Résumé

Introduction

I.

La qualité de l’eau

II.

La qualité de l’air

III.

La fertilité des sols

IV.

La biodiversité sauvage

V.

L’utilisation de l’espace terrestre

Conclusion

Artiste sur la couverture

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Résumé

L’un des arguments le plus souvent mobilisé par les adeptes de l’agriculture biologique pour justifier leur recours aux aliments issus de ce mode de production est son impact sur l’environnement, censé être meilleur que celui de l’agriculture dite conventionnelle. Alors que le marché du bio est en forte expansion et en sachant qu’aucun des critères de la certification bio n’a trait directement à des caractéristiques environnementales, il convient de s’interroger sur le bien-fondé de cet argument, et ce afin que les citoyens puissent choisir en connaissance de cause.

Cette étude s’appuie sur la recherche scientifique afin d’analyser l’impact différencié des agricultures biologique et conventionnelle sur divers compartiments de l’environnement, à savoir : l’eau, l’air, la fertilité des sols, la biodiversité sauvage et l’utilisation de l’espace terrestre. Les principaux indicateurs utilisés seront les teneurs en différents éléments « polluants » de l’eau et de l’air, l’impact sur la production de gaz à effet de serre, la teneur des sols en matière organique et en éléments fertilisant minéraux, l’abondance de différentes espèces formant la biodiversité et, enfin, les surfaces nécessaires pour une production agricole suffisante.

Bernard Le Buanec,

Membre de l’Académie d’agriculture de France et de l’Académie des technologies.

Notes

3.

Sur les évolutions de l’agriculture biologique en France, voir Gil Kressmann, Quel avenir pour l’agriculture et l’alimentation bio ?, Fondation pour l’innovation politique, mars 2021.

+ -

5.

Voir Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)-Organisation mondiale de la santé (OMS), Codex alimentarius. Aliments issus de l’agriculture biologique, 3e éd., 2007 ; p. 2.

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6.

Voir « Les chiffres clés de la Haute Valeur Environnementale (HVE) », agriculture.gouv.fr, 19 novembre 2020. 

+ -

8.

Alice Grémillet et Julien Fosse, « Les performances économiques et environnementales de l’agroécologie », France Stratégie, Document de travail n°2020-13, août 2020. 

+ -

9.

Agence Bio-Spirit Insight, « Baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France », dossier de presse, février 2020, p. 3. 

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10.

Pour une évaluation qualitative des produits issus de l’agriculture biologique, voir Léon Guéguen, Devrions-nous manger bio ?, Fondation pour l’innovation politique, mars 2021. 

+ -

11.

Ibid. 

+ -

Le concept d’agriculture biologique est né dans la première moitié du XXe siècle sous l’impulsion de Rudolf Steiner en Allemagne, d’Albert Howard au Royaume-Uni, de Maria et Hans Müller en Suisse, et de Masanobu Fukuoka au Japon. En France, l’agriculture biologique a émergé dans les années 1950 et s’est ensuite développée de façon plus significative à partir de 1980, année de la loi d’orientation agricole qui en a assuré la normalisation1. En 2008, le Grenelle de l’environnement a envoyé un message très favorable à l’agriculture biologique, qui a alors accéléré sa croissance. Ce message a ensuite été conforté par le programme Ambition Bio 2022, qui prévoit que 15% des surfaces agricoles françaises soient en bio en 20222. Ce programme a été présenté en juin 2018 par le ministre de l’Agriculture, à l’issue du grand conseil d’orientation de l’Agence Bio3.

En 2020, les surfaces certifiées bio représentaient en France 6,2% des surfaces cultivées et les surfaces en conversion 2,1%, soit un total de 8,3%, dont plus de la moitié sont des surfaces fourragères (utilisées pour l’alimentation des animaux d’élevage). On comptait 2,7% de surfaces cultivées bio et 1,6% de surfaces en conversion dans les céréales, 8,9 et 2,0% en fourragères, 6,9 et 0,9% en légumes frais, 17,4 et 8,3% en fruits et 8,6 et 5,5% en vignes4. Il est intéressant de noter que le Grenelle de l’environnement prévoyait 20% de bio en 2020. Les ambitions ont donc été nettement revues à la baisse dans le cadre d’Ambition Bio 2022 (visant 15% de bio), démontrant ainsi la difficulté du changement, en particulier dans le secteur des céréales. 

Le Codex alimentarius, édité par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), définit quant à lui l’agriculture biologique, de manière assez générale, comme une « gestion holistique de la production qui favorise la santé de l’écosystème, y compris la biodiversité, les cycles biologiques et l’activité biologique des sols5 ». 

Le premier cahier des charges de l’agriculture biologique a été défini par l’International Federation of Organic Agriculture Movement (Ifoam), une organisation non gouvernementale (ONG) créée en 1972 à l’initiative de l’association française Nature et Progrès. 

Aujourd’hui, la réglementation précise, en ce qui concerne les productions végétales, que les seuls critères obligatoirement vérifiés par les organismes de certification permettant l’utilisation du logo AB sont la non-utilisation des intrants issus de la chimie de synthèse et des organismes génétiquement modifiés (OGM), ainsi que l’utilisation de semences issues d’une production bio. Pour la production animale, la situation est plus complexe et les critères relatifs aux traitements sanitaires, à l’alimentation, au lien au sol et aux bâtiments d’élevage varient d’une espèce à une autre. Aucun de ces critères n’est directement lié à des caractéristiques environnementales telles que la biodiversité, la production de gaz à effet de serre ou la pollution des nappes phréatiques, pour n’en citer que quelques-unes. Les critères de certification de l’agriculture biologique sont des obligations de moyens, sans obligation de résultat tels que définis par le Codex alimentarius. Il existe néanmoins des certifications environnementales pour les productions agricoles qui ne se limitent pas à des obligations de moyens mais tiennent compte des résultats. Il s’agit en particulier de la certification environnementale, dont l’idée avait été évoquée lors du Grenelle de l’environnement. La Commission nationale de certification environnementale (CNCE) a été créée en 2011 pour la mise en oeuvre du dispositif. Cette certification comprend trois niveaux, dont le dernier est qualifié de « Haute valeur environnementale » (HVE)6, fondé sur des indicateurs de résultats relatifs à la biodiversité, à la stratégie phytosanitaire, à la gestion de la fertilisation et de l’irrigation. Le nombre d’exploitations certifiées augmente rapidement, le processus ayant été accéléré à partir des États généraux de l’alimentation en 2017. Entre janvier et juillet 2020, il est ainsi passé de 5.399 à 8.218 exploitations, soit une augmentation de 52% en six mois7. Une note récente de France Stratégie8 compare l’agriculture conventionnelle à d’autres systèmes agricoles, en particulier l’agriculture biologique et les systèmes à Haute valeur environnementale. Elle classe les systèmes HVE loin devant l’agriculture biologique en ce qui concerne les fonctionnalités écologiques. 

Lorsque l’on demande aux Français consommant bio au moins une fois par mois quelles sont les raisons qui les encouragent à se tourner vers le bio9, « préserver l’environnement » est la troisième raison la plus citée (45%), après « préserver sa santé » (59%) et « la qualité, le goût des produits » (51%)10. Près d’un tiers (34%) répondent « le bien-être des animaux »11. La certification agriculture biologique n’offrant pas de garantie de résultats sur ces critères, cela conduit à s’interroger sur les impacts effectifs de ce mode de production sur l’environnement. 

Il existe de plus en plus de travaux qui permettent d’évaluer l’impact des systèmes de production agricole sur l’environnement, en particulier l’impact de l’agriculture biologique comparé à celui de l’agriculture conventionnelle. Néanmoins, cette comparaison n’est pas toujours facile et pose des problèmes d’ordre méthodologique. D’une part, les résultats diffèrent en fonction de chaque système (arboriculture, maraîchage, viticulture, céréaliculture, élevage, etc.) ; d’autre part, il faudrait comparer des systèmes équivalents dans des milieux identiques, ce qui est rarement le cas. Il faudrait également étudier, pour chaque situation, une large diversité d’impacts : sur la qualité de l’eau, de l’air, sur les gaz à effet de serre, la fertilité du sol, la biodiversité et les paysages, sur l’utilisation de l’espace terrestre… Néanmoins, en dépit de ces difficultés méthodologiques, il est quand même possible de tirer certaines conclusions. La présente étude propose une revue des connaissances scientifiques en la matière, dans le but d’apporter des éléments factuels et de contribuer ainsi à démêler le vrai du faux au sujet de l’impact de l’agriculture biologique sur l’environnement, en ce qui concerne la qualité de l’eau, la qualité de l’air, la fertilité des sols, la biodiversité sauvage et l’utilisation de l’espace terrestre. 

I Partie

La qualité de l’eau

Notes

12.

L’effet des nitrates sur la santé fait actuellement débat. La norme de 50 mg de nitrates par litre d’eau potable est ancienne (2007). Elle a été fixée par précaution en se basant sur le risque éventuel pour les nourrissons et les femmes enceintes. Les nitrates en soi sont inoffensifs et, au contraire, ils peuvent être bénéfiques pour la santé ainsi que le montre le rapport récent « Impacts sur les cancers colorectaux de l’apport d’additifs nitrés (nitrates, nitrites, sel nitrité) dans les charcuteries », d’un groupe de travail de l’Académie d’agriculture de France de novembre 2020. 

+ -

13.

Voir Florence Hellec, « Revenir sur l’exemplarité de Vittel : formes et détours de l’écologisation d’un territoire agricole », Vertigo (revue en ligne), vol. 15, n° 1, mai 2015.

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14.

L’impluvium est l’ensemble des zones de captage des eaux permettant d’alimenter une source. 

+ -

15.

Bernard Le Buanec (dir.), Le tout bio est-il possible ? 90 clés pour comprendre l’agriculture biologique, Éditions Quæ, 2012, p. 148. 

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+ -

17.

Une culture intermédiaire piège à nitrates (CIPAN) est une culture temporaire de plantes à croissance rapide destinées à protéger les parcelles entre deux cultures de vente. Ces couverts sont obligatoires dans certaines régions ou zones à cause des risques de pollution des eaux par les nitrates. 

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18.

La lixiviation de l’azote, comme celle d’autre éléments minéraux du sol, est son entraînement par les eaux de pluies vers les nappes souterraines. 

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19.

Marie Benoit, op. cit., p. 125. 

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20.

Voir Hannah L. Tuomisto, Ian D. Hodge, Philip Riordan et David W. Macdonald, « Does organic farming reduce environmental impacts? A meta-analysis of European research », Journal of Environmental Management, vol. 112, 15 décembre 2012, p. 309-320. 

+ -

22.

Bernard Le Buanec (Dir.), L’agriculture face à ses défis techniques, l’apport des technologies, Presses des Mines, 2019, pp 187-188. 

+ -

23.

L’eutrophisation est le processus par lequel des nutriments s’accumulent dans un milieu ou un habitat terrestre ou aquatique. Il s’agit ici d’une eutrophisation par lixiviation. 

+ -

24.

Voir Christel Cedeberg et Berit Mattsson, « Life cycle assessment of milk production – a comparison of conventional and organic farming », Journal of Cleaner Production, vol. 8, n° 1, février 2000, p. 49-60. 

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25.

Voir Michael Clark et David Tilman, « Comparative analysis of environmental impacts of agricultural production systems, agricultural input efficiency, and food choice », Environmental Research Letters, vol. 12, n° 6, 064016, juin 2017.

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La qualité de l’eau est l’un des aspects qui a été le plus étudié, du fait des normes de qualité existantes pour les eaux de boisson. L’élément dont on parle le plus en ce qui concerne la pollution des eaux par l’agriculture est le nitrate. Cette pollution est due au lessivage de l’azote provenant de la fertilisation azotée ou de la minéralisation de la matière organique du sol. Une des différences essentielles entre l’agriculture biologique et conventionnelle est qu’en agriculture biologique, on n’apporte pas de l’azote minéral qui peut être facilement lessivé si de fortes pluies surviennent après l’épandage. L’excès d’azote dans les rivières et les eaux de captage peut avoir un effet négatif sur la santé12. D’autre part, il provoque en zones littorales la prolifération des algues vertes. 

Un cas emblématique de la lutte contre les fortes teneurs en nitrates dans l’eau est celui de l’eau de Vittel13. À partir de 1985, les dirigeants de Vittel s’inquiètent d’une augmentation du taux de nitrate dans leur eau, taux atteignant alors 8,8 mg/l (miligramme par litre). Dans la mesure où l’eau minérale doit avoir une teneur inférieure à 15 mg/l pour obtenir la mention « convient à l’alimentation des bébés », ils décident alors d’avoir une action sur les pratiques agricoles dans le périmètre de captage des eaux, d’une surface d’environ 5.000 hectares. 

L’augmentation de la teneur en nitrates était essentiellement due au développement rapide de la culture du maïs dans la région. Des contrats sont alors signés avec les différents agriculteurs ou des exploitations sont rachetées. Avec l’aide de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), un système de production agricole sans culture de maïs basé sur des normes de l’agriculture biologique est également mis en place. À présent, la teneur en nitrate de l’eau de Vittel est d’environ 4,5 mg/l, ce qui est la norme basse des teneurs des eaux dans les zones sans fertilisation (de 5 à 15 mg/l). L’agriculture biologique a ainsi connu un développement sensible sur l’impluvium14 de Vittel au tournant des années 2000, mais a ensuite reculé. Sept éleveurs sont passés en agriculture biologique après avoir contractualisé avec Vittel, bénéficiant par ailleurs, pour leur conversion, d’aides publiques proposées à partir de la fin des années 1990 sur des financements dans le cadre de la politique agricole commune ou des financements nationaux, voire régionaux dans certains cas. Mais, pour différentes raisons (problèmes de santé des animaux ou manque de structuration de la filière laitière biologique vosgienne à l’époque), trois d’entre eux sont retournés à l’agriculture conventionnelle. En 2011, il restait quatre élevages laitiers biologiques (trois sur le périmètre de captage de Vittel et un autre sur celui de Contrexéville), auxquels s’ajoute une petite ferme multi-activités. Quelques nouvelles conversions ont alors été envisagées. Finalement, la présence de l’agriculture biologique sur l’impluvium de Vittel-Contrex est équivalente à celle de l’ensemble du département des Vosges. Cette constatation correspond à ce que le groupe de travail spécialisé de l’Académie d’agriculture de France publiait en 2012 : « Ce résultat aurait été vraisemblablement obtenu en système herbager conventionnel15. » On peut conclure de cette expérience à l’échelle d’une zone de captage que les principes de l’agriculture biologique font diminuer sensiblement le lessivage de l’azote mais qu’un système herbager conventionnel bien conduit peut obtenir les mêmes résultats. 

Les analyses à l’échelle d’un bassin-versant ou d’une zone de captage sont toujours imprécises car il est difficile d’isoler l’effet d’une technique particulière. Plusieurs études ont été faites au niveau de la parcelle. Par l’installation de bougies poreuses dans 83 parcelles en agriculture biologique et 39 autres en agriculture conventionnelle, l’une de ces études a notamment permis de différencier les cultures et pratiques au sein des rotations en termes de fuites de nitrates (NO3) vers les aquifères16. 

Les concentrations observées en azote sont ainsi minimales pour la luzerne et les cultures pièges à nitrate17, maximales pour les blés semés après légumineuses. Cette pratique étant courante en agriculture biologique, elle présente donc un risque important. À l’échelle des rotations, ces concentrations converties en flux vers les nappes aboutissent à des quantités d’azote lixivié18 variant de 5,6 à 25 kg d’azote par hectare en agriculture biologique et de 2,3 à 51,7 kg d’azote par hectare en agriculture conventionnelle19. Si l’on raisonne par surface, l’avantage est donc clairement à l’agriculture biologique, avec un risque maximum de 25 kg, contre 51,7 en agriculture conventionnelle. En revanche, dans la mesure où les rendements sur grandes cultures sont de l’ordre de 50% inférieurs en agriculture biologique par rapport à l’agriculture conventionnelle, les résultats par unité de production sont similaires, soit 25 kg par hectare. En 2012, des chercheurs ont publié des résultats allant dans le même sens, indiquant un lessivage d’azote inférieur de 31% en agriculture biologique comparé à l’agriculture conventionnelle par unité de surface, mais supérieur de 49% par unité de produit20. En cultures maraîchères, afin d’assurer une bonne productivité, l’agriculture biologique utilise en général de fortes quantités de fumier de ferme. Ce fumier de ferme se minéralise en produisant, entre autres substances, de l’azote minéral. Si, au moment de cette minéralisation, les besoins de la culture sont bas en raison d’un faible développement, alors il y a un risque de fuite d’azote important lorsque de forts pics de minéralisation ont lieu à des périodes où la demande pour la croissance des plantes est faible. Ce problème de synchronisation entre les besoins des cultures et la minéralisation de la matière organique se rencontre également lors du retournement de légumineuses fourragères, qui libère une quantité importante d’azote, difficile à valoriser dans son entièreté par la culture suivante. Cette situation est plus fréquente en agriculture biologique qu’en agriculture conventionnelle. 

Un autre paramètre fréquemment utilisé concernant la qualité des eaux est la teneur en résidus de produits phytopharmaceutiques ou en leurs produits de dégradation. Il faut noter que sur les quinze produits retrouvés le plus fréquemment en 2013, onze ne sont plus utilisés de nos jours21. 

Par exemple, on trouve toujours des résidus d’atrazine, produit dont l’utilisation est interdite en France depuis 1981. Le risque de contamination des eaux de surface et des nappes phréatiques est moindre en agriculture biologique qu’en agriculture conventionnelle. En effet, les herbicides et pesticides utilisés en agriculture biologique ont en général une meilleure biodégradabilité. En ce qui concerne les fongicides utilisés en agriculture biologique, seules les bouillies à base de cuivre sont des produits persistants mais on n’a jamais signalé de contaminations des eaux par ces bouillies alors qu’elles sont utilisées à fortes doses dans certains cas. Toutefois, ce contaminant potentiel n’est généralement pas recherché par les organismes de contrôle. Si l’on considère les anciennes pratiques agricoles, l’agriculture biologique était moins susceptible de provoquer une contamination des eaux de surface et souterraines par les résidus de pesticides. Aujourd’hui, cet avantage diminue du fait des progrès faits dans le domaine du machinisme agricole, permettant de limiter la dispersion des produits dans l’environnement et de diminuer les quantités épandues en visant les zones précises dans les parcelles22. 

Sur un plan plus général, une étude suédoise montre qu’en production laitière, l’eutrophisation23 par unité produite, prenant en compte les NOx (groupe de gaz contenant de l’azote et de l’oxygène), l’ammoniaque, les nitrates et les phosphates, est légèrement supérieure en agriculture biologique24. Ceci est essentiellement dû à la quantité de nitrates liée à la nutrition animale. Les fermes en agriculture biologique utilisent une grande quantité de pois, provoquant du lessivage d’azote alors que les fermes en agriculture conventionnelle utilisent des aliments concentrés qui causent moins de lessivage. Cette légère supériorité de l’eutrophisation des nappes en production laitière biologique a été confirmée, toutes productions agricoles confondues, par une méta-analyse de 2017, portant sur 742 systèmes agricoles et 90 aliments25. 

II Partie

La qualité de l’air

Notes

26.

Voir Benoît Sauphanor et al., « Protection phytosanitaire et biodiversité en agriculture biologique. Le cas des vergers de pommiers », Innovations agronomiques, vol. 4, janvier 2009, p. 217-228. 

+ -

27.

Voir Jean-Luc Bochu, « Synthèse 2006 des bilans Planète. Consommation d’énergie et émissions des GES des exploitations agricoles ayant réalisé un bilan Planète », étude réalisée pour le compte de l’Ademe par Solagro, mars 2007. Une synthèse de ces résultats a été présentée lors d’un colloque « Agriculture biologique et changement climatique » les 17 et 18 avril 2008 à Clermont-Ferrand (Jean-Luc Bochu et Bernadette Risoud, « Consommation d’énergie et émissions de GES des exploitations en agriculture biologique : synthèse des résultats Planète 2006 », avril 2008.

+ -

28.

Voir Christel Cedeberg et Berit Mattsson, art. cit. 

+ -

30.

Voir Arthur Riedacke, « Reconsidering Approaches for Land Use to Mitigate Climate Change and to Promote Sustainable Development », in Velma I. Grover (dir.), Global Warming and Climate Change. Ten Years after Kyoto and Still Counting, Science Publishers, vol. I, 2008, p. 387-424. 

+ -

31.

Voir Laurence G. Smith, Guy J.D. Kirk, Philip J. Jones et Adrian G. Williams, « The greenhouse gas impacts of converting food production in England and Wales to organic methods », Nature Communications (revue en ligne), n° 10, article 4641, octobre 2019.

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32.

Arvalis – Institut du végétal est un organisme de recherche appliquée agricole dédié aux grandes cultures : céréales à paille, maïs, sorgho, pommes de terre, fourrages, lin fibre et tabac. Créé par des agriculteurs, il mobilise son expertise pour l’émergence de systèmes de production conciliant compétitivité économique, adaptation aux marchés et environnement. Il place l’innovation technologique comme outil majeur pour que les producteurs et les entreprises des filières puissent répondre aux enjeux de société. 

+ -

33.

Delphine Bouttet, Patrick Retaureau et Anne-Laure Touper de Cordoue, « Essai système Bio de Boigneville, onze ans de références techniques », Perspectives agricoles n°486, mars 2021, pp. 34-37. 

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34.

Michael Clark et David Tilman, art. cit. 

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35.

Présentation Arvalis au symposium des commissions nationales, Paris, 15-16 janvier 2020. Agrybalise est un programme scientifique lancé en 2010 par l’Ademe avec quatorze partenaires de la recherche et des instituts techniques agricoles. Il permet aujourd’hui de mettre à disposition un inventaire de cycle de vie des produits agricoles (ICV) afin d’évaluer leur impact environnemental.

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Il existe peu d’études sur les impacts comparés de l’agriculture biologique et de l’agriculture conventionnelle relatives à la qualité de l’air car les parcelles biologiques sont encore très minoritaires, représentant moins de 10% des surfaces agricoles, et réparties sur le territoire. Il est ainsi difficile d’arriver à une conclusion. Un cas particulier peut toutefois être cité. En arboriculture fruitière, une étude a été menée afin de comparer le nombre de traitements entre des vergers de pommiers en agriculture biologique et en agriculture conventionnelle, ainsi que les quantités de matière active utilisée26. En agriculture conventionnelle, il y a eu en moyenne 17 passages de pulvérisateur pour une quantité épandue de 37 kg/ha de matière active, contre 24 passages et 92 kg/ha en agriculture biologique. Cela implique que la quantité de produit épandue dans l’air est nettement supérieure en agriculture biologique. Il est vraisemblable que l’on trouverait des résultats analogues en viticulture et en maraîchage. En revanche, il est probable que le résultat serait inversé en grande culture (céréales, oléagineux et protéagineux) car, dans ce cas, le besoin en produits phytosanitaires est beaucoup plus faible. 

S’agissant des gaz à effet de serre, une grande étude a été effectuée en 2006, sur 948 exploitations27. Cette étude montre tout d’abord une très grande dispersion des résultats en fonction des exploitations, que ce soit en agriculture biologique ou en agriculture conventionnelle. En moyenne, en grande culture, par tonne de matière sèche produite, la production de gaz à effet de serre est plus forte en agriculture conventionnelle qu’en agriculture biologique : 0,744 contre 0,444 teqCO2/tMS (tonne équivalent CO2/tonne de matière sèche). Cette différence est due à la non-utilisation en agriculture biologique d’engrais minéraux (azote, par exemple), consommateurs d’énergie. 

En production bovins-lait, la production de gaz à effet de serre est souvent plus forte en agriculture biologique qu’en agriculture conventionnelle, du fait d’une moindre productivité à l’hectare. L’étude suédoise déjà citée plus haut indique un très léger avantage par unité de production en agriculture biologique, de l’ordre de 10% de moins d’émissions de gaz à effet de serre par unité de production28. En production porcine, une étude montre que l’empreinte carbone calculée à partir d’une analyse du cycle de vie est estimée entre 3,5 et 3,7 kg d’équivalent carbone par kilo de viande produite en agriculture conventionnelle et entre 4 et 5 kg en agriculture biologique29. Les auteurs indiquent qu’en plus de la compétition pour l’utilisation des sols et la biodiversité (voir partie IV), la production de porc bio a aussi un impact plus important sur la production de gaz à effet de serre. 

Si l’on revient aux grandes cultures, l’analyse au niveau de la production montre un avantage à l’agriculture biologique. Il s’agit cependant de ce qu’Arthur Riedacker, qui a contribué au rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ayant eu le prix Nobel de la Paix en 2007, appelle une approche statique, qui ne tient pas compte de l’intensité d’utilisation territoriale30. Selon lui, il faudrait avoir une approche dynamique. En France, dans le cas du blé, le rendement en agriculture biologique est de l’ordre de 50% inférieur à celui en agriculture conventionnelle. Actuellement, l’impact de cette diminution de rendement est faible car les surfaces en céréales en agriculture biologique représentent moins de 5% des surfaces consacrées à ces cultures. Pour maintenir le niveau de production, il faudrait pour chaque hectare de culture bio défricher un hectare de prairie ou de forêt, soit un coût de 200 tonnes de CO2 par hectare supplémentaire. Cela provoquerait donc une augmentation massive des émissions de CO2 dans l’atmosphère. Sur cinquante ans, cela représente 4.000 kg eqCO2 (équivalent CO2) par hectare ou 114 kg eqCO2 par tonne. Une approche similaire est développée dans une étude sur le cas britannique démontrant qu’une conversion en agriculture biologique de la totalité de l’agriculture en Angleterre et au Pays de Galles provoquerait une chute d’environ 64% de la production31. Selon les auteurs, cette chute serait due à des rendements inférieurs ainsi qu’à une augmentation des surfaces du fait de la nécessité d’introduire dans la rotation des légumineuses fixatrices d’azote. 

Ce constat sur l’augmentation des surfaces pour produire un hectare de blé est cohérent avec les résultats de la ferme bio Arvalis32, à Boigneville (Essonne), où la rotation ne cesse de s’allonger. Elle est passée en 2019-2020 à dix ans pour trois années de blé contre huit ans pour la période 2015-2019 et six ans pour deux années de blé en 2009-201433. Afin d’assurer l’alimentation de la population, il faudrait selon l’étude sur le Royaume-Uni importer des produits de l’étranger, provoquant des défrichements dans des pays où la productivité à l’hectare est souvent faible. Les auteurs d’une méta-analyse déjà citée affirment, quant à eux, qu’il n’y a pas de différences significatives entre l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle en ce qui concerne la production de gaz à effet de serre34. 

Un autre élément est cependant à prendre en compte. Au-delà d’une source de gaz à effet de serre, les cultures sont également des pompes à carbone. En effet, pour croître, les plantes captent le gaz carbonique de l’air grâce à la photosynthèse. Le carbone est ainsi stocké dans la matière végétale. Or, d’une manière générale, les cultures en agriculture biologique ont une moindre productivité que les cultures en agriculture conventionnelle, ce qui entraîne une fixation de carbone nettement plus faible. Une étude d’Arvalis fondée sur des sources d’Agribalyse montre dans l’exemple étudié, sur le blé, que le bilan net est de 7 t eqCO2 captées par hectare par an pour le bio et de 18 t eqCO2 pour le conventionnel35. 

III Partie

La fertilité des sols

Notes

36.

Voir Andreas Gattinger et al., « Enhanced top soil carbon stocks under organic farming », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS), vol. 109, n° 44, 30 octobre 2012. 

+ -

37.

Voir Hannah L. Tuomisto, Ian D. Hodge, Philip Riordan et David W. Macdonald, art. cit. 

+ -

38.

Voir Laurence G. Smith, Guy J.D. Kirk, Philip J. Jones et Adrian G. Williams, art. cit.

+ -

39.

Paul Gosling et Mark Anthony Shepherd, « Long-term changes in soil fertility in organic arable farming systems in England, with particular reference to phosphorus and potassium », Agriculture, Ecosystems & Environment, vol. 105, n° 1-2, janvier 2005, p. 425-432. 

+ -

40.

Voir « Autour de la ferme de Claude Monnier, une exploitation productive durable », séance hebdomadaire publique de l’Académie d’agriculture de France, 28 janvier 2015.

+ -

La teneur en matière organique des sols en agriculture biologique est en général supérieure à celle des sols en agriculture conventionnelle. Une étude de 2012 indique que les stocks de carbone organique des sols en agriculture biologique sont de 37,4 t/ha (tonnes par hectare) contre 26,7 t/ha en agriculture conventionnelle36. Les chercheurs d’une autre étude de la même année trouvent de leur côté une supériorité de 7% de matière organique en moyenne37, nettement inférieure aux chiffres de la première étude (ils considèrent d’ailleurs que ses résultats sur la séquestration de carbone dans les sols sont surestimés) et d’une autre étude de 201938. Quoi qu’il en soit, on peut estimer que les taux de matière organique dans les sols en agriculture biologique sont actuellement plus élevés qu’en agriculture conventionnelle. Cette supériorité est liée aux apports d’engrais organiques pour éviter les carences en éléments fertilisants, tout particulièrement en azote. Les cultures d’engrais verts et l’augmentation des légumineuses comme la luzerne dans la rotation peuvent également expliquer cette situation. 

Il faut cependant noter que la quantité de fumier de ferme disponible devient de plus en plus limitante et que cette fertilisation organique correspond en fait à un transfert de fertilité des parcelles où la paille est récoltée vers celles où l’on épand le fumier. On se trouve ici dans la situation décrite pour les puits de carbone. La production étant inférieure en agriculture biologique, la quantité de matière organique à inclure y est plus faible. 

Comme on l’apprenait aux élèves de l’école AgroParisTech dans les années 1960, c’est la fertilisation minérale qui fait la matière organique. Cette situation est bien illustrée par l’évolution de la ferme de Baillette (voir encadré ci-dessous). Les données dont on dispose sur une période particulièrement longue sur l’évolution des sols de cette ferme sont intéressantes : de 1936 à 1971, la teneur en matière organique des sols a diminué de 2 à 1,5%, dans le cadre d’une agriculture diversifiée. À partir des années 1980, l’assolement a été simplifié avec une rotation blé-colza. Au milieu des années 1980, les pailles de blé, d’un rendement moyen de 80 q/ha, ont été enfouies. De 1986 à 2011, le taux de matière organique du sol est passé de 1,5 à 2%. Ceci est cohérent avec les remarques de Gosling et Sheperd39 qui ont observé des teneurs plus faibles en matière organique en agriculture biologique du fait des rendements moindres et donc des résidus de récolte et de système racinaire plus faibles qu’en agriculture conventionnelle. 

La ferme de Baillette* 

La ferme de Baillette est une exploitation agricole d’Eure-et-Loir qui a été gérée de 1945 à 2017 par le même agriculteur, Claude Monnier, ingénieur agronome et membre de l’Académie d’agriculture de France à partir de 1974. Cette exploitation a donc connu l’évolution de l’agriculture durant soixante-douze ans. Fait rare, Claude Monnier a conservé dans ses archives toutes les données techniques et économiques sur cette longue période, ce qui permet en particulier de connaître l’évolution des rendements et des sols. Les résultats montrent que dans cette exploitation, conduite de façon dite « intensive » sur cette longue période, il y a eu une augmentation régulière des rendements sans dégradation des sols. 

* Voir « Autour de la ferme de Claude Monnier, une exploitation productive durable », séance hebdomadaire publique de l’Académie d’agriculture de France, 28 janvier 2015. 

 

La même étude s’est penchée sur la situation du phosphore et du potassium et conclut que les teneurs en phosphore et en potassium extractibles sont significativement plus faibles dans les parcelles conduites en agriculture biologique comparées à celles en agriculture conventionnelle. Cette différence est d’autant plus nette que les parcelles étudiées ont été conduites en agriculture biologique depuis plus longtemps. Cet appauvrissement est constaté par de nombreux autres auteurs et, en France, selon les techniciens d’Arvalis, la carence en phosphore commence à avoir un impact sur les rendements40. Cette situation n’est pas surprenante car la fertilisation en phosphore et potassium ne compense pas les exportations par les récoltes. En effet, la fertilisation comprend deux stades : tout d’abord une fertilisation de correction en cas de carence avérée puis une fertilisation d’entretien pour compenser les exportations des minéraux par les récoltes. Cette fertilisation d’entretien est souvent insuffisante en agriculture biologique qui, dans de nombreux cas, profite des fortes quantités de phosphore et de potassium apportées par les agriculteurs durant les Trente Glorieuses. 

Enfin, il arrive qu’il y ait en agriculture biologique des carences d’azote minéral à certains stades de la culture, en particulier au printemps. L’azote minéral, dans ce système de culture, provient en effet de la minéralisation de la matière organique. Au printemps, la minéralisation démarre trop tard en raison du froid et les cultures d’hiver, comme le blé et l’orge, sont donc très carencées, d’où les fortes chutes de rendement. Ces carences en éléments minéraux expliquent la faiblesse des rendements obtenus en agriculture biologique, faiblesse accentuée par de plus grandes pertes de récoltes résultant d’une protection sanitaire souvent insuffisante (voir infra). 

IV Partie

La biodiversité sauvage

Notes

41.

Voir Janne Bengtsson, Johan Ahnström et Ann-Christin Weibull, « The effects of organic agriculture on biodiversity and abundance: a meta-analysis », Journal of Applied Ecology, vol. 42, n° 2, avril 2005, p. 261-269. 

+ -

42.

Voir David G. Hole et al., « Does organic farming benefit biodiversity? », Biological Conservation, vol. 122, n° 1, mars 2005, p. 113-130.

+ -

43.

Manuel K. Schneider et al., « Gains to species diversity in organically farmed fields are not propagated at farm level », Nature Communications (revue en ligne), n° 5, article 4151, juin 2014. 

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Comme pour les autres aspects de l’impact de l’agriculture biologique sur l’environnement, de nombreuses études ont été publiées concernant la biodiversité, avec des résultats contradictoires. Dans la majorité des cas, on note cependant une augmentation de la biodiversité dans les parcelles conduites en agriculture biologique. Ainsi, une méta-analyse souvent citée indique qu’à l’intérieur des parcelles, si l’on prend en compte le nombre d’espèces animales et végétales présentes, il y a un gain de biodiversité de 30% en agriculture biologique comparée à l’agriculture conventionnelle, avec toutefois une très grande variabilité selon les espèces et les sites41. En termes d’individus comptabilisés, l’augmentation en agriculture biologique est de 50%. Cette étude ne tient cependant pas compte des différents types d’agricultures conventionnelles dans les comparaisons. Une revue de la littérature publiée entre 1981 et 2003 montrait que l’agriculture biologique avait en général un effet positif sur de nombreuses espèces42. En revanche, elle concluait qu’il était possible qu’une agriculture conventionnelle avec des pratiques spécifiques de conservation de la biodiversité présente un bénéfice supérieur à celui de l’agriculture biologique (voir supra la remarque sur la définition de l’agriculture biologique et le développement d’agricultures avec des certifications de Haute valeur environnementale). 

Une étude de 2014 confirme cette diversité d’espèces supérieure en agriculture biologique, qui serait de 10,5% en moyenne et pourrait atteindre 45% lorsqu’elle est comparée avec une agriculture conventionnelle très intensive43. Elle montre néanmoins que cette richesse supérieure à l’échelle de la parcelle n’est transmise de façon efficace ni à l’échelle de la ferme, avec un gain marginal de 4,6%, ni à l’échelle régionale avec un gain de 3,1%. En fait, l’effet de l’agriculture biologique sur la biodiversité est bien plus faible que celui du mode de gestion des espaces naturels intercalaires tels que les haies ou les bandes enherbées. 

V Partie

L’utilisation de l’espace terrestre

Notes

44.

Voir Tomek de Ponti, Bert Rijk et Martin K. van Ittersum, « The crop yield gap between organic and conventional agriculture », Agricultural Systems, vol. 108, avril 2012, pp 1-9 ; Verena Seufert, Navin Ramankutty et Jonathan A. Foley, « Comparing the yields of organic and conventional agriculture », Nature, vol. 485, n° 7397, 10 mai 2012, pp 229-232 ; Andrew R. Kniss, Steven D. Savage et Randa Jabbour, « Commercial Crop Yields Reveal Strengths and Weaknesses for Organic Agriculture in the United States », Plos One, vol. 11, n° 8, e0161673, août 2016 ; Claire Lesur-Dumoulin, Éric Malézieux, Tamara Ben Ari, Christian Langlais et David Makowski, « Lower average yields but similar yield variability in organic versus conventional horticulture. A meta-analysis », Agronomy for Sustainable Development, vol. 37, n°5, article 45, octobre 2017.

+ -

45.

Voir Allison Loconto, Marion Desquilbet, Théo Moreau, Denis Couvet et Bruno Dorin, « The land sparing-land sharing controversy: Tracing the politics of knowledge », Land Use Policy, vol. 96, Article 103610, juillet 2020. 

+ -

46.

Voir Rhys E. Green, Stephen J. Cornell, Jörn P.W. Scharlemann et Andrew Balmford, « Farming and the Fate of Wild Nature », Science, vol. 307, n° 5709, 28 janvier 2005, p. 550-555. 

+ -

47.

Voir Elizabeth A. Law et Kerrie A. Wilson, « Providing context for the land-sharing and land-sparing debate », Conservations Letters, vol. 8, n° 6, avril 2015, p. 404-413.

+ -

Comme nous l’avons vu, la productivité agricole est en général plus faible en agriculture biologique. De nombreuses méta-analyses ont été faites sur ce sujet et toutes, à des degrés divers, concluent que les rendements en agriculture biologique sont sensiblement inférieurs à ceux en agriculture conventionnelle, avec des différences notables entre espèces44. En moyenne, tous espèces et pays confondus, la perte de rendement en agriculture biologique est de 20 à 30% avec des variations allant de seulement quelques pourcents pour des légumineuses comme le soja à 50% pour les pertes les plus fortes telles que pour le blé en France. La différence de rendement est encore plus élevée quand on prend en compte une agriculture conventionnelle très productive, telle qu’on la trouve dans les pays industrialisés. L’hypothèse, avancée par certains auteurs, selon laquelle ces différences pourraient s’amoindrir après une longue période en agriculture biologique est peu probable du fait de l’appauvrissement des sols en éléments minéraux essentiels (voir partie III). Il pourrait y avoir une exception pour les cultures maraîchères qui reçoivent une forte fumure organique, sans toutefois que les rendements atteignent ceux de l’agriculture conventionnelle, la protection phytosanitaire en agriculture biologique étant souvent insuffisante. 

Cette situation a amené plusieurs chercheurs à s’interroger sur la réponse adaptée pour faire face à la demande croissante de la production agricole pour nourrir une population mondiale en expansion tout en préservant les sols et la biodiversité. Vaut-il mieux avoir une agriculture diversifiée au niveau de la parcelle avec souvent une faible productivité ou une agriculture intensive à forte productivité ? Dès le développement de la révolution verte en Inde, Norman Borlaug, prix Nobel de la paix 1970, considérait que l’augmentation des rendements permettait d’économiser des surfaces non agricoles. Cette analyse très largement partagée mais parfois contestée45, en particulier quand les marchés agricoles sont pris en compte, est connue sous le nom d’hypothèse de Borlaug ou hypothèse du land sparing. 

Concernant la comparaison entre ce que l’on pourrait assimiler à l’agriculture biologique (wildlife friendly farming) et l’agriculture conventionnelle intensive (land sparing), un article pionnier, publié en 2005, concluait qu’une agriculture intensive permet à plus d’espèces de subsister, en particulier dans les pays en développement46. Cet article notait également que l’économie de surfaces cultivées grâce à l’agriculture intensive serait positive dans les régions ayant une longue histoire agricole. Une étude plus récente considère également que le land sparing est globalement une meilleure stratégie dans les sols à forte proportion de terres cultivées47. Cette étude note cependant que les conclusions dépendent de nombreux critères et que les généralisations des résultats doivent être faites avec prudence et qu’il faut tenir compte des diverses décisions politiques plus complexes qu’un simple schéma dichotomique land sharing-land sparing. 

Pour faire une comparaison plus simple, il est possible de se situer dans un pays pour lequel il y a des comparaisons de rendements sur de grandes surfaces. C’est le cas de la France, pour laquelle l’Inra documente les différences de rendements entre agriculture biologique et agriculture conventionnelle (voir tableau ci-dessous). 

Ratios du rendement agriculture biologique/agriculture conventionnelle dans l’Hexagone pour quelques productions végétales, à partir de différentes sources nationales 

Source :

Hervé Guyomard (dir.), Vers des agricultures à hautes performances, vol. 1, « Analyse des performances de l’agriculture biologique », Inra, 2013, p. 21-40 ; Jean-Pierre Butault et al., Écophyto R&D. Quelles voies pour réduire l’usage des pesticides ? Synthèse du rapport d’étude, Inra, janvier 2010.

* Ratios calculés en rapportant les rendements moyens en agriculture biologique fournis par FranceAgriMer aux rendements moyens en agriculture conventionnelle établis par Agreste, années 2011 et 2012.

** Ratios évalués par les experts de l’étude Ecophyto R&D sur la base de la littérature complétée par leur expertise propre, sans référence à une année précise.

*** Moyennes calculées par Bernard Le Buanec.

Grille de lecture : La comparaison de l’agriculture biologique et conventionnelle sera le plus souvent menée en rapportant le rendement en agriculture biologique au rendement en agriculture conventionnelle. Est ainsi défini un rendement relatif agriculture biologique/agriculture conventionnelle : plus ce ratio est élevé, plus le rendement en agriculture biologique est proche du rendement en agriculture conventionnelle retenu comme base de comparaison. Le ratio de rendement agriculture biologique/ agriculture conventionnelle pour le blé tendre est de 0,45 en moyenne sur les trois études considérées.

Note : Ces données françaises correspondent à des ordres de grandeur généralement trouvés dans la littérature.

Notes

48.

Voir Bernard Le Buanec, « Évolution de l’amélioration des plantes et de la protection des variétés végétales », UPOV, Colloque sur la sélection végétale pour l’avenir, 21 octobre 2011, Genève, Suisse, pp. 12- 22. 

+ -

49.

Il n’est pas possible de dissocier rendement et qualité visuelle dans le cas des fruits et légumes. Les seuls chiffres de rendement disponibles portent sur le rendement commercialisable, c’est-à-dire la fraction de la production qui respecte les normes, standards et/ou exigences de commercialisation. L’importance de défauts visuels, proportionnellement plus grande en agriculture biologique qu’en agriculture conventionnelle, contribue à diminuer la performance productive quantitative des fruits et légumes en agriculture biologique relativement à l’agriculture conventionnelle. Les défauts visuels ne sont pas ou seulement très difficilement acceptés par l’aval des exploitations.

+ -

L’application des coefficients pour les principales grandes cultures françaises (blé, orge, maïs, colza), qui couvrent en moyenne 9,5 millions d’hectares, montre que pour maintenir le niveau de production actuel, il faudrait augmenter les surfaces cultivées de l’ordre de 10 millions d’hectares, à prendre sur les surfaces boisées, sur les surfaces en herbe ou sur les zones humides. Ce chiffre est considérable si on le compare à la surface des forêts en France : 17 millions d’hectares. Une analyse historique montre que la surface forestière en France a évolué en fonction de la population et de la productivité agricole. Avec l’augmentation de la population, la surface en forêts est passée de 90% au néolithique à environ 15% en 1850, date à laquelle le rendement en blé était de 10 q/ha (quintal par hectare)48. Avec le début de la révolution agricole, les rendements ont alors commencé à croître pour atteindre 20 q/ha en 1950 et 75 q/ha en 2000. L’intensité territoriale pour produire un quintal de blé a été divisée par 3,5. Depuis 1850, la surface en forêt a commencé à croître. Une forte augmentation de l’agriculture biologique pourrait inverser la tendance. 

L’étude de l’Inra mentionnée en source dans notre tableau donne également le ratio agriculture biologique/agriculture conventionnelle concernant les fruits et légumes commercialisables, c’est-à-dire en ne prenant en compte que les productions respectant les normes et standards et/ou exigences de commercialisation49. Les ratios obtenus, à interpréter avec prudence du fait de la très grande variabilité des conditions de production, sont les suivants : 0,5 pour les pommes et les pêches, 0,7 pour la carotte, de 0,5 à 0,7 pour le haricot, 0,75 pour la laitue sous abri et de 0,75 à 0,8 pour le melon. Bien que les surfaces consacrées à ces cultures soient beaucoup plus faibles par rapport à d’autres types de cultures, 200.000 hectares pour les légumes et 120.000 hectares pour les vergers, la diminution des rendements provoquerait également une augmentation des surfaces cultivées pour un maintien de la production. 

Ces réflexions sur les conséquences des diminutions de rendements en agriculture biologique se font à besoin égal de production, soit pour la consommation intérieure, soit pour l’exportation. Il serait possible de limiter cette demande en diminuant le gaspillage ou les exportations, mais cela implique de nouvelles questions dépassant l’objet de la présente étude : à quel niveau serait-il possible d’abaisser le gaspillage ? Avons-nous un devoir moral de produire pour des pays qui sont dans l’impossibilité de produire leur consommation nationale ? Ou encore, quel est l’intérêt de nos exportations pour l’équilibre de notre balance commerciale ? 

Notes

50.

lippe Viaux, « Agriculture biologique et ressources naturelles : pas si simple ! », Agronomie, Environnement & Sociétés (revue en ligne), vol. 6, n° 1, juin 2016, p. 94. 

+ -

51.

Il peut y avoir des exceptions en fonction des régions et de types de production. 

+ -

52.

Cité in « Environmental impacts of Farming », thoughtscapism.com, 21 juillet 2016. 

+ -

53.

OCDE-FAO, Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2019-2028, Éditions OCDE, juillet 2019, p. 3.

+ -

54.

Michel Griffon, « Que peut-être l’apport des biotechnologies végétales à l’agriculture durable des pays en développement ? », in Agnès Ricroch, Yvette Dattée et Marx Fellous, (dir.), Biotechnologies végétales. environnement, alimentation, santé , Vuibert, 2011, p. 239. 

+ -

55.

Voir Gil Kressmann, op. cit. 

+ -

56.

Voir Philippe Viaux, Systèmes intégrés : une troisième voie en grande culture, Éditions France Agricole, 2e éd., 2013. 

+ -

57.

Voir Michel Griffon, Qu’est-ce que l’agriculture écologiquement intensive ?, Éditions Quæ, 2013.

+ -

Les impacts de l’agriculture biologique sur l’environnement, notamment en comparaison avec l’agriculture conventionnelle, suscitent des interrogations depuis de nombreuses années. Des centaines d’études ont été publiées sur le sujet et plusieurs méta-analyses permettent de se faire une opinion raisonnée. 

Il ressort de ces analyses que la situation n’est pas simple et qu’il est difficile de faire des comparaisons précises tant les conditions sont variables aussi bien à l’intérieur d’un pays que d’un pays à l’autre. En effet, les pratiques en agriculture biologique sont très diverses, avec dans certains cas un simple respect des bases du cahier des charges (pas de produits chimiques de synthèse et pas d’OGM) de la part d’agriculteurs que l’on peut qualifier de « bio intensifs » et, dans d’autres cas, une approche plus holistique de la part d’agriculteurs que l’on peut qualifier de « bioéthique50 ». La mise en oeuvre de l’agriculture conventionnelle est également très variable, de l’agriculture de conservation aux agricultures à Haute valeur environnementale. 

Malgré les réserves précédentes, il apparaît toutefois que, si l’on raisonne à l’échelle de l’hectare, l’agriculture biologique est en général51 plus vertueuse au regard de la plupart des critères environnementaux, notamment la contamination des eaux souterraines, la production des gaz à effet de serre, la biodiversité au niveau de la parcelle et la teneur en matière organique des sols mais moins vertueuse pour d’autres, en particulier la fertilité minérale des sols. En revanche, si l’on raisonne par quantité produite, du fait d’une meilleure productivité par unité de surface, l’impact de l’agriculture conventionnelle est meilleur pour l’environnement dans la majorité des cas, comme le confirme sans ambiguïté un rapport de 2016 de la Svenska Livsmedelsverket (« Administration suédoise de l’alimentation »)52. 

La limite essentielle de l’agriculture biologique est sa faible productivité comparée à l’agriculture conventionnelle. En effet, malgré les gains possibles sur le gaspillage et l’évolution des habitudes alimentaires, la demande mondiale pour les produits agricoles devrait augmenter de 15% d’ici à 2028, selon un rapport conjoint de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la FAO53. 

La généralisation de l’agriculture biologique n’est donc pas réaliste car elle nécessiterait une très forte augmentation des terres cultivées, provoquant de ce fait une forte augmentation des gaz à effet de serre et une perte de la biodiversité sauvage. Comme l’écrivait déjà Michel Griffon en 2014 : « Avec les techniques actuellement disponibles l’agriculture biologique n’est donc pas en mesure de faire face aux objectifs considérables calculés pour nourrir la population planétaire54. » 

Globalement, l’impact de l’agriculture biologique sur l’environnement n’est pas sensiblement meilleur que celui de l’agriculture conventionnelle. Si l’on raisonne à la quantité produite, il est même fréquemment moins bon. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas améliorer les systèmes agricoles. L’expérience de l’agriculture biologique permet d’ailleurs de réfléchir à des voies d’amélioration. Mais le modèle extrême de l’agriculture biologique ne permet pas une production suffisante pour faire face aux besoins présents et futurs sans une augmentation forte des surfaces cultivées. En revanche, elle permet d’approfondir la réflexion pour la mise en place de nouveaux systèmes agricoles. 

L’évolution actuelle va dans ce sens avec les nouvelles certifications environnementales du type HVE qui reçoivent un excellent accueil de la part des agriculteurs depuis qu’il existe un label permettant la valorisation de leurs démarches55. Dès 1999, Philippe Viaux développait la notion de systèmes intégrés mise à jour dans un livre publié en 201356. Cette « troisième voie en grande culture » peut s’appuyer sur les principes de l’agriculture biologique mais ne doit pas s’interdire systématiquement les produits chimiques de synthèse. Cette approche va dans le même sens que celle de Michel Griffon et son concept d’agriculture écologiquement intensive (AEI) proposé en 2007 lors du Grenelle de l’environnement57. L’objectif de l’AEI est d’amplifier et de combiner les fonctionnalités de la nature pour la production agricole sans interdire, lorsque cela est nécessaire, les OGM, les pesticides de synthèse et les engrais minéraux. 

Artiste sur la couverture

La Fondation pour l’innovation politique remercie chaleureusement l’artiste Paulette Tavormina pour sa contribution à la publication de nos trois notes sur la thématique de l’agriculture et alimentation bio, dans le cadre d’une série sur les agritechnologies et biotechnologies.

Les arrangements de Paulette Tavormina rappellent les détails somptueux des natures mortes des maîtres du XVIIsiècle et servent d’interprétations personnelles d’histoires intemporelles et universelles. Avec une perspective picturale qui rappelle celles de Juan Sánchez Cotán et de Giovanna Garzoni, Paulette Tavormina crée des natures mortes mondaines.

Bénéficiaire d’une bourse de la Fondation Pollock-Krasner, son livre monographique Seizing Beauty a été publié par The Monacelli Press en 2016. On peut retrouver les photographies de Paulette Tavormina dans des musées et des collections particulières. Elle a également travaillé pour Sotheby’s et a collaboré au National Geographic et au New York Times. Elle était auparavant accessoiriste et styliste culinaire à Hollywood, où son savoir-faire a notamment été utilisé dans sept films.

Site Internet de l’artiste : www.paulettetavormina.com

Copyright :

Cardoon and radishes, After J.S.C. © Paulette Tavormina (2010)

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