Pour l'emploi : La subrogation du crédit d'impôt des services à la personne
TMPIntroduction
S’inscrire dans un dialogue entre puissance publique et société civile
Co-construire une réforme : le secteur des services à la personne
Surmonter les obstacles à la co-construction de la réforme des services à la personne
Savoir entendre la société civile quand elle propose la réforme
Un objectif partagé : l’emploi
La subrogation du crédit d’impôt pour les services à la personne : plus de 200.000 emplois dès la première année
Le chemin restant à parcourir
Annexes
Résumé
Le mécanisme présenté dans cette note vise à relancer la dynamique des services à la personne en favorisant l’accès du plus grand nombre aux services déclarés, par la suppression du décalage de crédit d’impôt que le système actuel fait supporter aux ménages. Ce décalage de trésorerie freine le recours aux services à la personne, contrariant le développement de ce secteur aux effets positifs, potentiellement considérables sur l’emploi et la croissance. Selon les techniques de la cession de créances, ou de subrogation conventionnelle prônées ici, le mécanisme permettrait une mobilisation immédiate de la créance par le secteur bancaire, sans avoir à requérir un effort financier de la part de l’État. La créance naîtrait lors de chaque consommation de services à la personne et serait immédiatement mobilisable auprès d’un établissement financier.
Du côté de l’État, la création de créance correspondant aux 50 % de crédit d’impôt ne change pas le mécanisme actuel de comptabilisation de la dépense fiscale. Il n’y a donc pas d’incidence sur la dette au sens de Maastricht. Du côté du consommateur, la créance ainsi prise en charge, lui permet de bénéficier immédiatement d’un remboursement. Ce mécanisme encourage donc une demande plus importante de services auprès d’un organisme d’aide et de services à la personne ou d’un employé de services à la personne via un intermédiaire. Le bénéfice attendu est la création de 200 000 emplois dès la première année.
Au-delà du cas particulier du secteur des services à la personne, cette note promeut une méthode de réforme. Elle veut contribuer à l’avènement d’une nouvelle culture politique associant intimement à la décision publique, les acteurs de la société civile et particulièrement le monde entrepreneurial. Cette méthode repose sur une identification partagée de l’intérêt général.
Bruno Despujol,
Partner du cabinet Oliver Wyman, en Charge de la practice Services.
Partner du cabinet Oliver Wyman, en Charge de la practice Services
Olivier Peraldi,
Directeur général de la Fédération du Service aux Particuliers (FESP).
Directeur général de la Fédération du Service aux Particuliers (FESP)
Dominique Reynié,
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Introduction
La nécessité pour les pouvoirs publics de construire la réforme avec les acteurs de la société civile, et particulièrement avec le monde entrepreneurial, est à juste titre régulièrement rappelée par les gouvernants. Les acteurs de la filière des services à la personne expérimentent la méthode. Ils sont porteurs d’un projet de réforme d’intérêt général qui bute sur le temps long du travail administratif. Pourtant, le projet présenté ici offre la possibilité de créer jusqu’à 200.000 emplois. Plus encore, il permettrait d’initier une nouvelle culture de la réforme par une association intime de la société civile et des pouvoirs publics.
Entreprises et associations.
Discours du président de la République, Emmanuel Macron, devant le Parlement réuni en congrès, 3 juillet 2017.
Ministère de la réforme de l’État de la décentralisation et de la fonction publique ministère délégué chargé de la décentralisation. Rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative, 26 mars 2013, La Documentation française, p. 76.
Thierry Mandon, Rapport remis au Premier Mieux simplifier, la simplification collaborative, Mission parlementaire de simplification de l’environnement réglementaire, administratif et fiscal des entreprises, p. 31, 2013.
Du côté de l’État, la création de créance correspondant aux 50% de crédit d’impôt (dans la limite des plafonds) ne change pas le mécanisme actuel de comptabilisation de la dépense fiscale. Il n’y a donc pas d’incidence sur la dette au sens de l’accord de Maastricht. Du côté du consommateur, la créance ainsi prise en charge, lui permet de bénéficier immédiatement de son avantage fiscal, encourageant ainsi une demande plus importante de services auprès d’un organisme d’aide et de services à la personne (OASP)1 ou d’un employé de services à la personne via un intermédiaire.
« Ce ne sont pas les Français qu’il faudrait désintoxiquer de l’interventionnisme public, c’est l’État lui-même. »2 Si ce constat sans concession prononcé devant la représentation nationale par le président de la République nouvellement élu n’a pas choqué les commentateurs, c’est certainement parce qu’il exprime un point de vue partagé de longue date par une large majorité de Français. C’est aussi parce qu’il annonce une évolution de la relation entre les sphères publique et privée que l’on attend depuis longtemps.
On sait que si l’interventionnisme d’État a commencé à se manifester avec force dans le monde démocratique avec la crise économique des années 1930, en France, il est devenu un véritable mode de gouvernement depuis la Libération.
Nos décideurs politiques et l’opinion publique s’y sont progressivement ralliés. L’interventionnisme a d’abord pris la forme classique d’interventions directes de l’État dans l’économie, via une participation dans de nombreuses entreprises, l’organisation de monopoles publics ou encore la planification indicative en faveur d’activités, de territoires ou de publics ciblés.
Peu à peu, au fil des crises et des gouvernements, la puissance publique s’est emparée de tout sujet, produisant ces fameuses 11.000 lois et 400.000 normes qui contraignent la vie des Français3. Les nombreux rapports et commentaires suscités par ce record européen, voire mondial, sont restés sans effet sur ce mal national. Présidant le Conseil national d’évaluation des normes affectant les collectivités locales, Alain Lambert comptabilisait « 400 nouveaux textes » pour la seule année 2015. Le coût annuel de la surcharge administrative a été évalué à 60 milliards d’euros selon une estimation de l’OCDE reprise par le rapport Lambert-Boulard contre l’inflation normative4.
Le monde du travail et l’accès à l’emploi n’échappent pas à la règle. Ainsi, l’État a cru bon de financer en 2016 près de 460.000 contrats aidés, à hauteur de 2,7 milliards d’euros en 2017. Il aurait été plus pertinent de réduire le coût du travail et d’alléger de quelques chapitres les désormais très fameuses 3.000 pages du Code du travail français.
La mission parlementaire de simplification avait été claire. Elle formulait une recommandation méthodologique particulièrement forte : « les chefs d’entreprise sont les mieux placés pour identifier ces nœuds de complexité où la concentration des actions de simplification peut permettre de maximiser les effets attendus. Par conséquent, si les administrations peuvent bien entendu être porteuses de propositions de simplification, les chefs d’entreprises doivent définir et prioriser les mesures de simplification qui les concernent. C’est un premier principe affiché explicitement dans toutes les démarches de simplification en faveur des entreprises, mises en œuvre dans les pays étrangers. Ce principe est également au cœur de toute démarche qualité, celle-ci conduisant à toujours raisonner à partir des besoins et attentes de l’usager ou du client. »5
S’inscrire dans un dialogue entre puissance publique et société civile
2012 : baisse du plafond de la réduction d’impôt ; 2013 : suppression de la base forfaitaire au Smic pour le calcul des cotisations sociales, augmentation de la TVA pour certains métiers des services à la personne.
Discours du président de la République devant le Parlement réuni en congrès, 3 juillet 2017.
Rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions, Refaire la démocratie, p. 34, octobre 2015.
L’appel présidentiel invitant l’État à combattre sa propre propension à intervenir en tout domaine a été relayé quelques jours après par le Premier ministre, souhaitant une « co-construction entre acteurs publics et privés », en insistant sur le besoin de disposer d’enceintes, de lieux et d’une méthode de dialogue pour y parvenir, sur la nécessité de « faire simple » en évitant l’empilement de schémas de planification.
La frénésie normative procède d’une approche unilatérale, descendante et condescendante de la réforme de la part de l’État et d’une technocratie administrative s’estimant omnisciente par nature. La « co-construction », ou coproduction, appelée par les vœux de l’exécutif doit pouvoir renverser la table des habitudes en donnant aux acteurs concernés par un projet de réforme l’occasion d’y participer pleinement, d’en discuter la nécessité, de porter des propositions en amont des guérillas d’amendements livrées lors des débats parlementaires alors que l’essentiel est déjà figé. Il s’agit de s’inscrire dans un processus de dialogue avec les ministres et leurs administrations. Pour la puissance publique, tout l’enjeu est d’apprendre à accueillir les acteurs de la société civile en partenaires de l’action publique et non plus en adversaires incapables de faire la part des choses entre intérêts particuliers et intérêt général. Pour co-construire, la sphère publique doit : – au-delà des rendez-vous et séances de travail, accepter de sortir de l’entre-soi pour associer le partenaire privé tout au long de la chaîne d’élaboration de la réforme. Si les administrations centrales doivent bien entendu disposer de temps de maturation à huis clos, trop de réunions, dites partenariales, consistent simplement à « cocher la case » de la concertation sans parvenir à créer les conditions d’un dialogue autorisant une véritable co-construction, seule démarche appropriée à la recherche d’un consensus. Par ailleurs, les processus de réforme associant jusqu’à leur terme les acteurs privés concernés sont quasi inexistants. Sur le seul secteur des services à la personne, aucune des trois récentes réformes fiscales subies – en seulement deux ans – n’aura fait l’objet d’une élaboration concertée avec les organisations professionnelles concernées6 ;
- simplifier le cadre de travail entre les partenaires, notamment en désignant un seul « chef de projet », en liaison étroite avec les conseillers ministériels et les directeurs d’administrations centrales concernés. Trop de réunions mobilisent un trop grand nombre d’experts. De tels tours de table donnent lieu à des joutes picrocholines et à une multiplication inutile de nuances d’appréciation particulièrement chronophages ;
- hiérarchiser les initiatives afin d’accélérer le processus d’élaboration de la réforme. À ce titre, la proposition du président de la République de permettre, dans certains cas, l’adoption de lois en commission parlementaire est une piste qui mériterait d’être étudiée, dès lors que les acteurs de la société civile concernés seraient associés à leur élaboration7. La préparation de la réforme relève, en général, d’un temps long de maturation qui peut paraître excessif pour des observateurs peu habitués au rythme de l’État. Les échanges lors des réunions du groupe de travail de l’Assemblée nationale sur l’avenir des institutions auront permis d’en faire largement le constat comme cela fut le cas notamment avec l’intervention du philosophe Mickaël Foessel soulignant que « ce que l’on appelle la crise des institutions […] et la difficulté de la représentation sont aussi liées à l’oubli de ce qu’est une durée politique, de ce qu’est une maturation de la décision politique, qui n’est précisément pas la durée médiatique ou la durée économique. »8
La contrepartie est la responsabilisation de la société civile. Elle doit, elle aussi, faire sa part du chemin pour mieux comprendre et intégrer les fondamentaux d’une méthode partagée qui sont principalement de :
- veiller à la robustesse des éléments factuels permettant le constat et supportant la vision prospective justifiant le projet de réforme. Cela requiert en amont et tout au long du processus la mobilisation de moyens humains et financiers ;
- obtenir le consensus interne, constitutif de représentativité et donc de légitimité ;
- prendre en compte les contraintes temporelles de production de la décision politique. L’écart de temporalité entre le monde entrepreneurial et celui de la réforme doit être anticipé par une meilleure compréhension des contraintes réciproques.
Co-construire une réforme : le secteur des services à la personne
Conférence de presse Oliver Wyman, FESP, ADMR, 6 février 2017, Paris.
À l’origine « Aide à Domicile en Milieu Rural ».
Déclaration du ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, Arnaud Montebourg, sur les orientations stratégiques de son ministère pour le redressement économique du pays, 10 juillet 2014.
Le projet de réforme du crédit d’impôt des services à la personne par la mise en œuvre d’un dispositif dit de subrogation est, au regard de ces différents points, très illustratif de ce qu’une initiative de la société civile peut apporter de vertueux au processus de co-construction de la décision publique. En effet, ce projet est porté par les acteurs du secteur9, notamment représentés par les deux principales organisations que sont la Fédération du Service aux Particuliers (FESP) et l’ADMR10.
Ainsi, l’initiative des acteurs des services à la personne a-t-elle anticipé le vœu du Premier ministre : un « appel à la responsabilité des dirigeants, c’est un appel, vous l’avez compris, à l’imagination et à l’abandon des tabous, c’est un appel à combattre le conformisme. »11 Il s’agit bien de responsabilité, d’imagination, de dépassement des dogmes et de lutte contre des règles et des méthodes surannées, comme nous allons le voir ici dans le cas du projet proposé par les fédérations représentatives des services à la personne.
Au regard des conclusions des nombreux rapports consacrés au nécessaire rapprochement entre les mondes public et privé, un dialogue de qualité entre les entreprises et l’administration centrale ou territoriale, n’est pas assez souvent au rendez-vous. La méconnaissance des réalités et des contraintes est réciproque. Enfin, les suspicions négatives sur les intentions de l’interlocuteur parachèvent les conditions de la mésentente, sauf rares exceptions, assurant l’échec des tentatives d’une construction commune de la réforme.
L’ignorance nourrit la défiance. L’une et l’autre favorisent les incompréhensions et les frustrations respectives. Le phénomène est pourtant connu de longue date. Il est largement commenté dans les comptes rendus de nombreux rapports, qu’ils soient issus de la sphère publique ou de la société civile. Pour n’en citer qu’un parmi les plus récents, prenons le cas de la mission parlementaire de simplification de l’environnement réglementaire, administratif et fiscal des entreprises. Le rapport constate « que le dialogue avec les entreprises reste jusqu’ici trop limité, trop formel et qu’il n’est pas à la hauteur des enjeux ». Les rédacteurs suggèrent avec bon sens l’adoption d’« une démarche véritablement partenariale associant les parties prenantes dans un processus de co-construction et de co-mise en œuvre de programme de simplification. »
Lorsqu’il s’agit de mettre en place un travail collaboratif entre représentants du secteur public et du secteur privé, les méthodes habituelles de collecte des témoignages de décideurs du monde de l’entreprise se heurtent à trois écueils :
- la difficulté de recueillir l’information au plus près du terrain, auprès des chefs d’entreprise pleinement investis dans la gestion quotidienne de leur structure ;
- la concurrence entre les propositions issues du terrain à partir de constats et d’analyses pouvant diverger ;
- les divergences éventuelles d’appréciation des propositions de réforme et, comme le souligne la mission parlementaire de simplification, notamment au regard de l’intérêt général ou de la faisabilité technique, juridique ou politique, de la réforme proposée.
Surmonter les obstacles à la co-construction de la réforme des services à la personne
Thierry Mandon, Rapport remis au Premier Mieux simplifier, la simplification collaborative, Mission parlementaire de simplification de l’environnement réglementaire, administratif et fiscal des entreprises, p. 19, 2013.
Mais aussi auprès des conseillers concernés à l’Elysée et à Matignon.
Notamment, Clément Carbonnier, maître de conférence (HDR) à l’université de Cergy-Pontoise, chercheur au THEMA, co-directeur de recherche « Politiques socio-fiscales » du laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po, conseiller scientifique au Conseil d’analyse économique (CAE) et consultant auprès de la Banque de France.
Olivier Peraldi, Jeger, Chiffres & Citoyenneté, éd. Hermann, 2016.
Luc Rouban, « L’État à l’épreuve du libéralisme : les entourages du pouvoir exécutif de 1974 à 2012 », Revue française d’administration publique, n°142, avril Voir aussi Chiffres & Citoyenneté, Olivier Peraldi, François Jeger, éd. Hermann, 2016.
« incapacité à prévoir la crise économique de 2008, conflits d’intérêts pas toujours révélés, difficulté à se mettre d’accord, ou, à l’inverse, tendance à penser de la même manière, manque de sens pédagogique. », in « Les économistes dans la cité », Agnès Bénassy-Quéré, Olivier J. Blanchard, Jean Tirole, Conseil d’analyse économique (CAE), Note n°42, juillet 2017.
Clément Carbonnier, note d’analyse Commentaire sur l’évaluation des effets attendus de la subrogation du crédit d’impôt pour les services à la personne, juillet 2017.
Notamment développé dans le rapport La simplification administrative dans les pays de l’OCDE, 2004, et celui de la Mission parlementaire de simplification de l’environnement réglementaire, administratif et fiscal des entreprises, Thierry Mandon, Mieux simplifier, 2013, cit.
Les membres de la mission parlementaire de simplification apportent un exemple de cause d’échec au rapprochement des mondes public et privé dans le cadre d’élaboration de réforme : « des modes de consultation des entreprises trop ponctuels ou évènementiels et n’ayant pas permis de mettre en place un dispositif de travail collaboratif et pérenne entre les administrations et les chefs d’entreprises, notamment n’ayant pas permis de co-définir les solutions (mesures de simplification) sur la base de diagnostics partagés des situations vécues et des problèmes rencontrés par les entreprises. »12
On voit pourquoi les élus et les administrations doivent dès l’amont prendre en compte les acteurs du secteur privé concernés par la réforme. Surmonter les causes d’échec nécessite trois conditions :
- le partage de la conviction que chacun bénéficiera des effets de la réforme. Ce partage de l’intérêt à agir détermine l’expression d’une bonne volonté Trop d’idées de réformes n’ont jamais abouti faute d’appétence pour leur adoption, voire à cause d’une hostilité de la part de l’un des acteurs concernés. Trop de réformes adoptées non pas été appliquées faute de décret indispensable à leur bonne compréhension et à leur mise en œuvre. Trop de réformes adoptées ont été combattues a posteriori puis finalement oubliées dans les limbes des échecs collectifs, faute pour leurs concepteurs d’avoir su créer les conditions d’une adhésion pleine et pérenne.
Ainsi, dans le cas du projet d’une subrogation du crédit d’impôt affecté aux services à la personne, les acteurs du secteur privé ont eu à cœur d’œuvrer à un consensus dès l’amont des démarches de présentation d’un premier schéma de proposition aux pouvoirs publics. La FESP, qui rassemble les entreprises du secteur, s’est rapprochée de son homologue, l’ADMR, leader du monde associatif, afin d’établir un constat commun sur l’opportunité économique d’une telle réforme. Dans un second temps, et en liaison avec les cabinets des ministres de Bercy et des directions du ministère13, les deux fédérations ont sollicité un cabinet d’audit reconnu pour effectuer l’analyse fine des impacts sur l’activité et l’emploi inhérents à une mise en place de la subrogation.
Au fil des étapes de réflexion et de validation entre les fédérations privées et les administrations centrales, la démarche de co-construction a su agréger les autres acteurs concernés tels que la Fédération bancaire française (FBF) et des émetteurs de Chèque emploi service universel (CESU).
- la deuxième condition concerne la nature de la Une démarche de co-construction est antinomique d’une « relation unilatérale » ou verticale qui sépare, en deux univers clivés, d’un côté l’expertise administrative et, de l’autre côté, le point de vue des acteurs de terrain. Un tel clivage apparaît trop souvent lorsque la technicité d’une proposition de réforme, notamment pour des raisons juridiques ou fiscales, ramène le dialogue à des querelles d’experts. L’objectif économique ou politique de la mesure se perd ne laissant qu’une embolisation de l’initiative.
Dans le cas du présent projet de subrogation du crédit d’impôt des services à la personne, l’originalité de la démarche a été d’identifier les obstacles juridiques et fiscaux existants au regard des objectifs de politiques publiques préalablement chiffrés dans le cadre de la co-construction. C’est la désignation précise d’un intérêt commun, loin des généralités, qui permet de surmonter les obstacles : la perspective de nombreuses créations d’emplois et leurs implications vertueuses pour les finances publiques, ce que le cabinet Oliver Wyman a quantifié et ce que des travaux économiques complémentaires ont confirmé14.
- Enfin, la nécessité d’établir des liens de confiance suppose un surcroît d’attention accordée aux différences culturelles et un effort de connaissance des interlocuteurs. Le recours à l’expertise de structures indépendantes et à la réputation établie permet de placer le débat à un niveau de pertinence adéquat ; il permet également de mettre en valeur l’objectivité de l’analyse, des projections formalisées concernant la mise en œuvre de la réforme, ainsi que d’identifier la méthode et les voies et moyens permettant d’atteindre les objectifs fixés. La mise en place de réunions de travail entre représentants des acteurs publics et privés de même que le partage des informations tout au long du processus ne se font pas sans difficulté. Cela a été expérimenté pour le projet de subrogation : pléthore de participants, choc des cultures, diversité des temporalités, etc..
Surmonter ces obstacles demande aussi de mobiliser des moyens appropriés :
- La difficulté de recueillir l’information au plus près du terrain marque aussi le clivage existant entre les mondes public et privé, avec un déficit de connaissance des réalités de l’entreprise par les décideurs politiques et les administrations (et vice versa). Avant les dernières élections législatives, l’Assemblée nationale comptait très exactement dix députés ayant eu une expérience en entreprise. Au lendemain des scrutins des 11 et 18 juin 2017, on peut noter un progrès même s’ils ne sont encore que 27 sur 577 ;
- Il en va de même dans les cabinets ministériels. En 2015, seuls deux collaborateurs de ministre sur dix n’étaient pas issus de la fonction publique et seulement 7% d’entre eux avaient auparavant travaillé dans le secteur privé15. À titre comparatif, à la même période ils étaient 61% aux États-Unis16 ;
- Il faut aussi rapprocher les économistes universitaires du monde À cet égard, nous proposons, à la suite des six excellentes recommandations élaborées par Agnès Bénassy-Quéré, Olivier J. Blanchard et Jean Tirole dans leur note publiée par le CAE17 qui concernent les liens entre le monde universitaire et l’administration, d’installer et de systématiser des rencontres entre les universitaires et les entrepreneurs.
Les travaux relatifs à la subrogation du crédit d’impôt des services à la personne ont pu bénéficier des compétences du co-directeur de l’axe de recherche « politiques socio-fiscales » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po, Clément Carbonnier, lorsqu’il a été nécessaire de préciser certaines projections de l’étude du cabinet Oliver Wyman, notamment s’agissant de l’impact de la réforme en termes de créations d’emplois18.
Savoir entendre la société civile quand elle propose la réforme
Prestataires ou mandataires.
France Stratégie, Les métiers en 2022, juin 2015.
Source Dares.
Contrat de filière services à la personne, signé le 23 février 2017, par le secrétaire d’État à l’Industrie, la secrétaire d’État chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie, la secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion, et les fédérations professionnelles, dont la FESP et l’ADMR.
Article D 7232-1 du Code du travail.
Loi n°2005-841 du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.
Betbèze Conseil, Les services à la personne – quels leviers pour réussir ?, juin 2013.
Cabinet Oliver Wyman, Services à la personne : bilan économique et enjeux de croissance, 2012.
Services à la personne : bilan économique et enjeux de croissance, Oliver Wyman, juin 2012.
Alors que se succèdent les publications de rapports prônant un rapprochement des mondes public et privé dans le cadre de l’élaboration des réformes, le secteur des services à la personne a subi de nombreuses évolutions, fiscales et sociales, élaborées de façon verticale et en dehors de toute concertation.
Tous les gouvernements successifs depuis 2010 ont contribué à rendre le cadre fiscal et réglementaire du secteur des services à la personne particulièrement instable, avec pour conséquence une érosion de la compétitivité des acteurs légaux du secteur par rapport à l’offre illégale du travail au noir. Commencée en 2010 par les suppressions de l’abattement forfaitaire de 15 points sur les cotisations patronales pour les particuliers employeurs cotisant au réel, de l’exonération de cotisations patronales pour les structures prestataires, mais aussi par l’augmentation du taux de TVA de 5,5% à 7% pour plusieurs des métiers du secteur, cette dégradation des conditions de compétitivité s’est poursuivie sans discontinuer jusqu’en 2016, avec un pic inédit de cinq changements de règles fiscales lors du PLFSS 2013 !
La conséquence a été une augmentation du coût du travail, dégradant la compétitivité de l’offre légale proposée aux ménages par les entreprises20 et les associations, favorisant le recours aux activités de services non déclarées. Les résultats sont cinglants pour les responsables publics, gouvernants et législateurs. En effet, dans ce secteur dont le potentiel d’embauches est pourtant évalué par les services du Premier ministre à 1,2 million d’emplois de 2015 à 202221, on relève un recul inédit de l’activité déclarée et de l’emploi, avec une baisse moyenne de 2,5 % par an depuis 201322…
Face aux impacts négatifs de la méthode unilatérale sur l’activité et l’emploi, les dirigeants représentatifs du secteur, chefs d’entreprise et responsables d’association, ont décidé d’innover en proposant au gouvernement une nouvelle façon de procéder, consistant à :
- commanditer auprès d’un cabinet reconnu, sur la base d’une analyse des causes de la baisse d’activité, une évaluation d’un dispositif propre à redonner du pouvoir d’achat aux ménages consommateurs de services à la personne : c’est la subrogation du crédit d’impôt permettant la mise en place d’un mécanisme de crédit d’impôt immédiat ;
- sensibiliser les cabinets ministériels aux réalités vécues par les acteurs du secteur et les informer de l’intention de proposer une mesure susceptible non seulement d’enrayer la baisse d’activité et la destruction d’emplois, mais d’inverser la tendance, conformément au potentiel du secteur ;
- informer les directions des administrations centrales de l’initiative en cours et transmettre les conclusions d’étape au fil de l’avancement des
L’organisation d’une plus grande proximité entre les acteurs privés et publics a fortement favorisé la compréhension mutuelle des contraintes, augmentant les chances de poursuivre les travaux. Ce rapprochement des acteurs privés et publics a permis l’inscription dans le contrat de filière du secteur, que porte la Commission nationale des services placée sous l’égide du ministère de l’Economie et des Finances, la mise à l’étude du dispositif opérationnel d’avance de trésorerie permettant le crédit d’impôt immédiat, selon le mécanisme de subrogation indiqué23.
Un objectif partagé : l’emploi
Déclaration de politique générale du Premier ministre, Edouard Philippe, devant l’Assemblée nationale, 4 juillet 2017.
77%, Le regard des Français sur les services à la personne, Harris Interactive/FESP, octobre 2011.
60% des Français ont déjà pensé « aux services dont ils auront besoin en cas d’une survenue de perte d’autonomie », Les séniors et les services à la personne liés à une perte d’autonomie, IFOP/FESP, décembre 2015.
« Avec les réformes que nous vous proposons, nous voulons redevenir les premiers, en termes d’attractivité, de croissance et de créations d’emplois. »29 La volonté affirmée par le chef du gouvernement place l’initiative de la FESP et de l’ADMR au cœur de l’objectif gouvernemental de développement de la croissance et de lutte contre le chômage.
Parmi les tout premiers secteurs économiques disposant, comme nous l’avons vu précédemment, de l’un des plus importants potentiels d’embauches, le secteur des services à la personne constitue l’une des clés stratégiques de la lutte contre le chômage de masse.
Près de huit Français sur dix ont une bonne image du secteur des services à la personne30. La très grande partie des interviewés (88%) estiment qu’ils sont « importants dans la vie familiale », les jugent « créateurs d’emplois » (86%), regardent le secteur comme un moteur essentiel du développement économique (84%) et, enfin, considèrent pour près des trois-quarts (71%) qu’ils permettent de lutter contre « le travail au noir » (71%).
Pour les seuls services d’aides aux personnes dépendantes, six Français sur dix déclarent avoir déjà pensé qu’ils y auront peut-être recours un jour31. Au-delà de l’apport de ce secteur pour l’économie française et pour les familles, la plupart des Français reconnaissent la qualité des prestations offertes aux particuliers qui y ont recours (81%).
Jean-Paul Betbèze, Les services à la personne en France : quels leviers pour réussir ?, juin 2013.
Parce qu’ils représentent l’un des tout premiers secteurs économiques en termes de créations d’emplois en France, les services à la personne sont un enjeu clé de l’économie française. Durables, de proximité et par nature non délocalisables, ces emplois génèrent des bénéfices économiques, sociaux et sociétaux.
Pourtant, nombreux sont ceux qui notent les effets délétères de l’instabilité réglementaire et fiscale qu’a connue le secteur ces dernières années. L’économiste Jean-Paul Betbèze soulignait ainsi déjà en 2013 que « le secteur des Sap [services à la personne] peut devenir un grand secteur économique et social français, à la fois grand employeur et économe des deniers publics. Mais il faut comprendre sa situation actuelle, avec des prélèvements fiscaux et une instabilité juridique qui cassent la dynamique de ses entreprises, sans gain réel pour quiconque »32.
La subrogation du crédit d’impôt pour les services à la personne : plus de 200.000 emplois dès la première année
L’étude réalisée par le cabinet Oliver Wyman (cf. les éléments présentés en annexe) précise que la mise en place d’un système de subrogation, ou crédit d’impôt immédiat, dans les services à la personne permettrait la création de 46.000 à 70.000 emplois dès le premier trimestre de mise en œuvre, et de 186.000 à 279.000 emplois au cours de la première année. Cette mise en œuvre entraînerait immédiatement une augmentation de la consommation des services à la personne qui engendrerait à son tour une hausse des recettes de cotisations sociales annuelles comprise, selon les hypothèses, entre 958 millions et 1,4 milliard d’euros de gains bruts. À noter également, que le système proposé serait sans effet négatif sur les dépenses publiques33.
Par ailleurs, la FESP et l’ADMR soulignent que le dispositif est générateur de simplification administrative pour les ménages et pour les services de l’État notamment en matière de lutte contre l’économie informelle34.
Ainsi, les fédérations du secteur impliquées dans le projet font valoir trois points :
- il convient sans attendre de relancer la dynamique des services à la personne en rendant plus accessible au plus grand nombre le coût du service déclaré en supprimant le décalage de trésorerie que l’actuel crédit d’impôt implique pour les ménages ;
- le décalage dans le temps du bénéfice de la réduction d’impôts pour le consommateur est un frein évident à la consommation : une famille qui paye des prestations de services à la personne pour 100 € devra immédiatement décaisser 100 € et ne bénéficiera de la réduction de 50 € qu’au moment du paiement de son IRPP, soit 9 à 18 mois plus tard ;
- ce décalage de trésorerie est extrêmement préjudiciable tant pour la capacité de consommation du ménage que pour les recettes fiscales et les cotisations sociales. Si la même famille n’acquittait que le prix de 50 €, le développement du secteur serait alors fortement accéléré par une hausse sensible de la consommation et les recettes publiques et les contributions sociales proportionnellement augmentées.
Face à un tel mécanisme, les Français ne s’y trompent pas. Interrogés par l’Ifop sur leur vision de la mise en place d’une subrogation au crédit d’impôt des services à la personne, ils placent la création d’emplois à un niveau très élevé (62%), en deuxième position, immédiatement après un bénéfice pour leur pouvoir d’achat (65%).
L’impact du système de la subrogation est perçu comme très positif par les Français, que ce soit par ses conséquences sur le pouvoir d’achat (65%), sur les finances publiques (60%) ou encore sur la création d’emplois (62%). C’est donc un large soutien de la part des personnes interrogées qui est ici exprimé, un soutien qui est plus affirmé parmi les personnes âgées de 50 ans et plus, lesquelles recourent le plus aux services à la personne.
À ce jour, le mécanisme du crédit d’impôt pour les 4,2 millions de ménages qui font appel aux services à la personne ne permet pas de leur éviter l’avance de trésorerie dont la période d’effets, nous l’avons vu, peut atteindre 18 mois. Le mécanisme permettrait une mobilisation immédiate par le secteur bancaire, selon les techniques de la cession de créances ou de subrogation conventionnelle, sans requérir d’effort financier de la part de l’État qui continuera à liquider le crédit d’impôt dans les délais habituels. La créance naîtrait lors de chaque consommation de services éligible au crédit d’impôt et serait immédiatement mobilisable auprès d’un établissement financier.
Le chemin restant à parcourir
Dès lors, l’initiative lancée par le secteur des services à la personne auprès des pouvoirs publics semble en bon chemin. Les constats et les objectifs sont partagés par les acteurs concernés, publics et privés ; des réunions de travail récurrentes avec les ministères ont été efficaces et ont perduré par- delà les élections et le changement d’équipe gouvernementale. Aujourd’hui, le processus de co-production est arrivé à maturité, après 18 mois d’échanges et de réflexion.
Le dispositif de subrogation n’est cependant pas encore techniquement validé par l’administration centrale, et cela malgré la mobilisation sur un temps long des deux principales fédérations représentatives du secteur, les travaux réalisés dans ce cadre avec la Fédération bancaire française et plusieurs organismes émetteurs de CESU, l’élaboration et la publication d’une étude prospective par le principal cabinet d’audit, spécialiste international du secteur des services, ou encore le dépôt par plus de cent cinquante parlementaires d’un amendement en faveur de la subrogation lors des débats d’adoption de la loi de Finances pour 2017 et de la loi de Financement de la sécurité sociale pour 2017, qui n’ont donc pas suffi pour emporter l’adhésion définitive de l’administration à la proposition.
C’est ici que les déclarations d’intention du nouveau président de la République et du nouveau Premier ministre peuvent peser de tout leur poids en favorisant la prise de décision au sein de l’appareil administratif. Une issue rapidement favorable au mécanisme de la subrogation encouragerait, dans d’autres secteurs, les acteurs privés à soutenir l’œuvre réformatrice des décideurs politiques dans une démarche comparable de co-construction. À ce stade, la réponse apportée par l’acteur public à l’initiative de la filière des services à la personne contribuera beaucoup à déterminer le niveau de mobilisation des forces vives de l’ensemble du secteur économique en appui au volontarisme réformiste affirmé par la nouvelle majorité. L’introduction du mécanisme de subrogation du crédit d’impôt dans le secteur des services à la personne marquerait ainsi une nouvelle ère dans la conception et la conduite de l’action publique.
Annexes
Les services à la personne : étude d’impact des dernières initiatives réglementaires et fiscales (cabinet Oliver Wyman, septembre 2015)
On trouvera reproduits ci-après des extraits de ce rapport. L’intégralité du rapport est disponible à l’adresse suivante :
http://www.oliverwyman.com/content/dam/oliver-wyman/global/en/2015/dec/Services%20
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Point juridique
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