs de droite en sa faveur, il l’offre en revanche à la liste des Républicains en Île-de-France (tableau 9). Dans la région-capitale où le FN au premier tour est arrivé loin derrière la liste LR et la liste PS, le quart de ses électeurs l’ont quitté pour rejoindre la liste Pécresse et assurer sa victoire sur le fil face à la liste Bartolone pourtant mieux placée sur le papier après sa fusion avec les listes EELV et Front de gauche. Il est vrai que le stupéfiant propos du président de l’Assemblée nationale qualifiant sa rivale des Républicains de « candidate de la race blanche », et répétant ce propos à une autre occasion pour être sûr d’être bien entendu, a sans doute incité nombre d’électeurs frontistes à se déplacer vers une candidate ainsi fléchée.

Mais, plus globalement, l’électeur FN module son vote au second tour selon la situation de son parti au soir du premier tour. Quand le FN arrive en première position, 6% seulement de ses électeurs se déplacent vers la liste de droite ; s’il est deuxième, le pourcentage moyen atteint 10,5% ; et s’il n’est que troisième, il est (hors Île-de-France) de 13% et même de 16% en incluant la région-capitale. Si en Île-de-France, les reports FN s’étaient inscrits dans cette moyenne de 13%, laliste Bartolone l’aurait emporté sur la liste de droite.

Tableau 9 : Le report des électeurs du Front national du 1er au 2nd tour des élections régionales par région (Ont voté Front National au 1er tour des régionales)

Source :

Jérôme Jaffré – Fondation pour l’innovation politique – 2017.

Dans ses espoirs de conquête, le Front national échoue même dans les triangulaires opaques où l’électeur anti-FN ne peut savoir qui du vote de gauche ou du vote de droite est efficace pour le battre. Le Front national est battu sur le fil en Bourgogne-Franche-Comté où la forte mobilisation des abstentionnistes du premier tour, bien que se partageant parfaitement entre gauche et droite, lui coûte la victoire. Si l’on recalcule en effet les résultats du second tour enexcluant les abstentionnistes du premier tour venus aux urnes au second, le FN l’aurait emporté d’un souffle sur la tête de liste socialiste finalement victorieuse.

Mais la plus grosse déception pour le Front national vient de ses défaites en duel face à la droite dans les Hauts-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans ces deux régions, le second tour paraissait pourtant jouable pour lui, avec un très haut niveau de premier tour, une forte avance sur la droite et une difficulté présumée de beaucoup d’électeurs de gauche à accepter la décision de retrait pur et simple après que leurs leaders aient juré avant le premier tour qu’ils n’en feraient rien. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Front national échoue nettement mais avec le score honorable de 45,2% contre 54,8% à la liste Estrosi. Une partie importante des électeurs de gauche du premier tour s’est réfugiée dans l’abstention ou le vote blanc. C’est le cas de 40% d’entre eux, 57% ayant apporté leurs suffrages à la liste du maire de Nice. Mais l’afflux de nouveaux votants creuse l’écart en faveur de la droite, qui sans eux l’aurait tout de même emporté avec une avance réduite à 52/48. Battu honorablement en Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Front national est étrillé dans les Hauts-de-France où Marine Le Pen n’obtient que 42,2% des voix contre 57,8% à la liste Bertrand, soit à peine mieux que son score de premier tour (40,6%). Dans cette région, beaucoup d’abstentionnistes du premier tour se sont mobilisés contre le Front national mais pas davantage qu’en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ce sont les électeurs de gauche qui font la différence : 30% seulement d’entre eux se sont abstenus ou ont voté blanc (contre 40% en Provence-Alpes-Côte d’Azur), 66% ont donné leur suffrage à la liste Bertrand, rejointe aussi par une forte proportion des divers droite. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, la sociologie du vote frontiste au second tour s’élargit vers les personnes âgées, les cadres, les diplômés et les catholiques pratiquants. Dans les Hauts-de-France, région certes beaucoup plus populaire, la sociologie du vote frontiste cible les ouvriers, les peu diplômés et beaucoup d’électeurs qui conservent une sensibilité de gauche, mais elle échoue à s’élargir au-delà de ce socle.

Que se serait-il passé si les élections régionales s’étaient déroulées en appliquant la règle de l’élection présidentielle qui fixe que les deux candidats (ici les deux listes) arrivés en tête sont seuls qualifiés pour le second tour. Dans ce scénario, on aurait compté une minorité de duels gauche-droite : quatre sur les douze régions continentales, soit l’Île-de-France, la Bretagne, les Pays de laLoire et la Nouvelle-Aquitaine ; un duel gauche-Front national en Occitanie. Et sept duels opposant la droite et le Front national. Dans cette situation, la droite aurait confirmé ses victoires dans les Hauts-de-France, en Provence-Alpes- Côte d’Azur, dans le Grand Est et en Auvergne-Rhône-Alpes. Et elle l’aurait aussi emporté dans les deux régions perdues de peu en triangulaire où la gauche victorieuse sur le fil n’aurait même pas été en mesure de se qualifier pour le secondtour : la Bourgogne-Franche-Comté et le Centre-Val-de-Loire. Pour sa part, la gauche aurait battule Front national en Occitanie. Elle l’aurait très aisément emporté en Bretagne et sans doute, maisde justesse, en Nouvelle- Aquitaine. Enfin, en Île-de-France, sa défaite aurait été très nette. Sur labase des reports observés lors des départementales, le rapport de force se serait sans doute fixévers 54-55% en faveur de la liste Pécresse. Au total, la gauche aurait gagné à coup sûr deux régions et sans doute trois, mais la droite gagnante dans au moins neuf régions sur douze aurait clairement dominé les élections régionales si celles-ci s’étaient déroulées selon la règle de la présidentielle. Un signe de bon augure pour elle en vue du grand rendez-vous de 2017.

Notes

3.

Voir Hervé Le Bras, Le Nouvel Ordre électoral, Seuil, 2016.

+ -

Les seconds tours des élections intermédiaires de 2015 diffèrent des enseignements du premier tour, car ils ont pour objet presque principal d’apporter une réponse à la percée du Frontnational. La formation de Marine Le Pen apparaît ainsi comme le parti vainqueur du premier tour, puis comme le parti vaincu du second. L’état-major de l’UMP s’est prononcé pour le « ni-ni » encas d’affrontement gauche-FN ; la direction socialiste ne cesse de mettre sur le même plan une droite devenue à ses yeux extrémiste et un Front national toujours d’extrême droite. Mais, confrontés au risque de victoire du FN, chacun agit pour en réduire les chances.

Aux départementales, les états-majors locaux de l’UMP et du PS ont fait des échanges de retrait réciproque pour réduire les chances du FN de s’emparer de présidences de conseils départementaux, comme par exemple dans le Vaucluse ou dans l’Aisne. Aux élections régionales, la direction du Parti socialiste a dès le soir du premier tour et sans condition retiré ses listes dans les Hauts- de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur et, faute d’être entendu par la tête de liste socialiste dans le Grand Est, a carrément appelé à voter contre lui et pour la droite. Il s’agit là d’une décision majeure, qui annonce le choix de voter à droite au second tour de la présidentielle de 2017 si elle oppose le candidat des républicains à Marine Le Pen, avec le calcul, bien sûr, que la droite se trouverait dans la même obligation au cas où le candidat socialiste se qualifierait face à la candidate frontiste.

Le système « UMPS » existe bel et bien, mais il procède d’abord de la volonté des électeurs d’adopter le comportement le plus adéquat pour éviter la victoire de candidats ou de listes du Front national. Dans les duels gauche-FN, cette volonté de barrage est assez puissante pour conduire les électeurs de droite à surmonter leur hostilité viscérale à l’égard du pouvoir socialiste et préférer glisser dans l’urne un bulletin pour un binôme de gauche plutôt qu’un bulletin pour un binôme frontiste. Plus remarquable encore, comparé à toutes les élections cantonales précédentes depuis une trentaine d’années, c’est la première fois qu’un tel phénomène se produit, comme une façon de répondre à la poussée électorale du Front national. Pour leur part, les électeurs de gauche votent massivement à droite en cas de duel droite-Front national, tant aux départementales qu’aux régionales. Même dans les cas de triangulaires où le FN à l’issue du premier tour pourrait apparaître comme le mieux placé pour battre la gauche, il ne suscite pas un «vote utile» dans l’électorat de droite pour le porter vers la victoire. Tout se passe en définitive comme si le fameux plafond de verre qui rend si difficile la victoire finale des candidats du Front national ne cessait de s’élever au fur et à mesure de sa progression électorale.

Le tripartisme, ou plus exactement la tripolarisation, joue-t-il contre la démocratie comme l’affirme le démographe Hervé Le Bras en soulignant que la droite gagne les élections grâce à sa position centrale qui lui permet tantôt de bénéficier des voix du FN pour battre la gauche, tantôt de bénéficier des voix de la gauche pour battre le Front national. Et ce alors même que sa force électorale au premier tour est inférieure au total des voix de la gauche, ce qui constitue, selon l’auteur, l’atteinte à la démocratie3. C’est oublier que la gauche est profondément divisée et qu’une partie d’entre elle se fixe comme objectif de faire mordre la poussière à l’autre fraction, celle qui occupe le pouvoir national. Ainsi, le parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon a-t-il pour la première fois lors des élections départementales refusé d’appeler à voter socialiste au second tour de scrutin contre la droite et même contre le Front national. C’est surtout ignorer les enseignements à tirer des duels gauche-droite du second tour des départementales. Dans ce cas de figure, la droite domine très nettement la gauche puisque, corrigé du biais qui tient à la déformation politique des cantons concernés, le rapport de force peut être évalué à 57-43 en sa faveur. Pour la gauche, il s’agit du plus mauvais score enregistré depuis vingt-trois ans, auxcantonales de 1992 annonciatrices de la plus lourde défaite électorale de son histoire, celle des législatives de l’année suivante. Tout l’enjeu pour la gauche lors des rendez-vous électoraux de 2017 est d’éviter l’élimination au premier tour de la présidentielle puis l’effondrement lors des législatives qui suivront.

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