Un contexte international favorable à la mobilité des facteurs de production
Globalisation et mobilité des facteurs de production
Le débat sur la question migratoire en France
L’émigration dans l’histoire de France
L’émigration : un nouveau mal français ?
Une absence de prise en compte par Les pouvoirs publics
Typologies des émigrés
Les émigrés patrimoniaux
Les émigrés économiques
Les émigrés « désabusés »
Conclusion
Nos propositions
Résumé
Au cours des deux dernières décennies, la globalisation des échanges s’est accompagnée d’une accélération des flux migratoires. Mais aux traditionnels mouvements de populations des pays du Sud à destination des pays du Nord, s’ajoutent aujourd’hui des migrations de travailleurs qualifiés entre les pays de l’OCDE. Dans les années qui viennent, les États devront alors avoir à gérer l’émigration tout autant que l’immigration, dans un contexte international de plus en plus concurrentiel.
Pourtant, l’analyse du traitement de la question migratoire en France laisse apparaître une absence quasi-totale de prise en compte de l’émigration. Il n’existe aucune comptabilité officielle, seulement des estimations : plus de deux millions de Français vivraient en dehors du territoire national, et la tendance semble clairement à la hausse.
Une émigration française existe donc bel et bien, et doit être appréhendée par les pouvoirs publics dans sa globalité, en tant que phénomène recouvrant divers profils. Les chercheurs, les détenteurs de patrimoine, les entrepreneurs, ou encore les jeunes diplômés, autant d’éléments productifs dont l’entreprise France se prive, et qui font la richesse de nations concurrentes.
Il est alors temps de s’interroger sur les raisons qui poussent de plus en plus de nos compatriotes à quitter leur pays natal. Se priver de s’en inquiéter serait un luxe que la situation actuelle ne permet pas.
Julien Gonzalez,
Responsable des affaires économiques d’un syndicat professionnel
Diplômé de l’IAE d’Aix-en-Provence et de Sciences Po Aix, ancien stagiaire de la
Fondation pour l’innovation politique, Julien Gonzalez (27 ans) est responsable
des affaires économiques d’un syndicat professionnel, à Marseille.
Il est intervenu lors de l’événement « 24 heures non stop, Le progrès, c’est
nous ! », organisé par la Fondation pour l’innovation politique à la Mutualité,
pour présenter cette note et proposer ainsi de débattre d’un nouveau sujet :
l’émigration.
Un contexte international favorable à la mobilité des facteurs de production
Globalisation et mobilité des facteurs de production
Ces données sont fournies par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Calculs réalisés à partir des données de la Banque mondiale et du FMI.
Rapport de l’OCDE, “The future of international migration to OECD countries”, 2009.
En décembre 2010, Luc Chatel, alors ministre de l’Éducation nationale du gouvernement Fillon, avait par exemple, annoncé la mise en place d’un « plan sciences » à l’école après l’annonce de l’enquête Pisa qui clas- sait la France à une modeste 27ème place (sur 65) pour la culture scientifique des élèves. Deux ans plus tard, c’est Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale du gouvernement Ayrault, qui présentait sa stratégie numérique pour l’école, reprenant les chiffres de l’enquête de l’OCDE : la France y était classée 24ème sur 27 dans l’utilisation du numérique dans l’éducation.
Accélération des échanges mondiaux et des flux migratoires
En 2010, le monde comptait 214 millions de migrants, contre 150 millions à l’aube des années 90, soit une augmentation de près de 43% en l’espace de deux décennies1. Pour prendre la mesure du phénomène, on notera que si les migrants se constituaient en un État, il s’agirait du cinquième pays le plus peuplé au monde, après la Chine, l’Inde, les États-Unis et l’Indonésie, et devant le Brésil ou des pays comme le Japon et la Russie. Les migrations internationales s’accompagnent également de transferts d’argent de plus en plus importants ; selon la Banque mondiale, les fonds rapatriés par les migrants dans leur pays d’origine en 2010, étaient estimés à 440 milliards de dollars (ils étaient évalués à 101 milliards en 1995, c’est-à-dire une évolution de + 336%), alors que les sommes expatriées des pays d’origine à destination des pays d’émigration s’élevaient à 282,5 milliards de dollars en 2009 contre 97,5 milliards en 1995, soit une augmentation de 190 %. Pour l’année 2009, la migration mondiale a engendré des transferts de fonds de 698,5 milliards de dollars, ce qui correspond à 1,2% du PIB de l’ensemble de la planète. En 1995, la proportion n’était que d’environ 0,7%2. Ces chiffres, s’ils peuvent paraître abstraits, témoignent d’une tendance certaine : en parallèle de la globalisation et du développement des échanges mondiaux, les migrations internationales s’accélèrent et les enjeux inhérents à cette problématique croissent.
L’Académie française définit la migration comme « le déplacement d’une population qui passe d’un territoire dans un autre pour s’y établir, définitivement ou temporairement ». Le migrant sera donc considéré comme émigré à la sortie de son pays d’origine, et immigré à l’entrée du pays de destination. Au niveau international, la définition qui fait le plus consensus est celle des Nations Unies, qui considère comme migrant « toute personne qui s’établit dans un pays pour une durée prévue de douze mois minimum, après avoir résidé dans un autre pays pendant une période de même durée au moins » (UN, 1998). À l’occasion de la Convention des Nations Unies sur les droits des migrants de 2003, l’ONU précise la définition : « comme le terme ‘‘migrant’’ s’applique à des individus qui ont librement pris la décision de migrer sans y avoir été forcés par des facteurs extérieurs, ces derniers diffèrent donc des réfugiés et des demandeurs d’asile ». Et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) de préciser que « ce terme s’applique aux personnes se déplaçant vers un autre pays ou une autre région aux fins d’améliorer leurs conditions matérielles et sociales, leurs perspectives d’avenir ou celles de leur famille ». Les touristes, les étudiants (en raison de la durée de leurs séjours) et les réfugiés politiques, ne seront donc pas considérés comme des migrants pour la suite de la note, selon cette définition.
Ces dernières décennies, les flux migratoires ont, pour l’essentiel, eu lieu des pays en développement vers les pays de l’OCDE, selon le traditionnel axe Sud-Nord. Les principaux déterminants à ces migrations sont le différentiel de revenus entre les nations, ainsi que l’attractivité des pays en matière d’éducation et de prestations sociales. Les pays d’accueil des flux doivent alors faire face à un double objectif : réguler l’immigration pour assurer une bonne intégration des personnes migrantes tout en parant au ralentissement de leur croissance démographique et au vieillissement des populations. On retrouve ici le débat sur les questions migratoires tel qu’il a actuellement lieu dans de nombreux pays occidentaux, avec la vision d’une immigration « subie » attirée par les supposées largesses de nos modèles sociaux. Les immigrants sont souvent décrits comme concurrençant les travailleurs nationaux sur les emplois peu qualifiés avec, pour conséquence, une tension sur les salaires.
Dans un rapport sur l’avenir des migrations internationales en 20093, l’OCDE présente ses conclusions pour les prochaines décennies. Si l’Organisation indique que « les flux migratoires sont fortement susceptibles d’augmenter ou du moins de demeurer constants dans le monde au cours des vingt prochaines années environ », elle précise également une « intensification de la concurrence internationale autour de la main d’œuvre, surtout en ce qui concerne les personnels hautement qualifiés et semi-qualifiés », et que les pays de l’OCDE « pourront être en concurrence croissante avec d’autres pays de l’OCDE ou des économies émergentes, pour des travailleurs du savoir, au fur et à mesure que les pays chercheront à préserver ou à améliorer leurs niveaux de productivité ». Les migrations au sein des pays de l’OCDE auraient donc vocation à s’intensifier dans les années à venir. Les pays occidentaux doivent alors intégrer un nouvel élément dans leur réflexion : leur compétitivité sur le marché mondial du travail.
Une concurrence accrue entre les pays de l’OCDE
Pour les pays occidentaux, et peut-être plus encore pour les pays membres de l’Union européenne, il semblerait qu’une nouvelle séquence migratoire s’ouvre, avec le développement de flux entre les pays dits « riches ». Chercheurs, entrepreneurs, jeunes diplômés, managers de grandes entreprises ou détenteurs de patrimoine autant de ressources et de capitaux humains (et financiers), qui font la richesse des nations et deviennent l’objet d’une concurrence intense.
D’après l’OCDE, deux éléments majeurs vont favoriser la mobilité des travailleurs dans les années à venir : le vieillissement démographique et la compétition internationale entre les États autour d’une économie du savoir et de l’innovation. En raison de l’allongement de la durée de la vie et du ralentissement des naissances, les pays de l’OCDE sont condamnés au vieillissement, ce qui implique mécaniquement que le ratio personnes âgées/ population active augmentera, accentuant les problématiques liées aux dépenses publiques, au financement des retraites et à la prise en charge de la dépendance. Cette situation aura pour conséquence d’accentuer la demande des pays en population jeune et qualifiée pour accroître la productivité et donc la création de richesses. De plus, cette demande s’inscrit dans un contexte de globalisation des échanges et de concurrence accrue entre les nations occidentales sur une économie hautement capitalistique où l’innovation joue un rôle clé. Les « travailleurs du savoir », les jeunes diplômés du supérieur et les entrepreneurs, deviennent, à ce titre, des denrées précieuses. Cette concurrence entre les États, cette compétition mondiale, loin de se cantonner aux seuls aspects commerciaux et financiers est notamment visible dans l’approche comparatiste, désormais quasi permanente, à laquelle sont soumis les pays, via les classements internationaux qui notent et classent les États, et qui font aujourd’hui référence dans leurs domaines respectifs : enquête Pisa pour l’éducation, classement de Shanghai pour les universités, étude annuelle du World Economic Forum sur la compétitivité, etc. Sans parler des agences de notation financière et des notes sur les dettes souveraines. Ces « benchmarks » répondent à un besoin de « classer » les pays, et tendent à infléchir les décisions des décideurs économiques ou politiques. On reproche souvent, par exemple, aux établissements d’enseignement supérieur d’augmenter les frais de scolarité pour disposer de moyens leur permettant de rester « compétitifs » par rapport aux universités « concurrentes ». Il n’est pas rare non plus de voir des hommes politiques citer le mauvais classement de la France dans l’enquête Pisa pour justifier une réforme de l’école4, et tout le monde se rappelle le déferlement médiatique ayant fait suite à la perte du AAA français après la dégradation par l’agence de notation Standard & Poor’s en janvier 2012.
Ces éléments attestent d’une concurrence internationale généralisée (éducation, enseignement supérieur, santé, etc.) et renforcent la nécessité pour les États de rester attractifs et compétitifs sur la scène mondiale. L’OCDE parle de pays qui « pourraient devoir gérer l’émigration tout autant que l’immigration » et évoque la « capacité à intensifier, à la fois, l’attraction et la rétention de travailleurs ». Les questions migratoires doivent donc être abordées sous un nouvel angle, et les responsables politiques intégrer dans leur réflexion un nouvel élément : l’émigration.
Le débat sur la question migratoire en France
Sondage Ipsos pour le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), Le Monde et la Fondation Jean-Jaurès, « France 2013 : les nouvelles fractures », 25 janvier 2013.
Sondage TNS Sofres pour France Info, Le Monde et Canal +, « Baromètre d’image du Front national 2013 », janvier 2013.
Jérôme Héricourt et Gilles Spielvogel, « Perception publique de l’immigration et discours médiatique », La vie des idées, 18 décembre 2012.
Ibid.
Il s’agit du programme du candidat socialiste en 2012.
Un débat crispé sur l’immigration
Le contexte global ayant été présenté, il est temps de s’intéresser au débat sur les questions migratoires en France. L’étude des discours politiques et du traitement médiatique laisse apparaître une focale « immigrationniste » et une triple obsession sécurité – identité – impact économique négatif.
L’élaboration des politiques migratoires est intimement liée aux dispositions de l’opinion publique. Or, deux points apparaissent rapidement à l’analyse : les migrations ne sont abordées que dans leur dimension « entrante », et leur perception en est généralement négative, comme le traduisent les enquêtes d’opinion. Ainsi, selon un sondage Ipsos publié en janvier 20135, 70% des sondés considèrent qu’ « il y a trop d’immigrés en France » et 67 % pensent qu’ « on ne se sent plus chez soit comme avant ». L’enquête de TNS Sofres de janvier 20136 nous apprend, quant à elle, que pour 72% des sondés « on ne défend pas assez les valeurs traditionnelles en France », alors que 54 % des personnes interrogées considèrent « que l’on accorde trop de droits à l’Islam et aux musulmans en France ».
Ces perceptions peuvent être les conséquences des débats publics sur l’immigration. Il ne s’agit pas ici de fournir une explication complète et exhaustive du phénomène, ce qui nécessiterait, a minima, une note à part entière. Toutefois, deux facteurs permettent une meilleure compréhension de la perception anxiogène de l’immigration dans la société française : la dégradation du contexte socio-économique et le rôle des médias.
La montée du chômage et l’affaissement de la croissance expliquent en effet, pour partie, une attitude hostile et peu encline à la solidarité envers les immigrés. Les travaux académiques7 sur cette question expliquent ce comportement par la perception d’une compétition entre les populations « locales » et les populations migrantes pour l’allocation de ressources devenues rares. Dans ce schéma, il est généralement admis que « ce que les immigrés obtiennent, les nationaux le perdent ». C’est la vision réductrice d’une immigration venant de pays pauvres, cassant les prix sur le marché du travail, et accélérant le chômage des classes populaires.
Le deuxième facteur expliquant la place croissante faite à l’immigré dans le débat national est à chercher du côté des médias. Plusieurs analyses lient la concurrence accrue des parts d’audience à l’accroissement des revenus publicitaires dans les budgets et l’approche sensationnaliste qui en résulte8. La course à l’audience induit la préférence à la couverture d’évènements
« vendeurs » : sur la scène médiatique l’immigration est généralement mise au premier plan lorsqu’elle est associée à la crise des banlieues, aux faits divers violents ou aux polémiques politiques. Enfin, en raison des pays d’origine les plus représentés parmi les migrants résidant sur le sol national (notamment les anciennes colonies françaises soient Algérie, Maroc et Tunisie), l’immigration est également de plus en plus associée à la religion musulmane, ajoutant ainsi un aspect d’identité religieuse. L’immigration, présentée comme une menace potentielle, doit alors être « régulée », « maîtrisée », voire même « supprimée » (c’est « l’immigration zéro »).
Face à une telle approche, les programmes politiques intègrent mécaniquement les problématiques liées à l’immigration. Si le Front national en a fait l’un de ses thèmes majeurs depuis longtemps, ses adversaires ne sont pas en reste. En 2007, Nicolas Sarkozy proposait un « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale », et son programme de 2012 parlait de « renforcer la maîtrise des flux migratoires », notamment via le durcissement du regroupement familial ou la restriction des titres de séjour. François Hollande, dans Le changement9, plaidait pour « une politique juste et efficace en matière d’immigration » et proposait de voter « tous les trois ans une loi d’orientation et de programmation qui sera élaborée en concertation avec les partenaires sociaux et les territoires qui assurent l’accueil et l’insertion des migrants ». Il promettait dans le même temps une « lutte implacable contre l’immigration illégale » et se voulait rassurant sur des « régularisations au cas par cas ». Même dans les partis situés à la gauche du Parti socialiste, et qui ont tendance à minimiser les enjeux liés à l’immigration, le sujet était présent dans les programmes. Dans L’Humain d’abord, le parti de Jean-Luc Mélenchon y consacrait un chapitre intitulé
« L’immigration n’est pas un problème », alors qu’Europe Écologie Les Verts prônait « une politique d’immigration ouverte et humaniste ».
Un mot était absent des programmes – l’émigration – illustrant les termes du débat sur les questions migratoires et accréditant l’idée d’une analyse tronquée car incomplète.
L’émigration, chaînon manquant indispensable à l’analyse
L’élaboration d’une politique migratoire efficace nécessite des débats calmes et dépassionnés. Les décisions qui consisteraient à restreindre tel type d’immigration, et d’en favoriser un autre, à établir des quotas ou un nombre de visas maximum, ne peuvent se fonder que sur une juste appréciation de la réalité. Il est indispensable de connaître les réels besoins de la France, car il ne pourrait y avoir de politiques migratoires ne reposant que sur de simples considérations morales ou philosophiques. Il n’est question que de pragmatisme et d’objectivité, avec en ligne de mire, l’intérêt national. Or, comment peut-on prétendre poser un diagnostic précis en ne s’intéressant qu’à un aspect du sujet traité ? Un économiste aurait-il l’idée de juger du niveau des importations d’un pays sans connaître celui des exportations ?
L’objet de cette note n’est pas, évidemment, de restreindre la complexité des questions migratoires à un simple différentiel « entrées-sorties ». La thématique s’inscrit, comme nous l’avons vu dans la partie introductive, dans un contexte mondial et régional de flux transnationaux. L’analyse de ces phénomènes implique l’étude de l’économie, de la pyramide des âges, mais aussi de la proximité historique et géographique entre les pays. Mais à l’échelle d’un pays, étudier l’émigration apporte un complément certain, un chaînon jusqu’alors manquant, indispensable à la réflexion. L’émigration complète l’examen des enjeux migratoires sur les questions identitaire, morale et économique. Identitaire, car les considérations ethniques ou religieuses, très présentes dans le débat sur l’immigration, sont aussi à étudier au prisme de la comparaison avec les Français qui quittent le sol national. Morale, car la décision de quitter son pays pour aller vivre dans un autre, est lourde de sens et interroge notre rapport à la nation. Économique, enfin, car le départ du territoire d’éléments productifs sanctionne doublement la France : la richesse qui la quitte non seulement l’affaiblit, mais renforce également ses concurrents. Or, les données disponibles laissent apparaître un phénomène majeur (nous le verrons dans la partie suivante) : les Français sont de plus en plus nombreux à quitter leur pays pour s’installer sous des cieux qu’ils jugent, vraisemblablement, plus cléments. N’est-ce pas là l’illustration d’un pays en déclin ? « L’homme de l’avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue », disait Nietzsche. Il serait alors de bon ton de regarder dans notre passé et de s’intéresser aux vagues d’émigration qui jalonnent l’histoire française pour essayer de comprendre ce que la situation actuelle illustre. Pourquoi ont-ils quitté la France ? Quelles furent les conséquences pour notre pays ?
L’émigration dans l’histoire de France
Benoît Jubin et Pascal Lignères, La nouvelle guerre pour les cerveaux, mémoire des Mines Paris Tech, 2007, 88 pages.
Joanna Kohler, Gone for Good? Partis pour de bon ? Les expatriés de l’enseignement supérieur français aux États-Unis, note pour l’Institut Montaigne, novembre 2011, 139 pages.
Ibid.
Il s’agit du prix récompensant le meilleur économiste mondial de moins de 40 ans, qu’ont, par exemple, remporté les prix Nobel Milton Friedman, James Tobin, Joseph Stiglitz, ou encore Paul Krugman.
Pierre-André Chiappori, Financement de l’enseignement supérieur : quel rôle pour les entreprises ?, note pour l’Institut de l’entreprise, septembre 2011, 103 pages.
Les deux principales vagues d’émigration de l’histoire de France : la révocation de l’édit de Nantes et la Révolution française
Dans l’histoire de France, deux vagues d’émigration peuvent trouver un écho aujourd’hui : celle ayant fait suite à la révocation de l’édit de Nantes au XVIIe siècle, et celle engendrée par la Révolution de 1789.
En 1598, le roi Henri IV établit l’édit de Nantes dans lequel il reconnaît officiellement la liberté de culte des protestants, mettant un terme aux guerres de religions ayant ensanglanté la France. Près d’un siècle plus tard, en 1685, afin d’unifier le royaume, Louis XIV signe l’édit de Fontainebleau, révoquant ainsi l’édit de Nantes : le protestantisme est alors interdit et ses adeptes sont persécutés. Entre 1685 et 1715, près de 200 000 huguenots fuient vers la Hollande, l’Angleterre, la Suisse, l’Allemagne ou encore les États-Unis et l’Afrique du Sud : c’est le Grand Refuge. Vauban dresse les maux directement liés à cet exode : fuite des capitaux, appauvrissement de pans entiers de l’économie nationale (commerce, exportation), mais aussi renforcement des armées ennemies. Antoine Court, protestant, ministre et historien français déclare, par la suite, que « l’Angleterre fourmille de Protestants François qui par leur industrie enrichissent la nation et font fleurir le commerce ». Beaucoup de familles huguenotes expatriées prospérèrent dans les affaires ou dans la finance, et comptèrent parmi leurs descendants, plusieurs intellectuels ou personnalités politiques de premier plan : les écrivains romantiques allemands Theodor Fontane et Friedrich de La Motte-Fouqué ou encore l’ancien Président américain Franklin Delano Roosevelt.
La deuxième vague d’émigration française eut lieu après les évènements révolutionnaires de 1789, jusqu’au début du siècle suivant. Les estimations font état de près de 150 000 émigrés à destination, pour l’essentiel, de pays limitrophes (Suisse, Allemagne, Italie, Espagne) et farouches adversaires de la nouvelle République française (Autriche, Angleterre). Il s’agit des membres de la cour de Louis XVI, puis du gros des troupes royalistes et de la noblesse. Pour nombre d’entre eux, il est question de lutter contre la Révolution française de l’extérieur : ils jouent alors le « parti de l’étranger », trahissant, de fait, leur patrie, combattant même à Valmy au sein des armées ennemies. Ces émigrés furent destitués de leur nationalité, condamnés à mort, et leurs biens confisqués. Il faut attendre 1802 et un décret d’amnistie du Premier consul Bonaparte, puis le retour de la Monarchie après la chute de l’Empereur pour que la situation se pérennise et que les exilés rentrent définitivement en France.
Ces faits historiques, s’ils peuvent à première vue paraître lointains, apportent un éclairage intéressant sur la situation actuelle. Risquons- nous à faire deux parallèles, toute proportion gardée. Le Grand Refuge peut éclairer sur les conséquences qu’induit la perte d’éléments productifs sur l’économie entrepreneuriale ; c’est le cas aujourd’hui avec le départ de nombreux entrepreneurs. L’émigration royaliste et nobiliaire de 1789, quant à elle, n’attire pas franchement la sympathie, à la lecture des livres d’histoire ; l’exil patrimonial que la France connaît aujourd’hui, guère plus. Pourtant, c’est bien la communauté nationale qui s’appauvrit et si l’on pose le débat en des termes objectifs, les arguments prennent un poids sérieux. Ces deux épisodes de notre histoire peuvent ainsi, peut-être plus qu’on ne le croît, revêtir un caractère contemporain. Mais beaucoup plus récemment, c’est un autre processus qui mérite d’attirer notre attention, parce qu’il pourrait bien constituer le point de départ de la situation présente : la fuite des cerveaux, qui semble croître sans discontinu, depuis les années 90.
Chercheurs, universitaires et scientifiques : une fuite des cerveaux depuis les années 90 ?
L’expression « fuite des cerveaux » naît au début des années 60 au Royaume-Uni : les États-Unis sont alors accusés de piller les « matières grises » britanniques, et en particulier, les esprits scientifiques. Dans les années 80, le débat prend une autre tournure, avec la dénonciation de flux migratoires de travailleurs hautement qualifiés entre les pays du Sud et les pays du Nord, qui contribueraient au retard des nations en voie de développement. Pour les commodités de l’analyse, nous considérerons ici, uniquement le départ des chercheurs français, et non de tous les diplômés de l’enseignement supérieur. Peut-on parler d’une fuite des cerveaux français ?
À première vue, les chiffres disponibles ne laissent pas entrevoir de phénomène de masse, bien qu’il n’existe pas de comptabilité générale et officielle. Selon Benoît Jubin et Pascal Lignères10, la France compterait environ 3 % de chercheurs expatriés. Et d’après les travaux de Joanna Kohler pour l’Institut Montaigne11, seul 1,5 % des chercheurs français travailleraient aux États-Unis. Pas de quoi tirer la sonnette d’alarme, donc. Mais si la quantité semble peu préoccupante, une analyse plus précise du phénomène montre une autre réalité : ce sont les meilleurs qui s’en vont. Les scientifiques, en premier lieu, ne représentaient que 8% des expatriés à destination des États-Unis dans les années 80, contre 27% entre 1990 et 200612. En économie, ce sont 40% des meilleurs chercheurs français (c’est-à-dire parmi les 1 000 meilleurs mondiaux) qui officient aux États- Unis. Deux des trois derniers lauréats de la médaille John Bates Clark13 sont Français ; il s’agit d’Emmanuel Saez et Esther Duflo : l’un enseigne à Berkeley, l’autre au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Dans un rapport publié pour l’Institut de l’entreprise en septembre 201114, l’économiste Pierre André Chiappori, professeur à Colombia, précise : « dans un ouvrage récent, Philippe Even remarque que les dix meilleurs biologistes français expatriés – essentiellement aux États-Unis – publient, au plus haut niveau, autant que les sept cent cinquante chercheurs de l’Institut Pasteur, le meilleur centre national français ».
Si ce phénomène s’est amplifié depuis les années 90, il n’est pas récent : sur les cinq prix Nobel attribués à la France depuis la Seconde Guerre mondiale dans le domaine des sciences dures, seuls deux étaient en poste dans l’Hexagone. Pour cette raison (relative ancienneté du processus), la fuite des cerveaux ne rentre pas dans la typologie des émigrés présentée dans la seconde partie de la note ; partie dans laquelle nous essaierons d’apporter une réponse à une question qui semble de plus en plus légitime : assiste-t-on à une nouvelle vague d’émigration française ?
L’émigration : un nouveau mal français ?
Une absence de prise en compte par Les pouvoirs publics
OIM, op.cit.
Rapport du ministère des Affaires étrangères, Enquête sur l’expatriation 2013, Maison des Français de l’étranger (MFE), 2013, 43 pages.
Soit, au 1er janvier 2013, 233 postes composés de 92 consulats et consulats généraux, 135 sections consu- laires d’ambassade, 5 chancelleries détachées et 1 antenne consulaire, auxquels s’ajoutent 507 agences consulaires (Source : « Projet de loi de finances pour 2013 : Action extérieure de l’État : Français à l’étranger et affaires consulaires », à consulter à l’adresse : http://www.senat.fr/rap/a12-150-3/a12-150-3.html).
Rapport du ministère des Affaires étrangères, Rapport du Directeur des Français à l’étranger et des étran- gers en France, DFAE, 2007, 141 pages.
Arnaud Brennetot et Céline Coulange, « L’ expatriation française, un enjeu géopolitique émergent », Mappemonde, n°95, 2009, 19 pages.
Rapport de la Maison des Français de l’étranger, op.cit.
Rapport de la Maison des Français de l’étranger, op.cit.
Xavier Chojnicki et Lionel Ragot, « Pour une refondation de la politique migratoire française », Blog du CEPII, 18 juin 2012.
Rapport de la Maison des Français de l’étranger, op.cit.
Jusqu’alors, seuls les contribuables soumis à l’ISF et à l’ « exit tax » étaient pris en compte par Pour plus d’informations il est possible de consulter le compte-rendu de séance de la Commission des Finances du Sénat du mardi 22 octobre 2013.
Philippe Marini, Ibid.
Une mesure imparfaite, voire inexistante
L’étude de l’émigration française se heurte rapidement à une difficulté majeure : l’absence de chiffres officiels. Ne serait-ce que d’un point de vue purement sémantique, les termes d’émigration ou d’émigré sont loin d’être consacrés. Les services de l’État préfèrent parler de « Français de l’étranger », d’ « expatriés » ou encore de « ressortissants français à l’étranger ». Le Sénat leur réserve une page spécifique sur son site Internet, intitulée « Espace Expatriés – Le Sénat au service des Français de l’étranger ». Le site gouvernemental qui leur est dédié15, rattaché au ministère des Affaires étrangères (MAE), est la Maison des Français de l’étranger, qui se présente comme le « site institutionnel de l’expatriation ». Il est intéressant d’observer que le terme d’expatrié fait davantage référence à un salarié établi hors de France pour un temps limité, qu’à un départ définitif. La notion englobe, par exemple, les étudiants en échange ou le personnel diplomatique. Si l’émigré en tant que personne « se déplaçant vers un autre pays ou une autre région aux fins d’améliorer ses conditions matérielles et sociales, ses perspectives d’avenir ou celles de sa famille16 » n’est pas spécifiquement étudié par les autorités, il est utile de faire le point sur l’encadrement institutionnel existant nous permettant de disposer de certains éléments quantitatifs.
Les données statistiques aujourd’hui disponibles proviennent du Registre mondial des Français établis hors de France, mis à disposition par la Direction des Français de l’étranger et de l’administration consulaire (DFAE), qui dépend du ministère des Affaires étrangères. L’inscription au registre, gratuite mais facultative, se fait auprès d’un consulat ou d’une ambassade, et permet de recueillir des données relatives à l’état civil des expatriés (âge, sexe, double-nationalité, etc.). Au 30 avril 2013, un peu plus de 1,6 million de nos compatriotes y étaient inscrits17. Mais en raison du caractère non obligatoire de l’enregistrement, ce chiffre est incomplet. En plus du Registre, la France, via son réseau consulaire18, dispose d’informations faisant état de près de 500 000 Français supplémentaires résidant à l’étranger. Ces deux sources (Registre mondial et réseau consulaire) permettent donc d’avancer un chiffre supérieur à 2 millions de ressortissants français établis hors de nos frontières. C’est l’unique chiffre « semi-officiel » dont nous disposons, et bien que précieux, il ne semble correspondre qu’à une fourchette basse de la réalité. Beaucoup d’émigrés, notamment lorsqu’ils partent dans un pays de l’Union européenne, ne se manifestent jamais auprès des autorités, et échappent à la comptabilité nationale. Une enquête de la DFAE en 200719 citée par deux universitaires20 montre que, pour six pays européens proches géographiquement de la France, « les expatriés non inscrits représenteraient un tiers du total ». Le cas peut être comparable pour les Français disposant d’une double-nationalité qui se rendent dans leur « second » pays. Élément notable, l’enquête annuelle de la Maison des Français de l’étranger21 porte en grande partie sur « les besoins et les attentes des Français expatriés » afin d’ « identifier d’éventuelles vulnérabilités des dispositifs d’accueil et de traitement des demandes [des] consulats ». Si elle permet de disposer d’informations précises (bien qu’incomplètes) sur les émigrés français, le but premier n’est pas d’en faire une évaluation aussi exhaustive que possible. L’émigration peut aussi être évaluée via le solde migratoire calculé par l’Insee chaque année. À la population déterminée en début d’année grâce au recensement, on soustrait la population de l’année précédente. On retire ensuite au résultat, le différentiel naissances-décès. Du solde migratoire est enfin estimé le nombre d’émigrés, par comparaison avec le nombre d’entrées sur le territoire, pour lequel l’Insee dispose de données plus précises. Pour l’année 2011, on peut par exemple, avancer le chiffre de 213.367 Français qui sont partis vivre à l’étranger.
L’émigration est donc estimée, plus que calculée. Dans un pays où la statistique est reine, faudrait-il en déduire un manque d’intérêt pour la problématique ? Sans parler de déni, si l’on considère que l’on ne compte que ce qui compte, on peut effectivement conclure à un manque de considération des acteurs politiques et institutionnels. Pourtant, il semblerait que l’émigration française existe, s’accélère, et impacte négativement son économie.
Les données disponibles font état d’un phénomène significatif
Plus de deux millions de Français vivraient donc actuellement hors de nos frontières. Avant de rentrer dans le cœur du sujet et de proposer une typologie des émigrés, tentons de dégager une tendance – assiste-t-on à une « vague » d’émigration ? – puis de recueillir les principales données sociodémographiques.
Au 31 décembre 2012, 1 611 054 Français étaient inscrits au Registre mondial des Français établis hors de France, auxquels il convient d’ajouter un demi-million de personnes signalées par le réseau consulaire22. La population française établie hors de France « officiellement » s’est accrue de 60 % depuis 2000 (avec un taux de croissance annuel moyen de 4 %) passant, environ, de 1 000 000 à 1 600 000. Mais si l’on considère le nombre d’immigrés sur la même période (soit l’équivalent de 200 000 entrées annuelles sur le territoire national, selon les spécialistes23), et en prenant en compte les soldes migratoires de l’Insee pour chaque année depuis 2000, on obtient en 2011 le nombre de 1 529 257 émigrés, soit à peu près le total des inscrits au registre depuis 1995. Selon ce calcul, plus de 125 000 Français quitteraient l’Hexagone chaque année en moyenne, soit l’équivalent de la population de la ville de Metz. Pour 2011, comme nous l’avons montré précédemment, le chiffre atteint 213 367. Ces données témoignent d’un phénomène d’importance au vu des chiffres évoqués, tout comme ils semblent dégager une tendance : l’émigration prendrait de l’ampleur depuis quelques années. Cependant, la rigueur académique interdit de parler d’ « exode » ou de « vague ». Des chiffres officiels sur une période longue manquent, tout comme des éléments permettant une approche comparatiste avec d’autres pays.
Le Registre mondial des Français établis hors de France permet de disposer d’informations sociodémographiques précises. Les femmes sont majoritaires et représentent 50,6% des 1.611.054 inscrits. 50% ont entre 26 et 60 ans, soit une population d’âge actif. Au niveau de la localisation géographique, plus de la moitié des Français émigrés vivent en Europe, 15% en Afrique et 13% en Amérique du Nord. D’après l’étude de la Maison des Français de l’étranger24, il s’agirait d’une population fortement diplômée : plus de la moitié des personnes interrogées sont titulaires d’un master ou d’un doctorat. 79% travaillent (contre 64% pour la population nationale), 57% des actifs gagnant plus de 30 000 € nets par an (alors que selon l’Insee, le revenu annuel net moyen français en 2010 s’élevait à 19 500€). Toujours parmi les émigrés exerçant une activité professionnelle, 28% gagneraient plus de 60.000 € nets par an. Il s’agirait donc d’une population active, fortement diplômée, et disposant d’un haut niveau de revenu ; soit le portrait-robot des « travailleurs du savoir » autour desquels l’OCDE prévoit une intensification de la concurrence dans les années à venir.
Enfin, le 22 octobre 2013 était présenté par Philippe Marini, président de la Commission des Finances du Sénat, un nouvel outil permettant de mesurer l’émigration des assujettis à l’impôt sur le revenu25. Le sénateur de l’Oise a obtenu de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) des informations ventilées par tranches de revenu et lieux de destination. Si le nombre de contribuables ayant quitté la France entre 2007 et 2009 est resté stable (environ 27 000 départs par an), on observe une accélération certaine en 2011 avec l’exil de 35 077 foyers fiscaux. Et une analyse plus fine conforte les données du Registre mondial : « La population de ces migrants a un revenu médian de l’ordre de 40 000 euros, supérieur de 70% à celui de l’ensemble des redevables de l’impôt sur le revenu. Elle est surtout beaucoup plus jeune : 40% des migrants de 2011 ont moins de 30 ans, contre 17% pour l’ensemble des redevables. »26
Si une émigration française existe bel et bien, comment doit-elle être appréhendée ? Est-ce plutôt une chance pour la France de voir ses ressortissants s’ouvrir à d’autres cultures, s’enrichir d’expériences nouvelles, avant d’en faire profiter la nation lors du retour au bercail ? Ou est-elle, au contraire, une fuite de matières grises et de talents qui affaiblit son développement et remet en question son statut de grande puissance ? Vouloir lutter contre la mobilité internationale des Français à l’ère de l’Union européenne et du « Village global » serait faire preuve d’un incroyable conservatisme. Mais une analyse approfondie de l’émigration française laisse apparaître deux éléments : elle impacte négativement l’économie nationale, et elle paraît « contrainte ». Les médias s’emparent d’ailleurs de plus en plus de la problématique. Le Nouvel Observateur du 4 avril 2013 titrait Étudier et travailler à l’étranger. Les meilleures destinations pour réussir. L’édition du Figaro Magazine du 19 avril 2013 faisait également sa Une sur l’émigration : Pourquoi ils quittent la France, avant que L’Express du 1er mai 2013 ne reprenne le même titre en précisant Il n’y a pas que les riches ! Jeunes, artistes, chercheurs, cadres, diplômés, entrepreneurs, sportifs… L’économiste Jean-Marc Daniel, dans L’Express, se risque à une estimation : « les quelques 1,6 million d’expatriés, s’ils étaient demeurés dans l’Hexagone, sur la base d’un PIB par habitant de 27.550 euros, auraient créé environ 45 milliards d’euros de richesse ». D’après l’enquête de la Maison des Français de l’étranger, 17% des expatriés sondés excluent un retour en France, 47% déclarent n’avoir pris aucune décision, et seulement 13% envisagent un retour dans les deux ans.
Typologies des émigrés
Après avoir donné une estimation de l’émigration française dans son ensemble, il est temps d’affiner l’analyse et de proposer une typologie des émigrés. Loin d’être exhaustive, cette démarche a pour but d’identifier les profils clés de l’émigration, ceux qui impactent le plus l’économie française, ceux qui peuvent donner un véritable éclairage sur la crise de confiance que traverse notre pays. Trois profils semblent émerger : les émigrés patrimoniaux, les émigrés économiques et les émigrés dits « désabusés ».
Les émigrés patrimoniaux
Note de la Fondation Concorde, Quelques éléments sur l’exil fiscal et l’expatriation, leurs conséquences sur l’emploi, mars 2013, p.12.
Bertrand Jacquillat, Fiscalité : pourquoi et comment un pays sans riches est un pays pauvre, note pour la Fondation pour l’innovation politique, octobre 2012, p.19.
Ibid
Voir l’article « 8 000 ménages ont payé plus de 100% d’impôts l’an dernier », Les Echos, 17 mai 2013.
Bertrand Jacquillat, op.cit., p. 13.
Voir à ce sujet, la note publiée par Aldo Cardoso, Michel Didier, Bertrand Jacquillat, Dominique Reynié et Grégoire Sentilhes à la Fondation pour l’innovation politique : La compétitivité passe aussi par la fiscalité, décembre 2012, 20 pages.
Il s’agit des détenteurs de patrimoines qui quittent la France en raison du niveau d’imposition élevé qui touche les plus gros contribuables. On trouve ici essentiellement les grandes fortunes familiales, les chefs d’entreprises, les sportifs et les artistes. L’émigration se fait principalement à destination de la Suisse, de la Belgique, de la Grande-Bretagne ou du Luxembourg, soit des pays proches géographiquement (voire frontaliers), et à la fiscalité moins lourde qu’en France. Ce profil a été notamment médiatisé par les affaires impliquant Gérard Depardieu et Bernard Arnault.
Mesure du phénomène
D’après les données fournies par la DGFiP, on estime à 12 000 le nombre de ménages assujettis à l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) ayant quitté la France au cours des deux dernières décennies. La Fondation Concorde, dans une étude parue en mars 2013, estime « à environ 400 milliards d’euros la totalité des capitaux exportés à l’étranger au cours des 20 dernières années »27. Bertrand Jacquillat, économiste et auteur d’une note pour la Fondation pour l’innovation politique en octobre 2012, évalue lui, la valeur patrimoniale ayant quitté la France à plus de 250 milliards d’euros28. Il cite également les travaux de Philippe Bruneau, président du Cercle des Fiscalistes, qui chiffre le « manque à gagner annuel pour le Trésor de l’ordre de 9 milliards d’euros »29. L’émigration patrimoniale représente ainsi une perte considérable pour les finances publiques, sans compter les conséquences négatives en termes d’activité économique et d’emploi qu’induit cette délocalisation de richesses.
Pourquoi partent-ils ?
La lourde fiscalité française est l’une des causes importantes de cette émigration. « En ce monde rien n’est certain, à part la mort et les impôts », disait Benjamin Franklin. La France ne le contredira pas. Selon Eurostat30, notre pays est celui qui exerce la plus forte pression fiscale sur le capital avec un taux d’imposition « implicite » (selon l’agence de statistiques européenne) de 44,4%. À titre de comparaison, le taux n’est que de 12,9% aux Pays-Bas, de 22% en Allemagne, de 27% en Suède, de 33,6% en Italie ou encore de 34,9% au Royaume-Uni.
L’émigration patrimoniale et fiscale s’explique essentiellement par le niveau d’imposition global du patrimoine et du capital, lui-même fonction de mesures comme l’ISF, l’imposition sur les plus-values latentes (c’est-à-dire non réalisées), les droits de succession, ou encore la non prise en compte de l’inflation dans le calcul de l’impôt. En 2011, 5 221 foyers étaient imposés à plus de 100%, 6.203 à plus de 85%, et 6.343 à plus de 75%. En 2012, ils étaient 8.010 à payer plus de 100% d’impôts, 9.910 à être imposés à plus de 85%, et 11.960 à plus de 75%31. Pourtant, le budget rectificatif de 2012 prévoyait, notamment, une contribution exceptionnelle sur la fortune et un alourdissement des droits de succession. Se profilent également une nouvelle tranche d’imposition à 45% sur les hauts revenus, l’abaissement du seuil de l’ISF, ou encore la taxe à 75% voulue par François Hollande. L’émigration patrimoniale a sans doute de beaux jours devant elle ; les professionnels de l’immobilier font état d’une importante hausse des mises en ventes des biens de plus de 1,5 million d’euros dans la région parisienne, l’activité des avocats fiscalistes prospère, et les demandes d’inscription dans les lycées français à l’étranger augmentent.
Problèmes soulevés
L’exposé des problématiques soulevées par cette catégorie d’émigrés doit se concentrer exclusivement sur le factuel : cette émigration entraîne une baisse des recettes fiscales pour l’État, qui compense souvent le manque à gagner par de nouvelles hausses d’impôts sur les classes moyennes et/ou une baisse des dépenses publiques.
La question sous-jacente est celle de la logique fiscale et du bon niveau d’imposition. Des études montrent qu’un niveau d’imposition excessif sur les plus riches diminue les rentrées fiscales pour l’État, via une diminution de l’assiette imposable due à l’expatriation ou aux montages financiers, et contrevient donc à un des principaux objectifs de l’impôt : l’efficacité économique. Une juste répartition des richesses ne peut qu’aller de pair avec l’efficience. Or, la courbe de Laffer montre que « trop d’impôt tue l’impôt », ce que l’histoire semble confirmer. « En 1936, le Front populaire a instauré un taux supérieur de 40% pour les contribuables de la tranche la plus élevée et, en 1981, les socialistes ont créé en France une tranche de 65% assortie de majorations d’impôts applicables aux plus riches : dans les deux cas, ces mesures se sont traduites par une diminution de 20% des rentrées fiscales des contribuables concernés32 » selon Bertrand Jacquillat. Autrement dit, 20% ou 30% de 100 euros seront toujours supérieurs à 70% ou 80% de 0 euro.
Solutions envisagées pour y remédier
À cause fiscale, solution fiscale. Les décideurs publics doivent adapter le niveau d’imposition sur les ménages les plus aisés et trouver un point d’équilibre entre justice sociale et efficacité économique33. Seul un abaissement de la fiscalité sur les hauts revenus permettra, sinon un retour des émigrés les plus fortunés, du moins un ralentissement des départs et de l’appauvrissement patrimonial du pays. Les pistes envisageables sont la suppression de l’ISF, de l’imposition des plus-values latentes, la prise en compte de l’inflation dans le calcul fiscal, ou encore l’assouplissement des frais de succession. Enfin, une réflexion pourrait également être menée au niveau européen concernant une harmonisation fiscale des pays membres.
Les émigrés économiques
Rapport de la Maison des Français de l’étranger, op.cit.
Note de la Fondation Concorde, Quelques éléments sur l’exil fiscal et l’expatriation, leurs conséquences sur l’emploi, mars 2013, pages 14-19.
Communiqué de presse d’Eurostat, op.cit.
Rapport du World Economic Forum, « The Global Competitiveness Report 2012-2013 », septembre 2012.
Christian Saint-Étienne et Robin Rivaton, Le Kapital pour rebâtir l’industrie, note pour la Fondation pour l’innovation politique, avril 2013, pages 28-29.
Cette catégorie comprend les entrepreneurs quittant la France pour créer leur entreprise à l’étranger. Les raisons invoquées sont de plusieurs ordres : écosystème peu propice à la création d’entreprises (difficile accès au financement, complexité administrative, environnement culturel « plutôt hostile » à l’enrichissement etc.), ou niveau d’imposition trop élevé (impôts sur les sociétés, taxe sur les plus-values, niveau des charges sociales). Les destinations prisées sont essentiellement les États-Unis, la Grande-Bretagne, et la Belgique.
Mesure du phénomène
Si l’on se réfère aux résultats de l’enquête de la Maison des Français de l’étranger34, 5,83% des personnes interrogées actives sont à la tête d’une entreprise de 10 salariés ou plus. Rapporté au nombre d’inscrits sur le registre consulaire, on obtient 75.090 entrepreneurs pour, a minima, 750.904 emplois créés à l’étranger. Selon la même enquête de la Maison des Français de l’étranger réalisée fin 2010, seuls 3% des 1.504.000 Français inscrits au Registre mondial des Français établis hors de France se déclaraient entrepreneurs, soit environ 60.000 personnes, ce qui laisse à penser que le processus d’émigration entrepreneuriale tend à s’intensifier. La Fondation Concorde estime que l’émigration des entrepreneurs a fait perdre à la France environ 1 million d’emplois35 depuis une vingtaine d’années.
Pourquoi partent-ils ?
Le mal français en la matière est bien connu : un écosystème entrepreneurial qui ne facilite pas la création d’entreprises et de richesses. D’après l’enquête d’Eurostat citée précédemment36, la France est également le pays où la fiscalité qui pèse sur ses entreprises est la plus forte, avec un taux d’imposition sur les revenus des sociétés évalué à 36,1% en 2013 contre 23% pour la moyenne des pays de l’Union européenne : 23% pour le Royaume-Uni, 29,8% pour l’Allemagne, ou encore 34% pour la Belgique. On citera également le difficile accès au financement, le niveau élevé des charges sociales, les 35 heures, un marché du travail rigide, ou encore l’inflation normative (près de 400 000 lois applicables en France) qui enferme les entreprises dans un carcan réglementaire. En 2013, le World Economic Forum37 classe la France au 126ème rang sur 144, en matière de complexité administrative.
Problèmes soulevés
Cette catégorie d’émigrés apparaît comme particulièrement préoccupante pour le pays, car elle est en lien direct avec la croissance économique et la création d’emplois. Mais la problématique recouvre également une composante morale : l’incapacité française à reconnaître les mérites de ses jeunes talents et à valoriser la prise de risques.
Solutions envisagées pour y remédier
Toutes les solutions visant à favoriser l’activité économique des entreprises doivent être considérées : diminution de l’impôt sur les sociétés (IS), mise en place de la TVA sociale permettant de financer une baisse des charges, diminution des taxes sur les plus-values, instauration de fondations de production pour favoriser l’investissement productif38, ou encore accélération du choc de simplification.
Les émigrés « désabusés »
Sondage Ifop pour Deloitte, « Baromètre des jeunes diplômés 2013 », février 2013.
Sondage W&Cie « L’ Observatoire de la ‘‘Marque France’’ », avril 2013.
Dominique Reynié (dir.), La jeunesse du monde, une enquête planétaire 2011 de la Fondation pour l’inno- vation politique, Paris, Editions Lignes de Repères, p. 27.
Dominique Reynié (dir.), Travailler le dimanche : qu’en pensent ceux qui travaillent le dimanche ? Sondage, analyse éléments pour le débat, note pour la Fondation pour l’innovation politique, 2009, 18 pages.
Voir à ce sujet, Nos idées pour maintenant, École : la révolution de la responsabilité, Fondation pour l’inno- vation politique, 2012, p.87.
Cas récent, et vraisemblablement en plein essor, les jeunes diplômés (essentiellement d’écoles de commerce ou d’ingénieurs) sont de plus en plus nombreux à quitter la France pour trouver un emploi ailleurs. La situation est principalement due au marasme économique français : difficulté à trouver un emploi à la hauteur des qualifications, faible niveau des salaires, coût du logement, etc.
Mesure du phénomène
Là encore, impossible de donner un chiffre exact, mais plusieurs études permettent de disposer d’éléments utiles. Selon une enquête Ifop pour le cabinet Deloitte39, 27% des jeunes diplômés cherchant un emploi, envisageraient d’émigrer pour trouver un travail. Selon la même enquête réalisée l’année précédente, ils n’étaient que 13%. D’après Le Nouvel Observateur du 4 avril 2013, dans les grandes écoles de commerce, un diplômé sur cinq émigre pour son premier emploi. Enfin, on peut citer un sondage de Vivavoice pour W&Cie40 paru en avril 2013 : à la question « si vous le pouviez, aimeriez-vous quitter la France pour un autre pays ? », 50% des 18-24 ans et 51% des 25-35 ans répondent « oui », alors qu’ils ne sont que 38% pour l’ensemble des sondés.
Pourquoi partent-ils ?
Cette émigration s’explique, en premier lieu, par la conjoncture économique qui pénalise les nouveaux entrants sur le marché du travail : en mars 2013, le taux de chômage des jeunes français atteint 26,5%, contre 11% pour l’ensemble de la population41. Mais le mal semble plus profond, et des causes structurelles apparaissent rapidement à l’analyse. Les candidats à l’exil dépeignent tous le même tableau, celui d’un vieux pays sclérosé, rigidement hiérarchisé et élitiste. Sont fréquemment pointés du doigt le poids écrasant des diplômes, le fonctionnement des grandes entreprises qui ne laisse que peu de places à l’autonomie ou à la prise d’initiatives, et un ascenseur social en panne. On pourrait ajouter le problème du logement et du difficile accès à la propriété. Tous ces éléments, entre autres, concourent à façonner une jeunesse française inquiète et anxieuse, qui n’a pas confiance en l’avenir. L’enquête menée par la Fondation pour l’innovation politique dans 25 pays en 201142 est à cet égard très révélatrice : 17% des jeunes Français sondés estimaient que l’avenir de leur pays était prometteur, (contre 82% pour leurs alter ego chinois), 49% étaient « certains d’avoir un bon travail dans l’avenir » (contre 70% en moyenne dans les autres pays), et seuls 52% voyaient la mondialisation comme une opportunité (à titre de comparaison, les résultats étaient de 66% pour l’Allemagne, de 71% pour les États-Unis, et de 76% pour la Suède).
Problèmes soulevés
Cette situation traduit un malaise,aussi bien qu’elle relève de la problématique économique. Malaise, car les nouvelles générations semblent avoir perdu foi en l’avenir et en l’intérêt que leur porte leur propre pays. Problématique économique, car la fuite de diplômés de l’enseignement supérieur affaiblit la productivité de la France ainsi que sa capacité à créer de la richesse et à innover ; et parce qu’elle représente aussi une perte sèche pour les finances publiques : d’après Le Nouvel Observateur du 4 avril 2013, l’émigration des diplômés des grandes écoles d’ingénieurs et de commerce (dont la scolarité, depuis la maternelle, est évaluée à 240.000 euros par étudiant) pourrait coûter 1,5 milliard d’euros par an à l’État.
Solutions envisagées pour y remédier
Condition nécessaire (mais certainement pas suffisante), il est prioritaire de constituer un écosystème favorable à l’activité, et donc à la création, des entreprises. Les pistes envisagées dans le profil précédent, semblent tout aussi légitimes pour freiner ce type d’émigration : difficile en effet de lutter contre le chômage des jeunes sans les entreprises.
Deuxièmement, il paraît urgent de remettre en cause le management et le fonctionnement des grandes entreprises, fortement hiérarchisés et basés sur le présentéisme. Plusieurs solutions peuvent alors être envisagées : développer et généraliser l’ouverture des entreprises le dimanche43 (ce qui pourrait profiter, en premier lieu, aux jeunes actifs), favoriser le télétravail partiel, ou encore flexibiliser le temps de travail (proposer des semaines de quatre jours avec des jours « off » tournants par exemple).
Enfin, les racines du malaise semblant profondes, c’est l’ensemble du système éducatif et de l’enseignement supérieur qui doit être repensé44, car il n’est, aujourd’hui, qu’une gigantesque machine à reproduction sociale, qu’il s’agisse de l’école républicaine à l’enseignement indifférencié et au contrôle centralisé, du collège unique, ou de l’université souvent bien éloignée du monde de l’entreprise. Des solutions existent : donner de l’autonomie aux établissements scolaires pour adapter l’offre éducative aux besoins des élèves, proposer un parcours orienté vers les métiers manuels dès la classe de quatrième, ou encore développer l’apprentissage et la pratique des stages à l’université. Le mode d’accès aux grandes écoles doit également être repensé, afin d’être plus représentatif de la diversité de la société française, tant en termes de classes sociales que d’origines géographiques.
Conclusion
Voir la note de Laurence Daziano pour la Fondation pour l’innovation politique, La nouvelle vague des émer- gents, juillet 2013, 40 pages.
Voir l’article publié par Slate du 6 février 2012, « Comment Gerhard Schröder a restauré la compétitivité allemande ».
Les conséquences économiques : des départs néfastes à la création des richesses et à l’emploi
Sans parler de « vague », il semblerait que l’émigration française s’intensifie, et le nombre de Français vivant hors de nos frontières n’a jamais été si élevé : plus de deux millions, d’après les estimations précédemment abordées.
Nous l’avons vu dans la partie précédente, ce sont aussi des entreprises, des emplois et des recettes fiscales qui quittent le pays, alors que la plupart des indicateurs économiques français sont au rouge : niveau d’endettement public, taux de chômage, santé financière des entreprises, et plus particulièrement de l’industrie. La France doit s’intégrer pleinement dans la mondialisation, et la présence de Français à l’étranger est une chance qui lui permet d’y prendre une part active. Pourtant, le départ contraint d’une partie grandissante de ses entrepreneurs, jeunes diplômés ou détenteurs de patrimoine, prive notre pays d’une source importante de croissance. La mondialisation a permis l’émergence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), suivis de près par les BENIVM (Bangladesh, Éthiopie, Indonésie, Vietnam, Mexique)45, et la France, pour relancer sa compétitivité, a besoin de ses talents. Car c’est la puissance française de demain qui est en jeu ; puissance qui ne pourra se construire que sur une « économie du savoir et de la connaissance », dans laquelle capitaux et travailleurs qualifiés jouent les premiers rôles. Le plus élémentaire pragmatisme doit permettre de prendre conscience que la France doit donner la capacité à ses entrepreneurs et jeunes ingénieurs de travailler et d’investir en France. Face à ces enjeux, on ne peut pas dire que l’« on a tout essayé ». C’est alors que le cercle vicieux s’enclenche, car la fuite de talents productifs affaiblit l’économie, la rendant incapable d’absorber les nouveaux diplômés, eux-mêmes tentés de découvrir de nouveaux horizons. L’émigration est, paradoxalement, à la fois cause et conséquence du déclin. Il est regrettable qu’un pays prenne des décisions politiques qui l’affaiblissent, tout en renforçant ses concurrents. En 1997, Gerhard Schröder, qui allait bientôt être candidat à la Chancellerie allemande, déclarait « j’espère que la France décidera de passer à la semaine de 35 heures à salaire constant. Ce sera très bon pour l’industrie allemande »46. L’année dernière, c’est David Cameron, Premier ministre britannique, qui se disait prêt à « dérouler le tapis rouge » aux entreprises françaises fuyant la taxe à 75%. Fiscalité, politique économique et politique éducative doivent être réformées pour permettre à la France de restaurer sa compétitivité à l’échelle mondiale.
Si les répercussions économiques de l’émigration sont incontestables, la question recouvre également une dimension philosophique et morale.
La notion permet d’interroger le rapport à la nation, le lien qui unit les citoyens à leur pays. Et tout particulièrement en ce qui concerne les jeunes générations.
L’émigration, révélateur d’une fracture entre la France et les nouvelles générations ?
L’émigration d’une population jeune et désenchantée ne peut qu’être perçue comme un signal d’alerte. Car il semblerait bien que le lien de confiance entre les nouvelles générations et la France soit menacé.
Le modèle français, élitiste et rigide, semble en complet décalage avec une jeunesse biberonnée au 2.0 et aux possibilités offertes par la mondialisation. La classe politique, d’abord, où 37% des députés ont entre 60 et 80 ans, alors que leurs collègues de moins de 40 ans représentent seulement 8% des effectifs. L’éducation nationale ensuite, qui, sous couvert d’universalisme et d’idéal méritocratique, reproduit presque scrupuleusement les inégalités sociales. L’enseignement supérieur également, où seul l’accès aux grandes écoles semble encore offrir de réelles possibilités d’avenir. L’entreprise, enfin, où les macrostructures (anciennement publiques, pour beaucoup) fortement hiérarchisées annihilent toute volonté de prise d’initiatives. Le tout, encadré par la lourdeur législative et bureaucratique de l’État français. C’est l’ensemble de notre modèle qui doit alors être repensé, car un pays qui n’a pas la confiance de sa jeunesse est un pays sans avenir.
L’acte de quitter son pays pour « améliorer ses conditions d’existence » est l’illustration d’un malaise profond. La France doit donner les moyens à sa jeunesse d’avoir le choix, celui de partir, mais également celui de rester pour investir, entreprendre et prospérer.
L’émigration est, paradoxalement, à la fois cause et conséquence du déclin. Il est regrettable qu’un pays prenne des décisions politiques qui l’affaiblissent, tout en renforçant ses concurrents. En 1997, Gerhard Schröder, qui allait bientôt être candidat à la Chancellerie allemande, déclarait « j’espère que la France décidera de passer à la semaine de 35 heures à salaire constant. Ce sera très bon pour l’industrie allemande »46. L’année dernière, c’est David Cameron, Premier ministre britannique, qui se disait prêt à « dérouler le tapis rouge » aux entreprises françaises fuyant la taxe à 75%. Fiscalité, politique économique et politique éducative doivent être réformées pour permettre à la France de restaurer sa compétitivité à l’échelle mondiale.
Si les répercussions économiques de l’émigration sont incontestables, la question recouvre également une dimension philosophique et morale.
La notion permet d’interroger le rapport à la nation, le lien qui unit les citoyens à leur pays. Et tout particulièrement en ce qui concerne les jeunes générations.
L’émigration, révélateur d’une fracture entre la France et les nouvelles générations ?
L’émigration d’une population jeune et désenchantée ne peut qu’être perçue comme un signal d’alerte. Car il semblerait bien que le lien de confiance entre les nouvelles générations et la France soit menacé.
Le modèle français, élitiste et rigide, semble en complet décalage avec une jeunesse biberonnée au 2.0 et aux possibilités offertes par la mondialisation. La classe politique, d’abord, où 37% des députés ont entre 60 et 80 ans, alors que leurs collègues de moins de 40 ans représentent seulement 8% des effectifs. L’éducation nationale ensuite, qui, sous couvert d’universalisme et d’idéal méritocratique, reproduit presque scrupuleusement les inégalités sociales. L’enseignement supérieur également, où seul l’accès aux grandes écoles semble encore offrir de réelles possibilités d’avenir. L’entreprise, enfin, où les macrostructures (anciennement publiques, pour beaucoup) fortement hiérarchisées annihilent toute volonté de prise d’initiatives. Le tout, encadré par la lourdeur législative et bureaucratique de l’État français. C’est l’ensemble de notre modèle qui doit alors être repensé, car un pays qui n’a pas la confiance de sa jeunesse est un pays sans avenir.
L’acte de quitter son pays pour « améliorer ses conditions d’existence » est l’illustration d’un malaise profond. La France doit donner les moyens à sa jeunesse d’avoir le choix, celui de partir, mais également celui de rester pour investir, entreprendre et prospérer.
Nos propositions
- L’ émigration doit être abordée dans sa globalité, et non de manière partielle : exil fiscal, départ des jeunes diplômés, etc.
- L’ émigration doit être prise en compte par les pouvoirs publics et intégrée dans les réflexions sur les questions migratoires, au même titre que l’immigration : nous proposons donc la création d’un Département des questions migratoires au sein de la Direction des statistiques démographiques et sociales de l’Insee, qui serait chargé de quantifier et de recueillir des données sociodémographiques sur les migrations affectant la France.
- L’ émigration impacte négativement notre économie et doit faire l’objet de mesures tendant à la restreindre ou à la compenser : nous proposons la création d’un ministère des questions migratoires, indépendant du ministère de l’Intérieur, afin d’établir une politique migratoire cohérente et répondant aux besoins du pays.
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