Parfaire le paritarisme par l’indépendance financière
Introduction
Variations sur les partitions du paritarisme
De quelle parité le paritarisme est-il le nom ?
Le paritarisme : une approche en quatre cercles concentriques
Le paritarisme de gestion, combien de divisions ?
Des approches sur lesquelles s’accordent les partenaires sociaux
Le paritarisme face au tripartisme et âtres multipartismes
S’adapter à l’universalité : des évolutions nécessaires
Le paritarisme comme dialogue social : à valoriser dans l’entreprise
Le paritarisme dit de gestion : à éplucher domaine par domaine
Une identité assurée par un financement indépendant
Contre un paritarisme sous perfusion publiques
Pour une transparence assurée
Pour une indépendance affirmée
Pour une gouvernance optimisée
Résumé
Le paritarisme est à l’ordre du jour du débat public. Certains proposent de s’en défaire, d’autres aspirent à le préciser et, là où il est nécessaire, à le parfaire. La plupart des personnes vivant en France sont concernées mais n’en ont pas grand-chose à faire. Il est vrai que le sujet ne brille pas par sa clarté. L’expression «paritarisme» désigne des blocs de politiques aux enjeux sensiblement différents (sécurité sociale, protection sociale complémentaire, formation professionnelle, politique du logement…). S’il est impossible et illégitime de vouloir se défaire, d’un coup, de tout ce que comprend et implique le paritarisme, il importe de parfaire un ensemble de mécanismes afin de permettre aux Français de se réapproprier démocratiquement leur protection sociale. Le paritarisme, en effet, intrigue, intéresse et inquiète. Il intrigue, car lesprocédures et circuits procèdent d’une redoutable complexité. Il intéresse (ou devrait intéresser), car il se situe au cœur du modèle social français. Enfin, il inquiète, car le relatif manque de clarté et de légitimité appelle un nécessaire aggiornamento. Au moins sur le plan financier.
Cette note rappelle certains fondamentaux et plaide pour des organisations syndicales, d’employés et d’employeurs investies dans un paritarisme mieux délimité et moins dépendant des finances publiques. Un paritarisme sous perfusion de prélèvements obligatoires et de subventions pervertit autant l’idéal que le quotidien de la démocratie sociale. Un paritarisme d’adhésion et de conviction, sur un périmètre ajusté, lui confère son efficacité et son éclat. Issu de l’économie et de compromis du XXe siècle, le paritarisme doit entrer dans le XXIe siècle enre définissant ses contours (notamment par rapport aux pouvoirs publics) et en revoyant ses modalités de financement (notamment par rapport aux finances publiques). Cette note plaidepour une transparence assurée, une indépendance affirmée, une gouvernance optimisée. L’ambition consiste à rénover substantiellement le paritarisme plutôt qu’à simplement le ripolinerou, abusivement, le contester.
Julien Damon,
Enseignant à Sciences Po et à HEC Paris, rédacteur en chef de 'Constructif', membre du conseil scientifique et d’évaluation de la Fondation pour l’innovation politique.
Introduction
On trouve cependant bien le paritarisme, comme d’ailleurs le tripartisme et le quadripartisme, dans le vocabulaire décrivant les évolutions des institutions belges de protection sociale (voir Pierre Reman et Patrick Feltesse, « L’évolution de la gestion paritaire de la sécurité sociale en Belgique », Reflets & Perspectives de la vie économique, XLII , n° 4, 2003, p. 101-113. La France, en tout cas, semble bien spécifique dans l’importance donnéeau paritarisme. L’ensemble serait tout de même regardé avec un certain intérêt par d’autres pays en Europe,comme l’indique, par exemple, le colloque organisé par l’Institut de la protection sociale européenne (Ipse) en février 2017 sur le thème « Le paritarisme à l’épreuve de la remise en cause des corps intermédiaires ».
Pour une lecture critique de la canonisation du paritarisme, voir Bernard Gibaud, « Paritarisme, démocratie sociale : aperçus historiques sur une liaison hasardeuse », Mouvements, n° 14, mars-avril 2001, p. 38-45.
Les sujets, liés, du paritarisme, du dialogue social et du financement des organisations syndicales d’employeurs et de salariés font l’objet de nombreux Le plus célèbre d’entre eux n’a pas été officiellement publié. Du nom du rapporteur de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, sur le délicat sujet du financement, le rapport Perruchot (2011) demeure une mine d’informations. Sur le sujet, la littérature administrative et experte est assez dense. Pour un autre rapport ayant marqué, voir Raphaël Hadas-Lebel, Pour un dialogue social efficace et légitime : représentativité et financement des organisations professionnelles et syndicales, rapport au Premier ministre, mai 2006.
Accord national interprofessionnel « Modernisation et fonctionnement du paritarisme », ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, 17 février 2012, p. 85.
Ibid., p. 87.
Arnaud Richard et Jean-Marc Germain, Rapport d’information déposé par la mission d’information sur le paritarisme, Assemblée nationale, rapport n° 3829, 8 juin 2016, p. 9. Ce document, vaste et copieux, est assurément la mine la plus intéressante pour ouvrir et creuser la question du paritarisme.
Voir notamment « Sortir de la mauvaise gestion paritaire », numéro thématique de la revue Société civile (mensuel de la Fondation Ifrap), n° 167, avril, 2016, et, dans la continuité de plans d’action présentés pour privilégier la négociation au sein des entreprises et refonder la formation professionnelle, Institut Montaigne, Dernière chance pour le paritarisme de gestion, mars 2017. Voir également le rapport, aussi critique que documenté et volontariste, de Jean- Charles Simon, Faut-il en finir avec le paritarisme ?, Institut de l’entreprise, 2016. Pour une approche synthétique de ce document important et clivant, voir Jean-CharlesSimon, « Faut-il en finir avec le paritarisme ? », Sociétal, 2017, p. 122-130. Pour les changements et permanences dusujet, voir le rapport Paritarisme : conditions et enjeux, Institut de l’entreprise, 1995 qui mettait déjà fortement en question les défaillances de la gestion paritaire et en doute sa légitimité et son efficacité.
Totem, pour certains, d’un dialogue social dynamique et d’une protection sociale à la française efficace ; pour d’autres, porteur de multiples insuffisances et dérives, le «paritarisme» incarne l’une des spécificités du modèle social français. Singularité, d’abord, en ce qu’il désigne unlarge domaine, diversifié, d’interventions sociales, selon des modalités que l’on ne trouve pas dans d’autres pays. Originalité incontestable, ensuite, au sens où l’on ne trouve pas d’équivalent terminologique, notamment en anglais1, pour désigner ces modalités d’administration de certains segments de la vie collective (droit du travail, protection sociale…). Exceptionnalité, enfin, car l’attachement au système, en particulier de la part de ceux qui le font vivre en théorie et qui, pour partie, en vivent de fait, est élevé. Les plus attachés auparitarisme, par conviction ou par intérêt, sont probablement les partenaires sociaux. Certainsvont parfois jusqu’à proposer d’introduire le paritarisme dans la Constitution.
D’autres n’y voient plus qu’un ensemble de rituels inutiles, assemblés dans une liturgie d’un autre âge, ou bien encore une canonisation qui ne s’impose vraiment pas2. Alternativement, on en déplore ainsi l’extinction ou bien on en célèbre la vitalité. Selon les perspectives et lespositions, c’est l’État qui est décrié ou les partenaires sociaux qui sont ignorés ou malmenés.
Le paritarisme présente des défauts mais subit aussi des critiques excessives et des propositions de réformes inaudibles lorsqu’il s’agit, d’un coup de baguette magique volontariste, de tout remettre en ordre. Considéré comme en crise chronique, il vit aujourd’hui un moment sinon de crise aiguë, du moins de puissante interrogation sur sa situation et ses évolutions possibles. Le paritarisme fait ainsi l’objet d’attentions, d’interrogations, de rapports, qui tous appellent à des clarifications et à des aménagements, plus ou moins radicaux3.
Les partenaires sociaux eux-mêmes ont su s’emparer du dossier. Dans un accord national interprofessionnel (ANI) de 2012, ils affirment le souci partagé d’une gestion paritaire irréprochable, estimant que « la gestion paritaire apporte une contribution significative à la cohésion sociale et au progrès social4 ». Il est également précisé dans ce texte que l’ « un des principaux enjeux de la modernisation du paritarisme et de son fonctionnement est l’exemplarité de gestion5 ». La plus grande rigueur et la plus grande transparence s’imposent. Entre 2015 et 2016, une « mission d’information sur le paritarisme » de l’Assemblée nationale a cherché à « cartographier » le paritarisme, à en mesurer les avantages et les limites. Soulignant l’importance capitale du paritarisme, le président de la mission d’information débute son avant-propos par une affirmation clé : « Le paritarisme est l’un des piliers de la démocratie française, que la tectonique de notre vie collective nous invitait à réexaminer6. » Le paritarisme est donc particulièrement à l’ordre du jour. Cet ordre du jour s’enrichissant des travaux menés par des think tanks qui ont pris le dossier en main, dans la perspective de l’élection présidentielle de 20177. Cette présente note vise deux objectifs. D’abord, poser un diagnostic. Ce diagnostic appelle une clarification, autant que faire se peut, des questions et des évolutions possibles du paritarisme. Et, ensuite, contribuer au débat public, en proposant. Il s’agit ici, principalement, de revenir, là où le paritarisme est légitime et efficace, à des partenaires sociaux puissants et indépendants, autonomes, en termes financiers, par rapport aux pouvoirs publics.
Variations sur les partitions du paritarisme
Mais qu’est-ce que le paritarisme ? Dans un sens littéral et habituel, la définition est assez simple : paritarisme et paritaire désignent et qualifient une assemblée, une institution, une activité impliquant, en nombre égal, des représentants de deux parties. En matière de droit social et d’évolutions institutionnelles à la française, l’évidence s’érode. Sans définition ni délimitation absolue dans le droit, ce sont la doctrine et l’activité institutionnelle qu’il faut consulter.
De quelle parité le paritarisme est-il le nom ?
Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2016.
Pour davantage de profondeur d’analyse historique, voir l’article devenu classique de Gilles Pollet et Didier Renard, « Genèses et usages de l’idée paritaire dans le système de protection sociale français. Fin 19e-milieu du 20e siècle », Revue française de science politique, vol. 45, n° 4, 1995, 545-569. Voir, plus précisément, dans le casde l’évolution de la sécurité sociale, l’étude du passage au « véritable » paritarisme, en 1967, avec stricte paritéentre patronat et syndicats d’employés aux conseils des caisses de sécurité sociale, dans Bruno Valat et Michel Laroque, « La démocratie sociale dans la gestion de la Sécurité sociale de 1945 à 1994 », Vie sociale, n° 10, septembre 2015, p. 89-107. Rappelons que les ordonnances établissant, entre autres, ce paritarisme furent conspuées comme « ordonnances scélérates », notamment en ce qu’elles confiaient trop de responsabilité au patronat. Il faut rappeler qu’en 1945, pour la Sécurité sociale, les conseils d’administration n’étaient pasparitaires, et à large prépondérance syndicale (voir Antoinette Catrice-Lorey, « La Sécurité sociale en France,une institution anti-paritaire ? », La Revue de l’IRES, n° 24, printemps-été 1997, p. 81-105). Sur les ambiguïtés générales, avec un pluriel à paritarismes, on consultera Dominique Damamme et Bruno Jobert, «Les paritarismes contre la démocratie sociale», Pouvoirs, n° 94, septembre 2000, p. 87-102. Enfin, pour un panorama de positions, on peut se reporter à Gilles Nezosi, La Crise du paritarisme, La Documentation française, 2000.
Sur les mandats eux-mêmes, voir le Mandascop (acronyme de « Mandats des organisations syndicales de salariés et d’employeurs : savoirs, compétences, profils ») réalisé sous l’égide de l’association.
Sur ce paradoxe relatif, voir « La syndicalisation en France : paradoxes, enjeux et perspectives », Trésor-Éco, n° 129, mai 2014.
Voir le chapitre « Gestion paritaire », in Jean-Jacques Dupeyroux, Michel Borgetto et Robert Lafore, Droit de la sécurité sociale, Dalloz, 18e édition, 2015, p. 291 sqq.
En première instance, le paritarisme est un régime d’organisation qui repose sur la parité. Cette parité signifie que deux parties sont représentées à égalité. Le sujet n’est pas, historiquement, celui du genre et de l’égalité entre les femmes et les hommes. En arithmétique, étudier la parité d’un entier, c’est déterminer si cet entier est ou non un multiple de deux. Est paritaire, en droit, ce quiest divisé en parts égales ou composé à égalité d’éléments divers8. Se dit également d’un organisme dans lequel diverses catégories de personnes ayant des intérêts distincts ont unnombre égal de représentants – on dit d’ailleurs alors qu’ils sont leurs « pairs ». Le terme «paritaire » désigne également des juridictions particulières instituées pour trancher certains litiges opposant des personnes appartenant à des catégories professionnelles différentes. Dans ces juridictions siègent à nombre égal (parfois sous la présidence d’un magistrat de l’État) des juges appartenant à la même catégorie que chacun des adversaires. On range dans cette catégorie les conseils de prud’hommes, mais aussi les tribunaux paritaires des baux ruraux.
Le paritarisme est ainsi un système ou une organisation impliquant des mécanismes paritaires. Dans le domaine de la protection sociale, il s’agit de systèmes et organisations fonctionnant sous la responsabilité, pleine, partielle ou très relative, de « partenaires sociaux ». La parité du paritarisme est donc celle des partenaires sociaux. Elle a été, un temps, celle des niveaux de cotisations entre les deux parties des partenaires sociaux. Ainsi, dans la loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes (dite « ROP »), les versements obligatoires des salariés et les contributions des employeurs sont de même hauteur, forfaitaires. Avec les deux lois sur les assurances sociales, des 5 avril 1928 et 30 avril 1930, la cotisation à verser à l’organisme assureur, que l’assuré peut choisir, se monte à 4% du salaire pour le salarié et 4% pour l’employeur. Ces textes fixent, ou plutôt cherchent à fixer, au plan financier un principe de partage égal des cotisations entre salarié et employeur. Aujourd’hui, les niveaux de cotisations sont très dispersés selon les risques. La parité ne procède plus du prélèvement. Elle tient, enthéorie, de la répartition du pouvoir. En matière de sécurité sociale, il n’y avait pas, à l’origine, en 1945, paritarisme, car il n’y avait pas parité. Les représentants élus des cotisants salariés étaient majoritaires dans les conseils d’administration des organismes. La réforme de 1967 (ordonnance Jeanneney) a véritablement institué, non sans conflits, le régime du paritarisme dans la sécurité sociale française, en impliquant, à parité, le patronat. Depuis lors, le débat faitrage sur la portée, la légitimité et l’efficacité du paritarisme. Celui-ci s’étend et se transforme, toujours dans la sécurité sociale, avec la présence grandissante d’autres membres des conseils d’administration : représentants des mutuelles, des associations familiales ou encore personnalités qualifiées (« PQ »). Aujourd’hui, le paritarisme strict, en matière de sécurité sociale, se retrouve dans des commissions particulières des conseils d’administration des caisses locales, les commissions de recours amiables, où la parité entre représentants des employeurs et des employés demeure stricte. Ni représentant des mutuelles, ni représentant des associationsfamiliales, ni personnalités qualifiées. Certains voient là un pur paritarisme, réminiscence d’uncertain passé ou annonciateur d’un certain futur.
Le recours à la sémantique et à l’historique de la protection sociale amènerait donc une définition assez simple : paritarisme et paritaire désignent et qualifient une assemblée, une institution, une activité impliquant, en nombre égal, des représentants de deux parties. Sur le paritarisme, en tant qu’institution de protection sociale, différentes approches, voire différentes écoles, sont repérables. Sans faire d’exégèse, on peutprésenter les principales partitions d’un domaine qui apparaît à géométrie variable9.
Pour prendre un exemple récent et marquant, la mission d’information de l’Assemblée nationale évoque une « mosaïque », avec des centaines de milliers de mandats de représentation en cours, exercés par environ 600.000 personnes, 750 branches professionnelles, près de 100.000 salariés dans des « organismes paritaires10 ». Ce «grouillement paritaire», note encore la mission, posé sur « une tête d’épingle » – avec un taux de syndicalisation de 8% – aboutit au résultat remarquable d’un taux de couverture conventionnelle de près de 93%11, l’un des plus élevés des pays occidentaux. Autrement dit, le paritarisme n’est pas improductif, mais il est nébuleux. Il faut dire que certains en font un quasi-synonyme de la gouvernance de la protection sociale, quand d’autres cantonnent l’usage du mot à certains pans, plus ou moins nombreux, de cette protection sociale. En matière de sécurité sociale, le paritarisme, érigé en symbole ou en bastion des partenaires sociaux qui sont membres des conseils et des conseils d’administration, ne serait pas un «vrai» paritarisme. Il y aurait donc du vrai et du faux, de l’utopie ou del’impasse, de la réussite et de l’échec, de l’intégral et du partiel12.
Paritarisme un mot d’usage récent dans le secteur social
Source :
Le brouillard devient même à couper au couteau quand les questions de genre et de parité entre femmes ethommes viennent s’en mêler. Ainsi, en 2006 un avis de la Commission générale de terminologie et de néologie définissait la notion de «paritarisme» comme une « action en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes »et comme un équivalent du gender mainstreaming (voir Réjane Sénac-Slawinski, « Du gender mainstreaming au paritarisme : genèse d’un concept controversé », Cahiers du Genre, n° 44, avril 2008, p. 27-47). Voir également le rapport d’Anicet Le Pors et Françoise Milewski, Promouvoir la logique paritaire. Deuxièmer apport du Comité de pilotage pour l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques, La Documentation française, 2003.
Parmi de premiers essais systématiques, signalons André Tardy, « Paritarisme et institutions de formation professionnelle continue », Droit social, n° 11, septembre 1995, p.913-920, qui distinguait, en dehors du champ prud’homal, quatre types de paritarisme : de négociation, de conciliation, de représentation, de gestion.
Comment démêler cet écheveau dont les fils proviennent du droit, de l’économie et des habitudes prises depuis des décennies ? L’exercice est malaisé. La présence, partout grandissante de l’État, interdirait même l’emploi d’un mot désignant des réalités dépassées. Présent historiquement dans les deux domaines du droit social (droit de la protection sociale, droit du travail), le paritarisme pourrait n’être plus présent qu’en droit du travail, notamment sous sa forme dite de « paritarisme de négociation » (en opposition au « paritarisme de gestion »), ou bien tout simplement parce qu’il participe directement au système judiciaire avec les conseils des prud’hommes. Face à ces différentes acceptions, faussement partagées, et à ce brouillard, un peu de lumière s’impose. La nébuleuse ne se laisse pas saisir aisément13. Tout raisonnement global sur le paritarisme a certainement ses limites. Afin de saisir ces limites, il faut mettre au jour les diverses définitions et partitions possibles du paritarisme. L’exercice de typologie est une sorte de figure imposée de l’analyse du paritarisme14.
Le paritarisme : une approche en quatre cercles concentriques
La distinction la plus communément admise aujourd’hui, mais sans que le partage des deux côtés de la distinction soit véritablement clair, invite à différencier un paritarisme «de gestion» d’un paritarisme « de négociation ». Dans le premier cas, les partenaires sociaux ont la responsabilité de gestion. Dans le second, ils ne font que participer à des négociations, les décisions finales leur échappant et la gestion n’étant pas de leur ressort. Cette distinction, ancrée dans une réalité faite de négociation et de gestion, ne rend toutefois pas pleinement compte de la réalité du paritarisme, dans son ensemble.
Déterminer s’il y a ou non paritarisme, puis hiérarchiser les formes de paritarisme sont deuxexercices délicats. Les experts 15 raisonnent en général à partir de trois ou quatre critères :
- origine contractuelle du système, tirée de la négociation collective. Les partenairessociaux sont à l’initiative du service ou de l’organisme concerné dont ils ont prévu, par accord, la création et les principaux aspects de fonctionnement ;
- ressources tirées exclusivement (ou très majoritairement) de cotisations assises sur le travailet supportées par les salariés ou les employeurs plutôt que de prélèvements obligatoires ;
- liberté, plus ou moins sous contraintes, d’usage des ressources et de gestion des activités ;
- intervention des services et organismes paritaires en direction des seuls cotisants ou des personnes directement représentées par les partenaires sociaux.
De fait, les sphères de la protection sociale et du droit du travail répondant à ces quatre critères sont très restreintes, si elles existent encore. Alors, pour aborder le paritarisme, qui est une construction pragmatique, sans copyright ni délimitation juridique formelle, il faut raisonner demanière conventionnelle. Dans un sens restreint, qui est aussi celui de la relation paritaire auquotidien, le paritarisme relève du dialogue social. Dans un sens plus large – et on approchealors le paritarisme de gestion –, le paritarisme comprend les pans de la protection sociale dans lesquels les partenaires sociaux jouent un rôle déterminant. Mais, dans la protection sociale, le paritarisme ne se limite pas à ce paritarisme de gestion. Les administrateurs des caisses de sécurité sociale sont, eux aussi, attachés au paritarisme que l’organisation de leurs conseils est censée également incarner. De fait, dans une acception large, le paritarisme, qu’il soit de gestion, de négociation, d’élaboration (dans des sphères expertes) ou de représentation – par exemple au Conseil économique, social et environnemental (CESE) ainsi que dans les Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER) –, peut s’entendre comme l’ensemble des mandats tenus par les partenaires sociaux. Aucune acception ne s’impose par rapport aux autres.
Pour certains, le paritarisme n’est qu’une des composantes du dialogue social.
Pour d’autres, le dialogue social est l’une des composantes du paritarisme. Enfin, quelques praticiens et observateurs estiment qu’il ne faut pas confondre les deux domaines…
En tout état de cause et de vocabulaire, le paritarisme se trouve bien dans un spectre qui va d’une définition très large (lato sensu), emportant toutes les instances où se retrouvent ensemble les représentants des employeurs et des travailleurs, à une définition restreinte (stricto sensu), où l’on condense les instances nées de la négociation collective et dont les partenaires sociaux sont presque entièrement responsables.
Tableau 1 : Le paritarisme, de stricto sensu à lato sensu
On préférera une vision large et unifiée plutôt qu’une vision duale avec ce qui serait paritarisme dit de gestion et ce qui ne le serait pas. Après tout, l’ensemble relève de prélèvements obligatoires. Avec une assurance chômage et des retraites complémentaires prises en compte dans le périmètre des dépenses publiques comptabilisées au sens européen de Maastricht, il y a bien davantage unité que diversité.
Cette présentation en quatre cercles concentriques vise un peu de clarté sans probablement mettre fin au consensus mou ou à la complicité tacite qui entoure cette grande catégorie du paritarisme. Le sujet, s’il se niche dans un vocabulaire peu rigoureux et dans des mécanismes d’une extrême complexité, a néanmoins toujours été assez conflictuel. Du côté des syndicats d’employés, l’investissement dans la gestion ou même la cogestion avec le patronat a été contesté comme un détournement absorbant inutilement les militants. Du côté des syndicats d’employeurs, ce sont les rigidités et les pertes de temps qui sont souvent mises en avant.
Le paritarisme de gestion, combien de divisions ?
Signalons cette remarque de Pierre Mie, président du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP), au sujet des institutions paritaires de prévoyance (IP) : « les IP pratiquent un paritarisme non pas de gestion, mais de gouvernance. Leurs administrateurs sont chargés de définir les orientations stratégiques et d’en contrôler la mise en œuvre, mais ils n’interfèrent plus dans la gestion qui relève des dirigeants exécutifs » (Lettre Protection sociale informations, 22 mars 2017). Une nouvelle notion donc dans la collection de celles cherchant à clarifier ce qu’est le paritarisme.
Voir, par exemple, Éric Verhaeghe « Contre le paritarisme de gestion, pour le paritarisme de stratégie », news, 7 février 2017.
Arnaud Richard et Jean-Marc Germain, op. cit., p.15.
Ibid.
Dans l’ensemble des appréciations sur la nature et la portée du paritarisme, la distinction la plus commune traite du paritarisme de négociation (le paritarisme revient alors à la négociation collective) et du paritarisme de gestion (le paritarisme est alors une modalité de gouvernance, en particulier dans la sphère sociale)16. Certains experts et opérateurs ajoutent, dans cette partition, le paritarisme d’élaboration (par exemple, dans des sphères comme France Stratégie ou bien le CESE). D’autres, ironiques, aiment amener dans les discussions, le « paritarisme de soumission » (en ce qu’il verrait des partenaires sociaux toujours davantageinféodés à l’État) ou le « paritarisme de figuration » (pour rappeler son caractère, souvent, uniquement protocolaire). D’autres encore, moins ironiques mais plus critiques, opposent un «paritarisme bureaucratique », issu de décisions de l’après-guerre pour tempérer le caractère révolutionnaire du syndicalisme, à un «paritarisme stratégique» qu’il faut construire17.
Dans leur mission d’information, les députés ont retenu un périmètre particulier, estimant que le quart de la protection sociale, soit, selon l’Assemblée (ce qui en l’espèce peut être discuté), 150 milliards d’euros, relève du paritarisme de gestion18. Et le rapport liste les retraites complémentaires, le chômage, la prévoyance, la santé au travail, la formation professionnelle, le logement, l’insertion des personnes handicapées. En ces matières, nous disent les députés, il s’agit de « l’affaire des partenaires sociaux au moins autant que de l’État19 ».
Graphique 2 : Les dépenses de prestations sociales en 2014 (en million d’euros)
Source :
Arnaud Richard et Jean-Marc Germain, Rapport d’information déposé par la mission d’information sur le paritarisme, Assemblée nationale, rapport n° 3829, 8 juin 2016, p. 56 .
Institut Montaigne, Dernière chance pour le paritarisme de gestion, mars 2017.
Dans le même ordre d’idées, selon l’Institut Montaigne, il en va bien de l’ordre de 150 milliards d’euros gérés dans le cadre du paritarisme de gestion20. Pour les plus grandes masses, les experts de l’Institut identifient : 58,6 milliards d’euros pour les retraites complémentaires AGIRC-ARRCO (16,6 milliards pour l’AGIRC et 42 milliards pour l’ARRCO) ; 35 milliards pour l’assurance- chômage ; 13,75 milliards d’euros pour la formation professionnelle (uniquement le financement par les entreprises) ; 13,1 milliards d’euros pour la prévoyance ; 4 milliards pour le logement.
Graphique 3 : Répartition par secteur des dépenses sociales gérées paritairement
Source :
Arnaud Richard et Jean-Marc Germain, Rapport d’information déposé par la mission d’information sur le paritarisme, Assemblée nationale, rapport n° 3829, 8 juin 2016, p. 57.
Antoine Bozio et Brigitte Dormont, « Gouverner la protection sociale : transparence et efficacité », Les Notes du Conseil d’analyse économique, n° 28, janvier 2016.
Le paritarisme de gestion est habituellement rapporté à deux principales composantes, qui sont bien différentes :
- les retraites complémentaires, pilotées à long terme, dépendent grandement de l’évolution des régimes de base, avec une problématique de soutenabilité des régimes qui est fonction d’évolutions macroéconomiques. Elles représentent, grosso modo, la moitié de ce qui relève duparitarisme stricto sensu ;
- l’assurance chômage, autonome du reste de la protection sociale, est entièrement soumiseà la logique des cycles économiques. Conçue à l’origine comme un régime de transition entre deux emplois stables, avec une indemnisation de bon niveau mais sur un temps limité, elle a changé peu à peu de nature, pour devenir désormais pour l’essentiel un régime de gestion socialisée de la précarité de l’emploi. Cette assurance chômage représente, grosso modo, le quart de ce qui relève du paritarisme stricto sensu.
À ces deux principales composantes s’ajoutent, pour un total d’un quart du paritarisme stricto sensu, des politiques et dépenses relevant de la prévoyance, du logement (l’effort des employeurs pour la construction, c’est-à-dire le fameux « 1% ») et de la santé au travail.
Dans une note parue début 2016 sous l’égide du Conseil d’analyse économique (CAE), deux auteurs cantonnent le paritarisme de gestion à l’assurance chômage et aux retraites complémentaires21. L’ensemble se caractérisant par des cotisations et des prestations définies, avant tout, par les partenaires sociaux, représente 17% des dépenses de protection sociale (voir graphique 3). Le total ne représente qu’un peu plus de 100 milliards d’euros, la circonférence du paritarisme, selon les économistes du CAE, est donc plus restreinte que celle délimitée par les députés dans leur rapport d’information.
Les régimes AGIRC et ARRCO incarnent incontestablement une forme majeure de paritarisme (voir François Charpentier, Retraites complémentaires. 75 ans de paritarisme, Economica, 2014 ; François Charpentier, Les Retraites complémentaires Agirc-Arrco, PUF, 2016).
Selon la rédaction de cet ANI, le champ du paritarisme de gestion intègre deux formes de paritarisme (issu des accords, issu d’une délégation de l’État) et trois modes d’intervention des partenaires sociaux : gestion par les partenaires sociaux seuls, gestion tripartite avec l’État, gestion partagée avec d’autres acteurs. Dans le premier cas, il s’agit de la mise en œuvre de règles fixées par les seuls partenaires sociaux : c’est le paritarisme de gestion au sens le plus strict, qui vise des organismes créés et gérés uniquement par les partenaires sociaux. On retrouve cette gestion, en théorie exclusivement paritaire, dans trois domaines:
- la formation professionnelle ;
- les retraites complémentaires ;
- l’assurance chômage (Unedic et Apec).
En ces matières, les partenaires sociaux ne gèrent pas à proprement parler le quotidien d’organismes, mais ils sont, plus fondamentalement, en charge de la définition des règles qui s’appliquent aux régimes qu’ils gèrent, des avantages et garanties qu’ils peuvent accorder aux salariés et des services qu’ils peuvent apporter aux entreprises. Encore une fois, la délimitationn’est pas clairement fournie. Les partenaires sociaux détiennent des compétences dans la protection sociale obligatoire, mais ils interviennent aussi en prévoyance, domaine dévolu à laconcurrence.
Au-delà du texte de l’ANI, le paritarisme, parfois qualifié de « pur », se trouverait dans les mécanismes et instances où ne sont rassemblés que les partenaires sociaux. Un temps l’assurance chômage, avant la création de Pôle Emploi, était érigée en exemple de ce paritarisme pur. C’est aujourd’hui le cas des retraites complémentaires, en tant que domaine où les partenaires sociaux ont à la fois le pouvoir de décision et la responsabilité de gestion, ceci étant mis en question par leur récent déficit technique et leurs problèmes financiers.
Pour la mission de l’Assemblée nationale, le paritarisme « pur » comprend les deux secteurs de la prévoyance et des retraites complémentaires. Dans sa logique, il s’agit d’une part très importante des dépenses gérées paritairement, puisqu’il s’agit de 86 milliards d’euros, soit plus de la moitié des sommes gérées paritairement. À défaut d’être chimiquement pur, le paritarisme existerait encore de façon relativement aboutie dans les domaines des retraites complémentaires et de la prévoyance24.
Graphique 4 : La gouvernance des dépenses de protection sociale en 2013 (en % du total des dépenses)
Source :
Antoine Bozio et Brigitte Dormont, «Gouverner la protection sociale : transparence et efficacité», Les Notes du Conseil d’analyse économique, n° 28, janvier 2016, p. 4.
Des approches sur lesquelles s’accordent les partenaires sociaux
Dans l’ANI de 2012, on trouve cette diversité d’acceptions et cette volonté de se centrer sur le «paritarisme de gestion » qui, lit-on, trouverait sa justification « dans la valeur du service qu’il est appelé à rendre aux bénéficiaires finaux que sont les salariés et les entreprises, notamment au regard de son utilité sociale22 ». Cette phrase est répétée deux fois dans l’accord. Les signataires estiment, également, que « il importe de s’assurer de l’efficience sociale et économique du service rendu par les organismes paritaires de gestion23 ».
L’ANI de 2012 : un tableau du paritarisme difficile à remplir
Source :
Accord national interprofessionnel «Modernisation et fonctionnement du paritarisme», ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, 17 février 2012, p. 90-104.
Les régimes AGIRC et ARRCO incarnent incontestablement une forme majeure de paritarisme (voir François Charpentier, Retraites complémentaires. 75 ans de paritarisme, Economica, 2014 ; François Charpentier, Les Retraites complémentaires Agirc-Arrco, PUF, 2016).
Selon la rédaction de cet ANI, le champ du paritarisme de gestion intègre deux formes de paritarisme (issu des accords, issu d’une délégation de l’État) et trois modes d’intervention des partenaires sociaux : gestion par les partenaires sociaux seuls, gestion tripartite avec l’État, gestion partagée avec d’autres acteurs. Dans le premier cas, il s’agit de la mise en œuvre de règles fixées par les seuls partenaires sociaux : c’est le paritarisme de gestion au sens le plus strict, qui vise des organismes créés et gérés uniquement par les partenaires sociaux. On retrouve cette gestion, en théorie exclusivement paritaire, dans trois domaines:
- la formation professionnelle ;
- les retraites complémentaires ;
- l’assurance chômage (Unedic et Apec).
En ces matières, les partenaires sociaux ne gèrent pas à proprement parler le quotidien d’organismes, mais ils sont, plus fondamentalement, en charge de la définition des règles qui s’appliquent aux régimes qu’ils gèrent, des avantages et garanties qu’ils peuvent accorder aux salariés et des services qu’ils peuvent apporter aux entreprises. Encore une fois, la délimitationn’est pas clairement fournie. Les partenaires sociaux détiennent des compétences dans la protection sociale obligatoire, mais ils interviennent aussi en prévoyance, domaine dévolu à la concurrence.
Au-delà du texte de l’ANI, le paritarisme, parfois qualifié de « pur », se trouverait dans les mécanismes et instances où ne sont rassemblés que les partenaires sociaux. Un temps l’assurance chômage, avant la création de Pôle Emploi, était érigée en exemple de ce paritarisme pur. C’est aujourd’hui le cas des retraites complémentaires, en tant que domaine où les partenaires sociaux ont à la fois le pouvoir de décision et la responsabilité de gestion, ceci étant mis en question par leur récent déficit technique et leurs problèmes financiers.
Pour la mission de l’Assemblée nationale, le paritarisme « pur » comprend les deux secteurs de la prévoyance et des retraites complémentaires. Dans sa logique, il s’agit d’une part très importante des dépenses gérées paritairement, puisqu’il s’agit de 86 milliards d’euros, soit plus de la moitié des sommes gérées paritairement. À défaut d’être chimiquement pur, le paritarisme existerait encore de façon relativement aboutie dans les domaines des retraites complémentaires et de la prévoyance24.
Le paritarisme face au tripartisme et âtres multipartismes
Pour une synthèse et des positions à ce sujet, voir les analyses très précises de Jacques Freyssinet, qui avance l’expression de « tripartisme asymétrique masqué », dans son audition devant la mission d’information sur le paritarisme (voir Arnaud Richard et Jean-Marc Germain, cit., p. 164).
Sur l’histoire du tripartisme à l’OIT, voir Marieke Louis, « Un parlement mondial du travail ? Enquête sur unsiècle de représentation tripartite à l’Organisation internationale du travail », Revue française de science politique, 66, n° 1, février 2016, p. 27-48.
Voir Olivier Mériaux et Éric Verdier, « Gouvernances territoriales et émergence d’une politique du rapport salarial », Espaces et Sociétés, n° 136-137, juin 2009, p. 17-31.
Le mythe se retrouve également sous une forme inversée lorsqu’il s’agit de dénoncer inefficacité, gabegie et opacité… Sur les liaisons et déliaisons entre démocratie sociale et paritarisme, voir Jean-Jacques Dupeyroux, Michel Borgetto et Robert Lafore, cit. ; Michel Borgetto, « Sécurité sociale et démocratie sociale : état des lieux »,Revue française de finances publiques, n° 64, novembre 1998, p. 7-37.
À ce sujet, voir Julien Damon et Benjamin Ferras, La Sécurité sociale, PUF, « Que sais-je ? », 2015.
On se permet aussi de signaler l’importance du passage du paritarisme à autre forme de gouvernance, plus floue encore, qui est celle du Voir Julien Damon, « La dictature du partenariat. Vers de nouveauxmodes de management public ? », Futuribles, n° 273, mars 2002, p. 27-41, et «Partenariat et politiques sociales», Revue de droit sanitaire et social, vol. 45, n° 1, janvier-février 2009, p. 149-162.
À côté du vocable « paritarisme », celui de « tripartisme » prend de l’ampleur. Dans les débats sur le paritarisme, il veut rendre compte de la place tout de même éminente, et de plus en plus prégnante, de l’État25. Fonctionnellement et juridiquement même, il désigne des modalités de fonctionnement dans des instances internationales, comme l’Organisation internationale du travail (OIT), dont l’action se fonde sur la coopération de trois parties : les gouvernements, les organisations d’employeurs, les organisations de travailleurs26. Surtout, l’expression « tripartisme » rend compte, en France, de la présente croissante, souhaitée ou redoutée, de l’État.
On parle de « tripartisme » à partir du moment où l’État est davantage présent, par exemple dans les caisses de sécurité sociale ou bien encore dans les commissions mixtes paritaires (CMP). Certains soutiennent, avec des arguments solides, que ce tripartisme est, de fait, la règle. Incarné par la présence de l’État, il n’est pas explicite mais il repose sur un consensus tacite. Ce n’est pas la règle de trois, mais le jeu à trois est la règle. Des solutions tripartites sont trouvées, sans avoir à accepter un tripartisme officiel. Même pour les ANI, l’État est présent, dans l’orientation des négociations puis la transcription des accords. Contrôle de légalité et procédure d’agrément confèrent toujours une place capitale, décisive en tout cas, à l’État.
On parle parfois même de « quadripartisme » quand d’autres opérateurs sont présents à la table des responsabilités et de la gouvernance27. C’est par exemple le cas, en matière de formation professionnelle, de la présence des Régions. On utilise aussi l’expression «quadripartisme » au sujet du conseil d’administration de Pôle Emploi ou de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Ainsi certaines questions appelleraient-elles, au moins historiquement, le paritarisme, d’autres le tripartisme, d’autres enfin le quadripartisme.
Finalement, il apparaît une clarification très malaisée et très imparfaite. Les évolutions du système de protection sociale et la complexité que celle-ci amène embrouillent ce qu’a été, ce qu’est et ce que pourrait devenir ce paritarisme, terme doté, dans le débat public d’une image sacro-sainte.
En effet, si clarification des définitions et des domaines il y a, tout ceci n’empêche pas un certain mythe du paritarisme, parant de toutes les vertus le dialogue social, la négociation collective et, finalement, le paritarisme comme réalisation d’une œuvre de « démocratie sociale28 ».
C’est assurément cette « démocratie sociale » que valorisent la plupart des partenaires sociaux et que valorisaient, dans leur projet, certains pères fondateurs de la Sécurité sociale elle-même, Pierre Laroque en tête29. Il se trouve néanmoins que le monde a grandement changé,souvent d’ailleurs dans un sens favorable aux protections collectives, ce qui invite à des réformeset à des révisions dans ce que vise le paritarisme30.
S’adapter à l’universalité : des évolutions nécessaires
Sur ce point absolument capital, voir l’audition de Dominique Libault, directeur de l’École nationale supérieurede Sécurité sociale, devant la mission d’information sur le paritarisme, in Arnaud Richard et Jean-Marc Germain, cit., p. 72-73 et 207-208.
Pour une analyse mesurée en ce sens, voir Romain Marié, « Le rôle de la profession dans la mise en œuvre dela norme en droit de la sécurité sociale », Droit social, n° 2, février 2016, 126-130, et, pour une mise en perspective, du même auteur, « Vers un basculement du système français de sécurité sociale dans le modèle beveridgien ? », Revue de droit sanitaire et social, n° 4, juillet-août 2011, p. 727-737.
Laborieux à saisir, le paritarisme campe, en tout cas, au cœur des systèmes français de relations professionnelles et de protection sociale. Il se situe à l’articulation entre les solidarités professionnelles et la solidarité nationale. Traditionnellement, il est vu comme un instrument de pilotage des solidarités professionnelles, alors que l’État et la représentation nationale possèdent la légitimité en matière de solidarité nationale31.
Le mouvement de généralisation (on parle aussi d’universalisation) de la protection sociale, dans plusieurs de ses secteurs, est assurément celui qui a le plus d’impact sur le paritarisme. De solidarités professionnelles (légitimant pleinement le paritarisme) à une solidarité nationale (appelant une présence accrue de l’État), ce mouvement fondamental de la protection sociale amène depuis des années à des appels à des révisions consistantes.
Dans bien des domaines, le paritarisme – à voir comme la gestion par les partenaires sociaux– se comprenait pleinement quand la protection sociale n’était pas universelle. Or sa généralisation progressive a commandé de nouveaux outils – pour le financement, contribution sociale généralisée (CSG) ; pour les prestations, couverture maladie universelle (CMU), et maintenant protection universelle maladie (PUMa) ; pour lagouvernance, loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) – impliquant toujours davantage l’État.
Ces trois mouvements de réforme – financement, prestations, gouvernance – sont liés. Ils nourrissent une nouvelle conception de la protection sociale française fondée non plus, avant tout, sur des solidarités professionnelles, mais sur une solidarité nationale. Le paritarisme s’est historiquement composé à partir de solidarités professionnelles qu’il fallait organiser. Quand la solidarité nationale prévaut, les partenaires sociaux ne sauraient plus jouer le même rôle. Le paritarisme est vu comme un instrument de pilotage des solidarités professionnelles, alors que l’État et la représentation nationale possèdent la légitimité en matière de solidarité nationale. Le paritarisme peut pleinement et profitablement continuer à s’incarner dans la gestion de risques sociaux à forte dimension professionnelle. Dans d’autres domaines, où l’universalisation des prestations est en place et la fiscalisation du financementest en cours, le paritarisme doit jouer un autre rôle. D’autres formes de gouvernance s’imposent.
Dans une certaine mesure, le système de protection sociale français devient universel et beveridgien (solidarité nationale) pour les régimes de base, tout en s’affirmant professionnel et bismarckien (solidarité professionnelle) pour les régimes complémentaires32. Ceci suggère que le paritarisme, adapté, a toute sa place dans le système. Le paritarisme s’incarne naturellement là où les risques sont plutôt de nature professionnelle, là où le dialogue social permet l’amélioration des protections : revenu de remplacement en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, retraites, etc. Les discussions, dès lors, portent sur les lignes de partage entre ce qui doit relever de la solidarité et de l’impôt, ce qui doit relever de l’assurance et de la cotisation, ce qui est universel et ce qui est personnel.
Le paritarisme comme dialogue social : à valoriser dans l’entreprise
Le paritarisme évoque d’abord, certes, la gestion par les organisations d’employeurs et de salariés des organismes en charge de l’assurance chômage, des retraites complémentaires ou de la formation professionnelle. Mais l’expression même de « paritarisme » désigne originellement des formes de concertation, d’abord dans la fonction publique. D’où des rapprochements et des chevauchements entre les notions de paritarisme, dialogue social, négociation collective et démocratie sociale. Aujourd’hui, paritarisme sonne souvent comme synonyme de dialogue social, dans les 750 branches d’activité même si la négociation collective ne mobilise vraiment que 150 d’entre elles. C’est certainement en cette espèce qu’il a la légitimité la plus élevée. Ces dernières années, plusieurs rapports ont d’ailleurs traité de la question et, quoique d’inspirations différentes, ils convergent vers les mêmes constats et lesmêmes solutions. Notons que ces rapports relativement consensuels ont abouti à un des projets de loi les plus controversés (et c’est peu dire) : la récente loi Travail.
Le constat, unanime dans ces rapports, décrié à l’occasion de la discussion de la loi El Khomri, est lapidaire : l’empire de la loi tend à étouffer la négociation collective. Il convient donc de limiter la portée du code du travail et de reconstruire le dialogue social à partir de l’entreprise. D’où le principe d’un « renversement de la hiérarchie des normes » : aux partenaires sociaux de se mettre d’accord, dans l’entreprise, sur les dispositions qui leur paraissent les meilleures, compte tenu des circonstances et particularités. Cette nécessité du paritarisme en matière de dialogue social doitse comprendre comme un recours nécessaire préalable à toute réforme. Le contre-exemple souvent mis en avant est la crise du contrat première embauche (CPE) en 2006. Préalablement à toute réforme du code du travail, il importe de consulter les partenaires sociaux et, s’ils le souhaitent, leur offrir l’option de la négociation préalable.
Le paritarisme dit de gestion : à éplucher domaine par domaine
Voir Julien Damon, « Politiques familiales et allocations familiales : traits et évolutions », Revue de droit sanitaire et social, n° 6, novembre-décembre 2013, p. 987-997.
Voir, à ce titre, la controverse lancée par la proposition de Martin Hirsch et Didier Tabuteau, dans leur article « Créons une assurance-maladie universelle », Le Monde, 14 janvier 2017.
On propose un rapide « épluchage » ou « élagage » à partir des principales lignes de propositions, qui ne vont pas forcément dans le même sens, contenues dans des rapports publiés récemment :
Logement : reconquérir le 1% logement ou l’abandonner à l’État
Les entreprises cotisent pour le logement de leurs salariés. Or, de plus en plus, le logement social se voit attribuer en priorité à des mal-logés non salariés. Il importe de soutenir les partenaires sociaux dans leur volonté d’agir en faveur du logement des salariés, des plus jeunes en particulier, et non de voir capter cette ressource pour d’autres fins. À défaut, il faudrait supprimer cette cotisation et basculer davantage encore le financement de la politique du logement sur de la fiscalité. Ce sont les deux options opposées que l’on trouve dans les rapports : un 1% conservé, recentré sur les salariés modestes, ou un 1% totalement supprimé et une ressource fiscalisée.
Assurance chômage : soutenir les partenaires sociaux ou tout transmettre à l’État
Pour l’assurance chômage, parfois encore présentée comme un « vrai paritarisme » (au sens où les partenaires sociaux négocient et statuent vraiment au sein de l’Unedic), le paritarisme aurait toute sa place. Ce n’est certainement pas l’endroit où il est le plus critiquable. Une option radicale consiste à souligner que l’affaire des entreprises ne doit pas être le chômage mais l’emploi. Et donc à totalement transformer l’assurance chômage en la transférant à l’État. Une telle option se comprendrait pleinement afin de diriger plus rigoureusement et plus directement ce pan devenu essentiel de la protection sociale. Une telle option, avec un État fixant la norme (cotisations payées autant par le public que par le privé, indemnisations dégressives…), serait cohérente avec une mise en concurrence des opérateurs de placement. Avec un système à bout de souffle, la France demeure le seul pays de l’Union européenne ayantune base paritaire pour son assurance chômage.
Une autre idée, parfois émise, serait de l’intégrer au bloc sécurité sociale, et non pas de totalement étatiser la prise en charge du chômage. En tout état de cause, les débats sont puissants, notamment à l’occasion des négociations entre partenaires sociaux. Alors que certaines propositions vont dans le sens d’une étatisation, d’autres vont dans celui de la célébration du paritarisme et de l’autonomie. La question concrète est bien de savoir qui doit gérer l’agent que versent employeurs et employés en vue d’indemniser les chômeurs. Si l’autonomie doit être renforcée, il faudrait qu’elle s’exerce pleinement. D’où la proposition avancée, en cas de responsabilisation intégrale des partenaires sociaux, de voir l’État cesser d’apporter sur les marchés sa garantie aux titres de dette émis par l’Unedic. Avec, en 2016, un déficit de 4 milliards d’euros et une dette cumulée de 34 milliards, la révolution serait particulièrement substantielle. En tout état de cause, certains voient dans les récentes négociations de l’assurance chômage une nouvelle manifestation du souhait des partenaires sociaux de conserver leur pré carré, quand d’autres y voient une opportunité pour réformer en profondeur.
Pour les retraites : choisir entre deux types de gestion
Pour les retraites complémentaires (AGIRC-ARRCO), les partenaires sociaux gèrent, de fait, un système obligatoire, au fond au même sens que les retraites de base. La grande question est de savoir si les retraites de base (Caisse nationale d’assurance vieillesse-CNAV) doivent à l’avenir être gérées exactement de la même manière ou si les retraites complémentaires doivent revenir dans le giron du régime de base. En un mot, ce sont les choix autour du système de retraite qui doivent présider au choix du mode de gestion. Et non l’inverse. De fait, pour les retraites complémentaires, la réforme systémique ne s’impose pas forcément. Le systèmene marche pas si mal, et la réforme récente – certes forcée par la contingence –, avec un passageà 63 ans pour l’âge de départ, est un pas significatif. De l’avis général (ou presque général), les partenaires sociaux ont montré leur capacité à prendre des décisions malaisées, tant pour ce qui relève d’une adaptation du système à des évolutions démographiques et économiques que d’un effort important d’économies sur le plan de la gestion.
Pour les prestations familiales : une bascule progressive vers l’État et la fiscalité
Les prestations familiales sont servies sans condition d’activité professionnelle depuis la fin des années 1970. Depuis lors, le débat se pose sur le maintien du paritarisme. Celui-ci dispose, en l’espèce, d’une légitimité fragilisée depuis l’universalisation des prestations familiales à l’ensemble de la population33. Les conseils d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et des Caisses d’allocations familiales (CAF) ont un rôle de concertation, d’orientation, de discussion des grandes stratégies. Très probablement l’avenir des CAF passe par une présence accrue de l’État (comme dans le cas des caisses maladie) et des collectivités territoriales. Certes, les CAF doivent conserver un ancrage local pour développer de manière adéquate leurs politiques d’action sociale, en lien avec les collectivités territoriales, mais ce ne peut être avec une gouvernance issue des compromis historiques du paritarisme mais avec une gouvernance rénovée assurant une représentation plus adéquate et une action locale plus ajustée.
Pour l’assurance maladie : distinguer ce qui est professionnel
De fait, les partenaires sociaux n’ont plus beaucoup de pouvoir dans la régulation de l’assurance maladie, mais les tensions et les critiques peuvent être vives. Une option est de confier pleinement aux partenaires sociaux ce qui est bien d’essence professionnelle : les accidents du travail et les maladies professionnelles, les indemnités journalières. Le reste pourrait tout à fait être géré nationalement, en lien avec les collectivités territoriales, sans conseils paritaires. Il faut noter que l’assurance maladie complémentaire devenant obligatoire pour les salariés, la coexistence des deux étages (base et complémentaire) devient sujette à davantage de discussions et controverses34.
Pour la formation professionnelle : poursuivre les réformes à l’œuvre
Le principe de la réforme en cours est d’éviter les dérives qu’a pu connaître le paritarisme en la matière. En confiant toujours davantage de responsabilités aux régions, tout en conservant dans les branches professionnelles des instances formulant les besoins et les attentes, il est possible de faire mieux, en se dégageant progressivement de négociations et interventions inutiles.
En matière de discours politique, le risque souvent mis en avant est celui d’une «étatisation». Effectivement celle-ci progresse. Mais, d’une part, l’intégration nationale de la protection sociale ne veut pas vraiment dire étatisation. Il y a bien une loi de finances pour l’État et une loi de finance pour la sécurité sociale (débordant d’ailleurs largement la sécurité sociale au sens strict). Et d’autre part, cette « étatisation » est certes un mal pour des institutions paritaires qui veulent perdurer, mais dans bien des domaines on aurait pourtant là un gage d’efficacité et d’économie.
En un mot, donc, le paritarisme a sa pleine légitimité sur certains segments professionnels de la protection sociale (au sens large). Il ne doit pas être un frein à la réforme de la protection sociale, gérée par un État efficace, en lien avec des collectivités territoriales dynamiques (notamment les régions et les métropoles).
Le paritarisme de consultation, d’élaboration et d’évaluation : à stabiliser
Certaines instances d’expertise et d’évaluation des politiques procèdent d’un paritarisme parfois dit « d’élaboration ». C’est le cas de France Stratégie et de l’ensemble des hauts conseils (à la famille, pour les retraites, pour l’assurance maladie, pour l’emploi) dont l’ancien Commissariat au Plan coordonne les activités. Au sein de ces hauts conseils, partenaires sociaux, experts et administrations coopèrent utilement et efficacement. Ces lieux, en partie paritaires, tripartites ou multipartites, sont nécessaires car ils traitent de sujets trop importants pour n’être pris en compte que par les administrations ou par la majorité politique du moment.
Une identité assurée par un financement indépendant
Le paritarisme ne saurait être célébré pour ses supposées gloires passées. Il ne saurait non plus être attaqué frontalement et radicalement en raison de son caractère supposément passéiste, voire clientéliste. En revanche, il est certain que le paritarisme – la gestion paritaire de certains pans de la protection sociale
- doit être profondément revu au regard, au moins, de cinq mouvements qui s’entretiennent réciproquement :
- l’universalisation de la protection sociale (les Français sont couverts non pas en tant que professionnels mais en tant que citoyens) ;
- la nationalisation des modalités de financement et de versement des prestations (pour ne pas dire leur étatisation) ;
- l’« uberisation » de relations sociales, qui ne peuvent plus être uniquement paritaires car elles sont de plus en plus de pairs à pairs (d’ailleurs un mutualisme 2.0 et une sécurité sociale 2.0 passent plus par un « pairitarisme » que par le paritarisme traditionnel) ;
- une recomposition territoriale qui voit davantage de pouvoirs et de responsabilités confiés aux grandes collectivités territoriales qui, sur leur ressort, doivent avoir davantageleur mot à dire en matière de logement, de chômage ou de protection sociale ;
- une nécessité de personnaliser la protection sociale, tout au long de la vie, en dépassant les passages d’un statut à un autre, par exemple à travers le développement du compte personnel d’activité (CPA).
Toutes ces évolutions structurelles très consistantes appellent à réviser le paritarisme dans son périmètre, dans ses modalités d’intervention et, fondamentalement, dans sa relation avec les pouvoirs publics, l’État en premier lieu. À ce titre, la question du financement est capitale. Car l’une des raisons des difficultés du paritarisme procède de l’indépendance effritée des partenaires sociaux, devenus, avec le temps, plus dépendants des financements publics. L’État peut plus aisément s’immiscer et s’imposer, même là où il n’est pas nécessairement légitime, quand les partenaires avec lesquels il doit négocier dépendent en partie de lui. Si le paritarisme rencontre des difficultés là où il ne s’impose plus forcément, il en rencontre également là où son assise et son efficacité sont établies. Mais la question du financement taraude l’ensemble.
Contre un paritarisme sous perfusion publiques
Sous diverses formes et expressions, le paritarisme consiste aussi en « tuyauteries » de financement pour les partenaires sociaux. Pour régler ce dossier, il en va d’efforts de transparence qui ont déjà été faits autour de la formation professionnelle. D’autres efforts doivent être faits autour des autres enveloppes de financement des partenaires sociaux.
Ceux-ci, pour être pleinement efficaces et légitimes, devraient viser la reconquête de leur autonomie. À cet effet, ils devraient renoncer aux subventions publiques, en tout cas à la majorité d’entre elles. Elles coupent, toujours, ou au moins éloignent, des adhérents. C’est le cas dans le paritarisme, en tout cas dans certains segments du paritarisme car là où est le représentant, le représenté n’est absolument plus. Les subventions publiques établissent un lien de dépendance avec l’État. Lorsqu’elles en viennent, parfois, à obséder les organisations, elles deviennent l’enjeu des négociations et non plus l’apport qui doit les faciliter.
Un paritarisme, à certains égards perfusé et perverti par les finances publiques, doit s’effacer. Un paritarisme rénové et adapté doit permettre aux adhérents des organisations syndicales, salariales et patronales de se sentir écoutés, représentés, aidés. Comme en matière d’action sociale où l’on déclare rituellement la nécessité de mettre l’usager au centre, comme en matière médicale et de démocratie sanitaire où il s’agit également à présent de mettre le patient au centre, l’idée est ici de mettre l’adhérent au centre.
Il s’agit de valoriser un paritarisme volontaire et non pas un paritarisme fiscal, un paritarisme indépendant et non pas un paritarisme d’État. En revisitant leurs modalités de financement, les organisations syndicales – encore une fois des deux côtés, syndicales et patronales – doivent retrouver ce qui leur donne pleinement leur sens : leurs adhérents. Pour le moment, des deux côtés, du côté des employeurs et du côté des employés, les organisations vivent sur de hauts niveaux de soutiens publics (voir tableaux 2 et 335), même avec des niveaux très contrastés selon les confédérations et, surtout, selon les fédérations.
Tableau 2 : Les ressources des organisations patronales moyenne 2011-2013
Source :
Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, « L’impôt syndical et patronal », Droit social, n° 7/8, juillet-août 2015, p. 622.
Tableau 3 : Les ressources des organisations confédérations syndicales (2013).
Source :
Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, « L’impôt syndical et patronal », Droit social, n° 7/8,juillet-août 2015, p. 619.
Il ne s’agit pas, pour autant, de tout vouloir transformer magiquement en un instant, ni de vouloir se situer dans une sphère de totale autonomie. S’il faut davantage d’indépendance, c’est pour assurer un niveau optimal d’interdépendance entre partenaires sociaux et pouvoirs publics, dans la bonne mise en œuvre de programmes efficaces de négociation et de protection sociale. Il s’agit donc, fondamentalement, d’en revenir à une source saine du paritarisme : des organisations syndicales, salariées et patronales, à l’indépendance assurée, au plein service de leurs adhérents. Avec le temps, le financement des organisations syndicales d’employés et des organisations professionnelles d’employeurs a été complété avec des ressources externes, sous des formes diverses et variées (subventions, prélèvements sur les ressources collectées, produit de prélèvements obligatoires assis sur la masse salariale). Il faut enrevenir à la logique saine de cotisation et d’adhésion pour une représentation de qualité.
Un financement qui repose sur des sources diverses n’a strictement rien d’illicite. C’est sa légitimité qui est discutable. Au-delà de sa légitimité se pose aussi la question de sa visibilité. Résultant de positions acquises avec l’histoire, nombre de modalités de financement, en particulier assises sur des prélèvements obligatoires, sans être occultes, restent opaques. Et, pour tout dire, parfaitement incompréhensibles au regard des adhérents des organisations financées de la sorte.
Arnaud Richard et Jean-Marc Germain, op. cit., p. 11.
Ibid., p. 12.
Ces neuf suggestions sont développées, sans les reprendre exactement, à partir de propositions faites en octobre 2016 par la Fédération française du bâtiment (FFB). Pour une série de douze propositions, certaines convergentes avec celles contenues dans cette note, certaines différentes, voir Thibault Lanxade et Jean-Louis Vincent, Patronat, Stops… & encore !, Le Cherche Midi, 2016.
Les questions de financement du paritarisme sont aussi sensibles que compliquées. Elles posent aujourd’hui des problèmes d’image mais aussi de gestion, d’identité, de légitimité. Dévoiement et dégénérescence sont possibles. Il est impératif de retrouver des fondements en clarifiant missions et organisations. À défaut, c’est un paritarisme faux-nez de l’État qui continuera son extension. Un paritarisme de plus en plus administré, d’une part, par l’immixtion croissante de l’État ; d’autre part, par la bureaucratisation croissante du système. Les deux phénomènes étant parfaitement liés.
Bien entendu, la présence et l’intermédiation de l’État sont nécessaires. Et là où les organisations patronales et syndicales ne sont pas ou peu pertinentes, elles doivent se dégager. Là où elles veulent intervenir, elles doivent faire reposer leur action d’abord sur la cotisation, et non sur la subvention. Sans réforme, le risque est grand de voir la cause des organisations qui se veulent représentatives s’autonomiser de celles des employés, des entreprises et des entrepreneurs.
Dans le sillon des propositions de la mission d’information de l’Assemblée nationale, il convient bien de réaménager l’équilibre entre l’État et les partenaires sociaux, d’ailleurs présentés dans l’introduction du rapport comme « véritable “cinquième pouvoir” dans notre pays36 ». Le rapport évoque même une « révolution copernicienne37 » pour une nouvelle légitimité du paritarisme.
Si on ne peut, en quelques lignes versées au débat, imaginer une complète révolution, on avance neuf recommandations, réunies en trois familles : transparence, indépendance et gouvernance38.
Pour une transparence assurée
La transparence est une exigence. Elle ne s’affirme pas, elle s’organise et elle respecte. Depuis l’ANI de 2012 relatif à la modernisation et au fonctionnement du paritarisme, des règles plus précises et plus strictes encadrent la gestion, le contrôle des comptes, les rémunérations des administrateurs et les dédommagements des organismes gestionnaires. Certaines règles établies pour les organismes paritaires peuvent s’étendre aux organisations syndicales. Plus généralement, davantage de rigueur et une clarification des sources et des affectations des financements s’imposent.
Ces propositions matérialisent ce souci de faire vivre la transparence.
- Susciter la mise en place d’un groupe de travail au sein du Conseil national de l’information statistique (CNIS) sur le financement du paritarisme, retraçant les données financières et organisationnelles des systèmes paritaires, précisant pour l’ensemble des organismes les montants alloués, le nombre d’élus, le nombre de salariés. Là encore, il s’agira d’un travail permettant d’opérer des choix éclairés dans l’ambition de révision du paritarisme et de mise en avant de la logique fondamentale, pour les organisations patronales, de la cotisation.
- Renforcer l’obligation de certification et de publication des comptes par une méthode unique de consolidation permettant une présentation harmonisée, détaillant les agrégats comptables, signalant l’origine des subventions et des contributions. Dans ces comptes, valoriser systématiquement et précisément les mises à disposition, tant de biens immobiliers (loyers et charges) que de personnel.
- Faire produire par chaque organisation une information annuelle aux adhérents sur l’usage de leurs cotisations, sur leurs destinations, mais également sur leur répartition entre organismes locaux, fédérations nationales et confédérations.
Pour une indépendance affirmée
Voir. Tout ceci peut sembler abscons au non-spécialiste, mais il lui suffit cependant, s’il est salarié, de consulter ses fiches de paie depuis la mi-2015, et il apercevra une cotisation due au titre du paritarisme, reversée à part égale aux organisations patronales et aux organisations syndicales de salariés.
L’indépendance se commande. Elle s’ordonnance et s’évalue. Les organisations syndicales ne doivent pas dépendre des prélèvements obligatoires. Il faut abandonner le top-down (de l’État vers les organisations) pour le down-top (des adhérents vers les organisations). Concrètement, la voie essentielle pour ressourcer le paritarisme consiste à faire de l’adhésion un acte volontaire, un acte de bonne gestion, et de faire de la subvention un apport marginal du financement.
Afin de mettre fin aux divers prélèvements sur la protection sociale pour financer le paritarisme, il faudrait commencer par étendre ce qui a été établi en matière de formation professionnelle aux autres domaines. La loi du 5 mars 2015 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale a créé un fonds paritaire de contribution au financement des organisations syndicales et patronales39, tout à fait transparent même si très complexe. Cette loi soutient que la formation professionnelle ne s’occupe que de formation professionnelle et pas d’autre chose. Celle-ci n’a pas vocation à être l’une des principales sources du financement du paritarisme. Le législateur a choisi de supprimer le « préciput OPCA » – un prélèvement de 0,75% sur la collecte des OPCA – et de lui substituer une contribution des entreprises de 0,016% de la masse salariale, recouvrée par les Urssaf etversée au fonds paritaire. En 2015, près de 115 millions d’euros ont été distribués à partir de cette ressource aux partenaires sociaux.
Le principe de la proposition formulée ici est d’étendre la logique de la cotisation et du fonds paritaire. L’idée est que ce fonds et cette cotisation ne soient pas un nouveau prélèvement parmi d’autres mais une source de simplification et de transparence. Cette nouvelle cotisation, au taux de 0,016%, pourrait être, dans un premier temps, augmentée à concurrence de la suppression totale de toutes les autres formes de financements publics. Il en irait de tous les «préciputs» sur les organismes paritaires, mais aussi de la cotisation de 0,15% de leur masse salariale que doivent consentir les artisans, pour financer le dialogue social. Le 0,016%, surtout s’il doit s’étendre, ne saurait coexister avec un prélèvement de même nature et de même objectif.
Les ressources issues de la cotisation seraient ensuite partagées entre organisations selon des clés à définir. Donc, plutôt que de supprimer d’un coup d’un seul la rétribution des organisations pour leur participation à l’élaboration des politiques publiques, on disposerait de la sorte d’un unique vecteur transparent. Puis, à mesure de la clarification du paritarisme lui-même, cette contribution publique aux activités des organisations patronales serait réduite, avec une visée d’extinction en cinq ans.
4. Développer la cotisation obligatoire de 0,016% au nouveau fonds paritaire de financement dédié aux financements des partenaires sociaux, en organisant une gestion strictement paritaire de cette ressource, sans présence imposante de l’État. Ce revenu de remplacement serait progressivement supprimé, à mesure des mutations de la protection sociale et des sphères du paritarisme.
5. Assurer, pour les organisations, l’intégralité ou la quasi-intégralité du financement par les cotisations et les fonds propres, avec une montée en charge sur cinq Un seuil, ne serait-ce que majoritaire, pourrait être établi.
6. Mettre fin, à terme, à l’ensemble des subventions publiques, directes ou indirectes, et des prélèvements obligatoires affectés à des organismes paritaires.
Pour une gouvernance optimisée
La gouvernance du paritarisme, tout comme, plus globalement, la gouvernance de la protection sociale, doit s’adapter. Il y va de décisions à prendre sur le périmètre légitime de présence des partenaires sociaux pour participer, avec plus ou moins de pouvoirs, à la gestion, à la négociation ou à la simple observation des différents pans de la protection sociale. Il y va, plus immédiatement, de révisions sur le système des mandats. Ces mandats doivent être professionnalisés mais ne pas se transformer en métiers à vie. Ils doivent également être limités.Dans la suite de réformes et de propositions récentes, il s’agit d’adapter la présence desorganisations là où elle est vraiment nécessaire. Traitant de sujets de plus en plus techniques et complexes, les mandataires doivent être professionnels, ce qui peut paraître un peu contradictoire avec l’idée de bénévolat sous-jacente à l’idée de mandat. Moins nombreux, ils doivent présenter des compétences financières et sociales élevées. À cet effet, il faut améliorer et professionnaliser les processus de désignation des mandataires.
Il est, en l’espèce, impossible de former, de cordonner et d’assurer la qualité de cette présence qui, par ailleurs, n’est pas toujours légitime. L’objectif essentiel des propositions, ici, consiste à limiter les mandats selon leur nombre (au total et par mandataire), leur durée, l’âge des titulaires. Les organisations et leurs mandants ont besoin de mandataires déterminés, connus et experts. L’ANI de 2012 a acté le principe de poser des limites à l’exercice d’un mandat (pas plus de quatre ans, pas plus de trois mandats en même temps, être en activité ou âgé de moins de 70 ans à la date de désignation). Pour s’assurer de la présence de mandataires qualifiés et compétents, il faut encore aller plus loin. Certains proposent la création d’un « statut légal » du mandataire. Optimisation du nombre et montée en compétence technique des administrateurs sont en tout cas deux impératifs.
7. Produire un bilan et un panorama, puis tenir un registre national de l’ensemble des mandats détenus par les représentants des organisations professionnelles, avec indication des caractéristiques individuelles du mandataire, et avec visée de s’interdire de nommer de nouveaux mandataires là où la présence ne s’avère plus nécessaire. Ce registre sera un outil de tri et de limitation des mandats.
8. Élaborer, à destination des adhérents des organisations, des mécanismes d’appels à candidature pour les nouveaux mandats (renouvellements, créations nouvelles).
9. Adopter une charte de prévention des conflits d’intérêts et la faire signer par les présidents des organisations et leurs mandataires pour l’exercice de leur mandat.
Ces propositions sont ambitieuses. La stratégie principale des organisations paritaires ne doit pas être la survie des institutions, mais le service aux salariés et aux entreprises. À ce titre, le paritarisme ne doit pas servir à ses parties mais au développement d’une protection sociale et d’une démocratie modernes. À cet effet, le paritarisme a l’obligation de sortir de sa nébuleuse et de sa guerre de tranchées autour de frontières d’autres âges. Plus globalement, toute réflexion et proposition autour du paritarisme a bien pour ambition une nouvelle articulation entre démocratie sociale, démocratie locale et démocratie politique.
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