La défiance vue par le prisme du médiateur de l'assurance
Introduction
La société de défiance
Défiance envers l’expert
Défiance envers l’assureur
La violence dans l’expression
Les assurances de téléphone portable
Des clauses d’exclusion illégales encore dans les contrats16
L’incompréhension devant les règles qui doivent s’appliquer
La complexité règlementaire
Le manque de connaissance économique et financière des français
L’inégalité entre ceux qui se battent pour faire valoir leurs droits et les autres
Conclusion
Résumé
La médiation de l’assurance a pour mission de tenter d’apaiser les litiges entre assurés et assureurs. Elle a reçu plus de 26.000 saisines au cours des 12 derniers mois. Ses positions sont quasi systématiquement suivies par les assureurs. En la saisissant, les assurés ont obtenu gain de cause, en tout ou en partie, dans la moitié des cas au cours de l’année écoulée.
Au travers des dossiers étudiés à la médiation de l’assurance, on voit les tensions qui travaillent la société : défiance envers les experts et les institutions, ici incarnés par les assureurs, parfois violence dans l’expression. On voit aussi le manque d’éducation financière, les difficultés de pouvoir d’achat, la volonté accrue de faire valoir ses droits.
La médiation apparaît ainsi comme une soupape utile à notre système judiciaire, s’inscrivant pleinement dans le développement d’une « politique de l’amiable » souhaitée par le ministre de la Justice – d’ailleurs, pour les litiges inférieurs à 5.000 euros, il faut désormais tenter obligatoirement une médiation ou une conciliation avant d’aller en justice. La médiation est gratuite pour le consommateur, plus rapide dans sa résolution des dossiers que la justice, et le médiateur peut prendre position en équité et pas seulement en droit, pour « rétablir le juste », ce qu’un juge ne peut pas faire. En contrepartie, les positions du médiateur ne s’imposent pas, même si elles sont massivement suivies dans le secteur de l’assurance.
Arnaud Chneiweiss,
Ancien conseiller pour les affaires européennes de Dominique Strauss-Kahn et de Laurent Fabius au moment du passage à l’euro, il travaille depuis plus de vingt ans dans le secteur de l’assurance.
Après avoir été secrétaire général du réassureur Scor, directeur général adjoint de la Matmut, secrétaire général du Groupement des entreprises mutuelles d’assurance (Gema) et délégué général de la Fédération française de l’assurance (FFA), il est actuellement médiateur de l’Assurance.
Introduction
Début 2023, le volume de saisines est de plus de 26 000 sur les 12 derniers mois.
Quelle que soit la forme juridique de l’assureur : mutualiste, société anonyme ou filiale d’assurance d’un groupe bancaire.
La médiation de l’assurance ne traite que les litiges portant sur l’application du contrat d’assurance.
En saisissant la médiation de l’assurance, les assurés ont cependant obtenu gain de cause, en tout ou partie, dans 46% des cas en 2022, chiffre élevé puisque l’assureur avait examiné le dossier à deux reprises avant qu’il n’arrive à la médiation de l’assurance.
Avant la crise sanitaire liée à la Covid-19, la médiation recevait 15.000 saisines par an. L’augmentation est donc de plus de 40% entre 2019 et 2022. Mais ce volume de litiges qui remonte jusqu’à la médiation de l’assurance peut être relativisé en notant que les assureurs règlent plus de 13 millions de sinistres par an rien qu’en assurance dommages.
« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent. »
Albert Camus, L’Homme révolté, Gallimard, 1951
La médiation de l’assurance propose une assistance aux particuliers en litige avec leur assureur. En 2022, la médiation de l’assurance a reçu plus de 21.400 saisines1, c’est-à-dire autant d’expressions de mécontentement des assurés vis-à-vis de leur assureur2 ou de leur courtier. Certes, ces saisines ne sont pas toutes recevables3, ni toutes fondées4.
Elles donnent toutefois une bonne idée des reproches adressés par la population au secteur de l’assurance, en gardant à l’esprit que, par définition, nous ne voyons à la médiation de l’assurance que « les trains qui déraillent », les difficultés dans la relation avec le client, pas les situations où tout se passe bien5.
Ces 21.400 saisines donnent aussi une bonne idée des difficultés et tensions qui travaillent la société française.
La société de défiance
Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), « Le baromètre de la confiance en politique ».
Cette défiance de la société française, soulignée depuis des années notamment par les enquêtes du Cevipof6, s’illustre de multiples façons.
Défiance envers l’expert
Conformément à un engagement déontologique pris par la profession de l’assurance dans le cadre du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) en 2005.
L’expert est en général le premier visage que voit l’assuré dans le cadre du règlement de son sinistre, et peut-être le seul, lorsque le reste des échanges avec l’assureur s’effectue par téléphone ou par courriels. Dès que le sinistre est significatif – chaque assureur ayant ses propres critères de ce que cela signifie – un expert est envoyé par l’assureur sur place, par exemple après une catastrophe naturelle ou un dégât des eaux, pour évaluer l’ampleur des dommages. En assurance de personnes, un rendez-vous sera pris avec un médecin expert pour évaluer le degré d’incapacité de la personne assurée, qui déclenchera ou non la délivrance d’une garantie incapacité de travail ou invalidité.
Bien qu’en pratique ce ne soit pas toujours le cas – ce qui peut alimenter le reproche d’opacité –, les conclusions de l’expert doivent être transmises à l’assuré7. Lorsqu’elles lui sont défavorables, il met souvent en cause l’impartialité de l’expert – par exemple si ce dernier estime que les fissures de l’habitation ne peuvent être rattachées de façon « déterminante » à un arrêté de catastrophe naturelle publié pour la commune et concernant une période précise, car d’autres causes existent, notamment un défaut de construction.
L’expert n’est pourtant pas un salarié de l’assureur. Il est indépendant, avec ses compétences – dans le bâtiment par exemple, pour évaluer les origines d’un sinistre affectant une habitation – et sa déontologie. Cependant, le simple fait qu’il ait été directement missionné par l’assureur le rend suspect de partialité : n’est-il pas « tenu », dans une dépendance économique par rapport à l’assureur qui lui confie des missions ?
Cette question peut bien sûr s’entendre. Un expert dont les conclusions seraient régulièrement hors normes, excessivement généreuses pour l’assuré, finirait probablement par être écarté par l’assureur. L’argument paraît cependant davantage refléter le manque de compréhension du contrat par l’assuré – les garanties peuvent être très limitées selon le contrat souscrit, et c’est là la vraie cause de frustration de l’assuré.
D’ailleurs, il existe dans tous les contrats une possibilité de recourir à une contre-expertise en cas de désaccord, certes aux frais de l’assuré, et cette possibilité est très rarement mise en œuvre.
Pour casser la défiance ressentie à l’égard de l’expert envoyé par l’assureur, qui rejoint d’ailleurs une défiance générale de la société française envers les experts, quel que soit le domaine évoqué, il serait intéressant de :
– réfléchir à un mécanisme de désignation aléatoire de l’expert, à partir d’une liste d’experts référencés par toute la profession de l’assurance ;
– renforcer les règles professionnelles et déontologiques entourant la profession d’expert, afin de réduire les doutes sur leur indépendance et leur compétence (une certification pourrait être mise en place). Le principe du contradictoire devrait également être consacré et la mission de l’expert explicitée : convocation des parties, réception de leurs arguments, réponses à ceux-ci… ;
– fixer un délai raisonnable pour la désignation de l’expert lorsqu’elle est nécessaire, à compter de la déclaration de sinistre, par exemple quinze jours. Un délai raisonnable devrait également être fixé pour la conduite de l’expertise, par exemple trois mois à compter de la désignation, avec une possibilité de prolongation pour une nouvelle période de trois mois après information des parties.
Défiance envers l’assureur
Il est bien sûr probable que si la question était « avez-vous confiance en votre assureur ? », le taux de réponses positives serait beaucoup plus élevé.
La médiation de l’assurance a exprimé environ 4.400 « positions » en 2022. Quand elle va dans le sens de l’assuré (31% des cas), elle est quasi systématiquement suivis par l’assureur ou le courtier, ce qui est le signe à la fois de la discipline de la profession, et de la qualité de la production de la médiation. Si l’on ajoute les situations où, dès que la médiation a été saisie, l’assureur a réagi en transmettant une proposition de règlement amiable, l’assuré a obtenu gain de cause dans 46% des cas lorsqu’il a saisi la médiation de son litige.
Un autre signe de la société de défiance, c’est bien sûr celle qui s’exprime envers l’assureur lui-même : pourquoi ne verse-t-il pas les capitaux décès de la tante décédée, dont le réclamant est persuadé qu’ils lui sont destinés ? Ce remboursement des frais dentaires à hauteur de 332 euros est-il le bon et ne manque-t-il pas 100 euros ? L’assuré n’a-t-il pas cotisé pour un contrat inutile, « à fonds perdus », la preuve en est qu’aucun sinistre n’a été réglé depuis des années, ce qui traduit un mauvais conseil à la souscription ?
Rappelons que dans les sondages cités, le secteur de l’assurance ne recueille la confiance que de 32% des Français, soit à peu près le même niveau que pour les médias8. C’est mieux que pour les partis politiques (seulement 19% des Français leur accordent leur confiance) mais moins bien que pour le secteur de la banque (39%) et beaucoup moins bien que pour l’armée, la gendarmerie ou la police (autour de 80%).
La médiation de l’assurance joue alors le rôle utile de tiers de confiance, en vérifiant si l’assureur a versé aux bons destinataires les capitaux décès comme indiqué par la clause bénéficiaire – dont la compréhension est parfois ardue selon la manière dont l’assuré s’est exprimé au moment de sa rédaction –, en vérifiant le calcul de l’indemnité versée ou en expliquant que si le contrat d’assurance n’a pas eu à jouer, c’est plutôt une heureuse nouvelle.
Quand la médiation de l’assurance va au bout de l’analyse d’un litige en exprimant une « proposition de solution », selon le jargon utilisé par le Code de la consommation, elle va dans le sens de l’assuré, en tout ou partie, dans environ 31% des cas, et confirme que l’assureur a correctement appliqué le contrat dans 69% des cas9.
Renouer un lien de confiance fort avec les Français sur le fait que les contrats d’assurance sont clairs et bien appliqués doit être une priorité du secteur, ce qui passe par la qualité du conseil lors de la souscription et tout au long de la vie du contrat, la clarté dans la rédaction du contrat et l’empathie dans les explications au moment du sinistre.
La violence dans l’expression
Ce qui implique une volonté de comprendre l’étendue des couvertures proposées par l’assureur en y consacrant un peu de temps et non l’envie de souscrire au plus vite via quelques clics sur internet en pensant, à tort, que tous les contrats d’assurance sont identiques.
La médiation de l’assurance voit bien que dans les saisines qui lui sont adressées, et parfois dans les retours déçus des assurés lorsque la médiation a confirmé la position de l’assureur, les signes de frustration, voire de colère, le sentiment d’une lecture rébarbative et de ne pouvoir maîtriser les subtilités de rédaction d’un contrat d’assurance long de plusieurs dizaines de pages, l’idée d’un déséquilibre dans la relation entre l’assuré et l’assureur, l’un profane, l’autre tenant la plume de la rédaction du contrat et maîtrisant la matière.
Plus la médiation de l’assurance parviendra à développer chez les assurés l’éducation financière, la compréhension du fonctionnement d’un contrat d’assurance10 et chez les assureurs la qualité du conseil délivré au moment de la souscription et tout au long de la vie du contrat, la clarté dans l’expression des garanties, plus elle pourra espérer réduire ces signes de frustration et colère.
Toutefois, de même que les paranoïaques peuvent avoir de vrais ennemis, la défiance des Français est parfois justifiée. Voici deux exemples :
Les assurances de téléphone portable
Assurance complémentaire optionnelle à laquelle un client peut souscrire à l’achat d’un produit ou d’un service.
Nous notons sur les premiers mois de 2023 une forte progression des saisines à propos des assurances de téléphone portable, de l’ordre de 50%.
Voir « Les secrets du plus jeune milliardaire de France », Envoyé spécial, France 2, 19 janvier 2023.
Voir « Pratiques commerciales trompeuses : la DGCCRF a transmis à l’autorité judiciaire les résultats de ses dernières investigations concernant les sociétés du groupe INDEXIA (SFAM) », DGCCRF, 4 avril 2022.
Voir « Chez SFR, des clients assurés malgré eux », 60 millions de consommateurs, 8 septembre 2021.
Tous les assureurs en la matière ne se comportent pas mal, mais de vrais problèmes demeurent, puisque les assurances affinitaires11 représentent 18% des saisines de la médiation en assurance de dommages en 2022, et les assurances de téléphone portable en particulier 12%12.
Le sujet est devenu un « marronnier » facile pour les journalistes, car il est aisé de recueillir des témoignages de tentatives de vente forcée de la part du vendeur dans de grandes enseignes de distribution13. Le sujet est connu de tous. En 2022, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l’Économie et des Finances a engagé des poursuites contre un courtier important14 qui a fait récemment l’objet d’un retrait temporaire d’agrément par l’ACPR et les associations de consommateurs dénoncent de façon régulière certaines pratiques15.
Heureusement, sous l’impulsion du Comité consultatif du secteur financier (CCSF), qui rassemble toutes les parties prenantes (professionnels, consommateurs, pouvoirs publics…), et à partir des constats faits, entre autres, par la médiation de l’assurance, des avancées ont eu lieu depuis deux ans. L’adoption d’un premier avis, le 29 avril 2022, a ainsi décidé de l’extension du délai de renonciation au contrat, le faisant passer de quatorze à trente jours, et faisant débuter ce délai seulement à compter du paiement de la première prime en cas de période de gratuité. Cette idée d’extension du délai de rétractation, afin de vérifier le consentement du consommateur, est apparue tellement pertinente que le législateur l’a reprise dans la loi dite « pouvoir d’achat » du 16 août 2022.
De nouvelles avancées ont eu lieu dans le cadre du CCSF, avec un second avis le 24 janvier 2023. Ce dernier vise à améliorer fortement la bonne information du consommateur par un récapitulatif annuel des caractéristiques de son contrat et des modalités possibles de résiliation ; les pratiques commerciales, avec un avertissement sur le fait que les rémunérations variables, touchées par les vendeurs quand ils placent ces produits, ne doivent pas fausser l’information et le conseil et ne doivent pas être versées avant la vente rémunérée.
Les autorités de supervision et de contrôle doivent sanctionner les quelques acteurs qui ont ces pratiques incorrectes, afin d’assainir le marché et d’envoyer un signal à ceux qui seraient tentés de les imiter, courtiers ou assureurs. Ces quelques acteurs « voyous » doivent être traités en voyous. Ils portent atteinte non seulement à la réputation des assurances affinitaires mais à toute la profession de l’assurance, tant ces sujets concernent le grand public.
Des clauses d’exclusion illégales encore dans les contrats16
Autre sujet de nature à alimenter la défiance du public : les décisions de la Cour de cassation ne conduisent pas toujours les assureurs à modifier leurs nouveaux contrats. Il s’agit ici des clauses d’exclusion floues condamnées de longue date par la plus haute juridiction judiciaire du pays sur le « défaut d’entretien » de l’habitation, la « négligence » ayant facilité un sinistre, la maison qui doit être construite selon les « règles de l’art ». En assurance de personnes, il s’agit des « troubles psychiques » ou de tout « autre mal de dos », notions que la Cour de cassation a estimées vagues et en cela contraires à la loi, qui demande que ces clauses soient précises, « formelles et limitées ».
De très grands assureurs ont décidé en 2022 de modifier leurs pratiques et de faire disparaître ces clauses dans leurs contrats. Responsabiliser l’assuré en le rendant acteur de la prévention du risque est important, et on ne peut qu’approuver la volonté de lutter contre la fraude. Mais ces buts louables ne peuvent être poursuivis en utilisant des clauses déclarées illégales par la Cour de cassation.
Outre les appels du médiateur à se mettre en conformité, le durcissement de la jurisprudence de la Cour de cassation par une décision du 17 juin 2021 a sans aucun doute joué un rôle décisif17. Dans une décision relative à une clause d’exclusion en assureur emprunteur ayant conservé l’expression « autre mal de dos », elle a estimé que ce ne sont pas seulement ces quelques mots qui étaient inopposables à l’assuré, mais toute la clause, y compris d’autres exclusions tout à fait précises. Dans son rapport annuel pour l’année 2021, publié à l’été 2022, la Cour de cassation a souligné l’importance de sa décision de juin 2021 en consacrant trois pages à l’explication de celle-ci18. Elle a ainsi conclu : « La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par l’arrêt du 17 juin 2021, commenté, a décidé qu’une clause d’exclusion contenant des causes d’exclusion ne satisfaisant pas aux exigences de l’article L.113-1 du Code des assurances est nulle dans sa globalité. Cette décision, par une approche similaire à celle mise en œuvre par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans le domaine des clauses abusives, prend en compte les exigences de protection des consommateurs affirmées par le législateur national et les normes européennes. Elle est de nature à assurer tant l’effet dissuasif que l’effet incitatif de la sanction de l’annulation ».
Plusieurs acteurs majeurs ont indiqué à la médiation ces derniers mois leur volonté de faire évoluer leurs contrats en faisant disparaître ces clauses d’exclusion floues. L’ensemble du secteur doit se mettre en conformité dans les meilleurs délais, à la fois pour des raisons d’image – le respect du droit – et pour son potentiel impact économique en vertu de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation.
L’incompréhension devant les règles qui doivent s’appliquer
Se laver, se déplacer, s’habiller, manger…
Par exemple agriculteur, serveur de restaurant, infirmière…
Par exemple : tomber d’une échelle ne sera pas considéré comme un accident si aucune cause extérieure à la personne n’a causé la chute ; de même si une personne chute à son domicile, est hospitalisée et décède quelques semaines plus tard, le caractère « soudain » du décès sera manquant pour délivrer la garantie décès accidentel.
L’assurance est un domaine dans lequel on voit bien toutes les contradictions des réglementations : on veut protéger à la fois l’assureur, qui joue un rôle économique et social important (l’assureur doit donc dégager des profits afin de préserver sa solvabilité) et l’assuré (protection du consommateur via des pratiques commerciales loyales). On veut des contrats simples à lire mais également détaillés sur ce qui est couvert et exclu. Si bien qu’à force de réglementations européennes et françaises visant, d’une part, à protéger le consommateur, d’autre part, à expliquer à l’assureur comment il doit exercer son devoir d’information et de conseil et être gouverné, on en arrive à des contrats longs de dizaines de pages, que l’assuré ne lit pas, en pratique, au moment de la souscription.
Le débat sur les garanties pertes d’exploitation des commerçants pendant la crise sanitaire l’a bien montré : il y avait en général plusieurs documents à consulter (conditions particulières, conditions générales, avenant propre au secteur de la restauration par exemple) si bien que le jeu du mécanisme de la garantie était très compliqué à comprendre pour l’assuré, mais aussi parfois pour l’assureur.
Un important travail sur la clarté des contrats reste à mener, à compléter par un travail sur la qualité du conseil, qui doit se pratiquer tout au long de la vie du contrat et pas seulement lors de la souscription.
Autre difficulté : l’incompréhension devant le vocabulaire utilisé. Derrière le même mot peuvent se cacher des réalités différentes. On peut être reconnu « invalide » par la Sécurité sociale mais ne pas l’être par l’assureur, car le contrat d’assurance ne couvrira que la catégorie la plus extrême de la Sécurité sociale, celle où l’assuré a besoin de l’assistance constante d’une tierce personne pour réaliser les actes de la vie quotidienne19. Bien sûr, l’assureur indique en général dans le contrat qu’il n’est pas tenu par les définitions d’autres organismes, et notamment par celles de la Sécurité sociale. Il n’en demeure pas moins que cette situation est difficile à comprendre pour l’assuré, qui a reçu une carte tricolore d’invalidité de la part de la Sécurité sociale (par exemple de catégorie 2, où il n’est plus possible d’exercer des métiers ayant une dimension physique20) mais qui n’est pas reconnu invalide par l’assureur – à juste titre en vertu de la stricte application du contrat.
La médiation appelle les assureurs à veiller à ce que les définitions utilisées dans les contrats ne s’éloignent pas du langage courant.
Au nom de la liberté contractuelle, deux parties à un contrat peuvent décider que pour le contrat en question tel mot, par exemple « accident », aura telle signification. Cela conduit cependant à des situations incompréhensibles pour l’assuré, qui a le sentiment d’avoir été trompé, en particulier si son attention n’a pas été attirée, au moment de la souscription, sur la définition très restrictive retenue.
Dans le dictionnaire Larousse, par exemple, la définition d’un accident est : « qui est l’effet du hasard ; qui n’est pas prévu ; fortuit ». La définition d’un accident varie d’un contrat à l’autre sur le marché. Voici une définition très habituelle figurant dans un contrat d’assurance emprunteur : « toute atteinte corporelle non intentionnelle de la part de l’assuré provenant exclusivement et directement de l’action soudaine et imprévisible d’une cause extérieure ». D’autres contrats ajoutent encore comme critère le fait que l’événement soit « brutal », ou qu’il résulte d’un « choc ». Ces différences sont telles que des situations vécues comme des « accidents » par les assurés, c’est-à-dire des événements non prévus et non souhaités, ne sont pas reconnues comme telles au sens du contrat, car elles ne sont pas tout à la fois « soudaines », « imprévisibles », « non intentionnelles » de la part de l’assuré et « résultant directement et exclusivement d’une cause extérieure »21.
On pourrait donner une autre illustration avec le mot « effraction » dans le cadre des garanties vol, en assurance automobile par exemple. Les preuves exigées par l’assureur ne peuvent pas être si restrictives, telles une preuve du forcement de la colonne de direction, qu’elles en deviennent impossibles à fournir par l’assuré, cette technique de vol de voiture ayant disparu avec la modernisation des véhicules.
Il y a d’autres exemples, comme la définition de ce qu’est une « blessure » dans un contrat protégeant contre les accidents de la vie (qui restreint la blessure aux cas de fractures et de brûlures) ou la définition de ce que sont les « objets personnels » en cas de vol à l’extérieur de l’habitation.
La médiation appelle assureurs et courtiers à prendre le temps, au moment de la souscription, d’expliciter ces notions aux prospects et aux assurés. De ce point de vue, il est de l’intérêt de tous que l’échange dure un certain temps pour que le devoir de conseil puisse s’exercer. Le conseiller en assurance doit pousser l’assuré à s’interroger sur ses souhaits et ses besoins. Par exemple, en assurance habitation, a-t-il bien compté toutes les pièces de son habitation, y compris les caves et dépendances ? Y a-t-il des objets de valeur à assurer et pour quels montants ? Il faut rappeler l’importance de conserver des preuves de la valeur de ces objets (factures, photos…).
De nouveaux acteurs sur Internet prétendent qu’avec eux, le processus de souscription d’une assurance habitation peut être réduit à une minute et trente secondes par la réponse rapide à quatre questions. On peut se demander ce que l’assuré peut comprendre au produit auquel il adhère et si le devoir de conseil a pu être exercé.
Enfin, la médiation insiste sur le fait que le devoir de conseil doit s’exercer tout au long de la vie du contrat. Trop souvent, les assureurs et courtiers ne font pas un point régulier avec leur assuré – un entretien au moins tous les deux ans serait une bonne pratique – pour savoir si des changements sont intervenus dans sa situation afin d’actualiser le contrat en conséquence – par exemple revaloriser le capital dédié aux objets de valeur dans l’habitation.
La complexité règlementaire
European Insurance and Occupational Pensions Authority ou, en français, Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP).
Voir à ce sujet Arnaud Chneiweiss et Maud Vautrin, « Compliance, une illusion dangereuse », Risques, n° 102, 2015, où il est évoqué le concept d’avalanche réglementaire.
À noter que l’AMF et l’ACPR coopèrent dans le but de protection des épargnants notamment, avec des publications conjointes.
1989 : loi du 31 décembre 1989 qui consacre le principe de la résiliation annuelle. 2005 : loi Chatel, qui oblige les assureurs à rappeler la faculté de dénonciation de la tacite reconduction du contrat. 2014 : loi Hamon, instaurant la résiliation à tout moment, après la première année de souscription, pour l’assurance habitation, l’assurance automobile (responsabilité civile) et l’assurance affinitaire. 2019 : loi du 14 juillet 2019 introduisant la résiliation à tout moment après la première année de souscription pour les contrats de complémentaire santé. 2022 : loi du 28 février 2022 appliquant à l’assurance emprunteur la possibilité de résilier à tout moment, dès la souscription.
Le secteur de l’assurance, surréglementé du fait de son importance économique et sociale, est un bon exemple de la difficulté à conserver une réglementation pertinente, en partie parce que différentes administrations se trouvent en compétition pour réguler le secteur.
Au niveau national, citons le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique via les Directions générales du Trésor d’une part, de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes d’autre part ; l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui veille à la solvabilité des assureurs et à la protection des assurés, et émet des recommandations, ce que l’on appelle de la soft law ; la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) qui veille au respect des données personnelles en faisant part de lignes directrices ; l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui veille à la protection des épargnants et publie également des recommandations ; l’Autorité de la concurrence qui aura à se prononcer en cas de rapprochement entre acteurs afin d’éviter les positions dominantes qui nuiraient aux consommateurs…
Au niveau européen, citons au moins la Commission européenne qui a le monopole de proposition d’une directive ou d’un règlement, et l’EIOPA22, qui la conseille et émet ses propres recommandations à destination des superviseurs et des assureurs23.
À cela s’ajoutent les jurisprudences de la CJUE et de la Cour de cassation française, qui peuvent jouer un rôle décisif – par exemple pour la première à propos de ce qu’il faut comprendre par « support durable » et pour la seconde à propos de la prescription des litiges – mais aussi contribuer à alourdir la rédaction des contrats par les précisions requises.
Chacun est dans son rôle et chacun essaie sans aucun doute de faire de son mieux pour mener à bien la mission confiée. Mais chacun est aussi « dans son silo ». Ce nombre élevé d’intervenants, tous légitimes dans leur domaine mais qui se coordonnent peu24 et pensent trop souvent que leur valeur ajoutée consiste à produire de nouvelles normes afin de prouver leur vigilance, contribue à la complexité des règles à respecter et à la difficile lisibilité des contrats.
Une bonne illustration réside dans les modalités de résiliation du contrat d’assurance. Il y avait jusqu’à présent seize modalités possibles de résiliation d’un contrat. Cela résulte de strates de réglementation qui se sont ajoutées les unes aux autres au fil du temps25. Les modalités de résiliation diffèrent selon que l’on est en assurance de biens (matériels et immatériels) ou assurance de personnes, que la résiliation du contrat est à l’initiative de l’assuré ou de l’assureur, qu’il s’agisse d’un contrat d’assurance collectif ou individuel… Selon les cas, il faut prévenir l’autre partie un mois à l’avance, deux mois, trois mois… ; par lettre recommandée ou non. La résiliation « à tout moment » a été rendue possible par le législateur, progressivement, pour certains contrats, un an après la souscription (automobile, habitation, assurance affinitaire, santé) mais pas pour les autres. Tout ceci est incompréhensible pour l’assuré et parfois pour l’assureur également, qui se trompe dans la règle à respecter.
La médiation a alerté sur le sujet et le Comité consultatif du secteur financier a eu le courage et l’énergie de s’emparer du dossier. Tous les acteurs, consommateurs comme assureurs et courtiers, sont convenus de cette complexité qui n’était bonne pour personne et ne résultait d’aucune vision.
Les travaux du Comité ont duré moins d’un an et ont débouché sur un avis publié en mai 2022 pour une mise en œuvre au 1er juillet 2023 : la philosophie est d’aller vers la simplification des modalités de résiliation par l’extension de la possibilité de résilier « à tout moment » après un an de détention du contrat. Quelques contrats de nature saisonnière (navigation de plaisance, chasse, assurance scolaire…) restent encore à l’écart du dispositif mais ce sera un progrès considérable.
Cet exemple montre que la complexité réglementaire n’est pas une fatalité. Si tous les acteurs concernés peuvent être réunis et entraînés dans une dynamique de transparence et de clarification – ici les professionnels de l’assurance, les consommateurs et les pouvoirs publics dans le cadre du CCSF –, ils peuvent convenir de la manière de simplifier les règles. Il faut beaucoup d’énergie chez celui ou celle qui anime les travaux, et de la bonne volonté chez les différents acteurs pour y parvenir, mais faire confiance aux discussions entre les principaux acteurs concernés est souvent la bonne manière de réguler, quitte à ce que le consensus soit ensuite repris sur certains points par le législateur.
Le manque de connaissance économique et financière des français
À propos de ce type de contrats, un engagement pourrait être pris de cesser de prélever les primes d’assurance quand l’assureur a collecté deux fois le montant du capital qui sera versé aux bénéficiaires désignés.
Via les dossiers étudiés à la médiation de l’assurance, on constate aussi la méconnaissance chez les Français des mécanismes économiques et financiers et du fonctionnement d’un contrat d’assurance.
En assurance vie, les assurés s’étonnent régulièrement auprès de la médiation de la diminution du rendement de leurs supports en euros par rapport au moment où ils ont souscrit dans les années 1990, comme si la rentabilité de ce dernier pouvait cheminer à l’écart du mouvement historique de baisse des taux d’intérêt vécu au cours des trente dernières années. Ou l’on affirmera ne pas avoir été correctement informé de la volatilité possible des supports en unités de compte, qui sont liés à l’évolution des marchés financiers.
En prévoyance, certains assurés regrettent d’avoir souscrit des garanties (incapacité de travail, invalidité, décès…) à fonds perdus, comme si elles avaient été inutiles. Mais c’est bien la nature d’un contrat d’assurance d’être souscrit pour faire face aux éventuels coups durs de la vie, et tant mieux si l’assureur n’a pas eu à indemniser un sinistre, cela veut dire aussi qu’il n’est rien arrivé à l’assuré.
Pendant la crise sanitaire, de nombreux assurés ont dit ne pas comprendre pourquoi leur assurance automobile n’était pas moins chère, puisqu’ils avaient moins ou pas roulé pendant les périodes de confinement. Mais une voiture doit être assurée en continu, car même à l’arrêt elle peut provoquer des dégâts (fuite d’huile, explosion…) et les mêmes assurés ne se sont pas interrogés, dans le cas d’une utilisation de la voiture plus élevée, sur une augmentation de leur prime d’assurance. En France, très peu de contrats d’assurance font varier le niveau de la prime en fonction du nombre de kilomètres parcourus.
Un exemple type de contrat incompris est celui relatif au financement des frais d’obsèques. Ce type de contrats garantit le versement d’un capital aux personnes désignées au moment du décès de l’assuré. Si l’assuré meurt jeune, il aura peu cotisé mais l’assureur versera le capital convenu aux bénéficiaires désignés (par exemple 4.000 euros). À l’inverse, si l’assuré vit très longtemps, il va cotiser nettement plus que le capital qui sera versé aux bénéficiaires désignés pour financer les obsèques. Au total, un équilibre est trouvé par l’assureur afin de fixer son tarif. Mais dans le cas de ceux qui ont « trop » cotisé, c’est souvent une source d’incompréhension pour les héritiers, que le total des cotisations ne soit pas reversé en capital au moment du décès26.
On en revient à la nécessité de bien expliquer le fonctionnement d’un contrat d’assurance, qui repose sur les notions d’aléa, de risque, de mutualisation. La vocation d’un contrat d’assurance est de bien protéger en cas de coup dur, pas de fournir une avance de trésorerie ou d’être source d’enrichissement (à l’exception de la catégorie très particulière des contrats d’épargne bien sûr).
D’une façon générale, il faut inciter à souscrire une assurance qui protège bien en cas de sinistre, en particulier dans le cas de ménages aux revenus modestes, et qui forcément coûte plus cher qu’une assurance minimale. Une assurance peu chère couvrira probablement peu au moment du sinistre. Un ménage aisé pourra puiser dans son assurance vie ou ses autres ressources financières pour faire face à un coup dur. Pour un ménage aux revenus modestes, la panne de la voiture ou le dégât des eaux peuvent avoir des conséquences lourdes s’il ne peut financer les réparations.
À tout le moins, les différentes options doivent être présentées au prospect afin qu’il souscrive en toute connaissance de cause. Faute de quoi, l’assuré dira alors au moment du sinistre qu’il a été mal conseillé à la souscription, argument que nous entendons souvent à la médiation de l’assurance.
Tous les acteurs peuvent répondre à ce besoin de développer la pédagogie et l’éducation financière : les assureurs et courtiers, les associations de consommateurs, les pouvoirs publics via notamment la Banque de France, l’ACPR et l’AMF. Sur ce plan, l’abondance de contributions ne nuit pas. La médiation de l’assurance considère que c’est également une mission essentielle, car sans une bonne compréhension des principes assurantiels, comment trouver un apaisement dans le conflit entre l’assuré et l’assureur ?
L’inégalité entre ceux qui se battent pour faire valoir leurs droits et les autres
Si le dossier était recevable. Début 2023, ce pourcentage a franchi la barre des 50%.
Lorsque la médiation de l’assurance donne raison à l’assuré, elle est quasi systématiquement suivie par l’assureur ou le courtier.
ACPR, Recommandation 2022-R-01 du 9 mai 2022 sur le traitement des réclamations.
En 2022, quand un assuré a décidé de saisir la médiation de l’assurance, il a obtenu satisfaction en tout ou partie dans 46% des cas27, alors que le dossier avait pourtant déjà été examiné deux fois par l’assureur. Soit parce que l’assureur a spontanément proposé une transaction amiable quelques semaines après la saisine, ayant réétudié le dossier (c’est notamment fréquent à propos des assurances de téléphone portable). Soit parce que la médiation de l’assurance ayant été au bout du processus en rédigeant une proposition de solution, est allée dans le sens de l’assuré28.
Cette statistique montre l’utilité de la médiation pour apaiser les tensions. Elle doit aussi faire réfléchir assureurs et courtiers sur la qualité de leur gestion des sinistres. Ceux qui ont persisté à contester la position de leur assureur, parfois assistés par une association de consommateurs, ou par leur assureur de protection juridique, ou un avocat, ont eu raison de le faire dans presque un cas sur deux. C’est beaucoup.
Bien sûr on peut penser que ce chiffre est biaisé : ceux qui ont saisi la médiation avaient souvent de bons arguments pour le faire. On ne saurait donc étendre cette statistique à la gestion de l’ensemble des sinistres traités en France par la profession de l’assurance. Il n’en demeure pas moins qu’elle soulève la question de l’inégalité de traitement entre les assurés qui savent se défendre, ou ont l’énergie de le faire, et les autres.
Les assureurs doivent être perçus comme des repères solides dans un monde instable. Ils vendent de la confiance, la promesse qu’ils seront là, aux côtés de l’assuré, si dans quelques mois un coup dur se produit, qu’il s’agisse d’un accident de voiture, d’un dégât des eaux ou d’un problème de santé. Si l’idée se répandait dans le public que leur parole devait être contestée au moment de l’indemnisation, c’est ce socle de confiance qui serait atteint.
Pour maintenir la relation de confiance, les services de gestion de sinistres et de réclamations doivent sans doute être renforcés. D’autant plus que désormais le délai pour traiter une réclamation a été réduit à deux mois à la suite de la recommandation de l’ACPR du 9 mai 202229 : deux mois après l’expression d’un mécontentement par écrit de l’assuré, ce dernier peut désormais saisir la médiation. Le très fort afflux de saisines constaté début 2023 (+ 80% de dossiers à traiter par la médiation au premier semestre 2023 par rapport à la même période de 2022) montre que les assurés se sont vite emparés de cette nouvelle possibilité.
Conclusion
La Directive 2013/11/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation et modifiant le règlement (CE) n° 2006/2004 et la directive 2009/22/CE (directive relative au RELC) généralisant l’obligation pour une entreprise d’avoir un système de médiation.
Voir sur le site du ministère de la Justice : « Favoriser les modes amiables de règlement des litiges », 10 décembre 2020.
Voir justice.gouv.fr, « Lancement de la politique de l’amiable », 13 janvier 2023.
En juin 2023, celui qui saisit la médiation de l’assurance obtient une réponse 7 mois plus tard en moyenne. Dans 40% des cas le dossier est résolu dans les 3 mois.
Voir les enquêtes du Cevipof, « Le baromètre de la confiance en politique ».
Pour en savoir plus sur la médiation de l’assurance, il est possible de suivre les publications de la médiation en vous connectant sur le site www.mediation-assurance.org.
Depuis des années, les gouvernements souhaitent développer les formes de règlement amiable des litiges, en Europe comme en France. La médiation de la consommation dans sa forme actuelle résulte d’une directive européenne de 201330, transposée en droit français en 2015.
Dans notre pays, citons la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (loi de programmation pour la justice), qui a imposé le recours préalable à une médiation ou un conciliateur de justice en cas de litige dont l’enjeu est inférieur à 5.000 euros31. En janvier 2023, le ministre de la Justice a annoncé que l’un des principaux axes du plan d’action pour la justice serait le développement d’une « politique de l’amiable32 ». Le but poursuivi est bien sûr de désengorger les tribunaux.
En outre, la médiation est en effet un dispositif souple, pragmatique, qui prend position plus vite qu’une action en justice33, qui est gratuite pour les assurés puisqu’elle est totalement financée par les assureurs et courtiers – c’est ce qui résulte d’une directive européenne et de la loi – et qui permet des prises de position en équité.
La médiation peut ainsi aller dans le sens de l’assuré pour rétablir le juste d’une façon qui n’est pas ouverte aux juges, qui s’en tiennent à la règle de droit. Quand la médiation estime que la stricte application du contrat conduit à une situation absurde au vu des circonstances du sinistre, elle peut émettre une position dite « en équité ». Ce fut le cas en 2022 dans presque 6% des cas.
Étant quasi systématiquement suivie par les assureurs, y compris sur ces cas en équité, la médiation contribue à apaiser la relation.
Dans une société française plus défiante que jamais34, et alors que les questions d’assurance sont essentielles à la cohésion sociale, la médiation de l’assurance a un rôle important à jouer. Pour dire, au cas par cas, ce qui apparaît juste, en droit ou en équité. Pour expliquer, apaiser, jouer le rôle d’un tiers de confiance. Pour dénoncer aussi, parfois, des comportements ou des contrats choquants.
Ce rôle est de mieux en mieux reconnu. Citons le Professeur Luc Mayaux, directeur de l’Institut des assurances de Lyon, qui a écrit dans la Revue générale du droit des assurances en septembre 2021 :
« L’expression de « mode alternatif de règlement des conflits » n’a jamais été autant d’actualité, la médiation devenant un concurrent pour la justice. Cette évolution appelle plusieurs niveaux d’analyse. Sur un plan politique et financier tout d’abord, elle traduit volens nolens un désengagement des pouvoirs publics relativement à une prérogative pourtant régalienne.
La médiation, dispositif interne à la profession, serait plus efficace que la justice (car émanant d’experts) et surtout elle ne coûte rien à l’État. On retrouve le même mouvement avec l’autorégulation du courtage. Sur un plan juridique ensuite, la standardisation des « propositions de solution » (qui est obligée vu le nombre) renforce la normativité du « droit mou » (ou du soft power comme dit le médiateur de l’assurance dans son rapport) qui se durcit singulièrement. Il faut rappeler que le droit se nourrit de la répétition. Et le tempérament apporté par l’équité n’en est pas réellement un dès lors qu’on passe d’une équité subjective (celle de l’arbitre ou du médiateur « classique ») à une équité supérieure, à un principe d’équité qui tend à devenir un principe général du droit. À cet égard, la lecture du rapport du médiateur de l’assurance, et des « études de cas » qu’il comporte, va devenir aussi nécessaire (horresco referens) que celle du rapport annuel de la Cour de cassation. À quand un commentaire comparé des deux rapports qui paraîtrait tous les ans dans cette revue ? On n’en est pas là, mais on voit que la médiation n’est pas seulement un phénomène sociologique, qui en dit beaucoup sur le monde contemporain. Elle est aussi une réalité juridique. Au moins en assurance, le médiateur est devenu un acteur du droit à part entière ».
Alors que les pouvoirs formels de la médiation de l’assurance sont limités, elle doit convaincre, par son indépendance et sa compétence.
Son action est tendue vers le service à rendre aux assurés. Elle ne travaille pas sur des dossiers abstraits, elle sait que ses réponses sont attendues en général avec impatience par des assurés de bonne foi qui, à tort ou à raison, ont le sentiment de ne pas avoir été bien traités35.
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