L'État innovant (1) : Renforcer les think tanks
Connaître les élites qui nous gouvernent et leur rapport à la société civile pour comprendre les politiques qui sont menées
Actualité et intérêt de l’étude
Qu’est ce qu’un think tank ?
Définitions
Fonction des think tanks
Les think tanks américains, fournisseurs professionnels d’expertise en matière publiques
Les États-Unis, pays d’émergence des think tanks
Le rôle des think tanks dans le débat public américain aujourd’hui
Les think tanks français : une institutionnalisation lente et difficile
Un développement relativement tardif et en plusieurs vagues
Les barrières au développement des think tanks en France
Les principaux think tanks français et leur impact aujourd’hui
Influence exercée sur les décideurs politiques et leur programme
Influence sur l’opinion
Capacité de placement dans les états-majors
Conlclusion
Nos propositions pour un État innovant
Résumé
Les think tanks font l’objet d’une attention accrue en France, notamment depuis la dernière campagne présidentielle de 2012. Certains d’entre eux furent en effet à l’origine de propositions reprises par les candidats. L’objectif de cette note est d’apporter des clefs de compréhension de l’histoire, du rôle et de l’influence qu’exercent ces nouveaux acteurs de la démocratie, tout en comparant le cas français à celui des États-Unis, pays de naissance de ce type d’organisation.
L’étude rappelle que l’histoire des think tanks est liée à l’histoire politique des États-Unis et que, depuis les années 1970, ils sont au cœur de l’actualité politique. En France, si une tradition de clubs de réflexions préexistait à leur apparition, ces nouvelles organisations demeurent encore assez faibles face à un quasi-monopole exercé par certaines institutions publiques sur le savoir et l’expertise. Aujourd’hui, dans un contexte marqué par une crise de la démocratie représentative, les évolutions et actuelles professionnalisations de ces organismes deviennent de véritables enjeux.
Benjamin Le Pendeven,
Chercheur en finance et innovation au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et entrepreneur.
Kevin Brookes,
Doctorant en science politique à l’Institut d’Études Politiques de Grenoble.
« Ce que vous faites dans le gouvernement, c’est dépenser le capital intellectuel que vous avez amassé en dehors du gouvernement »
Henri Kissinger
Connaître les élites qui nous gouvernent et leur rapport à la société civile pour comprendre les politiques qui sont menées
entretien avec les auteurs
notamment relevée par le classement annuel réalisé par James McGann. cf. 2013 Global Go To Think Tanks Report and Policy Advice, University of Pennsylvania, 2013.
catherine fieschi et John Gaffney, « french think tanks in a comparative Perspective », in diane stone, andrew denham et Mark Garnett (dir.), Think Tanks Across A Comparative Approach, Manchester, Manchester University Press, 1998 ; Patrick Papazian, « think tanks… à la française ! Évolution et moyens des groupes de réflexion », in Guillaume Bernard et Éric duquesnoy (dir.), Les Forces politiques françaises. Genèse, environnement, recomposition. Rapport Anteios 2007, Paris, PUf, 2007, p. 181-185.
Bruno Jobert (dir.), Le Tournant néo-libéral en Europe, Paris, l’harmattan, 1994.
Chaque élection d’un nouveau président américain s’accompagne de nombreux remplacements de directeurs d’agences fédérales, de décideurs publics et d’experts ministériels. Plusieurs milliers de postes de l’administration fédérale sont sujets à remplacement à chaque changement de gouvernement. Cette rotation régulière de l’élite administrative américaine, couplée à une influence accrue des think tanks en tant que producteurs d’expertise à destination des hommes politiques, encouragerait des orientations politiques plus marquées entre différentes majorités et des innovations politiques plus importantes.
Ce constat est à mettre en perspective avec deux autres réalités : la puissance relative des think tanks américains, souvent considérés comme des « réservoirs » à experts et à idées pour les administrations présidentielles ; et la porosité entre les hautes sphères de l’économie privée américaine – incluant la pratique controversée des revolving doors – et les décideurs de la haute administration publique. Un exemple demeure frappant : un tiers des conseillers économiques de Ronald Reagan provenaient de la Heritage Foundation, un think tank conservateur. Au total, il recruta 150 chercheurs auprès de cet institut, mais aussi au sein de la Hoover Institution et de l’American Enterprise Institute. David Azerrad, directeur du Center for Principles and Politics au sein de la Heritage Foundation, estimait qu’en cas de victoire de Mitt Romney à l’élection présidentielle de 2012, environ un tiers des chercheurs et salariés de ce think tank auraient démissionné pour rejoindre les cabinets ministériels et les agences fédérales1.
À l’extrême opposé de cette pratique américaine, la France présente une très forte stabilité des hautes administrations, une faiblesse chronique des think tanks2 et quelques transferts de l’expertise publique au privé, mais peu de l’expertise privée au public. Certains chercheurs en science politique avancent que l’expertise exercée par la haute administration publique est tellement hégémonique par rapport à l’expertise privée qu’elle rend difficile la comparaison des think tanks français avec ceux des pays anglo-saxons3. Ce déséquilibre est fonction d’une certaine « dépendance au sentier », c’est-à-dire une tendance de la part des dirigeants à tout concevoir par rapport aux politiques publiques préexistantes. Dans ce cadre français, l’évolution des politiques publiques est davantage liée aux transformations des représentations des hauts fonctionnaires4 qu’à la confrontation d’idées et de propositions élaborées par des représentants de la société civile. La résilience de la haute administration – et l’endogamie qui la caractérise parfois – semble ainsi peser particulièrement sur les orientations du pays. Le rôle d’expertise exercé par les think tanks se retrouverait davantage dans les cabinets ministériels ou au sein de conseils ou de commissions créées par l’État que dans des institutions indépendantes privées en concurrence. Quel est le rôle des think tanks aujourd’hui ? Quels sont les liens entretenus entre les experts des think tanks et les fonctionnaires de la haute administration en France et aux États-Unis, et comment expliquer ces différences ? Quelles incidences ont-elles sur la mise à l’agenda et l’implémentation des politiques publiques ? Pour répondre à ces différentes problématiques, nous réaliserons une comparaison entre la France et les États-Unis de deux phénomènes importants dans la sélection des élites et dans le rapport qu’elles entretiennent à l’expertise : celui du développement des think tanks et de leur institutionnalisation, et celui, lié, du modèle de relation qui existe entre administration publique et monde politique. L’objectif étant de comprendre le degré d’ouverture des décideurs politiques à la société civile et aux idées novatrices.
Dans cette première note nous réaliserons une analyse globale du monde des think tanks, en France et aux États-Unis. Dans la seconde, nous nous intéresserons aux modèles de constitution de l’élite administrative et à la divergence des modèles des deux côtés de l’Atlantique, et tenterons de démontrer en quoi une vraie diversité de l’élite politico-administrative est source d’innovation politique.
Actualité et intérêt de l’étude
Pierre Bréchon et Jean-françois tchernia (dir.), La France à travers ses valeurs, Paris, armand colin, 2009.
selon le titre de l’essai écrit sous pseudonyme par plusieurs anciens élèves de cette école, dont Jean-Pierre chevènement, pour y dénoncer la faiblesse de ses enseignements, sa sélection sociale et sa logique de clas- sement à la sortie. cf. Jacques Mandrin, L’Énarchie ou les mandarins de la société bourgeoise, Paris, la table Ronde, 1967.
l’ expression a été forgée par Pierre Bourdieu, qui constatait la forte reproduction sociale des élites étatiques. Pierre Bourdieu, La Noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Éditions de Minuit, 1989.
James McGann, op. cit.
Le ceRi, présent dans le classement en 3ème position, ne se considère pas comme think tank, mais comme centre de recherche universitaire (au sein de Sciences po). nous considérons que le cepii et l’UeiSS, au regard de leurs appartenances organisationnelles (auprès du commissariat général à la stratégie et à la prospective pour le cepii, auprès de l’Ue pour l’UeiSS), ne sont pas des think tanks, car ils ne répondent pas au critère d’autonomie.
Les citoyens français se reconnaissent de moins en moins dans leurs élites politiques et administratives. Alors qu’ils ne leur font plus confiance5, l’« énarchie6 » et plus généralement la haute fonction publique française revêtant la forme d’une « noblesse d’État7 » sont régulièrement critiquées par les Français, car jugées partiellement responsables de la dégradation de la situation économique et sociale. Dans ce contexte, marqué par une crise de la représentation politique, il semble pertinent d’analyser ces nouveaux acteurs de la démocratie contemporaine que sont les think tanks et d’étudier la frontière qui existe aujourd’hui en France entre l’État et la société civile comme espace de participation des citoyens aux débats politiques contemporains. Comprendre, dans une perspective comparée, la relation qu’entretient le pouvoir d’État avec l’expertise au sens large, et avec les think tanks en particulier, permet de réaliser à quel point le corps politico-administratif français est relativement fermé à l’expertise externe et/ou indépendante et à quel point le souhait de ne pas s’ouvrir peut être dommageable.
Depuis la fin des années 2000, il existe une inflation croissante de l’emploi du mot « think tank » dans la presse. Des observateurs ont d’ailleurs pu constater une professionnalisation et une influence croissante des think tanks français. Ceux-ci sont aujourd’hui dans une situation intermédiaire : apparus dans les années 1960 mais ne s’étant développés réellement qu’à partir des années 1980, ils semblent aujourd’hui à la croisée des chemins. Même s’ils sont en croissance en termes de nombre, de production et d’audience, leur puissance financière, leur impact médiatique et leur influence auprès des élus nationaux sont comparativement bien inférieurs à leurs homologues américains. Ce gouffre est observable tant au niveau de leur influence réelle qu’au niveau de leurs moyens. Chaque année, des chercheurs de l’université de Pennsylvanie effectuent un classement recensant les principaux think tanks mondiaux (pas moins de 6.000) en fonction de leur influence, par catégorie d’organisations. Dans le rapport de 2013, la France, bien qu’étant le sixième pays au monde en nombre de think tanks (177 selon les auteurs), apparaît très loin en termes d’influence (mesurée par le nombre et la qualité des publications, les passages médias, la reprise de propositions par des acteurs politiques) par rapport à des pays comme les États-Unis, la Grande-Bretagne ou encore l’Allemagne8. En termes de moyen, l’écart est également saisissant. Pour prendre l’exemple des trois think tanks considérés comme les plus influents aux États-Unis et en France dans ce même rapport, on observe que le budget de Brookings (numéro 1 américain, 95 millions de dollars, soit 69 millions d’euros) est onze fois plus important que celui de l’Institut français des relations internationales (Ifri, numéro 1 français, 6,2 millions d’euros).
tableau 1 : les trois premiers think tanks français selon le classement de James McGann
tableau 2 : les trois premiers think tanks américains selon le classement de James McGann
Weronika Zarachowicz, « l’ influence des think tanks, cerveaux des politiques », Télérama, 29/03/2012.
Depuis le début des années 2000, on observe une multiplication du nombre de think tanks en France. Ceux-ci sont de différents types (défense de causes, organes de réflexion de partis politiques, etc.), permettant une croissance globale des moyens consacrés aux think tanks et de leur impact médiatique9. On assiste ainsi à une inflation de l’emploi du label « think tank » dans les médias qui l’utilisent – à tort – même pour désigner des écuries présidentielles au sein de partis politiques. Les think tanks commencent en France à faire partie intégrante du débat public. Ils ont déployé de manière incontestable une véritable énergie durant les quinze dernières années pour se construire une place dans le monde de l’expertise des politiques publiques. Leurs équipes sont encore très réduites, leurs financements modestes, mais ils ont réussi à organiser des opérations innovantes et à proposer quelques idées originales, avec un certain impact. Parmi celles reprises par les décideurs publics : l’idée d’organiser des primaires au Parti socialiste ou la règle d’or en matière budgétaire auprès du candidat Nicolas Sarkozy. Les années à venir vont constituer un tournant décisif : deviendront-ils de véritables centres d’expertise, professionnels, indépendants de l’État, au poids et aux effectifs bien plus importants ? Ou bien resteront-ils des acteurs marginaux mais innovants du monde des idées ? Arriveront-ils davantage, comme cela a semblé le cas avec l’élection de François Hollande en 2012, à influer sur les programmes des partis de gouvernement, voire à constituer une partie des viviers de recrutement des futures équipes ministérielles ?
Qu’est ce qu’un think tank ?
Définitions
difficulté soulignée notamment par Évelyne Joslain, L’ Amérique des think Un siècle d’expertise privée au service d’une nation, Paris, l’harmattan, 2006.
françois-Bernard huyghe, think Quand les idées changent vraiment le monde, Paris, vuibert, 2013, p. 15.
cité in stephen Boucher et Martine Royo, Les Think Cerveaux de la guerre des idées, Paris, Éditions du félin, 2006, p. 30.
« l’ information économique aux États-Unis », rapport d’information no 326 (2000-2001) de M. Joël Bourdin, cité in Marc Patard, La Démocratie entre expertise et influence : le cas des think tanks français (1979- 2012), thèse pour l’obtention du doctorat de science politique, sciences Po, 2012, 25.
françois Bernard huyghe parle de « définition impossible » des think cf. françois-Bernard huyghe, Think tanks. Quand les idées changent vraiment le monde, op. cit. p. 13.
Marc Patard, La Démocratie entre expertise et influence : le cas des think tanks français (1979-2012), 16-22.
James McGann et Richard kent Weaver, Think Tanks & Civil Societies. Catalysts for Ideas and Action, new Brunswick, transaction Publishers, 2000.
Les définitions de think tanks sont nombreuses, tant les contours précis, le rôle et les objectifs de ce nouveau type d’acteurs de la démocratie sont difficiles à tracer par rapport à des organisations qui leur sont proches10. En France, le Journal officiel du 14 août 1998 définit le laboratoire d’idées comme un « groupe plus ou moins formel dont les membres interviennent dans les débats publics sur les grands problèmes économiques et de société, parallèlement aux travaux effectués par les administrations publiques11 ». Nous retiendrons une définition de type universitaire qui permet de les différencier d’organisations proches : les think tanks sont des organismes de recherche indépendants qui ont vocation à peser sur l’action publique en mobilisant des savoirs à des fins politiques. La politiste Philippa Sherrington en donne la définition suivante : « Organisations relativement indépendantes, impliquées dans la recherche sur un large spectre d’intérêts. Leur objectif premier est de disséminer cette recherche aussi largement que possible avec l’intention d’influencer le processus de formation des politiques publiques12. » Nous pouvons compléter cette définition par celle d’un rapport parlementaire qui en rappelle sa fonction principale, à savoir « nourrir les débats publics […] en réalisant et en diffusant des études auprès du grand public, des médias, des dirigeants d’entreprise et surtout des responsables politiques13 ».
Les limites entre les think tanks et d’autres organismes de réflexion sont parfois difficiles à tracer. Quelques critères reviennent fréquemment dans la littérature afin de les différencier, même si les frontières restent floues et leur désignation en tant que telle subjective14. Tout d’abord, on peut pointer la nécessité d’autonomie intellectuelle, ce qui implique une diversité dans son financement (qui ne doit pas dépendre exclusivement de l’État). De plus, Marc Patard15 considère que l’on peut désigner les think tanks par une triple démarcation par rapport à des organisations qui leur sont proches : ce ne sont pas des nouveaux mouvements sociaux, car ils ne remettent pas en cause l’ordre établi ; ce ne sont pas des groupes d’intérêts, car ils ne sont ni sectoriels ni marchands (ils sont sans but lucratif) ; ce ne sont pas des organismes universitaires, car ils se différencient du temps long de la recherche académique. Il convient aussi de les distinguer des clubs politiques qui forment un entre-soi où la cooptation est la norme, alors que les think tanks travaillent principalement à destination des décideurs.
Selon James McGann et Kent Weaver16, il existe quatre grands types de think tanks :
- les think tanks universitaires, composés de chercheurs académiques titulaires de doctorats et qui prennent la forme d’« universités sans étudiants ». Ils sont davantage orientés dans la quête de savoir que dans la recherche de pouvoir (par exemple, en France, l’Ifri, l’Iris, ) ;
- les advocacy tanks, qui défendent une cause ou une idéologie politique particulière en produisant une expertise sur les politiques publiques et des recommandations (par exemple, la Fondation Ifrap en France, la Heritage Foundation ou la Brookings Institution aux États-Unis) ;
- les think tanks de partis politiques, qui produisent des recherches directement utiles pour un parti spécifique, notamment pour alimenter son programme (les plus puissants sont les fondations de partis allemands, telles la Friedrich-Ebert Stiftung pour le SPD ; en France, par exemple, on peut citer la Fondation Jean-Jaurès pour le Parti socialiste).
- les instituts de recherche sous contrat, qui obéissent à une logique de réponse à des commandes publiques ou privées (COE-Rexecode en France, Rand Corporation aux États-Unis).
Fonction des think tanks
nous avons fait le choix de ne pas aborder la fonction de « médiation » des think tanks, rôle qui est exercé par quelques think tanks américains se préoccupant d’affaires étrangères. Richard haass, « think tanks and U.s. foreign Policy : a Policy-Maker’s Perspective », US Foreign Policy, 1er novembre 2002.
entretien avec les auteurs, novembre 2013.
nous reviendrons sur ce phénomène dans la seconde partie de notre note.
Thomas Medvetz évoque notamment le cas de l’intellectuel conservateur charles Murray qui s’est fait connaître en publiant une note pour la heritage Cf. thomas Medvetz, Think Tanks in America, chicago, University of chicago Press, 2012.
Thomas Medvetz, « les think tanks aux États-Unis. l’émergence d’un sous-espace de production des savoirs », Actes de la recherche en sciences sociales, 2009, 176-177, no 1, p. 82-93.
Les think tanks remplissent plusieurs rôles traditionnellement dévolus à d’autres organisations. Nous emprunterons la typologie des principales fonctions de ces nouveaux acteurs de la démocratie à un insider, Richard Haas, responsable d’un think tank américain majeur, le Council on Foreign Relations, qui a travaillé dans l’administration de plusieurs gouvernements américains en tant que conseiller aux affaires étrangères. Les think tanks exercent selon lui plusieurs fonctions principales17 :
- Un rôle de « fabrique à idées ». Palliant le manque de temps des décideurs politiques pour la réflexion de long terme, les think tanks ont une fonction de mise à l’agenda d’idées innovantes en matière de politiques Ils élargissent le débat public pour imaginer des nouvelles solutions à des problèmes ou en présentant des politiques qui ont fait preuve de leur efficacité ailleurs. Les think tanks sont là pour penser « en dehors de la boîte » du prêt-à-penser. Pour exercer cette fonction de proposition auprès des décideurs publics, les think tanks ont recours à plusieurs formats : notes courtes pouvant être lues en l’espace d’un trajet en taxi, rapports, interventions dans les médias, publications d’ouvrages, etc. Le moment privilégié pour exercer ce rôle sont les campagnes électorales, comme l’indique notamment Dan Mitchell, chercheur au Cato Institute, d’orientation libertarienne. Il précise par ailleurs qu’il est souvent invité par les équipes de campagne des candidats afin de présenter les propositions économiques du Cato18. Parfois, dans le cas de think tanks proches d’un parti politique, les préconisations peuvent faire l’objet d’une feuille de route, comme ce fut le cas aux États-Unis en 1980 avec le « Mandate for Leadership » présenté à Reagan dix jours après son élection par la Heritage Foundation et contenant 1.270 recommandations, dont plus de la moitié seront reprises par le Président nouvellement élu.
- Un rôle de constitution de vivier de talents et d’experts. Aux États-Unis cette fonction est particulièrement importante puisque, comme l’indique Richard Haass, l’administration centrale y est plus faible que d’autres pays centralisés. Les experts de think tanks viennent peupler les équipes du nouveau président américain, mais également celles de ses ministres et des parlementaires. À l’inverse, lorsqu’un président perd les élections, les think tanks proches de ses idées servent de foyer d’accueil pour ces experts qui sont en mesure de constituer un « shadow cabinet » efficient en raison de leur expérience de la gestion des affaires publiques. Ce mouvement régulier est qualifié de revolving doors19, expression que l’on peut traduire par « portes à tambour ». Les think tanks peuvent ainsi servir de tremplin pour promouvoir des jeunes intellectuels auprès d’un public plus large20.
- Un rôle d’organisation de rencontres entre différents acteurs de politiques publiques. Les think tanks, qui sont à la frontière entre les champs médiatique, universitaire, politique et économique21, permettent d’atteindre un certain consensus en associant tous les acteurs à la formulation de nouvelles politiques. Selon Marc Patard, les think tankers français (salariés de ces organisations) évoquent souvent ce rôle d’organisme de relations publiques qui permet à des personnes issues de différents milieux (mondes économique, universitaire, politique, journalistique…) de se rencontrer et de travailler ensemble. Ils favorisent ainsi la mise en réseau de divers acteurs de la société civile.
- Un rôle de formation et d’implication du public. Les politiques publiques sont souvent complexes et les think tanks permettent d’en préciser les enjeux et de les présenter directement au public ou indirectement par le biais des médias. En France, c’est par exemple le rôle de La République des idées qui publie de nombreux essais sur des sujets de politiques publiques qui peuvent ensuite être accessibles à un public plus large. Les think tanks jouent ce rôle éducatif à travers leurs blogs, leurs sites Internet, mais aussi leurs journaux auxquels peuvent s’abonner les citoyens.
Les think tanks américains, fournisseurs professionnels d’expertise en matière publiques
cité in Évelyne Joslain, L’ Amérique des Think Un siècle d’expertise privée au service d’une nation, op. cit. p. 135.
nous pensons à des organisations comme l’atlas economic Research foundation fondée en 1981 dans l’objectif d’aider d’autres think tanks à promouvoir les idées libérales dans le Cf. daniel Mato, « Réseaux de think tanks, fondations, entrepreneurs, dirigeants politiques et professionnels pour la promotion des idées (néo)libérales à l’échelle mondiale », Lien social et Politiques, no 65, printemps 2011, p. 65-78.
Le spécialiste des think tanks Andrew Rich considère que « les think tanks sont américains dans leur essence même. Il ne peut y avoir à l’étranger que des imitations22 ». En effet, les États-Unis sont le pays où est né le terme, où se sont développées ces organisations dans toute leur diversité. C’est le pays dans lequel on dénombre le plus grand nombre de think tanks et qui comprend des grandes organisations qui parrainent des think tanks internationaux à partir de Washington23.
Il existe un statut juridique spécifique pour les organismes de « bien public » à but non lucratif « 501(c)3 », en référence à la section du code des impôts (Internal Revenue Code) qui les régit. Ce statut est avantageux, puisque les think tanks n’ont pas à payer d’impôts et les dons qui leur sont faits sont entièrement défiscalisés, ce qui facilite la levée de fonds. De plus, une tradition philanthropique américaine coordonnée par des grandes fondations comme la Fondation Ford ou Rockefeller a permis l’éclosion de think tanks dans tout le pays.
Les États-Unis, pays d’émergence des think tanks
donald abelson, « do think tanks matter? opportunities, constraints and incentives for think tanks in canada and the United states », Global Society, 2000, vol. 14, no 2, p. 213-236.
ludovic tournès (dir.), L’Argent de l’influence. Les fondations américaines et leurs réseaux européens, Paris, autrement, 2010.
fiche Rand corporation sur le site de l’observatoire des think tanks et, surtout, rapport annuel Rand corporation, 2012.
helmut anheier, « social science research outside the ivory tower: the role of think tanks and civil society », World Social Science Report 2010. Knowledge divides, Unesco, 2010.
Marc Patard, La Démocratie entre expertise et influence : le cas des think tanks français (1979-2012), cit.
François-Bernard huygues, Think Quand les idées changent vraiment le monde, op. cit.
l’ expression est celle prononcée par lewis f. Powell dans un discours à la chambre de commerce des États-Unis en 1971.
au sens américain du terme, c’est-à-dire dans sa tendance progressiste et sociale-démocrate.
Évelyne Joslain, L’Amérique des Think Un siècle d’expertise privée au service d’une nation, op. cit. p. 114-133.
troy tevi, « devaluing the think tanks », National Affairs, no 10, 2012.
Les principes d’organisation et le rôle que cherchent à jouer les think tanks sont assez anciens. À l’image du philosophe-roi de Platon, du conseiller du Prince de l’époque de Machiavel, des salons de réflexion bourgeois précédant la Révolution française aux sociétés de pensée du XIXe siècle, l’idée que les intellectuels doivent mettre à profit leur réflexion pour éclairer les décisions des décideurs politiques n’est pas nouvelle. Sans tomber dans l’écueil de certains penseurs exagérant l’influence des idées dans la marche de l’Histoire (qui reprennent à leur compte l’idée de Platon selon laquelle « les idées mènent le monde »), certains travaux historiques ont souligné combien ces réseaux informels d’acteurs visant à transcrire leur pensée en actes avaient joué un rôle historique important. Bien qu’il existe encore des débats pour déterminer quel a été le premier think tank, l’un des premiers exemples semble être le cas de la Fabian Society, fondée en 1884 au Royaume-Uni et qui est à l’origine de la fondation de la London School of Economics, qui compte parmi ses membres de nombreux Premiers ministres travaillistes britanniques et des intellectuels de renom.
Cependant, c’est aux États-Unis que se produira le développement massif des premiers proto-think tanks (qui n’en partagent encore ni les caractéristiques ni le nom) au début du XXe siècle. On considère qu’ils sont apparus en trois vagues successives, avec des modèles et des objectifs différents24.
La première vague apparaît au même moment que l’institutionnalisation de la statistique et des sciences sociales en Europe et aux États-Unis, perçus comme autant d’outils capables de contribuer à résoudre les problèmes dans un contexte où se renforce le rôle économique et social de l’État. Des fondations philanthropiques financées par des grands groupes américains, telles que les fondations Rockefeller25, Ford, Carnegie vont permettre l’éclosion de plusieurs organisations qui prennent la forme de centres de recherche en sciences sociales et en politiques publiques. L’objectif des organisations est de mettre à profit, pour le plus grand nombre, l’ingénierie sociale qui apparaît concomitamment à l’institutionnalisation des sciences humaines à l’université. Parmi ces nouvelles organisations certaines vont se distinguer par leur capacité à perdurer dans le temps, particulièrement l’Institute for Government Research, qui se transforme en Brookings Institution en 1927, et des centres de réflexions en matière d’affaires étrangères comme le Carnegie Endowment for International Peace en 1910 ou le Council on Foreign Relations, traitant des relations internationales, en 1921.
Une deuxième vague d’éclosion de think tanks s’opère au cours et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec des organismes de recherche opérationnelle destinés à répondre à des commandes du gouvernement américain (notamment de son armée), comme le Center for Naval Analyses (1942), le Hudson Institute (1961) ou encore le Commitee on Present Danger destinés à lutter contre le communisme. À l’origine issue de la recherche en organisation de l’US Army, la Rand Corporation a fait partie des plus grosses organisations, notamment dans son modèle « commercial » de réalisation d’études commandées par les pouvoirs publics. Celles-ci constituent par ailleurs aujourd’hui 74% de ses ressources26. L’idée est alors de sortir la « recherche en sciences sociales de sa tour d’ivoire » – pour reprendre le nom d’un rapport rendu à l’Unesco27 – et se démarquer de la recherche universitaire en proposant des solutions plus opérationnelles28. Ainsi de nombreuses réformes d’après-guerre aux États-Unis sont-elles réalisées sous l’impulsion des think tanks, qui sont peu à peu perçus par les décideurs publics comme un moyen de puiser des idées de réformes clefs en main dans des organisations comprenant des intellectuels prestigieux : les réformes de Johnson avec sa Great Society (avec des mesures proposées par l’Urban Institute), l’emploi de la théorie des jeux et des ordinateurs dans le secteur atomique (Rand) ou la cyberstratégie et la cyberdissuasion (Rand) ne sont que quelques exemples de cette nouvelle tendance29.
Une troisième phase d’apparition de ces centres de recherche se situe dans les années 1960-1970 et elle est marquée par la politisation des think tanks. Si les générations précédentes se caractérisaient par leur volonté d’objectivité, les advocacy tanks qui vont naître durant cette période ont pour objectif la diffusion de valeurs et d’idéologie particulières, et ce sont celles qui dominent aujourd’hui à Washington. Ce sont majoritairement des think tanks libéraux et néoconservateurs qui voient le jour, tels le Hudson Institute (d’obédience néoconservatrice), la Heritage Foundation (d’obédience conservatrice, fondée en 1973 par deux assistants parlementaires républicains, Paul Weyrich et Edwin J. Feulner Jr.) et le Cato Institute (clairement libertarien). Les fondateurs de ces think tanks ont décidé en créant ces institutions, toujours actives aujourd’hui, de livrer une véritable « guerre culturelle30 » afin de lutter contre les universitaires et les technocrates liberals31, accusés de distiller des idées à l’encontre de la culture occidentale traditionnelle et de s’en prendre à la libre entreprise. Reprenant à leur compte l’idée développée par l’intellectuel marxiste italien Antonio Gramsci, ils considèrent que pour remporter le combat politique il faut avant tout remporter le combat culturel au sein de la société civile, rôle qui incombe aux intellectuels. L’idée est alors de créer aux États-Unis des structures en dehors des universités, avec l’aide d’une partie du patronat (comme la fondation Ford qui versa 300.000 dollars à l’American Enterprise Institute dans les années 1970), de dons privés d’entrepreneurs ou de particuliers via le « mailing direct32 », c’est- à-dire l’envoi de courriers à des particuliers pour solliciter leurs dons. Troy Tevi33 explique par ailleurs que la gauche américaine, traditionnellement très forte dans le milieu universitaire, négligea les think tanks et le paya électoralement à plusieurs reprises. Alors que la droite, moins à l’aise sur les campus où les idées progressistes étaient mieux acceptées, se construisit des organisations intellectuelles à même de porter ses idées en les appliquant à l’actualité politique et économique du moment.
On le comprend, les think tanks américains se sont constitués en plusieurs couches successives en fonction de contextes historiques bien spécifiques et avec des modèles institutionnels différents (centres de recherche en sciences sociales, organismes répondant à des contrats, puis organisations défendant des causes politiques). La survie de ces différents think tanks explique la diversité, voire le foisonnement de ce type d’acteurs de la société civile à Washington DC, où leurs locaux voisinent ceux des décideurs politiques de premier plan.
Le rôle des think tanks dans le débat public américain aujourd’hui
Thomas Medvetz, Think tanks in America, op. cit. p. 120.
cet aspect a été présenté par dan Mitchell, du cato institute, lors de notre entretien, comme l’un des plus importants.
Thomas Medvetz, Think tanks in America, op. cit.
Ibid., p. 148.
Thomas Medvetz, Think tanks in America, op. cit.
Andrew Rich et Richard Weaver, « think tanks in the Us media », The Harvard International Journal of Press/Politics, 2000, vol. 5, no 4, 2000, p. 81-103.
L’objectif des think tanks est de produire de la recherche et une expertise qui soient de nature à avoir un impact sur le débat public à destination de trois types d’acteurs : les médias, les acteurs politiques et les citoyens. C’est particulièrement le cas aujourd’hui où la plupart sont des advocacy tanks qui n’attendent pas de recevoir des commandes de la part des autres acteurs politiques, mais essaient au contraire de prendre l’initiative et de proposer leur expertise et des solutions aux problèmes avant qu’on les sollicite. Ils exercent ainsi un véritable lobbying intellectuel. Pour ce faire, plusieurs formes d’actions sont privilégiées par les think tanks américains :
- alimenter les parlementaires de notes concises (policy briefs) qui doivent pouvoir être lues le temps d’un trajet en taxi de leur bureau à l’aéroport34 ou alors des lettres confidentielles destinées aux initiés proches de ces think tanks (comme le Cato Policy Report) ;
- publier des livres à partir de leurs maisons d’édition. Les think tanks les plus importants, notamment la Brookings Institution, ont leur propre maison d’édition afin de permettre à leurs experts de faire connaître leurs recherches les plus académiques. Par exemple, durant le mois de février 2014, Brookings a publié aussi bien des livres sur le rôle de la Maison-Blanche dans l’attribution de subventions publiques, sur l’avenir des relations franco-allemandes que sur l’avenir de la défense américaine (préfacé par le célèbre universitaire Joseph Nye)35 ;
- rencontrer directement les parlementaires et membres du pouvoir exécutif pour exposer leur point de vue et leurs analyses36 ;
- organiser des conférences publiques avec d’autres partenaires pour attirer l’attention des médias et des acteurs politiques sur un sujet. Ce fut par exemple le cas en 2004, quand huit think tanks de différentes obédiences ont organisé une conférence sur la fiscalité37 ;
- rédiger des manuels de transition gouvernementale qui indiquent clairement la ligne à suivre au candidat fraichement élu. C’est la Heritage Foundation qui est à l’origine de cette méthode d’influence politique avec son Mandate for Leadership remis à Ronald Reagan en De même, le Progressive Policy Institute a remis en 1992 son Mandate for Change à Bill Clinton ;
- placer leurs experts au sein de l’administration nouvellement élue (cet aspect sera principalement évoqué dans la seconde partie de cette note) ;
- faire passer leurs experts dans les médias, en s’adaptant à leur format concis. L’idée est de faciliter la tâche des journalistes en leur fournissant des informations synthétiques. Le titre d’une note d’un think tank, « Nous faisons la recherche afin que les reporters n’aient pas à la faire », est assez significatif de la symbiose qui existe entre les médias et les think tanks américains38.
Plus récemment, les années 2000 ont vu une nouvelle vague d’éclosion de think tanks liés à des mouvances politiques désireuses de réagir à leurs défaites électorales, notamment en créant des think tanks d’un nouveau type parfois appelés do tanks. Plus militants, parfois plus intellectualisés ou parfois plus « mass media », ceux-ci étaient souvent vus comme des armes dans la reconquête des idées et des électeurs. Le Center for American Progress (2003), proche des démocrates, et e21 (economics 21), proche des républicains, entrent par exemple dans cette catégorie. Ces do tanks bousculent l’univers institutionnel de la fabrique des idées et des politiques publiques. Moins académiques que les think tanks, bien plus orientées marketing, elles ont des effectifs moins tournés vers la recherche et davantage vers l’action de terrain. C’est ce que démontrent les observations de Troy Tevi : les think tanks créés avant 1960 ont 53% de docteurs ; ceux entre 1960 et 1980, 23% ; et ceux apparus après 1980, seulement 13%. Thomas Medvetz a également dressé un portrait de la composition des principaux think tanks et la part de docteurs en leur sein39. Il remarque que la proportion de docteurs est extrêmement variable d’un think tank à l’autre et que ceux qui en comprennent le plus sont ceux créés dans les années 1970, les plus gros et les plus anciens. Les think tankers ont un haut niveau d’études, une majorité d’entre eux étant titulaires d’un master, avec parfois le grade de docteur.
On remarque que la fonction d’un think tank peut globalement être corrélée à sa proportion de docteurs. Certains comme le Competitive Enterprise Institute sont davantage des do tanks, avec seulement 10% de docteurs. Le Competitive Enterprise Institute organise notamment des opérations coups de poing afin de diffuser ses idéaux capitalistes (opérations grassroots, c’est-à-dire provenant de la base et destinées à toucher directement les citoyens). À l’inverse la Brookings Institution, composée pour deux tiers de docteurs, vise à travers des publications académiques un public plus élitiste (responsables politiques, journalistes, dirigeants économiques…).
Pour s’adapter à ces nouvelles pratiques qui consistent à ne plus se contenter de la production de rapports ou des notes, les principaux think tanks ont d’ailleurs créé en leur sein des structures plus militantes et plus grassroots. Par exemple, Heritage a créé en 2010 Heritage Action, son do tank orienté sur la promotion activiste des idéaux conservateurs ; American Enterprise Institute a créé de nouveaux programmes éducatifs ; Hudson a créé Hertog Program @ Hudson, dont l’objectif est de former activement des jeunes aux enjeux politiques ; émanation du parti démocrate, le National Democratic Institute a pour objectif de promouvoir activement la démocratie dans le monde. Parfois, ces do tanks peuvent être plus indépendants de partis politiques et plus vindicatifs comme le libertarien Freedom Works, qui organise des actions militantes virulentes, dans le sillage du mouvement du Tea Party.
La question de l’influence réelle de ces acteurs est centrale dans l’analyse. On pourrait multiplier les exemples de leurs rapports qui ont été repris au Congrès ou citer les auditions de think tankers. On sait que leur influence est inégale selon leur idéologie : les organisations « neutres » et plus académiques comme la Brookings Institution ont le plus de visibilité médiatique dans les principaux journaux nationaux, suivies des organisations conservatrices, puis de celles de gauche40. Mais une étude récente analyse un autre aspect particulièrement intéressant des think tanks qui est leur capacité à toucher les citoyens sur le Web, à attirer l’attention des médias et leur capacité à susciter des recherches reprises par les universitaires. Le tableau ci-dessous a été réalisé par une équipe du Center for American Development et concerne les principaux think tanks américains.
tableau 3 : impact des principaux think tanks américains
Source :
center for Global development, “cato tops new cGd index of think tank Profile”, 13 janvier 2013. cf. http://www.cgdev.org/blog/cato-tops-new-cgd-index-think-tank-profile.
Michael P. Allen, « elite social Movement organizations and the state: the Rise of the conservative Policy- Planning network », Research in Politics and Society, no 4, 1992, p. 87-109, et v. Burris, « elite Policy-planning networks in the United states », Research in Politics and Society, no 4, 1992, p. 111-134.
En premier lieu, l’impact global de l’ensemble de ces think tanks est frappant, avec en moyenne 105.000 personnes qui les suivent sur les réseaux sociaux. Cela démontre leur capacité à s’adapter aux nouveaux moyens de communication et à parler largement aux citoyens. Les inégalités demeurent toutefois importantes d’une organisation à l’autre, ce qui révèle des différences d’objectifs importants : par exemple, avec plus de 765.000 personnes qui la suivent en ligne, la Heritage Foundation affiche sa volonté de vouloir passer par le « citoyen moyen » pour influencer la demande politique. De même, les mentions dans les médias et le monde académique sont importantes : sur une année, les vingt think tanks américains les plus importants sont en moyenne cités plus de trois mille fois dans les médias et environ quatre cent cinquante fois dans des publications académiques. Une fois de plus, on remarque des écarts significatifs entre les différentes organisations : la Brookings Institution sort du lot par ses passages médias, deux fois plus importants que ceux de la Heritage Foundation ou trois fois que son concurrent de gauche, le Center for American Progress. La relative faiblesse de la Brookings Institution sur le Web et sur les réseaux sociaux, et, à l’inverse, son audience auprès des médias et des universitaires témoignent du caractère élitiste de l’institution dont le travail est principalement destiné aux décideurs (offre politique). On retrouve les différents types de think tanks évoqués en regardant la différence qui peut exister entre les advocacy tanks, dont le but est directement d’influencer le pouvoir et l’opinion publique à travers des passages médias (dimension de pouvoir), et les think tanks qui répondent à des contrats de recherche comme l’Urban Institute, peu repris dans les médias mais largement cité dans le champ universitaire (dimension de savoir).
Par ailleurs, plusieurs travaux de chercheurs41 ont montré le poids et l’importance des think tanks dans la constitution des programmes politiques. Pour eux, les politiques publiques sont majoritairement imaginées en dehors de l’administration et du gouvernement américain.
Les think tanks français : une institutionnalisation lente et difficile
Jean-Michel eymeri-douzans, « les cabinets ministériels », Regards sur l’actualité, no339, 2006, p. 63-73.
Catherine Fieschi et John Gaffney, « french think tanks in a comparative Perspective », in diane stone, Andrew Denham et Mark Garnett (dir.), Think tanks across nations : a comparative approach, Manchester, Manchester University Press, 42-58.
Stephen Boucher et Martine Royo, Think Cerveaux de la guerre des idées , op. cit.
James McGann, 2013 Global Go To Think Tanks Report and Policy Advice, op. cit.
Dorota Dakowska, « les fondations politiques allemandes : des courtiers de la politique étrangère », Ceriscope, 2013.
Richard kuisel, Le Capitalisme et l’État en France. Modernisation et dirigisme au XXe siècle, trad. André Charpentier, Paris, Gallimard, 1984.
Étant, comme nous l’avons vu, d’origine américaine, le concept de think tanks et le modèle démocratique qui en découle sont liés à l’histoire politique et sociale des États-Unis. Les différences philosophiques sont importantes entre le modèle américain, dont Alexis de Tocqueville constatait déjà la vigueur au XIXe siècle, et le modèle politique français jacobin. Une seconde différence majeure, issue de cette différence de conception philosophique, est de nature institutionnelle. En effet, alors que les États- Unis se caractérisent par une faible structure administrative (héritage des Pères fondateurs qui craignaient la concentration des pouvoirs), la France est un pays dans lequel l’État conserve un certain monopole sur les expertises savantes en matière de prospective politique. Ainsi de nombreuses institutions telles que l’Insee, le Conseil économique, social et environnemental, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective ou la Cour des comptes produisent une bonne part de l’expertise. Les rôles de « conseillers du Prince » qu’exercent ces organisations à composition homogène ainsi que le rôle de vivier de recrutement de grandes écoles d’État comme l’ENA sont autant de facteurs qui expliquent que le personnel politique français ait moins ressenti dans le passé le besoin de l’expertise des think tanks. De plus, le rôle particulier et essentiel joué par les cabinets ministériels en France42, véritables « boîtes à idées » des ministres, remplace parfois celui des think tanks, tant et si bien que des chercheurs anglo-saxons considèrent que la forme la plus proche des think tanks en France serait justement ces fameux cabinets43. En dépit des limites inhérentes à l’implantation des think tanks en France et aux problèmes que pose la comparaison, notre objectif est ici d’analyser comment s’est diffusé ce mode d’organisation dans le contexte national français depuis les années 1960-1970 jusqu’à aujourd’hui.
La difficulté à l’identification d’équivalents français des think tanks est liée à leur faible budget, à leur retrait par rapport aux cabinets ministériels ou aux organismes de réflexion publics, et à leur faible indépendance vis- à-vis de l’État et son administration en raison du financement largement public de ces organismes. Avec 160 think tanks, contre 190 en Allemagne, 300 en Grande-Bretagne, et 1.500 aux États-Unis, la France compte un effectif relativement faible. Par ailleurs, ceux-ci sont souvent de taille relativement réduite. La plupart disposent d’un effectif très contraint (1 à 5 permanents), principalement dédié aux tâches administratives ou communicationnelles, d’un budget inférieur à 1 million d’euros et d’une influence relativement limitée44. Dans son classement annuel45, l’équipe dirigée par James G. McGann analyse la plupart des think tanks mondiaux et élabore un classement de ceux-ci au regard de différents critères. Les structures françaises y sont particulièrement mal classées.
Le classement des think tanks aux propositions et idées les plus innovantes met l’Ifri, premier français, à la 22e place mondiale. Le classement des meilleurs utilisateurs du Web comme vecteur de communication n’illustre aucun think tank français dans les quarante premiers. Celui sur les plus influents en matière de politiques publiques n’inclut aucune organisation française parmi les soixante-cinq premières…
Fidèles à leur tradition nationale de think tanks rattachés aux partis politiques, les Allemands s’illustrent particulièrement dans le classement des meilleurs think tanks affiliés aux partis, en remportant les trois premières places. Même si le modèle allemand est bien différent de celui développé aux États-Unis, ces fondations politiques ont une influence considérable. Leurs moyens, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, leur permettent d’exercer un pouvoir diplomatique à part entière, notamment en Amérique latine46.
Historiquement, la France a connu un quasi-monopole étatique de l’expertise publique : toutes les grandes idées, analyses, études, recherches, rapports, propositions provenaient de l’appareil d’État ou de ses avatars (conseils, commissions, universités ou grandes écoles publiques, etc.). La centralisation de l’État et la reconstruction à la suite de la Seconde Guerre mondiale imposèrent les hauts fonctionnaires et experts d’État planistes comme seuls acteurs possibles dans l’élaboration de solutions politico- économiques47.
Un développement relativement tardif et en plusieurs vagues
Janine Mossuz, Les Clubs et la politique en France, Paris, Armand Colin, 1970.
Claire Andrieu, Pour l’amour de la République : le Club Jean-Moulin, 1958-1970, Paris, fayard, 2002.
sur la genèse et le développement de ce think tank néolibéral et, plus généralement, sur l’importation des idées de friedrich hayek et de Milton friedman en france, voir kevin Brookes, « le rôle des clubs et des réseaux d’intellectuels libéraux dans la diffusion du néo-libéralisme en france. le cas de l’alePs et du groupe des nouveaux Économistes », communication à la section thématique 57 de l’association française de science politique (afsP), 2013.
Paul lagneau-Ymonet « Une fondation de l’UMP pour promouvoir libéralisme et social-libéralisme », Mouvements, no 35, 2004, p. 24-32.
Contrairement à ce que laissent penser certains commentateurs ou universitaires anglo-saxons, la relation de la France aux think tanks ne se limite pas à un phénomène d’importation de ces nouveaux types d’organisations politiques. Il a existé une tradition nationale des clubs, des sociétés de pensée exerçant des fonctions qui leur étaient proches. Depuis les salons littéraires et philosophiques du XVIIIe siècle aux clubs révolutionnaires (comme le club des Jacobins ou le club des Feuillants) jusqu’au foisonnement des clubs politiques des années 196048, il existe bien une tradition française d’organisations proches du modèle des think tanks. En effet, elles se situent également à la frontière entre savoir et pouvoir, et ont pu exercer certaines fonctions modernes de think tanks, notamment en tant que vivier de recrutement pour le personnel politique (comme le Club Jean-Moulin49) ou même idéologique (nombreux clubs gravitant autour des partis de gauche). Cependant, plusieurs éléments les différencient des think tanks, notamment sur les questions de l’indépendance de ces structures et de leur professionnalisation, ainsi que leur capacité à formuler des mesures politiques précises.
À la première vague d’apparition des clubs dans les années 1960, nous pouvons en ajouter une seconde qui apparaît dans les années 1980, avec toute une série de clubs et d’associations de réflexions à droite de l’échiquier politique, créés directement en réaction à l’arrivée du Parti socialiste au pouvoir. Leur objectif est, à l’instar des think tanks américains conservateurs, de mener la guerre idéologique contre la gauche. C’est clairement l’objectif de clubs comme le Club de l’Horloge d’Yvan Blot, dont l’objectif est de travailler au renouvellement doctrinal de la droite, ou le Club 89, proche du RPR, qui suit avec attention la révolution conservatrice américaine. Certaines associations encore plus idéologiques sont liées à des organisations internationales de promotion de la pensée libérale, comme l’Association pour la liberté économique et le progrès social (Aleps), proche d’Alain Madelin, et visent à diffuser les idées de Friedrich Hayek et Milton Friedman en France, tout comme les think tanks libéraux américains qui font alors office de modèle50.
C’est aussi à cette époque qu’est née la Fondation Saint-Simon, qui adopte certains traits caractéristiques des think tanks : financement par des entreprises, production de notes brèves, volonté d’infléchir le climat politique général, etc.
Une dernière vague apparaît au cours des années 1990 et 2000. Il s’agit d’émanations plus ou moins officielles de partis politiques : la Fondation Jean-Jaurès (proche du PS), Terra Nova (proche du PS), la Fondation Gabriel-Péri (proche du PCF). Liés aux partis politiques, mais ayant depuis complètement pris leur indépendance idéologique et financière, certains think tanks décident de réfléchir « en dehors de la boîte » des grands partis en crise idéologique en s’inspirant de modèles étrangers et de recherches innovantes en sciences sociales (la Fondation pour l’innovation politique/ Fondapol, originellement suscitée par l’UMP, en est un exemple51).
À côté de ces think tanks de partis politiques, plusieurs institutions politiquement et organiquement indépendantes, de taille relativement importante (dont le budget est supérieur à 1 million d’euros), disposent aujourd’hui d’une certaine aura auprès des responsables politiques, des médias, des intellectuels et universitaires, et, dans une moindre mesure, du grand public. Il s’agit d’institutions qui s’apparentent à des advocacy tanks, comme l’Institut Montaigne, l’Institut de l’entreprise, la Fondation Concorde, etc.
Les années 2000 connaissent un regain de l’activité des think tanks en France par la création de structures plus importantes, par une attention médiatique accrue, mais aussi une institutionnalisation progressive depuis l’organisation du 1er Forum des think tanks organisé à Paris le 6 novembre 2010.
Les barrières au développement des think tanks en France
Lucile Desmoulin, « French Public Policy Research institutes and their Political impact as another illustration of the french exception », in James McGann et Richard kent Weaver (dir.), op. cit., p. 139-168 ; Catherine Fieschi et John Gaffney, « French think tanks in a comparative Perspective », art. cit., p. 42-58.
Lucile Desmoulin, « French Policy Research institutes and their Political impact as another illustration of the french exception », cit., p. 149 (traduction en français par les auteurs de la note).
Certains think tankers qui nous ont rencontrés nous ont fait part de leur frustration d’être reçus par des hauts fonctionnaires dans les ministères sans être entendus.
sur la distinction entre « intelligence » et « intellect » et entre « expert » et « intellectuel », voir seymour Martin lipset et asoke Basu, « des types d’intellectuels et de leurs rôles politiques », Sociologie et Sociétés, 1975, 7, no 1, p. 51-90.
Une caractéristique est frappante dans les études existantes sur les think tanks français : c’est l’idée d’« exception française 52 ». Cette exception reposerait sur la faiblesse de ce type d’organisations, qui est loin de constituer comme aux États-Unis une communauté professionnelle identifiée. Les think tanks français se caractérisaient par leurs faibles moyens et leur faible audience face à des organisations concurrentes, tels les cabinets ministériels peuplés de hauts fonctionnaires ou des organismes de recherche publics comme le CNRS. Cette faiblesse s’illustre notamment par le fait que la plupart des chercheurs des think tanks vivent principalement de leur activité d’enseignant dans les universités publiques ou dans des établissements privés.
Une première difficulté à laquelle doivent faire face les think tanks français est d’ordre juridique : il existe une variété de statuts pour définir les règles qui les régissent. Un think tank peut être une association loi 1901, une association reconnue d’utilité publique ou encore une fondation reconnue d’utilité publique qui garantit une certaine pérennité dans le temps en touchant des subventions publiques (c’est ainsi le cas de la Fondation Robert Schuman, de la Fondation Gabriel Péri, de la Fondation Jean- Jaurès, de la Fondation pour l’innovation politique, de la Fondation Res Publica et de la Fondation de l’Écologie politique). Cependant, ce statut de fondation d’utilité publique est difficile à obtenir et les organisations en bénéficiant se doivent d’exercer un devoir de réserve en période électorale et doivent rendre régulièrement compte à l’administration de leur activité. Pour obtenir un statut d’association d’utilité publique, qui présente lui aussi des avantages, le think tank doit faire l’objet d’une période de probation de trois ans par le Conseil d’État. Contrairement aux États-Unis, il n’y a donc pas un statut propre pour les think tanks, et la plupart ne répondent pas au critère d’indépendance évoqué par les acteurs outre-Atlantique, en raison de leur dépendance vis-à-vis des subventions publiques.
Une deuxième difficulté que doivent affronter les think tanks français est d’ordre institutionnel. Comme l’écrit Lucile Desmoulins, « la culture française du service public ne crée pas la fenêtre d’opportunité pour la participation d’instituts de recherche en politiques publiques dans le processus de décision. La plupart des décideurs ne se tournent qu’occasionnellement vers les think tanks indépendants pour l’expertise, car ils ont déjà une source d’experts dans différents secteurs disponibles au sein de la fonction publique53 ». Il y a un certain effet d’éviction à cause de la présence d’une fonction publique importante, qui se considère compétente par elle-même et qui ne ressent pas la nécessité de se tourner vers les think tanks pour alimenter sa réflexion54. John Gaffney, voulant comparer les think tanks anglais (qui jouèrent un rôle clef dans la préparation et la mise en œuvre de la révolution thatchérienne) aux think tanks français, en est venu à conclure que ce sont au sein des cabinets ministériels que la plupart des décisions sont prises en France. Ceux-ci sont notamment peuplés de personnes issues de la fonction publique, dont le degré d’influence est directement fonction de l’identité des directeurs de services des différents ministères. Bref, les think tanks issus de la société civile sont exclus du processus décisionnel.
Enfin, une dernière barrière contribue à expliquer pourquoi les think tanks peinent à obtenir une place de premier plan dans le débat public : la tradition culturelle valorisant les intellectuels publics. À l’inverse des think tanks qui sont des organisations collectives mettant au service du débat des savoirs appliqués issus des sciences sociales, la France a longtemps été dominée par le modèle de l’« intellectuel total », à l’instar de Jean-Paul Sartre ou Raymond Aron. Ces intellectuels participent individuellement au débat et les médias français comme l’opinion publique ont tendance à les considérer comme des agitateurs, des conseillers du Prince ou des défenseurs des opprimés. La figure de l’expert du think tank qui mobilise son intelligence à des fins collectives afin de servir une cause précise (par exemple la flat tax) s’oppose donc à la vision française prophétique de l’intellectuel qui mobilise son intellect à des fins spéculatives pour disserter sur les grands principes qui devraient animer l’action politique55. Cette tradition explique que lorsque des figures intellectuelles de think tanks sont invitées sur un plateau de télévision, on les présente plutôt comme des intellectuels ou des universitaires plutôt que comme des think tankers. Ce sont donc à la fois pour des raisons juridiques, institutionnelles et culturelles que nous proposons d’expliquer cette faiblesse des think tanks en France. Cependant, ces derniers se sont multipliés ces dernières années et leurs moyens et visibilité se sont accrus.
Les principaux think tanks français et leur impact aujourd’hui
tableau 4 : les principaux think tanks français
il a été demandé aux think tanks l’information sur leur budget 2012. elles ont répondu à l’exception d’europanova qui a donné l’information sur le budget 2013.
Marc Patard, La Démocratie entre expertise et influence : le cas des think tanks français (1979-2012), op. cit.
Weronika Zarachowicz, « l’influence des think tanks, cerveaux des politiques », télérama, no 3231, 16 décembre 2011, et Pierre Jaxel-truer et sophie landrin, « faut-il avoir son think tank pour gagner la présiden- tielle ? », Le Monde, 19 janvier 2011.
Richard cockett, Thinking the Unthinkable. Think-Tanks and the Economic Counter-Revolution, 1931-1983, londres, harper collins, 1995 ; Richard Cockett, « ’Blueprint for a revolution’? the politics of the adam smith institute », Contemporary British History, 1996, 10, no 1, p. 73-87.
Dorota Dakowska, « Les fondations politiques allemandes : des courtiers de la politique étrangère », art. cit.
Cette liste, non exhaustive, pourrait être complétée par des think tanks spécialisés sur les questions économiques (Institut de recherches économiques et fiscales, Institut économique Molinari, etc.), sur le numérique (Club Jade), sur le sport (Sport & Citoyenneté) et bien d’autres secteurs.
Bien que la plupart des think tanks aient été créés récemment, on peut observer dans le tableau ci-dessus que certains d’entre eux parviennent à recruter du personnel à temps plein. Cela marque une certaine professionnalisation, qui les rapproche peu à peu de l’écosystème des think tanks américains. Dans sa thèse56, Marc Patard caractérise cette professionnalisation progressive des salariés de think tanks en les considérant même comme « un nouveau personnel qui ne dit pas son nom », se dotant des mêmes caractéristiques que les professionnels de la politique avec une fréquentation des lieux de pouvoirs, une contribution à la construction de programmes électoraux, etc. Ces organismes se sont développés afin de trouver une place en se démarquant d’une administration jugée « sclérosée », d’une université dont les recherches sont jugées inaccessibles et loin des enjeux politiques du moment, et à l’encontre des professionnels politiques trop préoccupés par les enjeux électoraux pour occuper une fonction de réflexion. Ce chemin emprunté vers un renforcement institutionnel des think tanks est bien illustré par la naissance du 1er Forum des think tanks, en 2010, et la création de l’Observatoire français des think tanks qui remet dorénavant chaque année un « trophée des think tanks ».
Le paysage français des think tanks est donc diversifié, financièrement fragile, mais semble en constante mutation. Ce dernier phénomène peut s’illustrer par différents exemples très récents :
- des think tanks spécialisés sur des thématiques jusqu’alors peu traitées apparaissent : ainsi le Club Jade, fondé en 2009, est pleinement consacré aux problématiques du Web et du numérique (big data, open data, e-democratie, gouvernance numérique, crowdfunding, etc.). L’organisation Sport & Citoyenneté est pour sa part spécialisée sur les questions de la place du sport dans la société et sur l’analyse des politiques publiques liées au sport ;
- à l’instar des États-Unis, des organisations de type do tanks tentent d’émerger et de peser dans le champ de l’analyse des politiques publiques. Initialement créé comme un do tanks, le Club Jade en est un exemple. Il organise, entre autres, des hackatons (marathons de la programmation) afin de soutenir des causes humanitaires. La branche française de l’Open Knowledge Foundation a été fondée en 2012, avec pour but de militer et réfléchir au monde de l’open data ;
- en quelques années, des acteurs de taille et surtout d’influence importante, relativement au monde des think tanks français, sont apparus. Terra Nova, fondée en 2008, fait partie de cette jeune génération de think tanks ;
- traditionnellement financés par les entreprises et les pouvoirs publics, certains think tanks français testent de nouveaux modes de financement. Ainsi, s’inspirant d’autres acteurs économiques (start-up, projets humanitaires…), ils tentent de profiter du mouvement de désintermédiation de la finance, incarné par le crowdfunding. Cartes sur table, fondé en 2012, se finance principalement grâce à ce dispositif.
Leur impact, bien que croissant, demeure comparativement limité57. En effet, dans certains autres pays européens, les think tanks ont une influence beaucoup plus importante, que cela soit dans le changement du paradigme dominant des élites politiques (cas de la diffusion du néolibéralisme au Royaume-Uni58) ou pour jouer un rôle d’influence au-delà de leurs frontières (cas des fondations allemandes qui mènent une lutte des idées dans d’autres pays59).
L’impact des think tanks français se manifeste de trois manières :
- l’influence sur les décideurs publics, qui peut s’exercer sur les programmes de partis politiques ou, par la suite, lors de débats législatifs ;
- l’influence exercée auprès de l’opinion publique, principalement via les médias grand public ;
- la capacité à faire recruter leurs experts à des postes stratégiques (cabinets ministériels, commissions, haute administration, ).
Influence exercée sur les décideurs politiques et leur programme
cf. www.ifrap.org/la-fondation-ifRaP,3.html (site consulté le 25 février 2014).
Joseph confavreux et Jade lindgaard, « l’hémisphère droit. comment la droite est devenue intelligente. », Mouvements, 2007, no 52, no 4, p. 13-34.
frédéric Martel et Martin Messika, « la machine à idées de sarkozy », seconde partie, 12 décembre 2007, site nonfiction.fr.
« le gouvernement s’appliquera la règle d’or, même si l’opposition ne la vote pas », Le Monde.fr, 1er septembre 2011.
Il s’agit de la raison d’être des think tanks : influencer les politiques publiques. À cet effet, l’infusion de leurs travaux dans les programmes des partis politiques se révèle être une nécessité. Il semble acquis que les principaux partis de gouvernement s’organisent pour tirer un minimum partie de l’expérience de ces avatars de l’expertise en matière de politiques publiques. Plusieurs pratiques illustrent cette réalité. Tout d’abord, le mode de fonctionnement de think tanks défendant des causes se rapprochant des advocacy tanks américains :
- l’Institut Montaigne revendique un rôle traditionnel exercé par les think tanks américains : élaborer des propositions législatives livrées clés en main aux parlementaires qui les reprennent. Ils considèrent que bon nombre de leurs propositions ont été reprises depuis la création de l’Institut. La Charte de la diversité fait partie des plus connues ;
- l’Ifrap, autre think tank se rapprochant de ce modèle des advocacy tanks, considère avoir « fait passer » dans la législation les mesures suivantes : la création d’un Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques à l’Assemblée nationale ; la fin du monopole de l’ANPE ; la déduction d’ISF pour les investissements dans les PME ; les sociétés de capitaux à transparence fiscale (SCT) ; l’ouverture du recrutement des directeurs d’hôpitaux publics aux diplômés du privé ; l’inscription de l’obligation de transparence pour le financement des syndicats dans la loi60.
Autre tendance reflétant un certain impact des think tanks français : une participation accrue lors des campagnes électorales. La campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, basée sur le principe de rupture, devait proposer des projets innovants. À cet effet, Emmanuelle Mignon, proche conseillère du futur président, fut chargée d’un vaste travail de coordination, d’analyse de projets de réformes et de conception de propositions politiques novatrices. Les think tanks furent sollicités, mais il semble que la conception du programme de Nicolas Sarkozy se soit davantage apparentée à un brain trust (constitution temporaire d’un groupe d’experts) composé de hauts fonctionnaires et d’intellectuels issus d’horizons très divers61. Cependant, Emmanuelle Mignon s’est alimentée de la production d’études et de livres de think tanks : elle a par exemple déclaré avoir « lu tous les livres » de la collection « La République des idées » (dirigée par Pierre Rosanvallon)62.
Le Parti socialiste organisa, en vue du scrutin présidentiel de 2012, un véritable travail collaboratif avec des think tanks et experts. Le programme du candidat Hollande se basa pour bonne part sur ces travaux de commissions. Parmi toutes les organisations contributrices, une semble avoir particulièrement eu un impact sensible : Terra Nova qui, sous la direction d’Olivier Ferrand, a influé au plus haut niveau. Le Parti socialiste a par ailleurs créé en son sein le Laboratoire des idées, véritable centre d’études interne, également chargé de centraliser et de regrouper les expertises de think tanks proches idéologiquement.
L’UMP, sous l’égide de Jean-François Copé, avait demandé aux think tanks orientés à droite de travailler sur certains sujets précis, notamment sur la laïcité, la compétitivité et la justice sociale. Cela dans une optique de renforcer le programme du président-candidat Sarkozy. L’UMP a créé en 2011 en son sein un conseil des think tanks, censé permettre de tirer profit des principaux travaux de ces laboratoires d’idées, mais l’initiative a été jugée cosmétique par des protagonistes.
Nous pouvons citer deux exemples récents de mise à l’agenda politique dont la paternité est à attribuer clairement aux think tanks. Il s’agit tout d’abord de la primaire socialiste pour la désignation du candidat à l’élection présidentielle de 2012, proposée par Terra Nova. En effet, un groupe de travail, principalement constitué d’universitaires, a d’abord défendu ce principe devant les médias, qui fut ensuite soumis en 2009 au vote des militants. Un autre exemple d’influence (et qui a généré des polémiques, notamment avec des personnalités de gauche) sur le PS est sa note sur la stratégie électorale que devait choisir le parti pour l’élection présidentielle de 2012. Dans la note « Gauche, quelle majorité pour 2012 », publiée le 10 mai 2012 (signée Bruno Jeanbart et Olivier Ferrand), il est écrit que « la volonté pour la gauche de mettre en œuvre une stratégie de classe autour de la classe ouvrière, et plus globalement des classes populaires, nécessiterait de renoncer à ses valeurs culturelles, c’est-à-dire de rompre avec la social-démocratie ». Cette stratégie a fait l’objet d’une polémique et de débats entre différents acteurs politiques et intellectuels proches du PS. Un autre exemple d’un think tank ayant influencé la campagne présidentielle de 2012 est la Fondation pour l’innovation politique et son idée de « règle d’or » en matière budgétaire. Faisant suite à plusieurs notes sur la question de la dette publique, Jacques Delpla a signé une note de 70 pages, reprise ensuite par la ministre du Budget de l’époque Valérie Pécresse, qui déclare « le gouvernement continuera à s’appliquer la règle d’or, même si l’opposition ne la vote pas63 », tandis que beaucoup d’hommes politiques à droite ont réagi favorablement à la proposition. Ce débat polémique autour de la règle d’or budgétaire a ainsi constitué l’un des enjeux de l’élection présidentielle de 2012.
Influence sur l’opinion
L’univers médiatique est probablement celui dans lequel les think tanks français se sont le plus distingués ces dernières années. En effet, les médias généralistes grand public ont réalisé depuis une petite dizaine d’années l’intérêt et la qualité des travaux menés par les think tanks. Couplé à une créativité et à une professionnalisation croissante, ce phénomène a permis l’apparition régulière de ces acteurs traditionnellement atypiques dans la presse écrite, télévisuelle et radiophonique, et sur le Web :
- plusieurs chaînes de radio ou de télévision ont créé des émissions faisant intervenir systématiquement des experts et dirigeants de think tanks, à l’exemple de Radio Classique et de son programme « Idées neuves » faisant intervenir chaque jour un directeur de think tank différent (Cécile Philippe, directrice de l’Institut économique Molinari, chaque mardi ; Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’Ifrap, chaque mercredi ; Gaspard Koenig, président de Génération libre chaque vendredi ; et Laurent Bigorgne, directeur général de l’Institut Montaigne) ;
- les émissions politiques traditionnelles ont augmenté sensiblement les interventions d’experts de think tanks dans leurs panels d’intervenants (par exemple les interventions très régulières de think tankers dans l’émission C dans l’air, sur France 5) ;
- plusieurs médias papier, quotidiens, hebdomadaires ou mensuels, réservent désormais des encarts aux analyses de think tanks : L’Expansion, avec « Le coin des think tanks » ; Le Monde, avec sa rubrique « Think tanks » sur son site Internet et la parole régulièrement donnée à leurs experts dans les colonnes du journal papier ; chiffrage des programmes présidentiels de l’Institut Montaigne dans Les Échos ; même démarche pour la Fondation Ifrap dans Le Figaro, ;
- des événements à forte audience et/ou particulièrement innovants, intégrant souvent des intervenants prestigieux, ont permis à certains think tanks de bénéficier de retours médias très importants : l’Institut de l’entreprise avec son Forum des think tanks économiques européens et l’intervention du prix Nobel d’économie Paul Krugman ; l’événement « Le Progrès, c’est nous ! » organisé par la Fondation pour l’innovation politique qui, pendant vingt- quatre heures non stop, a fait intervenir 170 personnalités de la société civile ; les « Primaires citoyennes » de Terra Nova ;
- des passages de plus en plus réguliers dans la presse écrite. À la recherche de contenu mais devant faire face à une crise des ressources, et donc devant limiter drastiquement le nombre de journalistes, les médias papier sont très preneurs des analyses des think Proche du candidat Hollande, Cartes sur table formalisa une série de 100 propositions pour fêter les 100 jours du nouveau président à l’Élysée, largement diffusée dans Libération (deux pleines pages en août 2012).
Capacité de placement dans les états-majors
La pratique américaine du spoils system, c’est-à-dire le fait de remplacer le haut de la hiérarchie des grandes administrations centrales par des personnes proches du parti qui remporte l’élection, n’existe presque pas en France. L’élection d’une nouvelle majorité ne fait que changer la composition des cabinets ministériels, et parfois le numéro 1 de chaque administration, mais l’impact quantitatif de ces changements de personnel lors d’un changement de président de la République est très faible, ne concernant au maximum que quelques centaines de personnes.
Historiquement, les hauts fonctionnaires issus de l’ENA et des grands corps sont très présents au sein des cabinets ministériels. Luc Rouban a ainsi calculé qu’entre 1984 et 1996 seuls 20% des membres des équipes ministérielles étaient issues du privé. Plus qu’une incapacité des think tanks à intégrer l’élite politique et administrative, il s’agirait davantage d’une vive hostilité de certains corps constitués à l’égard d’experts non issus du sérail, des grands corps, des grandes administrations. Comme le soulignent Thomas Bronnec et Laurent Fargues dans leur ouvrage Bercy, au cœur du pouvoir64, l’échec de l’inclusion de professionnels de haut niveau (notamment titulaires de doctorats) aux meilleurs niveaux de l’administration de Bercy tient autant à leur faible numérique relative – ils sont en effet peu recrutés – qu’à leur faible intégration sociale et professionnelle parmi leur environnement professionnel. Leurs spécificités – un style et des travaux moins technocratiques et administratifs – ne sont pas pleinement appréciées. Considérés comme trop académiques et peu « aptes » à accepter la critique, ils s’intègrent visiblement mal dans les hautes sphères de Bercy.
Il est très difficile de quantifier la présence d’anciens experts de think tanks dans les cabinets ministériels. Pour les années précédant l’élection présidentielle de 2012, Marc Patard a dénombré quatre think tankers parvenus à intégrer des cabinets ministériels, dont trois issus de l’Institut Montaigne. Il en conclut que « les think tanks français n’ont manifestement pas encore acquis leurs lettres de noblesse, permettant à leurs acteurs de concurrencer une autre noblesse, celle de l’État65 ».
Le seul exemple notable permettant de penser que les think tanks français réussissent de plus en plus à intégrer les états-majors est celui de Terra Nova lors de la constitution du gouvernement Ayrault, à l’issue de l’élection présidentielle de 2012. En effet, il semble que nombre de ses experts ont intégré des cabinets ministériels ou des directions d’administration. Pour Sélim Allili, président de l’Observatoire des think tanks, « Olivier Ferrand a réussi à intégrer une vingtaine de ses contributeurs dans les plus hautes sphères ». Toutefois, cette nouveauté ne semble pas avoir révolutionné la sociologie de cette élite politico-administrative car, toujours selon Sélim Allili, « les experts qu’a réussi à placer Terra Nova sont, il me semble, tous hauts fonctionnaires. Ils sont tous du sérail, Terra Nova leur a seulement permis d’accéder à ces postes convoités ».
Pour conclure sur l’influence des think tanks français, il convient d’en nuancer la portée. Ils sont encore de jeunes venus au sein du débat démocratique, mais surtout ils font face à des contraintes budgétaires importantes, notamment au regard de leurs voisins européens.
Conlclusion
Pascal Perrineau, « la crise de la représentation politique », in Pascal Perrineau et Luc Rouban (dir.), La Politique en France et en Europe, Paris, Presses de sciences Po, 15-34.
Richard Katz et Peter Mair, « changing Models of Party organization and Party democracy the emergence of the cartel Party », Party Politics, vol. 1, no 1, 1995, p. 5-28.
À travers cette note, nous avons tenté de démontrer que les think tanks sont de nouveaux acteurs de la démocratie, en ce sens qu’ils participent au débat public en fournissant une expertise privée à destination de la population et des décideurs politiques. Né aux États-Unis, ce type d’organisation joue un rôle de premier plan outre-Atlantique. Les think tanks formulent des propositions concrètes, aident à cadrer le débat public et fournissent un réservoir d’experts dans lequel viennent puiser les hommes politiques qui accèdent au pouvoir. En fonction de leurs objectifs, ils sont repris par les médias, inspirent et influencent en direct les hommes politiques ou tentent de convaincre les simples citoyens du bienfait de certaines mesures et politiques publiques.
Il existe en France une tradition de sociétés de pensée et de clubs politiques précédant l’importation du modèle des think tanks. Ces derniers sont donc venus se greffer sur une réalité préexistante en apportant une professionnalisation et une audience croissantes. Ce phénomène se traduit par quelques cas de mise à l’agenda de propositions de ces think tanks et par une couverture médiatique accrue. Ces organisations françaises se trouvent toutefois aujourd’hui à la croisée des chemins, alors que nombre d’entre elles manquent de moyens et qu’elles font face à la concurrence d’organismes publics établis de longue date.
Comme le souligne le politologue Pascal Perrineau, il existe depuis plusieurs années une crise de la représentation politique en Europe avec plusieurs symptômes observables66 : le développement de l’abstention et des votes blancs ou nuls, la chute de l’engagement politique, la dégradation de l’image de la classe politique et des organisations politiques, et un repli sur le privé qui fait suite à une désillusion sur la capacité du politique à agir pour améliorer la destinée collective du pays.
Les causes, selon lui, sont multiples : affaiblissement du clivage gauche-droite avec un rapprochement des programmes économiques et sociaux des deux grandes familles, faible représentativité des partis politiques, mais aussi mondialisation et développement de nouveaux échelons de gouvernance qui donnent le sentiment que les politiques sont décidées « ailleurs ». Une crise endémique de la démocratie représentative s’installe durablement, tandis que les partis politiques ne jouent plus leur rôle historique de production idéologique ou de représentation des intérêts de catégories de la population. Ils ne sont plus aujourd’hui que des « partis cartels67 » établis, soutenus par des financements publics et composés d’hommes politiques professionnels ne vivant que pour la politique mais surtout par la politique.
C’est pourquoi il est important que ces nouveaux acteurs que sont les think tanks prennent toute leur place dans le débat public. Ils peuvent contribuer à améliorer la situation politique du pays en concevant des propositions innovantes, en politisant certains débats, en évitant que ces échanges se limitent qu’aux élites technocratiques, en lançant des nouveaux débats sur des questions contemporaines, mais également en constituant des viviers d’experts et d’intellectuels pouvant aider de manière très directe à la décision politique. La lecture des écrits de Michel Crozier, qui concluait à une « société bloquée » en 1970, révèle que peu de choses ont changé dans la manière dont fonctionne notre pays bureaucratique, dans l’élaboration des politiques publiques et dans l’identité de ceux qui les formulent (voir notre seconde note, Les Recrutements dans la haute administration en France et aux États-Unis). Si l’on veut revaloriser le rôle des think tanks et favoriser l’innovation en politique, il convient de prendre des mesures afin de desserrer l’étau de certaines institutions et de laisser toute sa place à la société civile pour animer et alimenter les débats du XXIe siècle.
Nos propositions pour un État innovant
- Inviter les pouvoirs publics nationaux, locaux et européens à solliciter la production d’expertises auprès des think tanks en assurant, en contrepartie, une contribution à leur Le recours à des expertises externes de prospective et d’analyse – sous la forme d’appels d’offres fléchés en direction des think tanks – permettrait par ailleurs de compléter l’offre de ressources de l’expertise publique (CAE, CAS, etc.).
- Intégrer la production et l’activité des think tanks à l’offre de formation professionnelle à destination des actifs en général et des salariés en particulier (en échange d’une contribution au financement des think tanks prise sur les budgets de la formation professionnelle).
- Intégrer la production et l’activité des think tanks à l’offre de formation des élus en général et des élus locaux en particulier (en échange d’une contribution au financement des think tanks prise sur les budgets de la formation des élus).
- Systématiser l’audition des think tanks dans le cadre des missions d’études parlementaires et gouvernementales.
- Faciliter la mise en disponibilité de chercheurs et de hauts fonctionnaires au sein des think tanks.
- Faciliter la mise en disponibilité de chercheurs et de hauts fonctionnaires au sein des entreprises afin de développer leur expertise, d’améliorer leur connaissance de la société civile, de favoriser les enrichissements croisés.
- Valoriser la rémunération des doctorants recrutés en Cifre dans les think tanks en permettant aux structures concernées de bénéficier du crédit impôt recherche (à l’instar des start-up et des Jeunes entreprises innovantes).
- Permettre aux doctorants contractuels (décret 2009) de travailler 6 à 12 mois pour un think tank sans rompre leur contrat sous la forme d’une césure. Le contrat doctoral ne serait que temporairement suspendu. Il reprendrait à la fin de cette expérience de recherche appliquée au sein d’un think tank.
- Systématiser la consultation des think tanks dans les instances publiques de réflexion et de prospective (CESE, CAS, CAE, ) et les faire participer directement à leurs travaux en échange de contreparties financières concourant au financement de l’activité des think tanks.
- Inviter chaque membre du gouvernement à ratifier une « charte de la diversité » pour la constitution des cabinets, à l’instar de ce qui se fait dans les entreprises. L’objectif serait de tendre vers la parité hommes- femmes, mais aussi de favoriser l’intégration de parcours « atypiques » venant notamment des think tanks, du privé et du monde universitaire, et de favoriser la diversité ethnique et sociale.
- Étendre à la composition des cabinets ministériels l’obligation de respecter les quotas d’au moins 40% de femmes, à l’instar de ce qui existe pour les postes à responsabilité dans la fonction publique (loi du 12 mars 2012).
- Généraliser la contractualisation du recrutement des directeurs d’administrations centrales, des sous-directeurs et des chefs de bureau afin d’élargir le vivier de recrutement à des personnalités extérieures au corps de la fonction publique.
- Mettre fin à la rémunération des élèves fonctionnaires dans les écoles de la fonction publique (ENS, ENA, Polytechnique, IRA) et supprimer l’obligation pour les élèves de travailler plusieurs années dans la fonction publique après leurs études.
- Ouvrir l’accès à la fonction publique et à la haute administration aux actifs issus du secteur privé désireux de poursuivre leur carrière au service de l’État.
- Ouvrir l’ENA à la formation continue des actifs issus du monde de l’entreprise désireux de poursuivre leur carrière dans la fonction publique et la haute administration.
- Permettre aux think tanks sous statut de fondation d’utilité publique de récupérer la TVA (20%), ce qui réduirait significativement les frais de fonctionnement et permettrait d’allouer les montants ainsi dégagés à la production de contenus.
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