La politique danoise d'immigration : une fermeture consensuelle
Abréviations des noms de différents partis politiques danois utilisées dans certains tableaux et graphiques de cette note
Introduction
Une politique déterminée par l’enjeu de l’homogénéité nationale
Le Danemark comme société homogène
L’État providence comme principe national
L’influence du populisme danois sur les politiques d’immigration
État providence, fermeture et fermeté: la politique danoise d’immigration
Une politique d’intégration vigoureuse
Une restriction de l’accès : emploi, regroupement familial, naturalisation
Une politique d’asile drastique
L’externalisation de la gestion de l’asile à un pays tiers
La politique danoise d’immigration: ratification populaire et consolidation démocratique
Les élections de 2022 : échec des populistes, réélection des sociaux-démocrates
Cohésion nationale et confiance interpersonnelle
La politique danoise d’immigration et l’avenir de la gauche européenne
Résumé
Lors des élections législatives du 1er novembre 2022, les Danois ont reconduit à la tête du pays le Parti social-démocrate. Si le Danemark a changé de majorité à plusieurs reprises, il déploie cependant depuis vingt ans la même politique d’immigration. Celle-ci se caractérise par la réduction drastique des flux migratoires, un programme d’intégration exigeant, un accès à la nationalité rendu difficile et, désormais, la volonté de recourir à un pays tiers extra-européen pour le traitement des demandes de visas. Initiée par la droite de gouvernement sous la pression d’une droite populiste accordant en échange son appui parlementaire, la politique danoise d’immigration a été reprise et prolongée par les sociaux-démocrates lors de leur retour au pouvoir en 2019. Ils ont été réélus en 2022, plus confortablement encore qu’en 2019.
Du point de vue danois, la politique migratoire est une condition de la pérennité de l’État providence. Il s’agit de le préserver en limitant les recours aux aides jugés excessifs ou injustifiés au motif qu’ils dilapident les ressources du pays et sapent le consensus politique en propageant la suspicion.
L’État providence dépend autant du niveau de confiance dans la société que des performances économiques du pays.
En ce sens, on peut dire que l’homogénéité nationale à laquelle sont attachés les Danois repose moins sur des motifs ethniques que politiques, culturels et moraux. C’est ainsi que le Danemark a décidé de restreindre l’immigration et d’imposer aux arrivants un programme énergique d’intégration. L’effort pour réduire la distance culturelle séparant les immigrés de l’ensemble de la société danoise permet de cultiver et de transmettre la confiance interpersonnelle, la confiance dans les institutions et, finalement, le modèle national danois tout entier.
La politique danoise d’immigration pose une question fondamentale aux Européens : peut-on assurer l’avenir de l’État providence sans une politique migratoire restrictive et intégratrice ?
Dominique Reynié (dir.),
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé les ouvrages Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tension (Fondation pour l’innovation politique, 2019), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Les "Démocrates de Suède" : un vote anti-immigration
Les Suédois et l'immigration, fin de l'homogénéité ? (1)
Les Suédois et l'immigration, fin du consensus ? (2)
Migrations : la France singulière
Éthiques de l'immigration
Italie 2022 : populismes et droitisation
L'Italie aux urnes
Vox, la fin de l'exception espagnole
Alternative für Deutschland : de la création en 2013, aux élections régionales de Hesse d'octobre 2018
Autriche : Virage à droite
Pays-Bas : la tentation populiste
Libertés : l’épreuve du siècle
Démocraties sous tension - Volume I. Les enjeux
Démocraties sous tension – Volume II. Les pays
Où va la démocratie ?
Dominique REYNIÉ
Victor DELAGE, Dominique REYNIÉ, Axel ROBIN, Mathilde TCHOUNIKINE
Anne FLAMBERT, Francys GRAMET, Claude SADAJ
Julien RÉMY
Abréviations des noms de différents partis politiques danois utilisées dans certains tableaux et graphiques de cette note
V : Venstre, Parti libéral (ALDE, Renew Europe) A : Socialdemokratiet, Sociaux-Démocrates (Parti socialiste européen) O : Dansk Folkeparti, Parti du peuple danois (Identité et Démocratie) B : Radikale Venstre, Parti social-libéral (ALDE, Renew Europe) F : Socialistisk Folkeparti, Parti populaire socialiste (Alliance de la Gauche verte nordique, Parti vert européen) Ø : Enhedslisten, Alliance rouge et verte (Groupe de la Gauche au Parlement européen) Y/I : Liberal Alliance, Alliance libérale (centre droit) C : Det Konservative Folkeparti, Parti populaire conservateur (PPE) D : Nye Borgerlige, La Nouvelle Droite (droite-extrême droite) M : Moderaterne, Les Modérés (centre/centre droit) AE : Danmarksdemokraterne, Démocrates du Danemark (droite populiste) Q : De Frie Grønne, Les Verts libres (gauche) K : Kristendemokraterne, Les Chrétiens démocrates (centre) Å : Alternativet, L’Alternative (Alliance de la Gauche verte nordique, DiEM25, Printemps européen) P : Stram Kurs, Ligne dure (extrême droite) E : Partiet Klaus Riskær Pedersen, Parti de Klaus Riskaer Pedersen/La liste citoyenne (libéral) |
Introduction
Le 3 décembre 2015, lorsque le gouvernement de centre droit de Lars Løkke Rasmussen a proposé de mettre fin à ces dérogations par un référendum, 53% des électeurs ont rejeté la proposition. Les attaques terroristes en France, en particulier celles de janvier et novembre 2015, ainsi que, la même année, la crise des réfugiés sont comptés parmi les causes de ce résultat.
Voir Silvia Adamo, « Le système danois de protection sociale : équilibrer solidarité en Europe et immigration en temps de crise », Revue française des affaires sociales, n° 3, juillet-septembre 2015, p. 159-180.
Voir « Ocean Vinking : “Il est impossible d’accueillir si l’on ne peut pas refuser l’entrée” », entretien de Dominique Reynié avec Eugénie Bastié, lefigaro.fr, 15 novembre 2022.
Svante Hansson, « Danemark », in Pascal Perrineau et Dominique Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001, p. 281.
Voir Statistics Denmark, « VAN5: Asylum seekers by citizenship and type of asylum », 2022.
OCDE, « Base de données sur les migrations internationales », décembre 2022.
Lors des élections législatives du 1er novembre 2022, les Danois ont reconduit le Parti social-démocrate à la tête du pays. Si le Danemark a changé de majorité à plusieurs reprises, il mène cependant depuis vingt ans une politique d’immigration inspirée par les mêmes principes : une réduction drastique des flux migratoires, un programme d’intégration exigeant, un accès à la nationalité rendu difficile et, désormais, la volonté de recourir à un pays tiers extra-européen pour le traitement des demandes de visas.
Membre de l’Union européenne, de l’espace Schengen et de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), le Danemark a pu développer une politique singulière après avoir négocié ses marges de manœuvre en tant qu’État membre de l’Union européenne. À la suite du premier référendum par lequel ils rejetaient le traité de Maastricht (à 50,7%), le 2 juin 1992, les Danois ont obtenu de bénéficier d’une série de dérogations au droit européen. Ces « options de retrait » (op-out) obtenues, un nouveau référendum danois s’est conclu, le 18 mai 1993, et cette fois, par l’adoption du traité de Maastricht (56,7%). Le pays est exempté de la plus grande partie du système de justice pénale et des affaires intérieures de l’Union européenne1. Le Danemark peut ne pas appliquer les règlements et directives de l’Union européenne en matière de justice et d’affaires intérieures, auxquelles sont soumises les politiques de migration et d’asile. Le Danemark peut donc traiter juridiquement les ressortissants d’un pays tiers selon ses propres règles2.
La nouvelle politique danoise d’immigration a été initiée par la droite de gouvernement, sous la pression des populistes du Parti du peuple danois (Dansk Folkeparti), qui ont accordé en échange leur appui parlementaire. Cette politique a été reprise et prolongée par les sociaux-démocrates lors de leur retour au pouvoir en 2019. Ils ont été réélus en 2022, plus confortablement encore qu’en 2019.
Du point de vue danois, la politique migratoire est une condition de la pérennité de l’État providence. Il s’agit de le préserver en limitant les recours aux aides excessifs ou injustifiés qui risquent de dilapider les ressources du pays et de saper le consensus politique en propageant la suspicion d’abus. Les Danois nous rappellent que l’État providence dépend autant du niveau de confiance dans la société que des performances économiques du pays.
En ce sens, on peut dire que l’homogénéité nationale à laquelle sont attachés les Danois repose moins sur des motifs ethniques que politiques, culturels et moraux. C’est ainsi que le Danemark a décidé de restreindre l’immigration et d’imposer aux arrivants un programme énergique d’intégration. L’effort de réduire la distance culturelle séparant les immigrés de l’ensemble de la société danoise permet de cultiver et de transmettre la confiance interpersonnelle, la confiance dans les institutions et finalement le modèle national danois tout entier. La politique danoise d’immigration pose une question fondamentale aux Européens. Peut-on assurer l’avenir de l’État providence sans une politique migratoire restrictive et intégratrice ?
Or, les gauches sont devenues mal à l’aise avec l’idée d’un État contrôlant fermement ses frontières au moment où la question se pose avec une acuité particulière à la gauche européenne de gouvernement puisqu’elle se définit largement par l’État providence. Dans les sociétés démocratiques européennes, malgré une pression migratoire de plus en plus forte, la plupart des gauches nationales semblent incapables d’assumer une politique de réduction des flux. En France, cette idée a fait l’objet d’une stigmatisation qui imprègne encore profondément le monde politique, médiatique, intellectuel et associatif3. C’est au point que la droite française elle-même, durant les vingt-trois années pendant lesquelles elle a gouverné depuis 1974, n’a jamais pu se résoudre à prendre à bras-le-corps l’enjeu migratoire, malgré une constante progression de la préoccupation dans l’opinion publique et sa traduction, sans cesse affirmée, dans les progrès électoraux de partis anti-immigration, principalement le Front national/Rassemblement national, dont les performances à l’élection présidentielle sont passées de 0,75 % des suffrages exprimés au premier tour de 1974, à 23,2% en 2022, et de 17,8% au second tour de 2002 à 41,4% en 2022.
Le cas danois est donc singulièrement utile à considérer. Il nous éclaire sur le rôle que pourraient jouer les stratégies migratoires restrictives dans la politique démocratique du XXIe siècle. Le cas est d’autant plus pertinent que le Danemark est économiquement et culturellement ouvert sur le monde. On peut rappeler ici que les étrangers résidant au Danemark et détenteurs de passeports scandinaves ont pu voter aux scrutins locaux dès 1978, et que la mesure a été étendue en 1981 à l’ensemble des étrangers résidant dans le pays4. Cependant, les gouvernements ont changé de perspective depuis une vingtaine d’années, en se convertissant progressivement à une politique migratoire de plus en plus restrictive. Initiée par la droite entre 2001 et 2011, la politique de fermeture n’a pas été remise en cause par la gauche danoise lorsqu’elle est revenue au pouvoir, d’octobre 2011 à juin 2015. La victoire de la coalition de droite en juin 2015, coïncidant avec le début de la crise des réfugiés, a eu pour effet une accentuation de la politique restrictive, conduisant le Danemark à devenir aujourd’hui l’un des pays européens les moins ouverts à l’immigration.
Au pouvoir depuis 2019, dans le cadre d’un gouvernement sans coalition, les sociaux-démocrates ont été réélus lors des élections législatives du 1er novembre 2022. Avec 27,5% des suffrages exprimés, ils ont même amélioré leur score par rapport à leur victoire de 2019 (25,9%). La politique migratoire danoise est devenue consensuelle. Son caractère particulièrement restrictif produit un effet dissuasif sur les candidats à l’immigration, comme en témoigne l’évolution du nombre des demandeurs d’asile5 : entre 2014, année précédant la crise des réfugiés, et 2019, année précédant la crise sanitaire, le nombre total des demandes d’asile a chuté de 82%, passant de 14.792 à 2.716. L’effet dissuasif de cette politique migratoire s’observe également à travers les entrées de personnes étrangères (hors demandeurs d’asile) sur le territoire danois6 : sur la même période (2014-2019), le nombre total de migrants est passé de 49 039 à 42 268 (-14 %). Désormais, le gouvernement social-démocrate œuvre à l’étape suivante qui est l’externalisation de la gestion des demandes de visas, confiée à un pays tiers, en l’espèce le Rwanda.
L’immigration annuelle au Danemark, hors demandeurs d’asile (2006-2020)
Source :
Note : À partir de 2006, Statistics Denmark a mis en place une nouvelle méthode de calcul à partir de données démographiques. Par conséquent, nous avons fait le choix de considérer les données à partir de 2006.
Critères d’inscription des étrangers sur le registre central de population : être en possession d’un permis de résidence et souhaiter séjourner dans le pays plus de 3 mois. Les données présentées se réfèrent aux migrants vivant légalement au Danemark, enregistrés dans le registre central de population et résidant dans le pays depuis au moins un an. Sont exclus : les demandeurs d’asile et les autres étrangers ayant un statut de résidence temporaire.
Citée in Nelly Didelot, «Au Danemark, la victoire idéologique de l’extrême droite», liberation.fr, 4 juin 2019.
Sur le sujet de l’immigration, la Fondation pour l’innovation politique a déjà publié plusieurs études, dont notamment Didier Leschi, Migrations : la France singulière, octobre 2018; Tino Sanandaji, Les Suédois et l’immigration (1). Fin de l’homogénéité ?, septembre 2018, et Les Suédois et l’immigration (2). Fin du consensus?, septembre 2018; Jean-Philippe Vincent, Éthiques de l’immigration, juin 2018.
Via l’adresse mail : contact@fondapol.org.
Outre la réduction des flux, le deuxième effet notable de cette politique migratoire est l’effondrement électoral du principal parti populiste, le Parti du peuple danois (Dansk Folkeparti). Réalisant son meilleur score (21,1%) en 2015, au début de la crise européenne des réfugiés, ce parti est tombé à 2,6% lors des élections du 1er novembre 2022. Cependant, l’effondrement électoral des populistes est la conséquence de leur victoire idéologique, ce que les analystes avaient identifié lors du scrutin précédent, en juin 2019, alors que le Parti du peuple danois reculait déjà fortement, avec 8,7% des suffrages exprimés : « La plupart des positions anti-immigration, anti-asile et anti-islam qui caractérisaient essentiellement le Parti du peuple danois se sont peu à peu normalisées jusqu’à devenir omniprésentes, expliquait ainsi Susi Meret, professeure associée à l’université d’Aalborg. Les partis “dominants” se sont emparés de son discours7. » C’est ainsi qu’en 2022 les sociaux-démocrates ont été reconduits (27,5%), avec leur meilleur score depuis 2001. Notons qu’un tel score confirme le retour en grâce du Parti social-démocrate auprès des classes populaires.
Notre étude se propose de présenter la formation de la politique migratoire danoise et de ses principales caractéristiques8. Cette politique a été mise en place à travers une succession de lois adoptées au cours des deux dernières décennies.
La politique danoise d’immigration est le produit d’une œuvre législative abondante et complexe. La synthèse que nous en proposons ici est appelée à s’enrichir de compléments et d’amendements que des lecteurs attentifs et intéressés voudront partager avec nous9. |
Composition politique des gouvernements danois depuis 1982
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique
Source :
https://www.regeringen.dk/om-regeringen/regeringer-siden-1848/
Note : Depuis 1945, le Danemark a connu trente-huit gouvernements, dont vingt-quatre ont été formés sur la base d’une coalition et quatorze sans coalition.
Une politique déterminée par l’enjeu de l’homogénéité nationale
Le Danemark comme société homogène
Voir Garbi Schmidt, «Myths of ethnic homogeneity. The Danish case», in Suvi Keskinen, Unnur Dís Skaptadóttir et Mari Toivanen (dir.), Undoing Homogeneity in the Nordic Region. Migration, Difference, and the Politics of Solidarity, Londres, Routledge, 2019, p. 35-48.
Voir Ulf Hedetoft, «Denmark: Integrating Immigrants into a Homogeneous Welfare State», migrationpolicy.org, 1er novembre 2006.
Shahamak Rezaei et Marco Goli, «The ‘housebroken’ far-right parties and the showdown in Danish migration and integration policies », in Maciej Duszczyk, Marta Pachocka et Dominika Pszczółkowsk (dir.), Relations between Immigration and Integration Policies in Europe. Challenges, Opportunities and Perspectives in Selected EU Member States, Routledge, 2020, p. 106-124.
Au Danemark, l’idée que la nation procède non seulement d’un passé commun mais aussi d’une homogénéité ethnique est largement répandue dans la population. N.F.S. Grundtvig (1784-1872), l’un des penseurs historiques du nationalisme danois, membre de l’Assemblée constituante qui a donné le jour à la première Constitution danoise, en 1849, inscrit ainsi sa pensée dans la famille du nationalisme romantique fondé sur l’idée d’un « peuple » ethniquement homogène, partageant la même langue et la même histoire10.
L’idée d’une nation ethniquement homogène est certainement à relativiser, le Danemark ayant connu plusieurs vagues d’immigration au cours de son histoire. Cependant, ces vagues provenaient principalement des pays nordiques et d’Europe de l’Ouest. La figure d’un État providence formé à partir d’une population culturellement homogène est donc compréhensible11. Les premiers migrants extra-européens, venus en particulier de Turquie, du Pakistan et de l’ex-Yougoslavie, sont arrivés dans les années 1960, souvent en tant que travailleurs étrangers, pour répondre aux besoins de l’industrie danoise. En 1973, avec le premier choc pétrolier et ses conséquences sur l’emploi, il fut décidé d’arrêter la venue de travailleurs étrangers. Cependant, au cours des décennies suivantes, le Danemark a reçu de nombreux réfugiés, du Vietnam, du Chili, du Proche et Moyen-Orient ainsi que de Somalie, et leur nombre a rapidement augmenté avec le regroupement familial12. La première loi sur l’immigration de 1983, considérée comme l’une des plus libérales au monde, a alors été amendée et durcie pour la première fois dans les années 1990, puis à de très nombreuses reprises à partir du début des années 2000.
Origine des immigrés et des descendants non-occidentaux en 2021
Les 10 principaux pays d’origine des immigrés non-occidentaux et de leurs descendants
L’État providence comme principe national
Voir Silvia Adamo, « Le système danois de protection sociale : équilibrer solidarité en Europe et immigration en temps de crise », Revue française des affaires sociales, n° 3, juillet-septembre 2015, p. 159-180.
Ibid.
Ibid., p. 163.
Au Danemark, la construction nationale est profondément liée au déploiement de l’État providence, lequel est jugé dépendant d’un sentiment de solidarité unissant des personnes nées et ayant vécu dans un même pays. Silvia Adamo rappelle que les principes constituant la base du système de protection sociale danois sont l’universalité (l’État fournit un grand nombre de services et d’avantages financés par la fiscalité générale), la solidarité (l’État est le principal prestataire de protection sociale), la prise en charge d’un niveau de vie minimal (l’État a la responsabilité d’assurer un minimum de subsistance à tous) et la territorialité (les avantages sont subordonnés à la résidence au Danemark, ils ne sont pas exportables)13. Or, les migrants et les mobilités internationales modifient les conditions de cette solidarité entre les membres de la communauté nationale14, et ce d’autant plus que les chocs pétroliers ont fragilisé le modèle danois de protection sociale. Aussi, dans les années 2000, le Danemark a mis l’accent sur la responsabilité individuelle afin de réduire la tendance à l’ «assistanat15».
Dette publique au 2ème trimestre de 2022 (en % du PIB)
Source :
Eurostat
Des négociations budgétaires précises et serrées au cœur des coalitions gouvernementales
Au Danemark, la plupart des gouvernements ont reposé sur des coalitions minoritaires. Cette situation conditionne leur stabilité à des négociations précises et serrées entre les formations partenaires, mais aussi à la prise en compte de l’avis des partis extérieurs à la coalition, singulièrement sur le sujet de la politique budgétaire. On peut voir dans le phénomène des coalitions minoritaires l’une des explications du sérieux budgétaire danois : « La plupart des initiatives majeures en matière budgétaire, prises au cours de la durée d’exercice des fonctions d’un gouvernement, découlent du contrat passé entre les membres de la coalition […]. Cette stratégie économique et budgétaire, inscrite dans la durée, bénéficie d’un large soutien politique au Danemark et a été suivie par les gouvernements successifs. L’objectif global est de garantir la viabilité en longue période de la politique budgétaire [1]. » [1]. Jón R. Blöndal et Michael Ruffner, « La procédure budgétaire au Danemark », Revue de l’OCDE sur la gestion budgétaire, vol. 4, n° 1, avril 2006, p. 60-61. |
Évolution en points de PIB de la dette entre 2019 et 2022
Source :
Commission européenne
Le sérieux budgétaire, un élément de la culture politique danoise
Avec l’Autriche, les Pays-Bas et la Suède, le Danemark fait partie de ces pays européens auxquels l’attachement à l’équilibre des comptes et à la maîtrise de la dette publique est partagé par la droite comme par la gauche, ce qui leur vaut d’être qualifiés de « frugaux » par des États moins rigoureux. Il est certainement difficile de comprendre la politique d’immigration danoise sans avoir à l’esprit cette dimension de la culture économique et politique nationale, profondément marquée par l’impératif d’une gestion prudente des ressources publiques. |
Au sein de l’Union européenne, les Danois sont les plus nombreux à considérer que la démocratie fonctionne bien dans leur pays (en %)
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique
Source :
Dominique Reynié (dir.), Libertés : l’épreuve du siècle, enquête réalisée en partenariat avec la Fondation pour l’innovation politique, l’International Republican Institute, la Community of Democracies, la Konrad-Adenauer-Stiftung, Genron NPO, la Fundación Nuevas Generaciones et República do Amanhã, janvier 2022, 96 pages.
Voir Suvi Keskinen, Ov Cristian Norocel et Martin Bak Jørgensen, « The politics and policies of welfare chauvinism under the economic crisis », Critical Social Policy, vol. 36, n° 3, août 2016, p. 321-329.
Voir Emily Cochran Bech, Karin Borevi et Per Mouritsen «A ‘civic turn’ in Scandinavian family migration policies? Comparing Denmark, Norway and Sweden », Comparative Migration Studies, vol. 5, article 7, mars 2017.
Voir Suvi Keskinen, Ov Cristian Norocel et Martin Bak Jørgensen, art. cit.
De nombreuses personnes doutent de la soutenabilité du modèle danois et certaines préconisent alors une libéralisation accrue, recommandant la réduction de l’assistance et de la protection dont bénéficient les migrants qui, n’étant pas membres de la communauté nationale, ne devraient pas nécessairement pouvoir accéder à la solidarité nationale.
La crise économique et financière de 2008 alimente l’intérêt grandissant pour de telles approches. C’est en particulier le cas du Parti du peuple danois qui défend l’exclusion des non-nationaux de la solidarité nationale. Dans cette logique, seuls les « natifs », ceux faisant partie de la communauté jugée ethniquement homogène, devraient pouvoir bénéficier de la solidarité nationale16. Il s’agit alors de distinguer entre les personnes, entre celles appartenant ou non à la communauté nationale, entre celles qui contribuent à la production et à la redistribution de la richesse nationale et celles auxquelles on reproche de tirer avantage du système. L’intégration économique est le cœur de l’intégration civique des migrants17, de plus en plus souvent assimilés à la part de la société qui pèse sur le système social, aux dépens des membres historiques de la communauté nationale. Une vision opposant les migrants « méritants », ceux qui contribuent à l’effort national, à ceux qui exploitent le système, s’est progressivement imposée chez les « natifs » danois, en particulier au sein de la classe ouvrière18. C’est ainsi que les politiques d’immigration et d’intégration ont été refondées à partir d’une distinction entre les migrants souhaités et les autres, entre les « méritants » et les « profiteurs », notamment à la suite de la crise économique, au vu de leur intégration et de leur contribution à la vie économique et à l’État providence mais également sur le plan du respect des valeurs libérales qui caractérisent la société danoise.
L’influence du populisme danois sur les politiques d’immigration
Voir Anders Widfeldt, The Growth of the Radical Right in Nordic Countries: Observations from the Past 20 Years, Migration Policy Institute, juin 2018.
Ibid.
Le « populisme patrimonial » est une notion introduite par Dominique Reynié dans Les Nouveaux Populismes (Paris, Pluriel, 2013) afin de qualifier un type de populisme répondant à la crainte ou l’expérience d’une crise patrimoniale à deux dimensions, soit la crainte ou l’expérience d’une érosion du patrimoine matériel – le niveau de vie, les conditions matérielles de l’existence – et la crainte ou l’expérience d’une perte du patrimoine immatériel – le style de vie, la dimension culturelle et symbolique de l’existence.
Voir Corinne Deloy, « Chronique européenne des élections », in Bruno Cautrès et Dominique Reynié (dir.), L’Opinion européenne 2002, Paris, Presses de Sciences Po/Fondation Robert-Schuman, 2002, p. 360-363.
Voir Corinne Deloy, « Les élections en 2011 », in Dominique Reynié (dir.), L’Opinion européenne en 2012, Paris, Fondation pour l’innovation politique/ Fondation Robert-Schuman, 2012, p. 145-147.
Voir Corinne Deloy, « Les élections en 2015 », in Dominique Reynié (dir.), L’Opinion européenne en 2016, Paris, Fondation pour l’innovation politique, 2016, p. 115-118.
Ibid.
Au Danemark, la demande d’une politique migratoire restrictive a d’abord été exprimée par les partis d’extrême droite, dont la présence dans le paysage politique date des années 1970. Le Parti du peuple danois, qui a été le parti populiste le plus puissant pendant trente ans, a vu le jour en 1995, à l’issue d’une scission avec le Parti du progrès (Fremskridtspartiet), fondé en 1972 par l’avocat fiscaliste Mogens Glistrup (ce parti occupe aujourd’hui une place marginale dans l’espace politique danois).
Sur le plan économique, le Parti du progrès développait un discours typique du populisme de droite, antifiscal, anti-élites, dénonçant en particulier les élites intellectuelles et la bureaucratie, mais prônant des idées issues du courant libertarien, telles que la suppression de l’impôt sur le revenu et le rejet de l’État providence. Le Parti du progrès assumait également une culture raciste, à tout le moins xénophobe et vigoureusement antimusulmane19. Les chocs pétroliers puis la guerre entre l’Iran et l’Iraq, de 1980 à 1988, ont provoqué des vagues de réfugiés, faisant de l’immigration le sujet d’une préoccupation croissante dans l’opinion publique. Lors des élections législatives de 1973, le succès du Parti du progrès fut immédiat et il s’imposa comme la deuxième force politique du pays, avec 16% des suffrages exprimés et 28 des 179 sièges du Folketing, la chambre unique du Parlement danois. Les années 1980 furent pourtant marquées par le déclin électoral du parti et son fondateur fut mis en difficulté au sein même du parti. Au-delà de ses démêlés avec la justice, c’est surtout sa stratégie de remise en cause de l’État providence qui lui fut reprochée. Au sein du Parti du progrès, ceux qui défendaient l’État providence le firent au nom de son efficacité idéologique et électorale. L’État providence devint l’axe d’un chauvinisme social, offrant la possibilité d’associer un thème de droite, la préférence nationale, à un thème de gauche, la solidarité. C’est à propos de l’État providence qu’une scission au sein du parti a donné naissance au Parti du peuple danois20, qui illustre bien ce nouveau populisme de type « patrimonial » apparu au tournant du XXe et du XXIe siècle21.
Par son nom, le Parti du peuple danois revendique un appel au peuple national, dans une acception volontiers ethnique. Fermement opposée à l’immigration et au multiculturalisme, promouvant un retour à l’« identité nationale », cette formation est un parti populiste de droite, nationaliste, mais défenseur de l’État providence. Cette combinaison lui a permis l’envolée électorale qu’il a connue jusqu’en 2015. Le parti estime que les immigrés sont accueillis en trop grand nombre et trop généreusement, à la charge des contribuables danois. Contrairement au Parti du progrès, le Parti du peuple danois ne remet donc pas en cause la générosité de l’État providence mais il propose d’en réserver le bénéfice à la population danoise (comprendre « de souche »), seule contributrice nette aux ressources de la nation. L’imbrication du thème de la préservation des richesses du « peuple » avec le thème de son identité se retrouve dans les critiques adressées par le parti à l’Union européenne, et en particulier dans son opposition à l’adoption de la monnaie unique, en 2000, au nom de l’identité nationale, d’un certain modèle social, ainsi que d’un mode de vie que menaceraient des politiques européennes de dérégulation. La défense de l’État providence rejoint la défense de l’identité et de la souveraineté nationale dans la justification d’un programme de fermeture du pays, du refus d’accueillir de nouveaux habitants venus de l’extérieur, afin d’éviter une déstabilisation économique, financière, culturelle ou politique du Danemark.
Les élections législatives de 1998 sont le premier scrutin national auquel prend part le Parti du Peuple danois. Il rassembla alors 7,4% des suffrages, remportant 13 sièges au Parlement. Lors des élections suivantes, en 2001, il devint la troisième force du pays, avec 12% des voix et 22 sièges. Pendant la campagne, ce parti installa l’immigration au cœur du débat public. Les électeurs élirent alors une majorité de droite, permettant la formation d’une coalition associant le Parti libéral au Parti conservateur, tout en bénéficiant de l’appui parlementaire du Parti du peuple danois22. Aux élections législatives de 2005 et de 2007, le Parti du peuple danois demeure la troisième force politique du pays. La droite conserve la majorité ainsi que le soutien parlementaire du Parti du peuple danois. Si ce dernier ne participe pas au gouvernement, il influence cependant fortement les politiques publiques, notamment celles qui sont destinées à réduire les flux migratoires.
Un renversement de majorité a lieu en 2011, lorsqu’une alliance des partis de gauche remporte de peu les élections. Avec 12,3% des voix et 22 sièges, le Parti du peuple danois est en recul, pour la première fois depuis 1998 mais reste néanmoins la troisième force du pays. Ces élections viennent sanctionner les politiques d’austérité consécutives à la crise de 2008. Elles marquent aussi l’usure des partis de droite, au pouvoir depuis dix ans23. Reconduisant les politiques d’austérité, la gauche est à son tour battue, en 2015. Une coalition de droite redevient majoritaire, en particulier grâce au Parti du peuple danois qui triomphe en devenant le premier parti de droite, avec 21,1% des voix et 37 sièges24. Deux sujets principaux ont marqué la campagne électorale de 2015 : l’État providence et l’immigration. Kristian Thulesen Dahl, successeur de Pia Kjærsgaard à la tête du Parti du peuple danois, concentra son discours sur la défense de l’État providence et le rejet d’immigrés jugés trop nombreux. Au regard d’une partie de l’opinion, le parti est apparu porteur d’une offre sociale-démocrate alternative25, permettant le maintien de l’État providence, voire son renforcement, par la réduction des flux migratoires. Pour le moins, c’est l’offre politique qui a provoqué la défaite de la coalition de gauche.
La crise migratoire de 2015-2016 va reconfigurer le paysage politique. Par son ampleur et sa brutalité, elle précipite l’adoption par les sociaux-démocrates des propositions du Parti du peuple danois en matière de politique migratoire. Ce virage est payant : la gauche redevient majoritaire en 2019, notamment en retrouvant une partie de son électorat au détriment du Parti du peuple danois qui subit un premier revers historique, avec un score de 8,7% et la perte de 21 députés.
Les résultats électoraux du Parti social-démocrate, du Parti libéral et du Parti du peuple danois aux élections législatives (en % des suffrages exprimés)
Source :
DR.DK, Meningsmåling.
Les études d’opinions offrent une image plus fine de l’évolution du rapport de forces entre les sociaux-démocrates, la droite et les populistes. L’institut DR.DK a réalisé 177 études d’intentions de vote depuis 2008. En considérant les résultats pour les trois principaux partis, le Parti social-démocrate (gauche), le Parti libéral (droite) et le Parti du peuple danois (populiste), on obtient une information que les seuls résultats électoraux, par définition plus rares, ne nous donnent pas : entre 2013 et 2015, les deux principaux partis de gouvernement, de droite et de gauche, sont dangereusement concurrencés, jusqu’à être quasiment dépassés par le parti populiste. La crise des migrants (2015-2016) semble pouvoir expliquer le maintien à son plus haut niveau du Parti du peuple danois, dont le recul est amorcé ensuite et se poursuit jusqu’à présent, précisément en raison de la politique migratoire en place depuis 2001.
Intentions de vote en faveur du Parti social-démocrate, du Parti libéral et du Parti du peuple danois (septembre 2008-octobre 2022, en %)
Source :
DR.DK, Meningsmåling.
L’impact de la crise des caricatures
Le Parti du peuple danois a porté l’idée que l’immigration, en particulier l’immigration musulmane, exposait le pays à des courants antidémocratiques et antilibéraux, au risque de ruiner le consensus national. La crainte de conflits internes générés par l’immigration a été amplifiée par l’intense crise diplomatique mondiale et les attentats qui ont fait suite, en 2008, à la publication des caricatures de Mahomet par le quotidien danois Jyllands-Posten. Le 30 septembre 2005, ce quotidien publie un article sur l’autocensure et la liberté de la presse illustré de caricatures de Mahomet. Aussitôt, un groupe extrémiste pakistanais met à prix la tête des dessinateurs. Des imams danois appellent les musulmans du monde entier à manifester. Le dessinateur principal, Kurt Westergaard, a fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat. Le 2 juin 2008, un attentat contre l’ambassade du Danemark au Pakistan provoque la mort de 6 personnes. Il est revendiqué par al-Qaida. Les dessins du quotidien seront repris dans quelques journaux en Europe pour défendre les libertés de la presse et d’expression mais, globalement, les Danois n’ont pas eu le sentiment d’être fermement soutenus par les pays démocratiques. Parmi tous les titres de presse, seul Charlie Hebdo témoignera de la plus grande solidarité, reproduisant les caricatures mises en cause, accompagnées de ses propres dessins. Et, comme l’on sait, l’hebdomadaire français sera victime d’un terrible attentat le 7 janvier 2015, faisant 12 morts et 11 blessés*. * Voir aussi Dominique Reynié, « L’islam et le libéralisme européen », in Les Nouveaux Populismes, Paris, Pluriel, 2013, p. 115-127, et Lorenzo Vidino, La Montée en puissance de l’islamisme woke dans le monde occidental, Fondation pour l’innovation politique, mai 2022, p. 16. |
Dans les pays nordiques, l’agrégat des scores des principaux partis populistes de droite montre que la pression électorale qu’ils exercent reste très forte aujourd’hui (1970-2022, en %)
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique
Grille de lecture : En 1991, la somme des scores des principaux partis populistes de droite aux élections législatives suédoises est de 6,8% des suffrages exprimés. La même année, il est de 4,8% aux élections législatives norvégiennes.
État providence, fermeture et fermeté: la politique danoise d’immigration
Une politique d’intégration vigoureuse
Voir Silvia Adamo, « “Please Sign Here”: Integration Contracts Between Municipalities and Foreigners in Denmark », Journal of International Migration and Integration, vol. 23, n° 1, mars 2022, p. 321-342.
Voir Christèle Meilland, «Pénurie de main-d’œuvre et immigration ultra sélective», Chronique internationale de l’IRES, n° 178, juin 2022, p. 24-35.
Voir Silvia Adamo, « Le système danois de protection… », art. cit.
Voir Silvia Adamo, « “Please Sign Here”… », art. cit.
Ibid.
Ibid.
La politique danoise d’intégration est régie par le Integrationsloven adopté en 1998 et amendée depuis à de nombreuses reprises. Cette loi fixe les règles qui s’imposent à un immigré souhaitant accéder à la citoyenneté, en s’intégrant au modèle national et en adoptant les valeurs fondamentales de la société. Les règles diffèrent selon le statut du permis de séjour26. Sans revenir d’une manière détaillée sur l’évolution de la loi, il faut au moins présenter le cadre législatif général et la tendance suivie par les politiques d’intégration.
Le système danois est décentralisé. Il revient aux quatre-vingt-dix-huit autorités municipales de mettre en œuvre les politiques d’intégration. Ces politiques peuvent donc être interprétées et adaptées aux circonstances locales. L’intégration des étrangers est d’abord entendue comme leur intégration dans le marché du travail27, tandis que le permis de séjour est subordonné à une capacité d’autosuffisance28. En ce qui concerne les réfugiés et les immigrés issus du regroupement familial, deux programmes ont été mis en place :
– un programme d’autosuffisance et de rapatriement pour les réfugiés et pour les mineurs isolés, ainsi que pour les personnes autorisées à rester au Danemark pour des raisons humanitaires ;
– un programme d’intégration, destiné aux membres des familles d’immigrés. Il s’agit de permettre l’accès des immigrés à un emploi par l’amélioration de leurs compétences. Ces programmes doivent être proposés par les municipalités au maximum 1 mois après leur prise en charge des immigrés. Les programmes portent sur une durée de 1 an, à la fin de laquelle l’immigré doit être en situation d’emploi. Si l’objectif n’est pas atteint, la durée du programme peut être étendue à une période de 5 ans maximum. Ces programmes consistent en des cours de danois, selon le niveau d’éducation du migrant, et des offres de formation destinées à faciliter l’obtention d’un emploi : amélioration des compétences, stage, désignation d’un mentor, partenariats entre la mairie et des entreprises qui prennent en charge des migrants, en échange de subventions. Les municipalités reçoivent des compensations financières de l’État pour leur contribution à l’intégration des arrivants29.
Les contenus des programmes sont spécifiques pour chaque réfugié ou immigré venu dans le cadre du regroupement familial. Ces programmes font l’objet d’un contrat cosigné avec la municipalité. Si les parties au contrat, l’immigré et la municipalité, ne s’accordent pas sur le contenu du programme d’intégration, il revient à la municipalité de le déterminer en dernière instance. Le contrat fixe les obligations, les objectifs et les étapes du parcours d’intégration dans la société. Il est à noter que les immigrés dont la présence sur le sol national est temporaire (par exemple certains travailleurs présents dans le cadre d’un contrat à durée déterminée ou les étudiants au pair) sont également concernés par un programme d’intégration, mais plus léger, avec un cours introductif et des cours de danois. Ce programme est orienté vers l’accès au marché du travail et il ne fait pas l’objet d’un contrat. En s’engageant dans un programme d’intégration, les étrangers, y compris les immigrés non réfugiés et ne relevant pas du regroupement familial, doivent signer une « déclaration de résidence et d’autosuffisance » qui affirme leur volonté de s’adapter aux valeurs démocratiques et libérales de la société danoise30.
La signature du contrat par les réfugiés et les immigrés relevant du regroupement familial est nécessaire pour percevoir les aides sociales. Celles-ci sont également conditionnées par le respect du contrat : le suivi des cours de langue et l’acceptation des offres d’emploi sont obligatoires. La non-signature du contrat ou son non-respect empêchent l’immigré d’obtenir à terme un permis de séjour permanent, et donc d’être naturalisé31.
La stratégie du gouvernement contre les « ghettos »
« La dernière stratégie concernant les ghettos a été publiée en mars 2018 dans un livre blanc intitulé Et Danmark uden parallelsamfund – Ingen ghettoer i 2030 [“Un Danemark sans sociétés parallèles – Pas de ghettos en 2030”]. Dans ce livre blanc, le gouvernement considère que la forte croissance démographique des populations d’origine non occidentale a favorisé l’émergence de sociétés parallèles, des zones où les valeurs et les normes danoises ne sont pas respectées. En outre, il affirme que 28 000 familles d’origine non occidentale vivent isolées du reste de la société danoise, tant physiquement que mentalement, menant des existences séparées du reste du pays. La stratégie du gouvernement contre les ghettos a consisté en 22 initiatives, s’articulant autour de quatre domaines d’intervention : – la démolition et la reconstruction des zones résidentielles vulnérables ; – un contrôle plus strict du profil des personnes qui visent l’installation dans les zones résidentielles vulnérables ; – une réponse policière renforcée et des sanctions plus sévères pour lutter contre la criminalité et améliorer la sécurité ; – une action afin de favoriser un meilleur départ dans la vie pour tous les enfants et les jeunes. Selon le gouvernement danois, un ghetto est une zone résidentielle, habitée par au moins 1 000 résidents, qui répond à au moins deux des trois critères suivants : – le nombre de résidents condamnés pour des violations du code pénal, de la loi sur les armes à feu ou de la loi sur les stupéfiants dépasse 2,7% du nombre total de résidents ; – la proportion de résidents âgés de 18 à 64 ans sans relation avec le marché du travail ou avec le système éducatif dépasse 40% ; – la proportion d’immigrés et de descendants d’immigrés venus de pays non occidentaux dépasse 50%. Si la zone résidentielle est habitée par au moins 1 000 résidents et que la proportion d’immigrants et de descendants d’immigrés venus de pays non occidentaux dépasse 60%, elle est d’office considérée comme un ghetto. » Seda Emine Agzigüzel, « A Matter of Security? A Critical Discourse Analysis of the Underlying Security Discourse in the Danish Ghetto Plan », Malmö University, 2021, p. 12-13. |
OCDE, Perspectives des migrations internationales 2019, éditions de l’OCDE, 2019, p. 244.
Voir « Les politiques d’asile du Danemark, entre fermeté et restrictions (2/2) », entretien avec Romana Careja par Marie Robin, ThucyBlog n° 166, afri-ct.org, 28 octobre 2021.
Durant ces vingt dernières années, les gouvernements successifs ont mis en œuvre de nombreux plans afin d’améliorer et de renforcer l’intégration des populations étrangères. L’un de ces plans en particulier mérite une certaine attention : il se concentre sur les lieux de résidence. Rendu public en 2018, ce plan vise le « démantèlement des sociétés parallèles et des “ghettos” d’immigrés d’ici à 2030 ». Le terme « ghetto » (ghettoer) a été introduit en 2010 dans la loi danoise. Pour une zone résidentielle donnée, le « ghetto » est défini à partir de critères mêlant le taux d’emploi, les indicateurs de criminalité, les niveaux d’études et de revenus, et la proportion de population d’origine non occidentale. Pour démanteler ces « ghettos », le plan vise à encadrer plus strictement les possibilités d’y emménager, comme d’y renouveler un bail. L’objectif est de lutter contre la ségrégation résidentielle et d’éviter une concentration des populations immigrées. Le plan impose, par exemple, de restreindre l’installation de personnes bénéficiant d’aides sociales. De plus, le plan accroît les moyens du maintien de l’ordre dans ces quartiers, tout en y créant des zones où les sanctions sont plus sévères, c’est-à-dire des zones où les actes répréhensibles sont plus lourdement punis qu’ailleurs32. Cet aspect du plan a été critiqué au nom du principe d’égalité devant la loi33, bien que cette égalité demeure d’une certaine manière puisque toute personne commettant un délit dans la zone concernée s’expose au même risque de sanction. Si, pour un même délit, la sanction peut être différente, c’est en fonction du territoire, mais non de la personne.
Une restriction de l’accès : emploi, regroupement familial, naturalisation
Christèle Meilland, art. cit, p. 31.
OCDE, Tendances des migrations internationales 2003, Sopemi Édition, 2003, p. 198.
OCDE, Perspectives des migrations internationales 2007, Sopemi Édition, 2007, p. 260.
OCDE, Perspectives des migrations internationales 2014, éditions de l’OCDE, 2014, p. 284.
OCDE, Perspectives des migrations internationales 2015, éditions de l’OCDE, 2015, p. 208.
OCDE, Perspectives des migrations internationales 2019, éditions de l’OCDE, 2019, p. 244.
Voir Ministère des Finance du Danemark/Agency for Digital Goverment, « Conditions for foreign citizens’ acquisition of Danish citizenship », novembre 2022.
De 2002 à 2016, la loi sur les étrangers a été modifiée 93 fois et 42 fois entre 2017 et 201934. Ces changements nombreux contribuent à entretenir un flou juridique, rendant compliquées la lecture et la compréhension des textes par les migrants. Le grand nombre de modifications législatives témoigne de l’importance du sujet, aussi bien pour la droite que pour la gauche danoise puisque l’une et l’autre ont gouverné au cours de cette période. La logique fondamentale vise clairement la restriction de l’immigration et le durcissement des conditions d’accueil. Les paragraphes qui suivent reviennent sur les principales évolutions en matière de naturalisation, d’accès au travail, d’obtention du permis de séjour et de regroupement familial. Globalement, les textes adoptés font apparaître, d’une part, la convergence des vues entre les principales forces politiques, populistes compris, en matière de politique migratoire et, d’autre part, une affirmation des efforts d’intégration.
La naturalisation
En 2002, pour être naturalisé, il était nécessaire d’avoir vécu au moins 7 ans au Danemark, d’être détenteur depuis 2 ans d’un permis de résidence (excepté pour les réfugiés, les apatrides et les conjoints de Danois) et d’avoir réussi un test de langue35.
À partir de 2007, les candidats à la naturalisation doivent passer un test de langue renforcé, ainsi qu’un test de connaissance de l’histoire et de la société danoise36.
En 2013, de nouveaux changements concernant la naturalisation ont été votés : alors qu’il existe trois niveaux de langue, il est demandé aux candidats de réussir un test intermédiaire de niveau 2 ou équivalent, ainsi qu’un test centré sur la participation citoyenne et la vie quotidienne37. De même, en 2014 l’accès à la naturalisation a été rendu plus facile aux jeunes qui sont nés et qui ont grandi au Danemark38. Depuis 2019, une poignée de main obligatoire s’ajoute à cette procédure de naturalisation et précède la remise du certificat de naturalisation39.
Le fait d’être sanctionné pour avoir commis une infraction a un impact sur la possibilité de candidater à la nationalité danoise. Ainsi, recevoir une amende de 3 000 couronnes par exemple (environ 400 euros), entraîne une inéligibilité d’une durée de 4 ans et 6 mois. Si la personne est sanctionnée plusieurs fois, l’inéligibilité est prolongée, puisque pour chaque infraction sanctionnée, un nouveau délai d’attente est ajouté au précèdent40. Toute peine de prison, même avec sursis, empêche définitivement l’accès à la nationalité danoise. Enfin, les candidats à la naturalisation doivent également s’être montrés capables d’assurer leur subsistance pendant au moins 3 ans et demi sur les quatre dernières années, au lieu de 4 ans et demi sur cinq antérieurement.
Il importe de souligner que le texte présenté par le gouvernement social-démocrate, avec le soutien de trois partis de droite dans l’opposition, accorde une place centrale aux « valeurs danoises ».
Faits de violence au Danemark pour 10 000 habitants selon le pays d’origine de leurs auteurs
Source :
Denmark Statistics.
Cité in « Le Danemark durcit les règles de naturalisation », rts.ch, 21 avril 2021.
OCDE, Tendances des migrations internationales 2004, Sopemi Édition, 2004, p. 195-196.
OCDE, 2007, op. cit., p. 260.
OCDE, 2015, op. cit., p. 208.
OCDE, Perspectives des migrations internationales 2021, éditions de l’OCDE, 2021, p. 278.
Christèle Meilland, art. cit., p. 29.
Lors de l’examen obligatoire pour les candidats, cinq questions portent sur ce thème, outre les épreuves orales et écrites de langue, ce que Mathias Tesfaye, le ministre danois de la Migration, a commenté en ces termes : « Nous voulons être absolument sûrs que ceux qui reçoivent la citoyenneté danoise, avec tous les droits qui en découlent, sont bien intégrés dans notre société et l’ont pleinement acceptée41. » Une circulaire de juin 2021 précise que le gouvernement prendra en compte les demandes d’accès à la nationalité en fonction de l’origine des demandeurs, laquelle est classée en cinq catégories géographiques : les pays nordiques, les autres pays occidentaux, les pays du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et le Pakistan (MENAP), et les autres pays non occidentaux.
La main-d’œuvre étrangère
En 2002, des cartes professionnelles ont été créées permettant aux travailleurs qualifiés étrangers exerçant dans les secteurs en tension d’obtenir plus facilement un permis de séjour dont la durée de validité peut être étendue à 3 ans42.
En 2006, une loi d’initiative gouvernementale a été adoptée avec le soutien du Parti du peuple danois afin de permettre aux travailleurs qualifiés étrangers d’obtenir un permis de séjour, dès lors que leurs compétences leur permettaient de répondre précisément à une offre d’emploi correspondant à un salaire annuel d’environ 60 000 euros, y compris dans les secteurs épargnés par la pénurie de main-d’œuvre. La loi institue la création d’une carte verte et la mise en place d’un système de points, afin que les étrangers particulièrement qualifiés puissent accéder à un permis de séjour de 6 mois maximum, leur permettant de trouver un emploi correspondant à leurs compétences. Par ailleurs, les étrangers diplômés du supérieur bénéficient d’un délai de 6 mois pour trouver un travail43.
Une réforme adoptée en 2014 accorde aux entreprises des facilités afin de faire venir des travailleurs qualifiés de pays extérieurs à l’Union européenne et à l’Espace économique européen (EEE) via des procédures accélérées. De même, les étudiants et les chercheurs bénéficient de meilleures conditions d’arrivée et de facilités d’accueil. En outre les étrangers inscrits à l’université en vue d’obtenir une maîtrise ou un doctorat peuvent bénéficier d’un permis de résidence dès l’obtention de leur diplôme44.
Le recrutement des travailleurs étrangers a été légèrement assoupli en 2019. En 2020, deux nouveaux dispositifs ont été mis en œuvre :
– l’un permettant aux étrangers travaillant au Danemark depuis 2 ans d’obtenir une prolongation de leur permis de séjour pour une durée maximale de 2 ans si la demande est motivée par des raisons familiales ou humanitaires. Ainsi, les ressortissants étrangers travaillant au Danemark depuis au moins 2 ans peuvent obtenir ce nouveau permis de séjour d’une durée de 2 ans, dans le cas où la raison pour laquelle ils avaient été acceptés sur le territoire danois n’est plus valable. Par exemple, dans le cas où le ressortissant d’un pays donné qui détient un permis de séjour se le voit retirer car son pays n’est plus considéré comme dangereux, ou dans le cas d’une séparation survenue peu après le regroupement familial ;
– le second dispositif établit une liste de professions qualifiées souffrant d’une pénurie de main-d’œuvre pour lesquelles des étrangers ayant reçu une offre d’emploi peuvent demander un titre de séjour (à condition que l’employeur respecte certaines conditions de formation des apprentis).
De plus, la « Carte d’établissement » qui offre un changement de statut à des fins professionnelles pour certains diplômés a été élargie. Désormais, les étudiants ou les bacheliers avec un statut migratoire d’étudiant peuvent changer de statut, en passant du statut d’étudiant au statut de travailleur45.
Le Danemark s’est doté d’une politique de visas de travail combinant un critère d’emploi, tenant compte des tensions dans les secteurs d’activité, et un critère de niveau de rémunération, afin de réserver l’accueil à des travailleurs hautement qualifiés. Ainsi, depuis 2021, les services d’immigration peuvent décider d’accorder un visa de travail en le conditionnant au type de poste et à une rémunération annuelle supérieure à 60 000 euros. La politique danoise de visas de travail instaure donc une immigration particulièrement sélective, et ce malgré la pénurie de main-d’œuvre à laquelle le Danemark est régulièrement confronté. En 2022, des entreprises et des syndicats se sont plaints de ces contraintes jugées trop restrictives, en particulier dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre consécutif à la reprise post-Covid. En janvier 2022, le gouvernement a proposé de baisser, pour une période de deux ans, le seuil minimum de rémunération exigé pour le recrutement d’un salarié issu d’un pays extérieur à l’Union européenne à 375 000 couronnes (environ 50 400 euros)46.
Taux d’emploi des personnes entre 30 et 64 ans en 2019 parmi la population danoise selon le pays d’origine (en %)
Source :
Denmark Statistics.
Note : En 2013, les données fournies ne concernent pas la tranche d’âge 30-64 ans mais 30-59 ans.
* La Yougoslavie avant sa dislocation.
** Une partie des personnes originaires du Liban sont des Palestiniens apatrides.
Part de la population de 30-59 ans bénéficiaire de l’aide sociale complète de l’État parmi la population danoise selon le pays d’origine (en %)
Source :
Denmark Statistics.
Voir Silvia Adamo, « The Legal Position of Migrants in Denmark: Assessing the Context around the “Cartoon Crisis” », European Journal of Migration and Law, vol. 9, n° 1, janvier 2007, p. 1-24.
OCDE, 2007, op. cit., p. 260.
OCDE, Perspectives des migrations internationales 2011, Sopemi Édition, 2011, p. 300.
Voir Nils Holtug, « Danish Multiculturalism, Where Art Thou? », in Raymond Taras (dir.), Challenging Multiculturalism. European models of diversity, Edimbourg, Edinburgh University Press, 2013, chap. 9,
p. 190-215.
OCDE, Perspectives des migrations internationales 2018, éditions de l’OCDE, 2018, p. 250.
Voir Silvia Adamo, “ The Legal Position of Migrants… », art. cit.
Voir Emily Cochran Bech, Karin Borevi et Per Mouritsen, art. cit.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
L’obtention d’un permis de séjour permanent et la politique d’expulsion
Depuis 2004, la gestion des règles relatives aux visas passe par une évaluation individuelle destinée à éviter qu’une personne candidate tente de rester au Danemark ou de rejoindre un pays de l’espace Schengen après l’expiration de son visa. Si le respect de ce critère n’est pas assuré, le visa n’est pas accordé. De plus, une période d’attente (entre 3 et 5 ans) a été mise en place pour éviter un renouvellement abusif des visas47.
La loi de 2006 s’accompagnait également d’un durcissement de l’accès au permis de séjour permanent en imposant aux candidats le passage d’un examen d’intégration et la possibilité de justifier de 2 ans et demi d’emploi à temps plein48. Il faut également souligner qu’en 2006 les conditions requises pour l’obtention du permis de séjour pour les représentants religieux ont été durcies. De même, la liste des délits commis par les étrangers entraînant leur expulsion a été élargie.
Les règles régissant l’obtention d’un permis de séjour permanent ont été revues en 2010. Un système de points a été créé, où l’on retrouve les critères tels que les compétences linguistiques, l’insertion dans la vie sociale, l’emploi et le niveau des diplômes. Ces critères sont modulables pour tenir compte du profil et du statut des personnes candidates (retraités, jeunes…). Il est demandé d’avoir résidé 4 ans dans le pays et de n’avoir commis aucun délit grave sur le territoire national. Toutefois, une personne candidate qui n’obtiendrait pas le nombre de points requis peut demander une prolongation temporaire de son titre de séjour49.
Lorsque la gauche retrouve le pouvoir, en 2011 (dans le cadre d’une coalition associant les sociaux-démocrates, le Parti social libéral, le centre gauche et le Parti populaire socialiste), elle supprime le ministère des Réfugiés, des Immigrants et de l’Intégration créé dix ans plus tôt, en 2001, par la droite. Les compétences de ce ministère sont alors réparties entre, d’une part, le ministère des Affaires sociales et de l’Intégration, et, de l’autre, le ministère de la Justice. Le changement de nom du ministère devait symboliser un tournant politique.
Le permis de séjour permanent est délivré à condition de respecter quatre critères :
– avoir réussi un test de langue ;
– être financièrement autonome ;
– avoir séjourné 5 ans au Danemark (contre 4 ans au préalable) ;
– avoir exercé le même emploi à temps plein pendant 3 ans.
Le système par points a été abandonné en 2012, par la même coalition de gauche. Mais à part quelques éléments délaissés, la gauche a joué sur la continuité des politiques précédentes, en conservant une approche dite « pragmatique », au nom du risque financier que fait peser l’immigration sur l’État providence, dont la sauvegarde apparaît en dernier ressort comme le véritable référentiel50.
En 2015, le retour de la droite au pouvoir débouche sur le rétablissement d’un ministère de l’Immigration et de l’Intégration. En 2016 et 2017, l’obtention d’un permis de séjour permanent est rendue plus difficile. Une distinction est établie entre des conditions de base et des conditions complémentaires. En cas de respect de toutes les conditions, de base et complémentaires, les demandeurs peuvent obtenir un titre de séjour permanent au bout de 4 ans de résidence au Danemark. Si seules les conditions de base sont respectées, le titre de séjour est obtenu au bout de 8 ans51.
Le regroupement familial
Les conditions du regroupement familial évoluent régulièrement. Ici, nous rappelons les principales réformes, afin de mettre en lumière la tendance de fond, marquée par la volonté de limiter les mariages arrangés, ou forcés, et de restreindre le nombre d’étrangers au Danemark à des fins de bonne intégration des immigrés déjà présents52. Les coalitions de droite ont mis progressivement en œuvre de nombreuses restrictions. La plupart de ces restrictions ont été maintenues par la coalition de gauche de 2011-201553.
En 2000, le gouvernement social-démocrate fait obligation aux membres du couple demandant le regroupement familial de témoigner d’un attachement au Danemark au moins aussi important qu’à leur pays d’origine. Les conjoints souhaitant être rejoints par leur partenaire se voient imposer une taille minimale de logement54. En 2004, le législateur a également rendu plus difficile le regroupement familial des enfants de moins 15 ans dont l’un des parents vit dans un autre pays, subordonnant l’admission à un potentiel d’intégration. La coalition de gauche a ensuite étendu ce potentiel d’intégration aux enfants âgés de 8 ans ou plus55. La condition d’une existence forte de liens avec le Danemark a été durcie en 2004. Ainsi, il est devenu obligatoire pour les deux membres du couple d’avoir au moins 24 ans, sauf si l’un des conjoints est citoyen depuis vingt-huit ans. De plus, le conjoint bénéficiant d’une aide publique devait pouvoir fournir une caution de 50.000 couronnes (environ 6700 euros) pour être autorisé à faire venir son conjoint afin de garantir que le regroupement familial ne pèse pas excessivement sur le niveau des dépenses publiques 56. Ce montant est passé à 100.000 couronnes (environ 12.400 euros) en 2010-2011, à la fin du mandat conduit par la droite, avant que la coalition de gauche ne le ramène à 50.000 couronnes (environ 700 euros).
La « 24-års-reglen » (« règle des 24 ans ») La « 24-års-reglen » (2004) est le nom d’une loi danoise. Elle fixe un certain nombre d’exigences pour un couple marié souhaitant obtenir un permis de séjour permanent au Danemark. Soutenue par tous les grands partis politiques à l’exception d’Enhedslisten (Alliance rouge et verte), cette règle est destinée à réduire à la fois le nombre des mariages forcés et l’immigration au titre du regroupement familial. La « 24-års-reglen » impose le respect de quatre critères :– âge : les conjoints résidant à l’étranger peuvent rejoindre leur conjoint au Danemark si les deux parties sont au moins âgées de 24 ans. Avant l’introduction de la règle, il fallait avoir au moins 18 ans pour pouvoir demander le regroupement des conjoints ; – liens : les liens sociaux unissant le couple au Danemark doivent être plus forts que ceux avec le pays d’origine ; – moyens de subsistance : le conjoint résidant au Danemark doit prouver qu’il est en mesure de subvenir aux besoins financiers du couple (le revenu minimum requis est égal à deux fois le taux des prestations sociales). Il doit déposer une garantie et ne pas avoir perçu de prestations sociales ; – résidence : le couple doit prouver qu’il possède ou loue une résidence permettant d’accueillir au maximum deux personnes par pièce et d’au moins 20 m2 par personne. La cuisine, le hall d’entrée, la buanderie et les salles de bains ne sont pas pris en compte dans ce calcul. |
Début 2007, une simplification des règles du regroupement familial a été adoptée : la définition précise d’un niveau de revenu est abandonnée au profit d’un critère décisif : seule compte la capacité à l’autosuffisance. La même année, il a été décidé que les conjoints des étrangers candidats au regroupement familial devraient réussir un test d’immigration, mis en place à partir de 2009, centré sur la connaissance de la société et de la langue danoises57.
En janvier 2010, un nouvel affermissement de la politique est notable : un conjoint présent au Danemark au titre du regroupement familial ne peut obtenir un permis de séjour permanent s’il a bénéficié d’une aide publique durant les trois années précédant la demande (contre 1 an auparavant). Toutefois, depuis mars 2010, les étrangers présents au titre du regroupement familial n’ont plus besoin d’être détenteurs d’un permis de séjour permanent pour bénéficier d’aides, mais ils doivent cependant posséder un permis de séjour depuis 5 ans58.
Avec le retour d’une coalition de gauche au pouvoir, en 2011, les critères d’admission des membres d’une famille ont été assouplis à la suite du réexamen de l’obligation « de témoigner d’un attachement au Danemark » pour les époux et partenaires. Le temps de séjour exigé, dans la légalité, pour ne pas être soumis à cette obligation passe de 28 à 26 ans. De même, concernant les regroupements familiaux, le niveau des garanties financières nécessaires pour la venue d’un proche a été divisé par deux59.
En 2012, le système par points du regroupement familial a lui aussi été supprimé. Désormais, les étrangers candidats au regroupement familial peuvent obtenir leur titre de séjour si le conjoint habite légalement au Danemark, si le conjoint et le demandeur ont au moins 24 ans, et si le demandeur passe avec succès un test de danois au maximum 6 mois après l’obtention du permis de séjour.
En 2018, un nouvel accord politique est trouvé concernant le regroupement familial, en remplacement de la condition dite de rattachement : un parrainage est requis, le parrain doit parler correctement le danois, avoir 6 ans d’études dans le pays ou y avoir travaillé 5 ans ; le demandeur doit parler au moins anglais ou avoir des notions de danois ; il doit aussi avoir accompli une année d’étude supérieure (correspondante au niveau danois) ou avoir travaillé 3 ans durant les cinq dernières années. Il faut remplir au moins quatre de ces six conditions60.
Une politique d’asile drastique
Voir Martin Bak Jørgensen, « Representations of the refugee crisis in Denmark: deterrence policies and refugee strategies », in Dalia Abdelhady, Nina Gren et Martin Joormann (dir.), Refugees and the Violence of Welfare Bureaucracies in Northern Europe, Manchester, Manchester University Press, 2020, p. 67-84.
Au cours de ces vingt dernières années, le Danemark a cherché à restreindre les demandes d’asile en multipliant les conditions nécessaires à l’obtention d’un permis de séjour permanent, en durcissant les conditions pour le regroupement familial des réfugiés, et, in fine en dissuadant les demandeurs d’asile de se tourner vers le Danemark. Le rythme des restrictions s’est accéléré depuis la crise migratoire de 2015 en Europe. Depuis lors, plus d’une centaine de restrictions ont été instaurées par le ministère de l’Immigration et de l’Intégration. Plus de la moitié de ces restrictions concernent les réfugiés. Les multiples changements de lois, de procédures, et la bureaucratisation du système peuvent d’ailleurs revêtir un aspect dissuasif pour les demandeurs d’asile61. Nous présentons ici les principales réformes, notamment sur le processus d’externalisation des demandes d’asile.
Nombre de demandes d’asile rapporté à la population totale (2008-2021, en %)
Source :
Eurostat.
Danemark : permis de résidence accordés au nom de l’asile (1997-2021)
OCDE, 2003, op. cit., p. 198.
OCDE, Tendances des migrations internationales 2004, Sopemi Édition, 2004, p. 195-196.
Ibid.
Réfugiés relocalisés dans différents pays dans le cadre d’un accord avec le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies.
OCDE, Perspectives des migrations internationales 2006, Sopemi Édition, 2006, p. 190.
Voir Constance Naud-Arcand, « La divergence des politiques nationales scandinaves en matière de migration irrégulière : comparaisons et facteurs explicatifs », mémoire en science politique sous la direction de Rex Brynen et d’Antonia Maioni, Montréal, université McGill, département de science politique, 2013.
OCDE, 2011, op. cit., p. 300.
OCDE, 2015, op. cit., p. 208.
OCDE, Perspectives des migrations internationales 2016, éditions de l’OCDE, 2016, p. 280.
Ibid.
Voir « Les politiques d’asile du Danemark… », art. cit.
Ibid.
Voir Martin Bak Jørgensen, art. cit.
Ibid.
Avant 2002, il était possible de déposer des demandes d’asile en dehors du territoire national danois. Depuis, seules sont examinées les demandes déposées sur le territoire national62. De même, depuis cette date, les personnes déboutées du droit d’asile doivent immédiatement quitter le territoire, alors qu’elles bénéficiaient auparavant d’un délai de 15 jours pour le faire63. La loi indique que, pour obtenir le statut de réfugié permanent, il faut désormais avoir résidé sept ans au Danemark, contre 3 ans auparavant, et que seuls les réfugiés statutaires peuvent l’obtenir, et non ceux qui bénéficient d’un « statut de protection64 ».
Dès 2005 le Danemark avait mis en place des critères de sélection pour les réfugiés sous quota65, en fonction du potentiel d’intégration66. Cette démarche témoigne de la volonté de sélectionner les candidats à l’immigration, y compris ceux qui bénéficient de l’asile.
En 2007, de nouvelles mesures concernant les déboutés du droit d’asile candidats au retour volontaire ont été adoptées : en s’engageant à retourner dans leur pays d’origine, ils peuvent désormais bénéficier de 6 mois de formation professionnelle au Danemark. D’autres incitations, sous forme de contraintes ou de menaces, ont également vu le jour : l’obligation de se présenter quotidiennement à la police, le transfert dans un centre de détention de migrants, l’arrêt des prestations sociales, le risque d’emprisonnement d’un an67.
En 2010, le montant des indemnités concernant les retours volontaires des étrangers a été augmenté, passant d’environ 3800 euros à 15.800 euros, afin d’inciter les étrangers présents sur le territoire danois à retourner dans leur pays d’origine, en particulier ceux qui représentent un coût pour le système social (retraités et inactifs), ou qui sont considérés comme inadaptés à la société danoise. L’âge pour bénéficier de l’« indemnité de réintégration des personnes âgées » est passé de 60 à 55 ans, et le montant de l’indemnité a été augmenté68.
Depuis 2012, les réfugiés et les demandeurs d’asile peuvent résider en dehors des centres de réfugiés et avoir un emploi après 6 mois de présence au Danemark et ce, s’ils coopèrent avec les autorités de manière satisfaisante.
En 2014, le critère du potentiel d’intégration (fondé sur les compétences et le niveau d’éducation) dans le processus de sélection des réfugiés a été supprimé par la gauche revenue au pouvoir69. Il a été réintroduit en 2015 par la droite70, accompagné de nouvelles restrictions :
– la limitation de la durée de séjour pour les réfugiés ;
– l’assouplissement des conditions de révocation de leur titre de séjour ;
– la réduction de leurs avantages économiques ;
– le report du droit au regroupement familial pour les réfugiés bénéficiant d’une protection temporaire71.
En 2015, au plus fort de la crise des migrants, le gouvernement a acheté des emplacements publicitaires publiés dans les journaux libanais où sont détaillées les nouvelles règles s’appliquant aux réfugiés : réduction de 50% des aides sociales accordées aux nouveaux réfugiés et instauration d’un délai d’un an avant de pouvoir demander le regroupement familial72. Cette politique visait à dissuader les demandeurs d’asile de s’adresser au Danemark. Il faut noter que le temps d’attente d’un réfugié pour demander le regroupement familial est passé de 1 an à 3 ans en 2016. En 2021, cette durée a été considérée comme une violation des droits humains par la Cour européenne des droits de l’homme. La durée a été ramenée à 2 ans en 2022, mais avec la possibilité de dépasser ce délai d’une année en cas d’« afflux particulièrement élevé de réfugiés73 ».
En 2016, la possibilité de confisquer des biens appartenant aux demandeurs d’asile a été instaurée afin de couvrir les frais de procédure et d’hébergement. Ces nouvelles règles ont été fortement médiatisées. Cette loi, souvent appelée « Jewellery law », transfère aux réfugiés la responsabilité financière de la venue de leur famille au titre du regroupement familial, alors que l’État danois en avait la charge auparavant. Si elles ont soulevé l’indignation d’une partie de l’opinion publique, ces mesures n’ont pas remis en cause le soutien électoral des Danois à une politique de gestion des flux migratoires fortement restrictive.
En 2019, la droite a accru les restrictions concernant l’accès à une résidence permanente pour les réfugiés, ainsi que la possibilité d’un regroupement familial74. Par ailleurs, l’integration benefit (allocation d’intégration) accordée aux réfugiés a été renommée en return benefit (allocation de retour) : le gouvernement ne se concentre plus sur l’intégration des réfugiés mais sur la préparation de leur retour, l’asile devant être temporaire, le temps que le Danemark considère de nouveau le pays d’origine comme sûr et que le motif de l’asile disparaisse. Les réfugiés sont considérés comme des personnes susceptibles d’être expulsées à tout moment et leurs possibilités d’intégration en sont réduites d’autant. Il faut noter qu’il revient au Danemark de définir si un pays est sûr ou pas et, in fine, s’il est possible ou non de renvoyer les réfugiés dans leur pays d’origine75.
La « Jewellery Law » : retour sur une loi qui a fait polémique La loi « Jewellery Act », ou « Jewellery Law », a été adoptée par le Parlement danois le 26 janvier 2016. Le projet de loi avait été présenté par le gouvernement minoritaire de centre droit conduit par Lars Løkke Rasmussen. Parmi un ensemble de mesures visant en réalité à produire un effet de dissuasion, le texte entend restreindre de manière drastique les droits des demandeurs d’asile. Il comprend notamment la saisie des objets de valeur des migrants afin de contribuer aux frais impliqués par l’accueil et le traitement des dossiers. Les autorités danoises ont donc le pouvoir de rechercher et de confisquer l’argent, les bijoux et autres objets, dès lors que leur valeur est supérieure à 10.000 couronnes danoises (environ 1340 euros) et qu’ils n’ont pas de signification sentimentale (bague de mariage, par exemple). Le projet de loi a été approuvé par 81 des 109 députés présents sur les 179 membres du Folketing. Les députés du Parti social-démocrate, dans l’opposition, ont voté l’adoption de ces mesures. |
La « Jewellery Law » vue par les opinions publiques
Question : « Le Danemark va adopter une loi qui oblige les réfugiés à remettre leurs objets de valeur et leur argent aux autorités afin de contribuer aux frais d’accueil lorsqu’ils demandent l’asile. Seriez-vous favorable ou opposé à une loi similaire dans votre pays ? »
Source :
L’externalisation de la gestion de l’asile à un pays tiers
Voir Martin Lemberg-Pedersen, Ahlam Chemlali, Zachary Whyte et Nikolas Feith Tan, Danish desires to export asylum responsibility to camps outside Europe. AMIS Seminar Report, Université de Copenhague-Saxo Institute-Centre for Advanced Migration Studies, Copenhague, mars 2021.
Voir « Les politiques d’asile du Danemark, entre fermeté et restrictions (2/2) », entretien avec Romana Careja par Marie Robin, ThucyBlog n° 166, afri-ct.org, 28 octobre 2021.
Ibid.
Ibid.
Voir « Commentaire sur l’actualité – Filippo Grandi, chef du HCR, au sujet de la nouvelle loi du Danemark sur le transfert des demandeurs d’asile vers des pays tiers », unhcr.org, 3 juin 2021.
La loi sur l’externalisation du traitement des visas a été adoptée le 3 juin 2021, par une large majorité des députés danois (70 voix contre 24), sous le gouvernement social-démocrate de Mette Frederiksen. Par ce dispositif, après une procédure d’évaluation de la transférabilité des demandeurs, le Danemark cherche à les orienter vers le pays tiers où leur demande sera examinée. Tout demandeur d’asile au Danemark sera donc, une fois sa demande enregistrée, envoyé dans un centre d’accueil d’un pays hôte situé en dehors de l’Union européenne76. S’il n’obtient pas le statut de réfugié, le migrant devra quitter le pays hôte. Ceux qui obtiendraient le droit d’asile ne seraient pas pour autant autorisés à venir au Danemark. Très différemment, ils se verraient reconnus dans le statut danois de réfugié à condition de rester dans le pays hôte chargé de la gestion des visas77 et qui pourra les transférer vers un autre pays d’accueil. Il est prévu de confier entièrement la gestion des demandes de visas au pays hôte, sur financements danois. Le choix du pays hôte fait l’objet de discussions avec différents pays, comme l’Égypte, l’Érythrée et l’Éthiopie, mais c’est avec le Rwanda qu’elles semblent le plus avancées.
L’objectif énoncé par la Première ministre est de dissuader les demandeurs d’asile afin de n’avoir aucune demande pour le Danemark78. Selon le gouvernement, cette politique procède d’un raisonnement humanitaire : il s’agit de dissuader les venues au Danemark, en dissuadant les migrants de perdre leur argent et de risquer leur vie en recourant aux passeurs pour chercher à rejoindre le pays par la Méditerranée.
La politique d’externalisation des visas fait l’objet de critiques. Il lui est reproché de favoriser l’immigration illégale en décourageant les candidats à l’immigration légale, au risque d’augmenter le nombre des sans-papiers ainsi que la dépendance des migrants aux passeurs. Sur un autre plan, on souligne que l’externalisation implique de s’engager dans une coopération avec des systèmes militaires et de sécurité de pays tiers possiblement autoritaires, voire responsables de répression et de violation des droits humains, ce qui pourrait intensifier les violences, les abus et exactions contre les personnes en situation de fragilité comme le sont la plupart des réfugiés79. Les critiques se placent aussi sur le plan du droit international.
Le transfert d’un demandeur d’asile d’un État à un autre n’est pas une violation du droit international en soi, car il est possible de partager la prise en charge des réfugiés entre États. En revanche, le transfert d’un demandeur d’asile à un État qui ne serait pas en mesure de fournir un ensemble de droits et de protections aux demandeurs d’asile poserait un grave problème80. Filippo Grandi, haut-commissaire aux réfugiés des Nations unies, s’est dit préoccupé par la politique danoise d’externalisation de la gestion des visas, à laquelle il a présenté ses objections81. Au-delà de l’argument humanitaire, il existe des risques de non-respect de la convention relative au statut des réfugiés et de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Danemark doit ainsi garantir le respect du principe de non-refoulement, et donc d’être en mesure d’empêcher le transfert des personnes qui craignent avec raison d’être persécutées ou de subir des atteintes graves. Il est demandé au Danemark de s’assurer de cela, non seulement sur son territoire mais aussi dans le centre du pays tiers. Il lui est également demandé de s’assurer que les demandeurs d’asile bénéficient de procédures efficaces et fiables, d’une aide juridique, et qu’ils soient correctement informés de la manière dont fonctionne le système de gestion des visas, que les demandeurs d’asile puissent faire appel de la décision auprès d’une autorité compétente indépendante et qu’ils ne fassent pas l’objet de détention arbitraire ou d’autres mesures de restrictions de circulation.
Il faut noter qu’en avril 2022 le Royaume-Uni et le Rwanda ont signé un protocole d’accord prévoyant la mise en place d’un partenariat en matière d’asile. Le Rwanda s’engagerait ainsi à recevoir les demandeurs d’asile du Royaume-Uni, à examiner leur demande, à les accueillir et à leur fournir une protection adéquate dans le cas où leur demande serait acceptée, ou à les expulser le cas échéant82.
La politique danoise d’immigration: ratification populaire et consolidation démocratique
Les élections de 2022 : échec des populistes, réélection des sociaux-démocrates
Le Danemark veut transférer ses demandeurs d’asile dans d’autres pays, Le Temps, 3 juin 2021.
Voir Corinne Deloy, « Les élections en 2022 », in Dominique Reynié (dir.), L’Opinion européenne 2020-2022, Paris, Fondation pour l’innovation politique, 2022.
La formation avait lancé un ultimatum à Mette Frederiksen pour convoquer des élections générales au plus tard à l’ouverture de la session du Parlement, le 4 octobre 2022. Cette motion de censure était une conséquence de la gestion du scandale des visons. En novembre 2020, environ 16 millions de visons ont été tués par décision du gouvernement après l’identification d’un variant du coronavirus dans les élevages du pays. Il semble cependant que, ce faisant, le gouvernement ait outrepassé ses pouvoirs en prenant la décision de supprimer les visons car il ne disposait en effet d’aucune base légale pour ce faire. Le 30 juin 2022, une commission d’enquête a affirmé que Mette Frederiksen avait délibérément trompé ses compatriotes mais qu’elle avait été ignorante du fait que l’abattage des visons était une action illégale. La Première ministre a mis en avant le facteur risque, arguant du fait qu’elle se devait de protéger la population.
La Première ministre Mette Frederiksen a fait sa carrière à l’aile gauche du Parti social-démocrate. Elle en a pris la direction en juin 2015. Mais, alors qu’elle avait combattu les tenants d’une politique migratoire restrictive, elle change brutalement de position. Selon son biographe Thomas Larsen, cité par Le Temps, « son passage au Ministère du travail, puis à la Justice, lui a ouvert les yeux sur les failles de la politique d’intégration danoise ». Thomas Larsen cite un document stratégique interne au Parti social-démocrate. Cette note élaborée en 2014 dans la perspective de l’arrivée de Mette Frederiksen à la tête du parti, estime que l’hostilité des sociaux-démocrates aux politiques d’immigration restrictives a jeté des électeurs préoccupés par ce thème dans les bras des populistes du DFP. Le document préconise une reconquête de l’électorat par un positionnement fort sur « la politique des valeurs »83. C’est exactement ce qu’a fait Mette Frederiksen, en 2019 comme en 2022.
Le 1er novembre 2022, la coalition des forces de gauche, nommée « Bloc rouge », est arrivée en tête des élections législatives danoises84. Le Parti social-démocrate est parvenu à conserver le pouvoir, recueillant 27,5% des suffrages et 50 des 179 sièges du Folketing, soit 2 élus de plus qu’en 2019. La formation reste de loin la première du pays.
Plus à gauche, le Parti socialiste populaire a obtenu 8,2% des voix et 15 sièges (+ 1). Par ailleurs, la Liste de l’unité-Alliance rouge-verte a recueilli 5,1% des suffrages et 9 sièges, soit un recul de 4 sièges, tandis que l’Alternative, formation écologiste et proeuropéenne, a recueilli 3,3% des suffrages et gagné 6 sièges. Le Parti social-libéral, de centre gauche, a été sanctionné pour avoir été à l’origine de la chute du gouvernement social- démocrate provoquant l’organisation d’élections anticipées (de sept mois)85. Le Parti social-libéral n’a recueilli que 3,8% des suffrages exprimés, passant de 16 à 7 députés, soit l’un des résultats les plus faibles de son histoire.
Ensemble, ces cinq formations de gauche ont obtenu 48,1% des suffrages et 87 sièges. Les forces de gauche remportent également les deux sièges du Groenland et un des îles Féroé, ce qui leur permet d’atteindre la majorité des 90 sièges. Le « Bloc bleu », désignant les forces de droite, a obtenu 41,1% des voix et 73 sièges. Le Parti libéral a recueilli 13,3% des voix (23,4% en 2019), perdant la moitié de ses députés, passant de 43 à 23 élus, soit son plus mauvais résultat depuis les élections législatives de 1988. L’Alliance libérale a obtenu 7,8% des suffrages et 14 sièges, soit 10 députés supplémentaires par rapport à 2019 ; le Parti populaire conservateur a recueilli 5,5% des voix et 10 sièges (contre 12 précédemment).
Les Modérés, formation indépendante n’appartenant à aucun des deux blocs, créée par l’ancien Premier ministre (2015-2019) et dirigeant du Parti libéral Lars Løkke Rasmussen, font leur entrée au Parlement, avec 9,2% des suffrages exprimés et 16 élus.
L’événement le plus spectaculaire a été le nouveau recul du Parti du peuple danois, emmené par Morten Messerschmidt. Il faut même parler d’effondrement. En effet, le Parti du peuple danois n’obtient que 2,6% des suffrages exprimés et 5 sièges, contre 16 dans la législature précédente, loin des 21,1% et des 37 sièges obtenus lors des élections de 2015. Il enregistre son plus mauvais résultat, vingt-quatre ans après son entrée au Folketing. Cependant, il faut noter l’apparition des Démocrates du Danemark, un nouveau parti populiste évoquant les Démocrates de Suède, fondé par Inger Støjberg, l’ancienne ministre de l’Immigration et de l’Intégration (2015-2019) et anciennement membre du Parti libéral. Avec 8,1% des suffrages et 14 députés, les Démocrates du Danemark font leur entrée au Parlement. La Nouvelle Droite, le parti nationaliste, obtient 3,7% des voix et 6 élus (contre 2,4% et 4 sièges en 2019).
Enfin, relevons qu’en 2022, la participation électorale (84,1%) a été proche de celle de 2019 (84,6%), donc maintenue à un niveau important même s’il est le plus faible depuis 1990.
Dès la campagne pour les élections législatives de 2022, Mette Frederiksen a dit son souhait d’un gouvernement de large coalition. Sa composition a été annoncée le 15 décembre 2022. Le nouveau gouvernement Frederiksen comprend des ministres issus du Parti social-démocrate, du parti libéral Venstre (centre droit/droite) et des Modérés (centre/centre droit). Ensemble, ces trois formations rassemblent 89 députés, soit un député de moins que la majorité du Folketing (179 sièges). Cependant, quatre autres partis, qui comptent au total 10 députés, ont fait connaître leur intention de soutenir le nouveau gouvernement : le parti de l’Union (centre droit), le Parti social-démocrate des Îles Féroé, Siumut (le parti social-démocrate du Groenland) et Inuit Ataqatigiit (parti de gauche du Groenland).
Les élections législatives danoises en 2019 et en 2022
Participation : 2019, 84,6% ; 2022, 84,1%
Les transferts électoraux entre 2019 et 2022 (élections législatives)
Le cas des populistes du Parti du peuple danois
Source :
Note : Les données d’opinion concernant les élections législatives de 2022 montrent que 10 % des électeurs qui ont voté pour le Parti du peuple danois en 2019 répondaient, dans le sondage du 27 octobre 2022, vouloir voter pour les sociaux-démocrates le 1er novembre 2022. On voit ici l’importance pour les partis danois d’associer la défense de l’État providence à une politique migratoire restrictive et intégrative.
En 2022, le Parti du peuple danois ne conserve que 20 % de ses électeurs de 2019. Son électorat s’est dispersé entre le Parti social-démocrate et les partis populistes concurrents : parmi les électeurs du Parti du peuple danois en 2019, 38 % répondent en 2022 vouloir voter pour la nouvelle formation, les Démocrates du Danemark, et 14 % pour la Nouvelle droite.
Les transferts électoraux entre 2019 et 2022 (élections législatives)
Le cas du Parti social-démocrate
Source :
Note : Entre les législatives de 2019 et celles de 2022, les sociaux-démocrates conservent la plupart de leurs électeurs : 77% des électeurs sociaux-démocrates aux législatives de 2019 annonçaient dans un sondage du 27 octobre 2022 avoir l’intention de maintenir leur confiance au Parti social-démocrate lors des législatives du 1er novembre 2022. Parmi les électeurs ayant voté social-démocrate en 2019 mais déclarant qu’ils allaient voter pour un autre parti en 2022, 14% optait pour un parti plus à droite : 4% vers les Modérés, 3% vers le Parti libéral, 2% vers les Démocrates du Danemark, 2% vers l’Alliance libérale, 1% vers le Parti social-libéral, 1% vers le Parti populaire conservateur et 1% vers la Nouvelle Droite. Ces transferts en faveur de partis de droite mettent en lumière la pression électorale systémique qui s’exerce sur la politique danoise en général et sur les sociaux-démocrates en particulier. À l’évidence, ces derniers courraient le risque de perdre une partie significative de leurs électeurs si leur politique migratoire était jugée inadaptée ou inefficace. Seuls 7% des électeurs des sociaux-démocrates de 2019 répondent vouloir voter pour des partis plus à gauche en 2022 (5% pour le Parti populaire socialiste, 1% pour l’Alliance rouge et verte et 1% pour L’Alternative)*.
Les transferts électoraux enregistrés en faveur du Parti social-démocrate entre 2019 et 2022 témoignent de sa capacité à attirer un électorat de droite. Ainsi, en 2019 parmi les électeurs du Parti social-libéral, 15% répondaient dans le sondage du 27 octobre 2022 qu’ils allaient voter pour les Sociaux-démocrates, de même que 12% des électeurs des Chrétiens démocrates en 2019, 11% des électeurs du Parti populaire socialiste en 2019, de ceux de l’Alliance rouge et verte et 10% de ceux qui avaient voté pour le Parti du peuple danois.
* Le total des transferts de voix n’est pas égal à 100 car les résultats ne tiennent pas compte des décimales.
Les données d’opinion attestent à leur manière de l’existence d’un consensus en faveur d’une politique restrictive et intégratrice. Entre janvier 2020 et novembre 2022, le thème de l’immigration est passé de la deuxième place à la huitième place dans les préoccupations de la population. De même, l’inquiétude à l’égard des politiques sociales et de l’État providence est passée de la troisième position en janvier 2020 à la sixième position en novembre 2022.
Au Danemark, la préoccupation pour l’immigration est en net recul
Question : « Parmi les problèmes suivants, quel est celui que le gouvernement devrait traiter en premier ? »
Source :
Ipsos Denmark, What Worries Denmark? – October 2022, 1er novembre 2022.
Note : Le total des préoccupations ne fait pas 100%, l’institut de sondage Ipsos Denmark ne retenant que les 10 premières préoccupations dans la présentation de ses données. Certains items n’apparaissent donc plus sur ce graphique, dès lors qu’ils ne figurent plus parmi les dix principales préoccupations.
Cohésion nationale et confiance interpersonnelle
Voir, par exemple, Michel Forsé et Maxime Parodi, « Redistribution et immigration en Europe. Y a-t-il un dilemme ? », Revue de l’OFCE, n° 169, septembre 2020, p. 133-160.
Selon Jean-Louis Thiébault, Putnam « considère que la performance institutionnelle est meilleure dans une société qui a hérité d’un élément substantiel de capital social, sous la forme de confiance, de normes de réciprocité et de réseaux d’engagement civique, qui peuvent améliorer l’efficacité d’une société en facilitant la coopération volontaire. La coopération volontaire est favorisée par le capital social » (Jean- Louis Thiébault, « Les travaux de Robert D. Putnam sur la confiance, le capital social, l’engagement civique et la politique comparée », Revue internationale de politique comparée, vol. 10, n° 3, automne 2003, p. 345).
Richard Alba et Victor Nee, Remaking the American Mainstream. Assimilation and Contemporary Immigration, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2003, p. 32. Voir également Robert D. Putnam, « E Pluribus Unum: Diversity and Community in the Twenty-first Century The 2006 Johan Skytte Prize Lecture », Scandinavian Political Studies, vol. 30, n° 2, juin 2007, p. 137-174 ; Yann Algan, Sergei Guriev, Elias Papaioannou et Evgenia Passari, « The European trust crisis and the rise of populism », brooking. edu, 7 septembre 2017 ; et Yann Algan, Elizabeth Beasley, Daniel Cohen et Martial Foucault, Les Origines du populisme. Enquête sur un schisme politique et social, Paris, Seuil, 2019.
Voir Nils Holtug, art. cit.
Dominique Reynié (dir.), Libertés : l’épreuve du siècle. Une enquête planétaire sur la démocratie dans 55 pays, Paris, Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute-Community of Democracies,-Konrad Adenauer Stiftung-Genron NPO-Fundación Nuevas Generaciones-República do Amanhã, 2022, p. 37.
Commission européenne, « Eurobarometer 71. Future of Europe », janvier 2010, p. 52.
Comme le montrent de multiples enquêtes d’opinion, au Danemark ou dans des pays comparables s’installe la crainte qu’une société devenue multiculturelle soit traversée de conflits. De fait, il est établi, au moins dans les sociétés démocratiques, qu’il existe un lien entre l’avènement du multiculturalisme et la montée de la défiance interpersonnelle. Or, la montée de la défiance interpersonnelle et le multiculturalisme affaiblissent l’adhésion à l’État providence. Un niveau satisfaisant d’adhésion aux prélèvements obligatoires justifiés par la redistribution des richesses, à la lutte contre les inégalités et à la solidarité implique un niveau de confiance interpersonnelle qui semble inaccessible dans les sociétés multiculturelles. Certains auteurs estiment que l’absence d’un État providence aux États-Unis est une conséquence des trop grandes différences culturelles entre les groupes composant la société86. L’augmentation de l’immigration en Europe pourrait bien menacer le consentement aux conditions de l’État providence.
L’une des contributions les plus importantes sur ce sujet sont les travaux de Robert D. Putnam, qui montrent qu’une forte augmentation de l’immigration entraîne un multiculturalisme, provoquant une érosion de la solidarité et, plus globalement, de ce qu’il nomme le « capital social », dont la confiance est un élément déterminant87. Putnam rappelle que les études de psychosociologie et de sociologie montrent qu’il est plus facile pour les individus de se faire confiance et de coopérer lorsque la distance sociale qui les sépare est moindre. Il cite à l’appui Richard Alba et Victor Nee : « Lorsque la distance sociale est faible, il existe un sentiment d’identité commune, de proximité et d’expériences partagées. Mais lorsque la distance sociale est grande, les gens perçoivent et traitent l’autre comme appartenant à une catégorie différente 88. » La distance sociale dépend à son tour de l’identité sociale, de l’idée que nous nous faisons de nous- mêmes, du groupe auquel nous appartenons. Cette identité résulte de l’histoire et des transformations sociales et en partie aussi de processus intentionnels tels que le prosélytisme religieux, les mobilisations sociales et les campagnes politiques.
Il est évident que les phénomènes migratoires comptent parmi les forces qui agissent dans le sens d’une déconstruction des identités nationales et sociales. Les données que Putnam a récoltées aux États-Unis montrent, selon lui, que dans les quartiers multiculturels, c’est-à-dire ethniquement diversifiés, les habitants ont tendance à se replier sur eux-mêmes, et ce, quelles que soient les origines. Il montre aussi que la confiance interpersonnelle y est plus faible, y compris envers les personnes de son propre groupe d’appartenance, que l’altruisme et la coopération y sont plus rares, que les amis y sont moins nombreux.
À tout le moins, pour ce qui concerne le Danemark, il est admis que la diversité ethnoculturelle est perçue comme un facteur d’affaiblissement de la cohésion sociale89. Ce processus d’érosion de l’identité sociale, de perte du capital social et de confiance est bien perçu par les individus, qui s’en inquiètent vivement, comme le reflètent les résultats électoraux et les enquêtes d’opinion dans de nombreux pays. Ainsi, en septembre 2021, selon les données d’une enquête internationale réalisée dans 55 pays, plus des deux tiers des Danois (69%) indiquaient être « très inquiet » et « plutôt inquiet » de l’immigration (pour une moyenne de 68% au sein de l’Union européenne et de 73% en France). De même, 71% des Danois se disaient « très inquiet » et « plutôt inquiet » de l’islamisme (72% des Européens et 84% des Français)90. Il y a seulement treize ans, deux tiers des Danois (65%) étaient d’accord avec l’idée selon laquelle « la présence de personnes d’autres groupes ethniques est une chance pour la culture de leur pays », contre 54% des Européens91.
Bien que certains acteurs politiques, en particulier autour du Parti du peuple danois, ont pu s’opposer à l’immigration au nom d’un impératif d’homogénéité ethnique, la victoire des sociaux-démocrates procède d’un nationalisme social assumé au nom de l’État providence. C’est sur cette base que les politiques migratoires restrictives ont été conçues à partir des années 2000. La politique restrictive, en matière de flux, est motivée par les conditions requises pour que l’intégration soit effective. Le partage des valeurs sur lesquelles repose l’État providence avec de nouveaux arrivants, issus de pays dépourvus d’une telle culture, suppose d’en limiter le nombre. La politique restrictive précède et permet l’intégration.
La confiance interpersonnelle des Danois est parmi les plus élevées en Europe
Question : « D’une manière générale, vous diriez que… »
Base : les pays de l’Union européenne, le Royaume-Uni, la Suisse et la Norvège
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique
Source :
Dominique Reynié (dir.), Libertés : l’épreuve du siècle, enquête réalisée en partenariat avec la Fondation pour l’innovation politique, l’International Republican Institute, la Community of Democracies, la Konrad-Adenauer-Stiftung, Genron NPO, la Fundación Nuevas Generaciones et República do Amanhã, janvier 2022, 96 pages.
Voir en particulier Barbara Fersch, Karen Nielsen Breidahl, “Building, breaking, overriding…? Migrants and institutional trust in the Danish welfare state”, International Journal of Sociology and Social Policy, volume 38, n°07-8, pp. 592-605, juillet 2018.
L’intégration des immigrés et la cohésion sociale
« L’un des points centraux des débats danois sur l’intégration et l’immigration est la place accordée à la cohésion sociale. Ce sujet est devenu important quand l’ancien Premier ministre social-démocrate, Poul Nyrup Rasmussen, a commencé, à la fin des années 1990, à exprimer sa préoccupation pour la “cohésion” en tant que ciment de la société. Avec l’élection de la coalition libérale-conservatrice en 2001, la référence à la cohésion sociale s’est “ethnicisée” en ce sens que la diversité ethnique et d’autres formes de diversité ont été considérées comme une menace pour la cohésion de la société. En 2007, dans son discours prononcé à l’occasion du Jour de la Constitution, le Premier ministre Anders Fogh Rasmussen a déclaré : “Si nous voulons maintenir le haut niveau de cohésion sociale nécessaire au progrès et à la stabilité du Danemark, il est essentiel que nous continuions à nous reconnaître, en tant qu’êtres humains et citoyens du Danemark dans la sphère publique, non en tant que représentants de différentes religions.” L’idée selon laquelle la diversité ethnique est un problème pour la cohésion sociale a été abordée plus succinctement par l’ancienne ministre de l’Intérieur, Karen Jespersen, membre du Parti libéral. En se basant sur des résultats d’enquêtes d’opinion, elle a établi un lien entre le fait que les Danois soient les personnes les plus heureuses au monde, avec le plus haut niveau de confiance, et le fait que le Danemark soit une nation ethnoculturellement homogène. Cette homogénéité et ses effets positifs sont toutefois perçus comme menacés. Selon Jespersen et Pittelkow, “la crainte principale n’est pas de savoir s’il y aura une intégration sur le marché du travail ou dans le système éducatif. Il s’agit de quelque chose de plus fondamental encore : le risque de ne pas faire partie d’une communauté de valeurs (værdifællesskab), ces valeurs qui sous-tendent la société dans laquelle on vit. Si une telle communauté devait faire défaut, la cohésion sociale serait menacée. Le capital social, qui crée la confiance entre les citoyens, ferait défaut. Des chercheurs ont montré que, dans une société donnée, il existe une relation entre l’existence de grandes différences ethnoculturelles et un faible niveau de confiance interpersonnelle. Cela empêche la société de bien fonctionner et cela réduit les capacités à poursuivre des objectifs politiques communs”. La question de la cohésion sociale joue un rôle primordial dans le débat danois ; elle est considérée comme particulièrement importante dans une société attachée à l’égalité et à des niveaux élevés de dépenses sociales. Le haut niveau de confiance interpersonnelle des Danois est souvent mentionné comme un facteur clé lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi le Danemark demeure économiquement prospère et compétitif malgré des prélèvements obligatoires et des prestations sociales élevés impliquant des incitations économiques au travail relativement faibles. La cohésion sociale est jugée menacée par un communautarisme ouvrant sur le développement de conflits religieux et politiques, de sociétés parallèles et de la criminalité, dégradant entre les citoyens la solidarité requise par l’État providence. Il en résulte une lutte pour savoir, d’une part, quelles sont les valeurs propices à la stabilité sociale et politique et, d’autre part, quelles valeurs définissent l’identité danoise, l’hypothèse étant que les réponses à ces deux questions sont les mêmes. Une “commission des valeurs” a été mise en place par le gouvernement libéral- conservateur afin d’identifier les valeurs importantes pour les Danois. Cette commission a été abandonnée lorsque la coalition dirigée par les sociaux-démocrates a pris le pouvoir [en octobre 2011]. Appelons “conceptions communes” les valeurs qui favorisent la cohésion sociale. Plus précisément, une “conception commune” peut être considérée comme un ensemble de valeurs, formelles ou informelles, réglant les conditions dans lesquelles les individus interagissent au sein d’un groupe, y compris la distribution des avantages politiques, sociaux et culturels, dans le but de garantir la perpétuation au sein de ce groupe de biens sociaux tels que la confiance, la disponibilité à la coopération, la stabilité des règles, le sentiment d’appartenance et la solidarité. » Nils Holtug, « Danish Multiculturalism, Where Art Thou? », in Raymond Taras (dir.), Challenging Multiculturalism. European models of diversity, Edimbourg, Edinburgh University Press, 2013, chap. 9, p. 196-197. |
Certains travaux se sont penchés sur la question de savoir comment émerge la confiance dans les institutions de l’État providence. Ainsi, Barbara Fersch et Karen Nielsen Breidahl ont mené une série d’entretiens avec des migrants à ce sujet92. Les deux sociologues ont pu éclairer le processus d’intégration en suivant plus spécifiquement la nature et l’évolution des relations qu’ils entretiennent avec des institutions dont ils font peu à peu l’expérience. Les auteurs estiment que « l’expérience perçue de justice distributive semble être d’une importance cruciale pour l’établissement de la confiance ». De même, nous disent les chercheuses, l’acquisition d’une confiance dans les mécanismes de type « freins et contrepoids » au sein de l’État providence favorise la neutralisation d’expériences négatives lors des relations avec les agents de l’État providence.
La lecture de tels travaux incline à penser que l’efficacité de l’intégration des migrants est dépendante d’une véritable politique publique dédiée. Les effets que l’on peut attendre d’une harmonisation tendancielle, naturelle en quelque sorte, opérant progressivement par le simple fait de partager la vie d’une société qui n’est pas la sienne, ne suffiront pas ou seront trop lents. Une véritable politique publique de l’intégration suppose une bonne compréhension des mécanismes générateurs de confiance.
La politique danoise d’immigration et l’avenir de la gauche européenne
Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation? Conférence faite en Sorbonne, le 11 mars 1882, Paris, Calmann Lévy, 2e éd., 1882, p.26.
Aujourd’hui, au Danemark, la politique migratoire fait l’objet d’un consensus, comme le montrent les résultats électoraux depuis 2001. En un peu plus de vingt ans, les Danois ont changé de majorité à plusieurs reprises mais jamais de politique migratoire. Au début de 2023, les populistes, les principaux partis de droite et de gauche s’accordent toujours sur une stratégie définie à partir des valeurs et des intérêts du Danemark : la réduction drastique des flux migratoires, une politique pénale intransigeante, un programme d’intégration énergique ou encore l’externalisation à un pays tiers du traitement des demandes de visas. Si nous ne considérons que les chiffres, les résultats sont conformes aux objectifs. Initiée par la droite de gouvernement sous la pression d’une droite populiste lui offrant à chaque fois son appui parlementaire, cette politique spectaculairement restrictive et fortement intégratrice a été reprise et déployée par la gauche de gouvernement.
La clé de la politique migratoire danoise est d’associer la défense de l’État providence à la préservation de l’identité nationale. Mais l’approche danoise de l’identité nationale repose moins sur des justifications ethniques que sociales et sociétales, puisque les justifications sociales procèdent d’un puissant attachement des Danois à leur État providence. C’est à partir de là qu’ils s’estiment conduits à fermer leurs frontières afin de ne pas disperser dans le vaste monde la part des richesses nationales prélevée chaque année sur leurs activités pour financer la lutte contre les inégalités, la redistribution et la solidarité nationale.
Les justifications sociétales se reflètent dans l’importance accordée à la préservation de valeurs communes, celles dont la connaissance est exigée et dont l’acquisition est vérifiée pour tout candidat à la nationalité danoise, telles que la disponibilité à la coopération, le sentiment d’appartenance et de solidarité, l’attachement à la permanence de ces valeurs communes. Mais, à nouveau, les justifications sociales et sociétales se mêlent inextricablement. En effet, l’attachement aux valeurs communes, la volonté de les préserver et de les transmettre aux générations futures, vient aussi de la conviction que ces valeurs partagées conditionnent la confiance interpersonnelle sans laquelle l’État providence est rongé par le soupçon de l’abus, du bénéfice excessif ou illégitime du fruit des efforts collectifs, ceux d’aujourd’hui comme ceux d’hier.
Schématiquement, on soutiendra ici qu’un système d’allocation des ressources entre les membres d’une communauté qui ne dépendrait que de la quantité d’efforts que chacun aurait consentis, de risques qu’il aurait pris et de chance qu’il aurait rencontrée, sans jamais pouvoir compter sur la solidarité pour surmonter ses difficultés, serait un système moins dépendant de la confiance interpersonnelle et de la restriction des flux migratoire qu’un système obéissant à des objectifs de réduction des inégalités et de redistribution. Or, aucune cohésion fondée sur la solidarité n’est possible sans la confiance interpersonnelle. Autrement dit, plus une société voudra être ordonnée autour du principe de la solidarité et de la justice sociale, plus son bon fonctionnement dépendra d’un haut niveau de cohésion sociale et donc de son homogénéité culturelle. La politique danoise d’immigration invite la gauche à s’interroger sur ce que devient sa raison d’être si elle ne peut assumer l’homogénéité culturelle qu’implique l’idée socialiste au XXIe siècle.
La gauche européenne, française en particulier, est confrontée à une impasse historique. Le défi que représente la raréfaction absolue ou relative des ressources publiques joint à la pression migratoire semble la conduire à une disparition progressive, au détriment de la démocratie et au profit des populistes. La politique danoise en matière d’immigration devrait intéresser la gauche européenne, d’autant plus qu’il s’agirait pour elle de renouer avec les éléments oubliés ou ignorés d’une tradition. Ainsi, la gauche française de gouvernement se reconnait dans la conception d’une appartenance nationale ouverte, héritée de la Révolution française, et condensée par Ernest Renan, à la fin du XIXe siècle, dans la formule, devenue si fameuse, d’« un plébiscite de tous les jours ». La gauche réformiste devrait méditer la suite du même discours : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis93. »
Les Danois ne disent pas autre chose. Cette politique vient de permettre la réélection du Parti social-démocrate danois, membre du Parti socialiste européen et membre de l’Internationale socialiste.
Suède, fin de l’homogénéité, fin du consensus et défaite des sociaux-démocrates
Pays scandinave, de tradition sociale-démocrate, membre de l’Union européenne, la Suède est, à bien des égards, comparable au Danemark. Cependant, alors que les sociaux-démocrates danois sont réélus en 2022, entraînant la débâcle des populistes, en Suède, la situation est inverse : les sociaux-démocrates suédois perdent le pouvoir sous la pression d’un parti populiste, passé de 1,4% en 2002 à 20,5% en 2022. Les politiques migratoires des deux pays ont fortement divergé à partir de 2000-2001, le Danemark engageant la politique restrictive et intégratrice que l’on sait, tandis que la Suède entamait tardivement et plus timidement un tel virage, à partir de la crise migratoire de 2015-2016. La population suédoise d’origine non occidentale est passée de 2% en 1980 à 20% aujourd’hui L’histoire de l’immigration en Suède est unique. Ce pays est longtemps resté une société homogène jusqu’à ce qu’une immigration récente mais massive modifie sensiblement sa composition démographique. Pour Tino Sanandaji, « L’augmentation des non-Occidentaux est due au fait que la migration de travail des années 1980 a été remplacée par une immigration de réfugiés et une immigration familiale. […] Si le nombre de demandeurs d’asile et l’immigration en général varient d’une année sur l’autre, la tendance a été une augmentation jusqu’à la fin de 2015, date où le contrôle plus strict des frontières a conduit à un déclin prononcé mais tardif. Même après déduction de l’émigration, l’immigration nette en proportion de la population a dépassé le record américain de la migration transatlantique des années 1880, qui était d’environ 0,67% par an. En Suède, ce taux était d’à peu près 0,2% par an entre 1940 et 1990. Il a augmenté lentement jusqu’au milieu des années 2000. Une accélération s’est produite vers 2006. La Suède a dépassé le record américain évoqué ci-dessus en 2009, atteignant un taux d’immigration nette de 0,8% de la population en 2014 et 2015.» Extrait de Tino Sanandaji, Les Suédois et l’immigration (1). Fin de l’homogénéité ?, Immigration et criminalité en Suède Le Brottsförebyggande rådet (BRA, Conseil national suédois pour la prévention de la délinquance) a été à l’origine de deux rapports très remarqués sur la criminalité des immigrés en Suède. Ces rapports comparent la criminalité enregistrée selon le pays de naissance et l’origine des parents pour les années 1985-1989 et 1997-2001, et mettent en évidence que le taux de criminalité parmi les étrangers est plus fort que le taux de criminalité parmi les personnes d’origine suédoise. […] Notons que les personnes non enregistrées dans le pays au moment de leur crime étaient estimées à 3% des crimes commis en 1985-1989 et à 7% en 1997-2001. Ces groupes comprennent notamment les “individus en attente d’une décision concernant leur demande d’un permis de séjour ; les individus restant temporairement en Suède dans cette période comme touristes ou étudiants, et les individus venus délibérément en Suède avec des intentions criminelles”. […] La proportion des personnes enregistrées pour des crimes et délits diffère selon les pays d’origine. Le Conseil note que “ceux qui viennent d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ont les plus forts taux de criminalité”. Cette proportion est en revanche plus faible chez les immigrés d’Asie du Sud-Est. Les personnes nées à l’étranger présentent un risque relatif particulièrement élevé en matière d’actes de violence aggravée : 3 pour les agressions, 4,1 pour le vol et 5 pour le viol. […] Enfin, Amir Rostami et ses collègues ont étudié la structure sociale des gangs de rue en Suède en utilisant les rapports de police : 239 membres des sept gangs classés par la police comme les plus importants ont été examinés ; tous sont des hommes et 76% d’entre eux sont de la première ou de la deuxième génération d’immigrés. Malgré la surreprésentation statistiquement significative des immigrés dans la criminalité, on a massivement nié le fait que l’immigration entraîne une augmentation de la criminalité, en invoquant souvent des facteurs socio-économiques. Isoler statistiquement le rôle des facteurs socio-économiques contribue assurément à une meilleure compréhension mais ne supprime pas, comme par enchantement, la surreprésentation des immigrés dans la criminalité. […] L’argument des facteurs socio-économiques aurait été plus pertinent si la Suède disposait d’outils pour résoudre facilement lesdits problèmes. Il sera peut-être un jour possible de les résoudre mais, en attendant, ils font partie de la réalité et ne doivent pas être neutralisés dans l’analyse. Ils ne sont pas davantage des phénomènes temporaires qui disparaîtront d’eux-mêmes. La surreprésentation des immigrés aussi bien dans la criminalité que dans les problèmes socio-économiques est constante. On observe même une légère augmentation au cours des dernières décennies. » (p. 20-22). Extrait de Tino Sanandaji, Les Suédois et l’immigration (2). Fin du consensus ?, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2018, p. 18-22. Sur ce sujet, voir également Johan Martinsson, Les « Démocrates de Suède » : un vote anti-immigration, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2018. |
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