L’urbanisation du monde. Une chance pour la France
Les pays émergents connaissent une urbanisation exponentielle conjuguée à une forte croissance démographique
L’urbanisation des pays émergents est un facteur structurel de croissance
L’urbanisation, qui pose de nombreux défis aux pays émergents, est un immense opportunité économique
La France dispose de grands atouts pour relever ces défis
Résumé
L’urbanisation est un phénomène structurel majeur dans les pays émergents comme les BRICS1 et les BENIVM2. Ces pays connaissent une croissance démographique très importante, notamment dans le triangle « Afrique – Inde – Chine », qui se traduit par la multiplication de mégalopoles. Cette urbanisation s’accompagne d’une croissance économique soutenue qui permet le développement de la classe moyenne émergente. La ville doit ainsi répondre aux besoins nouveaux et croissants des populations avec des infrastructures (électricité, eau courante potable, transport urbain, logements) et des services (éducation, traitement des déchets, réseau de téléphonie mobile et Internet) adaptés, tout en contenant le développement des bidonvilles.
La France se distingue par une offre unique au monde en termes de transports, d’énergie, de déchets, d’eau et de services urbains en général. Cependant, l’offre française, qui est éclatée, est rattrapée technologiquement par les pays émergents et soumise à une concurrence de plus en plus difficile. Dans ce cadre, la France doit révolutionner son offre pour conserver un écart technologique (« smart city ») et compétitif suffisant, mais également préparer la croissance exponentielle des grandes métropoles mondiales. La France doit organiser son offre en définissant ses priorités et en établissant des leaders sectoriels. Enfin, la France doit associer les entreprises des pays émergents qui deviennent des partenaires et non plus seulement des clients.
Laurence Daziano,
Maître de conférences en économie à Sciences Po et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique. Spécialiste des pays émergents.
Auteur de l’ouvrage Les Pays émergents, approche géo-économique (Armand Colin, 2014).
Depuis l’invention de l’acronyme « BRIC » par Goldman Sachs en 2001, les pays émergentssont devenus la principale source de croissance de l’économie mondiale. Cette croissance économique s’est nourrie d’une forte croissance démographique qui a également eu pour conséquence une urbanisation massive.
En premier lieu, l’urbanisation est un phénomène structurel majeur de notre époque. En 2008, la population mondiale qui habite en ville a passé le seuil de 50% et atteint, en 2013, environ 53%. Pour la première fois depuis la sédentarisation des populations et l’invention de l’agriculture au néolithique, l’humanité quitte massivement la campagne et abandonne les terres agricoles. La diminution continue de la population agricole engendre des conséquences majeures sur l’économie, les rapports sociaux et l’évolution des sociétés.
En second lieu, l’urbanisation produit de nombreuses conséquences économiques et sociales. Conséquences économiques, puisque l’urbanisation est un facteur de croissance endogène, c’est-à-direla capacité des populations urbanisées à créer de la croissance économique. En effet, la ville est un lieu propice au développement des échanges, à la création d’entreprises ou à l’essor de nouvelles activités économiques et sociales. L’urbanisation contribue ainsi à la croissance de la classe moyenne ainsi qu’au développement des services. Conséquences sociales, puisque l’urbanisation transforme en profondeur la société. Peu de comportements y échappent : les relations familiales et sociales, les pratiques alimentaires, culturelles et politiques des citadins diffèrent de celles des populations rurales. Les ménages ont moins d’enfants en ville, notamment parce que les femmes ont un emploi salarié, s’autonomisent et accèdent plus facilement à la contraception.
Cependant, l’urbanisation est aussi un défi économique, social et politique : misère, insalubrité, maladies, violences, inégalités, insécurité, dégradation de l’environnement sont le quotidien de nombreuses villes des pays émergents. En Afrique, l’urbanisation engendre des emplois informels, des revenus instables et un accès au logement plus précaire. Ainsi, l’urbanisation dans les pays émergents constitue à la fois une gigantesque opportunité, mais aussi des défis colossaux pour les autorités. Opportunités économiques, puisque l’urbanisation contribue à la croissance. Mais défis dans la planification, la réalisation des infrastructures de base, la création d’emplois et l’assurance de sécurité.
Dans ce cadre, la France, qui dispose des plus grandes entreprises mondiales de services urbains, a de grands atouts pour offrir une coopération technique, et profiter de l’essor urbain des pays émergents. Cependant, pour saisir ces opportunités, la France doit savoir élaborer une stratégie, définir des priorités et organiser ses acteurs dans la compétition mondiale. Cela est d’autant plus important que les grandes métropoles des pays émergents deviennent de véritables puissances, des « villes-mondes »,pour reprendre l’expression de Fernand Braudel, qui sont le centre de l’économie-monde et le symbole de la mondialisation. Dans le même temps, l’Afrique s’impose comme la nouvelle frontière de la mondialisation et de l’urbanisation, offrant de gigantesques opportunités aux acteurs français pour les prochaines décennies.
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Les pays émergents connaissent une urbanisation exponentielle conjuguée à une forte croissance démographique
Le triangle démographique émergent (Afrique – Inde – Chine) s’impose
La croissance de la population mondiale s’est accélérée au XXème siècle. Cette croissance sera encore plus marquée au XXIème siècle. Elle se développe notamment dans les pays émergents, plus particulièrement dans les trois zones géographiques constituées par l’Afrique, l’Inde et la Chine.
La répartition des populations se modifie sous l’effet de la croissance démographique. En 1950, la population africaine représentait 9% de la population mondiale. Elle en représentera 18% en 2025, 25% en 2050 et 39% en 2100, ce qui signifie qu’à cette date, quatre habitants de la terre sur dix seront Africains. L’Afrique n’a pas encore réalisé sa transition démographique. La fécondité élevée devrait conduire à une augmentation impressionnante de la population africaine. La part de l’Inde dans la population mondiale reste paradoxalement assez stable. Alors que la population indienne devrait dépasser la population chinoise après 2025, la part de l’Inde passera de 15% de la population mondiale en 1950 à 14% en 2100. En 2100, la population indienne devrait compter 1,5 milliard d’habitants, tandis que la Chine devrait revenir à cette date à une population d’un milliard d’habitants, car elle connait un vieillissement accéléré. La Chine, qui représentait 22% de la population mondiale en 1950, n’en représentera plus que 10% en 2100.
La dernière projection de la population mondiale des Nations Unies suppose, selon son scénario moyen, que l’humanité pourrait atteindre 9,3 milliards de personnes en 2050 et 10,1 milliards en 2100. La « variante haute » des projections prévoit une augmentation de 1 milliard supplémentaire d’habitants qui s’ajouterait à la population à chaque décennie (ou tous les 11 ans) entre 2010 et 2100. En moyenne mondiale, l’espérance de vie devrait également augmenter. Elle passerait de 68 ansen 2005-2010 à 81 ans en 2095-2100, ce qui aura des impacts importants en termes d’empreinte écologique, et pour certains pays, en termes de vieillissement de la population, au premier rang desquels la Chine.
Graphique 1 : évolution de la population (en pourcentage de la CSBM)
Source :
Nations Unies, 2014.
BENIVM : Bangladesh, Éthiopie, Nigeria, Indonésie, Vietnam, Mexique – concept inventé en 2013 pour marquer la naissance d’une nouvelle vague de pays émergents successeurs des BRIC ; voir la note de la Fondation pour l’innovation politique par Laurence Daziano, La nouvelle vague des émergents, juillet 2013.
L’Afrique connaît un peuplement sans précédent dans l’histoire du monde. Cette révolution démographique africaine est marquée par deux facteurs principaux : la chute brutale de la mortalité en raison des progrès de la médecine et de l’hygiène, alors que simultanément, les comportements en matière de fécondité n’ont pas évolué. Le continent africain connaît une transitiondémographique « déséquilibrée », alors que l’ensemble des autres espaces géographiques ont connu une concordance des deux phénomènes (baisse simultanée de la mortalité et de la fécondité).
L’Afrique, qui n’a pas encore entamé sa transition démographique, connaîtra la croissance la plus importante au XXIème siècle. L’Afrique assurera ainsi plus de la moitié de la croissance de la population mondiale, passant à 2,4 milliards d’habitants en 2050 et 4,2 milliards en 2100, alors que simultanément, la population chinoise devrait amorcer une diminution après 2030, pour atteindre 1,1 milliard d’habitants en 2100, tandis que l’Inde verra sa population se stabiliser à 1,5 milliard d’habitants en 2100. Plusieurs pays africains franchiront le cap des 200 millions d’habitants, parmi lesquels le Nigeria, la République démocratique du Congo (RDC), l’Éthiopie ou la Tanzanie. L’Afrique comptait 230 millions d’habitants en 1950, 808 millions en 2000 et devrait compter 2,4milliards d’habitants d’ici à 2050. Au total, la population africaine aura été multipliée par dix en un siècle, soit la progression démographique la plus importante de l’histoire de l’humanité. Plusieurs statistiques permettent de comprendre ce phénomène spectaculaire : une naissance sur quatre dans le monde a aujourd’hui lieu en Afrique ; un être humain sur cinq sera Africain au milieu de ce siècle ; il naît chaque année au Nigeria davantage d’enfants que dans l’Union européenne ; le Niger, où l’on enregistre le plus fort taux de fécondité au monde (plus de 7 enfants par femme), va voir sa population quadrupler entre 2000 et 2050 pour atteindre 50 millions d’habitants ; d’ici à quarante ans, la population du Nigeria va dépasser celle du Pakistan, du Bangladesh, de l’Indonésie et même peut-être des États-Unis, alors que la RDC et l’Éthiopie dépasseront la Russie et le Japon.
L’Afrique est désormais, en matière de population, le continent de tous les records et le « réservoir » démographique mondial. Son taux de fécondité est le double de la moyenne mondiale, son taux de croissance de la population, le double aussi, et son taux de natalité à 2,5% au moins, le double encore. La population africaine est ainsi la plus jeune au monde : 45% de sa population a moins de 15 ans. Aujourd’hui, la population africaine continue de croître à un rythme de 2,5% par an, soit un rythme deux fois plus élevé que la moyenne des autres pays émergents. Dans les scénarios médians étudiés par les Nations Unies ou les instituts démographiques, la population africaine devrait doubler en l’espace de quarante ans pour atteindre 2,4 milliards d’habitants en 2050. La population africaine représentera, à cette date, presque deux fois la population chinoise (qui sera d’un milliard d’habitants après un reflux démographique) et trois fois la population européenne. La densité de population atteindra alors 72 habitants par kilomètre carré, soit une densité proche des autres zones de peuplement. En comparaison, la population africaine sera multipliée par dix en l’espace d’unsiècle, alors que la population chinoise n’a augmenté que de 2,5 sur la même période, et le sous-continent indien de 5.
Le scénario d’un continent africain peuplé de 2 milliards d’habitants prend en compte des hypothèses de transition démographique médianes, proches des transitions observées dans les autres pays développés et émergents. En effet, les scénarios prévoient que le taux de fécondité passe de 5,5 enfants par femme actuellement à 2 enfants en 2050. Or, plusieurs de ces pays ont connu des transformations radicales (contraception dans les pays développés) et imposées (politique de l’enfant unique en Chine) dont il n’est pas certain qu’elles soient mises en œuvre avec la même rapidité en Afrique. La question centrale de la transition démographique africaine est de savoir si ladeuxième phase de cette transition sera engagée rapidement ou pas. En effet, la première phase de la transition démographique voit la mortalité chuter et la fécondité se maintenir à des niveaux élevés. La seconde phase de la transition démographique voit la fécondité chuter et se réajuster à un rapport équivalent du taux de mortalité. Ainsi, au Niger, les études conduites démontrent que le désir d’enfant des couples nigériens reste très élevé, supérieur même actuellement au taux de 7,2 enfants par femme.
L’Afrique disposait déjà d’espaces agricoles, de matières premières, de pièges à carbone et des premières réserves mondiales d’énergie hydroélectrique. La croissance démographique lui offre, en outre, des jeunes actifs urbains. En réalité, la démographie est le trait unificateur du continent, depuis le conflit au Tchad jusqu’à la croissance des villes, en passant par l’émigration vers l’Europe. Elle va soumettre la complexité des sociétés africaines à des bouleversements sans précédent, et nonseulement transformer le continent africain, mais la planète dans son ensemble.
Le sentier de croissance à long terme représente le principal défi pour l’Inde. L’Inde vient d’entrer dans une phase qualifiée par les économistes de «dividende démographique», qui se caractérise par moins de personnes dépendantes (enfants et personnes âgées) et plus d’actifs. Ce « dividende » se traduit économiquement par l’augmentation de la consommation intérieure et de l’épargne, ainsi que par une période d’amélioration de l’éducation et de la santé des enfants. Mais pour que l’entrée dans la vie professionnelle de ces jeunes actifs se traduise effectivement par l’effet « dividende », certaines conditions doivent être réunies, que l’Inde ne remplit pas actuellement. Ces jeunes actifs doivent être en bonne santé, dans un pays où la sous- alimentation et les problèmes de croissance touchent denombreux enfants. Ils doivent également être éduqués, alors que 63% seulement des Indiens de plus de 15 ans savent lire et écrire. En effet, si tous les enfants vont à l’école primaire, ils ne sont plus que 60% dans le secondaire et 16% dans l’enseignement supérieur. Le niveau de formation professionnelle est également faible. Ces jeunes actifs doivent également trouver un travail, alors même que le marché du travail indien compte beaucoup de formes de chômage et de sous-emploi, la main d’œuvre n’étant pas chère. Au regard de la croissance démographique, cette situation aboutit à devoir trouver un million de nouveaux emplois chaque mois pendant les dix années à venir. Le défi est considérable dans un pays qui connaît une insuffisance de ses infrastructures, une forte paralysie bureaucratique et une sous- industrialisation. Le dernier facteur, non négligeable, qui pourrait affecter ce « dividende démographique » concerne la participation des femmes au monde du travail.L’entrée massive des femmes dans la vie professionnelle a joué un rôle clé dans le développement économique de la Chine et de l’Asie du Sud-Est. En Inde, en revanche, leur taux d’activité est beaucoup plus bas : seulement 29% des Indiennes de plus de 15 ans travaillent, contre 68% des Chinoises.
La Chine a accompli une spectaculaire transition démographique. Avec 1,35 milliard d’habitants en 2013, soit un habitant de la planète sur cinq, la Chine est le pays le plus peuplé du monde. Elle lerestera encore pendant une vingtaine d’années. Dès 2030, elle devrait céder la place à l’Inde, quicompterait alors 20 millions de personnes en plus. En 1950, la Chine représentait 22% de la population mondiale, contre moins de 20% aujourd’hui. Cet effacement démographique relatif tient en partie au formidable essor de la population de certaines régions du monde en développement, notamment de l’Afrique, dont le poids est monté de 9% à 15% entre 1950 et 2010, et de l’Inde, passée de 15% à 18 %. Au milieu du XXIème siècle, la suprématie démographique de la Chine disparaîtra etreprésentera 16% de la population mondiale, contre 18% pour l’Inde et 22% pour l’Afrique.
L’affaiblissement démographique chinois tient principalement à la politique de limitation desnaissances mise en œuvre dans les années 1970, et à partir de 1979 avec la règle de l’enfant unique. À l’époque, cette disposition est présentée comme la condition sine qua non pour atteindre l’objectif de modernisation économique porté, à partir de 1978, par le dirigeant réformateur Deng Xiaoping. Elle permet d’allouer les ressources de l’État à la croissance, tout en améliorant le niveau de vie.
Jusqu’à présent, le ralentissement de la croissance démographique chinoise a constitué un formidableatout, tant pour son développement économique que pour l’amélioration globale du niveau de vie de ses habitants. Au début du XXIème siècle, la Chine est devenue un acteur essentiel sur la scène économique mondiale. Ce succès a pris sa source dans la réforme en profondeur du système deproduction entamée par Deng Xiaoping à la fin des années 1970, grâce à laquelle la productivité du travail s’est fortement accrue. Mais cette transition économique n’aurait pu être aussi porteuse si elle n’avait bénéficié d’une conjoncture démographique très favorable. Depuis le milieu des années 1980, la Chine détient une carte maîtresse : un bonus démographique exceptionnel. En effet, la natalité y a fortement baissé alors même que sa population âgée reste encore, en proportion, peu nombreuse. Ainsi, elle compte 2,1 adultes par personne économiquement dépendante en 2010, contre 1,3 adulte au Japon, 1,6 en Inde ou 1,8 au Brésil. À l’heure actuelle, près de 70% des Chinois sont à l’âge actif (15-59 ans), contre 56% des Japonais, 61% des Indiens et 66% des Brésiliens.Mais dès 2050, ils ne seront plus que 54 %, alors que l’Inde, sa concurrente la plus directe, en comptera 63%.
La force actuelle de la Chine sur la scène économique mondiale tient en partie à ce contexte démographique privilégié, mais transitoire. Dès le milieu du XXIème siècle, la Chine comptera presque autant de dépendants que d’actifs, avec un ratio de 1,1 adulte pour une personne dépendante, deux fois moins qu’en 2010. Ce bouleversement structurel qui se manifeste par un vieillissement exceptionnellement rapide de la population vient davantage de la réduction de la fécondité que de l’allongement de la durée de vie. Il s’agit d’une particularité chinoise : un vieillissement créé de toutes pièces par la politique de contrôle des naissances qui, en restreignant le nombre des enfants, a fait mécaniquement augmenter la part des seniors. D’ici 2050, la proportion de Chinois âgés de 60 ans aura triplé, atteignant 31%, et les seniors seront 440 millions, l’équivalent de la population européenne actuelle. Un Chinois sur deux aura plus de 45 ans, contre un sur quatre encore en 2000. La population atteindra alors un niveau de vieillissement comparable à celui que connaît actuellement le Japon, pays à la proportion de population âgée la plus forte du monde.
À Shanghai, près d’un habitant sur quatre a d’ores et déjà plus de 60 ans et une pénurie de main-d’œuvre commence à se faire sentir dans certains secteurs. Shanghai sert actuellement de « ville test » et a longtemps été la seule municipalité du pays à mener des campagnes de sensibilisation encourageant activement une partie des couples (ayant été eux-mêmes enfants uniques) à donner naissance à un second enfant. Cependant, la fécondité y reste parmi les plus faibles du monde : 0,7 enfant par femme en 2005.
La croissance démographique des pays émergents s’accompagne d’une urbanisation accélérée
L’urbanisation est un phénomène structurel majeur des pays émergents. En 2008, selon les chiffres des Nations Unies, les habitants des villes ont, pour la première fois, dépassé en nombre les ruraux (soit plus de 3,5 milliards de personnes habitant en ville). D’ici à 2030, cette population urbaine devrait passer à 5 milliards de personnes, soit 60% de la population mondiale. Paradoxalement, si la population mondiale n’a jamais été aussi nombreuse, elle se concentre néanmoins dans des espaces de plus en plus restreints.
Le monde se « métropolise » sous l’effet de trois facteurs :
- la montée du secteur tertiaire dans les espaces urbains les plus peuplés, qui attirent des actifsdevenus disponibles du fait de l’accroissement de la productivité agricole,
- le souhait des ménages d’avoir accès aux services urbains (médecine, transports, eau, loisirs),
- les métropoles répondent davantage à la mise en place de l’« espace monde » en facilitant les connexions.
En Afrique, la croissance démographique s’accompagne d’une urbanisation accélérée du continent. L’Afrique ne comptait, en 1950, aucune ville millionnaire. Elle en compte aujourd’hui quarante. L’urbanisation est une tendance lourde qui devrait se poursuivre, puisque le taux d’urbanisation est actuellement de 36% de la population en Afrique, contre 80% en Amérique latine. D’ici à 2030, les projections estiment que la moitié de la population africaine sera urbanisée, ce qui correspond enl’espace de quinze ans, à un doublement de la taille des villes africaines. En 2030, 600 millions d’Africains seront citadins. Lagos (17 millions d’habitants), Kinshasa (10 millions) et Johannesburg(4 millions) rejoignent progressivement les villes les plus peuplées au monde.
Une comparaison de l’évolution de la population urbaine des BRIC et des BENIVM1 montre ladynamique des pays asiatiques (Chine, Indonésie et Vietnam) ainsi que des pays africains (Nigeria et Éthiopie). En moins de vingt ans, la population urbaine éthiopienne a presque doublé. Inversement, des pays tels que le Brésil ou le Mexique ont achevé la transition de leurs populations vers les zones urbanisées.
Graphique 2 : Évolution de la population urbaine des BRIC (en %)
Source :
Nations Unies 2014 pour les années 1990 à 2007 et CIA Worldfact Book 2014 pour 2010- 2011.
Graphique 3 : Évolution de la population urbaine des BENIVM (en %)
Source :
Nations Unies 2014 pour les années 1990 à 2007 et CIA Worldfact Book 2014 pour 2010- 2011.
Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme : XVe-XVIIIe siècle, Paris, Colin, 1967.
Saskia Sassen (1949), sociologue et économiste néerlando-américaine, spécialiste de la mondialisation et de lasociologie des très grandes villes du monde, est à l’origine du concept de « ville-mondiale » (global cities). Elle est aujourd’hui professeure de sociologie à l’université Columbia et à la London School of Economics.
Les villes des pays émergents, qui regroupent une main-d’œuvre abondante, se caractérisent par le développement des communications et des technologies et une mobilité croissante des individus et du capital, soit les deux facteurs nécessaires à la croissance économique.
Cependant, l’intensité de la concentration urbaine reste contrastée selon les pays émergents. 31% deshabitants vivent en ville en Inde, 50% au Nigeria, 74% en Allemagne, 82% aux États-Unis et 84% en France. Les facteurs d’urbanisation sont très variables. Le taux élevé d’urbanisation au Brésil (87%) est dû à l’héritage de la colonisation qui a fondé des villes chargées d’assurer le contrôle politique et économique du territoire et de centraliser l’exclusivité des échanges avec la métropole portugaise. Le faible taux d’urbanisation en Chine (51%) doit beaucoup au régime communiste qui a longtemps fixé les travailleurs ruraux dans les campagnes, avant l’exode urbain en cours depuis le début des années 1990.
L’urbanisation des pays émergents donne naissance à de nouvelles grandes métropoles mondiales
Sous l’effet conjugué de la croissance démographique et de l’urbanisation des populations, les pays émergents voient apparaître des métropoles de taille mondiale. Ces métropoles, qui constituent lecentre des grands réseaux et infrastructures, ont vocation à jouer un rôle d’attraction des talents et des énergies de plus en plus important. À ce titre, ces nouvelles métropoles mondiales deviennent des « villes-mondes », suivant le modèle défini par Fernand Braudel, où actifs, capitaux et marchandises affluent en provenance du reste du monde.
La notion d’économie-monde2 est définie par Fernand Braudel comme « un morceau de la planète économiquement autonome, capable pour l’essentiel de se suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine unité organique ». Une économie-monde est un système organisé par un centre, lequel exerce une domination ou une influence sur des périphéries et des marges.
Une économie-monde est généralement dominée par une ville-monde où « les informations, les marchandises, les capitaux, les crédits, les hommes, les ordres, les lettres marchandes y affluent et en repartent ». Il existe aujourd’hui plusieurs appellations, dans lesclassements internationaux, pour qualifier les métropoles mondiales (ville mondiale, ville globale, ville-monde). Le classement d’ATKearney sur les métropoles mondiales, qui reprend les travaux de Saskia Sassen3, fait apparaître les villes des pays émergents pour la première fois en 2012 avec des métropoles telles que Pékin, Shanghai, Moscou ou Buenos Aires.
Les métropoles des BRICS sont les villes qui connaissent les plus fortes croissances. Cependant, elles sont progressivement rejointes par les métropoles des nouveaux pays émergents, à l’instar de Mexico, Buenos Aires, Bogota, Lagos, Luanda, Jakarta ou Ho Chi Minh Ville. En 2014, sur les vingt-sept agglomérations des pays émergents comptant plus de dix millions d’habitants, neuf dépassent vingt millions d’habitants. Parmi ces vingt-sept agglomérations, seize se situent en Asie,cinq en Amérique latine et déjà quatre en Afrique sub-saharienne. Ainsi, le Nigeria a atteint un tauxd’urbanisation de 50%. La ville de Lagos compte près de 16 millions d’habitants. Selon les Nations Unies, Lagos devrait atteindre 25 millions d’habitants en 2015, ce qui en ferait une des principales mégapoles mondiales.
Les pays émergents vont poursuivre leur croissance urbaine. En 2014, plus de la moitié des Chinois vivent en ville. En 2030, ils seront 70%, soit près d’un milliard de personnes. Le fait que la Chine, avec ses montagnes et ses déserts, compte moins d’espace habitable que les États-Unis tout en étant quatre fois plus peuplée, explique les contraintes d’urbanisation de la population chinoise, tout autant que les nécessités d’une organisation et d’une croissance maîtrisée des villes.
L’urbanisation des pays émergents est un facteur structurel de croissance
La croissance économique des pays émergents a été remarquable au début du XXIème siècle
La croissance démographique est un facteur constitutif de la croissance économique, l’autre facteur étant le capital. Cependant, la population active n’est pas l’unique déterminant du capital humain puisqu’il doit être pondéré par la productivité du travail ainsi que par le temps de travail.
Le volume global d’heures travaillées détermine la croissance potentielle d’une économie, alors que la relation entre la croissance et l’emploi doit s’analyser en fonction de l’intensité des gains de productivité. Plus que la population totale, le capital humain détermine, avec le facteur capital, la croissance potentielle. Cette expression, popularisée par Gary Becker, prix Nobel d’économie (1992), désigne le stock de savoirs et de savoir-faire accumulé par une personne, stock qui est mobilisé par les actifs dans l’acte de production. Sur le plan macroéconomique, la Banque mondiale souligne l’importance de cet investissement humain comme condition nécessaire de la croissance économique et du développement. La capacité de travail des actifs y est en effet directement conditionnée par l’amélioration de la nutrition et de l’état sanitaire.
Les BRICS sont parvenus, en 2012, à hisser les pays émergents à la première place économique grâce à une forte productivité du travail, au comblement de leur retard technologique et à la croissance des exportations. Les BRICS disposent désormais de fondamentaux économiques solides. Entre 2007 et 2012, l’évolution du PIB de la Chine a été de +46%, celle de l’Inde de +34% et celle du Brésil de +16%. La Russie, dont l’évolution est la plus faible, a atteint +10% sur la même période, alors que les États-Unis sont à 3,3%.
Graphique 4 : Évolution du taux de croissance des BRIC (en %)
La Chine ne peut plus uniquement faire reposer sa croissance sur les exportations, notamment en raison de la faible croissance des pays riches et de la crise des dettes souveraines qui contraignent la consommation. Le plan quinquennal de 2011, puis le congrès du Parti communiste chinois de novembre 2013, ont adopté plusieurs décisions favorables au rééquilibrage de cette croissance. Ces mesures concernent notamment la libéralisation des dépôts bancaires, une meilleure redistribution des revenus, la réforme du «hukou» et l’instauration de titres de propriété, qui devrait permettre à 390 millions d’habitants des zones rurales de migrer vers les villes dans les quinze prochaines années. Le « hukou » est un permis de résidence qui rattache près de 300 millions de Chinois (soit 40% de la population urbaine) ayant migré vers les villes à leur village d’origine. Ils ne peuvent, enconséquence, acheter ou vendre des biens immobiliers dans les villes. La réforme du « hukou » devrait développer l’achat de biens immobiliers et avoir un effet richesse pour la classe moyenne.
La croissance économique et l’urbanisation sont étroitement liées
La croissance économique et le développement doivent s’accompagner d’une urbanisation des populations. Ce facteur est absolument fondamental pour développer les services, construire des infrastructures et les rentabiliser. Dans son étude sur l’urbanisation, l’ONU4 montre qu’une augmentation de 5% de la population urbaine augmente de 10% l’activité économique.
L’Afrique offre la meilleure illustration de ce phénomène. En effet, le développement n’est pas possible dans un espace géographique dépeuplé. Avec des densités de population de 8 habitants parkilomètre carré dans les années 1990, l’Afrique connaissait des taux de peuplement qui avoisinait les départements français les moins peuplés (Lozère, Creuse). Avec un taux de peuplement aussi faible, les infrastructures ne sont pas rentables, l’agriculture ne peut être industrialisée, et l’absence de villes denses empêche les économies d’échelle croissantes. Avec une prévision « réaliste » de deux milliards d’habitants en 2050, plus que la Chine, et trois fois plus que la population européenne àcette date, l’Afrique pourra assurer son développement par un maillage urbain substantiel. En 2050, un milliard d’Africains devrait vivre en zone urbaine.
L’urbanisation est alimentée par des migrations intérieures dont l’origine est le départ des populations agricoles vers les villes. Cette population constitue la source des classes moyennes émergentes quisont essentiellement urbaines. La classe moyenne se développe surtout dans la zone Chine – Asie, mais reste encore en retrait en Afrique. Ce retrait s’explique notamment par le fait que la notion de classe moyenne en Afrique peut apparaître comme floue, difficile à saisir et peu opérationnelle. En effet, en Afrique, l’importance du secteur informel, le cumul systématique des activités, le caractère non fiable des répertoires professionnels, la multitude d’activités inconnues en Occident et le poids de la pauvreté rendent difficile la classification des personnes dans la classe moyenne. La classe moyenne peut ainsi se retrouver dans les populations en cours d’ « enrichissement », mais aussi dans l’ensemble des individus qui sort de la précarité (c’est-à-dire qui satisfait de manière structurelle aux dépenses contraintes et dispose d’un revenu arbitrable minimal), sans être pourautant à l’abri d’un déclassement rapide. La notion chinoise de « petite prospérité » (« xiaokang »), associée à ces critères de sortie de la précarité et de risque de déclassement rapide, permet de définir cette classe moyenne.
L’urbanisation, qui pose de nombreux défis aux pays émergents, est un immense opportunité économique
UN-Habitat, l’agence des Nations Unies spécialisée dans les questions d’urbanisation, définit un bidonville comme un ensemble de « taudis » qui se caractérise comme un logement urbain dépourvu d’un ou plusieurs des éléments suivants: i) habitation durable (qui peut durer physiquement plus d’un an) ; ii) surface habitable suffisante (avec moins de trois personnes par pièce) ; iii) disponibilité d’eau potable ; iiii) accès à un système d’assainissement ; iiiii)sécurité d’occupation (un titre de propriété ou un bail).
- Sur ce sujet, voir les travaux de Julien Damon, professeur à Sciences Po, Master Urbanisme, et notamment :
« L’urbanisation mondiale en perspective positive », Études, juin 2011, n°4146 et L’urbanisation du monde : espoirs et menaces», Sciences Humaines, novembre 2011, n°231.
Il existe cinq grandes catégories de déchets solides : les déchets solides municipaux, les déchets industriels, les déchets de construction, de démolition et Les déchets solides municipaux, qui représentent près de la moitié de la production mondiale de déchets, proviennent du secteur résidentiel, du secteur commercial et du secteur tertiaire. Ils sont principalement composés de déchets alimentaires, papier, textiles, déchets verts, bois, caoutchouc, plastiques, métaux et verre.
L’urbanisation nécessite une planification de son développement
L’urbanisation des pays émergents pose de nombreux défis : planification du développement, mise en place d’infrastructures, lutte contre la pollution et l’insécurité… L’urbanisation de l’Amérique latine et la croissance rapide de villes telles que Mexico et Rio de Janeiro, démontrent la difficulté deconcilier un développement urbain cohérent avec un accroissement démographique massif.
La première dimension de la planification est économique. L’extension de la ville se fait aux dépensdes campagnes qui ont longtemps été « nourricières » pour la population. D’une part, la ville fait apparaître le phénomène du chômage et doit connaître un taux de croissance suffisamment important pour offrir du travail à l’ensemble des actifs. D’autre part, l’urbanisation pose la question des titres de propriété de la terre. Par exemple, en Chine, les paysans ne sont pas propriétaires de leurs terres. Les autorités locales peuvent facilement les saisir et réaliser desbénéfices importants en les vendant à des promoteurs. Cette situation, conjuguée à la spéculation immobilière, a conduit à la construction de villes « fantômes » qui sont apparues à la périphérie des grandes villes chinoises.
La deuxième dimension de la planification est sociale. Le risque d’un développement urbain accéléré réside dans le développement d’une société à deux vitesses. La planification doit permettre d’éviter une séparation excessive entre les quartiers urbains « riches » et le développement de ghettos et de bidonvilles. Les métropoles des pays émergents sont particulièrement exposées à ce problème, que ce soit à Lagos, qui abrite à la fois les gratte- ciel du centre des affaires de Victoria Island, les villas cossues d’Ikoyi et les bidonvilles d’Oshodi, mais également en Amérique latine, comme à Sao Paulo, ou en Chine à Chongqing. Les grandes villes sud-américaines ont mis vingt ans à engager des politiques de résorption des bidonvilles et des favelas. Car l’urbanisation en cours dans les pays émergents est, pour une grande partie, une progression des bidonvilles. Les Nations Unies estiment qu’un milliard de personnes vivent aujourd’hui dans des bidonvilles, qu’elles pourraient atteindre 1,4 milliard en 2020, voire 2 milliards en 2030. Les chiffres et les définitions5 sont loin d’être précis, mais ces statistiques indiquent néanmoins qu’un tiers des urbains dans le monde vivent dans des bidonvilles6.
La troisième dimension de la planification est politique. Il s’agit s’assurer la stabilité sociale, et enconséquence politique, des agglomérations où plusieurs millions d’habitants vivent. L’urbanisation, couplée à l’émergence des classes moyennes, est un puissant facteur de contestation sociale et d’aspirations démocratiques. Les mouvements sociaux au Brésil ou en Turquie prouvent bien que les populations urbanisées sont plus « sensibles » aux mouvements politiques et sociaux.
Les villes des pays émergents constituent le nœud névralgique des infrastructures
Le développement des infrastructures est moins coûteux par habitant en zone urbaine, où la densité de population est plus importante. La concentration de la population dans les villes permet de faire accéder un plus grand nombre de personnes aux différentes infrastructures que sont les transports, l’électricité ou l’eau. Ces infrastructures, qui sont particulièrement capitalistiques, nécessitent des environnements urbains suffisamment concentrés pour être rentabilisés.
Les transports urbains, ou leur absence, sont ceux qui marquent le plus l’organisation d’une ville. À Lagos, les embouteillages nuisent à la circulation des biens et des personnes, donc au développement économique. En 2008, un système efficace de bus de transport rapide (Bus Rapid Transit) a été mis en place entre le continent et Lagos Island, au cœur du centre-ville. Il a permis de diviser par deux letemps de trajet des passagers sur l’un des axes les plus encombrés de la ville. Aujourd’hui, 400.000 personnes empruntent cette ligne chaque jour et le service est assuré par 290 bus de fabrication brésilienne et chinoise. À Lagos toujours, les autorités prévoient également une ligne de train express urbain de 27 kilomètres construite par une entreprise chinoise et qui devrait être opérationnelle en 2015 pour desservir l’ouest de l’agglomération. Des bateaux-navettes devraient également entrer en service dans la lagune pour désengorger les ponts. À Kinshasa, le gouvernement a acquis 300 bus pour 31 millions d’euros, et un projet de construction d’une ligne detramway pour 2016 est également en discussion entre une société belge, Préfarail, et une société chinoise, Synohydro.
Les infrastructures ferroviaires connaissent également un développement spectaculaire. Les pays émergents apparaissent comme un eldorado des trains à grande vitesse. En décembre 2012, la Chine a inauguré la ligne ferroviaire à grande vitesse la plus longue du monde en Chine sur l’axe Beijing –Canton (2.298 km). En 2007, le réseau ferroviaire chinois à grande vitesse n’existait pas. En quelques années, la Chine construit le premier réseau mondial : 9.300 kilomètres déjà réalisés et 16.000 kilomètres prévus en 2020. À cette date, toutes les villes de plus d’un demi-million d’habitants seront reliées. Le Brésil est en passe de lancer un appel d’offres pour une ligne entre Rio et Sao Paulo (510 km), alors que la Russie réfléchit à une ligne entre Moscou et Saint-Pétersbourg (660 km, même si le projet est retardé). Le Vietnam, avec son corridor Hanoi – Hô Chi Minh Ville (1.200 km) et sa géographie de villes côtières, se prête à un projet ferroviaire, ainsi que le Brésil côtier au-delà de la ligne Rio –Sao Paulo. L’Inde est également en discussion pour se doter d’infrastructures et de matériel à grande vitesse.
L’électricité est une condition indispensable à la croissance économique et à l’essor urbain. Dans ce cadre, la question de l’énergie nucléaire dans les pays émergents est fondamentale puisque les besoins sont exponentiels et les ressources limitées. Alors que la production électrique mondiale d’origine nucléaire est de 14%, cette source d’énergie est en croissance rapide dans les pays émergents, dont les besoins augmentent pour assurer leur développement – la consommation d’électricité en Inde va doubler tous les dix ans. Pour répondre aux défis imposés par leur développement, ces grandes puissances émergentes ne peuvent plus seulement compter sur lessources d’énergies fossiles, polluantes et limitées. Selon l’AIEA, entre 100 et 300 nouvelles centrales nucléaires seront construites dans le monde d’ici à 2030. La majorité sera située dans les grands pays émergents (Chine, Inde, Russie, Brésil, Afrique du Sud, Vietnam, Arabie Saoudite). D’ores et déjà, sur la soixantaine de centrales nucléaires en construction dans le monde, 28 se trouvent en Chine, 10 en Inde et 5 en Russie. Même si l’accident de Fukushima a entraîné des réflexions sur la sécurité nucléaire, les grands pays émergents n’ont pas remis en cause leurs projets. Ainsi, la Chine et l’Inde devraient multiplier par cinq leur utilisation d’énergie nucléaire d’ici à 2022, alors que l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Vietnam, la Malaisie ou le Bangladesh ont lancé, à des degrés divers, des programmes nucléaires civils. L’accès à l’électricité demeure un bien précieux. À Lagos, les quartiers privilégiés ne bénéficient que de six heures d’électricité par jour, dans les quartiers populaires la disponibilité se réduit à trois heures. Dans ces conditions, il est difficile pour les entreprises de s’implanter et de se développer. Les habitants de Lagos ont d’ailleurs avec humour surnommé l’entreprise publique d’électricité PHNC « please hold candle now » («prépare la bougie maintenant»).
L’accès à l’eau potable et les infrastructures d’assainissement sont un élément structurant de l’urbanisation. La Chine, l’Afrique et le Moyen-Orient peuvent être considérés comme des régions présentant un stress hydrique potentiel élevé. Ainsi, les besoins en eau et en assainissement seront colossaux en Afrique d’ici à 2050. Or, le niveau d’accès à l’eau potable y reste le plus faible au monde : 300 millions d’Africains n’ont pas d’accès facile à l’eau potable, et près de 640 millions ne disposent pas d’un réseau d’assainissement décent.
Le défaut d’assainissement entraine la pollution des rues mais aussi de la nappe phréatique où est pompée l’eau, avec des conséquences sur la santé des habitants et notamment des enfants. Selon la Banque mondiale, près d’un Africain sur deux doit parcourir 10 kilomètres pour s’approvisionner eneau. Seulement 36% de la population africaine bénéficierait de services d’assainissement plus ou moins adaptés, qui vont de simples latrines (il faudrait en construire plus de 50 millions sur le continent) aux réseaux d’égouts et d’infrastructures de traitement des eaux. Ces taux restent très éloignés des Objectifs du millénaire pour le développement définis par les Nations Unies, qui préconisaient d’atteindre les 50% en 2015.
Les projets d’assainissement et de raccordement à l’eau potable sont ceux qui suscitent la plus grande mobilisation des financeurs internationaux que sont les banques multilatérales de développement telles que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD) ou l’Agence française de développement (AFD). L’amélioration de l’approvisionnement en eau et des services d’assainissement ne pourra se faire dans les pays émergents que si les États et les collectivités locales prennent en main la prestation des services. Il s’agit de contrôler l’efficacité des réseaux. En Afrique, après l’adoption en 2000 de la « Vision africaine de l’eau pour 2025 », la BAD a mis sur pied la « Facilité africaine de l’eau » (FAE), le premier fonds pour l’eau du continent. Entre 2005 et 2012, le total des investissements s’est élevé à 532 millions d’euros. Sur la même période, la BAD a financé 38 programmes d’alimentation en eau et d’assainissement dans 27 pays pour un investissement total de 1,3 milliard de dollars.
La question du financement est le sujet majeur des infrastructures urbaines des pays émergents. Pourfinancer l’urbanisation, il existe quatre sources de financement principales : les ressources publiques, l’emprunt, le recours à des partenariats public-privé et la valorisation du foncier. Alors qu’en Chine, l’État et les collectivités locales sont les premiers investisseurs, aucune de ces quatre sources n’estsuffisante dans la plupart des autres pays émergents. Il faut conduire des projets dont les sources definancement sont multiples et qui font appel aux investisseurs internationaux, dont les banquesmultilatérales de développement, et nationaux. L’AFD consacre ainsi 44% de ses prêts aux financements des infrastructures et au développement urbain.
L’urbanisation permet de déployer des services indispensables au développement économique
L’urbanisation ne peut être vivable que s’il existe un réseau de traitement des déchets7. Or, les décharges à ciel ouvert, véritables menaces pour la santé des populations et pour l’environnement,sont encore très nombreuses dans les pays émergents. Dans un rapport publié en 2011, la Banque mondiale constate que les déchets solides municipaux ont vu leur volume multiplié par deux au cours des dix dernières années au niveau mondial et qu’ils devraient augmenter de 70% d’ici 2025 pour atteindre 2,5 milliards de tonnes par an. Pour l’essentiel, ces déchets sont le résultat de l’effet conjugué du développement urbain et de l’évolution des modes de consommation, avec notamment le développement de la classe moyenne émergente, toujours selon ce rapport de la Banque mondiale.Lorsqu’un pays s’urbanise et que la population s’enrichit, la consommation de matières inorganiques, comme le plastique, le papier, le verre et l’aluminium s’accroit, tandis que le volume des déchets organiques diminue. Devenue en 2004 le premier pays producteur de déchets devant les États-Unis, la Chine génère 70% des ordures du Sud-Est asiatique et du Pacifique. Les pays qui connaissent le plus fort taux de croissance de ces déchets, en corrélation avec leur taux d’urbanisation et d’augmentation du PIB, se situent en Asie du Sud-Est et regroupe environ 33% du total des quantités mondiales.
Les villes émergentes ne disposent pas des moyens financiers pour faire face à cette prolifération de déchets. Pour pouvoir gérer durablement ces déchets, les autorités locales doivent investir pour améliorer le tri, renforcer le recyclage et la valorisation des déchets, promouvoir des décharges mieux encadrées. Or, elles ne disposent ni des moyens, ni souvent des compétences nécessaires pour mener de telles politiques. Le secteur du recyclage, par exemple, ne bénéficie pas de politiques incitatives. Il relève dans de nombreux pays du secteur informel, ce qui rend difficile son évaluation. Il est de ce fait impossible d’estimer correctement le véritable taux de valorisation des déchets. Les acteurs privés se développent sur ce créneau qui constitue une réelle opportunité économique. Mais leurs perspectives sont encore très dépendantes d’un cadre réglementaire strict et sécurisant, d’une bonne gouvernance publique et d’un accès plus facile aux financements.
Le développement des réseaux de téléphone mobile et d’Internet témoigne de ce cycle vertueux entre démographie, urbanisation et croissance. La téléphonie, principalement mobile, se développe dans les pays émergents. La Chine est récemment devenue le plus grand marché de la téléphonie cellulaire dans le monde avec 700 millions d’abonnés. La couverture des téléphones portables estforte au Vietnam. L’Afrique est passée directement de l’absence de téléphone au réseau mobile, sanspasser par le développement de la technologie filaire comme en Europe, avec 650 millions detéléphones cellulaires. En Éthiopie, le parc de téléphones mobiles s’élève à 20 millions de mobiles pour une population de 94 millions d’habitants, soit près d’un quart de la population, et alors qu’environ un tiers de la population vit encore sous le seuil de pauvreté.
Grâce à la téléphonie mobile,de nouveaux services apparaissent qui simplifient la vie des citadins, comme par exemple le paiement sans carte de crédit. Selon plusieurs études de l’université deCalifornie du Sud, l’introduction de la téléphonie transforme les structures économiques et sociales.Elle rendrait notamment les échanges existants plus efficaces et permettrait d’introduire de nouvellesformes d’organisation et de transaction, à l’image des paiements sur mobile. L’un des principaux atouts de la téléphonie mobile est qu’elle permet de créer les conditions de création de valeur et de partage sans passer par la construction d’une infrastructure matérielle lourde.
En 2014, 70% des Kényans et 50% des Soudanais utilisent le mobile pour leurs paiements. Le paiement par téléphone mobile se développe également en Tanzanie (environ 20% des adultes utilisent ce moyen de paiement), aux Philippines (un peu plus de 10%), en Inde et en Chine. Au Kenya, Safaricom a lancé une application, M-Pesa, qui permet de payer les légumes au marché, l’électricité de la maison ou l’école des enfants. De tels services, qui s’adressent prioritairement àune population urbaine, facilitent la dynamique économique. Le transfert de fonds par téléphone mobile est également apparu. Dans ce domaine, le Kenya est également un précurseur avec plus de 60% des transferts de fonds réalisés par ce moyen (contre 2% par les banques), suivi par l’Ouganda (environ 40%), la Tanzanie (environ 30%), alors que le Nigeria et l’Afrique du Sud commence à découvrir ce nouveau moyen de transfert (moins de 5%).
Dans les grandes métropoles émergentes, plus de la moitié des habitants a accès à Internet et un quart l’utilise quotidiennement, principalement via un téléphone mobile, les ordinateurs étant encore trop peu nombreux. Certains États, comme le Kenya, mènent des politiques volontaristes de développement des infrastructures pour favoriser l’accès à Internet. Dans les BRICS, la percée d’Internet est visible en Chine et en Afrique du Sud. Dans les BENIVM, le Vietnam et le Mexique disposent des populations les plus connectées tandis que le Nigeria a connu, entre 2005 et 2013, lacroissance de connectés la plus importante.
L’urbanisation favorise également la scolarisation des enfants, et notamment des filles. Le développement économique est étroitement lié au taux d’alphabétisation féminine. Les populations urbaines scolarisent plus facilement les filles qui exercent moins de tâches domestiques et, par nature, aucune tâche agricole. Au Mexique et en Colombie, il existe ainsi une corrélation très forte entre le taux de croissance (respectivement 4% et 6,6% en 2011), le taux d’alphabétisation féminine (92% et 94%) et le taux d’urbanisation (78% et 75%). A contrario, il existe également des pays avec des taux de croissance et d’alphabétisation féminine élevés, mais un taux d’urbanisation plus modeste. Au Vietnam par exemple, la croissance a atteint 6,2%, avec un taux d’alphabétisation féminine de 91%, alors que le taux d’urbanisation est encore faible (31%). De même, en Indonésie, la croissance de 5,3% du PIB, liée à une alphabétisation féminine de 90%, s’appuie sur une urbanisation encore en développement (51%).
L’innovation permet une urbanisation mieux adaptée aux nouveaux besoins des populations. Un des exemples les plus aboutis d’innovation qui a permis une nette amélioration de la vie des habitants est la construction du téléphérique urbain de la ville colombienne de Medellin, qui était connue dans les années 1990 pour être l’une des plus dangereuses du monde. Grâce à un financement de l’Agence française de développement (250 millions de dollars, soit environ 180 millions d’euros), la municipalité a développé deux lignes de téléphérique, ouvertes en 2007 et 2010, qui ont permis de désenclaver 350.000 personnes, en leur permettant de rejoindre le centre- ville. Ces aménagements de transport, couplés à des actions sociales, ont permis l’installation d’entreprises, de commerces, de crèches, de bibliothèques et une baisse drastique du taux de morts violentes.
La lutte contre la pollution est une priorité des métropoles émergentes
La pollution s’est développée avec l’accroissement des villes. En Chine, Pékin et les principales métropoles sont régulièrement plongées dans un «brouillard» de pollution qui est devenu une préoccupation majeure de santé publique. Or, la Chine émet désormais deux fois plus de dioxyde de carbone que les États-Unis. La pollution trouveson origine dans les voitures et les centrales à charbon situées aux abords des grandes agglomérations.
Cette pollution a un effet sur le réchauffement climatique à l’origine des catastrophes climatiques de plus en plus fréquentes (inondations, sécheresse, tempêtes, glissements de terrain, etc.) qui touchent essentiellement les quartiers pauvres des villes des pays émergents. La hausse du niveau de la mer a déjà atteint une dizaine de centimètres depuis 50 ans et pourrait s’accentuer selon les tendances actuelles. Les villes densément peuplées et bâties au bord de l’eau sur les côtes du Sud-Est asiatique (Bangladesh, Indonésie…) en seront les premières et principales victimes. Les inondations, dues à la déforestation, aux tempêtes tropicales et à l’absence d’évacuation des eaux, vont également augmenter. Ces catastrophes climatiques ont un coût : estimés à 6 milliards de dollars par an par la revue Nature Climate Change, ces coûts pourraient atteindre jusqu’à 1.000 milliards de dollars si les équipements actuels ne sont pas renforcés (digues, assainissement,…) compte tenu de la croissance urbaine actuelle.
La France dispose de grands atouts pour relever ces défis
Selon un article de juillet 2010 de l’agence officielle Xinhua.
Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez, Bruno Lafont, PDG de Lafarge et Jean-Pascal Trictoire, PDG de Schneider Electric participent à ce conseil du maire de Chongqing.
Les représentants spéciaux sont Martine Aubry (Chine), Jean-Pierre Chevènement (Russie), Jean-Pierre Raffarin(Algérie), Alain Richard (Balkans), Paul Hermelin (Inde), Jean-Charles Naouri (Brésil), Philippe Faure (Mexique), PierreSellal (Émirats arabes unis).
China National Nuclear Corporation.
China General Nuclear.
Dans la compétition mondiale relative à l’équipement des métropoles mondiales émergentes, la France se distingue par une offre unique au monde en termes de transports, d’énergie, de déchets, d’eau et de services urbains en général. Cependant, l’offre française est rattrapée technologiquement par les pays émergents et soumise à une concurrence de plus en plus difficile. Dans ce cadre, la France doit révolutionner son offre pour, d’une part conserver un écart technologique et compétitif suffisant, mais également pour préparer la croissance exponentielle des grandes métropoles mondiales. Cela signifie conduire quatre réformes structurelles : cibler ses véritables clients, définir ses priorités, construire une offre pour la « smart city » et développer des offres croisées.
La France doit conduire une stratégie d’influence auprès des métropoles émergentes de taille mondiale
Les métropoles émergentes ont, de plus en plus, un pouvoir de décision autonome. Cela signifie que les entreprises françaises doivent entretenir un lien fort avec les autorités centrales, mais également avec les autorités locales. Le maire de Shanghai ou le gouverneur de Lagos sont des personnages aussi, voire plus importants que la plupart des ministres. Or, la France est un État centralisé où une majorité des décisions sont prises à Paris. La vision centralisatrice française n’est pas un atout dansun monde où les métropoles sont devenues des puissances à part entière.
La stratégie d’influence des entreprises françaises doit donc cibler les métropoles émergentes, plus que les États centraux, comme par exemple la ville de Lagos, qui est un État fédéré, ou celle de Shanghai, qui est une municipalité directement administrée par le pouvoir central, où plusieurs sociétés françaises ont établi leur siège chinois. Dans la ville chinoise de Chongqing, municipalité également administrée par les autorités centrales du Parti qui est devenue la plus grande ville du monde (32,8 millions d’habitants8), les PDG de GDF Suez, Lafarge ou Schneider9 participent tous les ans au «conseil du maire». Ce dernier vise à conseiller la municipalité dans son développement et ses investissements. Il constitue également un lieu d’influence pour les entreprises étrangères en amont de la signature des contrats. GDF Suez est ainsi présent à Chongqing dans le domaine del’eau dans le cadre d’une joint-venture avec le Chongqing Water Group pour une concession de cinquante ans signée en 2002. Il est fondamental que les patrons français, et leurs équipes, s’investissent davantage dans la stratégie d’influence auprès des autorités locales.
Parallèlement, sur le modèle des représentants spéciaux nommés par le gouvernement pour les grandes puissances émergentes10, les milieux d’affaires français pourraient coordonner leurs présences en désignant un représentant unique dans une dizaine de métropoles émergentes. Le modèle des représentants spéciaux, actuellement utilisé par le gouvernement dans huit pays émergents, a produit des effets positifs en termes de dialogue d’affaires. Les PDG des principales entreprises françaises impliquées dans les services urbains (EDF, GDF Suez, Suez environnement, Veolia, RATP, ADP, JC Decaux), mais également les PDG des entreprises de téléphonie mobile et de la grande distribution, pourraient ainsi être utilement désignés comme représentants de l’offre française dans les grandes métropoles émergentes. Ces représentants ne pourraient pas être nommés par le gouvernement, puisqu’il ne s’agit pas de relations d’État à État. Ils devraient être désignés par les milieux d’affaires français en accord avec l’ensemble des entreprises participant à l’offre urbaine.
Cette proposition pourrait être mise en œuvre dans une dizaine de métropoles émergentes de taille mondiale, les « TEC » (Ten emerging cities). Ces métropoles seraient choisies en fonction de leur taille actuelle, mais également en fonction de leurs perspectives de croissance économique et démographique. À titre d’exemple, les TEC, qui excluraient les capitales administratives, pourraient comprendre Shanghai, Chongqing, Canton, Bombay, Bangalore, Lagos, Johannesburg, Mexico, SaoPaulo et Dubaï.
La France doit restructurer son offre urbaine internationale
La France dispose de nombreuses entreprises de premier plan en matière d’offre urbaine. Or, la concurrence entre des entreprises françaises sur les mêmes appels d’offres entraine de multiples conséquences, de la dégradation de l’image de marque au morcellement d’une offre que les clients souhaitent la plus globale possible. Dans le domaine de l’eau, Veolia, Suez environnement et la Saursont en concurrence. Dans le domaine de l’énergie nucléaire, EDF et Areva n’ont pas su conduire une stratégie unique en Chine ou aux Émirats arabes unis. Dans le transport urbain, la France dispose de trois acteurs très actifs sur les marchés internationaux avec Transdev, Keolis et RATP.
La question de la recomposition capitalistique de ces acteurs, et en creux de la désignation de chefs defile, est donc posée. S’agissant de la recomposition capitalistique, il s’agit de construire des champions aptes à supporter la concurrence internationale et à proposer des offres financièrement attractives. Après l’ouverture de discussions en 2012, la question d’une fusion des activités internationales de Veolia et Suez environnement se pose à nouveau en 2014, tant en ce qui concerne l’eau que les déchets. Ce projet permettrait de garder des activités françaises distinctes, tout en ayant une offre internationale qui permettrait de supporter la concurrence des grands acteurs asiatiques, et notamment chinois. Ce scénario pourrait entrainer la séparation capitalistique définitive entre GDF Suez et Suez environnement, ce qui permettrait à GDF Suez de récupérer, par exemple, les activités de Dalkia, reprises récemment par Veolia. En effet, en mars 2014, Dalkia (entreprises de services énergétiques urbains) a fait l’objet d’un accord entre les deux coactionnaires, EDF et Veolia. EDF a récupéré les activités françaises de Dalkia alors que Veoliarécupérait les activités internationales. Enfin, la question de la pertinence de trois acteurs français du transport urbain est posée.
L’État et les entreprises concernées auraient profit à discuter de la recomposition capitalistique de l’offre française à dix ans, en ayant à l’esprit les perspectives de développement dans les pays émergents, la montée de la concurrence internationale et la nécessité de disposer d’une offre simple, cohérente et financièrement solide.
La France doit construire une offre française pour la « smart city »
Les pays émergents constituent une opportunité majeure pour mettre en valeur les technologies françaises, notamment dans le cadre de la « ville intelligente » ou « smart city ». Les transformations de la gestion urbaine induites par le numérique offrent des opportunités aux groupes industriels qui sauront se positionner sur le créneau de la smart city, la « ville du futur » moderne, connectée et économe de ses ressources. Il s’agit principalement de développer une nouvelle économieautour des objets urbains connectés. Dans le domaine de l’énergie, précisément, les réseaux dedistribution d’électricité existants évolueront vers des smart grids, des infrastructures « intelligentes » qui couplent distribution électrique et pilotage informatique. Ils équiperont les métropoles émergentes, soucieuses de mieux fournir de l’énergie à une population urbaine qui ne cesse de croître. Ces solutions ont également l’avantage de réduire la pollution.
Les solutions smart cities représenteraient un marché de 40 milliards de dollars (29,4 milliards d’euros) dans le monde en 2016. La ville de Dubaï vient, par exemple, d’annoncer un investissement de plus de 200 millions d’euros pour équiper avec les solutions les plus innovantes un nouveau quartier, le Silicon Park. La Chine crée des « villes intelligentes » et investit massivement dans ce secteur.
La France doit structurer son offre en matière de « smart city ». Parmi les leaders mondiaux présents sur ce marché (General Electric, Toshiba, le suisse Landis Gyr), Alstom, leader dans les infrastructures de production et de transmission d’électricité, comporte une activité florissante de transformateurs et de systèmes de gestion de transformateurs. Veolia, autre leader mondial des « services collectifs » urbains, dispose également d’une présence par le biais de sa filiale Dalkia, sur le marché des smart grids. Cependant, cette offre est éclatée, et fait l’objet d’un effort de recherche insuffisamment coordonnée. Les acteurs français auraient donc profit à discuter d’une offre internationale complète et d’une mutualisation de leur effort de recherche.
Les entreprises françaises doivent développer une offre croisée avec les grandes entreprises émergentes, en contrepartie d’une ouverture réciproque des marchés publics
La construction d’une offre croisée entre les entreprises françaises et les entreprises émergentes devient une nécessité pour trois raisons. En premier lieu, ces offres croisées permettent de disposer d’un accès à des financements de long terme, nécessaires pour les infrastructures énergétiques et urbaines, en raison des excédents d’épargne des pays émergents. Ce levier est majeur dans le cadre d’accords avecdes entreprises chinoises qui disposent d’abondantes liquidités. En second lieu, ces offres permettent de réduire les coûts en faisant appel à des salariés des pays émergents pour opérer dans d’autres pays émergents. Dans ce cadre, la France offrirait principalement son ingénierie et son savoir-faire, alors que les partenaires émergents réaliseraient les ouvrages. Enfin, ces offres permettent d’adresser unsignal politique double, tant auprès de nos partenaires (ce qui permet d’ouvrir de nouveaux marchés) qu’auprès des clients. Ces derniers sont, ce qui est légitime, de plus en plus sensible au recrutement des salariés locaux et à leur formation.
Les grands pays émergents doivent être des partenaires et plus seulement des clients. Le projet de construction des EPR britanniques qui associe EDF et les deux principales entreprises énergétiqueschinoises offre un bon exemple d’une offre croisée. Ce contrat, qui représente un coût 19 milliardsd’euros, a fait l’objet d’un accord sur le financement qui associe EDF (45 % du capital du projet) aux partenaires chinois, CNNC11 et CGN12 (30% à 40%).
Ces offres croisées doivent évidemment être réalisées en contrepartie d’une ouverture des marchés publics dans le cadre des négociations commerciales multilatérales. L’Union européenne est l’un des espaces commerciaux les plus ouverts au monde. La recherche de la réciprocité de l’ouverture de nos partenaires commerciaux est une priorité de l’agenda européen, tant dans le cadre des négociations du cycle de Doha (OMC) que dans les négociations bilatérales, par exemple avec l’Inde et le MERCOSUR. En effet, l’ouverture commerciale fait l’objet d’une réciprocité différenciée qui tient compte du degré de développement économique de nos partenaires. La question de l’intensité de réciprocité est au cœur de la paralysie des négociations de Doha car des pays tels que la Chine, l’Inde ou le Brésil sont devenus quasi- développés.
Dans ce cadre, l’affichage par le pouvoir chinois d’une orientation politique claire en faveur de « l’économie de marché » ne peut être disjoint de la question de l’accès au Statut du même nom (SEM au sens de l’OMC). Le protocole d’adhésion de la Chine à l’OMC a prévu que l’obtention de ce statut soit effective en 2016. Cela aura pour principale conséquence un affaiblissement des instruments de défense commerciale classiques de type anti-dumping. L’analyse de la loyauté de laconcurrence devra porter de plus en plus sur la transparence des financements dont bénéficient lesentreprises exportatrices chinoises et sur l’accès des marchés publics. Il s’agit d’un enjeu majeur pour nos entreprises, notamment pour l’offre urbaine, et d’une priorité pour la nouvelle Commission européenne.
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Miroir de la croissance démographique des pays émergents, l’urbanisation présente des effets complexes, puisqu’elle joue à la fois un effet multiplicateur pour la croissance économique, tout en posant de gigantesques défis en termes d’infrastructures, de pollution ou de sécurité.
Alors que les BRICS ont vu apparaître, dans la dernière décennie, des métropoles de taille mondiale, au sens braudélien du terme, les grands enjeux se concentrent désormais en Afrique. Sur ce continent, la croissance de la population urbaine est la plus rapide du monde et a déjà été multipliée par onze en cinquante ans. En 2030, un Africain sur deux sera citadin et presque deux sur trois en 2050. Ce mouvement de fond touche l’ensemble du continent, après s’être développé en Afrique australe autour des centres industriels et miniers. Comme l’Europe du Nord ou la côte Est américaine, on pourra apercevoir, depuis l’espace en 2050, les scintillements d’une grande mégalopole côtière de 1.000 kilomètres et de quelques 100 millions d’habitants allant de Douala jusqu’à Abidjan. Il existe aujourd’hui 40 villes africaines de plus de 1 million d’habitants. Les mégalopoles africaines ne se font pas comme ailleurs par concentration et verticalement, mais par étalement dans l’espace, vers la campagne, en une forme de « rurbanisation » à l’européenne. L’exode rural lui-même se fait du coup sur place, par une sorte d’urbanisation in situ. Ce « basculement urbain » de l’Afrique est une chance pour le continent puisque les villes sont des moteurs de développement. Grâce à sa démographie, l’Afrique dispose désormais d’un marché intérieur en pleine expansion et, grâce à son urbanisation, d’importants réservoirs d’industrialisation et de productivité. Inversement, les grandes métropoles des BRICS concentrent désormais des problèmes de villes « développées », au premier rang desquels la question de la pollution, qui est une urgence de santé publique en Chine.
La France dispose de tous les atouts pour améliorer le quotidien des citadins des pays émergents et être un acteur de premier plan de la compétition internationale. Cependant, elle doit s’organiser. Cela signifie une recomposition capitalistique de ses entreprises, la construction d’une offre cohérente pour la « smart city » de demain, la définition de priorités, la mutualisation de la recherche et la désignation de représentants de haut niveau à même de conduire une stratégie d’influence de long terme auprès des grands acteurs locaux émergents.
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