Résumé
I.

L’antiracisme comme norme sociale

1.

Une population ouverte

2.

La mixité comme idéal

3.

Les violences racistes

4.

La preuve par Aya Cissoko ?

II.

Antiracisme structurel

1.

La race aux États-Unis

2.

La race en France

3.

L’invisibilisation des origines

4.

La visibilité des invisibles

III.

Le mythe du racisme structurel

1.

De l’origine des mythes

2.

Instrumentalisation

3.

Surinterprétation

4.

Réductionnisme

5.

Aveuglement

Conclusion

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Résumé

Après avoir souligné, dans le premier volume de cette note, les facteurs qui ont permis de tenir la France à distance de l’idéologie de la race, on s’intéresse désormais aux indices – très concrets – qui confirment que la société française se caractérise par une hostilité structurelle envers le racisme et le racialisme. Une comparaison avec les États-Unis, pays proche par de nombreux aspects, aide à mieux faire ressortir la divergence des trajectoires entre les deux pays.

Au-delà d’une critique de la thèse du racisme systémique, il s’agit alors de comprendre pourquoi une telle thèse a pu émerger et bénéficier d’un succès relatif. Pour cela, un détour par la mythologie est nécessaire. Situer le racisme systémique sur le terrain du mythe permet d’en comprendre les ressors intellectuels et de saisir les risques que recèle cette théorie en cette période de tensions autour de l’immigration et de la place des minorités.

Vincent Tournier,

Maître de conférences de sciences politiques, Institut d’études politiques de Grenoble.

I Partie

L’antiracisme comme norme sociale

Le repérage des normes est une étape importante dans l’analyse sociologique : cela permet de distinguer la règle de l’exception, l’essentiel de l’accessoire. Il existe par exemple des accidents de la route, mais ceux-ci restent rares une fois rapportés au nombre de conducteurs ; la norme se situe donc du côté de la conduite prudente et respectueuse des règles, même s’il existe des fous du volant.

Les partisans du racisme structurel ou systémique n’abordent jamais le problème sous cet angle. Eux-mêmes se gardent bien de dire pourquoi ils ont su échapper à une norme qui est supposée être aussi prégnante. La question est pourtant essentielle : quelle est la norme ? Ne pas poser cette question dispense d’avoir à prouver l’existence d’une norme raciste, mais aussi de fournir une explication sur ses origines.

Or, tout indique justement qu’en France la norme s’est constituée contre le racialisme. Bâtie sur le long terme, cette norme antiraciste s’est consolidée après 1945. Prévalante depuis longtemps parmi les élites, elle l’emporte aussi dans la population française dont l’éthos (ou la personnalité de base pour reprendre la formule de l’anthropologue Abram Kardiner) se singularise par un puissant antiracisme.

1

Une population ouverte

Notes

1.

Le livre de Jean Raspail, redécouvert dans les années 2010 lorsque certains y ont décelé une réflexion prémonitoire. Voir Jean Raspail, Le Camp des Saints, Robert Laffont, 1973.

+ -

2.

Hubertine Auclert, Le vote des femmes, V. Giard & E. Brière, 1908, chapitre « Les femmes sont les nègres ».

+ -

3.

Ilyès Zouari, « Le droit de vote pour les ultramarins: une exception et une fierté françaises », Causeur, 14 janvier 2022 [en ligne].

+ -

4.

« «Y’a bon Banania» disparaîtra bel et bien », L’Express, 20 mai 2011 [en ligne].

+ -

5.

Didier Rykner, « ‘Au Nègre Joyeux’ n’est pas une enseigne raciste », La Tribune de l’art, 18 novembre 2017 [en ligne].

+ -

6.

Benjamin Doizelet, « L’intégration des soldats noirs américains de la 93e division d’infanterie dans l’armée française en 1918 », Revue historique des armées, n°265, 2011 [en ligne].

+ -

7.

Il existe aussi, depuis 1971, une « Maison de la Négritude et des Droits de l’homme » à Champagney (Haute-Saône). À travers cette modeste institution, qui doit son nom à Léopold Senghor venu lui accorder son patronage, les habitants ont voulu commémorer le geste étonnant de leurs ancêtres qui, dans l’article 29 de leur cahier de doléances daté du 19 mars 1789, ont demandé l’abolition de l’esclavage des Noirs [en ligne] . Il s’est donc trouvé, sous la Révolution, quelque 70 personnes, au fin fond de la France, pour dire que « les habitants et communauté de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les Nègres dans les colonies, sans avoir le cœur pénétré de la plus vive douleur, en se représentant leurs Semblables, unis encore à eux par le double lien de la Religion, être traités plus durement que ne le sont les bêtes de somme » [en ligne].

+ -

8.

Daniel Derivois, « Pour lutter contre le racisme, mieux comprendre le mot ‘nègre’ », The Conversation, 21 février 2023 [en ligne].

+ -

9.

Benoît Hopquin, « Pap Ndiaye, républicain de souche », Le Monde, 2 janvier 2009 [en ligne].

+ -

Considérer la France comme un pays structurellement raciste paraît incohérent avec la présence d’une immigration ancienne et importante. Certes, l’immigration répond à des considérations économiques, mais elle n’aurait pas pu prendre une telle ampleur si elle n’avait pas bénéficié d’un contexte relativement ouvert. C’est ce qui explique par exemple qu’une population algérienne ait pu venir s’installer massivement en France après la décolonisation, alors que le contentieux de la guerre d’Algérie aurait pu conduire à des violences bien plus fréquentes que celles qui se sont produites.

Contrairement à une idée toute faite, la population française n’a pas témoigné d’attitudes massives de racisme ou de rejet. Jusqu’aux années 1980, l’extrême droite n’a jamais connu de percées électorales. Si la xénophobie a pu travailler une partie de l’électorat à diverses époques, notamment dans les périodes de difficultés économiques, elle ne s’est jamais transformée en vote.

Même durant les phases de forte immigration, la crainte d’une submersion démographique est restée limitée1, surmontée sans doute par une grande confiance dans les capacités d’assimilation du pays, grâce à l’école, au service militaire et à une économie prospère. Un autre facteur a pu jouer : le sentiment que les élites avaient le souci de protéger la population, souci attesté par les longues listes de morts gravées sur les murs des Grandes écoles.

De nombreux indices, présentés dans la suite de ce texte en une série concrète, témoignent d’une large ouverture de la population française. La France a accordé le droit de vote aux Noirs et aux Arabes avant de l’accorder aux femmes françaises. Cette antériorité a provoqué la colère de la féministe Hubertine Auclert qui s’est demandé comment il était possible de donner la priorité « aux nègres sauvages sur les blanches cultivées2 ». Aujourd’hui encore, les résidents des territoires d’outre-mer sont considérés comme des citoyens à part entière puisqu’ils votent aux élections nationales3, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis ou en Grande-Bretagne où les populations ultra-marines ne sont pas autorisées à participer aux élections nationales.

L’homme noir n’a jamais constitué une figure répulsive, bien au contraire. Un indice est fourni par la vieille publicité pour une poudre chocolatée dont le slogan était « Y’a bon, Banania ». Apparu en 1914, ce slogan figurait à côté du visage réjoui d’un tirailleur sénégalais, identifiable à sa coiffe rouge, la chéchia, couvre-chef masculin en vigueur dans certains pays musulmans. Une polémique a surgi en 2005 lorsque la marque Banania a voulu relancer ce dessin sous forme stylisée. L’accusation de racisme a aussitôt été lancée par le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) et un collectif d’outre-mer. Le dessin a été retiré4, mais était-il raciste ? Le texte sur la boîte indiquait « Petit déjeuner familial ». Il est peu concevable que la promotion d’un produit destiné aux enfants puisse reposer sur un personnage effrayant ou méprisable : si ce tirailleur a été choisi, c’est parce qu’il incarnait une figure chaleureuse et sympathique, sans doute même protectrice.

La polarisation sur le racisme supposé de la société française induit une série de contresens. En témoigne la polémique sur l’enseigne d’un ancien magasin de café parisien intitulée « Au Nègre joyeux », orné d’une peinture de 1897 représentant un homme noir et une femme blanche. Des militants antiracistes y ont vu une bourgeoise blanche se faire servir par un esclave noir, alors qu’il s’agissait au contraire d’une servante blanche apportant un plateau à un homme noir habillé en gentilhomme5.

Pendant la guerre de 1914-1918, les autorités américaines se sont inquiétées de savoir si les soldats noirs, après avoir fait l’expérience d’un pays non ségrégationniste, n’allaient pas développer des idées de liberté et d’égalité6.

Dans l’entre-deux-guerres, la musique apportée par les fanfares de musiciens noirs a séduit et contribué au succès de « l’art nègre ». Cet adjectif n’avait alors rien d’infâmant puisque l’écrivain Aimé Césaire en a fait un titre de fierté en vantant sa « négritude ». C’est même en compagnie de Léopold Sédar Senghor et de Léon Gontran Damas, tous trois appelés à devenir députés, que Césaire a fondé en 1935 la revue L’Étudiant noir à l’origine du mouvement de la négritude7. Si le terme nègre a pu être repris aussi facilement par ces personnalités, c’est bien le signe qu’il n’avait pas la même connotation méprisante qu’aux États-Unis8.

Lorsque Joséphine Baker, la danseuse métisse américaine, arrive en France en 1925 où elle va triompher avec la Revue Nègre avant de devenir la star des Folies Bergères, elle se dit frappée par l’absence de ségrégation raciale : « J’étouffais aux États-Unis (…). Je me suis sentie libérée à Paris ». Dans ses Mémoires, elle est très critique sur la situation nord-américaine, avant de confesser : « la France m’a fait ce que je suis, en marge de tous les préjugés ». Célébrée par de nombreux artistes qui se passionnent pour l’art nègre, elle prend la nationalité française en 1937. Après avoir participé à la Résistance, elle consacrera le reste de sa vie en France à œuvrer dans l’humanitaire.

On peut rapprocher ce témoignage de celui de l’universitaire Pap Ndiaye qui, avant de devenir ministre de l’Éducation nationale, avait indiqué n’avoir jamais rencontré de racisme durant sa jeunesse, lui qui a vécu dans un milieu de Blancs. « Nous n’avons pas été frottés à ces questions », confirme sa sœur Marie. Lui-même admet n’avoir « découvert le monde noir » qu’une fois aux États-Unis, où il a obtenu une bourse universitaire grâce à un programme d’Affirmative action9.

2

La mixité comme idéal

Notes

10.

Gilles Gauvin, « L’affaire des enfants de la Creuse. Entre abus de mémoire et nécessité de l’histoire », 20 & 21. Revue d’histoire, vol. 143, n°3, 2019, p.85-98 [en ligne].

+ -

11.

Très peu de ces enfants (environ 150) se sont fait connaître pour obtenir d’éventuelles indemnisations, voir Patrick Roger, « «Enfant de la Creuse» : un rapport pointe la responsabilité de l’État », Le Monde, 10 avril 2018 [en ligne]. Il est intéressant de relever que cette affaire, qui a provoqué des réactions toutes plus dramatiques les unes que les autres (l’Assemblée nationale a voté une résolution en février 2014 ; le ministre de l’outre-mer a installé une mission d’information confiée à un sociologue en 2016 ; le CRAN a envisagé de porter plainte pour crime contre l’humanité, etc.) n’a pas été tempérée par les débats concomitants sur les mineurs non accompagnés (MNA), ces jeunes enfants généralement originaires du Maghreb, pour lesquels l’État et les collectivités locales sont cette fois-ci sommés de les prendre en charge malgré l’éloignement de leur milieu d’origine et malgré, de surcroît, un coût exorbitant.

+ -

12.

Jean-François Mignot, L’adoption, La Découverte, 2017.

+ -

Une affaire a défrayé la chronique au début des années 2000 : celle des « enfants de la Creuse » du nom de ces enfants réunionnais, pour la plupart abandonnés, qui ont été placés à l’aide sociale à l’enfance et envoyés en métropole, essentiellement dans la Creuse. Lancée par l’ancien Premier ministre Michel Debré, député de la Réunion, cette opération a permis de confier environ 2.000 enfants à des familles métropolitaines entre 1962 et 198410.

Redécouverte des années plus tard, cette affaire a donné lieu à une terrible mise en cause de l’État français, accusé par l’association des Réunionnais de la Creuse d’avoir organisé une « déportation ». Pourtant, cette politique n’avait rien de raciste : ni les pouvoirs publics, ni les habitants de la Creuse, n’ont vu dans la différence raciale un obstacle rhédibitoire11.

En réalité, deux conceptions différentes de l’adoption se sont affrontées ici : à la Réunion, comme dans certains endroits du monde (Afrique subsaharienne, Océanie), l’adoption relève de la pratique du « confiage » qui consiste à confier ses enfants à d’autres membres de la famille sans rompre le lien de filiation12, ce qui n’est pas le cas en France où l’adoption plénière est créatrice d’une authentique filiation.

Graphique 1 : Le racisme déclaré en France (2000-2022)

Source :

CNCDH (rapports annuels).

S’il n’est pas facile d’évaluer le degré de racisme d’une population, les données compilées par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) depuis le début des années 2000 montrent que la part de la population qui se déclare raciste est faible, même en tenant compte de ceux qui se disent « un peu » racistes (graphique 1).

Plus significatif : la part de Français qui pensent qu’il existe des « races supérieures » se limite à 10%. Pour ces deux indicateurs, la tendance est à la baisse, ce qui n’est guère compatible avec l’idée que la société serait structurellement raciste.

Graphique 2 : Pourcentage de ceux qui citent « les gens de différentes races » parmi les voisins indésirables

Source :

European Values Survey (calculs de l’auteur).

Notes

13.

Pour le détail de ces résultats, voir Vincent Tournier, « Dis-moi qui tu ne veux pas pour voisin : les Européens et la tolérance », The Conversation, 25 février 2020 [en ligne].

+ -

14.

Jean Messiha, « Le métissage (mais pas n’importe lequel) : la nouvelle norme du progressisme », Causeur, 20 février 2020 [en ligne]. Voir aussi Bachelot (Denis), « De la représentation ethnique dans la publicité », Commentaire, n°188, Hiver 2024 [en ligne].

+ -

15.

On a même vu la pirogue polynésienne traditionnelle (le vaa’a) connaître une nouvelle jeunesse en Bretagne. Voir Malo Camus-Le Pape, « Relocalisation d’une activité sportive « traditionnelle » : altération ou renforcement identitaire ? Le cas du va’a, la pirogue polynésienne, en Bretagne », Sciences sociales et sport, vol. 19, n°1, 2022 [en ligne].

+ -

Un indicateur encore plus significatif est de savoir avec qui on refuserait de voisiner ? D’après les enquêtes sur les valeurs des Européens (graphique 2), peu de Français disent qu’ils ne veulent pas avoir pour voisins des immigrés (13% en 1990, 9% en 2018) ou des gens d’une autre race (9% en 1990, 4% en 2018). Ces chiffres sont parmi les plus faibles d’Europe. Ils sont sans commune mesure avec les groupes qui suscitent nettement plus d’hostilité comme les drogués (57% des Français n’en veulent pas comme voisins), les alcooliques (41%) ou les Gitans (23%13).

Les publicités et les œuvres télévisées présentent volontiers des couples interraciaux, expression d’une mixité conforme à l’idéal du mariage exogamique. Nul ne connaît la fréquence de tels couples dans la vie réelle, dont la présence médiatique est ouvertement encouragée par l’Arcom, mais le fait est que leur présence sur les écrans s’est banalisée sans choquer outre-mesure : aucune protestation organisée, aucun appel au boycott n’accompagnent ces messages publicitaires dans lesquels les anthropologues pourraient voir le signe d’une société ouverte qui accepte de donner ses femmes. Rares sont ceux qui, comme Jean Messiha, s’étonnent que le modèle proposé se limite souvent à un homme noir avec une femme blanche selon un schéma possiblement sexiste14.

Si l’on ajoute à cela que des personnes de couleur figurent régulièrement parmi les personnalités préférées des Français, ou que les Français manifestent un goût prononcé pour les voyages et les cultures du monde, sans doute par hédonisme mais aussi par désir sincère de découvrir et d’utiliser ce que font les autres15 au point de se voir accusés « d’appropriations culturelles», ou encore que, dès leur plus jeune âge, les élèves français apprennent la tolérance et le respect et que les jeunes placent très haut la lutte contre le racisme dans la liste de leurs préoccupations, il est bien difficile de déceler un racisme systémique dans la société française.

3

Les violences racistes

Notes

16.

Pendant son voyage de deux ans aux États-Unis, Richard LaPiere a observé que les hôtels et les restaurants n’avaient aucun problème pour le recevoir en compagnie d’un couple d’amis chinois. Après son voyage, il a contacté par écrit 250 établissements (dont ceux qu’il avait visités) pour leur demander s’ils acceptaient les Chinois, victimes à l’époque de la législation anti-chinoise. Plus de 90% des établissements avaient répondu par la négative, ce qui avait conduit LaPiere à dire qu’il est important de distinguer les préjugés et les passages à l’acte. Voir Richard LaPiere, «Attitudes versus Actions», Social Forces, vol. 13, n°2, 1934.

+ -

17.

Stéphane Mourlane, « Les anarchistes italiens dans les Alpes-Maritimes et le Var à la fin du xixe siècle : le choix de la marginalité ? », Cahiers de la Méditerranée, n°69, 2004 ; Yvan Gastaut, « L’Italien anarchiste à Nice dans les rapports de police à la fin du xixe siècle : la figure introuvable du terroriste », Recherches régionales, Centre de documentation des Alpes-Maritimes, 48e année, 2007, n° 187, pp. 9-16.

+ -

18.

Pierre Birnbaum, Les fous de la République, Fayard, 1992.

+ -

19.

Édouard Drumont, La France juive. Essai d’histoire contemporaine, Flammarion, 1886.

+ -

20.

La dernière attaque anti-juive recensée en France s’est produite à Durmenach (Bas-Rhin) en février 1848. Il y a eu des dégâts matériels mais aucune victime n’est à déplorer. Le curé du village a donné l’asile aux Juifs qui ne pouvaient pas s’enfuir.

+ -

21.

Pierre Birnbaum, Le moment antisémite. Un tour de la France en 1898, Fayard, 2015 [1998].

+ -

22.

Léon Blum est victime d’une tentative d’agression le 13 février 1936. Il convient de préciser que les violences contre les dirigeants politiques sont alors fréquentes, y compris contre l’Action française puisque plusieurs de ses dirigeants ont été assassinés par des anarchistes (Marius Plateau en 1923, Ernest Berger en 1925). Voir Emmanuel Debono, « Les années 1930 en France : le temps d’une radicalisation antisémite », Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 198, n°1, 2013, pp. 99-116 [en ligne].

+ -

23.

Emmanuel Debono (Emmanuel), « Radiographie d’un pic d’antisémitisme. La crise de Munich (automne 1938) », Archives Juives, vol. 43, n°1, 2010, pp.77-95.

+ -

24.

Cette analyse a reçu le soutien de certains historiens : Alain Michel, « Vichy désirait protéger tous les Français, dont les juifs », Causeur, 25 novembre 2021 ; Jean-Marc Berlière, « La rafle du vel’ d’hiv’ vue par les médias et les politiques : c’est l’histoire qu’on assassine ! », Causeur, 9 août 2022.

+ -

25.

Jacques Semelin, Une énigme française. Pourquoi les trois quarts des Juifs en France n’ont pas été déportés, Albin Michel, 2022 ; Pascale Tournier, Jacques Semelin : «Concernant le maréchal Pétain et les juifs français, Zemmour a exploité une faiblesse de l’historiographie» », La Vie, 4 janvier 2022 [en ligne]. Voir aussi Annette Wieviorka, « Vichy n’a pas sauvé les Juifs », L’Histoire, 6 janvier 2022 [en ligne].

+ -

26.

Laurent Joly, L’État contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite, Grasset, 2018.

+ -

27.

Yvan Gastaut, « Une année noire dans le Midi. Le racisme anti-arabe en actes, de Grasse à Marseille », Hommes & migrations, n°1330, 2020, pp.31-36 [en ligne].

+ -

En général, le racisme n’est évalué qu’à partir des opinions et des préjugés. Or, les actes se situent sur un tout autre registre. Si les préjugés sont répandus, le passage à l’acte relève d’une autre logique, comme l’avait observé le psychologue Richard LaPiere au cours d’un périple avec un couple de Chinois dans l’Amérique des années trente16.

En France, les violences racistes sont rares. Des poussées de violence ont pu s’exprimer à certaines occasions, comme lors des émeutes d’Aigues-Mortes en 1893 où une dizaine de travailleurs italiens ont été lynchés par la foule. Ce type d’événement est toutefois resté exceptionnel et doit être replacé dans un contexte. À Aigues-Mortes, non seulement une vive compétition sur le marché de l’emploi cristallisait les tensions, mais des attaques terroristes étaient alors commises par des anarchistes dont beaucoup étaient italiens, comme le tristement célèbre Caserio, l’assassin du président Sadi Carnot17.

Même dans la France des années 1930, au plus fort d’une vague migratoire sans précédent, et alors que les ligues d’extrême droite battent leur plein, on ne recense aucun massacre ou meurtre d’étrangers, alors que les violences politiques en Europe sont fréquentes.

Il en va de même pour les Juifs : aucun pogrom ne s’est produit en France depuis celui de Strasbourg en 1349. Si l’antisémitisme renaît à la fin du xixe siècle, c’est dans un contexte d’intense affrontement entre les républicains et les catholiques. Les républicains ont lancé une vaste épuration de l’État, écartant brutalement les catholiques de l’administration, de l’armée et de la magistrature. Ils sont accusés de faire la part belle aux francs-maçons, aux protestants et aux Juifs. De leur côté, les Juifs sont nombreux à s’engager en faveur de la République18, ce qui exacerbe le ressentiment à leur encontre19.

Mais l’antisémitisme est resté essentiellement verbal. Pendant l’Affaire Dreyfus, décrite comme un moment paroxystique de l’antisémitisme, aucun Juif n’a été tué ou même agressé20.

Pierre Birnbaum a parlé d’un « pogrom sans victimes21 ». La formule n’est pas très judicieuse, mais elle souligne que les appels au meurtre sont restés « une menace virtuelle » (Birnbaum), sans commune mesure avec les massacres commis en Russie, en Ukraine, à Vienne, à Varsovie, à Constantine ou à Hébron.

Si les historiens ont relevé des « signaux alarmants » dans les années 1930, les passages à l’acte, quoique peu documentés, ont été rares22. Le summum semble s’être produit en 1938 lors de la crise des Sudètes. Face à la menace de guerre, les Juifs sont accusés de pousser à l’affrontement. On assiste alors à un pic de menaces, d’insultes, de graffitis, de bris de glace et à quelques agressions, notamment en Alsace et en Lorraine23.

La menace fasciste est alors brandie par la gauche. Les ligues prospèrent, particulièrement chez les anciens combattants, mais l’extrême droite n’a aucune existence sur le plan électoral, contrairement à ce qui se passe en Italie et en Allemagne. La principale ligue, les Croix-de-Feu, est républicaine et vigoureusement antifasciste. La germanophobie de son leader, le colonel de La Rocque, qui récuse tout antisémitisme, le mène précocement vers la Résistance (dont il invente le terme) avant d’être arrêté et déporté par les Allemands.

Même sous le régime de Vichy, on ne trouve guère d’attaques ou de meurtres de Juifs commis par des individus. Rappelons que, pour réfuter certaines affirmations selon lesquelles le maréchal Pétain aurait sauvé les Juifs français24, plusieurs historiens ont soutenu que si la grande majorité des Juifs français avaient survécu pendant la guerre, ce fut essentiellement grâce à l’aide des Français ordinaires – y compris de la part de policiers lors de la rafle du Vel d’Hiv. Jacques Semelin parle de « la solidarité des petits gestes25 » et l’historien Laurent Joly relève que les dénonciations de Juifs, contrairement à une légende, ont été peu nombreuses26.

Ce constat optimiste ne doit évidemment pas faire oublier les agressions et les crimes racistes qui ont émaillé l’histoire contemporaine, notamment les « ratonnades » des années 1960-1970 comme à Marseille en 197327. Mais ces violences doivent, là encore, être relativisées et contextualisées. Elles interviennent dans la foulée de la guerre d’Algérie durant laquelle chaque camp a été porté à un haut degré de radicalité tout en conservant une profonde aversion pour le camp adverse. Les événements de mai 1968 ont accru la polarisation idéologique. Les groupuscules d’extrême gauche et d’extrême droite s’affrontent violemment et s’en prennent à ceux qu’ils considèrent comme les alliés du camp opposé.

Le choc pétrolier aggrave les tensions liées à l’immigration maghrébine. Déjà en hausse depuis la fin des années 1960 (l’ANPE a été créée en 1967), le chômage entre dans une nouvelle phase et le gouvernement stoppe l’immigration de travail en 1973. C’est dans ce contexte que des violences contre les Maghrébins éclatent à Marseille, après l’assassinat d’un chauffeur de bus par un Algérien. Les violences sont souvent menées ou encouragées par d’anciens membres de l’OAS et de l’armée.

Si ces drames sont loin d’être négligeables, ils ne sauraient prendre une place démesurée dans l’interprétation de la situation : à la même époque, la France accueille sans difficulté de très nombreux réfugiés Cambodgiens et Vietnamiens (les boat people) qui fuient les régimes communistes, ce qui n’en souligne que davantage la spécificité du contentieux franco-algérien.

Graphique 3 : Évolution des faits racistes comptabilisés par le SRCT (1992-2022)

Source :

rapports annuels de la CNCDH

Notes

28.

Allan Kaval, « Agressions contre des Roms : “Depuis l’attaque, on hésite à sortir, à aller faire nos courses, à aller travailler” », Le Monde, 19 mars 2019.

+ -

29.

Jean Chichizola, « À Dijon, l’incroyable expédition punitive de Tchétchènes », Le Figaro, 15 juin 2020.

+ -

30.

En 2019, 15 nouvelles infractions ont été ajoutées.

+ -

31.

Les actes antichrétiens sont comptabilisés seulement depuis 2018 et ils sont dénombrés à part. Ils sont environ vingt fois supérieurs aux actes antimusulmans (760 contre 42 en 2019, 492 contre 22 en 2020).

+ -

Si une analyse précise reste à faire, l’inventaire des faits racistes depuis 1992 montre qu’une dégradation s’est produite depuis 2000 (graphique 3). Cette dégradation repose essentiellement sur la hausse des actes antisémites dont l’origine semble se situer du côté de la population de confession musulmane qui projette sur les Juifs le conflit israélo-palestinien, comme cela s’est produit après les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023.

La hausse des actes racistes enregistrée depuis 2019 est inquiétante, mais le manque d’informations sur les auteurs et les victimes rend l’interprétation difficile. La diversification ethnoreligieuse de la France a pu accroître les situations conflictuelles, comme l’atteste l’apparition de rivalités intercommunautaires. On a pu assister, par exemple, à une expédition punitive début 2019 dans les quartiers sensibles de la région parisienne à l’encontre de Roms, accusés d’enlèvements d’enfants28, ou à une expédition de Tchétchènes contre des Algériens à Dijon en juin 202029. De plus, la législation a évolué en 2018 : sept nouvelles infractions peuvent désormais faire l’objet d’une incrimination pour racisme. C’est le cas notamment pour l’outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique30, infraction qui a connu une forte hausse (27 en 2018 à 192 en 2019).

Les actes antimusulmans sont peu nombreux, surtout si on les compare aux actes antichrétiens31. Les attentats islamistes de 2015 ont provoqué un léger pic de passages à l’acte contre les musulmans, mais la France n’a pas connu l’équivalent des assassinats commis au Canada (6 morts le 29 janvier 2017) ou en Nouvelle-Zélande (51 morts le 15 mars 2019). Cela confirme que les violences anti-aghrébines des années 1970 étaient bien liées à un contexte spécifique.

4

La preuve par Aya Cissoko ?

Notes

32.

Rebecca Fitoussi, « Aya Cissoko : Il y a un véritable racisme structurel en France », Public Sénat, 27 avril 2021 [en ligne].

+ -

33.

Rebecca Fitoussi, « Aya Cissoko : Il y a un véritable racisme structurel en France », op. cit.

+ -

Une question est rarement envisagée par les tenants du racisme structurel : qu’en disent les victimes ? À quoi correspond concrètement ce racisme qui est supposé être omniprésent ? Le témoignage de l’ancienne boxeuse Aya Cissoko, qui a quitté les rings pour devenir écrivain, mérite d’être écouté avec intérêt puisque celle-ci s’est montrée catégorique : « Il y a un véritable racisme structurel en France », ajoutant : « J’ai été confrontée au racisme tout au long de ma vie ».

À la journaliste qui lui demande de préciser comment s’est manifesté ce racisme, elle fait la réponse suivante :

« De manière très insidieuse. Le racisme, ce n’est pas forcément une personne qui va vous crier “sale noire” ou “sale négresse” dans la rue. Ce sont des “micro-agressions”. Le racisme, c’est par exemple : vous êtes enceinte, vous êtes au labo et vous attendez des résultats d’analyses, vous êtes en train de lire un livre de Stefan Zweig et une personne juste à côté de vous, va vous dire : “mais vous lisez ça, vous ?”. Le racisme, c’est aussi le fait d’être championne et que, continuellement dans la presse, on va écrire “championne d’origine malienne”. Ce qui est censé sonner comme une addition, “je le ressens” comme une soustraction. C’est-à-dire que je ne suis pas tout à fait française, pas pleinement française, je suis “française mais…”. C’est là que réside toute la problématique32 ».

Un tel récit laisse songeur. Loin de conforter la thèse du racisme structurel, il en souligne justement les limites. Peut-on parler de racisme structurel dès lors que celui-ci se manifeste sous la forme de « micro-agressions » ou de « ressentis », sans qu’il soit possible d’en déceler des manifestations plus mesurables ? En quoi le fait de s’étonner de voir quelqu’un lire Stefan Zweig chez le médecin est-il une agression raciste ? Ne s’agit-il pas plus banalement d’une tentative – sans doute maladroite – de lier contact ? De même, en quoi est-il insultant de rappeler les origines d’une personne, surtout à une époque où la migration est volontiers brandie comme un titre de fierté ?

Le récit d’Aya Cissoko est d’autant plus troublant que son propre parcours invite à faire une lecture diamétralement opposée. Au début de son interview, elle évoque le drame qu’elle a vécu enfant, lorsque son père et sa sœur sont décédés dans un incendie criminel, apparemment revendiqué par l’extrême droite. Ce drame est épouvantable, mais elle a été par la suite accompagnée par les institutions publiques et privées. Sa famille a été rapidement relogée. Elle-même a été scolarisée et a pu trouver des associations qui lui ont donné la possibilité de pratiquer le sport de son choix, ce qui lui a permis de cultiver son talent. Après une blessure, elle a été admise à Sciences Po grâce au parrainage de la fondation Lagardère. Elle s’est ensuite lancée dans l’écriture et a trouvé des éditeurs pour la soutenir, d’abord Calmann-Lévy, puis le Seuil. Son premier roman a été primé par Le Figaro avant d’être adapté en téléfilm.

Certes, Aya Cissoko n’a pas eu une vie facile. Elle s’est heurtée à des difficultés et même à des tragédies, et elle a dû faire face. Mais rien ne permet de dire, à travers son parcours, que la société française a démérité.

Allons plus loin. Aya Cissoko voit l’origine du racisme français dans « une histoire de l’esclavage, de la colonisation » – les deux étant confondus. Elle rappelle que c’est à cause de cette colonisation que ses parents sont venus en France car « la France a besoin de bras pour construire ses routes et pour remplir ses usines33».

Curieusement, son jugement critique sur le passé ne va pas jusqu’à lui faire voir que ses parents viennent d’un pays, le Mali, qui était lui-même un État esclavagiste avant l’arrivée des Français et que, sans la colonisation et sans la migration de sa famille vers la France, elle n’aurait peut-être pas pu bénéficier des mêmes chances dans la vie.

II Partie

Antiracisme structurel

Notes

34.

Anthony Berthelier, « Contre le racisme, Castaner prêt à mettre un genou à terre », Huffington Post, 9 juin 2020 [en ligne].

+ -

35.

Grégory Schneider, « Pourquoi les Bleus ont lâché l’affaire sur le genou à terre », Libération, 16 juin 2021 [en ligne].

+ -

La prééminence géopolitique et culturelle des États-Unis depuis 1945 a fini par créer une illusion d’optique : croire que ce qui se passe là-bas se passe aussi en France. N’a-t-on pas entendu un ministre de l’Intérieur envisager de mettre un genou à terre dans la lignée du mouvement Black Lives Matter et de l’affaire George Floyd34? Lors de l’Euro 2020, qui s’est tenu en 2021, l’équipe de France au grand complet a annoncé qu’elle se joindrait à ce nouveau rituel, avant d’y renoncer à la dernière minute devant les protestations35.

Cette américanisation de l’imaginaire national ne doit pourtant pas induire en erreur. La société française est très différente de la société américaine, particulièrement sur la question de la race et du racisme. Un rappel, même rudimentaire, de quelques caractéristiques de l’histoire américaine permet de mieux le mesurer.

1

La race aux États-Unis

Notes

36.

Olivier Richomme, « Race et citoyenneté aux États-Unis : restrictions raciales à la naturalisation aux xixe et xxe siècle », Miranda, n°7, 2012 [en ligne].

+ -

37.

Daniel Sabbagh, « Le statut des “Asiatiques” aux États-Unis. L’identité américaine dans un miroir », Critique internationale, vol.20, n°3, 2003, pp.69-92 [en ligne].

+ -

38.

La décision Griggs v. Duke Power Company (1971) considère que les tests neutres peuvent être discriminatoires, et si la décision Regents of the University of California v. Bakke (1978) interdit les quotas raciaux dans les universités, elle admet que des mécanismes de compensation peuvent être instaurés. Plusieurs décisions ultérieures ont jugé légaux les quotas raciaux dans les entreprises privées ou publiques.

+ -

39.

Voir l’arrêt Students for Fair Admission v. Harvard College, 29 juin 2023.

+ -

40.

James Whitman, Le modèle américain d’Hitler. Comment les lois raciales américaines inspirèrent les nazis, Armand Colin, 2018.

+ -

41.

Pap Ndiaye, « États-Unis : un siècle de ségrégation », L’Histoire, n°306, février 2006.

+ -

42.

Guillaume Mouralis, « Race et droit aux États-Unis : l’ombre de Nuremberg », La Revue des droits de l’homme, n°19, 2021 [en ligne].

+ -

43.

Le bureau du recensement distingue cinq races : White, Black or African American, American native or Alaska native, Asian, Native Hawaiian or Other Pacific Islander, voir “About the Topic of Race”, U.S. Census Bureau, 20 décembre 2024 [en ligne].

+ -

44.

“Frequently Asked Questions : EEO-1 Component 1 Data Collection”, U.S. Equal Employment Opportunity Commission.

+ -

45.

“As a general principle, an Indian is a person who is of some degree Indian blood and is recognized as an Indian by a Tribe and/or the United States”, voir “Frequently Asked Question about Native Americans”, U.S. Department of Justice, Office of Tribal Justice [en ligne].

+ -

46.

Un site permet de calculer le pourcentage de sang indien possédé et classe les tribus en fonction du pourcentage nécessaire pour être considéré comme membre. Voir “What Percentage of Native American Do You Have To Be To Enroll With a Tribe ?”, PowWows.com, 5 janvier 2024 [en ligne].

+ -

Ce n’est pas un hasard si les expressions de racisme structurel ou de racisme institutionnel ont prospéré aux États-Unis. Dans ce pays, le racisme a été au cœur du pacte social à travers la question de l’esclavage. La Constitution de 1787, qui fait suite à l’échec de la Confédération, n’est parvenue à un accord entre les États qu’en contrepartie de la garantie de ne pas toucher à l’esclavage (le « compromis du Connecticut ») et de pondérer le poids de chaque État par le nombre d’esclaves.

Cet arrangement institutionnel a généré des débats récurrents sur l’équilibre entre États esclavagistes et États non esclavagistes. Il a surtout conduit à faire de la race une norme sociétale et juridique. La jurisprudence est allée jusqu’à priver les Noirs de leur citoyenneté (arrêt Scott v. Sandford, 1857) et la législation a longtemps fait référence aux « personnes blanches » pour l’accès à la naturalisation36, ce qui a amené la Cour suprême à des contorsions rocambolesques pour savoir qui en faisait partie37.

Une contradiction flagrante a ainsi été instaurée entre l’idéal égalitaire et la réalité juridique. Cette contradiction n’a pu être résolue que par une guerre civile particulièrement sanglante, mais le problème ne s’est pas arrêté en 1865. Les lois relatives à la ségrégation raciale ont été entérinées par la Cour suprême dans sa décision de 1896 (arrêt Plessy v. Fergusson). Dans les États du sud, où le Parti démocrate a longtemps été dominant, une contre-mémoire nationale s’est constituée qui, en idéalisant la période pré-guerre civile, incite à porter un regard indulgent sur le racisme et la pratique de l’esclavage.

La question raciale est restée longtemps structurante. En 1919, le président Wilson s’est opposé à la proposition japonaise de faire figurer « l’égalité des races » dans les statuts de la SDN. Cette proposition stipulait que les États signataires n’établiraient pas de distinction en fonction de la race. Le veto américain a été vécu comme une humiliation par le Japon, très sensible à la situation de ses ressortissants aux États-Unis. En effet, en Californie, les Japonais n’avaient pas le droit d’accéder aux écoles publiques et une loi de 1913 leur interdisait d’acquérir des terres.

La problématique raciale a donc imprégné profondément la société américaine. Cette prégnance explique pourquoi la politique de l’Affirmative action des années 1960 et 1970 a pu prendre la race pour référence, avec le soutien plus ou moins explicite de la Cour suprême dont certaines décisions sont allées à l’encontre du principe constitutionnel de l’égale protection devant la loi38.

Ce n’est pas sans une certaine ironie que la Cour suprême, dans sa condamnation récente de l’Affirmative action dans les universités, a relevé que l’université de Harvard s’était tristement illustrée dans l’entre-deux-guerres par des quotas de Juifs39. Les politiques raciales et ségrégationnistes menées aux États-Unis ont été tellement brutales qu’elles ont pu être regardées avec intérêt par l’Allemagne hitlérienne40.

La guerre contre l’Allemagne nazie a fragilisé les fondations doctrinales de la ségrégation raciale aux États-Unis41. Les juristes américains ont néanmoins dû faire preuve de finesse lors du procès de Nuremberg pour éviter de créer une incrimination qui aurait pu se retourner contre leur propre pays42.

Cet héritage racialiste a laissé des traces. La statistique publique américaine utilise abondamment les critères ethniques et raciaux, même si, depuis l’an 2000, les recensements s’en remettent à une auto-identification raciale : les individus sont libres d’indiquer la race à laquelle ils appartiennent ; ils ont même la possibilité d’en indiquer plusieurs43.

La race continue d’être utilisée dans les politiques publiques. En vertu du Civil Rights Act de 1964, les entreprises de plus de 100 salariés (voire moins si elles appartiennent à un groupe ou si elles bénéficient de commandes publiques) ont l’obligation de remplir un rapport confidentiel intitulé EEO-1 (Equal Employment Opportunity) pour évaluer les efforts en termes de diversité ethnique et raciale. La Commission EEO invite les employeurs à se baser sur l’auto-identification raciale de leurs salariés ; en cas de refus de leur part, il revient à l’employeur de déclarer lui-même la race de ses employés puisqu’ils doivent tous être identifiés44.

La question des tribus amérindiennes apporte également sa contribution au racialisme légal car l’appartenance à une tribu a des implications juridiques très importantes (participation au gouvernement local, accès à la propriété foncière et à la juridiction tribale, etc.). Une classification généalogique doit donc être instaurée. Un Indien est défini comme « une personne qui a un certain degré de sang indien45 » ; il revient au Bureau des affaires indiennes (BIA) de délivrer un certificat établissant ce degré d’indianité sanguine (CDIB, Certificate of Degree of Indian Blood46).

2

La race en France

Notes

47.

Une affaire de discrimination raciale datant de 1966, avant la loi de 1972, a été sanctionnée par le tribunal correctionnel de la Seine au titre du refus de vente et de l’injure publique. Voir Emmanuel Debono. Le racisme dans le prétoire. Antisémitisme, racisme et xénophobie devant la loi, PUF, 2019.

+ -

48.

Emmanuel Filhol, « Le discours républicain sur les ‘’ nomades ‘’ (1908-1912) : les cas d’Étienne Flandin et de Marc Réville », Ethnologie française, vol. 48, n°4, 2018, pp.687-698 [en ligne].

+ -

La France n’a jamais rien connu de tel. Aucun droit, aucune prestation sociale, aucune politique migratoire, aucune condition d’accès à la nationalité ou à la naturalisation, aucune réglementation de l’espace public n’a pris la race comme critère.

Les institutions françaises se sont toujours gardées d’utiliser des critères raciaux, même durant les périodes de fortes tensions. Au début des années 1930, les lois destinées à protéger la main-d’œuvre nationale, adoptées pendant la crise économique en réponse à une forte poussée migratoire, reposent sur la seule nationalité (la loi de 1932 fixe à 5% le taux d’étrangers pour les entreprises qui répondent aux marchés publics).

La première fois où l’appartenance raciale apparaît dans un texte officiel, c’est avec le décret-loi Marchandeau de 1939 dont le but est précisément de condamner le racisme. La Constitution de 1958 proclame à l’article 1 que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». En 1972, une législation antiraciste a été adoptée (la loi Pleven). Son utilité juridique est discutable47, mais il s’agissait à l’époque de faciliter la circulation en métropole des populations d’outre-mer, dont certaines ont manifesté leur volonté de rester françaises.

Même dans le cas des Tsiganes, qui ont toujours suscité une forte aversion dans l’opinion, la législation s’est gardée de faire intervenir la race. La loi de 1912, adoptée dans un climat pourtant très hostile48, s’est contentée d’un critère strictement social : le nomade est celui qui n’a pas de résidence fixe. Elle a même pris soin de distinguer les nomades et les forains en considérant que ces derniers, du fait de leur activité de commerçant ambulant, relèvent des travailleurs saisonniers. L’expression « gens du voyage », qui est apparue dans le vocabulaire administratif depuis les années 1970, consacre de manière encore plus flagrante ce refus des critères biologiques, alors que de leur côté les Tsiganes ont moins de scrupules à affirmer leur identité ethno-raciale.

Quoiqu’on en dise, pour toutes les raisons que l’on a indiquées, la société française a ainsi développé une profonde réticence à l’égard des origines, même lorsque certains enjeux y poussent. C’est ainsi que la discrimination positive à la française, mise en œuvre dans le cadre de l’éducation prioritaire (1981) ou de la politique de la ville (1990), s’est contentée d’utiliser des critères sociaux et géographiques, jamais des critères raciaux ou ethniques.

3

L’invisibilisation des origines

Notes

49.

Patrick Ténoudji, « Les minorités invisibles. Être « noir » dans une entreprise d’insertion en banlieue parisienne : parcours d’intégration », Les Temps Modernes, vol. 615-616, n°4-5, 2001, pp. 180-205 [en ligne]  ; Vincent Geisser, « Minorités visibles versus majorité invisible : promotion de la diversité ou de la diversion ? », Migrations Société, vol. 111-112, n°3-4, 2007, pp. 5-15 [en ligne].

+ -

50.

Une loi de 2004 a interdit de collecter des données faisant apparaître « directement ou indirectement les origines raciales ou ethniques », et le Conseil constitutionnel a interdit de réaliser des études qui prendraient en compte « l’origine ethnique ou la race » en considérant que ces informations ne font pas partie des « données objectives » (décision du 15 novembre 2007).

+ -

51.

Michèle Tribalat, « Une innovation dans le bulletin de recensement qui pourrait en cacher une autre : l’abandon de la définition actuelle des immigrés », micheletribalat.fr, 2 mai 2022 [en ligne].

+ -

52.

Jean-Marc Leclerc, « Polémique sur le fichage selon la couleur de peau », Le Figaro, 5 décembre 2008 [en ligne].

+ -

53.

Isabelle Rey-Lefebvre, « Le bailleur social Logirep condamné en appel pour ‘discrimination raciale’ », Le Monde, 18 mars 2016 [en ligne].

+ -

54.

Hervé Le Bras, Le démon des origines, Éditions de l’Aube, 1998.

+ -

55.

« Inactivité, chômage et emploi des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique. Données annuelles 2023 », Insee, 29 août 2024 [en ligne].

+ -

56.

« Flux migratoires des non-immigrés », Note méthodologique, avril 2024 [en ligne].

+ -

57.

En février 2015, au cours d’un diner du CRIF, François Hollande n’avait pas craint d’accuser des « Français de souche » d’avoir profané un cimetière juif. Voir Alexandre Devecchio, «“Français de souche, comme on dit” : le décryptage de Michèle Tribalat », Le Figaro, 24 février 2015 [en ligne].

+ -

58.

Aureliano Tonet et Cédric Pietralunga, « Pap Ndiaye : « Notre mission, c’est faire de l’immigration un élément central de l’histoire nationale » » Le Monde, 19 mars 2021 [en ligne].

+ -

Une accusation a surgi ces dernières années : la République « invisibiliserait » les minorités ethniques49, accusation qui a trouvé matière à se conforter avec les lois de 2004 et 2010 sur les signes religieux et la burqa.

Si cette accusation illustre la montée en force du référentiel multiculturaliste au détriment du référentiel assimilationniste, elle confirme implicitement que la tradition politico-juridique française s’est toujours refusée à tenir compte des critères physiques. Dire que la République invisibilise les minorités, c’est reconnaître que celle-ci se veut aveugle aux origines : les individus doivent être jugés en fonction de leurs qualités et de leur personnalité, non en fonction de leur apparence ou de leur généalogie.

C’est pourquoi la race n’a jamais figuré dans les recensements nationaux, contrairement aux États-Unis ou à l’Angleterre. Les statistiques sur les origines continuent d’être étroitement encadrées50. Les institutions publiques chargées de collecter des statistiques refusent d’accorder la moindre place à des indicateurs qui pourraient s’apparenter à l’identification des origines. Même une question sur la nationalité des parents à la naissance devient suspecte car jugée potentiellement stigmatisante, et a donc disparu du recensement de 2025, ce qui risque de rendre plus difficile le dénombrement des immigrés51.

En matière criminelle, où il est pourtant nécessaire d’identifier les individus en fonction de leur apparence, la race suscite également un refus de principe. Le Fichier national des empreintes génétiques (Fnaeg, créé en 1998) n’archive que l’ADN non codant, c’est-à-dire les segments qui ne révèlent aucune information sur les caractéristiques physiques des personnes, à l’exception du sexe. La présence d’informations ethno-raciales dans le fichier des infractions de la police (STIC) a été très mal acceptée, notamment par la CNIL et le Défenseur des droits52, mais l’indifférence envers la race atteint ici ses limites car il paraît difficile de mener des investigations sans disposer de ces renseignements.

Toutes les revendications axées sur la race (par exemple les statistiques dites « ethniques » ou les quotas raciaux dans les entreprises et les administrations) se sont heurtées à un mur. Cette situation n’exclut pas les effets pervers, comme lorsqu’un bailleur social a été condamné pour avoir essayé d’éviter une trop forte concentration ethnique dans l’un de ses immeubles53, mais elle confirme que la société française est structurellement allergique à la race.

Cette phobie des origines se traduit par une grande prudence de la part des médias et des sciences sociales. Les actes d’incivilité et de criminalité ne sont jamais documentés en fonction des caractéristiques ethniques des auteurs. Il en va de même pour le harcèlement dans la rue ou dans les établissements scolaires, ou pour les violences domestiques et conjugales. Seule la nationalité a éventuellement droit de cité, par exemple pour les statistiques de l’administration pénitentiaire.

Autre signe de cette phobie : une profonde disgrâce a frappé l’expression « Français de souche54 ». Ce discrédit est cohérent avec la logique anti-racialiste : dans une société où les origines généalogiques se diversifient, le fait de mettre en avant son ascendance franco-française est une manière de se distinguer qui peut sembler incompatible avec l’égalité civique.

Cette disgrâce a toutefois créé un vide : comment faut-il désigner les Français qui ne sont pas issus de l’immigration ? L’Insee parle des « personnes sans ascendance migratoire55 », l’Ined des « non immigrés56 ».

Derrière ces subtilités se dessine une évolution sensible : le peuple historique tend à être défini de manière négative sur la base d’un manque. Il cesse d’être la norme de référence, laquelle se déplace vers les populations venues d’ailleurs : puisqu’il n’existe pas de Français de souche, tout Français est un immigré qui s’ignore.

Un glissement menace alors de s’opérer. Non seulement le Français de souche n’est plus mentionné, sauf éventuellement lorsqu’il s’agit de le mettre en cause57, mais la thèse se répand que la France doit tout aux étrangers. « Nos arrière-grands-parents ont libéré la France, nos grands-parents l’ont reconstruite, nos parents l’ont nettoyée. Nous, on va la raconter », résumait l’humoriste Jamel Debbouze en 2006 lors de la sortie du film Indigènes, primé au Festival de Cannes.

Les institutions publiques assument parfois ce basculement, à l’image de Pap Ndiaye lorsqu’il était directeur du Musée de l’histoire de l’immigration : « Notre mission, c’est faire de l’immigration un élément central de l’histoire nationale58 ». Lors de sa réouverture au printemps 2023, après trois ans de travaux, le même musée a lancé une campagne d’affichage où un portrait de Louis XIV était illustré par le slogan suivant : « C’est fou tous ces étrangers qui ont fait l’histoire de France ». Cette présentation était surprenante à plus d’un titre : en plus de célébrer un roi qui a fait adopter le Code noir et révoqué l’Édit de Nantes, elle laisse entendre qu’un enfant d’étranger – puisque la mère de Louis XIV était espagnole – reste à jamais un étranger.

4

La visibilité des invisibles

Notes

59.

Paul Yonnet, Voyage au centre du malaise français. L’antiracisme et le roman national, Gallimard, 1993.

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60.

« Minorités invisibles », Le Monde, 21 juillet 2000. Calixthe Beyala publiera plusieurs tribunes du même acabit. Voir Florence Hartmann, « Calixthe Beyala, « Il n’y a pas de Navarro ou de Julie Lescaut noirs » », Le Monde, 10 octobre 1999 [en ligne] ; Calixthe Beyala, « Les Africains-Français attendent », Le Monde, 11 mars 2002 [en ligne].

+ -

61.

Au nom de tous les miens est le titre de l’autobiographie de Martin Gray, rescapé du ghetto de Varsovie
et de Treblinka.

+ -

62.

« En février 2000, Luc Saint-Éloy bousculait “la grande famille du cinéma”. Depuis, rien n’a changé… », 9 mars 2020 [en ligne].

+ -

63.

Voir le rapport « La représentation de la société française dans les médias audiovisuels », Arcom, juillet 2022 [en ligne].

+ -

64.

Pour une analyse plus détaillée, voir notre contribution dans Emmanuelle Hénin, Xavier-Laurent Salvador et Pierre Vermeren, Face à l’obscurantisme woke, PUF, 2025 (à paraître).

+ -

65.

Renaud Dely, « Le Pen fait sa sélection des footballeurs pas assez français », Libération, 26 juin 1996 [en ligne].

+ -

66.

Isabelle Rüf, « France Culture accuse l’écrivain Renaud Camus d’antisémitisme », Le Temps, 25 avril 2000 [en ligne].

+ -

67.

Pap Ndiaye et Constance Rivière, Rapport sur la diversité à l’Opéra national de Paris, janvier 2021 [en ligne].

+ -

68.

Thomas Sotinel, « Omar Sy et le docteur Knock, un rendez-vous raté », Le Monde, 18 octobre 2017 [en ligne].

+ -

69.

Les médias ont certes parlé d’une « polémique » au sujet de ce concours, mais sans prononcer de condamnation radicale. Voir « Mbathio Beye, première «Miss Black» française », France Info/AFP¸ 29 avril 2012 [en ligne] ; « Mbathio Beye est la première Miss Black France », Elle, avril 2012 [en ligne] ; Anna Benjamin, « Miss Black France, un concours de «beautés noires» qui fait polémique », Le Monde, 27 avril 2012 [en ligne].

+ -

70.

Sylvie Laurent, « Le “petit Blanc” n’est plus ce qu’il était », Le Monde, 2 octobre 2012 [en ligne].

+ -

71.

France O, 26 mars 2015.

+ -

72.

Donia Ismail, « Stormzy, le rappeur qui met sa célébrité au service des communautés noires », Slate, 30 mai 2023 [en ligne]. L’article se termine par un éloge des « propos incisifs » de Stormzy : “If you try to rob them for their dreams, of course I’m gonna put a target on your back” [Si vous essayez de voler les rêves de (la communauté noire), je placerai une cible sur votre dos] ». Un chanteur blanc énonçant la même chose ne provoquerait probablement pas la même indulgence.

+ -

Comme l’a bien perçu Paul Yonnet, l’antiracisme des années 1980 a paradoxalement ramené la question des identités raciales dans le débat public59. Les revendications identitaires ont pris une place croissante, bien que masquées par un vocabulaire euphémisé (Beurs, Maghrébins, Blacks, Renois, Rebeus).

L’année 1998 a accéléré cette inflexion. La victoire de l’équipe de France « Blanc Black Beur » s’est accompagnée de la naissance du collectif Égalité, créé par plusieurs artistes d’origine africaine : Calixthe Beyala (romancière), Manu Dibango (musicien), Luc Saint-Éloi (metteur en scène) et Dieudonné (comédien). Ce collectif dénonce le traitement réservé aux Noirs et leur faible représentation dans la société. La présidente de cette association, Calixthe Beyala, reproche à l’enseignement de faire l’impasse sur l’esclavage des Noirs. Elle exige des quotas par race dans l’emploi et les médias60. Lors de la 25e cérémonie des César, en compagnie de Luc Saint-Éloy, elle se proclame porte-parole d’une communauté définie par la race pour dénoncer l’absence des minorités visibles. Au passage, elle fait un rapprochement explicite avec la situation des Juifs, via l’écrivain Martin Gray :

« Au nom de 8 ou 20 millions de ces citoyens [issus des minorités visibles], au nom de tous les miens61, et ce n’est pas un titre de film, au nom du combat juste et légitime que mène le collectif Égalité pour une véritable représentation de la réalité multiraciale de la France dans tous les médias, dans tous les lieux de culture, nous tenons à vous dire que la situation que nous subissons depuis trop longtemps bafoue toute notion de dignité humaine62 ».

Après avoir auditionné le collectif Égalité, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA devenu ARCOM) entreprend de décompter les apparitions sur les écrans en fonction de la couleur de peau. Ses rapports annuels déplorent que les « personnes perçues comme non blanches » ne représentent que 14% des personnages présentés sur les écrans télévisés. Or, comment savoir qui est perçu comme Blanc ou comme non-Blanc ? Et surtout, comment savoir, faute de statistiques nationales sur la race, si la proportion de « non-Blancs » établie par le CSA n’est pas surreprésentée par rapport à la composition réelle du pays63 ? Un tel décompte demeure bien étrange et peu compatible avec une institution de la République64.

Une rupture est en tout cas intervenue. Elle est même considérable si on se souvient des virulentes réactions qui avaient accompagné les propos de Jean-Marie Le Pen sur la proportion de joueurs d’origine étrangère dans l’équipe de France de foot65, ou ceux de l’écrivain Renaud Camus sur le nombre de Juifs dans les émissions de France Culture66.

Jadis condamné avec la plus grande fermeté, ce type de comptabilité gagne en légitimité. La présidente de France Télévision, Delphine Ernotte, ne craint pas de déclarer qu’elle entend en finir avec « une télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans » (23 septembre 2015) et un rapport officiel s’attache à inventorier le personnel de l’Opéra de Paris à partir de critères raciaux67.

Un chassé-croisé est donc à l’œuvre : tandis que la population majoritaire est appelée à se faire discrète, voire à faire amende honorable pour ses fautes du passé, les minorités sont invitées à afficher fièrement leurs origines.

Les invisibles doivent devenir visibles. Dans les films, des acteurs noirs interprètent des personnages blancs, à l’instar d’Omar Sy qui joue le docteur Knock68, tandis que l’édition de poche de Dom Juan fait figurer un acteur noir sur sa couverture.

Cette situation passerait difficilement un test d’inversion : on voit mal un acteur blanc incarner une personnalité noire sous peine d’être accusé de blackface. Un concours Miss Black France a pu se constituer en 2012 sans réelle contestation69, alors qu’il serait totalement inenvisageable de réserver le concours Miss France aux femmes blanches – concours qui a du reste couronné plusieurs femmes de couleur depuis Sonia Rolland, d’origine rwandaise (2000), jusqu’à la martiniquaise Angélique Angarni-Filopon (2025).

Le Conseil représentatif des associations noires (CRAN, créé en 2005) ne saurait avoir son équivalent chez les Blancs, et si la presse peut parler avec condescendance des « petits Blancs70 », on l’imagine mal parler sur le même ton des « petits Noirs ». La comédie musicale des Folies Bergères « Black Legend », qui entend retracer « quatre siècles du peuple noir » à partir des grands chanteurs afro-américains, pourrait-elle être transposée aux « Légendes blanches71 » ? Si un site d’information peut vanter un rappeur américain « qui met sa célébrité au service des communautés noires », il semble difficile d’imaginer le même enthousiasme pour un chanteur qui serait au service des « communautés blanches72 ».

III Partie

Le mythe du racisme structurel

Notes

73.

Vincent Tournier, « Misère de l’intersectionnalité », Commentaire, n°189, printemps 2025.

+ -

Comme d’autres idéologies contemporaines (par exemple le décolonialisme, la théorie du genre ou l’intersectionnalité73), avec lesquelles elle entretient des connexions, la thèse du racisme structurel repose sur des éléments qui sont au minimum contestables et superficiels, au pire faux et mensongers.

La question est alors de savoir pourquoi une telle thèse a pu émerger et s’imposer en France, y compris dans les cercles universitaires, alors qu’elle présente toutes les caractéristiques d’un complotisme savant ou, du moins, d’une fausse science. Répondre à cette question nécessite de faire un détour par l’analyse des mythes.

1

De l’origine des mythes

Notes

74.

Claude Lévi-Strauss et Bernard Pivot, « Claude Levi Strauss définit les mythes », INA, 4 mai 1984 [en ligne].

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75.

Didier Anzieu, Le travail de l’Inconscient, Didier Anzieu, 2009, chapitre 2.

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76.

Jean-Pierre Vernant, « Œdipe sans complexe », dans Raison présente n°4, Août-Septembre-Octobre 1967 [en ligne].

+ -

77.

Girardet Raoul, Mythes et mythologies politiques, Seuil, 1990.

+ -

Un mythe, disait Claude Lévi-Strauss, est un récit dont la fonction est de décrire l’origine, le présent et le futur des choses74. Il entretient des liens avec l’idéologie, mais il s’en distingue par l’absence de projet politique explicite.

Freud a proposé d’expliquer les mythes par les conflits internes liés aux angoisses et aux pulsions de la personnalité. Il en concluait que « la mythologie est une psychologie projetée75 ».

Si les mythes empruntent certainement à la psychologie, ils reflètent aussi de la « pensée sociale » d’une société en ce sens qu’ils expriment « les tensions, les contradictions qui surgissent en elle76 ». C’est pourquoi les mythes ont tendance à émerger dans les périodes de crise ou de difficultés77. Quand les récits traditionnels deviennent obsolètes, de nouveaux récits se constituent pour aider à résoudre les tensions et donner un sens au nouvel ordre des choses.

Les mythes entretiennent un rapport ambigu avec la réalité : ils s’en inspirent et s’en éloignent à la fois. Dans son roman Le Monstre, publié en 1965, l’écrivain albanais Ismaël Kadaré avance l’hypothèse que le mythe du cheval de Troie sert à masquer une histoire moins glorieuse, à savoir que les Grecs auraient réussi à vaincre leurs adversaires par une forfaiture en signant un accord de paix qu’ils n’ont pas respecté. Un cheval faisait sans doute partie des cadeaux échangés. C’est sur cette base que le mythe a pu se constituer, sa fonction étant de faire oublier la honte liée à cette perfidie.

Si on suit cette piste, le mythe du racisme structurel pourrait être vu comme une réponse aux contradictions du temps présent et un moyen de ne pas affronter une réalité dérangeante. La période postcoloniale lance en effet de redoutables questions : pourquoi la fin de l’empire colonial s’est-elle accompagnée d’une forte immigration en provenance des anciennes colonies, et pourquoi les immigrés et leurs descendants peinent-ils parfois à s’intégrer ?

Le mythe aide à trouver une cohérence. Non content de donner un sens à l’échec de la France dans ses colonies, il permet d’écarter l’accusation de racisme qui pourrait être lancée contre le mouvement décolonial lui-même puisque celui-ci a justifié la décolonisation par la nécessité de préserver l’identité des peuples autochtones, définie précisément par des critères qui ne seraient jamais acceptés s’ils étaient appliqués aux Français, à savoir le sang, les ancêtres, la terre. Le mouvement décolonial réhabilite ainsi la lutte des races en tant que clef explicative de l’histoire, ce qui n’est pas sans rappeler la théorie des origines germaniques de la noblesse ou de la lutte des races chère à Augustin Thierry.

Le mythe du racisme structurel est également une manière de résoudre un conflit entre, d’un côté, l’idéalisation de l’immigration – idéalisation qui conçoit les anciennes populations colonisées comme des victimes à protéger – et, de l’autre, une réalité migratoire qui se révèle nettement moins positive que prévue, d’autant que les pays d’origine sont loin d’être devenus des havres de paix et de démocratie comme l’espéraient les partisans de la décolonisation.

Le mythe permet ainsi d’évacuer toutes ces difficultés. Il sert à résoudre une « souffrance psychologique » au sens freudien en fournissant une explication réconfortante qui consiste à transférer la responsabilité des problèmes d’intégration sur la société d’accueil.

2

Instrumentalisation

Notes

78.

Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983.

+ -

79.

Le site d’information Musulmans en France dénonce volontiers un « racisme d’État » : « Mort de Nahel, le racisme d’État en question », Musulmans en France, 30 juin 2023 [en ligne].

+ -

80.

« Il est urgent de s’attaquer au racisme systémique et aux doctrines de supériorité raciale », Nations Unies, 14 novembre 2022 [en ligne] ; « Racisme : taux disproportionnés de décès de personnes d’ascendance africaine par les forces de l’ordre dans différents pays », Nations Unies, 30 septembre 2022 [en ligne] ; “Tackling structural racism and ethnicity-based discrimination in health”, World Health Organization [en ligne].

+ -

81.

La presse américaine est souvent très critique envers la France sur le traitement des minorités, ce qui s’explique peut-être par la volonté de récuser le modèle républicain et de relativiser les problèmes raciaux aux États-Unis. Voir par exemple cet article publié après l’assassinat de Samuel Paty : “Instead of fighting systemic racism, France wants to ‘reform Islam’”, Washington Post, 23 octobre 2020 [en ligne].

+ -

82.

Le président turc Erdogan accuse par exemple régulièrement la France : « Aujourd’hui, le racisme culturel s’est transformé en racisme institutionnel dans de nombreux pays européens, en particulier en France ». Voir Ayvaz Çolakoğlu, « Erdogan : en France, on est face à un racisme institutionnel », Anadolu Ajansı, 1er mars 2021 [en ligne]. Les émeutes urbaines de juin 2023 lui ont donné l’occasion de reprendre cette accusation de « racisme institutionnel ». Voir « « Passé colonial », « racisme institutionnel »: Erdogan donne sa version des émeutes en France », BFMTV, 3 juillet 2023 [en ligne].

+ -

83.

Pierre Martin, « Le Vote Le Pen : l’électorat du Front national », Note de la Fondation Saint-Simon, n° 84, 1996 ; Jérôme Fourquet, « 1983 : année charnière pour le Front national », Fondation Jean-Jaurès, 7 mars 2018 [en ligne].

+ -

84.

Laurent Bouvet, L’insécurité culturelle, Fayard, 7 janvier 2015.

+ -

85.

« En Algérie, Macron qualifie la colonisation de « crime contre l’humanité », tollé à droite », Le Monde, 15 février 2017.

+ -

86.

D’après un sondage Harris Interactive pour Challenges d’octobre 2021 auprès de 2544 personnes, 61% des personnes interrogées pensent que le « grand remplacement » va se produire, et 67% disent qu’il les inquiète. Le thème était présenté ainsi : « Certaines personnes parlent du « grand remplacement » : les populations européennes, blanches et chrétiennes étant menacées d’extinction suite à l’immigration musulmane, provenant du Maghreb et d’Afrique noire ». Baromètre d’intentions de vote à l’élection présidentielle de 2022 – Vague 18, Harris Interactive pour Challenges, 20 octobre 2021 [en ligne].

+ -

87.

« Nos ancêtres, les Sarrasins : un nouveau webdocumentaire », INRAP, 19 février 2015 [en ligne] ; « Nos ancêtres les sarrasins … », Le Monde, 29 septembre 2016 [en ligne].

+ -

Le mythe n’a pas forcément besoin d’être cru78. Les récits légendaires apportent un confort psychologique qui coupe court à tout questionnement. Si le mythe n’est pas toujours pris au sérieux, il n’en assure pas moins une fonction sociale et répond à des intérêts.

Les militants antiracistes ont besoin de dramatiser la situation pour mieux justifier leur cause et entretenir l’ardeur de leurs membres79. Les nombreuses associations dont l’objet social est la lutte contre le racisme ou l’accueil des migrants, devenues des acteurs à part entière des politiques migratoires, ont intérêt à entretenir une vision pessimiste de la société française pour justifier leur mission et leurs subventions.

Il en va de même pour les agences administratives indépendantes et les organisations internationales dont une partie de l’activité consiste à exercer un magistère moral, ce qui les incite à tenir un discours très critique sur la société française80.

La dénonciation morale du racisme peut aussi être relayée par des médias étrangers81 ou par des pays qui ont intérêt à critiquer la France82.

De leur côté, les intellectuels et les universitaires ont tout intérêt à cautionner la thèse du racisme structurel pour surfer sur la vague des valeurs post-matérialistes issues de la décolonisation et des Trente Glorieuses : en se présentant comme les pourfendeurs d’un racisme menaçant, ils s’érigent en gardiens de la vertu, ce qui leur permet d’engranger à peu de frais une reconnaissance médiatique et académique.

Plus généralement, le mythe du racisme structurel a l’avantage de proposer une interprétation commode de la situation politique. En mettant l’accent sur le racisme des Français, il évite de s’interroger sur les raisons qui ont permis au Front national de prospérer, alors même que son succès ne signifie aucunement la fin de la norme antiraciste : c’est justement parce que le FN a été perçu comme un parti raciste que sa croissance électorale a été contenue malgré les fortes attentes des Français sur les questions d’immigration et de sécurité.

Le mythe du racisme structurel empêche de voir que le vote FN/RN découle moins du racisme atavique des Français que du sentiment que les gouvernements ont été trop accommodants avec les étrangers83. Une partie de l’opinion a pu avoir le sentiment qu’un élément essentiel du contrat social n’avait pas été respecté. À l’insécurité culturelle pointée par Laurent Bouvet est ainsi venue s’ajouter une insécurité de nature politique84 : les élites sont-elles toujours soucieuses de défendre le peuple, elles qui ont désormais les yeux braqués sur l’Europe et la mondialisation, tout en parvenant à se préserver des effets néfastes d’un processus dont elles sont en grande partie les bénéficiaires ?

En outre, la crise de confiance est alimentée par le sentiment que deux discours se télescopent : un discours positif sur les étrangers et un discours dévalorisant sur les Français. De Jacques Chirac qui pointe la « responsabilité de la France » dans la déportation des Juifs à Emmanuel Macron qui fait de la colonisation un « crime contre l’humanité85 », en passant par la loi Taubira centrée sur la seule condamnation de la traite occidentale, les électeurs français peuvent avoir le sentiment qu’ils sont collectivement mis en cause par leurs propres dirigeants.

La popularité de l’expression « grand remplacement86 » découle probablement moins de la réalité des changements démographiques – encore que ceux-ci ne soient guère contestables – que du sentiment que les élites ont renoncé à protéger et valoriser leur population. Alors que la formule « nos ancêtres les Gaulois » est assimilée à une expression raciste, on a pu voir un conglomérat d’institutions publiques (INRAP, France Télévision, CNC, Institut du monde arabe) réaliser un documentaire intitulé Nos ancêtres, les Sarrasins, relayé par Le Monde87 sans susciter le moindre débat.

3

Surinterprétation

Notes

88.

« L’universalisme apparaît comme un outil du racisme structurel. Il a indirectement permis de perpétuer les catégories raciales et les violences inhérentes », écrit Rachida Brahim. Voir Rachida Brahim, « La législation antiraciste française, support d’un racisme structurel », dans Race et racismes, Communications, vol. 107, 2020 [en ligne].

+ -

89.

Abdellali Hajjat, « Race et droit de la nationalité en contexte postcolonial : le cas de refus de naturalisation au motif de la polygamie », Revue des droits de l’homme n°19, 2021 [en ligne].

+ -

90.

« Le “blackface” d’Antoine Griezmann indigne, il s’excuse et retire la photo », Huffington Post, 17 décembre 2017 [en ligne].

+ -

91.

Françoise Vergès, « Comme Michel Leeb, les racistes non racistes refusent de comprendre ce qu’est le racisme », Le Monde, 13 décembre 2017 [en ligne].

+ -

92.

« Placé déplore l’imitation “pas drôle” de Canteloup », Dernières Nouvelles d’Alsace, 21 septembre 2014 [en ligne].

+ -

93.

« Jean-Luc Mélenchon se moque de l’accent d’une journaliste, des élus du Sud réagissent », Ouest France, 19 octobre 2018 [en ligne].

+ -

94.

Zeev Sternhell, « Les origines intellectuelles du racisme en France », L’Histoire, n°17, novembre 1979 [en ligne].

+ -

95.

Carole Reynaud-Parigot, La République raciale (1860-1930), PUF, 17 février 2006.

+ -

96.

Yaël Brinbaum, Géraldine Farges, Élise Tenret, « Les trajectoires scolaires des élèves issus de l’immigration selon le genre et l’origine : quelles évolutions ? », CNESCO, septembre 2016 [en ligne].

+ -

97.

Yaël Brinbaum et Annick Kieffer, « Les scolarités des enfants d’immigrés de la sixième au baccalauréat : différenciation et polarisation des parcours », Population, vol. 64, n°3, 2009 [en ligne].

+ -

98.

Luc Behaghel, Bruno Crépon et Thomas Le Barbanchon, « Évaluation de l’impact du CV anonyme », École d’économie de Paris – Inra, Crest et J-PAL Europe, 31 mars 2011 [en ligne]. Voir aussi Alain Lacroux et Christelle Martin-Lacroux, « Quelle efficacité pour le CV anonyme ? Les leçons d’une étude expérimentale », Revue de gestion des ressources humaines, 2017, n°104.

+ -

99.

Fabien Jobardet al., « Mesurer les discriminations selon l’apparence : une analyse des contrôles d’identité à Paris », Population, vol. 67, n°3, 2012 [en ligne].

+ -

À la manière du paradigme de Thomas Kuhn, le mythe opère comme un filtre : il retient les éléments de confirmation et écarte les éléments discordants.

Le mythe du racisme structurel pousse à la surinterprétation. La laïcité est vue comme raciste parce qu’elle est jugée hostile aux manifestations publiques des identités religieuses, dont les minorités sont présumées avoir un besoin vital. La notion de « discrimination indirecte », empruntée à la jurisprudence canadienne pour signifier qu’une règle uniforme est discriminatoire envers les minorités, instaure une logique redoutable puisqu’elle amène à qualifier de raciste toute règle conçue par la population majoritaire, et même toute tradition culturelle (comme les jours fériés ou les préférences alimentaires).

Le racisme est censé se loger dans toute restriction apportée à l’immigration, ou dans les traitements différenciés entre les nationaux et les étrangers, comme si la nationalité était un critère racial. La critique de l’islam a ainsi généré l’accusation de « racisme anti-musulman ». Les lois anti-racistes ont elles-mêmes été accusées de racisme88, de même que les refus de naturalisations en cas de polygamie89.

Beaucoup de phénomènes sont interprétés sans preuve à l’aune du racisme. Le blackface du footballeur Antoine Griezmann était-il un acte raciste ou un hommage aux célèbres Harlem Globetrotters90 ? L’imitation de l’accent africain dans le sketch « L’Africain » de Michel Leeb, désormais dénoncée comme raciste91 (ce qui n’est pas le cas lorsque cet accent est repris par des artistes noirs comme dans le cas des Inconnus) est-elle fondamentalement différente des moqueries sur l’accent belge, suisse ou corse ? Récemment encore, l’humoriste Nicolas Canteloup a imité l’accent asiatique pour se moquer de Jean-Vincent Placé92 et l’on a même vu Jean-Luc Mélenchon prendre l’accent méridional pour se moquer d’une journaliste93.

La relecture des auteurs du passé peut donner le sentiment que le racisme a été omniprésent dans l’histoire de France. Mais cette relecture est souvent décontextualisée et tend à exagérer le poids du discours. Sensibles à l’érudition, les universitaires sont portés à déterrer des auteurs oubliés auxquels ils attribuent une grande influence, sans tenir compte des politiques concrètes. À l’appui de sa thèse sur les « origines françaises du racisme », Zeev Sternhell affirme ainsi avoir découvert « un très vaste mouvement de pensée qui, s’il n’a pas produit en France d’organisation politique structurée, n’en a pas moins profondément imprégné l’atmosphère intellectuelle94 ». Mais un « vaste mouvement de pensée » peut-il être dépourvu du moindre débouché politique ? De même, si la IIIe République a réellement été imprégnée par un « paradigme racial », comme le soutient une historienne95, pourquoi la législation n’en a-t-elle pas porté la trace ?

L’analyse sociologique n’est guère plus satisfaisante. Bien souvent, les démonstrations restent sommaires. La volonté de valider la thèse du racisme structurel conduit à interpréter tout écart statistique comme une preuve, ou à mettre sur le compte du racisme des phénomènes tels que les discriminations ou les contrôles de police.

Or, tous ces éléments relèvent davantage d’un biais de confirmation que d’une authentique démonstration. On rejoint ici le concept de paradigme au sens de Thomas Kuhn : le mythe devient une croyance hermétique qui écarte les faits discordants et surinterprète les faits supposés probants.

Les écarts statistiques en fonction des origines (par exemple pour la réussite scolaire, l’accès à l’emploi, les problèmes sociaux ou sanitaires, la mortalité précoce, etc.) ne sont pas en eux-mêmes la preuve de mécanismes malveillants de domination ou d’exclusion. Quant aux appels à témoignages en matière de discriminations, ils constituent des preuves fragiles : chacun peut être amené à interpréter un échec scolaire ou professionnel à l’aune d’une discrimination, surtout lorsque l’on peut se prévaloir d’un préjudice devant les tribunaux, mais le ressenti n’est pas forcément un bon indicateur. Il ne s’agit pas de nier l’existence des discriminations, mais encore convient-il de rappeler que celles-ci découlent aussi de l’état de la réglementation, y compris lorsque celle-ci se veut bienveillante et protectrice : dans un pays qui entend protéger les salariés et les locataires, il est logique que les employeurs comme les bailleurs soient particulièrement précautionneux au moment de sélectionner, et ce au détriment des groupes sur lesquels pèsent des suspicions ou des incertitudes (ce qui inclut par exemple les jeunes ou les personnes en surpoids).

Du reste, les analyses incitent à relativiser l’importance des discriminations96. Elles ont même tendance à déboucher sur des conclusions opposées. Il a ainsi été montré qu’à origine sociale égale, les enfants issus de l’immigration bénéficient d’une plus grande indulgence lors du passage en classe de seconde97. Les études expérimentales vont dans le même sens : elles valident les conclusions de LaPiere en montrant que les discriminations déclarées ne reflètent pas les pratiques réelles : si le CV anonyme a été abandonné, c’est parce que les expérimentations ont établi que les discriminations sont moins fortes lorsque les employeurs connaissent l’origine des personnes98. Le CV anonyme serait une bonne réponse si la société était structurellement raciste ; mais si ce n’est pas le cas, celui-ci devient un obstacle car il interdit de faire jouer la bienveillance dont font preuve les recruteurs à l’égard des minorités.

Quant aux contrôles dits « au faciès », censés fournir la preuve du racisme structurel dans la police, ils ne sont guère probants en l’absence d’informations sur les taux de délinquance et d’incivilité selon les origines. Les policiers disposent d’un savoir d’usage qui les conduit à privilégier les facteurs de risque. Une étude réalisée à Paris en 2009, la plus consistante à ce jour, a montré que les contrôles varient en fonction de nombreux paramètres : le lieu, le sexe, l’âge ou les tenues vestimentaires99. Et encore : cette étude ne prend pas en compte d’autres paramètres comme les attitudes inquiétantes, la présence d’une bande ou d’un attroupement, les zones criminogènes, etc.

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Réductionnisme

Notes

100.

Jean Louis Armand de Quatrefages de Bréau, La race prussienne, Librairie Hachette & Cie, 1871.

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101.

Stéphane Strowski, Les Bretons : essai de psychologie et de caractériologie provinciales, Rennes, 1952.

+ -

102.

Henri Tajfelet al., “Social categorization and intergroup behaviour”, European Journal of Social Psychology, vol. 1, issue2, 1971 [en ligne].

+ -

103.

« “Pendez les Blancs” : le rappeur Nick Conrad relaxé en appel pour vice de procédure », Le Parisien, 23 septembre 2021 [en ligne].

+ -

104.

Norbert Elias et John Scotson, Logiques de l’exclusion, Fayard, 17 septembre 1997.

+ -

105.

Pierre Bourdieu et al., « Classe contre classe : de l’existence d’un racisme social. », Différence, n°24-25, juillet 1983, cité dans Interventions 1961-2001, Agone, 2002.

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Le mythe est semblable à un projecteur : il éclaire tout autant qu’il obscurcit. Si le racisme structurel a l’avantage de fournir une explication rassurante, il a pour inconvénient d’interrompre la réflexion. Son message se réduit à une injonction morale : il faut lutter contre le racisme et les préjugés car il est possible d’éradiquer tous ces phénomènes. Cette injonction est humainement compréhensible mais la réflexion ne peut s’en tenir à cette posture morale.

Le mythe du racisme structurel est un réductionnisme : il cantonne le racisme à l’attitude de la majorité blanche vis-à-vis des minorités de couleur. Or, le racisme n’est ni un phénomène récent, ni une spécificité occidentale. C’est une réalité bien plus ancienne et bien plus universelle, qui concerne la propension de chaque groupe humain à considérer qu’il existe des différences de nature entre lui et les autres, notamment ses ennemis, auxquels sont attribués tous les défauts de la terre. C’est pourquoi le terme de race était autrefois utilisé pour parler de la « race prussienne100 » ou de la « race bretonne101 ».

Cette déconnexion avec les traits physiques n’est pas surprenante car la race est avant tout une construction sociale, ce qui signifie qu’elle dépend prioritairement de paramètres sociopolitiques. Le génocide des Tutsis par les Hutus en 1994 en a fait la démonstration, tandis que les guerres interethniques en Afrique ou ailleurs, ainsi que les diverses rivalités qui peuplent la surface du globe (entre les Flamands et les Wallons, les Québécois et les Canadiens, les Tchèques et les Slovaques, les Catalans et les Castillans, etc.), confirment que les conflits identitaires ne se cantonnent pas à la couleur de la peau.

La distinction entre « nous » et « eux » est un trait universel qui peut se déployer même en l’absence de compétition pour les ressources102. Tous les groupes créent leur vocabulaire dépréciatif pour désigner ceux qui n’en font pas partie. Les Français parlaient des Boches, des Ritals ou des Rosbifs ; et eux-mêmes se font appeler Zoreils à La Réunion, Popa’a en Polynésie, Békés aux Antilles ou Gadjé par les Gitans. La haine elle-même paraît universelle, même si l’hypothèse d’un racisme antiblancs a du mal à être envisagée, y compris lorsqu’elle surgit au détour d’un clip où il est question de « pendre les Blancs103 ».

Les traits physiologiques et physiques peuvent renforcer ce phénomène, mais ils ne le créent pas. Le racisme existe sans la race, comme l’affirmait Norbert Elias en étudiant les rapports sociaux dans une petite ville anglaise où les Established entendent se démarquer des Outsiders104.

De ce point de vue, il n’est pas faux de dire que le racisme a une dimension structurelle, mais à condition de rappeler que tous les groupes humains sont concernés. À ce titre, Michel Foucault a raison : la race est probablement constitutive de toutes les sociétés humaines, qu’il s’agisse de différencier les groupes entre eux ou de distinguer une élite disposant de qualités jugées supérieures. « Il n’y a pas un racisme, mais des racismes », disait Pierre Bourdieu, pointant pour sa part le « racisme de l’intelligence » en tant que « racisme de classe105 ».

En revanche, ce qui n’a pas été vu par Michel Foucault, c’est que le miracle français est précisément d’avoir fait en sorte que cette attitude psychosociale élémentaire ne se transforme ni en pratique sociale, ni en norme institutionnelle, contrairement aux États-Unis où le racisme a été intégré durant plusieurs décennies dans la législation. En France, la race n’a ni régenté le droit et les institutions, ni façonné l’ethos des élites et de la population.

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Aveuglement

Notes

106.

Nonna Mayer, « Une approche psycho-politique du racisme », Revue française de sociologie, 37, 1996 [en ligne].

+ -

107.

Voir Laurent Cordonier, La nature du social. L’apport ignoré des sciences cognitives, PUF, 2018 [en ligne] ; Voir aussi Bernard Lahire, « Eux/nous : ethnocentrisme, racismes », dans Les structures fondamentales des sociétés humaines, Bernard Lahire, La Découverte, 2023.

+ -

108.

Rob Henderson, “‘Luxury beliefs’ are the latest status symbol for rich Americans”, New York Post, 17 août 2019 [en ligne].

+ -

109.

Stéphanie Hennette-Vauchez, « PMA : qui choisit le donneur ? », Libération, 18 juin 2019 [en ligne].

+ -

110.

Olivier Galland, « La sociologie du déni. L’exemple des travaux sur l’immigration », Le Débat, vol. 197, n°5, 2017 [en ligne].

+ -

111.

« Policier noir traité de “vendu” : une Youtubeuse condamnée à quatre mois de prison avec sursis », Le Figaro, 9 décembre 2021 [en ligne].

+ -

112.

Guillaume Poingt, « “Arabe de service” : Taha Bouhafs reconnu coupable d’injures raciales envers Linda Kebbab », Le Figaro, 27 septembre 2021 [en ligne].

+ -

En se donnant pour idéal un monde sans racisme et sans discriminations, le mythe du racisme structurel refuse de voir que les discriminations relèvent d’une inclination universelle qui consiste à préférer les membres de son groupe (ingroup) au détriment des membres extérieurs (outgroup106).

Dans toutes collectivité humaine, il existe une préférence pour la similarité et une méfiance concomitante pour la dissimilarité107. Les discriminations font partie des logiques élémentaires de la vie sociale. Elles répondent à la volonté de sécuriser son environnement. Chacun cherche à se rassurer en privilégiant son semblable, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans la vie professionnelle.

On pourrait reprendre ici l’expression « sphère de reconnaissance » proposée par le sociologue Axel Honneth. Les groupes humains vivent dans des univers où les manières d’être et de se comporter constituent des codes de reconnaissance mutuelle (la langue, les règles de politesse, les préférences alimentaires, la conception du sacré, les références historiques, etc.). Ces codes de reconnaissance envoient des messages qui servent à rassurer dans le but de créer un contexte apaisant pour les individus.

Ces mécanismes affinitaires sont très puissants. La preuve en est fournie par le phénomène des diasporas ou bien par la segmentation que l’on observe sur les réseaux sociaux, à l’origine de bulles de connivence. Les catégories aisées de la population déploient beaucoup d’efforts pour assurer le meilleur environnement social et scolaire à leurs enfants, quitte à mettre de côté leurs « croyances luxueuses » sur les avantages de la diversité108. Même les étudiants, pourtant très soucieux de tolérance et d’ouverture, ont tendance à se regrouper par nationalité lorsqu’ils participent à des échanges internationaux. On sait aussi que, pour la procréation médicalement assistée, un appariement racial est généralement demandé, sinon privilégié par les médecins, alors que la loi française ne l’impose pas, contrairement à la Grande-Bretagne109.

Les tenants du racisme structurel restent aveugles à cette réalité. Ils n’identifient que les seules pratiques discriminatoires qui émanent de la majorité envers les minorités ; les autres discriminations, qui concernent les minorités entre elles ou les minorités à l’égard de la majorité, sont rarement évoquées ou étudiées, et encore moins dénoncées110.

Les discriminations elles-mêmes font l’objet d’une analyse sommaire. Elles sont expliquées par les préjugés à l’encontre des minorités en oubliant que les préjugés se construisent dans les interactions et qu’ils ne sont pas toujours irrationnels.

La nature et l’ampleur des discriminations peuvent évidemment varier, mais plus les sociétés se diversifient, plus les discriminations s’accroissent. C’est parce que la société française s’est diversifiée ethniquement et religieusement que les discriminations ont été mises à l’agenda politique, alors que ce sujet était largement inconnu auparavant.

L’absence de réflexion sur les implications de la diversification des sociétés est un des angles morts du mythe du racisme systémique. En effet, les défis que cette diversification pose sont immenses. Une société diversifiée peut-elle parvenir à créer un espace civique commun ? Peut-elle se doter d’une représentation politique consensuelle, non génératrice de frustrations pour une partie de la population ? Est-il possible de vivre sous une loi commune ? Est-il même possible d’avoir une mémoire nationale unifiée, avec ses légendes et ses héros, donc des programmes scolaires homogènes valables pour toutes les composantes de la société ?

Ces questions ne sont pas théoriques : l’hostilité envers la police dans certains quartiers découle pour partie d’un déficit de légitimité dû aux différences ethniques. Rappelons qu’une youtubeuse a été condamnée pour avoir qualifié de « traître » un policier noir au cours d’une manifestation111, tout comme le journaliste militant Taha Bouhafs a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris pour avoir traité « d’Arabe de service » la syndicaliste policière Linda Kebbab112.

La thèse du racisme structurel écarte ces questions et se focalise sur l’idée que le racisme et les pratiques discriminatoires sont des aberrations qui peuvent être surmontées et éradiquées. Bien que cette croyance soit contradictoire avec la thèse du racisme structurel, elle permet de préserver intact l’idéal diversitaire. Elle a pour contrepartie d’oublier que, dans l’histoire européenne, les sociétés multiethniques ou multireligieuses n’ont pas été de grandes réussites. Pour un continent qui a connu les terribles guerres de religion, deux guerres mondiales grandement liées au problème des minorités nationales, ainsi que l’expérience douloureuse de la décolonisation, un tel oubli relève d’une prouesse mémorielle.

Notes

113.

Voir Étienne Leray, « Coupe du monde 2022 : Kylian Mbappé pris pour cible par Emiliano Martinez et des supporters argentins lors des célébrations à Buenos Aires », France Info, 21 décembre 2022 [en ligne] ; Voir « Sébastien Ferreira, « Insultes, cercueil et photo brûlée : pourquoi les Argentins s’acharnent-ils sur Mbappé ? », Le Figaro, 21 décembre 2022 [en ligne].

+ -

114.

Ewa Grotowska-Delin, « Les invisibles : l’Argentine noire », Amerika, n°22, 2021 [en ligne] ; Agustina Barrachina, « Les racines africaines d’un pays qui s’imaginait blanc », EHESS, 12 octobre 2020 [en ligne].

+ -

115.

Un phénomène comparable se retrouve dans d’autres pays, par exemple au Maghreb où l’identité ethnoreligieuse se double d’un racisme anti-Noirs hérité de la traite orientale. Voir Célia Sadai, « Racisme anti-Noirs au Maghreb : dévoilement(s) d’un tabou », Hérodote, vol. 180, n°1, 2021 [en ligne].

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116.

Sur le racisme en Inde, peu connu, voir Sofia Pequignot, « L’Inde noire : quelle condition pour les Siddi, Indiens descendants d’Africains ? », EHESS, 2 février 2021. [en ligne]

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117.

Gérald Bronnert et Étienne Géhin, Le danger sociologique, PUF, 4 octobre 2017 ; Nathalie Heinich, Ce que le militantisme fait à la recherche, Gallimard, 27 mai 2021.

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118.

Lilian Thuram, La pensée blanche, Philippe Rey, 1er octobre 2020.

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119.

Pierre-André Taguieff, L’Imposture décoloniale. Science imaginaire et pseudo-antiracisme, Éditions de l’Observatoire/Humensis, n°86, 2020 [en ligne].

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120.

Alain Policar, « “Islamo-gauchisme” à l’université : “Le concept de ‘privilège blanc’ n’est pas sans pertinence” », Le Monde, 21 mars 2021 [en ligne]. Voir aussi Gaël Giraud, « Il y a urgence à quitter le monde du mâle blanc, urbain et privilégié », Mediapart, 20 octobre 2022 [en ligne].

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Lors de la finale de la Coupe du monde au Qatar en décembre 2022, qui opposait la France à l’Argentine, les spectateurs français ont découvert avec stupéfaction les réactions racistes de la part des Argentins à l’encontre de Kylian Mbappé113. Certes, le joueur français avait bien agacé ses adversaires en ironisant sur la qualité du foot sud-américain, mais la fureur des Argentins indiquait que quelque chose de plus profond se jouait. De fait, la question noire en Argentine interpelle puisque, dans ce pays, les Noirs ont littéralement disparu de la vie publique alors qu’ils ont représenté jusqu’à 30% de la population114. L’Argentine se vit désormais comme une population exclusivement blanche115.

Assurément, la France n’est pas l’Argentine ; elle n’est pas non plus l’Afrique du Sud, les États-Unis ou l’Inde116. Parler de racisme structurel ou systémique à son propos résonne étrangement et l’on s’étonne de la facilité avec laquelle les sciences sociales reprennent ces termes, signe supplémentaire que le militantisme idéologique a fait une percée inquiétante dans le monde académique117.

Le problème est que le mythe du racisme structurel n’est pas sans effet sur les enjeux actuels. Non seulement il frappe d’illégitimité toute politique d’assimilation (à quoi bon chercher à assimiler les nouveaux venus si la France est intrinsèquement raciste ?) mais de plus il encourage une forme de racisme à l’envers puisqu’il attribue aux Blancs une faute indélébile, ancrée dans leur histoire et leur culture118.

En partant du principe que la norme raciste prévaut partout, le mythe établit un récit qui fait oublier que la norme antiraciste est au contraire tellement constitutive de la société française qu’elle interdit d’aborder et de résoudre les problèmes liés à l’immigration. En entretenant notamment une vive défiance à l’égard de la population, le mythe du racisme structurel empêche les élites d’accorder la moindre considération pour le bon sens populaire.

On pourrait ajouter cyniquement que le mythe vient aussi masquer le fait que la mondialisation et la métropolisation ont fait des immigrés une composante indispensable pour assurer le bien-être des élites urbaines, depuis le chauffeur Uber jusqu’au livreur de pizza en passant par le trafiquant de cannabis, situation que l’on pourrait comparer à un système de type néocolonialiste – pour ne pas dire un néocolonialisme systémique ou structurel.

Plus grave : le discours accusateur et culpabilisateur débouche sur une mise en cause de l’universalisme républicain, accusé de maintenir une oppression raciale sous couvert d’un idéal jugé hypocrite et mystificateur119.

Le simple fait de tenir pour pertinente la notion de « privilège blanc120 », dans un pays où la notion de privilège est historiquement chargée de sens, peut avoir de redoutables conséquences. Comment abolir un privilège si celui-ci n’est pas inscrit dans le droit ? Quelle peut être l’issue d’une telle cause, à part la colère et le ressentiment ? Existe-t-il une autre solution que la destruction de la société qui est supposée produire de telles monstruosités ?

Certes, toute société a besoin de mythes. Mais tous les mythes ne sont pas comparables : certains sont bénéfiques et porteurs de progrès ; d’autres sont sclérosants ou régressifs et doivent être combattus.

Le mythe du racisme structurel, parce qu’il contribue à la paralysie intellectuelle de notre temps, entre dans cette dernière catégorie. Il restera dans l’Histoire comme l’un des rares mythes par lesquels une société procède consciencieusement à son propre dénigrement, ce qui n’en rend que plus urgente sa dénonciation, du moins si l’on veut assurer la survie du miracle français.

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