L’antisémitisme dans l’opinion publique française. Nouveaux éclairages
Introduction
Methodologie
La construction d’un indicateur d’antisémitisme
Première partie : évaluer le poids des préjugés antisémites dans la société française
Des opinions antisémites dans une société qui ne l’est pas
Lutter contre l’antisémitisme et enseigner la Shoah sont des objectifs largement partagés
Deux crises antisémites françaises : l’affaire Dieudonné, les manifestations de l’été 2014 à Paris et Sarcelles
Deuxième partie : localiser l’antisémitisme dans l’opinion française
les sympathisants du Front National et les électeurs de Marine Le Pen
Une partie significative de la population musulmane
Les sympathisants du Front de Gauche et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon
Le monde des réseaux sociaux, des forums de discussion et des sites de partage de vidéos
Troisième partie : les ressorts et les relais de l’antisémitisme dans la société française
La politisation, facteur d’opinions antisémites
Confiance dans les autorités religieuses et défiance dans les institutions politiques : deux facteurs d’opinions antisémites
Permanence de la personnalité autoritaire
Conclusion : xénophobie, racisme et antisémitismes, les troubles d’une société multiculturelle et globalisée
Résumé
En octobre 2004, dans son rapport intitulé Chantier sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, Jean-Christophe Rufin notait une diminution du rôle de l’extrême droite dans la responsabilité des violences antisémites et, en revanche, une augmentation de celui d’une frange de la jeunesse issue de l’immigration. Aujourd’hui, est-ce vérifié ? Pour le savoir, nous avons lancé un travail inédit comprenant deux enquêtes d’opinion réalisées par l’Ifop.
La première enquête, administrée online, porte sur un échantillon de 1 005 personnes représentatif des Français âgés de 16 ans et plus.
La seconde enquête, administrée en face-à-face, porte sur un échantillon de 575 personnes déclarant être nées dans une famille de religion musulmane, françaises ou non, vivant en France, âgées de 16 ans et plus.
La présente étude analyse les résultats de ces deux enquêtes.
Télécharger les résultats principaux de l’enquête online.
Télécharger les résultats principaux de l’enquête en face-à-face.
L’ensemble des données de ces enquêtes sont accessibles gratuitement sur data.fondapol.org.
Dominique Reynié,
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Introduction
Sur ce contexte et ses conséquences politiques, je me permets de renvoyer à mon ouvrage Les Nouveaux Populismes, nouvelle édition augmentée, Fayard/Pluriel, 2013.
Gilles Finchelstein, Dominique Reynié et Simone Rodan-Benzaquen, « Nos démocraties sont menacées » ; Camille Bedin, « l’antisémitisme au quotidien » ; et François Pupponi, « sarcelles après l’émeute », Le Figaro, 23 octobre 2014 (ces articles sont consultables en ligne).
Gilles Finchelstein, Dominique Reynié et Simone Rodan-Benzaquen, « La lutte contre l’antisémitisme est une lutte pour la république » ; Annette Lévy-Willard, « L’antisémitisme, une spécificité française ? » ; et Nonna Mayer, « L’opinion française n’est pas antisémite » Libération, 23 octobre 2014.
Dix ans après le « rapport Rufin », les enquêtes régulières de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) mesurent un recul des préjugés antisémites dans l’opinion. Pourtant, les données collectées par le Centre Kantor montrent que le nombre d’incidents antisémites violents a été trois fois plus élevé au cours de la période 2004-2013 qu’au cours de la décennie 1994-2004. Même en retenant la thèse d’un recul des préjugés, l’augmentation de la violence contre les Juifs est évidente. De même, on observe le regain de discours racistes dont la ministre de la Justice, Mme Christiane Taubira ainsi que Mme Cécile Kyenge, ministre italienne de l’Intégration, ont été les victimes.
La question de l’antisémitisme, de la xénophobie et du racisme se pose à nouveau dans les démocraties, en Europe et en France. Il est triste de constater qu’il n’y a là, à proprement parler, rien de nouveau. Mais c’est le regain que l’on constate depuis le début des années 1990 qui doit devenir l’objet de notre préoccupation et de notre action. Ce regain correspond probablement d’abord à la globalisation et à la manière dont elle a affecté les sociétés démocratiques, sur le plan matériel comme sur le plan culturel, que certains qualifient d’« identitaire ». Cela correspond ensuite au bousculement des anciennes puissances par le nouveau monde des pays émergents et au sentiment, diffus chez nous, d’un monde sinon hostile certainement moins favorable. À cela il faut ajouter les conséquences de phénomènes migratoires entamés il y a plusieurs décennies, mais dont les effets se font sentir comme soudainement, dans l’affirmation d’une société de fait multiculturelle, contribuant à la déstabilisation des Occidentaux en général et des Européens en particulier. Le vieillissement démographique joue comme un facteur supplémentaire de crainte et de rétractation. De même, ici ou là, et en tout cas chez nous, en France, la crise budgétaire des puissances publiques accroît le malaise, non seulement dans sa dimension économique et sociale, mais aussi politique et culturelle, accréditant l’idée de gouvernements incapables d’agir, d’une société et d’un État paralysés1.
Enfin, pour comprendre ce regain des mauvaises pensées, il faut compter avec l’influence majeure d’un nouvel acteur, le Web, dont le rôle est rapidement devenu déterminant dans le domaine de l’information mais aussi de l’engagement politique, de la mobilisation militante et de la prise de parole en général et de type protestataire en particulier. La force du Web est décuplée par ses vertus apparentes et pour partie réelles : égalitarisme, spontanéisme, authenticité, immédiateté, universalité… Mais ce nouvel espace public est fortement porté par la possibilité singulière d’émettre des messages, des opinions, de les recevoir, de les partager, sans avoir nécessairement à décliner son identité, c’est-à-dire sans devoir engager sa responsabilité. Dans toute l’histoire de la liberté de la presse et de la liberté d’opinion, c’est une situation inédite. Ces outils offrent aux antisémites et aux racistes un statut d’extraterritorialité et, finalement, une impunité de fait, qui ne permet plus aux États de droit ni d’assurer la défense des valeurs humanistes ni de punir ceux qui se rendent coupables de les transgresser.
En revanche, des régimes autoritaires restent capables d’imposer chez eux une censure totale tout en ayant plus que jamais la possibilité de favoriser la diffusion à travers le monde de messages dévastateurs.
Comme une sorte de condensateur de cette nouvelle configuration, l’affaire Dieudonné a rendu visible l’activisme de réseaux, de groupes, ultraminoritaires – il ne faut pas l’oublier – mais capables de produire et de propager à grande échelle des propos relevant indiscutablement de l’antisémitisme. Cette affaire a montré la dualité de l’espace public : l’un, celui des médias classiques, devenu une sorte d’espace public formel, institutionnel, officiel ; l’autre, celui du Web, s’imposant, en un jeu de miroir,comme une sorte d’espace public informel, anomique, officieux, underground, fait de réseaux sociaux, de forums de discussion et de sites de partage de vidéos. Ce qui avait été considéré comme un phénomène émergent par le rapport Rufin en 2004 a été confirmé au terme de l’écoulement de la décennie. Si le Web n’est pas que cela, il est cependant devenu un formidable propagateur d’opinions antisémites, xénophobes et racistes. Tout cela se condense dans l’affaire Dieudonné. Son irruption n’est pas le fait du hasard. Elle est le signe d’un changement plus profond. Elle traduit une tentative de redéfinition des normes et des conventions, peut-être des valeurs, des usages, de l’histoire, des leçons à tirer du passé. Entreprise médiatique initialement improvisée, l’affaire a donné lieu à de tels propos et a reçu un tel écho, positif et négatif, qu’il est impossible de ne pas y voir l’expression de notre époque.
Il y a les opinions et il y a les agressions. En France, jamais nous n’avons réussi à descendre au-dessous de la barre de 400 actes antisémites par an depuis le début des années 2000, et l’année 2014 connaît une augmentation impressionnante (+ 91%). Ainsi, de janvier à juillet 2014, comparativement à la même période en 2013, on a relevé 527 actes antisémites contre 276. La moitié des actes racistes sont des actes contre les Juifs, qui représentent probablement moins de 1% de la population. Sur le Web, on note l’installation d’un antisémitisme déchaîné. Au cours de l’été 2014, lors des manifestations contre l’intervention israélienne dans la bande de Gaza, des slogans « Mort aux Juifs ! » ont été entendus à Paris, place de la République ; à Sarcelles, ces cris ont débouché sur la mise à sac de commerces au motif qu’ils appartenaient à des Juifs. Une synagogue a été attaquée.
Il en va de même pour les actes atroces commis récemment : l’assassinat, en 2006, d’Ilan Halimi par le gang de Youssouf Fofana ; celui, en 2012, de Jonathan Sandler et des enfants Gabriel Sandler, Arieh Sandler et Myriam Monsonego par Mohammed Merah, également meurtrier des malheureux Imad Ibn Ziaten, Mohamed Legouad et Abel Chennouf ; puis, en 2014, la tuerie de Bruxelles perpétrée par Mehdi Nemmouche. Ne confondons pas ces drames avec des faits sans cause. Ils sont de notre époque et nous disent donc nécessairement de quoi elle est faite.
Aujourd’hui, la question se pose de savoir comment les puissances publiques démocratiques pourront encore enseigner, promouvoir et défendre les valeurs qui les fondent, c’est-à-dire survivre. En ce sens, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme n’obéit pas seulement à l’impératif de protéger les individus ou les groupes qui en sont victimes mais aussi à la nécessité absolue d’assurer l’existence de l’ordre démocratique dans le nouveau siècle.
Ce que nous mettons au jour par cette étude valide certaines hypothèses de départ, en précise quelques-unes et en infirme d’autres. L’ensemble fait apparaître une société où les opinions antisémites atteignent une haute intensité dans des univers relativement limités mais dont l’expansion est une hypothèse raisonnable. L’étude montre aussi une société estimant que la plupart des groupes qui la composent sont victimes de préjugés et de racisme : les Juifs, les musulmans, les Maghrébins, les Noirs, les Blancs… Il y a des enseignements qui sont encourageants, voire rassurants ; d’autres sont préoccupants, voire très inquiétants. Mais l’ensemble apporte des arguments en faveur d’une action collective qui ne saurait tarder, de la part non seulement de l’État mais aussi et certainement plus encore de la société civile, visant à rapprocher les uns des autres dans un effort partagé de reconnaissance et de compréhension. Enfin, je veux préciser ici que ces deux études constituent une contribution de la Fondation pour l’innovation politique qui se situe dans le prolongement du séminaire sur l’antisémitisme qui s’est tenu le 16 octobre 2014 et que nous avons organisé en commun avec l’American Jewish Committee et la Fondation Jean-Jaurès, avec le partenariat significativement conjoint de deux quotidiens, Le Figaro et Libération. Le séminaire a été animé par Simone Rodan-Benzaquen pour l’American Jewish Committee, par Gilles Finchelstein pour la Fondation Jean-Jaurès et par Dominique Reynié pour la Fondation pour l’innovation politique. Parmi la trentaine de membres présents, quatre parlementaires ont pris une part active à ces travaux – deux députés, Claude Goasguen et François Pupponi, et deux sénateurs, David Assouline et Chantal Jouanno –, ainsi qu’une élue locale, Camille Bedin. Le Figaro était représenté par Vincent Trémolet de Villers, Libération par Annette Lévy-Willard. À l’issue de ce premier séminaire, trois articles sont parus le 23 octobre dans Le Figaro2 et, significativement le même jour, trois autres dans Libération3. Ce séminaire va se poursuivre. Il abordera plus profondément le cas de l’antisémitisme, ses formes, ses ressorts et les moyens de le combattre. Nous avons décidé ensemble d’étendre ce séminaire aux sentiments hostiles à l’islam, aux racismes, de la même façon, avec les mêmes méthodes et les mêmes moyens, en élargissant le cercle des experts, des politiques, des acteurs de l’État, l’Éducation nationale, la police, la justice, ainsi que les responsables d’associations, à vocation sociale, scolaire, culturelle et cultuelle, qui voudront se joindre à nous.
Methodologie
La Fondation pour l’innovation politique a mené deux enquêtes avec l’Ifop. La première enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1.005 personnes, représentatif des Français âgés de 16 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération. Les interviews ont eu lieu par questionnaires auto-administrés en ligne du 26 au 30 septembre 2014.
La seconde enquête a été menée auprès de 575 personnes d’origine musulmane, c’est-à-dire des personnes déclarant être nées dans une famille musulmane, âgées de 16 ans et plus. Il n’existe pas de statistiques permettant de construire, à proprement parler, un échantillon sur quotas de cette population. L’Ifop a déterminé, à partir des statistiques de l’Insee sur l’immigration en France et des données empiriques observées sur la population d’origine musulmane dans ses enquêtes nationales, des quotas indicatifs (sexe, âge, profession) après stratification par région et catégorie d’agglomération. Lors du terrain, les personnes âgées de 16 à 17 ans ont été surreprésentées afin d’obtenir des effectifs suffisants, puis ont été remises à leur poids réel lors du traitement statistique de l’étude. Pour cette seconde enquête, les interviews ont eu lieu par questionnaires administrés en face-à-face, dans la rue, du 4 au 9 octobre 2014.
L’intérêt de la seconde enquête est de vérifier l’hypothèse d’un nouvel antisémitisme, avancée il y a presque quinze ans par Pierre-André Taguieff et reprise par Jean-Christophe Rufin dans son rapport de 2004. Il s’agit donc de savoir si les musulmans vivant en France sont plus ou moins susceptibles que la moyenne de la population nationale à partager des préjugés contre les Juifs, voire à développer une vision antisémite. Généralement, dans un échantillon de 1.000 personnes, la proportion des musulmans n’est pas suffisamment importante pour permettre une analyse significative des données recueillies. Aussi avons-nous décidé de demander à l’Ifop d’interroger un échantillon exclusivement composé de personnes d’origine musulmane, c’est-à-dire de personnes déclarant être nées dans une famille musulmane. Ces personnes peuvent être de nationalité française ou non. Nous espérons que cette première étude permettra de donner le jour à une série de nouvelles enquêtes en sciences sociales. Cela nous aidera à mieux connaître notre société, à mieux nous comprendre pour avoir plus de chances d’agir utilement dans l’intérêt de tous.
La construction d’un indicateur d’antisémitisme
Le but de cette enquête est non seulement d’évaluer la part des répondants qui partagent un préjugé à l’égard des Juifs, mais aussi la part de ceux qui en partagent plusieurs afin de mettre en lumière le profil des répondants qui portent un système d’opinion articulant plusieurs préjugés à l’égard des Juifs et qui s’inscrivent donc dans une vision antisémite dont la virulence sera considérée ici comme d’autant plus grande que le nombre de préjugés partagés sera plus grand, sur une échelle allant de 1, pour désigner le groupe des répondants qui partagent un préjugé antisémite, à 6, pour ceux qui les partagent tous.
À partir de la construction du questionnaire, la liste des six opinions à propos des Juifs qui ont été retenues pour la construction de l’indicateur est la suivante : « Les Juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale » (35%) ; « Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » (25%), « Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine des médias » (22%), « Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de la politique » (19%), « Il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale » (16%), « Les Juifs sont responsables de la crise économique actuelle » (6%). Un peu plus de la moitié de la population interrogée (53%) répond ne partager aucun de ces six préjugés, 3% partagent les six préjugés.
Les données présentées ci-après sont extraites des résultats des deux enquêtes. Les données de l’enquête portant sur les 575 personnes déclarant être nées dans une famille musulmane sont accompagnées d’une référence qui le précise. Les autres données sont issues de l’échantillon de 1.005 personnes, représentatif des Français âgés de 16 ans et plus.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Première partie : évaluer le poids des préjugés antisémites dans la société française
Des opinions antisémites dans une société qui ne l’est pas
Dans son ensemble, la société française est parcourue de courants d’opinions antisémites dont le poids doit être non seulement évalué par la proportion des personnes qui les partagent mais aussi en considérant le degré de violence qu’elles contiennent. Le préjugé contre les Juifs le plus répandu (35%) est celui selon lequel « les Juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale ».
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ?
Réponses « d’accord » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Plus d’un cinquième des répondants (22%) déclarent entendre « souvent ou de temps en temps » dire « du mal des Juifs » dans leur entourage.
Vous personnellement, vous arrive-t-il d’entendre souvent, de temps en temps, rarement ou jamais votre entourage professionnel ou vos proches dire du mal des Juifs ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Les questions sur le sionisme n’évoquent rien pour une part importante des répondants (entre 42% et 46%), mais elles révèlent la vigueur des critiques adressées par une partie de la société à la politique d’Israël et aussi la force de l’une des opinions antisémites les plus accomplies : pour 25% des répondants, le sionisme est « une organisation internationale qui vise à influencer le monde et la société au profit des Juifs ».
Personnellement, êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ? Le sionisme… (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
De même, l’hypothèse de l’élection d’un président de la République juif suscite encore le refus d’un cinquième (21%) des répondants. On notera qu’il y a dix ans le chiffre du refus était inférieur (17%). On notera également que 6% des personnes interrogées disent vouloir éviter d’avoir « un voisin juif ». Cela montre bien la difficulté d’évaluation des résultats à laquelle nous pouvons être confrontés pour une enquête sur cette question : 6% désigne in abstracto une faible proportion de la population, mais le fait de vouloir éviter un « voisin Juif » est l’expression in concreto d’une hostilité particulièrement forte. Avec ce type de questionnaire, c’est donc non seulement la proportion mais aussi l’intensité des opinions qui doivent retenir notre attention.
Si cela ne dépendait que de vous, est-ce que vous rechercheriez, est-ce que vous éviteriez ou bien est-ce que vous ne vous préoccuperiez pas du tout des situations suivantes ?
Évolution du « éviterait » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
On peut relever que, lorsque les questions conduisent le répondant à parler de sa perception non plus du Juif en général mais des Juifs en réalité, pour le dire ainsi, les réponses s’accompagnent d’une baisse des préjugés antisémites.
D’une manière générale, quand on vous apprend qu’une personne que vous connaissez est juive, quelle réaction avez- vous ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Et selon vous, d’une manière générale, lorsque les français apprennent qu’une personne qu’ils connaissent est juive, quelle réaction ont-ils ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
De même, la plupart des répondants (84%) estiment qu’« un Français juif » est « aussi français qu’un autre ».
Pour l’opinion, le français juif est un français comme les autres. À votre avis, est-ce qu’un Alsacien est aussi français qu’un autre Français ? et un Breton ? etc.
Évolution de « oui » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Lutter contre l’antisémitisme et enseigner la Shoah sont des objectifs largement partagés
L’étude doit être complétée par des questions portant sur la lutte contre l’antisémitisme et le racisme, sur les représentations du passé et sur le rôle que l’histoire peut jouer dans les politiques de formation citoyenne. Or on voit à ce propos que les personnes interrogées adhèrent massivement à l’idée qu’il faut inscrire l’enseignement de la Shoah dans les dispositifs de lutte contre l’antisémitisme et contre le racisme.
Ce massacre des Juifs par les nazis est également appelé « Shoah ». certaines personnes disent qu’on doit lutter contre l’antisémitisme et le racisme pour qu’une tragédie comme la Shoah ne se reproduise pas. Êtes-vous … ?
Tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas du tout d’accord avec cette affirmation ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
L’enseignement de la Shoah pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme fait l’objet d’un soutien très large.
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec l’affirmation suivante ? Il est important d’enseigner la Shoah (c’est-à-dire le génocide dont ont été victimes les Juifs durant la seconde guerre mondiale) aux jeunes générations afin d’éviter que cela ne se reproduise. (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
De plus, dans l’opinion publique française, le négationnisme n’existe pas.
Environ six millions de Juifs ont été tués par les nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale. Considérez-vous cela plutôt…? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Parmi les informations que nous apporte cette enquête, l’un des points à retenir est certainement le fait que 16% seulement des personnes interrogées se disent d’accord avec l’affirmation selon laquelle, en France, « il y a plus de problèmes d’antisémitisme que de problèmes de racisme ». Autrement dit, 59% des personnes estiment le contraire, ce qui s’oppose à l’évidence des données sur les agressions antisémites. En France, les actes antisémites constituent 50% de tous les actes racistes, tandis que la communauté juive représente moins de 1% de la population nationale. Il faut donc noter que, du point de vue du public, les agressions antisémites ne suscitent pas l’écho et la mémorisation auxquelles on pourrait s’attendre compte tenu de la nature des faits et de leur gravité.
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Deux crises antisémites françaises : l’affaire Dieudonné, les manifestations de l’été 2014 à Paris et Sarcelles
Toutefois, l’auteur de ces lignes doit préciser qu’il aurait répondu qu’il ne trouvait pas justifiée l’interdiction a priori d’un spectacle.
Au cours de la période 2013-2014, deux crises ont cependant révélé qu’il existe des poches d’antisémitisme dans l’opinion française. L’interdiction des spectacles décidée à la suite des outrances répétées de Dieudonné ainsi que des propos ignobles qu’il a pu tenir est considérée comme « justifiée » par 64% des répondants et comme « pas justifiée » par un quart des répondants (26%)4.
Vous savez qu’en janvier dernier, le gouvernement a fait interdire la représentation d’un spectacle de l’humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala, dit Dieudonné, en raison de propos considérés comme antisémites. selon vous, la réaction du gouvernement lors de l’affaire Dieudonné était-elle…?
Tout à fait justifiée, plutôt justifiée, plutôt pas justifiée ou pas du tout justifiée ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Si les répondants ne se trompent pas sur les causes de l’interdiction de ces spectacles, un cinquième (21%) prétendent y voir tout de même « l’influence de la communauté juive ».
Selon vous, quelles ont été les principales causes de l’interdiction du spectacle de Dieudonné ?
En premier ? En second ? Total des citations (%) *
Copyright :
Le tableau se lit ainsi : 36% des personnes interrogées ont cité, en première ou en seconde réponse, le risque de menace à l’ordre public comme l’une des principales causes de l’interdiction du spectacle de Dieudonné.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Le fait d’interroger l’échantillon sur l’approbation ou la désapprobation des propos tenus par Dieudonné dans ses spectacles ou sur le Web donne à voir la réalité d’opinions antisémites certes minoritaires mais qui concernent une proportion significative des répondants. Ainsi 16% d’entre eux disent partager certaines opinions exprimées par Dieudonné, dont celle-ci : « il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale » (16%).
Vous, personnellement, estimez-vous que Dieudonné a plutôt raison ou plutôt tort quand il dit que…?
Réponses « plutôt raison » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Au cours de l’été 2014, lors de l’opération militaire menée par Israël dans la bande de Gaza, plus de 400 manifestations ont été organisées en France en signe de soutien aux Palestiniens. À Paris et dans la région parisienne, ces rassemblements ont donné lieu à des slogans hostiles aux Juifs. Ces propos menaçants ont finalement débouché sur des actions violentes dont le caractère antisémite était indiscutable. Et, en effet, signe supplémentaire de la relative bonne tenue de la société française, la très large partie de l’opinion a jugé de tels agissements « inacceptables » (73%).
On pensera peut-être ici que la formulation de la question, proposant le choix entre « inacceptable » et « compréhensible », n’a pas permis une mesure correcte du jugement public sur ce point. En effet, il est possible de « comprendre », c’est-à-dire d’identifier un système de causalité, tout en jugeant « inacceptable » le fait d’établir un lien entre la politique conduite par Israël et l’attaque d’une synagogue ou la mise à sac de commerces au motif qu’ils appartiennent à des Juifs. Cependant, si l’on considère les réponses au questionnaire faites par ceux qui ont choisi l’option « compréhensible », il n’y a plus de doute sur le fait que cette option a été préférée par les répondants qui sont les plus enclins à exprimer des opinions antisémites.
Vous savez que cet été, à l’occasion du conflit entre israéliens et palestiniens dans la bande de gaza, des manifestations de soutien aux Palestiniens ont eu lieu dans différentes villes de France. Des slogans hostiles aux Juifs ont été entendus dans certaines de ces manifestations et des synagogues et des commerces ont été attaquées à paris et à sarcelles. pour vous personnellement, ces slogans et ces actes sont…?
Tout à fait inacceptables, assez inacceptables, assez compréhensibles, tout à fait compréhensibles ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Deuxième partie : localiser l’antisémitisme dans l’opinion française
les sympathisants du Front National et les électeurs de Marine Le Pen
À la question de savoir si le Front national est un parti antisémite, on peut répondre qu’il est pour le moins un parti d’antisémites. Selon notre enquête, de tous les partis politiques et des publics qu’ils fédèrent autour d’eux, les sympathisants du Front national et les électeurs de Marine Le Pen constituent l’univers politique et partisan où l’on trouve, et de très loin, le plus d’opinions antisémites et xénophobes. Les sympathisants du FN et ses électeurs ressemblent davantage au discours du fondateur du parti qu’au discours plus policé que sa nouvelle présidente s’efforce de mettre en scène.
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ?
Réponses « d’accord » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Personnellement, êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ? Le sionisme…
Réponses « d’accord » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Si en moyenne 21% des répondants déclarent vouloir éviter un président de la République juif, ils sont 53% à le déclarer parmi les sympathisants du FN et 49% parmi les électeurs de Marine Le Pen en 2012. Une proportion très importante (22%) des sympathisants du FN dit vouloir éviter « un voisin juif » ; les électeurs de Marine Le Pen sont à peine moins nombreux à donner cette réponse (18%).
Si cela ne dépendait que de vous, est-ce que vous rechercheriez, est-ce que vous éviteriez ou bien est-ce que vous ne vous préoccuperiez pas du tout des situations suivantes ?
Évolution du « éviterait » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Fait particulièrement marquant, les sympathisants du FN et les électeurs de Marine Le Pen se distinguent plus encore sur l’utilité de l’enseignement de la Shoah : ils sont deux fois plus nombreux que la moyenne à ne pas être d’accord avec « l’enseignement de la Shoah aux jeunes générations pour éviter que cela se reproduise ».
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec l’affirmation suivante ? Il est important d’enseigner la Shoah (c’est-à-dire le génocide dont ont été victimes les Juifs durant la seconde guerre mondiale) aux jeunes générations afin d’éviter que cela ne se reproduise. (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Les sympathisants du FN et les électeurs de Marine Le Pen sont de loin les plus enclins à contester la singularité de la Shoah. Là encore, les paroles que le père fondateur, Jean-Marie Le Pen, a prononcées en 1988, ont laissé plus que des souvenirs, l’équivalent d’une doctrine ouverte au négationnisme.
Environ six millions de Juifs ont été tués par les nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale. Considérez-vous cela plutôt…? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Les sympathisants du FN et les électeurs de Marine Le Pen sont trois fois plus nombreux que la moyenne à être en désaccord avec l’idée d’une lutte nécessaire contre le racisme, l’antisémitisme « pour que la Shoah ne se reproduise pas ».
Ce massacre des Juifs par les nazis est également appelé « Shoah ». Certaines personnes disent qu’on doit lutter contre l’antisémitisme et le racisme pour qu’une tragédie comme la Shoah ne se reproduise pas. Êtes-vous … ?
Tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas du tout d’accord avec cette affirmation ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Ils sont plus nombreux que la moyenne à estimer « compréhensibles » les slogans et les actes antisémites enregistrés lors de la crise de l’été 2014. Compte tenu des réponses qu’ils font par ailleurs, nul doute que cette « compréhension » n’est pas à ranger du côté de la compréhension sociologique.
Vous savez que cet été, à l’occasion du conflit entre israéliens et palestiniens dans la bande de gaza, des manifestations de soutien aux Palestiniens ont eu lieu dans différentes villes de France. Des slogans hostiles aux Juifs ont été entendus dans certaines de ces manifestations et des synagogues et des commerces ont été attaquées à paris et à sarcelles. Pour vous personnellement, ces slogans et ces actes sont…? (%)
Total inacceptables, total compréhensibles ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
De toutes les catégories de répondants, ce sont les sympathisants du Front national (39%) et les électeurs de Marine Le Pen (37%) qui estiment le plus qu’« un Français Juif n’est pas aussi français qu’un autre Français », contre 16% en moyenne. Pour les trois quarts des sympathisants du Front national (77%) et des électeurs de Marine Le Pen (70%) « un Français musulman n’est pas aussi français qu’un autre Français », contre 35% en moyenne. De même, pour les sympathisants du Front national (75%) et les électeurs de Marine Le Pen (71%), « un Français d’origine immigrée n’est pas aussi français qu’un autre Français », contre 36% en moyenne.
À votre avis, est-ce qu’un Alsacien est aussi français qu’un autre Français ? et un Breton ? etc. (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Quand la moyenne des répondants (26%) estime « injustifiée » l’interdiction du spectacle de Dieudonné, le chiffre atteint 57% parmi les sympathisants du FN et 54% chez les électeurs de Marine Le Pen. Là encore, il est peu probable que l’on puisse l’expliquer par l’argument libéral.
Vous savez qu’en janvier dernier, le gouvernement a fait interdire la représentation d’un spectacle de l’humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala, dit Dieudonné, en raison de propos considérés comme antisémites. Selon vous, la réaction du gouvernement lors de l’affaire Dieudonné était-elle…?
Tout à fait justifiée, plutôt justifiée, plutôt pas justifiée ou pas du tout justifiée ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
39% des répondants sympathisants du FN et 42% de ceux qui déclarent avoir voté pour Marine Le Pen en 2012 attribuent l’interdiction des spectacles de Dieudonné à « l’influence de la communauté juive ».
Selon vous, quelles ont été les principales causes de l’interdiction du spectacle de Dieudonné ? En premier ? En second ?
Total des citations (%) *
Copyright :
Le tableau se lit ainsi : 69% des personnes interrogées ont cité, en première ou en seconde réponse, la tenue de propos considérés comme antisémites comme l’une des principales causes de l’interdiction du spectacle de Dieudonné. Parmi les personnes interrogées proches du Front National, ils sont 59% à répondre à l’identique.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Les sympathisants du FN et les électeurs de Marine Le Pen sont également plus nombreux à donner raison à Dieudonné à propos des préjugés antisémites qu’il exprime. En revanche, concernant l’opinion selon laquelle « on ne parle pas assez de l’esclavagisme qu’a subi la population noire », leur taux d’approbation se trouve cette fois en dessous de la moyenne.
Vous, personnellement, estimez-vous que Dieudonné a plutôt raison ou plutôt tort quand il dit que…?
Réponses « plutôt raison » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
D’une manière générale, les sympathisants du FN et les électeurs de Marine Le Pen expriment un tel niveau de xénophobie pour les Maghrébins, les Noirs d’Afrique, les musulmans et « les étrangers en général » qu’il est impossible de le dépasser. On voit ici que le Front national en 2014 est toujours ce parti fondé par Jean-Marie Le Pen en 1972 et dont sa fille, Marine Le Pen, a pris la tête en 2011. En réalité, Marine Le Pen ne préside pas son parti, mais celui de Jean-Marie Le Pen.
Pour chacune de ces catégories de personnes, dites-moi si vous trouvez qu’elles sont trop nombreuses en France ?
Réponses « oui » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
On doit noter que l’ordre des préférences comprend l’expression d’un souhait de voir l’État donner plus de liberté aux entreprises. Cette combinaison associant autoritarisme politique, xénophobie et libéralisme économique définit parfaitement le programme du Front national, et, là encore, non pas le parti présidé par Marine Le Pen mais bien celui fondé par Jean-Marie Le Pen et si longtemps présidé par lui qu’il est resté identique à lui-même.
Pour chacune des opinions suivantes, pouvez-vous me dire si vous êtes tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas d’accord du tout ?
Total « d’accord » (%)
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Le tableau se lit ainsi : en moyenne, 61% des répondants trouvent que l’on se sent en sécurité nulle part. Parmi ceux qui pensent que « les Juifs sont responsables de la crise économique actuelle », ils sont 82% à trouver que l’on ne se sent en sécurité nulle part.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Une partie significative de la population musulmane
Les musulmans répondants sont deux à trois fois plus nombreux que la moyenne à partager des préjugés contre les Juifs. La proportion est d’autant plus grande que la personne interrogée déclare un engagement plus grand dans la religion. Ainsi, lorsque 19% de l’ensemble des personnes interrogées indiquent adhérer à l’idée selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de la politique », le taux grimpe à 51% pour l’ensemble des musulmans. Cette question permet d’illustrer les effets de la pratique religieuse sur l’adhésion aux items antisémites : en effet, l’adhésion à cet item est de 37% chez les personnes qui déclarent une « origine musulmane », de 49% chez les « musulmans croyants » et de 63% chez les « musulmans croyants et pratiquants ».
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Diriez-vous que vous êtes vous-même ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ?
Réponses «d’accord» (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
L’affaire Dieudonné souligne la réalité d’un important clivage d’opinion entre les musulmans et le reste de la société. On le voit, par exemple, au fait que la majorité des musulmans interrogés (53%) n’estime « pas justifiée » l’interdiction du spectacle, tandis qu’une telle opinion est partagée par un quart (26%) de la population totale âgée de 16 ans et plus.
Vous savez qu’en janvier dernier, le gouvernement a fait interdire la représentation d’un spectacle de l’humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala, dit Dieudonné, en raison de propos considérés comme antisémites. selon vous, la réaction du gouvernement lors de l’affaire Dieudonné était-elle … ?
Tout à fait justifiée, plutôt justifiée, plutôt pas justifiée ou pas du tout justifiée ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
De même, la proportion des musulmans considérant que « l’influence de la communauté juive » est la principale cause de l’interdiction est partagée par près d’un musulman sur deux interrogés (45%) et atteint le double de la moyenne (21%).
Selon vous, quelles ont été les principales causes de l’interdiction du spectacle de Dieudonné ? En premier ? En second ?
Total des citations (%) *
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Les musulmans déclarent partager les opinions de Dieudonné dans des proportions très supérieures à la moyenne. Cette adhésion déclarée peut conduire certains répondants à l’expression des préjugés les plus caractéristiques. Ainsi, l’idée selon laquelle le sionisme « est une organisation internationale qui vise à influencer le monde », si typique de la vision antisémite, suscite un niveau d’approbation très élevé parmi les musulmans interrogés (44%), contre 16% en moyenne de la population âgée de 16 ans et plus. On voit encore ici que la proportion croît avec le degré d’implication religieuse. L’existence d’un complot sioniste est de 30% chez ceux qui déclarent une « origine musulmane », de 42% chez les « musulmans croyants » et de 56% chez les « musulmans croyants et pratiquants ».
Vous, personnellement, estimez-vous que Dieudonné a plutôt raison ou plutôt tort quand il dit que…?
Réponses « plutôt raison » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
En testant l’approbation ou le rejet d’opinions présentées comme émises par Dieudonné, on voit confirmée l’adhésion à l’opinion complotiste, qui est l’une des composantes les plus fortes de la vision antisémite. Plus de la moitié des musulmans interrogés (57%) considèrent que Dieudonné a « plutôt raison » lorsqu’il dit que le sionisme « est une organisation internationale qui vise à influencer le monde et la société au profit des Juifs ». La proportion atteint même 64% chez les musulmans croyants et pratiquants.
Personnellement, êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ? Le sionisme…
Réponses « d’accord » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Un tiers des musulmans interrogés (33%) déclarent vouloir éviter d’avoir un « président de la République juif ». On a vu que le niveau du rejet est beaucoup plus élevé encore parmi les sympathisants du FN (53%) et les électeurs de Marine Le Pen (49%).
Si cela ne dépendait que de vous, est-ce que vous rechercheriez, est-ce que vous éviteriez ou bien est-ce que vous ne vous préoccuperiez pas du tout des situations suivantes ?
Réponses « éviterait » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
On trouve l’expression d’un certain contentieux dans le fait que les musulmans interrogés sont deux fois plus nombreux que la moyenne à estimer qu’en France on lutte plus contre l’antisémitisme que contre le racisme.
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ?
Réponses « d’accord » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Le rapport aux drames du passé – ici à la Shoah – suscite des réponses très différentes de celles qui ont été jusque-là enregistrées, voire inattendu compte tenu des éléments que l’on vient de relever. Ainsi les musulmans interrogés approuvent largement l’idée qu’il est important d’enseigner la Shoah aux jeunes afin d’éviter que cela se reproduise.
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec l’affirmation suivante ? Il est important d’enseigner la Shoah (c’est-à-dire le génocide dont ont été victimes les Juifs durant la Seconde Guerre mondiale) aux jeunes générations afin d’éviter que cela ne se reproduise. (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Les opinions selon lesquelles la Shoah serait une exagération ou une invention ne trouvent aucun écho parmi les musulmans interrogés. Selon cette étude, il n’y a pas plus de négationnisme exprimé dans l’opinion musulmane que dans l’opinion nationale en général.
Environ six millions de Juifs ont été tués par les nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale. Considérez-vous cela plutôt… ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
À rebours de ces indications, on note que les musulmans sont plus nombreux (34%) que la moyenne (22%) à répondre qu’il leur arrive « souvent » ou « de temps en temps » d’entendre dans leur entourage dire du mal des Juifs.
Vous personnellement, vous arrive-t-il d’entendre souvent, de temps en temps, rarement ou jamais votre entourage professionnel ou vos proches dire du mal des Juifs ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Ils sont aussi 85% à affirmer que le fait d’apprendre qu’une personne qu’ils connaissent est juive, ne leur fait « rien de particulier ».
D’une manière générale, quand on vous apprend qu’une personne que vous connaissez est juive, quelle réaction avez- vous ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Dans les populations interrogées, les musulmans sont bien plus nombreux que les sympathisants du FN et les électeurs de Marine Le Pen à considérer un « Français juif » « aussi français qu’un autre Français ».
À votre avis, est-ce qu’un Alsacien est aussi français qu’un autre Français ? Et un Breton ? etc.
Réponses « oui » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
L’ensemble des données recueillies montre cependant que 17% seulement des musulmans interrogés ne partagent aucun des préjugés contre les Juifs, contre 53% pour l’ensemble des personnes interrogées.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
L’idée qu’il est nécessaire de lutter contre l’antisémitisme et le racisme pour qu’une tragédie comme la Shoah ne se reproduise pas est d’ailleurs plus largement répandue parmi les musulmans interrogés (89%) que dans l’ensemble de la population (85%).
Ce massacre des Juifs par les nazis est également appelé «Shoah». Certaines personnes disent qu’on doit lutter contre l’antisémitisme et le racisme pour qu’une tragédie comme la Shoah ne se reproduise pas. Êtes-vous … ?
Tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas du tout d’accord avec cette affirmation ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Le point de vue des musulmans sur le racisme est marqué par le sentiment d’en être la victime. Ainsi les deux tiers (68%) des musulmans interrogés pensent qu’il y a en France du « racisme antimusulman » et un tiers (31%) qu’il y a du « racisme antijuif ».
Diriez-vous qu’en France il y a beaucoup, un peu ou pas du tout… ?
Réponses « beaucoup » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Les sympathisants du Front de Gauche et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon
Du côté de la droite, les répondants qui se disent sympathisants du FN font à peu près les mêmes réponses que les répondants qui déclarent avoir voté pour Marine Le Pen en 2012. L’homogénéité entre les deux mondes est même frappante. En revanche, du côté de la gauche, il y a une différence entre l’opinion des répondants qui se disent sympathisants du Front de gauche et l’opinion des répondants qui déclarent avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon en 2012. Dans les deux groupes, les opinions négatives à l’égard des Juifs sont plus répandues que dans l’ensemble de la société. Cependant, dans le groupe de ceux qui se disent sympathisants du Front de gauche, ces opinions négatives atteignent des niveaux sensiblement supérieurs aux élécteurs de Jean-Luc Mélenchon, accroissant l’écart avec la moyenne nationale.
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ?
Réponses « d’accord » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Les préjugés contre les Juifs sont plus répandus au sein de la mouvance du Front de gauche que dans l’ensemble de la société française, mais ils sont moins répandus que dans la mouvance du Front national.
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ?
Réponses « d’accord » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
L’affaire Dieudonné a révélé l’existence d’opinions hostiles aux Juifs parmi les sympathisants du Front de gauche et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Ils sont ainsi plus nombreux (31%) que l’ensemble (21%) à voir la communauté juive comme l’une des causes principales de l’interdiction des spectacles concernés.
Selon vous, quelles ont été les principales causes de l’interdiction du spectacle de Dieudonné ? En premier ? En second ?
Total des citations (%) *
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
D’une manière générale, on peut voir que les sympathisants du Front de gauche et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon approuvent les opinions de Dieudonné, celles qui ont été testées, dans des proportions sensiblement supérieures à la moyenne de l’ensemble.
Vous, personnellement, estimez-vous que Dieudonné a plutôt raison ou plutôt tort quand il dit que…?
Réponses « plutôt raison » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Enfin, notons que près de la moitié des sympathisants du Front de gauche (48%) et des électeurs de Jean-Luc Mélenchon (49%) considèrent qu’en France on lutte plus contre l’antisémitisme que contre le racisme.
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Cela n’empêche pas 87% des répondants qui se disent sympathisants du Front de gauche et 84% de ceux qui déclarent avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon en 2012 de considérer qu’il est important d’enseigner la Shoah (contre 77% en moyenne pour l’ensemble).
Les questions sur le sionisme reflètent les positions de ce parti à propos du conflit israélo-palestinien. Ici, les sympathisants du Front de gauche se distinguent plus nettement de la moyenne nationale que les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Sans doute dans la mesure où la catégorie « sympathisants du Front de gauche » réunit aussi les répondants qui se considèrent sympathisants du Parti communiste français ou des petits partis d’extrême gauche (LO, NPA) qui n’étaient pas proposés, compte tenu de la faiblesse de leur poids dans la société française et au moins dans l’électorat d’où ils étaient absents lors de la présidentielle de 2012.
Personnellement, êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ? Le sionisme…
Réponses « d’accord » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Une seconde différence importante entre, d’un côté, les répondants sympathisants du Front de gauche ou électeurs de Jean-Luc Mélenchon en 2012 et, de l’autre, les répondants sympathisants du Front national ou électeurs de Marine Le Pen en 2012 réside dans le refus de considérer une personne plus ou moins française en raison de ses origines ou de sa religion. On retrouve ici les effets de l’ancrage idéologique républicain mais peut-être aussi de l’héritage « tiers-mondiste » du Front de gauche et de Jean-Luc Mélenchon, ce qui souligne encore la spécificité du Front national et de l’électorat de Marine Le Pen.
À votre avis, est-ce qu’un Alsacien est aussi français qu’un autre Français ? Et un Breton ? etc.
Réponses « oui » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Les sympathisants du Front de gauche et même les électeurs de Jean-Luc Mélenchon tendent plus que la moyenne des répondants à contester la singularité de la Shoah. Non pas, comme chez les sympathisants du Front national ou les électeurs de Marine Le Pen, pour exprimer des doutes sur la réalité des faits, il n’y a pas de négationnisme chez eux, mais une banalisation de la Shoah en la plaçant plus volontiers au niveau des drames de la Seconde Guerre mondiale. La plupart des sympathisants du Front de gauche et des électeurs de Jean-Luc Mélenchon ne partagent pas la thèse d’une singularité de la Shoah.
Environ six millions de juifs ont été tués par les nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale. Considérez-vous cela plutôt…? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Le monde des réseaux sociaux, des forums de discussion et des sites de partage de vidéos
La crise de confiance dans les institutions représentatives n’affecte pas seulement les organisations politiques et les fonctions électives. La défiance touche également les médias classiques. Dans le même temps, l’apparition puis l’installation de médias numériques ouverts à tous a donné le jour à une sorte de monde médiatique parallèle, parcouru d’une culture underground protestataire, qui s’abandonne aisément aux interprétations « complotistes » de l’histoire et de l’actualité.
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ?
Réponses « d’accord » et confiance déclarée dans les vecteurs d’information (%)
Copyright :
Le tableau se lit ainsi : en moyenne, 22% des répondants trouvent que les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine des médias. Parmi ceux qui ont confiance dans les réseaux sociaux comme vecteur d’information, ils sont 37% à trouver que les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine des médias.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Notre étude indique que les opinions qui émanent des utilisateurs des sites d’information sont comparables à celles des personnes qui utilisent les médias classiques (presse, radio et télévision). Ainsi les sites d’information ne sont pas plus reliés que les médias classiques à la production et à la diffusion de messages et d’opinions antisémites.
En revanche, le trio formé par les réseaux sociaux, les forums de discussion et les sites de partage de vidéos représentent un monde médiatique particulièrement favorable à l’éclosion et à la propagation des opinions antisémites.
L’analyse comparée des jugements sur l’affaire Dieudonné permet de montrer que l’opinion de l’ensemble des personnes interrogées est beaucoup moins disposée à exprimer des préjugés antisémites que les personnes utilisant les réseaux sociaux, les forums de discussion et les sites de partage des vidéos. Ainsi, lorsque 25% en moyenne des personnes interrogées considèrent que l’interdiction des spectacles de Dieudonné n’était « pas justifiée », cette proportion dépasse 40% pour les utilisateurs de réseaux sociaux et des forums de discussion, pour atteindre 60% parmi les utilisateurs des sites de vidéos.
Vous savez qu’en janvier dernier, le gouvernement a fait interdire la représentation d’un spectacle de l’humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala, dit Dieudonné, en raison de propos considérés comme antisémites. selon vous, la réaction du gouvernement lors de l’affaire Dieudonné était-elle…?
Tout à fait justifiée, plutôt justifiée, plutôt pas justifiée ou pas du tout justifiée ? Et confiance déclarée dans les vecteurs d’information (%)
Copyright :
Le tableau se lit ainsi : en moyenne 64% des répondants trouvent que la réaction du gouvernement lors de l’affaire Dieudonné était justifiée. Parmi ceux qui ont confiance dans les sites d’information comme vecteur d’information, ils sont 63% à trouver que la réaction du gouvernement lors de l’affaire Dieudonné était justifiée.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
De même, quand 21% des personnes âgées de 16 ans et plus croient voir « l’influence de la communauté juive » dans la décision d’interdire ces spectacles, la proportion grimpe à 58% chez les utilisateurs de sites de partage de vidéos.
Selon vous, quelles ont été les principales causes de l’interdiction du spectacle de Dieudonné ? En premier ? En second ?
Total des citations et confiance déclarée dans les vecteurs d’information (%) *
Copyright :
Le tableau se lit ainsi : en moyenne, 36% des personnes interrogées ont cité, en première ou seconde réponse, le risque de menace à l’ordre public comme l’une des principales causes de l’interdiction du spectacle de Dieudonné. Parmi ceux qui ont confiance dans les forums de discussion comme vecteurs d’information, ils sont 39% à citer, en première ou seconde réponse, ce risque de menace.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Plus que tous, les utilisateurs de sites de partage de vidéos sont disposés à reprendre à leur compte les affirmations de Dieudonné. Ils sont une majorité à considérer qu’il a raison de dire que « les Juifs contrôlent les médias » (57%) ou qu’il « existe un complot sioniste à l’échelle mondiale » (54%).
Vous, personnellement, estimez-vous que Dieudonné a plutôt raison ou plutôt tort quand il dit que…?
Réponses « plutôt raison » et confiance déclarée dans les vecteurs d’information (%)
Copyright :
Le tableau se lit ainsi : en moyenne, 23% des personnes interrogées estiment que Dieudonné a plutôt raison lorsqu’il dit que les Juifs contrôlent les médias. Parmi ceux qui ont confiance dans les sites de partage de vidéos comme vecteurs d’information, ils sont 57% à estimer que Dieudonné a plutôt raison lorsqu’il dit que les Juifs contrôlent les médias.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Troisième partie : les ressorts et les relais de l’antisémitisme dans la société française
Selon les résultats de notre enquête, si l’âge, le niveau de diplôme ou le niveau de revenu peuvent déterminer l’expression ou l’approbation d’opinions antisémites, celles-ci résultent beaucoup plus systématiquement d’un jeu de représentations et d’opinions politiques articulées entre elles. Ainsi l’antisémitisme s’inscrit principalement dans un monde de défiance et de rejet, dominé par une culture autoritaire, hostile aux immigrés et au monde, sauf dans le cas des musulmans interrogés, autant qu’aux différences sous toutes les formes qu’elles peuvent prendre.
La politisation, facteur d’opinions antisémites
La politisation, c’est-à-dire ici le fait de se déclarer proche d’un parti politique, quel qu’il soit, apparaît comme un facteur favorisant les préjugés contre les Juifs. En effet, si en moyenne 53% des répondants disent ne partager aucun des six préjugés contenus dans l’indicateur d’antisémitisme, cette proportion atteint 63% chez les répondants qui ne se considèrent sympathisants d’aucune formation politique.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
La politisation, entendue dans le sens minimum indiqué ici, produit les mêmes effets sur l’expression des opinions xénophobes, voire racistes, mesurées dans le fait d’estimer qu’une catégorie est « trop nombreuse en France ». En moyenne, 51% des répondants considèrent que les Maghrébins sont trop nombreux, contre 43% pour les répondants qui ne se considèrent sympathisants d’aucune formation politique ; de même 51% estiment que les musulmans sont « trop nombreux », contre 42% pour les sans proximité partisane ; 36% estiment que les Noirs d’Afrique sont « trop nombreux », contre 27% pour ceux qui ne se considèrent sympathisants d’aucune formation politique.
Si on laisse ici de côté les sympathisants du Front national, les répondants qui estiment que les Maghrébins, les musulmans, les Noirs d’Afrique et « les étrangers en général » sont « trop nombreux en France », sont plus représentés chez les sympathisants de l’UMP, de l’UDI et du MoDem que chez les sympathisants du Front de gauche, du Parti socialiste ou d’Europe Écologie Les Verts.
Lorsqu’il s’agit de savoir si les Juifs « sont trop nombreux en France », ceux qui répondent par l’affirmative se trouvent, à l’inverse, davantage chez les sympathisants des partis de gauche que chez les sympathisants des partis de droite, toujours à condition de laisser de côté les sympathisants du Front national.
Pour chacune de ces catégories de personnes, dites-moi si vous trouvez qu’elles sont trop nombreuses en France ?
Réponses «oui» (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Pour chacune de ces catégories de personnes, dites-moi si vous trouvez qu’elles sont trop nombreuses en France ?
Réponses «oui» (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Sur certains thèmes, les répondants qui se disent sympathisants de l’UDI ou du MoDem partagent des préjugés contre les Juifs dans des proportions plus importantes que la moyenne. Ainsi les sympathisants de l’UDI sont 16% à déclarer vouloir éviter avoir un patron juif (contre 10% en moyenne). De même 38% des sympathisants de l’UDI disent partager l’opinion selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine économique et financier » très au-dessus de l’ensemble des Français (25%). Chez les sympathisants du MoDem, un tiers (35%) considère le sionisme comme « une organisation internationale qui vise à influencer le monde et la société au profit des Juifs », contre 25% de l’ensemble des Français. De même, les sympathisants du MoDem sont beaucoup plus nombreux (36%) que la moyenne (23%) à voir dans le sionisme « une idéologie raciste ».
Confiance dans les autorités religieuses et défiance dans les institutions politiques : deux facteurs d’opinions antisémites
Parmi ceux qui déclarent avoir « plutôt confiance » dans les autorités religieuses, les deux tiers (67%) partagent au moins une opinion antisémite. Par comparaison, dans l’ensemble de la population interrogée, 47% des répondants partagent au moins une opinion antisémite.
L’étude le confirme par ailleurs lorsqu’elle met en lumière la permanence d’un courant catholique, très minoritaire au sein des catholiques pratiquants, partageant certains préjugés antisémites. Ainsi ils sont 22% à dire que les Juifs sont trop nombreux en France, (contre 16% pour l’ensemble des répondants) ; de même, 10% des catholiques pratiquants déclarent que lorsqu’ils apprennent qu’une personne est juive, ils « n’aiment pas » (contre 3% en moyenne). Les répondants catholiques pratiquants sont encore au-dessus de la moyenne lorsqu’il s’agit d’éviter d’avoir un président juif (37%, contre 21% pour l’ensemble), un maire juif (29%, contre 14%), un patron juif (17%, contre 10%). Ils sont également plus nombreux (42%) à estimer que les Juifs utilisent la Shoah dans leurs propres intérêts (contre 35% pour l’ensemble des Français). En contrepoint, à propos de la perception de l’annulation des spectacles de Dieudonné, le pourcentage des catholiques pratiquants adhérant à l’idée que la communauté juive a influencé la décision (6%) est plus faible que la moyenne (11%).
Ajoutons que les deux tiers de ces catholiques pratiquants (67%) estiment par ailleurs que les Maghrébins sont « trop nombreux » en France (contre 51% en moyenne). De même, 50% des catholiques pratiquants considèrent que les « étrangers en général » sont trop nombreux (contre 40% en moyenne).
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
L’indicateur d’antisémitisme peut-être corrélé à la confiance exprimée dans les autorités religieuses. On retrouve ce lien au sein de la population musulmane interrogée.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Il faut donc voir dans le fait que les musulmans interrogés déclarent plus volontiers que la moyenne des personnes leur confiance dans les autorités religieuses l’un des ressorts des opinions antisémites. En même temps, les musulmans se distinguent par un niveau de confiance généralement plus élevé, quelles que soient l’institution ou l’autorité considérées. On ne peut donc pas considérer la défiance envers les institutions comme un déterminant suffisant.
Avez-vous plutôt confiance ou plutôt pas confiance dans… ?
Réponses « plutôt confiance » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Cependant, si l’on isole l’expression de la défiance envers les institutions politiques et tout particulièrement envers la démocratie, on voit que la propension à partager des opinions antisémites est liée à la conviction que « la démocratie ne fonctionne pas bien ».
Diriez-vous qu’en France, la démocratie fonctionne très bien, assez bien, pas très bien ou pas bien du tout ?
Total « bien » et total « pas bien » (%)
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Le tableau se lit ainsi : en moyenne, 32% des répondants trouvent que la démocratie fonctionne bien. Parmi ceux qui pensent que « les Juifs sont responsables de la crise économique actuelle », ils sont 21% à trouver que la démocratie fonctionne bien.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Parmi ceux qui n’approuvent aucun des six items antisémites proposés, 38% considèrent que la démocratie « fonctionne bien », soit 6 points de plus que la moyenne nationale (32%). Lu autrement, ce tableau montre que parmi ceux qui partagent au moins deux préjugés antisémites, 73% estiment que la démocratie fonctionne mal, soit 5 points au-dessus du niveau moyen relevé (68%). La relation ne semble pas linéaire, mais elle montre une tendance visible à voir d’autant plus augmenter l’insatisfaction vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie que l’on partage plus d’opinions antisémites.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
De même, dans la population d’ensemble, celles et ceux qui partagent des préjugés contre les Juifs expriment un niveau de confiance moins élevé dans les institutions, notamment dans l’État, les syndicats, l’Union européenne et le Parlement.
Avez-vous plutôt confiance ou plutôt pas confiance dans… ?
« Plutôt confiance dans » et d’accord avec les affirmations suivantes (%)
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Le tableau se lit ainsi : en moyenne, 24% des répondants déclarent avoir plutôt confiance en l’état. Parmi ceux qui pensent que « il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale », ils sont 12% à avoir plutôt confiance dans l’état.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Les musulmans répondants constituent sur ces plans une exception. En effet, ils sont très nettement moins nombreux que la moyenne à estimer que la démocratie ne fonctionne « pas bien ».
Diriez-vous qu’en france la démocratie fonctionne très bien, assez bien, pas très bien ou pas bien du tout ?
Total « bien » et total « pas bien » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
De même, d’une manière générale, les musulmans interrogés déclarent un niveau de confiance dans les institutions supérieur à la moyenne. Le lien entre, d’un côté, la défiance vis-à-vis des institutions ou l’opinion selon laquelle la démocratie fonctionne mal et, de l’autre, les préjugés antisémites n’est donc pas établi pour les musulmans qui ont été interrogés.
Permanence de la personnalité autoritaire
Le concept de « personnalité autoritaire » formulé par Adorno en 1950, dans The Authoritarian Personality, demeure une explication psychosociologique pertinente pour comprendre l’apparition et la circulation des opinions antisémites. L’indicateur d’antisémitisme que nous avons construit pour cette enquête est à cet égard particulièrement parlant. Les individus sont d’autant plus enclins à vouloir rétablir la peine de mort qu’ils cumulent le plus grand nombre d’opinions négatives sur les Juifs.
Pour chacune des opinions suivantes, pouvez-vous me dire si vous êtes tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas d’accord du tout ?
Total « d’accord » (%)
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Le tableau se lit ainsi : en moyenne, 61% des répondants trouvent que l’on se sent en sécurité nulle part. Parmi ceux qui pensent que « les Juifs sont responsables de la crise économique actuelle », ils sont 82% à trouver que l’on ne se sent en sécurité nulle part.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Il en va de même pour la question du mariage et de l’adoption par les couples homosexuels.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Il en va de même avec l’expression d’une préférence pour « un vrai chef en France » capable de remettre de l’ordre.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Enfin, ce complexe d’opinions est sensiblement plus répandu chez les hommes que chez les femmes.
Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ? réponses « d’accord » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Il existe un gender gap : 59% des femmes interrogées ne partagent aucun des préjugés antisémites, contre 47% des hommes interrogés.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Conclusion : xénophobie, racisme et antisémitismes, les troubles d’une société multiculturelle et globalisée
Si nous utilisons les données recueillies par l’Ifop depuis 1966, nous pouvons observer l’évolution de l’opinion considérant que les Maghrébins, « les étrangers en général », les Noirs d’Afrique, les Juifs ou les protestants sont « trop nombreux en France ». Dans cette étude nous avons ajouté les musulmans et les Asiatiques.
On voit que, dans l’opinion, les Maghrébins et « les étrangers en général » suscitent moins de rejet, tandis que les Noirs d’Afrique en provoquent beaucoup plus. Un cinquième des répondants jugent les Asiatiques « trop nombreux en France ».
Pour chacune de ces catégories de personnes, dites-moi si vous trouvez qu’elles sont trop nombreuses en France ? évolution du « oui » (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
La France apparaît comme une société multiculturelle en proie à des tensions internes et à des sentiments qui pourraient traduire la montée de logiques communautaristes.
Ainsi, il est frappant de noter qu’entre un tiers et la moitié des répondants estiment qu’il y a « beaucoup de » racisme antimusulman (56%), de racisme antijuif (36%), de racisme antinoir (35%) et de racisme antiblanc (33%).
Diriez-vous qu’en France… ? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Dans ce jeu d’opinions et de représentations plus ou moins favorables aux idées antisémites, la préférence pour « s’ouvrir davantage au monde » ou, au contraire, pour « se protéger davantage du monde » est un élément déterminant.
Le souhait de se protéger du monde contient évidemment une forme de xénophobie, littéralement parlant, qui prédispose au partage d’opinions antisémites.
Estimez-vous que la France doit…? (%)
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
L’indicateur d’antisémitisme montre bien la relation entre l’ouverture ou la fermeture au monde et le niveau d’antisémitisme chez les individus interrogés.
Source : Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).
Or, en moins d’une décennie, la société française est passée d’une attente d’ouverture au monde relativement majoritaire dans l’opinion (2006) à une demande de protection vis-à-vis du monde relativement majoritaire (2014), même si ce désir de repli est en fort recul par rapport à 2013, 2012 et 2011 où il semble avoir culminé.
La question de savoir où en est la demande de repli est donc particulièrement importante pour observer et comprendre le phénomène de l’antisémitisme, tant le lien semble fort entre les deux types d’opinion. Si l’on considère plus spécifiquement le degré de rejet des étrangers, des immigrés et plus généralement de ceux qui apparaissent différents par leur religion (juifs, musulmans, protestants) ou leur origine malgré leur nationalité française commune (Maghrébins, musulmans, Noirs d’Afrique, Asiatiques, « étrangers en général »), alors le lien avec les opinions antisémites est frappant.
C’est une confirmation de ce que les sciences sociales ont amplement démontré : le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme sont des opinions liées entre elles, qui se génèrent et se renforcent mutuellement, comme on le voit ici où, parmi les personnes qui pensent que les Juifs sont responsables de la crise économique actuelle, une proportion très supérieure à la moyenne pense que sont « trop nombreux » en France les Maghrébins (86%), les musulmans (79%), les Juifs (69%), les Noirs d’Afrique (68%), les « étrangers en général » (59%), les Asiatiques (40%) et les protestants (24%).
Pour chacune de ces catégories de personnes, dites-moi si vous trouvez qu’elles sont trop nombreuses en France ?
Réponses « oui » (%)
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Le tableau se lit ainsi : en moyenne, 20% des répondants trouvent qu’il y a trop d’asiatiques en France. Parmi ceux qui pensent que « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de la politique », ils sont 31% à trouver qu’il y a trop d’asiatiques en France.
Source :
Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).