La conversion des Européens aux valeurs de droite
France, Allemagne, Italie et Royaume-UniLes principaux enseignements
Introduction
L’autopositionnement politique sur un axe gauche-droite révèle un basculement à droite des électorats européens
L’immigration inquiète l’opinion, à droite comme à gauche
Pour une majorité des répondants (60 %), l’immigration est jugée excessive
Les électeurs rejettent l’idée d’une ouverture sur le plan migratoire
La préoccupation vis-à-vis de l’islam dépasse les appartenances politiques
En France, 62 % des citoyens estiment que l’islam représente une menace pour la République
Une inquiétude partagée chez nos voisins européens
Préférence pour un libéralisme économique
Un appel à davantage de liberté pour les entreprises
La taille des entreprises façonne les représentations collectives
La croissance économique est compatible avec l’environnement pour 76 % des répondants
L’individualisme : une valeur transpartisane
L’autonomie de la réussite érigée en norme sociale
La responsabilité individuelle l’emporte sur l’assistanat
Conclusion
Résumé
Des majorités de droite sont aux commandes de la plupart des gouvernements nationaux en Europe. Derrière ces victoires électorales se pose la question de la conversion profonde des Européens aux valeurs de la droite. Les résultats des différents scrutins ne nous renseignent que partiellement sur le système des préférences politiques, tant les facteurs qui entrent en considération lors d’un vote sont pluriels – incapacité à choisir, vote sanction, désir d’alternance… Or les désordres de la société contemporaine modifient en profondeur nos croyances individuelles et nos systèmes de valeurs : multiplication et enchevêtrement de crises mondiales, déploiement de la globalisation, vieillissement démographique, hausse de l’immigration, accroissement du sentiment d’insécurité suscité par les phénomènes de délinquance et le terrorisme islamiste, recomposition de l’espace médiatique, etc.
Une telle situation, révélatrice d’un basculement historique sur le continent européen, appelle à un effort d’observation. Les données analysées dans cette étude, tirées de la douzième vague du Baromètre de la confiance politique du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), dont la Fondation pour l’innovation politique est partenaire, visent ainsi à contribuer à une meilleure appréhension des ressorts de l’inclinaison à droite qui semble s’opérer au sein de l’opinion dans quatre grandes démocraties européennes : la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Le diagnostic d’un déplacement vers la droite de la société se fonde ici sur l’assimilation de valeurs à la culture de droite, dont le nationalisme via la question identitaire, le libéralisme économique et le libéralisme politique indexé à l’individualisme.
Les principaux enseignements
1. En moyenne, dans les quatre démocraties étudiées, 39 % des répondants s’autopositionnent à droite (entre 6 et 10 sur l’échelle), 27 % à gauche (entre 0 et 4) et 20 % au centre (5).
2. L’autopositionnement à droite est en tête dans chacun des quatre pays de l’étude : 44 % des Italiens se situent à droite (31 % à gauche), 40 % des Britanniques (25 % à gauche), 38 % des Français (24 % à gauche) et 36 % des Allemands (26 % à gauche).
3. Alors que les seniors sont réputés voter traditionnellement plus à droite que les jeunes, nos données montrent que les nouvelles générations sont les plus nombreuses à s’autopositionner à droite. Dans l’ensemble des pays, 41 % des 18-24 ans et 41 % des 25-34 ans se positionnent entre 6 et 10 sur l’échelle, soit un niveau comparable à celui des 65 ans et plus (40 %) mais supérieur de 5 points à celui des 50-64 ans (36 %).
4. En cinq ans, la proportion de Français se situant à droite de l’échiquier politique s’est accrue de manière continue, passant de 33 % en 2017 à 38 % en 2021. Sur la même période, la proportion des citoyens se situant à gauche est restée stable (25 % en 2017 et 24 % en 2021), malgré une légère baisse en 2020 (22 %).
5. La perception de l’immigration est dominée par un jugement négatif. En moyenne, six citoyens sur dix (60 %) sont d’accord avec l’affirmation « il y a trop d’immigrés dans notre pays » (contre 36 % et 4 % qui ne répondent pas).
6. Plus de la moitié des répondants (56 %) pensent que leur pays doit se fermer davantage sur le plan migratoire, moins d’un quart (23 %) s’ouvrir davantage et 21 % prônent le statu quo. Les Français (63 %) apparaissent comme les plus réfractaires à l’ouverture, devant les Allemands (54 %), les Italiens (54 %) et les Britanniques (53 %).
7. Dans les quatre démocraties ici étudiées, les sympathisants des partis de gauche sont plus nombreux à être « pro-fermeture » que « pro-ouverture » ou en faveur du statu quo – à l’exception des sympathisants Parti démocrate (Partito Democratico) italien.
8. En France, 62 % des citoyens estiment que l’islam représente une menace pour la République.
9. En France, la crainte de l’islam est largement partagée par les personnes qui se situent dans le bloc de droite (81 %). Le bloc de gauche apparaît très clivé sur cette question : près d’une moitié des sympathisants de gauche (45 %) est d’accord avec l’item « l’islam représente une menace pour la République », l’autre moitié (52 %) n’est pas d’accord et 3 % des personnes questionnées n’ont pas répondu.
10. Une majorité des répondants (54 %) considèrent que « pour faire face aux difficultés économiques », il faut « que l’État fasse confiance aux entreprises et leur donne plus de liberté ». L’option « que l’État contrôle les entreprises et les réglemente plus étroitement » est choisie par 41 % des personnes interrogées (5 % répondent ne pas savoir).
11. La confiance portée aux entreprises est inversement proportionnelle à leur taille. La confiance envers les petites et moyennes entreprises (PME) est très élevée (74 %) et elles font même partie des institutions qui suscitent le plus de confiance, mais celle exprimée à l’égard des grandes entreprises, publiques (45 %) et privées (44 %) reste minoritaire.
12. La portée médiatique du discours de l’écologisme punitif et de la décroissance connaît des limites de propagation au sein de l’opinion. Pour 76 % des personnes interrogées, « on peut continuer à développer notre économie tout en préservant l’environnement pour les générations futures ». Les Italiens sont les plus nombreux (84 %) à penser que croissance et protection de l’environnement sont compatibles. Ils sont suivis par les Allemands (74 %), les Britanniques (74 %) et les Français (72 %).
13. Les sympathisants des différents partis des quatre démocraties répondent majoritairement que l’« on peut continuer à développer notre économie tout en préservant l’environnement pour les générations futures ». C’est notamment le cas chez les sympathisants du Parti socialiste (73 %), d’Europe Écologie-Les Verts (67 %) et du PCF/FI (67 %) en France ; des Grünen (80 %) et du SPD (73 %) en Allemagne ; du Labour Party (73 %) et du Green Party of England and Wales (69 %) au Royaume-Uni ; du Partito Democratico (88 %) en Italie.
14. Nos données montrent que l’individualisme, à droite comme à gauche, est érigé en norme sociale. Une large majorité des répondants estiment que « les gens peuvent changer la société par leurs choix et leurs actions » (80 %), que « les gens de leur pays ont la possibilité de choisir leur propre vie » (69 %), et, dans une moindre mesure, qu’ils ont « une liberté et un contrôle total sur leur propre avenir » (63 %).
15. Près de trois quarts de l’ensemble des citoyens (71 %) jugent que « beaucoup de personnes parviennent à obtenir des aides sociales auxquelles elles n’ont pas contribué ». C’est 46 points de plus que les répondants n’étant pas d’accord avec cet item (25 %). Une analyse par pays montre que c’est en France, où 57 % des ménages ne paient pas d’impôt sur le revenu, que les citoyens sont les plus nombreux (73 %) à juger que beaucoup de personnes touchent des aides sociales auxquelles elles n’ont pas contribué. Ils sont suivis par les Britanniques (72 %), les Italiens (72 %) et les Allemands (68 %).
16. Plus de la moitié des répondants (55 %) considèrent que « les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment » (contre 42 % qui « ne sont pas d’accord » avec cette proposition). En un an, la proportion des individus considérant que les chômeurs profitaient du système est restée stable en France (passant de 50 % en février 2020 à 51 % en février 2021) et en Allemagne (de 61 à 60 %), tandis qu’elle s’est effondrée de 22 points au Royaume-Uni (de 78 % à 56 %).
17. L’effort individuel est mis en avant par les personnes interrogées. Plus des deux tiers d’entre elles (68 %) estiment en effet qu’« en faisant des efforts, chacun peut réussir ». Une importante majorité des répondants se situant à gauche (58 %) de l’échiquier politique abonde dans ce sens, même si les répondants sont encore plus nombreux à droite (71 %). Notons que les différences entre les États sont significatives : 74 % des Britanniques, 69 % des Allemands, 68 % pour les Français et 55 % pour les Italiens.
Les données analysées sont issues de la douzième vague du Baromètre de la confiance politique, enquête de référence réalisée par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), en partenariat avec la Fondation pour l’innovation politique, le Conseil économique, social et environnemental (Cese), la Fondation Jean-Jaurès, l’Institut Montaigne, la mutuelle Intériale et l’université Luiss à Rome. Depuis douze ans, ce baromètre permet un suivi longitudinal de la confiance des citoyens dans la politique et dans les institutions, mais aussi dans leur rapport à la démocratie et à son fonctionnement.
Les interviews ont été réalisées en France, en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni entre le 20 janvier et le 10 février 2021 par questionnaire auto-administré en ligne par l’institut de sondage Opinion Way. Au total, 7.603 personnes ont été interrogées. L’intégralité des données de l’enquête est mise à la disposition du public en open data sur data.fondapol.org.
Introduction
Voir Dominique Reynié (dir.), Les Droites en Europe, PUF, 2012.
Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Grèce, Estonie, France, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie. Pour la France, nous considérons que le gouvernement penche plutôt à droite car, en dépit de LREM qui se veut « ni de droite ni de gauche », les deux Premier ministres successifs récents (Édouard Philippe puis Jean Castex) sont issus du parti Les Républicains. De même, pour l’Italie, Mario Draghi, président du Conseil italien depuis le 12 février 2021, vient de la droite libérale, même s’il a formé un gouvernement d’union nationale rassemblant des partis de gauche et droite, y compris populistes.
Voir Guillemette Lano et Raphaël Grelon, avec le concours de Victor Delage et Dominique Reynié, Élections européennes 2019. Le poids des électorats comparé au poids électoral des groupes parlementaires, Fondation pour l’innovation politique, juillet 2019, p.3.
Voir Jérôme Fourquet, Fabienne Gomant, Ernst Hillebrand et Vincent Tiberj, Droitisation en Europe. Enquête sur une tendance controversée, Fondation Jean-Jaurès/Fondation européenne d’études progressistes, 2014.
Pierre Bréchon, « Valeurs de gauche, valeurs de droite et identités religieuses en Europe », Revue française de sociologie, vol.47, n°4, octobre-décembre 2006, p. 728.
Pascal Ory, « À droite toute ? », Le Débat, n° 191, septembre-octobre 2016, p. 147-154.
En 2012, un ouvrage sur « les droites en Europe » faisait état de leur succès manifeste sur le continent européen, sous l’effet conjugué de l’épuisement de la social-démocratie et de l’effondrement du communisme1. Près de dix ans plus tard, des majorités de droite sont aux commandes de la plupart des gouvernements nationaux de l’Union européenne. En avril 2021, vingt-et-un pays2 sur vingt-sept sont dirigés par des partis libéraux/conservateurs ou par des coalitions où la droite est à la tête du gouvernement, auxquels on peut ajouter le gouvernement conservateur de Boris Johnson au Royaume-Uni.
Rappelons par ailleurs que, depuis 1999, c’est le Parti populaire européen (PPE) qui a le plus de sièges au Parlement européen, seule institution de l’Union européenne soumise au suffrage universel direct. C’est la droite classique, conservatrice. On y retrouve notamment le parti français Les Républicains et l’imposante Union chrétienne- démocrate d’Allemagne (CDU). Lors des élections européennes de 2019, le calcul du poids des électorats à l’échelle de la circonscription européenne montre que l’électorat de droite (centre proeuropéen, droite proeuropéenne et droite populiste/extrême droite) réunit 110.955.811 suffrages et représente 55,9 % des suffrages exprimés et 27,9 % du total des inscrits, bien plus que l’électorat de la gauche (gauche proeuropéenne, écologistes et gauche populiste/extrême gauche), qui réunit 67.941.204 suffrages, 34,2 % des suffrages exprimés et 17,1 % du total des inscrits3.
Derrière ces victoires électorales se pose la question de la conversion profonde des Européens aux valeurs de la droite4. Les résultats des scrutins ne nous renseignent que partiellement sur le système de préférences politiques, tant les facteurs qui entrent en considération lors d’un vote sont pluriels – incapacité à choisir, vote sanction, désir d’alternance, etc. Selon Pierre Bréchon, coordinateur pour la France de la grande enquête internationale European Values Study5, « l’identification à la gauche ou à la droite semble constituer un choix lié à tout un univers de valeurs et pas seulement à une orientation électorale6 ». Or les désordres de la société contemporaine modifient en profondeur nos croyances individuelles et nos systèmes de valeurs : multiplication et enchevêtrement de crises mondiales, déploiement de la globalisation, vieillissement démographique, hausse de l’immigration, accroissement du sentiment d’insécurité suscité par les phénomènes de délinquance et le terrorisme islamiste, recomposition de l’espace médiatique, etc. Une telle situation, révélatrice d’un basculement historique sur le continent européen, appelle à un effort d’observation. Cette étude vise ainsi à contribuer à une meilleure appréhension des ressorts de l’inclinaison à droite qui s’opère au sein de l’opinion dans quatre grandes démocraties européennes : la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Le diagnostic d’un déplacement vers la droite de la société se fonde ici sur la diffusion des valeurs de droite7, dont le nationalisme via la question identitaire, le libéralisme économique et le libéralisme politique indexé à l’individualisme.
L’autopositionnement politique sur un axe gauche-droite révèle un basculement à droite des électorats européens
En moyenne, dans les quatre démocraties étudiées, à la question « sur une échelle de 0 à 10, où 0 correspond à la gauche et 10 correspond à la droite, où diriez-vous que vous vous situez ? », 39 % des répondants s’autopositionnent à droite (entre 6 et 10 sur l’échelle), 27 % à gauche (entre 0 et 4) et 20 % au centre (5). L’autopositionnement à droite est en tête dans chaque pays : 44 % des Italiens se situent à droite (31 % à gauche), 40 % des Britanniques (25 % à gauche), 38 % des Français (24 % à gauche) et 36 % des Allemands (26 % à gauche). On observe que 14 % de la totalité des répondants ne se positionnent pas sur l’axe gauche-droite. Il s’agit généralement de personnes qui se sentent très éloignées de la vie politique et qui considèrent que la démocratie fonctionne mal. Notons également que le bloc de droite regroupe des individus se situant du centre droit à l’extrême droite, tandis que le bloc de gauche regroupe des individus se situant du centre gauche à l’extrême gauche.
Français, Allemands, Italiens et Britanniques sont plus de droite que de gauche
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© Fondation pour l’innovation politique, mai 2021.
Un point crucial apparaît : alors que les seniors sont réputés voter traditionnellement plus à droite que les jeunes, nos données montrent que les nouvelles générations sont les plus nombreuses à s’autopositionner à droite. Dans l’ensemble des pays, 41 % des 18-24 ans et 41 % des 25-34 ans se positionnent entre 6 et 10 sur l’échelle, soit un niveau comparable à celui des 65 ans et plus (40 %), mais supérieur de 5 points à celui des 50-64 ans (36 %). À l’inverse, seuls 26 % des 18-24 ans et 22 % des 25-34 ans se placent à gauche (entre 0 et 4 sur l’échelle), contre 31 % chez les 65 ans et plus et 29 % chez les 55-64 ans. Sur le temps long, cette droitisation des jeunes électorats pourrait structurellement renforcer l’ancrage des partis de droite en Europe.
Quelle que soit leur catégorie socioprofessionnelle, les répondants s’autopositionnent toujours plus à droite qu’à gauche
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© Fondation pour l’innovation politique, mai 2021.
L’inclusion par le Baromètre de la confiance politique de mesures en Allemagne et au Royaume-Uni a débuté lors de la vague 11, en février 2020. L’Italie, quant à elle, apparaît pour la première fois dans cette vague 12. À la différence de la France, aucune donnée n’est donc disponible pour ces trois pays pour les années précédentes.
Bruno Cautrès, « La fausse mort du clivage gauche-droite », Baromètre de la confiance politique-Vague 9, Sciences po/Cevipof, 29 janvier 2018.
Pour la France, le Baromètre de la confiance politique permet de rendre compte de l’évolution de l’autopositionnement politique depuis 20178. En cinq ans, la proportion de Français se situant à droite de l’échiquier politique s’est accrue de manière continue, passant de 33 % en 2017 à 38 % en 2021. Sur la même période, la proportion des citoyens se situant à gauche est restée stable (25 % en 2017 et 24 % en 2021), malgré une légère baisse en 2020 (22 %). Si le clivage gauche-droite résiste dans l’imaginaire collectif9, un glissement s’opère au profit de la droite depuis plusieurs années.
La droitisation des Français
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© Fondation pour l’innovation politique, mai 2021.
L’immigration inquiète l’opinion, à droite comme à gauche
Pour une majorité des répondants (60 %), l’immigration est jugée excessive
Concernant la France, voir Didier Leschi, Migrations : la France singulière, Fondation pour l’innovation politique, octobre 2018.
Dominique Reynié, Les Nouveaux Populismes, Pluriel, 2013, p. 299.
La crise migratoire de 2015 a relancé en Europe le thème politique de l’immigration. Dans les pays de l’enquête, fortement concernés par les mouvements migratoires10, la perception de l’immigration est dominée par un jugement négatif. Ainsi, en moyenne, six citoyens sur dix (60 %) sont d’accord avec l’affirmation « il y a trop d’immigrés dans notre pays » (contre 36 % et 4 % qui ne répondent pas). L’item « il y a trop d’immigrés dans notre pays » obtient une adhésion majoritaire quelle que soit la nationalité du répondant (60 % chez les Français, les Allemands et les Italiens, 57 % chez les Britanniques). L’immigration soulève de fortes résistances dans l’ensemble des segments des populations.
Comme le souligne Dominique Reynié, « pour les classes populaires, l’immigration exerce une concurrence sur le marché de l’emploi et une pression sur le niveau des salaires ; pour les classes moyennes, elle consomme une part excessive de la solidarité dont [ces classes moyennes] estiment assurer le financement11 ». L’idée qu’il y a trop d’immigrés est partagée par deux tiers des catégories socioprofessionnelles inférieures (63 %) et des moins diplômés (66 %). Mais ce rejet reste majoritaire au sein des catégories socioprofessionnelles supérieures (58 %) et chez les plus diplômés (52 %). En France, deux tiers (65 %) des citoyens appartenant aux CSP– pensent qu’il y a trop d’immigration dans leur pays. C’est 10 points de plus (55 %) que pour les CSP+. Des tendances similaires s’observent chez nos voisins européens, malgré des écarts moins importants entre les catégories socioprofessionnelles : 64 % des CSP– allemandes jugent qu’il y a trop d’immigrés dans leur pays (contre 59 % chez les CSP+), 62 % des CSP– italiennes (contre 60 %) et 59 % des CSP– britanniques (contre 55 %).
Si les 18-24 ans apparaissent comme la classe d’âge la moins hostile à l’immigration, ils restent néanmoins 46 % à considérer qu’il y a trop d’immigrés dans leur pays
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© Fondation pour l’innovation politique, mai 2021.
Quelque soit le niveau de diplôme, le sentiment qu’ « il y a trop d’immigrés » est majoritaire
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Les électeurs rejettent l’idée d’une ouverture sur le plan migratoire
Voir Dominique Reynié (dir.), 2022, le risque populiste en France. Un indicateur de la protestation électorale. Vagues 2 et 3, Fondation pour l’innovation politique, octobre 2020.
Trois réponses étaient possibles à la question « Et plus précisément, sur le plan migratoire, estimez-vous que votre pays doit… ? » : s’ouvrir davantage, se fermer davantage ou ne rien changer. Plus de la moitié des répondants (56 %) pensent que leur pays doit se fermer davantage sur le plan migratoire, moins d’un quart (23 %) s’ouvrir davantage et 21 % prônent le statu quo. Les Français (63 %) apparaissent comme les plus réfractaires à l’ouverture, devant les Allemands, (54 %), les Italiens (54 %) et les Britanniques (53 %).
Globalement, plus les individus sont de droite, plus ils sont favorables à la fermeture. Néanmoins, la proportion des sympathisants de partis de gauche souhaitant que leur pays se ferme davantage sur le plan migratoire est significative. En effet, dans les quatre démocraties ici étudiées, les sympathisants des partis de gauche sont plus nombreux à être « pro-fermeture » que « pro-ouverture » ou en faveur du statu quo – à l’exception des sympathisants du Parti démocrate (Partito Democratico) italien.
L’immigration est devenue un enjeu majeur pour l’ensemble des citoyens, quelles que soient leurs affinités politiques. Selon l’indicateur de la protestation électorale de la Fondation pour l’innovation politique, la réduction de l’immigration s’impose pour 37 % des Français comme une des priorités que le gouvernement doit traiter, devant la réduction du réchauffement climatique (35 %), de l’influence de l’islam (33 %) ou encore de la dette et du déficit public (28 %)12.
Parmi les sympathisants de gauche, ceux souhaitant que leur pays se ferme davantage sur le plan migratoire sont généralement plus nombreux que ceux souhaitant plus d’ouverture ou un maintien du statu quo
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© Fondation pour l’innovation politique, mai 2021.
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La préoccupation vis-à-vis de l’islam dépasse les appartenances politiques
En France, 62 % des citoyens estiment que l’islam représente une menace pour la République
La vague 12 du Baromètre de la confiance politique questionne, uniquement pour la France, les citoyens sur leurs inquiétudes à l’égard de l’islam. Plus de six personnes interrogées sur dix (62 %) sont d’accord avec l’item « l’islam représente une menace pour la République ». Un tiers (33 %) disent ne pas être d’accord et 5 % n’ont pas répondu. Malgré l’existence de variations sociodémographiques, cette crainte gagne l’ensemble de la population. Les hommes sont plus nombreux (65 %) que les femmes (60 %) à considérer l’islam comme une menace pour la République. De même, deux tiers des Français vivant dans des communes rurales (65 %) perçoivent l’islam comme une menace pour la République, c’est 6 points de plus que pour les citadins des villes de 100.000 habitants et plus où le niveau est déjà élevé (59 %). L’effet d’âge est le plus net. Les plus jeunes représentent la classe d’âge répondant avoir le moins peur de l’islam : ils sont 41 % chez les 18-24 ans et 48 % chez les 25-34 ans à répondre que « l’islam représente une menace pour la République », contre 59 % chez les 35-49 ans, 74 % chez les 50-64 ans et 70 % chez les 65 ans et plus.
La crainte de l’islam est largement partagée par les personnes qui se situent dans le bloc de droite (81 %). De son côté, le bloc de gauche apparaît très clivé sur cette question : près d’une moitié des sympathisants de gauche (45 %) est d’accord avec l’item « l’islam représente une menace pour la République », une autre moitié (52 %) n’est pas d’accord, 3 % n’ayant pas répondu. Dans le détail, 55 % des sympathisants du Parti socialiste, 48 % des sympathisants du PCF-LFI et 42 % des sympathisants EELV jugent l’islam dangereux pour la République.
La crainte de l’islam touche l’ensemble des électorats
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Une inquiétude partagée chez nos voisins européens
Voir Dominique Reynié (dir.), Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique, Paris, Plon, 2017.
Voir Dominique Reynié (dir.), Démocraties sous tension, 2 vol., Fondation pour l’innovation politique, International Republican Institute, mai 2019.
François Miquet-Marty et Rafael Guillermo López Juárez, « Une droitisation identitaire », Le Débat, n° 191, septembre-octobre 2016.
Voir Dominique Reynié (dir.), Les Attentats islamistes dans le monde 1979-2019, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2019.
Ces résultats peuvent être mis en perspective avec ceux observés dans l’ouvrage Où va la démocratie ?, une enquête réalisée par la Fondation pour l’innovation politique dans 26 pays en 201713. Selon ces données, 62 % des Allemands, 57 % des Italiens et 50 % des Britanniques percevaient alors l’islam comme une menace pour leur pays. Une actualisation de ces données permettra de mesurer les évolutions, mais nul doute que l’islam demeure une source d’inquiétude au sein de l’opinion européenne14.
De tels résultats appuient l’hypothèse que la méfiance des Européens à l’égard de l’islam est multiforme. Les difficultés qui surgissent, par exemple à propos de l’égalité entre les femmes et les hommes ou encore au sujet de la liberté d’opinion, peuvent donner lieu à des conflits interculturels. Pour François Miquet-Marty et Rafael Guillermo López Juárez, une large proportion des citoyens ont le sentiment que leur pays est « menacé (réellement ou potentiellement) dans son identité, ses paysages, sa manière de vivre, ses valeurs. Cette idée prospère sur l’évocation d’une visibilité de l’islam dans l’espace public (voiles et foulards, boucheries hallal, etc.)15 ». À cela s’ajoutent le spectre du terrorisme islamiste et l’enracinement du djihadisme qui nourrissent inévitablement ce rejet16. Le décalage entre les craintes que suscitent l’immigration et l’islam chez les électeurs, et les difficultés qu’éprouvent certains partis politiques – notamment une partie de la gauche – à se positionner clairement sur ces enjeux alimente ce glissement à droite des valeurs des Européens.
Préférence pour un libéralisme économique
Un appel à davantage de liberté pour les entreprises
Pascal Perrineau, Le Grand Écart. Chronique d’une démocratie fragmentée, Plon, 2019, p. 42.
La mesure de l’aspiration des citoyens en faveur du libéralisme économique est indispensable puisqu’elle définit un autre registre potentiel majeur de droitisation. La vague 12 du Baromètre de la confiance politique s’inscrit dans le contexte de la crise sanitaire et économique de la Covid-19 qui a vu bon nombre d’économies européennes passer sous perfusion étatique. Dans cette période si singulière, il est intéressant de mesurer le degré d’adhésion ou de rejet aux valeurs de l’économie de marché : la liberté des entreprises, la confiance dans les entreprises, l’économie de la croissance ou encore l’adhésion au capitalisme.
La place dans l’opinion du libéralisme économique, défini ici comme la limitation du rôle de l’État dans l’économie et le renforcement de la liberté des entreprises, reçoit un soutien majoritaire. Ainsi, « pour faire face aux difficultés économiques », plus de la moitié des répondants (54 %) considèrent qu’il faut « que l’État fasse confiance aux entreprises et leur donne plus de liberté ». L’option « que l’État contrôle les entreprises et les réglemente plus étroitement » est choisie par 41 % des personnes interrogées (5 % répondent ne pas savoir).
Il est intéressant d’observer que certaines caractéristiques sociologiques des répondants n’influent globalement que très légèrement sur le soutien au retrait de l’appareil public dans l’économie. Le critère de l’âge n’a pas d’effet : dans l’ensemble, plus de la moitié des 18-24 ans (55 %) et des 65 ans et plus (55 %) considèrent que l’État doit faire plus confiance aux entreprises. De même, les « sans diplômes » sont autant (53 %) que les diplômés « supérieurs à bac+2 » (53 %) à être favorables à une économie plus libre. Au niveau des catégories sociales, la proportion des CSP+ (57 %) à défendre la liberté des entreprises est légèrement supérieure à celle des CSP– (53 %).
L’autopositionnement politique révèle des écarts plus marqués selon le profil des individus. La confiance envers les acteurs économiques et leur liberté est élevée chez les citoyens se situant à droite (68 %) et au centre (58 %). De l’autre côté du spectre politique, plus de quatre personnes sur dix (43 %) s’autopositionnant à gauche défendent la liberté des entreprises. Deux grilles de lectures sont possibles : c’est 25 points de moins que les répondants de droite (68 %), mais c’est aussi presque un citoyen de gauche sur deux qui considère que, « pour faire face aux difficultés économiques », l’État doit s’effacer devant les entreprises. Selon Pascal Perrineau, « nous nous éloignons d’un univers où une gauche des classes populaires porteuse des valeurs de l’antilibéralisme économique et de l’universalisme s’opposait à une droite des catégories aisées associant libéralisme économique et rejet des valeurs universalistes17 ».
Le soutien à la liberté des entreprises en fonction de l’autopositionnement politique gauche-droite
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© Fondation pour l’innovation politique, mai 2021.
Comme l’illustrent les données du tableau, la constitution de blocs de droite et de gauche ne doit pas occulter l’hétérogénéité des profils au sein même de ces deux groupes, notamment sur les questions économiques. On voit par exemple que pour la France, plus de trois quarts (77 %) des sympathisants qui s’autopositionnent entre 6 et 8 sur l’échelle droite-gauche considèrent qu’il faut que « l’État fasse confiance aux entreprises et leur donne plus de liberté », contre moins de la moitié (49 %) pour ceux qui s’autopositionnent très à droite (entre 9 et 10 sur l’échelle). Plusieurs chercheurs ont ces dernières années émis l’hypothèse que les divergences sur le libéralisme économique ne recoupaient en réalité plus le clivage gauche-droite, qui aurait été supplanté par un nouveau clivage gagnants-perdants de la mondialisation. Néanmoins, il faut là encore faire preuve de prudence, puisque nos données indiquent, par exemple sur la question de la liberté des entreprises, des variations mineures selon l’âge, le niveau de diplôme ou la catégorie socioprofessionnelle.
La taille des entreprises façonne les représentations collectives
La confiance portée aux entreprises est inversement proportionnelle à leur taille. La confiance envers les petites et moyennes entreprises (PME) est très élevée (74 %) et elles font même partie des institutions qui suscitent le plus de confiance, mais celle exprimée à l’égard des grandes entreprises, publiques (45 %) ou privées (44 %), reste minoritaire.
Soulignons néanmoins que la crise du coronavirus semble conduire à une prise de conscience de l’importance des grandes entreprises dans le tissu économique et social du pays, particulièrement en Allemagne et en France. Ainsi, en février 2021, 45 % des Allemands font confiance aux grandes entreprises publiques (contre 40 % en février 2020) et 42 % aux grandes entreprises privées (contre 38 %). De même, la confiance des Français augmente de 4 points pour les grandes entreprises publiques (de 44 % en février 2020 à 48 % en février 2021) et de 1 point pour les grandes entreprises privées (de 43 % à 44 %). Notons que la confiance à l’égard des PME est restée stable aussi bien en Allemagne qu’en France (dans les deux pays, 77 % en février 2020 et 78 % en février 2021). A contrario, le Brexit semble produire un effet sur ces perceptions : moins 7 points de confiance des Britanniques pour les PME (de 68 % en février 2020 à 61 % en février 2021), moins 4 points pour les grandes entreprises publiques (de 46 à 42 %) et moins 5 points pour les grandes entreprises privées (de 42 à 37 %). Aucune comparaison pour l’Italie n’est possible, puisque le pays n’a été intégré pour la première fois au Baromètre de la confiance politique qu’en février 2021.
La confiance portée aux entreprises est inversement proportionnelle à leur taille
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© Fondation pour l’innovation politique, mai 2021.
La croissance économique est compatible avec l’environnement pour 76 % des répondants
Guillaume Bazot, Les coûts de la transition écologique, Fondation pour l’innovation politique, mai 2021.
Voir le texte d’un collectif pour la décroissance, « Confinement : en demi-résonance avec notre décroissance », partipourladecroissance.net, 11 avril 2020.
La portée médiatique du discours de l’écologisme punitif et de la décroissance18 connaît des limites de propagation au sein de l’opinion : plus de trois quarts des personnes interrogées (76 %) estiment que l’« on peut continuer à développer notre économie tout en préservant l’environnement pour les générations futures ». Ils sont 20 % à répondre que « si on veut préserver l’environnement pour les générations futures, on sera obligé de stopper la croissance économique » (4 % disent ne pas avoir d’avis).
Dans le détail, les Italiens sont les plus nombreux (84 %) à penser que croissance et protection de l’environnement sont compatibles. Ils sont suivis par les Allemands (74 %), les Britanniques (74 %) et les Français (72 %).
Durant la crise sanitaire, certains médias se sont fait l’écho de l’idée selon laquelle la décroissance gagnait en popularité dans les foyers confinés19. Notre enquête révèle le contraire : en un an, l’item « Si on veut préserver l’environnement pour les générations futures, on sera obligé de stopper la croissance économique » a baissé de 5 points au Royaume-Uni (passant de 25 % en février 2020 à 20 % en février 2021), de 3 points en Allemagne (de 25 % à 22 %) et d’un point en France (de 25 % à 24 %). En Italie, pays testé pour la première fois par le Baromètre de la confiance politique, seuls 13 % des citoyens se disent favorables à la décroissance.
Le modèle de la décroissance ne séduit pas
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© Fondation pour l’innovation politique, mai 2021.
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Dans les quatre démocraties étudiées, les sympathisants des différents partis sont toujours largement majoritaires à répondre qu’« on peut continuer à développer notre économie tout en préservant l’environnement pour les générations futures ». C’est notamment le cas chez les sympathisants du Parti socialiste (73 %), Europe Écologie-Les Verts (67 %) et PCF/FI (67 %) en France, de Grünen (80 %) et du SPD (73 %) en Allemagne, du Labour Party (73 %) et du Green Party of England and Wales (68 %) au Royaume-Uni, du Partito Democratico (88 %) en Italie.
Ces résultats peuvent être mis en perspective avec la perception que les citoyens ont du système capitaliste, qui est jugé perfectible mais qui n’est pas foncièrement rejeté par les citoyens. En effet, dans l’ensemble des quatre pays, plus de la moitié des répondants (56 %) souhaitent que « le système capitaliste soit réformé sur quelques points » et 14 % que « le système capitaliste ne soit pas réformé ». Un quart des personnes interrogées (26 %) disent que « le système capitaliste doit être réformé en profondeur ».
À droite comme à gauche, les répondants estiment toujours majoritairement qu’on peut concilier développement économique et préservation de l’environnement
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© Fondation pour l’innovation politique, mai 2021.
L’individualisme : une valeur transpartisane
L’autonomie de la réussite érigée en norme sociale
Voir Madani Cheurfa, « “Un peu plus d’avenir” : une inflexion du pessimisme ? », Baromètre de la confiance politique-Vague 9, Sciences Po/Cevipof, 29 janvier 2018.
Nos données montrent, qu’à droite comme à gauche, l’individualisme – considéré ici comme la capacité reconnue à chacun de changer la société ou de choisir sa propre vie – est érigé en norme sociale20. Ainsi, une large majorité des répondants estiment que « les gens peuvent changer la société par leurs choix et leurs actions » (80 %), que « les gens de leur pays ont la possibilité de choisir leur propre vie » (69 %), et, dans une moindre mesure, qu’ils ont « une liberté et un contrôle total sur leur propre avenir » (63 %).
L’individualisme dépasse le clivage gauche-droite
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© Fondation pour l’innovation politique, mai 2021.
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Ce phénomène d’autonomisation des individus peut en partie être associé à la défiance qu’ils expriment à l’égard du système politique dans son ensemble21. Le scepticisme des citoyens sur l’efficacité des procédures et des institutions de la politique les conduit à ne vouloir s’en remettre qu’à eux-mêmes pour changer la société. Comme le souligne Madani Cheurfa, « nous assistons ainsi à la confirmation […] de l’affirmation de cet individualisme imposé, à soi (comme réponse à la carence de l’action politique) et aux autres (en rendant chacun responsable de sa situation)22 ».
La responsabilité individuelle l’emporte sur l’assistanat
Voir Julien Marion, « Près de 6 ménages sur 10 échappent à l’impôt sur le revenu », bfmtv.com, 18 juillet 2017.
Un peu moins de trois quarts de l’ensemble des citoyens (71 %) jugent que « beaucoup de personnes parviennent à obtenir des aides sociales auxquelles elles n’ont pas contribué ». C’est 46 points de plus que les répondants n’étant pas d’accord avec cet item (25 %). Une analyse par pays montre que c’est en France, où 57 % des ménages ne paient pas d’impôt sur le revenu23, que les citoyens sont les plus nombreux (73 %) à juger que beaucoup de personnes reçoivent des aides sociales auxquelles elles n’ont pas contribué. Ils sont suivis par les Britanniques (72 %), les Italiens (72 %) et les Allemands (68 %).
De même, plus de la moitié des répondants (55 %) considèrent que « les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment » (contre 42 % qui « ne sont pas d’accord » avec cette proposition). Ce résultat est d’autant plus intéressant à analyser qu’il survient au moment de la Covid-19. Pour maintenir l’emploi et limiter les effets de la crise économique et sociale, un certain nombre d’États européens ont recours au dispositif d’activité partielle. C’est le cas en France, mais aussi en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni. Pour autant, la perception des effets de ces mécanismes de protection varie très fortement sur l’opinion : en un an, la proportion des individus considérant que les chômeurs profitaient du système est restée stable en France (passant de 50 % en février 2020 à 51 % en février 2021) et en Allemagne (de 61 à 60 %), tandis qu’elle s’est effondrée de 22 points au Royaume-Uni (de 78 à 56 %). La sortie du pays de l’union douanière et du marché unique le 31 décembre 2020 peut être une autre explication. Là encore, aucune comparaison avec l’Italie n’est possible sur la période considérée.
Covid-19 : évolution de la perception des répondants sur l’idée que les chômeurs profiteraient du système
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© Fondation pour l’innovation politique, mai 2021.
Note : L’inclusion par le Baromètre de la confiance politique de mesure en Italie apparaît pour la première fois dans cette vague 12. Aucune donnée n’est donc disponible pour ce pays pour les années précédentes.
Globalement, toutes les classes d’âge déclarent majoritairement être d’accord avec l’item « les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment ». Mais la proportion des plus jeunes (56 % pour les 18-24 ans et 58 % pour les 25-34 ans) est supérieure à la proportion des plus âgés (52 % pour les 50-64 ans et 55 % pour les 65 ans et plus). Tout se passe comme si, à une période de la vie où les contraintes – et les désillusions – ne sont pas encore trop fortes, l’accès à l’emploi était aux yeux des jeunes une question de volonté. Remarquons également que plus les individus sont diplômés, moins ils sont nombreux à estimer que « les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment ». Ainsi, 51 % des diplômés « supérieurs à bac+2 » sont d’accord avec cette affirmation, soit 6 points de moins que les « sans diplômes » (57 %). Au niveau des catégories sociales, 56 % des CSP+ estiment que les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment, contre 59 % chez les CSP–. Preuve que, dans l’opinion, diplômes et qualifications ne sont plus gages d’insertion professionnelle.
Malgré des différences entre les pays, les CSP– sont globalement les plus nombreuses à considérer que les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient
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Enfin, l’effort individuel est mis en avant par les personnes interrogées. Plus de deux tiers d’entre elles (67 %) estiment en effet qu’« en faisant des efforts, chacun peut réussir ». Une importante majorité des répondants se situant à gauche (58 %) de l’échiquier politique abonde dans ce sens, même ils sont encore plus nombreux à droite (71 %). Notons que les différences entre les États sont significatives : 74 % des Britanniques, 69 % des Allemands, 68 % pour les Français et 55 % pour les Italiens.
L’effort individuel est plébiscité
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Conclusion
Gaël Brustier, « La présidentielle 2022 marquera l’avènement de l’oligopole droitier », slate.fr, 13 avril 2021.
Raffaele Simone, Le Monstre doux. L’Occident vire-t-il à droite ?, Gallimard, 2010, p. 160.
Comme le montrent les données de notre enquête, de puissants courants de droitisation sont à l’œuvre en France et, plus généralement, en Europe, notamment en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni. En France, à un an de l’élection présidentielle, le combat électoral se passe à droite. Toute la question est de savoir si ce réalignement à droite profitera à une droite de gouvernement ou à l’extrême droite.
Cette étude amène également à faire le constat d’un échec de la gauche. Si, électoralement, la gauche est en repli ou en difficulté à peu près partout en Europe, c’est assurément parce qu’elle n’arrive plus à imposer un imaginaire collectif depuis plusieurs années.
Or, comme l’écrit Gaël Brustier, la gauche ne voit « dans la droitisation (si tant est qu’elle la voit) que la manifestation de pensées coupables, alors qu’il s’agit de l’articulation plus ou moins habile d’éléments donnant réponse aux enjeux du temps présent. De cette méprise découle une ardente passion pour la dénonciation et les mises en accusation, provoquant un possible ras-le-bol jusque dans ses rangs et, évidemment, dans son électorat24 ». La gauche « a perdu – comme tout porte à croire – la capacité de donner sa forme au monde25 ».
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