Le FPÖ au défi de l'Europe : radicalité idéologique et contrainte électorale en Autriche
Introduction
Un parti populiste enraciné dans la vie politique autrichienne
Une brève histoire du FPÖ
Qui est Herbert Kickl le chef du parti ?
Le FPÖ en 2024 : adhérents, organisation, financement, médias, électeurs
Le FPÖ et l’Europe : défi idéologique et enjeu électoral
Les Autrichiens restent favorables à l’Union européenne mais le doute progresse
La défense d’une Europe « ethnopluraliste »
Une approche culturaliste que traduit la coopération internationale
La campagne pour les élections européennes de 2024
Les thèmes prioritaires dans l’opinion
Le FPÖ en campagne : immigration, sécurité, genre, État profond et Covid-19…
Les concurrents du FPÖ
Postface
L’élection au conseil national d’Autriche, 29 septembre 2024
Les résultats électoraux
La situation économique
L’immigration en Autriche (2024)
La campagne du FPÖ
Le programme FPÖ en 2024
Les transferts électoraux 2019 – 2024
La sociographie des électorats
Les options politiques au lendemain de la consultation électorale
Résumé
L’année 2024 est, pour l’Autriche, une année électorale dense avec les élections européennes, les élections au Conseil national (l’équivalent de nos élections législatives), deux élections régionales et les très nombreuses consultations communales. Or, dans le monde, les bouleversements géopolitiques, de l’Ukraine à Gaza, la possible élection de Donald Trump à la tête des États-Unis et les risques de conflit avec la Russie ont enflammé les débats sur la sécurité et la neutralité de l’Autriche. Par ailleurs, l’inflation élevée, tout comme les mesures sur la protection du climat, sont devenues d’âpres sujets de débat. Dans ce contexte, les partis politiques autrichiens se positionnent pour les européennes.
Mais il ne s’agit que d’une étape vers l´élection au Conseil national à l’automne, éventuellement à plus court terme si la coalition au pouvoir ÖVP/Verts échoue à maîtriser ces problématiques au cœur desquelles il faut ajouter la question brûlante de l’antisémitisme et les sympathies de nombre de migrants pour le Hamas. Herbert Kickl, à la tête du FPÖ, parti national-populiste, s’est proclamé « Chancelier du peuple », et a annoncé vouloir transformer radicalement le système politique autrichien, voire au-delà, celui de l’Union européenne.
Cette étude a été publiée en avril 2024 et actualisée en octobre 2024, suite aux élections au Conseil national d’Autriche le 29 septembre 2024.
Patrick Moreau,
Docteur en histoire, docteur d'État (FNSP) en sciences politiques, CNRS.
L'Autriche des populistes
Autriche : Virage à droite
Où en est la droite? L’Autriche
Fratelli d’Italia : héritage néofasciste, populisme et conservatisme
Italie 2022 : populismes et droitisation
L'émergence d'une gauche conservatrice en Allemagne : l'Alliance Sahra Wagenknecht pour la raison et la justice (BSW)
La conversion des Européens aux valeurs de droite
Saxe et Brandebourg. Percée électorale de l'AfD lors des élections régionales du 1er septembre 2019
Vox, la fin de l'exception espagnole
Un an de populisme italien
Alternative für Deutschland : de la création en 2013, aux élections régionales de Hesse d'octobre 2018
Les "Démocrates de Suède" : un vote anti-immigration
L'Italie aux urnes
Le Front national face à l’obstacle du second tour
Pays-Bas : la tentation populiste
Palais de la Hofburg, Vienne, Autriche, 1890
Introduction
L’Autriche va vivre en 2024 une « super-année électorale » avec les élections européennes, les élections au Conseil national, deux élections régionales (au Vorarlberg et au Steiermark) ainsi qu’avec de très nombreuses consultations communales, notamment dans les grandes villes d’Innsbruck et de Salzbourg. L’année 2024 est placée sous le signe des crises. Les bouleversements géopolitiques, de l’Ukraine à Gaza, la possible élection de Donald Trump à la tête des États-Unis et les risques de conflit avec la Russie ont enflammé les débats sur la sécurité et la neutralité de l’Autriche. L’immigration et son contrôle sont un sujet brûlant. S’y ajoutent les discussions portant sur l’antisémitisme et les sympathies pour le Hamas de nombre de migrants. La situation économique morose et l’inflation élevée sont devenues des sujets politiques récurrents, tout comme les mesures sur la protection du climat, qui font l’objet d’âpres débats. Enfin, la pandémie de la COVID-19 n’est pas encore terminée, du moins politiquement. Dans ce contexte, les partis politiques se positionnent pour les européennes, en sachant qu’il ne s’agit que d’une étape vers l’élection au Conseil national à l’automne, voire à plus court terme en cas de crise de la coalition au pouvoir, qui contient le Parti populaire autrichien (ÖVP) et les Verts. De son côté, le Parti de la liberté d’Autriche (Freiheitliche Partei Österreichs, FPÖ)1, parti national-populiste, prépare son arrivée au pouvoir. Son chef Herbert Kickl qui s’est proclamé « Chancelier du peuple » (Volkskanzler), a annoncé vouloir transformer radicalement le système politique autrichien, et, au-delà, celui de l’Union européenne.
Un parti populiste enraciné dans la vie politique autrichienne
Une brève histoire du FPÖ
Patrick Moreau, De Jörg Haider à Heinz-Christian Strache. L’extrême droite autrichienne à l’assaut du pouvoir, Cerf politique, Paris 2012
Le FPÖ est enraciné dans le système politique autrichien2. Fondé le 17 octobre 1955, le FPÖ est d’abord, dans les années 1960, le parti de représentation des anciens nazis. Pour ces raisons, il reste faible électoralement jusque dans les années 1980.
Les résultats électoraux du FPÖ au Conseil national (1956-2019, en %)
Source :
Nationalratswahlen, bmi.gv.at [en ligne].
En Autriche, le pouvoir législatif émane du Conseil national, qui est la chambre basse, l’équivalent de notre Assemblée nationale, et du Conseil fédéral qui représente les régions au niveau fédéral. Ces deux chambres sont autonomes et elles forment ensemble le pouvoir législatif national.
Friedrich Peter, qui arrive à la direction du FPÖ en 1958, veut briser l’isolement du parti. Il décide en 1970 de ne pas rentrer en conflit avec le gouvernement minoritaire du Parti social-démocrate d’Autriche (Sozialdemokratische Partei Österreichs, abrégé en SPÖ). En 1980, son successeur, Norbert Steger, est un défenseur d’une ligne nationale-libérale. Il décide en 1983 une coalition avec le SPÖ. Durant cette phase, le FPÖ est admis en 1978 au sein de l’Internationale libérale, ce qui conduit à de forte tensions internes entre les nationaux-allemands et les nationaux-libéraux. En 1986 lors du congrès du FPÖ à Innsbruck, Steger est battu par le jeune Jörg Haider, étoile montante du courant national-allemand. Le chancelier du SPÖ, Franz Vranitzky, met alors fin à la coalition en évoquant un « virage à droite » du FPÖ.
Haider choisit alors une politique de polarisation antisystème. Le FPÖ n’hésite plus à relativiser le national-socialisme. En 1991, Haider va trop loin et se voit destitué de son poste de gouverneur de Carinthie après avoir fait l’éloge de la « politique de l’emploi ordonnée » du Troisième Reich. Il découvre alors la question migratoire et en fait son principal cheval de bataille, ce qui entraîne en 1993 la scission du Forum libéral.
En 1999, le FPÖ obtient 26,91% des suffrages lors de l’élection au Conseil national3. Une coalition ÖVP-FPÖ se met alors en place sous la direction du chancelier ÖVP Wolfgang Schüssel. Cette coalition provoquant un tollé international, Haider cède la présidence du parti à Susanne Riess, qui devient vice-chancelière, un montage qui mène le parti à la crise. En 2002, un conflit éclate entre Haider et Riess, cette dernière refusant le retour d’Haider à la tête du parti. En septembre 2002, largement isolée dans le FPÖ, elle décide de démissionner. Cette crise influence négativement l’opinion. L’élection anticipée au Conseil national de novembre 2002 est un désastre pour le FPÖ, qui s’effondre à 10%. La coalition ÖVP-FPÖ reste cependant en place. En 2004, le FPÖ triomphe en obtenant 42,4% des suffrages aux élections régionales de Carinthie. Haider redevient gouverneur du Land. Ce succès est toutefois trompeur : lors des européennes de juin 2004, le FPÖ chute à 6,31%.
Le FPÖ entre alors dans une nouvelle phase de turbulence politique interne. Haider place sa sœur, Ursula Haubner à la tête du parti. En guise de concession à l’aile droite du FPÖ de plus en plus hostile à Haider, Heinz-Christian Strache, le chef de la fédération de Vienne, devient vice-président. Le 4 avril 2005, Haider, sachant qu’il risque de se retrouver en minorité face à Strache, décide de fonder l’Alliance pour l’avenir de l’Autriche (Bündnis Zukunft Österreich – BZÖ). Trois jours plus tard, il est exclu du FPÖ. Le 23 avril 2005, Strache devient le nouveau chef du FPÖ. Herbert Kickl prend alors en main le programme du parti et la conception des campagnes électorales. En 2008, le FPÖ revient à 17,5% lors des élections nationales et commence à se consolider dans les Länder, à l’exception de la Carinthie, bastion électoral d’Haider. Le 11 octobre 2008, Jörg Haider meurt dans un accident de la route, ce qui entraîne l’effondrement du BZÖ.
Sous l’influence de Kickl, le FPÖ développe une politique de contacts internationaux. Il multiplie les alliances avec d’autres partis comme le Front national (FN, maintenant Rassemblement national – RN) ou le Parti de la liberté (PVV) néerlandais. Les contacts avec la Russie s’intensifient également.
Le FPÖ consolidé par Kickl double ses voix lors des élections européennes de 2009 (12,7%) et obtient 20,4% des suffrages en septembre 2013 à l’élection au Conseil national.
Qui est Herbert Kickl le chef du parti ?
Voir Der Standard, „Kickl lobte Orbán auf Konservativen-Konferenz CPAC « als Vorbild für viele in Europa », 5 mai 2023 [en ligne] et „Kickl bezeichnet Orban als Vorbild auf Konservativen-Konferenz in Budapest“, OE24.TV [en ligne].
Markus Sulzbacher, „Die Geschichte des Begriffs « Volkskanzler »: Von Hitler bis Kickl“, Der Standard, 30 novembre 2023 [en ligne].
Hans Rauscher et Ronald Pohl, „ »Systemparteien », « Volksverrat », « Ketten brechen » – Kickl und die Sprache der Nazis“, Der Standard, 21 janvier 2023 [en ligne].
Hellin Jankowski, „Kurz schlägt Kickls Entlassung vor, FPÖ-Minister verlassen Regierung“, Die Presse, 21 mai 2019 [en ligne].
Oliver Pink, « Herbert Kickl: « Ich bin ja nicht Homer » », Die Presse, 27 avril 2014 [en ligne].
Sur l’histoire du passage du nationalisme allemand au patriotisme, voir Susanne Frölich-Steffen, „Die Identitätspolitik der FPÖ: Vom Deutschnationalismus zum Österreich- Patriotismus“, in Österreichische Zeitschrift fûr Politikwissenschhaft 33 n°3, 2004.
Herbert Kickl est aujourd’hui le chef incontesté du FPÖ. Il dirige le parti d’une main de fer et a fait le choix d’abandonner la politique de normalisation de son prédécesseur, Strache. Très inspiré par Carl Schmitt4, il rêve d’une Autriche illibérale, et voit dans la politique d’Orban un modèle institutionnel5, ce qui explique les distances prises avec le Rassemblement national de Marine Le Pen ou Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, mais aussi ses intenses contacts avec l’Alternative für Deutschland (AfD) qui défend la même ligne idéologique.
Herbert Kickl, marié et père de famille, est né le 19 octobre 1968, à Villach. Il a grandi dans une famille ouvrière et il a gardé de ses origines une sensibilité pour les questions sociales6. C’est ce qu’exprime le titre porté par le FPÖ, « Die soziale Heimatpartei » (Parti de la patrie sociale). En 1988, il choisit d’étudier le journalisme et les sciences politiques à l’université de Vienne, puis, à partir de 1989, l’histoire et la philosophie. Il commence une thèse (qui restera inachevée) sur la phénoménologie de Hegel. Parmi ses inspirateurs, il cite Platon, Luther, Rousseau et Kant et se voit comme un hégélien de droite, mais il a aussi une culture marxiste.
En 1995, Herbert Kickl devient membre du FPÖ, et rapidement la plume de Jörg Haider. Par-delà les provocations verbales voulues pour choquer les adversaires du FPÖ, il devient également un des inspirateurs idéologiques de Jörg Haider. Quelques-uns de ses dérapages voulus sont célèbres. Kickl fut l’auteur des slogans « Sang viennois – trop d’étrangers ne fait de bien à personne » (Wiener Blut – zuviel Fremdes tut niemand gut) ; « Chez soi au lieu de l’Islam » (Daham statt Islam) et « L’Occident aux mains des chrétiens » (Abendland in Christenhand).
Ce qui frappe dans la campagne actuelle de Kickl est le recours, assumé, à une longue liste de termes empruntés au national-socialisme7, comme celui de « Volkskanzler » (chancelier du peuple), utilisé par Hitler dans les années trente. Bien d’autres vocables sont empruntés au national-socialisme :
« traîtres au peuple », « liste de recherche des traîtres », « vieux partis »,
« politiciens du système », « élites internationales »8. S’y ajoutent les emprunts à la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist : « Great Reset » (la grande réinitialisation), « grand remplacement », « rémigration », « Deep State » (État profond).
Avec l’appui d’Haider, puis de Strache, il va gravir tous les échelons du pouvoir au sein du FPÖ. Entre 1995 et 2001, Kickl est employé par l’académie du FPÖ. Il va se spécialiser dans la conception technique et idéologique des campagnes électorales. Ses succès lui permettent d’en devenir le directeur jusqu’en 2006. Il est aussi directeur du journal du parti Neue Freie Zeitung à partir de 2005. Il est nommé secrétaire général du FPÖ en avril 2005, et le reste jusqu’en janvier 2018. À ce poste, il est responsable des relations publiques et de la communication interne, une fonction clé dans la période de crise du FPÖ entre 2005 et 2009, consécutive à la scission Haider. Le 4 juillet 2016, il devient en plus président de l’Institut de formation du FPÖ (Freiheitliche Bildungsinstitut)9.
Strache, sans réelle culture politique, a été subjugué par Kickl. Stefan Petzner, le dernier compagnon d’Haider déclarait : « Il est le cerveau de Strache, le chef secret du parti ». De fait, chaque décision importante au sein du parti nécessitait l’accord de Kickl10.
Kickl est resté député depuis son élection en 2006 au Conseil national jusqu’à son investiture en tant que ministre fédéral de l’Intérieur le 18 décembre 2017. Il allait, comme ministre, développer une politique sécuritaire renforcée avec un recrutement massif et une augmentation des moyens de la police et faire de la lutte contre l’immigration et l’expulsion des criminels étrangers son cheval de bataille.
En mai 2019, le scandale Ibiza entraînait la rupture de la coalition turquoise-FPÖ. Le 22 mai 2019, Kickl était démis de ses fonctions de ministre de l’Intérieur11. Le même mois, Kickl devenait président par intérim du club du FPÖ. Le parti était alors dirigé par Norbert Hofer, défenseur d’une stratégie de normalisation du FPÖ. Kickl pensait au contraire que le renforcement du parti passerait par sa radicalisation. Hofer, en mauvaise santé, démissionne le 1er juin 2021. Sans concurrent, Kickl est élu président du FPÖ le 19 juin 2021. La crise de la Covid-19 lui offre une chance politique : il soutient les fortes résistances de la population aux mesures de santé, il se profile personnellement comme antivax et refuse le port du masque.
L’objectif de Kickl est de faire du FPÖ une machine de guerre antisystème. Il ne vise pas à établir une dictature du type IIIe Reich, mais il veut remodeler sur un modèle illibéral l’Autriche et sa constitution. Pour ce faire, il doit élargir sa base électorale et utiliser toutes les faiblesses du système, mais aussi être, comme l’était Adolf Hitler, le « tambour » des sentiments collectifs. Ce dernier point peut être illustré par un exemple. Kickl a déclaré au sujet des fraternités étudiantes nationales-allemandes qui fournissent au FPÖ un grand nombre de députés et de cadres politiques : « Ce n’est pas mon monde. Mais j’ai du respect pour tous ceux qui adhèrent à cette idée », expliquait-il en 201412. De fait, Kickl a abandonné toute référence à cette idéologie fondatrice du FPÖ pour se définir plutôt – ce que font aussi de nombreux leader nationaux-populistes en Europe – comme patriote13.
Un sondage d’opinion de Gallup peut expliquer pourquoi Kickl utilise constamment ce terme : 60% des personnes interrogées estiment qu’il existe une différence entre patriotisme et nationalisme. Alors que le patriotisme est une notion très ou plutôt positive pour plus de la moitié des personnes interrogées (56%), seuls 19% associent des éléments positifs au nationalisme. Les Autrichiens sont majoritairement en désaccord avec l’affirmation selon laquelle le patriotisme représente un danger pour la paix ou la démocratie. Ainsi, 60% se montrent convaincus par le fait que le patriotisme est indispensable à l’avenir d’un pays, « une sorte de ciment qui assure la cohésion » de la société autrichienne14.
Le FPÖ en 2024 : adhérents, organisation, financement, médias, électeurs
Pami les plus importantes : Paysannerie freiheitlich (Freiheitliche Bauernschaft), Travailleurs freiheitlich (Freiheitliche Arbeitnehmer – FA), Initiative des femmes freiheitlich (Initiative Freiheitlicher Frauen – IFF), Cercle autrichien des seniors (Österreichischer Seniorenring – ÖSR), Anneau de la jeunesse freiheitlich d‘Autriche (Ring Freiheitlicher Jugend Österreich – RFJ), Anneau des étudiants freiheitlich (Ring Freiheitlicher Studenten – RFS), Anneau des opérateurs économiques freiheitlich (Ring Freiheitlicher Wirtschaftstreibender – RFW), Anneau des écoliers freiheitlich (Freier Schüler Ring – FSR).
Melanie Klug, „Bauernproteste: Totschnig sieht EU gefordert“, Die Presse, 19 janvier 2024 [en ligne].
Moritz Ablinger, „Verschwörungstheoretiker dominieren FPÖ-Bauernprotest in Wien“, Profil, 19 janvier 2024 [en ligne].
Parlament Österreich, „Was ist neu im Bereich der Parteienfinanzierung?“, 20 janvier 2023 [en ligne].
Michael Bachner et Raffaela Lindorfer, „Korruptionsjäger contra FPÖ: Parteispenden-Ermittlung läuft weiter“, Kurier, 22 novembre 2019 [en ligne].
Rechnungshof Österreich, „Rechenschaftsbericht 2020 der FPÖ veröffentlicht“, 22 juillet 2022 [en ligne].
Ingrid Brodnig, „Populistische Medienstrategie: Die FPÖ rüstet nach“ Profil, 4 octobre 2023 [en ligne].
Horizont Redaktion, „Herbert Kickl und die FPÖ dominieren die sozialen Medien weiterhin“ Horizont, 6 novembre 2023, [en ligne].
Daniel Bischof, „Wie Kickls FPÖ die Macht der traditionellen Medien bricht“ Die Presse, 22 septembre 2023 [en ligne].
Le FPÖ compte aujourd’hui 60 000 membres. Il est le troisième parti d’Autriche en nombre d’adhérents, derrière l’ÖVP (environ 600.000 membres) et le SPÖ (140.000), mais devant les Verts (7.000),
les Neos (3.000) et le KPÖ (2.500).
Le parti dispose de nombreuses organisations liées ou proches, dont l’importance en termes d’adhérents est quasiment inconnue. Elles servent essentiellement de bases de recrutement pour les cadres du FPÖ15. Ces organisations sont, en fonction des tensions économiques ou sociales, réactivées ponctuellement. Inspiré par le puissant mouvement de protestation des paysans allemands, Kickl a mobilisé l’organisation paysanne du parti (Freiheitliche Bauernschaft) et a organisé une « marche sur Vienne »16. Le porte-parole du FPÖ pour l’agriculture, Peter Schmiedlechner, a énuméré les revendications des paysans du FPÖ, qui restent un élément de la campagne européenne du parti : l’abandon du Green Deal afin de soutenir la production nationale, un arrêt des importations de céréales ukrainiennes, la suppression de la taxe sur les huiles minérales et de la TVA sur le diesel pour les exploitations agricoles. La « marche sur Vienne » a été toutefois un échec, une cinquantaine de tracteurs seulement se rassemblant sur la Ballhausplatz17.
Le FPÖ a les moyens de faire campagne en 2024. Il dispose de ressources légales définies dans le cadre de la loi sur le financement des partis18, mais comme sous la période Haider19 et Strache20, il pourrait encore disposer de financements illégaux venus du monde des affaires et de Russie. Faute de preuves, le financement du FPÖ comprend officiellement les recettes provenant des cotisations des membres, des dons privés, les cotisations des élus et les subventions publiques d’aide aux partis. Le dernier rapport financier du FPÖ remonte à 2022 et porte sur l’année 2020 : le FPÖ disposait de plus de 39 millions d’euros pour ses activités politiques21, une somme qui lui permet d’entretenir un important appareil et de mener de vastes campagnes électorales et médiatiques.
La force actuelle du FPÖ repose aussi sur la construction d’un empire médiatique d’une remarquable efficacité. La construction des médias alternatifs du FPÖ s’est déroulée sous le contrôle de Kickl. Ce dernier a inventé FPÖ-TV en 2012, bien avant les autres partis. Outre les médias appartenant au FPÖ comme le Neue Freie Zeitung et FPÖ-TV, le réseau de médias proches du FPÖ est en pleine expansion. Parmi les magazines et les sites Web, on compte par exemple Exxpress, jadis proche de l’ÖVP, qui s’est rapproché du FPÖ, Info Direkt, le Freilich Magazin qui offre une tribune aux identitaires ; la chaîne en ligne AUF1, un des médias les plus importants et proche du FPÖ, mais aussi unzensuriert.at, Wochenblick, Alles Roger, le canal YouTube Österreich zuerst, Festung Österreich sur Telegram et Zur Zeit22.
L’analyse de la fréquentation des sites de ces journaux montre une très forte augmentation du nombre d’abonnés pendant la pandémie. En 2016, la FPÖ-TV n’avait que 14.000 abonnés sur YouTube. Au printemps 2020, elle en avait 40.000 ; en janvier 2021, 86.000 ; et en octobre 2023, 200.000. Elle enregistre, depuis sa création en 2012, 133 millions de vues. À titre de comparaison, la chaîne YouTube de l’ÖVP compte 32.600 vues et 1.180 abonnés23. Parmi les autres vecteurs importants, 31.700 personnes sont abonnées au canal Telegram de Herbert Kickl, et on compte environ 21.000 personnes abonnées au site du FPÖ, Forteresse Autriche, dédié à l’immigration. Le FPÖ a également développé la page Facebook du chef du parti, suivi par 275.000 personnes. Sur Instagram, il compte 61.200 abonnés, ainsi que 56.800 sur TikTok. Cette stratégie a porté ses fruits : une partie grandissante des sympathisants du FPÖ, estimée à près de 40%, s’informe désormais en recourant aux seuls médias FPÖ24.
L’analyse des sondages sortie des urnes de l’institut SORA25 permet de dresser le portrait des électeurs du FPÖ depuis 2019. Le FPÖ est plus choisi par les hommes, âgés entre 30 et 59 ans. Cependant, ce gender gap s’est réduit lors des dernières élections régionales. Le parti est fort, voire majoritaire, chez les ouvriers et les salariés en apprentissage. Plus le niveau d’éducation est élevé, moins le FPÖ trouve d’électeurs. Enfin, le parti est plus populaire auprès des personnes interrogées qui rencontrent des difficultés économiques.
Les raisons du vote FPÖ sont avant tout programmatiques. Le rejet des autres partis est aussi une dimension importante. Les têtes de liste FPÖ, tout comme le travail du parti, ne jouent qu’un rôle secondaire pour les personnes interrogées.
Dans les régions, le FPÖ dispose d’un ancrage électoral souvent très fort. Lors des élections régionales anticipées au Tyrol le 25 septembre 2022, le FPÖ regagne du terrain pour la première fois depuis plus de quatre ans. Cette tendance positive se poursuit lors des élections régionales en Carinthie du 5 mars 2023, en Basse-Autriche le 29 janvier 2023 (+ 9%) et à Salzbourg le 23 avril 2023 (+ 5,7%). Parmi les raisons de ces gains électoraux et de la première place du FPÖ dans les sondages, on compte la mise en accusation de l’ex-chancelier Kurz, les affaires de corruption de l’ÖVP, la crise interne du SPÖ, la forte inflation et la hausse des prix, ainsi qu’un vif débat sur l’asile et l’immigration. La position du parti sur la guerre en Ukraine est aussi un point important : le FPÖ réclame un règlement diplomatique de la guerre, qui impliquerait une quasi-reddition de l’Ukraine, et fait campagne contre l’arrivée de réfugiés ukrainiens, et contre tout soutien de l’Autriche, y compris humanitaire, à l’Ukraine.
Les résultats régionaux du FPÖ (2019 – 2024, en % des suffrages exprimés)
Source :
sites des gouvernements des Bundesländer.
Un électorat pessimiste. Au début de l’année 2024, les Autrichiens sont plutôt inquiets26 : à la question « Envisagez-vous l’avenir proche avec optimisme et confiance ou plutôt avec inquiétude et pessimisme ? », 45% choisissent cette dernière option (contre 20% à la fin de l’année 2019 et 36% à la fin de 2020, année pourtant marquée par la pandémie). En 2024, les optimistes ne sont plus que 26%.
À la question de savoir si le gouvernement fédéral prendra les bonnes mesures pour l’avenir de l’Autriche, 57% des personnes interrogées se disent très inquiètes qu’il n’en soit pas capable, une augmentation forte par rapport aux années antérieures à 2024 (48% en 2023 et 33% en 2019). Des chiffres qui renvoient à l’appréciation négative du système et des élites politiques.
Le pessimisme économique est répandu dans la population : une personne sur deux s’attend à ce qu’une crise économique mondiale survienne en 2024 et 31% seulement des personnes interrogées s’attendent à ce que l’Autriche connaisse une reprise économique. Ce thème est constamment exploité par le FPÖ. La crainte d’une restriction des droits démocratiques est croissante depuis plusieurs années, les proches du FPÖ craignant l’action de « puissances cachées » (Deep State)27 et la mise en place d’une « surveillance étatique »28.
En conclusion, les électeurs du FPÖ expriment un fort niveau de préoccupation dans quasiment tous les domaines, sauf en ce qui concerne le changement climatique. Au niveau international, 45% des personnes interrogées s’attendent à un nouveau conflit armé en Europe. Seules 15% d’entre elles croient à une solution européenne pour la répartition des réfugiés. Enfin, 85% ne croient pas à un rapprochement entre les États-Unis et la Russie.
Le profil sociologique de l’électorat FPÖ en 2019
Élections au Conseil national (élections législatives) ; Élections européennes.
Source :
Sora, sondages à la sortie des urnes cumulés, tableau simplifié [en ligne].
Le FPÖ et l’opinion autrichienne. Au niveau national, une longue série de sondages concordants font du FPÖ le premier parti en Autriche, qu’il s’agisse des élections nationales ou européennes.
Les intentions de vote pour les élections au Conseil national
Source :
Current Election Trend for Austria, PolitPro. [en ligne].
Le FPÖ et l’Europe : défi idéologique et enjeu électoral
Les Autrichiens restent favorables à l’Union européenne mais le doute progresse
Voir ÖFfE-Umfrage, „Klare Mehrheit in Österreich für EU-Mitgliedschaft, aber unklares Meinungsbild zu mehr oder weniger Europa“ [en ligne].
Ibid.
Eurobaromètre, standard 100 – automne 2023. L’opinion publique dans l’Union européenne, rapport national pour l’Autriche.
ÖFfE-Umfrage, op. cit.
Harald Vilimsky, „Euro: Nichts als gebrochene Versprechen“ FPÖ, 12 janvier 2022 [en ligne].
Walter Müller, „Parteitag: FPÖ will Schilling wieder einführen“ Der Standard, 7 décembre 2013 [en ligne].
Kronen Zeitung, „FPÖ warnt vor 5000-Euro-Bargeldgrenze“ 20 juillet 2023 [en ligne].
L’enquête de l’Österreichische Gesellschaft für Europapolitik (ÖGfE) en janvier 202429, indique que 66% des personnes interrogées pensent que l’Autriche doit rester membre de l’Union européenne. Toutefois, l’analyse des 68 sondages ÖGfE réalisés depuis juin 1995 montre clairement que si les partisans de l’adhésion à l’UE ont toujours été nettement majoritaires, une dégradation est en cours depuis décembre 201930. À l’époque, seuls 8% s’étaient prononcés en faveur d’une sortie de l’UE, contre 29% en 2024.
L’enquête Eurobaromètre de la fin de l’année 2023 31 nous apprend que 38% des Autrichiens ont une image positive de l’UE, 38% une image neutre et 24% une image négative. En ce qui concerne le renforcement de l’action commune au niveau européen, la population est divisée. En septembre 2023 (sondage OEFG), 43% des personnes interrogées – soit 8% de plus qu’en mai 2022 – souhaitent que les États prennent davantage les choses en main. Une des revendications principales du FPÖ.
En janvier 2024, 54% des personnes interrogées déclarent avoir une « très grande » (15%) ou une « grande » confiance dans l’euro (39%)32. Le nombre de personnes ayant une confiance « faible » (25%) ou « très faible » (17%) dans la monnaie unique s’élève à 42%. Le FPÖ vise ce potentiel électoral composé de sceptiques et de critiques de l’euro comme de la politique financière de l’UE33, mais a cependant abandonné l’idée d’un retour au schilling34. L’axe principal actuel est la campagne contre la disparition de l’argent liquide35 et l’introduction d’une monnaie virtuelle européenne.
Le soutien des Autrichiens à l’Union européenne
Question : « Selon vous, l’Autriche doit-elle rester membre de l’Union européenne ou la quitter ? » (1995-septembre 2023)
Source :
„ÖGfE-Umfrage: Klare Mehrheit in Österreich für EU-Mitgliedschaft, aber unklares Meinungsbild zu mehr oder weniger Europa“, Österreichische Gesellschaft für Europapolitik, 25 septembre 2023 [en ligne].
La confiance dans l’euro (2010 – 2024)
Source :
„ÖGfE-Umfrage: Mehrheit vertraut der gemeinsamen Währung, digitaler Euro noch großer Unbekannter “, Österreichische Gesellschaft für Europapolitik, 9 janvier 2024 [en ligne].
Eurobaromètre, op. cit.
Pour 49% des Autrichiens, la hausse des prix est le problème personnel le plus important à l’automne 202336. Ainsi, 68% des personnes interrogées par l’OEFG citent la lutte contre l’inflation comme une « priorité élevée », 23% une « priorité moyenne » et seulement 5% une « priorité faible ». Le souhait d’une politique d’asile et d’immigration européenne arrive en deuxième position : 59% la jugent comme une priorité élevée, 27% comme une priorité moyenne, tandis qu’un dixième d’entre elles la considèrent comme moins urgente.
La défense d’une Europe « ethnopluraliste »
Voir « Meinl-Reisinger: „Rassistische und europafeindliche FPÖ“ », Zeit im Bild, 20 août 2018 [en ligne].
Johannes Pollak et Peter Slominski, „Die österreichischen politischen Parteien und die europäische Integration: Stillstand oder Aufbruch?“ in Heinrich Neisser et Sonja Puntscher Riekmann (dir.) Europäisierung der österreichischen Politik? Konsequenzen der EU-Mitgliedschaft, 2002, pp. 177-199.
Johannes Pollak et Peter Slominski, op. cit.
Voir „Das Programm der Freiheitlichen Partei Österreichs. Beschlossen am 30. Oktober 1997, Kapitel III“.
Johannes Pollak et Peter Slominski, op. cit.
Johannes Pollak et Peter Slominski, ibid.
Voir „Der EU-Wahlkampf 2009 – am Beispiel der Freiheitlichen Partei Österreichs (FPÖ)“, Universität Wien, p.91-126 [en ligne].
Ibid.
Ibid.
L’attitude du FPÖ vis-à-vis de l’Union européenne et ses alliances avec de nombreux partis nationaux-populistes font l’objet de débats intenses depuis des décennies. L’ensemble des partis démocratiques ont accusé et accusent toujours les Freiheitlichen d’être « europhobes »37. Il convient de s’interroger sur cette affirmation en tenant compte à la fois des changements d’orientations du FPÖ au sujet de la construction européenne38, du programme officiel du FPÖ et des alliances de ce parti.
Le premier programme du FPÖ, en 1955 affirmait : « Nous nous reconnaissons dans l’Occident et voulons donc une alliance européenne de nations et d’États libres et égaux en droits ». Le manifeste « L’engagement de Salzbourg » de 1964 veut « promouvoir l’unification de l’Europe » et soutient la création de la CEE. Dans le programme de Bad Ischler de 1966, le FPÖ réclame « une politique économique, monétaire, sociale et scientifique paneuropéenne ». Dans le programme de juin 1985, on peut lire : « Dans la recherche d’une participation maximale de notre pays à l’intégration européenne, nous considérons également qu’une adhésion de l’Autriche à la CE – sous réserve de neutralité bien entendu – est possible et nécessaire ». Jörg Haider, devenu le chef du FPÖ en 1986, se prononce tout d’abord en faveur de l’adhésion à une Europe unie. Au début des années 1990, la position du FPÖ change radicalement, ceci pour coller à l’opinion publique. La maximisation des voix à court terme étant devenue prioritaire pour le FPÖ, Haider fait campagne avec des thèmes qui sont toujours aujourd’hui d’actualité : le droit de vote des étrangers et l’augmentation du taux de criminalité en cas d’adhésion39.
Dans son programme de 199740, les intérêts de l’Autriche sont détachés des intérêts européens. Le FPÖ fait la différence entre l’Europe, qui repose sur une « communauté de valeurs chrétienne occidentale » et sur la « diversité de ses peuples et groupes ethniques », et l’Union européenne qui ne représente qu’une dimension de l’Europe41. Le FPÖ s’oppose explicitement à un État fédéral européen, mais se prononce néanmoins en faveur d’une Europe confédérale. Jörg Haider, réclamait une répartition claire des compétences entre le niveau européen et celui des États membres, que le FPÖ demande toujours aujourd’hui. Selon le FPÖ, les compétences européennes devraient être la protection de l’environnement, le marché intérieur, la politique étrangère et de sécurité commune, la lutte contre la criminalité transfrontalière, la stabilité de l’euro et les négociations avec les partenaires économiques mondiaux. Tous les autres domaines devraient être réglés au niveau de l’État autrichien42. En 2024, ces thèmes sont tous présents dans la campagne européenne du FPÖ.
Au lendemain de la scission du BZÖ d’Haider, en avril 2005, le FPÖ n’a qu’une priorité : reconstruire le parti et regagner du terrain électoralement, une mission qui reviendra à Kickl. La question européenne passe au second plan. Les élections européennes de 2009 seront néanmoins un succès pour le FPÖ (12,70%, soit 6,4 points de pourcentage en plus par rapport à 2004, ce qui lui permet d’obtenir 2 élus). Le FPÖ publiait pour la campagne de 2009 une mini-brochure de six pages, qui énumérait les attentes du parti : la réduction de moitié de la contribution nette de l’Autriche ; l’arrêt des aides spéciales pour la Turquie ; la possibilité pour la Cour des comptes de contrôler la politique d’aide européenne ; une réduction drastique de la bureaucratie à Bruxelles et Strasbourg ; l’arrêt des versements de transferts sociaux aux citoyens non-européens ; la fin « des absurdités bureaucratiques » comme par exemple le règlement sur les ampoules électriques43. Là encore des thèmes actuels de campagne des Freiheitlichen. Le FPÖ recourait à la notion de Leitkultur (culture dominante) et de défense de « la langue allemande ». Il réclame un quota minimum de musique et de films en allemand à la radio et à la télévision, des subventions pour des mesures de préservation de la langue et de la culture populaire dans l’industrie du divertissement44. Des thèmes eux- aussi toujours présents en 2024 dans la campagne FPÖ. La globalisation, les États-Unis et l’immigration étaient élevés au titre d’ennemis principaux et le sont restés en 2024. Le FPÖ veut défendre les petites et moyennes entreprises, interdire la vente des entreprises de pointe à l’étranger, assécher les paradis fiscaux pour les grands groupes de l’UE, mettre fin à « l’alignement aveugle sur la ligne des États-Unis », créer des centres d’accueil pour demandeurs d’asile en dehors des frontières de l’UE, forcer au retour dans leur pays d’origine les « chômeurs invités »45.
En conclusion, on découvre à la lecture de ce programme de 2009 qu’il constitue encore aujourd’hui le cœur de la campagne du FPÖ en 2024. Cela ne peut surprendre : Kickl en était le concepteur en 2009 comme il l’est en 2024.
Tout comme l’État et la nation, le FPÖ définit l’Europe avant tout en fonction de l’origine ethnique et de l’identité culturelle. On retrouve ici une stratégie commune à de nombreuses formations nationales-populistes : la culturalisation de la politique. Il s’agit d’un contre-projet antidémocratique, parce que la notion de culture utilisée par le FPÖ ne renvoie pas à l’égalité de tous les individus et à la citoyenneté participative démocratique, mais à l’idéal d’une communauté fermée et autoritaire caractérisée par des « valeurs » traditionnelles. Pour le FPÖ, ce n’est pas la liberté de l’individu mais la communauté qui est au centre de la politique. Derrière le thème de l’« Europe des peuples et des groupes ethniques autochtones », on découvre une conception de la diversité dans un cadre ethnopluraliste faisant cohabiter des collectivités fermées sur elles-mêmes et excluant les « autres », en clair une conception völkisch et culturaliste de la citoyenneté.
Une approche culturaliste que traduit la coopération internationale
Le FPÖ est membre du parti européen Identité et démocratie (ID). Au Parlement européen, ce parti rassemble, au début de l’année 2024, 59 élus de 8 partis différents, venant d’Autriche (FPÖ, 3 élus) ; de Belgique (Vlaams Belang, VB, 3 élus) ; d’Allemagne (Alternative für Deutschland, AfD, 9 élus) ; d’Estonie (Eesti Konservatiivne Rahvaerakond, EKRE, 1 élu) ; de France (Rassemblement national, RN, 18 élus) ; d’Italie (Lega, 23 élus) ; de Danemark (Dansk Folkeparti, DF, 1 élu) et de République tchèque (Svoboda a přímá demokracie, SPD, 1 élus).
L’ethnocentrisme, au cœur des programmes de ces partis, fait qu’il leur est difficile de former des alliances durables au niveau international en raison des nombreux litiges frontaliers en Europe. Un des exemples les plus connus est la question du Tyrol du Sud qui a toujours été source de tensions entre le FPÖ et ses partenaires italiens (en particulier Fratelli d’Italia). Il existe néanmoins de nombreuses convergences idéologiques, notamment en ce qui concerne les « menaces » pesant sur les identités nationales. À l’occasion de la rencontre d’Anvers, le 23 juin 2022, ces partis adoptaient un catalogue programmatique : refus de l’introduction de listes transnationales et de l’uniformisation des lois électorales ; rejet de la mise en place de la majorité qualifiée et du mécanisme de conditionnalité ; opposition à la mise en place d’une armée européenne ; refus de la politique migratoire de l’UE.
Le FPÖ est parfaitement conscient de la faiblesse des partis européens nationalistes et eurosceptiques au Parlement européen. Le groupe Conservateurs et réformistes européens (CRE) qui rassemble 68 élus issus de 20 partis, représentant 16 pays est une fraction a priori proche de ID. Parmi les formations nationales-socialistes adhérentes, on trouve le Perussuomalaiset (Finlande), Fratelli d’Italia (Italie), Tēvzemei un Brīvībai/Nacionālā apvienība (Lettonie) ; Schwedendemokraten (Suède) ; Vox (Espagne) ; ANEL (Grèce), et, arrivé récemment, Reconquête ! (France). Idéologiquement, ces partis sont proches du FPÖ, bien que la russophilie et l’antiaméricanisme des Freiheitlichen les distinguent. Kickl, qui spécule sur un succès des formations nationales-populistes, espère une union stratégique de ces partis au Parlement européen, qu’il appelle « maison commune », et dont la fonction serait de bloquer les réformes jugées négatives proposées par la Commission européenne.
La campagne pour les élections européennes de 2024
Les thèmes prioritaires dans l’opinion
Source :
„ÖGfE-Umfrage: Europawahljahr 2024 – 68 Prozent sehen Bekämpfung der Teuerung als Hauptpriorität “, Österreichische Gesellschaft für Europapolitik, 20 janvier 2024 [en ligne].
Standard Eurobarometer 100. Die öffentliche Meinung in der EU. Länderbericht : Österreich, [en ligne].
Voir le sondage Der Standard de janvier 2024 [en ligne].
Les questions climatiques ont fortement reculé, le soutien à l’Ukraine s’est affaibli et l’élargissement de l’UE (en particulier à l’Ukraine et à la Turquie) n’est guère soutenu.
Deux tiers des Autrichiens considèrent que la guerre de la Russie contre l’Ukraine constitue une menace pour la sécurité de l’UE (66%). Une importante majorité (62%) soutient l’imposition de sanctions économiques contre la Russie (contre 72% en moyenne dans l’UE). Une interdiction de diffusion des médias publics russes tels que Sputnik et Russia Today est approuvé par 66% des personnes interrogées. Concernant l’octroi d’une aide humanitaire aux personnes touchées par la guerre en Ukraine, la plupart des Autrichiens y sont favorables (83%) ; et 78% sont d’accord pour que leur pays accueille des réfugiés de guerre en provenance d’Ukraine. La ligne pro-russe et d’hostilité à l’immigration ukrainienne défendue par le FPÖ apparaît donc comme un facteur plutôt négatif.
À l’inverse, un sentiment de malaise vis-à-vis du système et de la politique suivie profite au FPÖ. Selon l’Eurobaromètre, 37% seulement des Autrichiens ont le sentiment que les choses évoluent dans la bonne direction dans leur pays, tandis que 45% pensent que les choses vont dans la mauvaise direction. Certes, 61% d’entre eux encore sont satisfaits de la démocratie dans le pays. Néanmoins, les personnes qui n’ont pas le bac (43%), les ouvriers (49%) et les personnes qui rencontrent des difficultés à payer leurs factures (43%) sont moins satisfaites de la démocratie autrichienne et ont en même temps le sentiment que leur voix n’est pas entendue (43%). Une sociographie qui concorde avec l’analyse de l’électorat du FPÖ46.
Un aspect important du malaise en Autriche est la question de la justice47. En 2024, 54% des personnes interrogées pensent que l’Autriche n’est pas globalement équitable ; quand 34% seulement ont un avis contraire48. Les proches du FPÖ (71%), les sociaux-démocrates (53%) et ceux qui ne sont proches d’aucun parti (54%) perçoivent majoritairement la société comme injuste – alors que les partisans de la coalition au pouvoir pensent plutôt que l’Autriche est un pays équitable (58% pour les partisans de l’ÖVP et 48% pour ceux des Verts). À la fin de l’année 2023, APA-OMG a publié une étude sur la confiance des Autrichiens dans les institutions et les résultats reflètent ce malaise collectif49.
Ce que les Autrichiens anticipent en 2024.
Question : Si vous pensez à l’année 2024, que pensez-vous que cette année apportera ? Je vais vous lire quelques possibilités et vous demander de me dire à chaque fois si vous vous attendez à cet événement ou si vous pensez plutôt que cela n’arrivera pas (en %)
Tableau simplifié
Source :
Der Standard [en ligne].
Le FPÖ en campagne : immigration, sécurité, genre, État profond et Covid-19…
Le FPÖ est fortement identifié sur les thèmes de l’immigration, de l’islam et de la sécurité intérieure qui préoccupent beaucoup les Autrichiens.
L’immigration : comment les Autrichiens jugent-ils leur cohabitation avec les immigrés ? (en %)
Source :
„Wie bewerten Sie das Zusammenleben zwischen Österreichern und Zuwanderern in Österreich?“,Statista, octobre 2023. [en ligne]
L’islam : comment les Autrichiens évaluent-ils la cohabitation entre les musulmans et les non-musulmans en Autriche ? (en %)
Source :
„Wie bewerten Sie das Zusammenleben zwischen Muslimen und Nicht-Muslimen in Österreich?“,Statista, octobre 2023 [en ligne].
Le débat sur l’islam et l’islamisme après les attentats terroristes de Paris en 2021 a marqué les Autrichiens : 69% des personnes interrogées estiment que l’islam n’appartient pas à l’Autriche. Un sondage réalisé par Unique Research montre que 7% seulement des Autrichiens sont « tout à fait » d’accord avec l’affirmation selon laquelle « l’islam fait partie de l’Autriche », tandis que 42% répondent : « Certainement pas ». Les trois quarts des personnes interrogées souhaitent que les Autrichiens qui ont combattu dans les rangs des islamistes soient déchus de leur nationalité, 5% seulement s’y opposant catégoriquement50.
La criminalité : Selon vous, comment la criminalité a-t-elle évolué en Autriche au cours des dernières années ? (en %)
Source :
ORF fragt, 20 mars 2024 [en ligne].
La criminalité en Autriche. Selon vous, comment la criminalité a-t-elle évolué en Autriche au cours des dernières années ?
Source :
ORF fragt, 20 mars 2024 [en ligne].
OTS, « FPÖ – Ecker: „Gendern stiftet Verwirrung, wirkt egen Grammatik und Rechtschreibregeln!” », 21 septembre 2023 [en ligne].
Vienna Online, « « Political Correctness »: Viertel der Österreicher sagt aus Angst seine Meinung nicht mehr », 14 décembre 2023 [en ligne].
Martin Gebhart, „FPÖ will die Freimaurer in Politik und Justiz aufspüren“, Kurier, 11 décembre 2023 [en ligne].
OTS, „FPÖ – Nepp/Krauss: Der palästinensische Angriff auf Israel ist auf das Schärfste zu verurteilen“, 18 octobre 2023 [en ligne].
OTS, « Stocker: „Die Gleichgültigkeit der Kickl-FPÖ gegenüber Terrorismus ist inakzeptabel“ », 4 décembre 2023 [en ligne].
Unique Research, „Profil-Umfrage: Solidarität mit Israel im neu aufgeflammten Krieg“, 16 octobre 2023 [en ligne].
Bundeskanzleramt « Bundeskanzler Nehammer: « Bundesregierung schließt Corona-Aufarbeitungsprozess ab » », 21 décembre 2023 [en ligne].
Tiroler Tageszeitung, „Nach NÖ-Wahl: Je geringer die Corona-Impfquote, desto stärker die FPÖ“, 31 janvier 2023 [en ligne].
Voir Gallup Institute, „Corona im Herbst: Überwiegend Gelassenheit“ 27 septembre 2023 [en ligne] et„Rückblick auf drei Jahre Pandemie: Österreich auf der Corona-Couch“ , 14 mars 2023 [en ligne].
OTS, « FPÖ – Hauser und Universitätsdozent Strasser präsentierten Buch „Die gestohlene Normalität“ », 19 janvier 2024 [en ligne].
Michael Butter, “Covid Conspiracy Theories in Germany, Austria, and Switzerland” in Michael Butter et Peter Knight (dir.), Covid Conspiracy Theories in Global Perspective, 2023, pp. 208–220.
Le sondage montre que la population est persuadée que la criminalité a augmenté ces dernières années. Cependant 89% des personnes interrogées estiment qu’en comparaison avec d’autres pays, l’Autriche est sûre, 10% pensent le contraire.
– La question du genre. Le genre est un facteur de division en Autriche. L’ÖVP du chancelier Nehammer veut par exemple interdire les caractères spéciaux utilisés pour l’écriture « non-genrée » dans l’administration. Une proposition rejetée par les Verts, mais soutenue par le FPÖ, qui réclame également son interdiction dans les écoles et les universités51. Les sondages donnent raison à Kick dans son offensive antiwoke, puisque seuls 14% des personnes interrogées se prononcent en faveur de l’utilisation de l’écriture inclusive dans l’administration52. Le wokisme a en effet peu de succès en Autriche : 59% des personnes interrogées trouvent que les thèmes identitaires sont surreprésentés en politique, que celle-ci s’occupe trop de langage non genré, 43% voient une trop grande focalisation sur les droits de la communauté LGBTQ et 39% considèrent que le thème de la « diversité » est surreprésenté. De même, 39% des personnes interrogées estiment que le « politiquement correct » va trop loin, 23% le trouvent approprié et 26% souhaiteraient qu’il soit davantage utilisé. Des différences notables apparaissent en fonction de l’âge et de l’orientation politique. Alors que les plus de 30 ans sont 42% à penser que le « politiquement correct » va trop loin, cette proportion n’est que de 29% chez les jeunes de moins de 30 ans. Les partisans des Verts et du SPÖ sont les plus enclins à déplorer un manque de « politiquement correct », tandis que ceux du FPÖ parlent plutôt de son excès.
– Le thème des « puissances cachées ». De tout temps, le FPÖ a affirmé que l’ordre du monde était dominé par des puissances cachées. Le discours actuel autour du Deep State est importé de l’Alt-Right américaine et fait les beaux jours des discours du FPÖ et des identitaires. Kickl exploite aussi le thème des francs-maçons. Dans deux questions parlementaires posées en décembre 2023, le secrétaire général du FPÖ, Christian Hafenecker, a demandé au ministre de l’Intérieur de l’ÖVP, Gerhard Karner, et à la ministre de la Justice issue des Verts, Alma Zadić, combien de collaborateurs de leurs ministères ou cabinets étaient francs-maçons53.
Enfin, Kickl utilise également la rhétorique antisémite selon laquelle les Juifs et l’État d’Israël feraient partie de ces puissances cachées. La communauté juive autrichienne est extrêmement hostile à Kickl, hostilité que ce dernier ne s’interdit pas d’utiliser. Ainsi, son slogan antivax « La vaccination rend libre » s’accompagne du port de l’étoile jaune avec l’inscription « non vacciné ». Le FPÖ reste cependant prudent avec l’antisémitisme racialiste, en dénonçant par exemple l’antisémitisme des migrants54 tout en niant celui du FPÖ, malgré les dérapages publics. Si le FPÖ a condamné l’agression du Hamas55, il se positionne toutefois contre un soutien à Israël56. Là encore, Kickl ne perd pas de vue les sondages57. Les Autrichiens sont 57% à être d’accord avec l’affirmation « Israël mérite notre entière solidarité. Rien ne peut justifier l’attaque du Hamas contre Israël » (31% « très » et 26% « plutôt »), tandis que 16% ne sont « plutôt pas » d’accord, et 12% « pas du tout » d’accord. Les électeurs du FPÖ sont ceux qui expriment le moins leur solidarité avec Israël : 43% disent être d’accord, une proportion similaire à ceux qui indiquent ne pas être d’accord (40%).
– La pandémie de la Covid-19. L’Autriche essaye, tant bien que mal, de tirer un bilan de la politique mise en place pour faire face à la pandémie, ainsi que des erreurs commises58. Le FPÖ et son chef ont été les principaux soutiens du mouvement antivax en Autriche, ce dont ils ont profité électoralement59 et politiquement60. La fin de la pandémie n’a en rien changé la stratégie du FPÖ, qui dans le cadre de sa campagne européenne, en fait un des axes importants de sa propagande.
Le FPÖ a profité de la présentation en janvier 2024 du livre Die gestohlen Normalität (La normalité volée) de Hannes Strasser et Gerald Hauser pour lancer une attaque en règle contre l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Forum économique mondial. Le premier auteur, Hannes Strasser, médecin et enseignant à l’université, membre actif du courant antivax, présentait sa vision de la pandémie en des termes que reprend Kickl dans ses discours de campagne61 : les confinements auraient fait plus de victimes que le virus, les vaccinés sont devenus des cobayes qui seraient plus souvent atteints, non seulement du Covid, mais aussi par les cancers. Le second auteur, Gerald Hauser, affirmait pour sa part qu’une « dictature de la santé » menaçait, et mettait en garde contre un État orwellien « à la chinoise ». Il déclarait ainsi que « depuis des décennies, on prépare un gouvernement mondial sous l’égide de l’ONU », dont l’OMS pourrait être « l’organe exécutif ».
Le FPÖ reste prisonnier volontaire des théories de la conspiration62. Il est cependant difficile de mesurer l’efficacité de cette propagande pour la campagne en cours. La crise économique, la neutralité autrichienne, l’inflation et l’immigration restent des thèmes bien plus centraux pour l’avenir du parti. La question russe, que le FPÖ tente de tenir hors de sa campagne, a également son importance. Pour éviter que soient évoquées les relations denses du FPÖ avec Poutine, voire d’éventuels financements, Kickl axe ses discours sur le côté économique des relations avec la Russie, en demandant notamment la levée des sanctions, la reprise des échanges commerciaux et des importations de gaz et de pétrole, et en se prononçant pour un strict maintien de la neutralité, excluant tout soutien à l’Ukraine. Selon lui, l’inflation compte parmi les conséquences de la politique antirusse63. Il insiste également sur le danger d’une guerre en Europe, et critique le rôle des États-Unis et de l’OTAN dans le processus de radicalisation idéologique de Poutine64.
Ces différentes stratégies mises en place sur des fronts multiples semblent avoir partiellement porté leurs fruits, si l’on en croit les sondages. Malgré tout, le FPÖ est loin d’être majoritaire, et est prisonnier d’une conjoncture qui peut changer à tout moment.
Les concurrents du FPÖ
L’enquête de l’institut Gallup, à la fin du mois de janvier 2024, interrogeait les Autrichiens sur le fait de savoir quels partis avaient leur confiance pour relever les défis actuels65. Le SPÖ arrivait en tête pour les questions sociales et de santé (44% lui font confiance sur ce thème) suivi de l’ÖVP (23%), du FPÖ (22%) et des Verts (22%) tandis que le FPÖ domine lorsqu’il s’agit de l’immigration (39%). L’ÖVP, qui articule également sa campagne autour de ce thème, n’obtient que 22% et fait moins bien encore que le SPÖ (23%). L’ÖVP est en tête en matière de politique économique, mais de justesse (33%), à peine plus que le SPÖ (30%) et que le FPÖ (24%). Sur le thème de la politique énergétique, l’ÖVP, le SPÖ et les Verts sont presque à égalité (de 25 à 27%), tandis que le FPÖ est à nouveau en tête sur la sécurité intérieure (38%, ÖVP 29%, SPÖ 26%, Verts 11%).
À la question de savoir quels partis sont favorisés par le contexte actuel, 66% des personnes interrogées citent le FPÖ, 18% désignent l’ÖVP, et 6% les Verts, qui paient le prix de leur participation au gouvernement 66. Dans l’hypothèse d’une élection directe du chancelier, Herbert Kickl est également en tête, et rassemble 21% des voix, contre 17% pour Nehammer (ÖVP), 14% pour Babler (SPÖ), 9% pour Meinl-Reisinger (Neos), 3% pour Kögler (Verts)67.
Selon vous, quel est le parti politique capable de relever les défis dans ces domaines ? (en %, plusieurs réponses possibles)
Source :
Gallup Institute, 1er février 2024 [en ligne].
Il faut accorder à la crise de l’ÖVP une attention particulière. Le parti, en déclin, perd des électeurs au profit de plusieurs autres partis, mais notamment à celui du FPÖ : 30% des électeurs qui déclarent aujourd’hui vouloir voter pour le FPÖ votaient pour l’ÖVP en 2019. L’ÖVP ne parvient pas à attirer les électeurs d’autres partis. Pour redresser la barre, l’ÖVP a débuté à la fin du mois de janvier 2024 sa campagne électorale pour les élections européennes et l’élection au Conseil national.
Dans un discours programmatique intitulé « Le plan pour l’Autriche »68, le chancelier Nehammer a présenté sa stratégie pour contenir la montée en puissance du FPÖ. L’objectif était également de gommer l’héritage turquoise de l’ex-chancelier Kurz. Les partenaires de la coalition, les Verts et le SPÖ, faisaient eux aussi l’objet d’attaques ciblées. Un programme de 82 pages a été diffusé à l’occasion du discours. Son objectif est à la fois de convaincre les sympathisants du FPÖ de rejoindre l’ÖVP, et de répondre aux attentes de la clientèle politique traditionnelle de l’ÖVP. La méthode choisie a été de recourir à des contenus similaires, mais présentés différemment.
Le maître-mot du discours est la « culture dominante » (Leitkultur), qui doit permettre « de statuer sur les comportements qui s’opposent à nos valeurs fondamentales ». Nehammer ne veut pas « d’expériences politiques partisanes », il refuse les compromis avec les positions du SPÖ et des Verts, qui prônent une certaine tolérance. Ni l’attribution de la citoyenneté, ni le droit de vote ne doivent être « assouplis ».
La question migratoire est traitée en des termes quasi identiques à ceux du FPÖ : l’ÖVP veut conclure des accords de renvois avec les pays d’où viennent les réfugiés, et mettre fin aux aides lorsque les personnes dont l’asile est refusé « ne sont pas reprises ». Les prestations sociales pour les migrants ne seront accordées qu’après cinq ans de résidence dans le pays. Les demandeurs d’asile déboutés verraient leur liberté de mouvement limitée. Nehammer demande en outre « exclusivement des prestations en nature […] au lieu de prestations en espèces ». Les procédures d’asile doivent avoir lieu hors de l’Europe. Les migrants seront enfin contraints de prendre eux-mêmes en charge les frais occasionnés par leur procédure d’asile. Pour en garantir le paiement, Nehammer envisage de saisir objets de valeur et argent liquide, comme le propose la Jewellery Law au Danemark69.
La question climatique révèle les profondes divergences existantes avec les Verts. Nehammer se déclare favorable à une « ouverture technologique » en matière de moteur à combustion, en clair à hydrogène. Pour lui, il est hors de question que l’UE « bannisse » complètement le moteur à combustion si les voitures e-fuel ne polluent pas plus. Nehammer fait de « l’autarcie énergétique » un objectif clé.
Pour l’ÖVP, la démocratie doit se défendre. Pour ce faire, Nehammer veut plus de soldats de métier et de miliciens ainsi qu’un « engagement clair » en faveur de la neutralité. Dans le domaine de la sécurité intérieure, Karl Nehammer plaide pour une tolérance zéro en matière de criminalité ainsi que pour des peines plus sévères pour les récidivistes, y compris pour les activistes climatiques.
L’UE fait l’objet d’une critique feutrée. Bruxelles est invitée à « recentrer » l’Union sur des thèmes économiques et à faire preuve de retenue « en ce qui concerne les règles pour la vie quotidienne des gens », ce que réclame également Kickl. Nehammer prône une « adaptation des traités de l’UE si l’UE ne parvient pas à apporter des réponses aux grandes questions », une formulation vague, mais menaçante.
Ce très large copier-coller du programme du FPÖ par l’ÖVP est risqué pour les conservateurs, qui restent prisonniers de la coalition avec les Verts et ne peuvent pas mettre en place les mesures souhaitées. Le risque principal est que le programme du FPÖ soit considéré comme l’original. D’un autre côté, le programme pour l’Autriche ouvre la voie à un programme commun de gouvernement entre l’ÖVP et le FPÖ, basé sur le rejet de l’immigration, une autre conception de l’écologie, une orientation vers les travailleurs et des valeurs patriotiques, familiales et économiquement libérales.
Les résultats du FPÖ lors des élections européennes (1996-2019)
Source :
Europawahlen, bmi.gv.at [en ligne].
La principale raison de ce succès a été l’incapacité tant des chrétiens-démocrates de l’ÖVP que des sociaux-démocrates du SPÖ à préserver leurs milieux traditionnels. Les jeunes s’éloignent aussi des « vieux » partis, ce dont profite le FPÖ, ainsi que les Verts.
En 2015, le FPÖ intensifie sa campagne antimigratoire et progresse fortement lors des élections régionales. Il est aussi le premier parti dans les sondages. En 2016, à l’occasion du premier tour de l’élection présidentielle, Norbert Hofer fait la course en tête. Au second tour, il est battu de peu par Alexander Van der Bellen.
En 2017, l’ÖVP est pris en main par Sebastian Kurz. Le FPÖ recule dans les sondages mais se maintient cependant à un haut niveau électoral. Le 15 octobre 2017, le parti obtient 26% des suffrages. Une coalition turquoise-bleue (FPÖ-ÖVP) dirigée par le chancelier Kurz se met en place, Strache devenant vice-chancelier.
Le scandale Ibiza va bouleverser le système politique. À l’été 2017, Strache avait rencontré la supposée nièce d’un oligarque à Ibiza et est filmé en secret à cette occasion. Le 17 mai 2019, la vidéo est rendue publique. Strache démissionne de son poste de vice-chancelier le lendemain. Kurz met alors fin à la coalition. Le 26 mai 2019, le FPÖ obtient encore 17,2% aux élections européennes, une perte modérée de 2,5 points de pourcentage.
Plusieurs autres affaires vont cependant ruiner l’image du FPÖ. Le 12 août 2019, la police perquisitionne le domicile de Strache soupçonné de corruption lors de la nomination de Peter Sidlo, cadre du FPÖ, au poste de directeur financier du Casinos Austria. Le 23 septembre, Strache est publiquement accusé d’avoir utilisé l’argent du parti pour ses besoins personnels, ce qui entraîne une deuxième enquête de la justice. Le 29 septembre 2019, le FPÖ s’effondre à 16,2% lors des élections au Conseil national, soit une baisse de près de 10 points. Lors des élections régionales et municipales à Vienne le 11 octobre, le FPÖ chute de plus de 23 points. Strache est exclu du FPÖ le 13 décembre 2019.
Le 19 juin 2021, Herbert Kickl est élu président du FPÖ avec 88,24% des voix. La pandémie permet au FPÖ de se stabiliser, en devenant le fer de lance du mouvement antivax.
Les intentions de vote pour les élections européennes (février 2024)
Source :
Current Election Trend for the European Parliament Elections in Austria, PolitPro [en ligne].
Ce qui frappe dans ces résultats est l’affaiblissement de l’ÖVP, la remontée en puissance du SPÖ et l’affaiblissement relatif des Verts. En février 2024, le principal concurrent du FPÖ est le parti social-démocrate. Une rupture de la coalition ÖVP-Verts jusqu’aux élections européennes apparaît aujourd’hui invraisemblable, car les deux partis veulent mettre à profit les mois de pouvoir restants pour remonter une pente électorale plutôt raide.
Même en cas de succès aux élections européennes et nationales, le président de la République a le pouvoir d’empêcher Kickl de devenir chancelier. Cependant le FPÖ, en tant que parti, pourrait s’allier avec un ÖVP placé sous une nouvelle direction (peut-être celle de Magnus Brunner), une constellation que pourrait tolérer le président de la République, soucieux d’éviter une crise constitutionnelle majeure. D’autres scénarios sont également possibles, comme une grande coalition ÖVP/SPÖ, une coalition SPÖ/Verts/Neos, une coalition ÖVP, Verts, Neos…
Quelles sont les raisons de la force actuelle du FPÖ ? Le thème du contrôle de l’immigration est central en 2024 dans la campagne du FPÖ. Or, il s’agit d’un thème qui peut faire gagner des élections, comme l’a montré la victoire de Kurz en 2017. Historiquement, le FPÖ obtient de moins bons résultats lors des élections européennes qu’au niveau national en raison du scepticisme de son électorat vis-à-vis de l’UE. Le chef du FPÖ, Herbert Kickl, a toutefois réussi à faire passer un message d’urgence pour les élections de 2024. La crise actuelle et la pression qu’elle exerce sur l’UE ont eu pour effet de convaincre l’électorat autrichien que son vote était important. Le FPÖ l’a intégré dans sa stratégie médiatique, et se révèle maître dans l’art d’utiliser les réseaux sociaux à son profit, sans craindre de recourir à la polarisation et à l’exacerbation.
Combiné au fait qu’il n’y a presque plus d’électeurs traditionnellement liés à un parti, le FPÖ génère une mobilisation permanente venant de segments sociaux différents. L’analyse de la pandémie de la Covid-19 montre comment le FPÖ a bâti sa force actuelle sur un discours anti-establishment : « Nous en bas contre ceux en haut » reste le slogan phare.
De toute évidence, les Freiheitlichen ont su mobiliser une large frange des électeurs en collant aux frustrations de la population. Comme le montrent les sondages, la nature du mécontentement favorise le FPÖ, qui surfe sur ses thèmes. Dans l’opposition, le parti est dans une situation confortable, voire hégémonique, non seulement sur la question de l’immigration, mais aussi sur d’autres thèmes phares comme les relations de l’Autriche avec la Russie, ou les mesures prises pendant la pandémie. La capacité de la coalition en place à maîtriser l’inflation et l’immigration sera décisive pour l’avenir du FPÖ. En cas d’échec, ce dernier pourrait bien arriver au pouvoir.
Postface
L’élection au conseil national d’Autriche, 29 septembre 2024
Les résultats électoraux
Les élections au Conseil national, l’équivalent de nos élections législatives, sont un tremblement de terre politique. Elles font entrer l’Autriche dans une période d’instabilité.
Résultats électoraux provisoires des principaux partis avec vote par correspondance (1er octobre 2024)
Source :
Bundesministerium, Bundeswahlen [en ligne].
À l’occasion des élections au Conseil national, le FPÖ est devenu la première force politique. Il a obtenu 28,9% des voix, ce qui représente une augmentation de 11 pts, chiffres provisoires, par rapport aux élections précédentes, en 2019. Le FPÖ disposera de 57 députés au Parlement. Ce résultat est une déception pour le parti qui n’atteint pas la minorité de blocage (62 sièges). La droite de l’ÖVP recule de 11 pts, avec 26,5% des suffrages, tandis que la gauche sociale-démocrate, le SPÖ, fait le plus mauvais score de son histoire avec 21% de voix. Le parti libéral NEOS est à 9%, les Verts à 8%. Une surprise de l’élection a été l’échec des petits partis. Le Bierpartei est à 2%, le Parti communiste autrichien à 2,3%. La coalition en place ÖVP-Verts a été punie par les électeurs, les deux partis ne rassemblant plus que 38% des voix.
La situation économique
Jürgen Klatzer, Yilmaz Gülüm et Sabina Riedl, „Wohlstand im Programmcheck ”, ORF, 17 septembre 2024 [en ligne]. Christoph Ivanusch, „ Nationalratswahl 2024: Wofür stehen die Parteien, und was ist ihnen wichtig? ”, Der Standard, 23 septembre 2024 [en ligne] ; ORF, “Die Schwerpunkte der Parteien ”, 28 septembre 2024 [en ligne].
Voir Der Standard, „ Arbeitslosigkeit stieg im August um zehn Prozent auf 352.000 ”, 2 septembre 2024 [en ligne].
Contrairement à 2019, la campagne électorale a intensément abordé les enjeux économiques70 : au-delà des questions classiques sur la réduction des impôts et des charges des entreprises, le débat a porté sur les causes de la crise économique actuelle en y associant la question des relations commerciales avec la Russie, des coûts de l’immigration et de l’inflation.
Avec 6,7% de chômeurs, l’Autriche connaît une poussée du chômage (147.215 chômeurs), qui inquiète les électeurs71. La forte diminution des offres d’emploi (-15,5% sur un an) renvoie aux problèmes économiques du pays, ce que montrent les chiffres du PIB. Celui-ci a reculé en 2023 de 0,8% et n’a pas progressé en 202472. Dans son analyse économique, la Bank Austria note : « L’économie autrichienne ne décolle pas ». Ce pessimisme économique a joué en faveur du FPÖ.
L’immigration en Autriche (2024)
L’Autriche est terre d’immigration, avec une forte poussée en 2022 (261.937 demandeurs d’asile), un ralentissement en 2023 (194.929) et une reprise en 2024. Ces chiffres ont conditionné la campagne du FPÖ73 et de l’ÖVP74 sur l’immigration. La pression migratoire en provenance du Moyen-Orient a certes diminué, mais on observe une montée de l’immigration clandestine, ce qui a amené les deux partis à réclamer des mesures visant à fermer les frontières de l’Europe (voir infra, le programme du FPÖ).
La campagne du FPÖ
Source :
Die Presse, „Die Mitte zwischen Herz und Hirn – die Plakate”, eine Bewertung, 10 octobre 2024 [en ligne].
Traduction : « Le seul à vos côtés ».
Sebastian Fellner, „ Herbert Kickl schaut jetzt harmlos aus und plakatiert ein Gebet ”, Der Standard, 23 août 2024 [en ligne].
En septembre 2024, le FPÖ a choisi une nouvelle stratégie de communication centrée sur un Kickl à l’air débonnaire et souriant. Il choisit de nouvelles couleurs ; le blanc a ainsi remplacé le bleu et le rouge qui dominaient jusqu’alors. Kickl sourit et les observateurs parlent de ses « yeux bienveillants ». Ce choix a pour but de contraster avec le programme électoral très radical du parti (voir infra). Le chef du parti se veut « un père » de la patrie, « bienveillant » mais ferme75.
Au-delà des débats télévisés rassemblant les « éléphants » politiques, qui furent caractérisés par une agressivité certaine et un vide idéologique frappant, la campagne a surtout eu lieu sur les réseaux sociaux et, pour le FPÖ, sur son site de télévision et ses relais sur Youtube, Tiktok, Instagram, Telegram76. Cette stratégie est un succès : le parti a largement dominé ses concurrents sur les réseaux sociaux77.
Le programme FPÖ en 2024
Le programme électoral du FPÖ pour les élections au Conseil national compte 116 pages78. Ce texte veut répondre aux inquiétudes des Autrichiens et offrir un modèle de transformation radicale de la société, de la culture et du système politique de l’Autriche sur un modèle illibéral rappelant la Hongrie de Victor Orban.
Lors de la présentation de ce programme à la Palmenhaus de Vienne le 21 août 202479, Kickl a expliqué que la « forteresse Autriche » qu’il veut bâtir repose sur quatre piliers : l’individualité, la souveraineté, l’homogénéité et la solidarité. Ces piliers soutiennent la liberté, valeur suprême et de référence programmatique centrale. « La liberté est l’âme du programme » affirme Kickl.
Kickl propose de changer le système politique en profondeur en recourant à la démocratie directe. Il souhaite instaurer des référendums lors desquels la participation sera obligatoire afin de contraindre les citoyens à se positionner sur des questions importantes pour le parti, comme la réintroduction de la peine de mort, la destitution d’un gouvernement ou de certains de ses membres. « Il doit être possible de légiférer indépendamment de la volonté du Conseil national », peut-on lire dans le programme, une attaque frontale contre la démocratie parlementaire.
Dans le domaine culturel, les institutions pourraient subir des coupes financières si elles ne respectaient pas la culture et la langue dominantes. L’ORF (la radio-télévision) est à mettre au pas avec des réductions drastiques de ces fonds, le but étant de réduire l’influence de l’audiovisuel public dans le paysage médiatique autrichien.
Pour Kickl, « l’immigration doit être utile et non nuisible ». Pour lui, tous les problèmes de l’Autriche ont pour cause l´immigration. La « remigration » est donc un impératif et il faut, pour y parvenir, réformer fondamentalement le droit d’asile. L’Autriche doit devenir une « forteresse » grâce à des mesures strictes de protection des frontières. L’État autrichien doit retrouver sa « pleine souveraineté » et annuler, pour ce faire, nombre de traités internationaux comme le pacte européen sur la migration. Le FPÖ veut suspendre le droit d’asile par une « loi d’urgence ». La Hongrie et le Danemark sont présentés comme les modèles à imiter80. L’islam politique étant considéré par le FPÖ comme antithétique de la démocratie et de la liberté, une loi d’interdiction spécifique sera donc adoptée contre l’islam politique, ses adhérents devant quitter le pays.
Pour rendre à l’Autriche sa « pleine souveraineté », le parti se prononce contre l’adhésion à l’OTAN et demande un engagement fort en faveur de la neutralité.
Le parti plaide pour une réforme fondamentale du système d’éducation. Les écoles et les universités, des lieux plutôt hostiles au FPÖ, ne doivent pas être des « champs d’expérimentation » pour la théorie du genre et le « wokisme ». Le FPÖ demande une clause constitutionnelle stipulant qu’il n’existe que deux sexes, l’homme et la femme. L’ensemble du système éducatif méritocratique voulu par le FPÖ doit encourager les individus talentueux et rejeter tout nivellement par le bas81.
La famille fait l’objet d’une attention particulière de Kickl qui veut protéger les enfants des « drag queens » et de la « sexualisation précoce ». La justice et la police sont à réformer. L’âge de la responsabilité pénale doit être abaissé de 14 à 12 ans, la police doit recruter massivement et recevoir une meilleure dotation technique82.
La stratégie de Kickl visant à repositionner le FPÖ en tant que parti économique libéral a fonctionné en 2024. Parmi les mesures phares du « patriotisme économique », nous relevons les points suivants : pas de nouveaux impôts sur les successions ou sur la fortune, une baisse de l’impôt sur les sociétés pour les petites entreprises ainsi que la suppression de la taxe sur le CO2, l’élimination complète de la progression à froid et la suppression des redevances de l’ORF. Le parti veut stopper la « fuite des capitaux » des entreprises et la « surbureaucratisation83 ». L’objectif du FPÖ est d’atteindre un déficit zéro sur le long terme, sans que le financement de ces mesures couteuses ne soit explicité. La sécurité de l’approvisionnement énergétique est une priorité. C’est pourquoi l’énergie fossile, y compris le gaz russe, a un rôle important à jouer pour la garantir84.
Les transferts électoraux 2019 – 2024
L’analyse des transferts électoraux montre que les anciens votants turquoise (ÖVP) et les abstentionnistes de 2019 ont davantage contribué à la victoire électorale du FPÖ que l’électorat du FPÖ de 2019.
Les transferts électoraux 2019-2024 en milliers de suffrages
Source :
David Laumer, Katrin Praprotnik, „ Nationalratswahl 2024 Wählerstromanalyse und Wahlbefragung ”, Foresight, 29 septembre 2024 [en ligne].
À lire horizontalement. Exemple : 1.079.000 (1.079) électeurs de l’ÖVP aux élections nationales de 2019 ont voté ÖVP en 2024, 43.000 SPÖ (43) et 443.000 FPÖ (443).
Sur les 1.412.000 personnes qui ont voté en 2024 pour le FPÖ, 589.000 seulement avaient voté pour le FPÖ en 2019. Le FPÖ perd 82.000 voix au profit des abstentionnistes, du SPÖ (29.000), de NEOS (21 000) et de l’ÖVP (19.000). Ces pertes sont toutefois largement compensées par les voix gagnées sur l’ÖVP (443.000) ; 258.000 abstentionnistes de 2019 ont rejoint le FPÖ. 65.000 électeurs SPÖ de 2019, 25.000 électeurs des NEOS et 14.000 des Verts se sont aussi ralliés aux Freiheitlichen.
La sociographie des électorats
Voir OE24, « Wir sind die Brandmauer »: Energischer Babler beim SPÖ-Wahlkampffinale, 28 septembre 2024 [en ligne].
David Laumer, Katrin Praprotnik, „ Nationalratswahl 2024 Wählerstromanalyse und Wahlbefragung ”, Foresight, 29 septembre 2024 [en ligne].
Nora Schäffier, „ Warum immer mehr Frauen die FPÖ wählen: Die Politologin Birgit Sauer erklärt es mit den Versprechen des FPÖ-Parteiobmanns. ”, Wiener Zeitung, 4 mars 2024 {en ligne].
David Laumer, Katrin Praprotnik, „ Nationalratswahl 2024 Wählerstromanalyse und Wahlbefragung ”, Foresight, 29 septembre 2024 [en ligne].
Op. cit.
Moritz Leidinger Robin Kohrs Michael Matzenberger, „ Wie hat Ihre Gemeinde gewählt? ”, Der Standard, 30 septembre 2024 [en ligne].
Sebastian Fellner Oona Kroisleitner, „ Bei wem die Parteien reüssieren konnten ”, Der Standard, 1 octobre 2024 [en ligne].
Moritz Leidinger Robin Kohrs Michael Matzenberger, „ Nur zwei Prozent der Blauwähler stimmten wegen Herbert Kickl für die FPÖ ”, Der Standard, 29 septembre 2024 [en ligne].
Ibid.
Les sondages disponibles montrent que le FPÖ est en 2024 un « parti attrape-tout » (catch-all-party) puisqu’il est présent dans tous les segments de la société. Le « mur pare-feu » évoqué par Babler85 s’est fissuré et le plafond de verre limitant la montée en puissance du FPÖ n’existe plus.
Alors que lors des élections précédentes, le gender gap était très fort – le FPÖ étant nettement préféré par les hommes, on observe en 2024 une parité entre les sexes (29%)86.
Le programme du FPÖ présente les femmes et leur rôle en des termes pour le moins traditionnels (les 3 K : Kirche, Küche, Kinder/Église, cuisine, enfants). La psychologue Birgit Sauer s’est interrogée sur le phénomène de l’adhésion grandissante des femmes aux thèses national-populistes visibles partout en Europe. Elle conclut que ces partis « profitent des crises telles que la pandémie, la guerre et le réchauffement climatique. Pour de nombreuses personnes, le quotidien est marqué par la peur et le désespoir. Les électrices potentielles du FPÖ ne veulent pas perdre leur emploi au profit des migrants, ni renoncer à leur prospérité et surtout à leurs privilèges en tant que membres de la société blanche majoritaire87 ». Une attitude que l’on retrouve aussi chez nombre de jeunes de 16 à 25 ans.
C’est dans le groupe des hommes et des femmes de moins de 45 ans que le FPÖ est le plus fort (hommes 36%, femmes 32%). Le FPÖ n’arrive pas à s’implanter chez les 60 ans et plus (22%) qui reste chasse gardée de l’ÖVP (38%). C’est aussi un signal du vieillissement de l’électorat conservateur88. La ventilation par niveau d’éducation ressemble à celle des élections précédentes. Le FPÖ est le plus fort chez les diplômés de l’école obligatoire (32%) et les votants en apprentissage (40%) alors qu’il est faiblement ancré chez les diplômés de l’université (15%).
Le FPÖ continue de dominer parmi l’électorat ouvrier (50%). Les retraités sont tendanciellement réfractaires au choix FPÖ (21%) et préfèrent l’ÖVP (39%)89.
Les grandes villes restent des bastions de la social-démocratie (27,7%), mais aussi des Verts (12,4%) et de NEOS (11,0%). Le FPÖ n’y a obtenu que 21,7%. A contrario, le FPÖ se renforce dans les campagnes (31,8%) talonnant l’ÖVP (33%) qui y est très implanté90.
L’enquête Foresight montre que 52% des personnes qui ont très souvent discuté du thème de la pandémie ont donné leur voix au FPÖ. Le FPÖ a ses bastions dans les communes rurales qui présentent un faible taux de vaccination (35%)91.
L’analyse du moment du choix électoral en 2024 montre que les électeurs FPÖ ont décidé très tôt (au moins un mois avant l’élection) de voter pour ce parti (82%), ce qui renvoie aux raisons du choix FPÖ avec 45% des électeurs qui ont voté pour le parti pour ses « positions de fond » (voir ci-après)92.
La perception globale de l’évolution de l’Autriche depuis 2019 est pour l’ensemble des personnes interrogées majoritairement négative (57%) et se retrouve dans tous les groupes sociodémographiques93.
Choix électoral en fonction de l’approbation de : « La démocratie peut poser des problèmes, mais elle est meilleure que toute autre forme de gouvernement »
Source :
David Laumer et Katrin Praprotnik, „ Nationalratswahl 2024 – Wählerstromnalyse une Wahlnefragung ”, Foresight.at, 29 septembre 2024 [en ligne].
Op. cit.
Interrogés sur leur perception de la démocratie, les électeurs FPÖ se montrent particulièrement défiants. En effet, les électeurs FPÖ représentent près de la moitié des Autrichiens (45%) critiques de la démocratie, une attitude relevée depuis les années 1980. Ce scepticisme vaut pour le parlementarisme et les partis présents à la chambre. Ces données dessinent une tentation autoritaire et illibérale des électeurs FPÖ94.
Les motifs de vote pour les principaux partis. Tableau simplifié (en %)
Source :
David Laumer et Katrin Praprotnik, „ Nationalratswahl 2024 – Wählerstromnalyse une Wahlnefragung ”, Foresight.at, 29 septembre 2024 [en ligne].
Les options politiques au lendemain de la consultation électorale
Op. cit.
Les sondages montrent qu’une possible coalition ÖVP/SPÖ/NEOS est favorablement accueillie par une forte minorité parmi les personnes interrogées (ÖVP 32% ; SPÖ 33%, NEOS : 67%), alors qu’une alliance ÖVP-FPÖ est clairement rejetée par les électeurs ÖVP (ÖVP 21%, FPÖ : 74%)95.
Diverses coalitions sont envisageables au lendemain de l’élection. En cas d’impossibilité de trouver une majorité, le président de la République, l’écologiste Alexander Van der Bellen, peut nommer un gouvernement technique, en attendant de nouvelles élections.
Certaines solutions sont à exclure d’emblée notamment la nomination de Kickl comme chancelier. La formation d’une grande coalition ÖVP-SPÖ est possible mais la très courte majorité de cette grande coalition la rendrait fragile. Sur le plan personnel, Nehammer (ÖVP) et Babler (SPÖ) ne s’apprécient guère, mais ils devraient chercher un consensus. L’ÖVP ne voulant pas des Verts comme partenaires d’une coalition tripartite, il ne reste que la NEOS. Néanmoins, la compatibilité entre ce parti libéral et atlantiste avec un SPÖ dirigé par un marxiste anti-américain est faible. Cette coalition serait certainement difficile à gouverner et conflictuelle. Sa durée de vie pourrait être courte. Dans tous les cas de figure, le FPÖ restera une puissante force d’opposition.
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