La capitalisation : un moyen de sortir par le haut de la crise des retraites ?
Retour sur un débat raté
Le système de retraite français : des caractéristiques très singulières
Une proportion particulièrement élevée des retraites dans le PIB et un poids très faible des dispositifs par capitalisation
Ce niveau de dépenses reflète la générosité particulière du système français
Un système très peu adossé à une accumulation de capital
Cette générosité se traduit naturellement par des taux de cotisations retraite obligatoires sur les salaires particulièrement élevés
Système de retraite, efficience économique et équité : la question cruciale du « r > g »
Le taux de rendement interne (TRI) d’un régime par répartition est généralement différent de celui obtenu par capitalisation.
L’introduction d’un régime par répartition réduit, à long terme, l’épargne privée, donc le capital par tête disponible dans l’économie, par rapport à une situation sans aucun régime de retraite ou avec un régime par capitalisation.
La réduction de l’épargne privée opérée par un système par répartition est souhaitable si l’économie se trouve initialement dans une situation de suraccumulation de capital (donc un excès d’épargne).
Les deux systèmes comportent des risques sur le niveau des pensions versées pour un montant de cotisations donné, mais ceux-ci sont de nature différente.
En termes d’équité, aucun système n’est par nature supérieur à un autre
Système de retraite, efficience économique et équité : le cas français en pratique
Un écart positif entre le taux de rendement du capital et la croissance, constaté par le passé et probable dans le futur, qui rend difficilement justifiable le choix d’une répartition pure.
Le système actuel conduit à une épargne nationale à la fois insuffisante en volume et mal orientée qualitativement, dans un contexte où les besoins supplémentaires d’investissement seront considérables dans les prochaines décennies.
Un système qui contribue à perpétuer, voire à accroître les inégalités d’épargne et de patrimoine entre les ménages et les générations.
Un système qui aboutit inévitablement à une mauvaise gestion des risques économiques, politiques et démographiques.
Un projet de réforme
Conclusion
Résumé
Le débat frénétique autour de la dernière réforme des retraites est de nouveau passé à côté de sujets essentiels. Enfermés dans une vision comptable et une vision apocalyptique du monde du travail, nous avons négligé les enjeux considérables en termes de performance économique et d’équité qui sont pourtant inhérents au choix d’un régime de retraite et de son mode de financement.
L’analyse économique aussi bien que les faits empiriques invalident l’idée selon laquelle la retraite par répartition serait par nature plus « juste » qu’un mode de financement diversifié faisant appel à un pilier par capitalisation. De fait, notre système actuel est doublement injuste : favorable aux retraités actuels, il fait peser un poids insupportable sur les générations d’actifs et de retraités futurs ; quant aux travailleurs les plus modestes, dépourvus d’épargne, ils sont de fait privés de l’accès à des rendements du capital qui croissent plus vite que les salaires.
Sur la base des paramètres du système actuel (durée légale et durée de cotisations) et des projections du COR, cette note présente une simulation détaillée de la montée en puissance d’un fonds de capitalisation collectif et obligatoire permettant à long terme de couvrir financièrement un tiers des dépenses de retraite du secteur privé.
La longue et délicate période de transition d’un système à un autre est étudiée : elle réclame nécessairement quelques sacrifices à court terme mais permettrait à l’horizon de quelques années une baisse sensible des cotisations de retraite qui sont aujourd’hui les plus élevées de l’OCDE. Elle est inséparable, par ailleurs d’un redressement général de nos finances publiques car un tel système ne saurait être financé par un surcroît d’endettement public.
En outre, cette solution apporterait une réponse à l’immense besoin de notre pays d’investir et de se projeter dans l’avenir tout en redonnant des marges de manœuvre à nos entreprises pour innover et éviter un décrochage de notre appareil productif. C’est pourquoi elle devrait figurer en bonne place dans un programme plus vaste de redressement économique et social du pays.
Bertrand Martinot,
Expert associé à l’institut Montaigne sur les questions sociales, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy.
Des manifestants à Paris lors d’une manifestation syndicale contre la réforme des retraites le 1er mai 2023, fête du travail.
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« J’espère que l’agitation provoquée autour de la loi des retraites aidera les travailleurs à acquérir le sens des réalités économiques, à comprendre le fonctionnement des mécanismes d’assurance. »
Jean Jaurès
(« Capitalisme et capitalisation », article publié dans l’Humanité
du 27 décembre 1909 à propos du projet de loi portant
création des retraites ouvrières et paysannes)
Retour sur un débat raté
Sans compter des affirmations plus folkloriques et très répandues comme l’appel au « droit à la paresse », la nécessité de travailler moins pour sauver la planète ou l’annonce de la disparition du travail du fait de l’automatisation.
Anne Lavigne, « Le Fonds de réserve pour les retraites, bilan et perspectives », Regards croisés sur l’économie, n°3, 2008, pp.187-196.
La réforme des retraites du printemps 2023 a été un nouveau témoignage de l’extrême immaturité du débat politique français sur les questions économiques et sociales. Plutôt qu’à un échange rationnel basé sur des faits et des chiffres, nous avons assisté à un conflit fortement hystérisé : d’un côté, des arguments comptables (souvent flous ou mal expliqués) visant à convaincre de l’urgence d’une réforme paramétrique portant quasi exclusivement sur un recul de l’âge légal de départ à la retraite ; de l’autre, le refus de traiter en profondeur un sujet complexe en raison de la sensibilité de la question de l’allongement de la durée de la vie active1.
Le résultat est une réforme a minima qui rend inévitable, à logique inchangée, un nouveau report de l’âge légal dans quelques années et, tout aussi inévitable, une nouvelle crise sociale. Pire, nous sommes collectivement passés à côté des véritables enjeux du sujet, qui ne sont pas comptables et qui ont trait à la fois à l’efficience économique et à l’équité intergénérationnelle. À terme, il en va du futur de notre cohésion politique et sociale et de notre capacité à nous projeter collectivement vers l’avenir.
L’objet de cette note est double : décrire les impasses auxquelles nous ont conduits les choix faits jusqu’ici en matière de retraite ; proposer un scénario alternatif et opérationnel de montée en charge d’un pilier de retraite par capitalisation susceptible d’apporter à notre pays des gains considérables sur le plan économique.
Précisons à cet égard, la différence entre deux systèmes de retraite : par capitalisation et par répartition.
La retraite par capitalisation repose sur le prélèvement périodique d’une partie des revenus des travailleurs actifs. L’argent prélevé est ensuite placé sur les marchés financiers puis est redistribué au moment de la retraite.
La retraite par répartition repose sur le prélèvement de cotisations aux travailleurs actifs qui servent à financer directement les retraites des individus en âge de la toucher2.
Le système de retraite français : des caractéristiques très singulières
À l’exception de la loi dite « Thomas », de février 1997, qui prévoyait la mise en place de fonds de pension rendant possible une capitalisation facultative, loi aussitôt annulée par le gouvernement de gauche issu des élections législatives intervenues en juin de la même année (on se rappelle que le nouveau premier Ministre, Lionel Jospin, s’était publiquement félicité de ne jamais avoir possédé d’actions).
Le décret-loi du 14 mars 1941 prévoit l’instauration d’une allocation des vieux travailleurs salariés (AVTS). Celle-ci reste toutefois forfaitaire et indépendante des cotisations versées. C’est l’ordonnance de 1945 créant la sécurité sociale qui donnera au régime sa dimension assurantielle.
Par un curieux concours de circonstances, le choix du système de retraite est devenu en France un véritable marqueur politique, entre une gauche et des organisations syndicales qui refusent par principe toute introduction d’un pilier par capitalisation, et une droite qui le juge souhaitable en théorie mais n’ose pas le mettre en œuvre lorsqu’elle est au pouvoir3.
Cette polarisation droite/gauche, inconnue ailleurs, est d’autant plus étonnante qu’elle est récente. On rappelle que Jean Jaurès était un farouche partisan de la capitalisation, jugeant au passage très sévèrement l’inculture économique de la classe ouvrière. Quant à la répartition, on sait qu’elle a été instituée non pas par un gouvernement de gauche, mais par un décret du gouvernement de Vichy en mars 19414, quelques années après l’échec du déploiement des retraites ouvrières et paysannes, système par capitalisation créé en 1910.
Tiraillée entre l’hostilité radicale de la gauche à la capitalisation et la frilosité politique de la droite, la France a opté depuis plus de 80 ans pour un régime par répartition particulièrement développé. Quant aux nombreuses réformes qui ont été mises en œuvre depuis les années 1990, elles n’ont jamais porté sur un changement de paradigme et n’ont eu pour objectif que de « sauver la retraite par répartition » symbole de « solidarité intergénérationnelle », selon les expressions consacrées.
Le résultat de cet équilibre politique est que notre système de retraite a aujourd’hui plusieurs caractéristiques qui le distinguent des solutions adoptées par les pays économiquement et démographiquement comparables.
Une proportion particulièrement élevée des retraites dans le PIB et un poids très faible des dispositifs par capitalisation
Établissement gérant la retraite additionnelle de la fonction publique.
La France est le second pays après l’Italie en termes de dépenses dans le système de retraite public (13,4% du PIB) avec une part très élevée de la répartition dans les dépenses totales (97,8%). Si la France n’est pas le seul pays avec un système similaire, elle est le pays qui a le moins ouvert son système de retraite à la capitalisation. Dans certains pays comme au Canada ou aux Pays-Bas, la proportion des dépenses publiques par répartition représente moins de la moitié du total des dépenses.
A l’inverse de nombreux autres pays, la France n’a pas développé de système de capitalisation obligatoire, sauf pour des publics spécifiques (fonctionnaires qui cotisent en capitalisation sur leurs primes via l’ERAFP5, régime du Sénat, de la Banque de France, des pharmaciens, contrats « Madelin » pour les indépendants) et dans le cadre de retraites d’entreprises (plans d’épargne retraite collectifs). Bien que ces régimes soient plébiscités par les salariés et les organisations syndicales des secteurs concernés (qui participent de bonne grâce à leur gestion aux côtés des organisations d’employeurs), leur poids dans notre système des retraites reste anecdotique.
Source :
OCDE, « Pensions at a Glance », édition 2023 [en ligne].
Ce niveau de dépenses reflète la générosité particulière du système français
La France figure parmi les pays les plus « généreux » de l’OCDE en termes de taux de remplacement (ratio montant des pensions / rémunération du travail). Cette situation est encore plus singulière si l’on considère le niveau de vie relatif par tête (donc en intégrant les autres transferts sociaux, les impôts et les revenus du patrimoine). Elle l’est également en termes d’espérance de vie passée à la retraite.
Source :
OCDE, « Pensions at a Glance », édition 2023 [en ligne].
*Cette tranche d’âge a été retenue dans la mesure où elle permet d’exclure les revenus du travail du calcul du revenu par tête, dans un contexte où les taux d’emploi sont très disparates entre 60 et 66 ans selon les pays, ce qui biaiserait l’analyse.
Un système très peu adossé à une accumulation de capital
La grande majorité des pays de l’OCDE ont développé des systèmes par capitalisation volontaires ou obligatoires, ce qui explique l’existence d’un stock de capital dédié au financement des retraites. En outre, certains ont également accumulé des fonds de réserve dans le cadre de leurs systèmes publics par répartition. Dans ce cas, l’objectif est de lisser dans le temps les conséquences des évolutions démographiques et de disposer d’un amortisseur en cas d’aléas sur la croissance économique. La France n’ayant fait aucun de ces deux choix, elle se distingue par une extrême faiblesse du stock de capital dédié aux retraites.
Source :
OCDE, « Pensions at a Glance », édition 2023 [en ligne].
Il s’agit d’une part du fonds de réserve des retraites (FRR) censé « sanctuariser » les excédents de cotisations réalisés à la fin des années 1990 et au début des années 2000 qui se monte aujourd’hui à 21 Mds (milliards) d’euros soit environ 0,6% du PIB et d’autre part les réserves accumulées par le régime de retraites complémentaires ARRCO/AGIRC, pour 90 Mds d’euros en 2022 (soit 2,5% du PIB).
Cette générosité se traduit naturellement par des taux de cotisations retraite obligatoires sur les salaires particulièrement élevés
Source :
OCDE, « Pensions at a Glance », édition 2023 [en ligne].
Pour résumer, la France apparaît comme l’un des rares grand pays de l’OCDE qui a fait le choix d’un système à la fois généreux, financé quasi exclusivement par répartition et quasiment dépourvu de réserves, le tout au prix de prélèvements particulièrement élevés sur le travail des actifs.
Si ce choix singulier n’est pas en lui-même contestable a priori, il convient d’en expliciter les conséquences, aussi bien en termes d’équité que d’efficience économique, un exercice essentiel que le débat politique sur les retraites met systématiquement de côté.
Système de retraite, efficience économique et équité : la question cruciale du « r > g »
Paul A. Samuelson, “An Exact Consumption-Loan Model of Interest with or without the Social Contrivance of Money”, Journal of Political Economy, Vol. 66, n° 6 (Dec. 1958), pp. 467-482.
Il est peu probable qu’un système de retraite représentant environ 15% du PIB et reposant sur des cotisations obligatoires n’ait aucun impact économique ou social. Ainsi, il n’y a rien d’étonnant à ce que la nature et la quantification de ces effets soient l’objet de débats nourris entre les économistes.
En particulier, la question de l’impact du choix entre la capitalisation et la répartition sur le taux d’épargne, le PIB par tête et le bien-être ont fait l’objet de nombreuses analyses théoriques et empiriques de plus en plus sophistiquées depuis les travaux pionniers de Paul A. Samuelson dans les années 19507. Même si ces modèles restent simplifiés, ils ont le mérite de bien saisir les interactions entre le fonctionnement du système de retraite et les principales variables macroéconomiques (épargne, consommation, capital productif, PIB par tête…).
Sans entrer dans les détails techniques, il est utile de rappeler les principales conclusions auxquelles parvient cette littérature académique.
Le taux de rendement interne (TRI) d’un régime par répartition est généralement différent de celui obtenu par capitalisation.
En régime par répartition, le TRI est égal au taux de croissance de la masse salariale (lui-même égal au taux de croissance [g] de l’économie dans l’hypothèse où la masse salariale représente une fraction constante du PIB), tandis qu’il est égal au taux de rendement du capital [r] placé dans le fonds alimenté par les cotisations dans un régime par capitalisation.
Le taux de rendement interne d’un système de retraite : répartition versus capitalisation La notion de taux de rendement interne (TRI) d’un régime de retraite correspondant très exactement à celle habituellement utilisée pour évaluer le rendement d’un investissement quelconque : les cotisations assises sur les salaires tout au long de la vie active donnent droit, au moment de la liquidation de la retraite, à un flux de pensions jusqu’au décès, de même que l’investissement dans un actif financier engendre un flux de revenus futurs. L’équilibre financier du système implique toutefois que la valeur actualisée des flux de cotisations soit égale à la valeur actualisée des flux de pension en utilisant un certain taux d’actualisation. Le taux d’actualisation qui assure cette égalité est, par définition, le TRI du régime. Ce TRI mesure la « rentabilité » du placement d’un euro de cotisation dans le système de retraite considéré. Cette notion est immédiate dans le cas d’un système par capitalisation : chaque euro cotisé est épargné dans un fonds de capitalisation qui rapporte un rendement qui est celui du capital dans lequel il est investi. C’est ce taux de rendement qui est égal au TRI. Dans le cas d’un système par répartition, les cotisations permettent de financer les retraites courantes tout en attribuant au cotisant des droits futurs définis au moment de la liquidation et qui sont fonction des salaires passés. Ces cotisations ne sont pas épargnées dans un fonds qui permettrait ensuite de financer les pensions. Pour autant, elles correspondent bien à un « manque à gagner » immédiat pour le cotisant en échange d’une promesse de revenus futurs. Il est donc possible de répliquer le raisonnement précédent en calculant un « TRI implicite » caractérisant la « rentabilité » de la cotisation au système par répartition. En régime de croisière (les taux de cotisations et les niveaux de pension versées sont fixes, la croissance de la productivité et de la population active est fixe, etc.), le TRI d’un système par répartition équilibré (i.e. dont les recettes et les dépenses sont égales à tout moment) est égal au taux de croissance moyen de la masse salariale, lui-même égal au taux de croissance général de l’économie dans l’hypothèse où la part de la masse salariale dans le PIB est constante. Ce dernier est lui-même égal à la somme des taux de croissance des effectifs de cotisants et de la productivité par tête. On en conclut que les déterminants du TRI sont différents selon les cas : |
Bien entendu, plus le TRI est élevé, plus faible est le montant de cotisation nécessaire pour financer un montant de retraite déterminé. A titre d’illustration, pour financer un droit à pension de 75 euros par an pendant 25 ans grâce à une cotisation assise sur un salaire de 100 euros pendant 43 ans, il faudra cotiser à hauteur de 28% du salaire si le TRI est de 4%, contre 40% si le TRI se monte à 1%.
Dans ces conditions, la capitalisation permet d’obtenir un même niveau de pension que la répartition avec de moindres cotisations dans le cas où r > g (situation inverse dans le cas où g > r).
Ces résultats plaident naturellement en faveur de la capitalisation si r > g, et pour la répartition dans le cas inverse.
L’introduction d’un régime par répartition réduit, à long terme, l’épargne privée, donc le capital par tête disponible dans l’économie, par rapport à une situation sans aucun régime de retraite ou avec un régime par capitalisation.
Dans les cas deux cas, il s’agit, au niveau individuel, de « mettre de l’argent de côté » pour avoir droit à une pension, donc de renoncer à une consommation présente, en vue de bénéficier de revenus futurs (transferts sociaux dans un cas, revenus tirés d’un capital accumulé préalablement dans le second). Mais cette équivalence, bien réelle au niveau individuel, ne vaut pas au niveau collectif puisque dans le cas d’un régime par répartition, aucun capital n’est accumulé, tandis que dans un régime par capitalisation, il y a bien création d’une épargne tout au long de la vie active, donc constitution d’un capital supplémentaire. Cette affirmation est valable dès lors que le passage à la capitalisation s’effectue à niveau de pensions inchangé (une hausse des pensions pourrait entraîner une moindre épargne privée hors capitalisation qui viendrait en tout ou partie annuler l’effet précédent).
Cette prédiction théorique a été confirmée empiriquement8 : l’existence d’un régime public par répartition réduit d’autant plus l’épargne privée qu’il est généreux (i.e. avec un taux de remplacement élevé) et que l’espérance de vie est élevée. Un régime par répartition a également un impact négatif sur les finances publiques, un système par répartition généreux étant plus susceptible de générer des déficits publics.
La réduction de l’épargne privée opérée par un système par répartition est souhaitable si l’économie se trouve initialement dans une situation de suraccumulation de capital (donc un excès d’épargne).
Dans ce cas, en effet, la consommation par tête et le bien-être de chaque génération peuvent être accrus dans cette opération.
La théorie prédit que l’économie se trouve dans une telle situation dès lors que le rendement du capital (r) est supérieur au taux de croissance de l’économie (g). Dans ce cas, l’existence d’un système par répartition rapproche l’économie de son niveau de capital par tête optimal, c’est-à- dire celui qui maximise la consommation par tête et le bien-être. Cette amélioration bénéficie à toutes les générations, y compris celles qui subissent la montée en charge du nouveau système (donc la création de nouvelles cotisations).
Dans le cas inverse (r > g), le régime par répartition conduit à accroître la sous-accumulation initiale du capital et éloigne l’économie de son niveau optimal en termes de capital et de revenu par tête. Dans ce cas, le passage à un système par capitalisation intégrale est souhaitable pour les générations futures car elle accroît le capital et la consommation par tête. Le problème est naturellement la période de passage d’un système à un autre, avec le risque que plusieurs générations de cotisants subissant cette transition soient « sacrifiées » en raison de la nécessité de « payer deux fois » (une fois pour financer les retraites par répartition des retraités vivants et une autre fois pour financer sa propre pension future par capitalisation). Malheureusement, la plupart des modèles théoriques ne traitent pas de cette question politiquement centrale.
Les deux systèmes comportent des risques sur le niveau des pensions versées pour un montant de cotisations donné, mais ceux-ci sont de nature différente.
Compte tenu du déséquilibre des rapports de force électoraux entre les jeunes et les plus âgés qui s’accentuera, il n’est pas difficile de prédire que les choix politiques se feront généralement au détriment des jeunes actifs et au bénéfice des retraités existants.
Jayasri Dutta, Sandeeo Kapur, et Michael Orszag, “A Portfolio Approach to the Optimal Funding of Pensions”, Economics Letters, septembre 2000, pp. 201-206 [en ligne].
Les risques relatifs à la capitalisation sont naturellement liés à la volatilité du rendement du capital dans lequel le fonds est investi. La volatilité de ce rendement est bien plus élevée que celle du taux de croissance de l’économie qui détermine, comme on l’a vu, le taux de rendement du système par répartition. Les autres risques sont liés à l’inflation (qui diminue le rendement réel du capital pour la part de celui-ci qui est investi sur des produits à taux fixes, notamment les obligations d’État) ainsi que le risque que l’État capte à son profit une partie des fonds accumulés dans un contexte de crise des finances publiques. On sait que cette combinaison de risques est l’argument principal des opposants à la capitalisation.
Les risques relatifs à la répartition sont liés à la fois aux aléas politiques (peut-on croire l’engagement d’un gouvernement à conserver les mêmes règles de retraite durant plus de 40 années d’une vie active et de « délivrer » le rendement promis au moment du départ en retraite ?) et aux aléas démographiques et économiques : en cas de baisse de la fécondité, de hausse de l’espérance de vie ou d’affaiblissement de la productivité, le système doit être financièrement rééquilibré via des modifications imprévisibles de paramètres qui dépendent du rapport de force électoral entre les générations9.
Enfin, la soutenabilité du régime par répartition dépend du partage de la valeur ajoutée entre rémunération du capital et rémunération du travail. Si le partage de la valeur ajoutée évolue dans un sens défavorable au travail, ce que l’on ne constate pas en France, mais dans de nombreux pays de l’OCDE depuis la fin des années 1990, la rentabilité de la retraite par répartition se trouverait fragilisé du fait de la diminution du taux de croissance de la masse salariale, dont on a vu qu’il est également le taux de rendement (TRI) du système.
Cette analyse des risques ne permet évidemment pas de conclure à une supériorité absolue d’un système sur l’autre, mais elle permet de faire litière de l’argument selon lequel la répartition serait par nature moins risquée que la capitalisation. En outre, elle invite à diversifier les risques en s’appuyant sur les théories de gestion de portefeuille d’actifs, ce qui conduit à préconiser un mix répartition / capitalisation10. Concrètement, les travaux raisonnant dans ce cadre théorique démontrent, sous des hypothèses réalistes, qu’il existe une proportion optimale de capitalisation dans la part des pensions versées dès lors que r > g. De manière intuitive, cette proportion, qui dépend des volatilités respectives des rendements du capital et du taux de croissance de l’économie, croît avec l’écart r-g, et décroît avec le degré de corrélation entre les risques portés par ces deux variables.
En termes d’équité, aucun système n’est par nature supérieur à un autre
Pour une démonstration formelle dans un modèle comportant des groupes d’agents ayant des espérances de vie différentes : Nicolas Drouhin, « Inégalités face à la mort et système de retraite », Revue d’économie politique, 2001 [en ligne].
Pour au moins deux raisons : d’une part, un allongement marqué, au-delà des 43 ans actuels, de la durée minimale de cotisation conduirait ceux qui sont entrés tardivement sur le marché du travail à travailler jusqu’à des âges très élevés ; d’autre part, les dispositifs de départs anticipés (qui touchent aujourd’hui presque 25% des départs) sont extrêmement coûteux pour le régime et le lien entre l’espérance de vie et l’âge d’entrée sur le marché du travail est loin d’être évident (ainsi, l’espérance de vie à 60 ans des personnes entrées en « carrière longue » est la même que celle des autres individus d’après la CNAV).
Dans la mesure où ils peuvent tous deux intégrer des mécanismes redistributifs (instauration d’un minimum vieillesse, plafonnement des pensions, prestations pour le conjoint survivant…), chaque système peut contenir des dispositifs permettant d’atteindre des objectifs de redistribution. En outre, d’autres dispositifs (impôt sur le revenu progressif, aides sociales, aides au logement ou autres prestations sociales) peuvent permettre d’atteindre des objectifs de redistribution jugés socialement désirables.
Cela étant, la répartition est loin d’avoir les qualités de justice sociale que lui prêtent ses défenseurs quand ils mettent en avant la « solidarité entre les générations » qu’elle incarnerait. Comme tout système de retraite, ce système implique en effet mécaniquement un transfert financier des groupes sociaux qui ont la plus faible espérance de vie (qui sont aussi en moyenne les plus pauvres) vers ceux qui ont une espérance de vie la plus forte (qui sont en moyenne plus riches)11. Mais dans le cas d’un système par répartition, l’effet anti-redistributif est d’autant plus marqué que les cotisations viennent amputer le pouvoir d’achat, donc la possibilité, pour les ménages les plus pauvres, de se constituer une épargne du fait de leurs contraintes de liquidité. Bien entendu, cet effet peut être limité via divers correctifs (retraites pour carrière longue, création d’une durée minimale de cotisation qui diminue la générosité du système pour les plus aisés) mais ces corrections sont par nature limitées et ont des effets redistributifs assez incertains12. Quant aux classes les plus aisées, elles ont la possibilité de constituer, en complément du système par répartition, une épargne – retraite individuelle avantagée fiscalement et transmissible par héritage.
À l’inverse de la répartition, la capitalisation obligatoire permet de doter en capital une large partie de la population qui n’en possède pas, à la fois parce qu’elle n’en a pas reçu en héritage et parce qu’elle n’a pas de salaires suffisants pour en accumuler. Quant aux ménages les plus aisés, ils se retrouvent dans une situation moins favorable puisqu’ils se voient contraints de constituer une épargne non transmissible à leurs héritiers. Au total, comme l’exposaient Denis Kessler et Dominique Strauss-Kahn dès 1982, « le développement important de la capitalisation collective aurait des effets favorables sur la distribution des fortunes13 ».
Cet argument d’équité en faveur de la capitalisation devrait avoir un poids particulier dans un pays comme la France, où la question des inégalités entre catégories socioprofessionnelles et entre niveaux de revenu et de patrimoine est centrale dans le débat politique. Il est regrettable que la question des retraites ne soit jamais abordée sous cet angle.
Ainsi, la littérature économique ne conclut pas de manière définitive à la supériorité d’un système sur un autre et elle est peu prolixe sur la période de transition d’un système à un autre. Cependant, elle a le mérite d’indiquer assez clairement les conditions qui devraient déterminer le choix. C’est donc en pratique la situation particulière de la France d’aujourd’hui qui doit servir de juge de paix.
Système de retraite, efficience économique et équité : le cas français en pratique
Un écart positif entre le taux de rendement du capital et la croissance, constaté par le passé et probable dans le futur, qui rend difficilement justifiable le choix d’une répartition pure.
Pour mémoire, les rentes ayant servi historiquement à couvrir le risque retraite ont longtemps été des titres d’Etat (dites « rentes de l’hôtel de Ville » sous l’Ancien Régime, obligations d’État dans le cadre des retraites ouvrières et paysannes au début du XXe siècle…). Outre que ces produits ont des rendements faibles, parfois inférieurs à la croissance économique sur longue période, ils ont la mauvaise propriété de se dévaloriser en période d’inflation (il s’agit de produits à taux fixes). Ces expériences historiques pèsent lourd dans la mauvaise réputation des systèmes par capitalisation en France. Cf. par exemple, pour une analyse historique et financière. Bertrand Martinot, John Law, Le magicien de la dette, éd. Nouveau Monde, 2015.
Comme le montre la littérature économique, le choix optimal du système de retraite dépend de l’écart à long terme entre le taux de croissance de l’économie et le taux de rendement du capital dans lequel sont investies les cotisations. Bien entendu, faire un pari sur ces niveaux à l’horizon de quelques décennies paraît risqué.
D’un point de vue rétrospectif, toutes les études empiriques concluent à la situation d’un taux de rendement du capital significativement supérieur à l’économie sur le long terme, à condition toutefois qu’on ne considère pas le capital comme étant uniquement constitué de titres de la dette publique14.
Ainsi, selon une étude récente qui a pu reconstituer des séries de rendement du capital extrêmement longues, les taux de rendement réels (i.e. corrigés de l’inflation) des différentes classes d’actifs au niveau mondial seraient les suivants sur très longue période :
Source :
Jordà Òscar, Katharina Knoll, Dmitry Kuvshinov, Moritz Schularick, et Alan Taylor, “The Rate of Return on Everything, 1870–2015”, NBER, 2019 [en ligne].
Notes : taux de rendements annuels réels, calculés sur un échantillon de 16 pays, non pondérés. L’excès de rendement annuel mesure l’écart entre le taux de rendement de l’actif considéré et le taux de rendement des bons du Trésor (actifs sans risque).
On remarque qu’à l’exception des placements les plus liquides (bons du Trésor), les rendements sont toujours supérieurs au taux de croissance de l’économie française du dernier siècle (estimée à 1,5% sur la période 1917-2016). Cette même étude estime que l’écart sur très longue période entre le taux de rendement moyen du capital (obtenu en pondérant les parts respectives des différentes classes d’actifs dans les patrimoines) et le taux de croissance de l’économie mondiale serait compris entre 3 et 4% en faveur des taux de rendement moyen du capital. Les seules périodes où cet écart a été négatif auraient été les périodes de guerre.
Ces constats sont partagés par Thomas Piketty dans son livre best-seller, Le capital au XXIe siècle, qui présente des preuves statistiques convaincantes de la supériorité du rendement du capital sur le taux de croissance de l’économie depuis les débuts de la révolution industrielle.
Au vu de ces éléments statistiques, il n’est pas surprenant que les systèmes par capitalisation, en France comme à l’étranger, dégagent des rendements supérieurs au taux de croissance dès lors qu’ils sont majoritairement investis dans des actions. C’est le cas, notamment, des différents fonds de pension nationaux suédois, investis en actions dans une proportion supérieure à 60%, et qui dégagent des rendements réels moyens compris entre 5,3 et 7,2% par an sur les 20 dernières années15.
Dans le cas français, et malgré le manque de recul historique, on peut noter les performances du plus gros fonds de capitalisation collectif et obligatoire existant, l’ERAFP (établissement public qui gère la retraite par capitalisation sur les primes de fonctionnaires), qui enregistre de très bonnes performances depuis son lancement en 2006, malgré une proportion investie en actions qui reste modeste (33%) :
Évolution du taux de rendement interne annualisé depuis 2006 (inflation prise en compte)
On constate là encore une performance qui, corrigée de l’inflation (environ 2% annuel sur la période), est de l’ordre de 3,5 – 4% par an depuis 2012, un niveau bien supérieur au taux de croissance de l’économie (environ 1% sur la même période).
D’un point de vue prospectif, il y a de solides raisons de penser que cet écart positif devrait perdurer dans les prochaines décennies : d’un côté, la croissance de long terme de l’économie française sera durablement affectée par le tassement, puis par la diminution de la population active (à partir de 2036 selon les dernières projections de l’Insee16), ainsi que par un affaiblissement des gains de productivité (qui sont inférieurs à 1% par an sur les 15 dernières années). C’est d’ailleurs dans cette hypothèse que s’inscrivent aujourd’hui les différents scénarios du Conseil d’orientation des retraites (COR).
D’un autre côté, et compte tenu des mouvements de capitaux internationaux, le rendement du capital continuera à être pour partie déterminé au niveau international. En effet, le capital sera tiré vers le haut par les perspectives économiques des pays émergents et en développement qui continueront à se développer à cause d’un effet de rattrapage et pour des raisons démographiques. Ainsi, ces pays connaîtront des taux de croissance économique et des rendements du capital élevés, et supérieurs au taux de croissance de l’économie française. Les opportunités d’investir dans ces pays ne doivent surtout pas être manquées pour financer une partie de nos retraites.
Pour résumer, la meilleure projection que l’on puisse faire de l’économie française dans les prochaines décennies est un taux de croissance (le « g ») faible, au mieux égale à celle que l’on a observé ces 10 dernières années (soit environ 1 %). Quant au « r », il devrait rester à un niveau proche de son niveau actuel. Et même s’il diminuait en lien avec le phénomène mondial de vieillissement, le différentiel avec le taux de croissance de l’économie française resterait substantiel sur très longue période. C’est également à cette prédiction qu’aboutit Thomas Piketty dans Le capital au XXIe siècle, qui table sur un taux de rendement du capital de l’ordre de 4,3% et une croissance mondiale de 1,5% par an sur la période 2050-2100)17.
Bien entendu, il est impossible d’avoir une certitude absolue sur ces perspectives à long terme. Toutefois, les études empiriques amènent à considérer que la condition « r > g » a bien été respectée sur longue période par le passé, qu’elle l’est aujourd’hui et qu’elle le restera dans les décennies à venir. Il s’agit d’un argument puissant en faveur de l’introduction d’une dose de capitalisation dans le système de retraite.
Le système actuel conduit à une épargne nationale à la fois insuffisante en volume et mal orientée qualitativement, dans un contexte où les besoins supplémentaires d’investissement seront considérables dans les prochaines décennies.
L’épargne du secteur public, en comptabilité nationale, est égale au solde budgétaire des administrations publiques.
Une épargne globalement insuffisante :
On a souvent trop tendance à réduire la question de l’épargne à celle du taux d’épargne des ménages (proportion de l’épargne dans leur revenu disponible brut), qui est à un niveau élevé en France en comparaison avec les autres pays. En réalité, il convient de considérer l’ensemble de l’épargne dégagée par l’économie, secteur privé (entreprises et ménages) et public18.
En utilisant ces différents agrégats, l’équation d’équilibre emploi-ressource de l’économie une année donnée s’écrit comptablement :
(Sg + Sm + Se) – I = X-M
Avec :
Sg : épargne du secteur public (égale au solde budgétaire des administrations publiques, positif quand le compte est excédentaire, négatif quand il est en déficit)
Sm : épargne des ménages (le revenu disponible non consommé)
Se : épargne des entreprises (leur résultat)
I : l’investissement (public et privé)
X-M : écart entre les exportations X et les importations M (excédent de la balance des transactions courantes), qui mesure aussi l’accroissement de patrimoine net du pays sur le reste du monde.
Ce résultat comptable nous rappelle tout simplement que si l’investissement n’est pas couvert par une épargne suffisante, c’est le reste du monde qui doit couvrir la différence via le placement dans notre pays de ses excédents d’épargne.
Dès lors, l’insuffisance globale d’épargne se lit dans notre balance des paiements : chaque année depuis le milieu des année 2000, la France accumule auprès du reste du monde des engagements qui sont supérieurs aux actifs qu’elle détient sur lui. En conséquence, sa position extérieure nette, autrement dit le patrimoine extérieur nette du pays, se dégrade régulièrement depuis plusieurs années pour atteindre aujourd’hui environ -30% du PIB :
Ce que traduit la dégradation de cet indicateur est finalement assez simple : notre pays est dans la situation d’un ménage dont les revenus ralentissent (productivité ralentie), dont les enfants, peu nombreux, ne peuvent subvenir aux besoins de leurs parents qu’au prix de prélèvements croissants sur leur travail, et dont le patrimoine net est déjà fortement négatif. Au niveau collectif, on peut considérer que cette dégradation est aussi une mesure de l’affaiblissement progressif de notre souveraineté économique.
Un besoin d’épargne qui ne fera que croître dans les décennies à venir :
Selon la théorie économique standard, une économie vieillissante devrait voir son taux d’épargne diminuer tendanciellement, dans la mesure où la proportion de personnes qui désépargnent (les plus âgés) s’accroît par rapport à celle des épargnants (les jeunes). Ainsi, une récente étude du FMI estime que les pays entrant dans le dernier stade de leur transition démographique (parmi lesquels la France) pourraient voir leur taux d’épargne privée diminuer de 4 points en proportion du PIB à l’horizon 205019.
Cette diminution attendue du taux d’épargne pourrait ne pas poser de difficultés si le besoin d’investissement de l’économie était lui-même en diminution (moindres dépenses liées à l’enfance et à l’éducation, notamment). Une telle évolution est cependant peu probable dans la mesure où notre pays est confronté à un véritable « mur » de dépenses d’investissement et de dépenses courantes futures, publiques ou privées, non financées aujourd’hui. Les dépenses seront importantes dans plusieurs domaines comme l’intelligence artificielle, la santé et la dépendance, la transition démographique, la transition écologique ou encore la défense.
Quelques chiffres tirés de rapports et études récents permettent d’illustrer par quelques exemples l’ampleur des défis auxquels nous serons collectivement confrontés dans les prochaines décennies :
– Les dépenses d’investissement en matière d’IA : à titre d’illustration, elles se monteraient à 0,4 point de PIB supplémentaires dans le secteur privé si la France rattrapait son retard par rapport aux États-Unis en termes de dépenses en IA par habitant. A ces dépenses, il conviendrait sans doute d’ajouter un effort public supplémentaire évalué à environ 1% du PIB sur 5 ans dans un récent rapport remis par la commission de l’IA au président de la République20 (investissements dans des infrastructures, dans la formation, l’enseignement supérieur, introduction de l’IA dans les services publics, dans les données de santé…).
– Les dépenses en matière de santé et de dépendance : le vieillissement de la population va induire de nouvelles dépenses publiques et privées qui ne sont pas aujourd’hui provisionnées. Dans son dernier exercice de projection de l’impact du vieillissement sur les dépenses de santé et de dépendance, la Commission européenne envisage à l’horizon 2050 une forte progression des dépenses relatives à la santé et à la dépense pouvant aller jusqu’à 5,3 points de PIB par rapport à aujourd’hui, et a minima de 1,8 point de PIB.
– Les investissements liés à la lutte contre le réchauffement climatique : le rapport Pisani – Mahfouz (« Les incidences économiques de l’action pour le climat), remis au Premier ministre en 2023, chiffre à 2,1% du PIB les investissements publics et privés nécessaires à l’horizon 2030 pour tenir nos objectifs de réduction d’émission de CO2.
– L’effort en matière de défense : Les nouveaux risques géopolitiques nous contraignent à renoncer aux « dividendes de la paix » et relancer nos dépenses militaires. Partant d’à peine 2% du PIB, les dépenses militaires pourraient s’accroître progressivement d’1 point de PIB si notre pays souhaitait revenir à son niveau d’effort de la fin de la guerre froide.
A ces masses de dépenses prévisibles hors système de retraites il convient d’ajouter les impasses financières liées au régime de retraite actuel. Elles sont parfaitement documentées dans les projections du COR actualisées en 2024. Ainsi, même dans le scénario « haut » d’une croissance de la productivité qui se redresserait durablement à 1,3% par an (contre 0,8% constatée entre 2000 et 2023), le solde du système resterait continûment négatif à législation inchangée. Laisser perdurer cette situation serait à la fois inefficace d’un point de vue économique (accroissement non maîtrisé de la dette publique et en regard dégradation continue de notre position extérieure nette) et particulièrement inéquitable (report de dettes sur des générations futures de moins en moins nombreuses).
Solde des régimes de retraites (en % du PIB) pour différents scénarios de gains de productivité :
Source :
Rapport du COR 2024 [en ligne].
Un fonds investi en actions pour 70% de ses actifs et dont le rendement annuel réel (après inflation) a été de 4,4% en moyenne entre son lancement en 1998 et 2020.
En résumé, et sauf à s’appauvrir de manière irrémédiable et faire porter un poids financier croissant et insupportable aux générations futures, notre pays va devoir accroître considérablement son effort d’épargne pour faire face à de nouvelles dépenses publiques et privées. Chaque acteur économique devra y contribuer : l’État en premier lieu, qui dégage une épargne négative depuis 50 ans et dont la trajectoire financière est aujourd’hui incompatible avec un redressement économique ; mais également le secteur privé, dans la mesure où celui-ci devra se substituer à un État impécunieux dans de nombreux domaines, à commencer par l’investissement dans les nouvelles technologies et les dépenses liées à la dépendance. Notre pays, malgré son vieillissement et sa croissance économique ralentie, a un immense besoin d’investir dans l’avenir pour renouer avec la confiance et retrouver le chemin de la prospérité.
Une mauvaise orientation de l’épargne, qui contraint le développement de nos entreprises et bride la croissance :
La question du volume d’épargne n’épuise pas le sujet. Encore faut-il qu’elle soit orientée vers des actifs qui ont le plus fort impact économique et qu’elle alimente les fonds propres indispensables au développement des entreprises.
De ce point de vue, la situation des entreprises françaises est assez inquiétante : s’agissant des start up, elles doivent largement lever des fonds ailleurs, malgré l’action de BPI France qui s’affirme de plus en plus comme un fonds souverain à la française ; s’agissant des entreprises « installées », elles sont insuffisamment dotées en fonds propres, ont recours à l’endettement de manière excessive (à hauteur de 150% du PIB, le taux le plus élevé de la zone euro) et sont obligées de rechercher des fonds propres à l’étranger, tout particulièrement dans les fonds de pension et fonds souverains. A titre d’exemple, on estime que le fonds souverain norvégien21 est à lui seul le 6e actionnaire du CAC 40, détenant 1,6% de sa capitalisation boursière.
Un système qui contribue à perpétuer, voire à accroître les inégalités d’épargne et de patrimoine entre les ménages et les générations.
Alors même que le débat en France se focalise sur des inégalités de revenus qui sont pourtant restées quasiment stables depuis plusieurs décennies, la croissance des inégalités des patrimoines qui est cumulative reçoit rarement l’attention qu’elle mériterait.
Des taux d’épargne fortement croissants avec le niveau de revenu par tête :
Taux d’épargne des ménages ordinaires selon le quintile de revenu disponible des ménages en 2017 en France (en %)
Il s’agit notamment des contributions aux plans d’épargne entreprise (PER), des contributions à une épargne retraite individuelle (PERP) ou, encore, de l’épargne accumulée dans l’assurance – vie.
Cette inégalité dans les taux d’épargne est démultipliée par l’existence de régimes fiscaux avantageux qui sont justifiés précisément par l’encouragement au développement des dispositifs d’épargne retraite volontaire, destinés à pallier l’absence d’un régime par capitalisation22. Mais, par définition, ils ne bénéficient qu’aux ménages les plus fortement épargnants, à l’exception notable de ceux qui bénéficient de dispositifs obligatoires de retraite par capitalisation d’entreprise de type PER.
Une inégalité croissante, défavorable aux jeunes et très favorables aux plus âgés :
Combinés à une évolution particulièrement favorable de l’immobilier, placement surpondéré chez les ménages les plus riches et les plus âgés, cette situation se manifeste par des évolutions du patrimoine très défavorables aux premiers déciles et aux plus jeunes sur les 20 dernières années :
Source :
« Revenus et patrimoine des ménages », Insee, 2021 [en ligne].
Source :
« Revenus et patrimoine des ménages », Insee, 2021 [en ligne].
Un système qui aboutit inévitablement à une mauvaise gestion des risques économiques, politiques et démographiques.
Jusqu’à la fin des années 1980, aussi bien les salaires servant de base au calcul de la retraite au moment de la liquidation (salaires « portés au compte ») que l’évolution des pensions étaient indexés sur la croissance des salaires. A partir du début des années 1990, ces indexations son effectuées uniquement sur les prix, modalité beaucoup moins favorable.
Des redressements passés qui ont largement altéré le contrat implicite entre générations qui sous-tend le système par répartition actuel
Bien qu’il reste déficitaire, notre système de retraite par répartition a déjà fait l’objet de nombreuses réformes, au point que le système qui prévalait jusque dans les années 1980 n’est plus qu’un lointain souvenir.
Les débats récents se sont concentrés, comme on le sait, sur l’allongement des durées de cotisations et de recul de l’âge légal de départ à la retraite. C’est oublier que les réformes les plus profondes financièrement ont été réalisées, à bas bruit, sur la formule de calcul même du niveau des pensions. C’est le cas tout particulièrement des réformes de 1987 et de 1993 qui ont bouleversé les règles du jeu, en modifiant l’assiette des salaires pris en compte (les 25 meilleures années contre les 10 meilleures années auparavant) et, surtout, en modifiant les règles d’indexation23. La réforme Fillon de 2003 a eu le même type d’impact sur les retraites des fonctionnaires, en alignant les règles de durée de cotisation et d’indexation sur celles applicables au régime général. Les réformes ultérieures, portant sur les durées de cotisations et sur l’âge légal ont eu moins d’impact, malgré leur caractère politiquement explosif.
Au total, l’ensemble des réformes précédant celle de 2023 ont permis de diminuer les droits à pension de 7 points de PIB à l’horizon 2060, dont un impact de la désindexation de 4 points de PIB, contre 3 points pour les réformes sur l’âge et les durées de cotisations. Autrement dit, et en intégrant l’impact de la réforme de 2023, les projections de dépenses de retraite à l’horizon 2060 de l’Insee auraient dû se monter à plus de 22% du PIB à législation constante, contre les 14% prévus aujourd’hui24.
Ces réformes ont eu un point commun : obéissant à l’impératif politique immédiat de ne jamais diminuer le montant des pensions en cours (donc de diminuer le taux de remplacement des retraités actuels), elles ont conduit systématiquement à dégrader la situation relative des actifs contemporains et futurs retraités.
Cette dégradation se traduit de deux manières. Tout d’abord, elle entraîne une nette diminution du taux de remplacement des pensions dans les prochaines décennies à compter des années 2035-2040.
Masquée temporairement par d’autres facteurs (notamment la montée en puissance du taux d’emploi féminin, donc de meilleurs niveaux de pensions), cette dégradation du niveau de vie relatif est déjà inscrite dans tous les scénarios du COR :
Source :
Rapport annuel du COR, 2024 [en ligne].
Ensuite, elle se traduit par une diminution continue du TRI. De ce point de vue, les projections effectuées par le COR pour les générations futures sont sans appel :
Évolution du TRI réel (i.e. après inflation) par génération pour un salarié non-cadre selon différentes hypothèses de croissance de la productivité :
Source :
Rapport annuel du COR, 2024 [en ligne].
On voit que quelles que soient les hypothèses de croissance de la productivité, la combinaison du vieillissement démographique et des réformes passées va faire diminuer le TRI. De l’ordre de 1% pour les générations nées au début des années 1960 (donc entrant en retraite actuellement), il passera en dessous de 0,5% pour les générations plus récentes. Autrement dit, pour une personne née en 1968, par exemple, le TRI du système de retraite actuel est en dessous du taux de rendement du livret A, et a fortiori très inférieur au taux de rendement moyen du capital… !
Les jeunes générations ne s’y trompent pas : si elles se sont, comme leurs aînés, mobilisées contre le relèvement de l’âge légal en 2023, elles ne se font guère d’illusion sur la capacité du système actuel à subvenir à leurs besoins futurs. Ainsi, dans la plus récente enquête Pat€r25, 52% des 25-34 ans s’attendent à ne pas bénéficier d’une pension au moment de leur départ et 42% d’entre eux pensent que le système de retraite n’existera tout simplement plus d’ici leur fin de vie professionnelle.
Pour ces générations, le choix sera donc entre une épargne supplémentaire et un appauvrissement au moment de la retraite. On ne saurait mieux dire que le régime par répartition actuel ne respecte pas ses promesses. Sous couvert de simples redressements comptables visant à « sauver le système par répartition », la remise en cause des engagements intergénérationnels, réforme après réforme, est donc très profonde. Après une sorte d’« âge d’or » bénéficiant aux générations nées dans les années 1940 et 1950, notre système est entré dans une phase où il est de moins en moins rentable. Il a donc bien subi de plein fouet les risques politiques et démographiques évoqués par la littérature académique.
Un système qui contribue à une surtaxation et à une dévalorisation du travail
Les choix effectués en matière de retraites (générosité du système et répartition pure dans un contexte démographique et économique qui s’affaiblit) expliquent l’essentiel de l’écart entre les prélèvements sur le travail existant en France et chez nos principaux voisins. Cette situation bride la compétitivité de nos entreprises et conduit à un niveau d’emploi insuffisant.
À titre d’illustration, un alignement des cotisations retraite en France sur celles de l’Allemagne (soit environ 9 points de moins, réparties au prorata entre les cotisations salariés et employeurs) aurait des impacts macroéconomiques très significatifs sur l’activité et l’emploi, selon le modèle macroéconomique Mésange utilisé par la Direction générale du Trésor dans ses prévisions :
Au-delà de cet aspect économique, on peut se demander si cette surtaxation du travail ne participe pas à la crise du travail que nous traversons : un système de prélèvement excessif, qui décourage le travail et les mobilités professionnelles ascendantes, pèse sur le pouvoir d’achat des travailleurs et limite l’écart entre les salaires nets et les allocations chômages (qui ne sont pas soumises à cotisations sociales). Plutôt que d’en appeler de manière incantatoire à une « revalorisation de la valeur travail », il serait préférable de faire en sorte que le travail paye davantage. Dans ce contexte, l’instauration d’un pilier de capitalisation, en autorisant une baisse substantielle des cotisations retraite, pourrait trouver dans cet impératif politique une justification supplémentaire.
Un projet de réforme
Dans son économie générale, il s’inspire des travaux réalisés par l’Institut économique Molinari, sous la direction de Nicolas Marques (« Pour une réforme des retraites qui réponde aux enjeux français »), 2021.
Les réflexions qui précèdent conduisent à proposer une substitution du régime par répartition actuel par un système mixte combinant répartition et capitalisation, en s’inspirant de dispositifs collectifs et obligatoires déjà introduits en France comme l’ERAFP et la retraite des sénateurs26. Ce système concerne les salariés du secteur privé, soit les ressortissants du régime général (environ 20 millions de cotisants et 13 millions de retraités en 2023). Il vise à remplacer les deux étages de retraite de base (régime général) et des retraites complémentaires (AGIRC-ARRCO). Il pourrait, comme aujourd’hui, être complété par des dispositifs d’épargne retraite collectifs ou individuels volontaires.
Prenons le cas extrême de certains salariés qui vivront jusqu’à l’âge de 100 ans qui seront entrés sur le marché du travail à 20 ans en 2024, soit avant la mise en place du pilier capitalisation en 2025 : il leur manquera une année de cotisation pour recevoir 33% de leur pension sous forme de capitalisation lorsqu’ils partiront à la retraite, et ceci jusqu’à leur décès, soit en 2104, voire un peu au-delà pour ceux qui seront centenaires.
Laisser les déficits par répartition s’accumuler ne serait pas une solution car le surcroît d’endettement public qui en résulterait viendrait en grande partie diminuer l’impact positif de l’ensemble de l’opération sur le capital par tête de l’économie.
Les principes du système cible (premières entrées en 2025, régime de croisière vers 210527) : un système à deux piliers obligatoires, l’un par répartition, l’autre par capitalisation :
Pour construire ce système à deux piliers, il convient de se fixer quelques modalités structurantes.
1- Les modalités de calcul de la part de la pension du pilier par répartition sont modifiées pour le rendre moins assurantiel qu’aujourd’hui, de sorte qu’il prenne en charge la totalité des éléments redistributifs du système. Des mécanismes d’écrêtement des pensions les plus élevées lui permettraient, notamment, de financer un minimum-vieillesse ainsi que les divers avantages non-contributifs ou départs anticipés existants (par exemple les majorations pour enfants, les pensions de réversions, les départs anticipés de diverses natures…) ;
2- La réforme laisse inchangée la proportion des dépenses consacrées aux retraites du secteur privé en proportion du PIB. Celle-ci reste donc calée sur les projections du COR, année par année sur la période 2025-2070 (soit environ 11% en 2070). Elle pourrait être complétée par de nouveaux reports de l’âge légal ou de la durée de cotisation, mais il s’agit de sujets distincts de celui de la construction d’un pilier de capitalisation qui est l’objet de cette étude ;
3- L’introduction du pilier capitalisation est calibrée de manière à viser, en régime de croisière, une pension par capitalisation égale à une fraction donnée de la pension totale. Nous avons choisi ici de la fixer à 33% ;
4- Le pilier capitalisation est financé par une cotisation spécifique assise sur la masse salariale, à répartir entre une part salariale et une part employeur (répartition non déterminée) ;
5- Le risque portant sur le taux de rendement de la capitalisation est partiellement mutualisé sur l’ensemble des générations de cotisants et de retraités, et non sur des comptes individuels comme ce serait le cas avec des fonds de pension usuels, afin d’éviter le risque que le TRI ne varie trop fortement entre les individus et les générations, au gré de l’historique des taux de rendement du capital qu’ils ont connu durant leur vie active. Pour lisser l’effet des variations du taux de rendement du capital entre les générations, il est prévu un système par points sur le modèle de l’ERAFP ;
6- S’agissant des paramètres économiques décisifs, les choix suivants ont été retenus :
– Sur le taux de croissance de l’économie (productivité, taux d’emploi, espérance de vie, fécondité) et le niveau des pensions en part de PIB, les dernières projections du COR à l’horizon 2070 ont été retenues et maintenues constantes au-delà ;
– Les paramètres actuels du système par répartition autres que les taux de cotisation (durées de cotisations, âges effectifs de départ…) ont été conservés. En revanche, les taux de cotisations au régime par répartition ont été relevés dans tous les scénarios de manière à équilibrer chaque année le pilier par répartition, l’introduction d’un pilier par capitalisation n’ayant pas vocation à « éponger » les déficits du système actuel28 ;
– Les ressources autres que les cotisations sur les salaires (impôts tels que la CSG et diverses autres taxes affectés pour financer les éléments de solidarité et compenser les allégements de charge sur les bas salaires), qui représentent environ 30% des ressources du régime général, sont laissées inchangées et restent affectées au pilier par répartition. En projection, elles progressent au même rythme que le PIB ;
7- S’agissant du taux de rendement du capital, des scénarios de taux réels de 3,5% et 4% (donc après inflation) ont été retenus, taux de rendement « pivot » parfaitement cohérents avec les performances observées historiquement (cf. discussion de la 3e partie).
La gestion de la période de transition sur 2025-2070 :
Il va de soi que la gestion politique et économique de la longue période de transition est centrale dans la mise en place du système et son acceptabilité par l’opinion publique : même si l’introduction d’un pilier par capitalisation serait très avantageuse à long terme pour les actifs et futurs retraités, cet avantage doit être mis en balance avec la possible dégradation de la situation des générations de la transition. De ce point de vue, on doit distinguer trois types de générations :
– Les retraités actuels (« boomers », les plus de 65 ans), qui ne verraient aucune modification de leur situation ;
– Les générations proches de la retraite au moment de la mise en place de la réforme (les 45-64 ans) : elles seraient soumises à une nouvelle cotisation obligatoire, venant s’ajouter à la cotisation retraite par répartition, sans voir leur niveau de pension futur modifié. Pour elles, le TRI du nouveau système serait plus faible que celui du système actuel.
– Les jeunes générations (actifs de moins de 45 ans en 2025 et futurs actifs) : elles subiraient certes une nouvelle cotisation, mais verraient le taux de cotisation à la répartition diminuer progressivement au cours de leur vie active. Au total, elles pourraient bénéficier au moment de la retraite d’une pension inchangée par rapport à aujourd’hui tout en ayant payé des cotisations en moyenne plus faibles sur l’ensemble de leur cycle de vie, soit un TRI plus élevé. Elles seraient donc gagnantes.
Il va de soi que la faisabilité politique de la période de transition dépend la possibilité de limiter les effets négatifs sur les actifs de la deuxième catégorie.
Il est proposé plusieurs mécanismes correctifs simples qui consistent en définitive à répartir la « perte de bien-être » temporaire sur plusieurs générations. Il s’agit à la fois de doter le fonds initialement pour accélérer sa montée en charge et de dégager des marges de manœuvres pour anticiper la baisse des cotisations au système par répartition.
– Une mobilisation des réserves actuelles du régime par répartition (FRR et réserves de l’AGIRC/ARRCO) ;
– Une contribution exceptionnelle des retraités actuels prenant la forme d’une sous-indexation temporaire des pensions versées. Le niveau historiquement élevé des taux de remplacement actuels jusque vers l’année 2035 justifie que les pensions actuelles progressent moins vite que l’inflation pendant plusieurs années ;
– Une contribution de l’État, financée par une suppression de l’abattement de 10% pour frais professionnels des pensions de l’impôt sur le revenu ;
– Une baisse des impôts de production (par exemple la CVAE) permettant de compenser en partie la hausse temporaire du coût du travail générée par la création de la cotisation employeur pour la capitalisation. Le choix d’une baisse des impôts de production serait justifié par l’écart considérable qui existe entre la France et ses principaux concurrents sur cette catégorie d’impôt, écart qui pénalise notre industrie29. Cette baisse suppose toutefois un effort correspondant de diminution des dépenses publiques.
En résumé, les ressources mises à disposition au moment du lancement de l’opération pour faciliter la période de transition seraient les suivantes :
Même si en pratique, pour diversifier les risques, il serait géré par une multitude de gérants de fonds d’investissement sélectionnés par les responsables du fonds.
Toujours au nom de bons motifs : « sauver l’industrie française », « préserver les emplois », « éviter la prédation par des fonds rapaces », etc.
Le pilotage et la stratégie d’investissement :
Principes généraux :
Le choix d’un fonds de capitalisation collective et obligatoire piloté au niveau national a été retenu pour plusieurs raisons :
– En termes d’équité : il permet à chaque salarié de bénéficier des mêmes règles de pensions à montant de cotisations donné ;
– En termes d’acceptabilité politique : ce scénario permet d’éviter les critiques virulentes portant sur les risques de faillite du système et de ruine des épargnants (cf. scandales de type ENRON) ;
– En termes d’efficience : grâce à un effet d’échelle, les frais de gestion d’un fonds géré au niveau national30 seraient plus faibles que des fonds de pension décentralisés31) ;
– En termes de souveraineté : même si l’objectif de ce fonds ne serait pas celui d’un fonds souverain (orientation des investissements sur des priorités jugées stratégiques par l’État), il est certain que, sensible aux intérêts nationaux, il aurait un biais en faveur des actions françaises et de la zone euro, ce qui permettrait d’apporter des fonds propres à nos entreprises et de renforcer leur position dans la compétition internationale.
Un aperçu de la stratégie d’investissement :
Les analyses de la troisième partie ont montré qu’une condition de réussite d’un tel fonds est qu’il soit très majoritairement investi en actions, qui sont de loin les actifs les plus performants sur de longues périodes. Au vu des expériences étrangères et de la durée des actifs (environ 20 ans, soit la durée moyenne restant à cotiser avant la liquidation de la retraite), un investissement en actions à hauteur de 50 à 60% des actifs paraîtrait une cible adéquate à long terme. Cette proportion devrait dépendre naturellement du « matelas » de disponibilités nécessaire pour faire face au paiement des pensions, qui pourrait être de taille variable au cours de la montée en puissance du pilier répartition.
La question centrale de la gouvernance :
Le risque politique de « captation » du fonds par l’État est certainement central dans le cas français : risque de mobiliser le fonds pour investir dans des entreprises en difficultés32 ou plus simplement pour diminuer son endettement dans l’hypothèse où les marchés financiers perdraient confiance dans la soutenabilité de la dette publique française. Dans une version moins agressive, l’État pourrait aussi vouloir influencer la stratégie du fonds de manière qu’il investisse prioritairement dans des obligations d’État, ce qui diminuerait nécessairement son rendement et biaiserait sa stratégie d’investissement.
C’est pourquoi, à côté de règles de bonne gestion et de transparence indispensables, il conviendrait de mettre en place une gouvernance qui, sans annuler totalement ce risque, permettrait à nos concitoyens d’avoir confiance dans le régime. De ce point de vue, confier la gestion du système à un établissement public ou à une autorité indépendante comme la caisse des dépôts ne suffira pas.
C’est pourquoi deux propositions pourraient être faites :
– Confier la direction politique aux partenaires sociaux de l’AGIRC/ARRCO. Ils ont en effet démontré leur capacité à gérer efficacement le régime complémentaire de retraite. Quant aux organisations syndicales, elles jouent un rôle très constructif dans les fonds de capitalisation existants au bénéfice des fonctionnaires (PREFON pour capitalisation volontaire et l’ERAFP pour la capitalisation obligatoire). Bien entendu, l’État siègerait dans cette enceinte, mais n’aurait aucune possibilité de s’immiscer dans sa gestion ;
– Modifier les lois organiques relatives aux lois de finances (LOLF) et aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) de manière à interdire aux lois de finances d’intervenir dans la gestion du fonds (prélèvements, taux de cotisation, orientations stratégiques de la gestion du fonds, etc.).
Le résultat des simulations selon plusieurs scénarios :
Les simulations effectuées n’ont pas pour objectif de fournir un plan de déploiement clé en main, mais permettent de tester sa faisabilité et de donner des ordres de grandeurs plausibles sous des hypothèses les plus réalistes possibles.
La montée en charge du pilier capitalisation est calibrée de manière à atteindre 33% des pensions en régime de croisière. Compte tenu de la montée en charge progressive du régime (gestion du stock de retraités en cours en répartition pure et entrée à la retraite de nouveaux retraités n’ayant cotisé en capitalisation que pendant une fraction de leur vie active), cette cible ne sera pas atteinte avant 2105. La montée en charge n’est pas linéaire et la proportion de capitalisation dans l’ensemble des pensions devrait évoluer tel que représenté dans le graphique ci-dessous. À l’horizon 2070, qui est celui de nos simulations, la proportion de pensions versées en capitalisation serait de 24% (contre une cible de 33% au-delà de 2100).
Sur la base des hypothèses rappelées précédemment, quatre scénarios, combinant plusieurs hypothèses sur le taux de croissance g et sur le rendement du capital r ont été simulés à l’horizon 2070. Concernant la productivité, les scénarios à 0,7% et 1%, qui sont les scénarios privilégiés aujourd’hui par le COR, ont été retenus. S’agissant des rendements du capital, ils sont estimés à 3,5% ou 4% selon les cas. Le taux de cotisation sur le pilier capitalisation est fixé à 4% ou 4,5% du salaire brut selon les cas et dépend de l’écart entre g et r.
L’impact macroéconomique :
Les chiffrages qui précèdent montrent que, sous des hypothèses réalistes, la montée en charge d’un pilier par capitalisation permettrait de constituer un fonds de capitalisation qui atteindrait un niveau situé entre 40% et 50% du PIB à l’horizon de la projection, selon les scénarios.
Sous ces hypothèses, le surcoût pour les salariés et les entreprises (entre 3,2 et 3,7 points de cotisation la première année) pourrait s’annuler à l’horizon de 4 ou 5 ans et se transformer en allégement net de charges au-delà. Cet allégement de charges s’accélèrerait au cours de la montée en charge du régime jusqu’à atteindre entre 5 et 7 points de salaire brut à l’horizon 2070.
À titre conservatoire, ces simulations ne prennent pas en compte d’autres éventuelles compensations par l’État évoquées précédemment via une baisse des impôts de production : par exemple, une réduction de la CVAE équivalente à 1,6% des salaires bruts (soit environ 6,5 Mds€), permettrait de limiter les surcoûts les deux premières années à 1,6 et 0,8 point respectivement et de l’annuler dès la troisième dans les scénarios 1 et 2.
Ces simulations sont des évaluations très prudentes, dans la mesure où elles ne prennent pas en compte les « effets de retour » très positifs qu’aurait cette réforme sur la croissance et l’emploi.
Ainsi, l’accroissement du stock de capital investi dans l’économie grâce à cette réforme conduirait à une hausse de l’activité et de l’emploi, effet qui serait renforcé par la baisse des charges sociales pesant sur le travail. À titre d’illustration, l’accumulation d’un fonds représentant 50% du PIB en 2070 avec un rendement de 4% produirait des revenus annuels supplémentaires de l’ordre de 2% du PIB à cet horizon avant la prise en compte de l’impact favorable de ces baisses de charges sociales. En les prenant en compte, on pourrait escompter environ 2,5% de PIB selon le modèle Mésange déjà utilisé, ce qui porterait l’impact positif sur le PIB à 4,5% à terme.
Au-delà de ces premiers effets, on peut attendre un surcroît de croissance et d’emploi si l’épargne supplémentaire accumulée dans le fonds de capitalisation était orientée vers des secteurs d’avenir (IA, transition écologique, défense…). Cette meilleure orientation de l’épargne permettrait en effet d’accroître la productivité globale des facteurs, stopper le déclin relatif de notre productivité par rapport aux États-Unis et d’éviter le décrochage technologique qui nous menace. Bien qu’il soit impossible de simuler un tel impact dans le cadre de cette étude, il est vraisemblablement le plus important de tous.
Ces effets pourraient à la fois permettre une diminution des cotisations retraite plus rapide que ce qui est simulé, de contribuer au redressement de notre système productif et de dégager des marges de manœuvre pour financer l’indispensable « mur de dépenses » auquel nous devrons faire face collectivement dans les prochaines décennies.
Conclusion
La principale réticence des Français face à la perspective d’un système de retraite fondé en partie sur la capitalisation repose sur l’affirmation quelque peu sentimentale selon laquelle la retraite par répartition serait intrinsèquement plus « juste ». Cette assertion utilise le plus souvent l’argument que les plus pauvres n’ont pas accès au capital. Elle est pourtant paradoxale puisque, précisément, la capitalisation obligatoire permet aux plus démunis de se procurer du capital et de bénéficier de rendements que seuls les plus aisés peuvent aujourd’hui obtenir via du capital privé constitué par eux-mêmes ou transmis par héritage.
Combinant un pilier de répartition puissant et beaucoup plus redistributif qu’aujourd’hui et un volet de capitalisation collective et obligatoire adossé à un fonds de capitalisation géré au niveau national, ce projet de retraite mixte possède deux avantages décisifs.
Tout d’abord, il aboutit à un système socialement plus équitable tout en maîtrisant les risques et en gérant de manière optimale la longue période de transition d’un système à un autre. Ensuite, il apporte une réponse à l’immense besoin de notre pays d’investir et de se projeter dans l’avenir pour retrouver de la confiance collective. Même s’il ne saurait se substituer à l’effort d’assainissement des finances publiques qui est son corollaire indispensable, un tel projet redonnerait de l’oxygène et des marges de manœuvre à notre économie. C’est pourquoi il devrait figurer en bonne place dans un programme plus vaste de redressement économique et social du pays.
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