Le vote des classes moyennes
Un groupe doté d’une forte identité sociale
Des définitions successives et concurrentes
Les classes moyennes dans l’électorat d’aujourd’hui
L’identité politique des classes moyennes
La « politisation négative »
Oui au libéralisme culturel, non au libéralisme économique
La volatilité du positionnement politique
Le vote des classes moyennes
L’ancrage à gauche
Le PS n’est plus le « parti des classes moyennes » des années Mitterrand
Vers le rendez-vous électoral de 2012
Les relations compliquées des classes moyennes avec le PS
Les effets politiques de la crise ?
Perte de confiance dans la politique et l’économie
Conclusion
Le vote des classes moyennes
En tant que groupe social doté d’une identité politique, les classes moyennes constituent une catégorie courtisée, investie d’une fonction de préservation de l’unité du corps social menacée par le conflit entre des groupes antagonistes, définis selon les moments historiques comme la « bourgeoisie capitaliste » et la « classe ouvrière », les « gros » et les « petits » ou encore les « riches » et les « pauvres ». Sous la Ve République, les classes moyennes se sont alternativement tournées vers la gauche et vers la droite, participant activement aux changements politiques lors des élections à enjeu national. Depuis les années 1970, la composition des classes moyennes a évolué avec les mouvements de fond qui ont travaillé la société française. À présent, elles se caractérisent surtout par la présence dominante de salariés du secteur privé et de personnes ayant un niveau de diplôme le plus souvent supérieur ou égal au bac, encore parmi les plus jeunes. Mais, au-delà de ces différences internes de conditions sociales qui fondent la thèse toujours actuelle de l’hétérogénéité des classes moyennes, le sentiment des deux tiers des individus d’appartenir à la « classe moyenne » constitue un ferment d’homogénéisation du groupe dans ses rapports avec la politique. Les classes moyennes font, en effet, partie des catégories sociales les plus politisées, mais leur intérêt pour la politique est de plus en plus lié à leur acharnement particulier à la dénoncer. Au plan des valeurs, elles sont, aux côtés des catégories supérieures, attachées au « libéralisme culturel », ce qui les rend distantes vis-à-vis des attitudes anti-immigrés et antiautoritaires. Mais leurs réserves à l’égard du libéralisme économique les différencient des catégories précédentes et les rapprochent des catégories populaires.
Dans les urnes, l’ancrage à gauche est une constante du vote des classes moyennes. Toutefois, depuis la fin des années Mitterrand, l’ampleur de l’écart gauche-droite en faveur de la gauche et, surtout, la relation privilégiée des classes moyennes avec le PS ont connu des hauts et des bas aux élections à enjeu national. Elles n’ont jamais été sérieusement tentées par le vote en faveur de partis défendant des positions extrêmes, que ce soit à gauche ou à droite. Cependant, lorsque l’offre électorale l’a permis, des segments non négligeables des classes moyennes ont été attirés par des candidats présentant un positionnement au centre ou encore « ni à gauche ni à droite ». Ces observations convergent pour annoncer une situation politiquement ouverte pour les élections de 2012.
Élisabeth Dupoirier,
Directrice de recherche, chercheuse associée au CEVIPOF.
Selon la définition retenue pour cette étude de « professions intermédiaires » qui sera présentée et argumentée dans le point 1 de l’étude.
Il existe toujours un débat sur la définition des classes moyennes parmi les sociologues. Il n’est cependant pas l’objet de cette analyse, mais rend nécessaire de poser clairement la définition choisie qui pèse bien évidemment sur les résultats et conclusions de cette étude.
Cette étude a été menée très largement à partir des enquêtes post éléctorales du CEVIPOF et de ses baromètres politiques qui permettent le suivi d’environ trente-cinq ans de vie politique en France. On trouvera en annexe la description exhaustive des caractéristiques de toutes les enquêtes utilisées.
Les classes moyennes constituent une catégorie sociale courtisée, investie d’une fonction de préservation de l’unité de la société, menacée par le conflit entre des groupes antagonistes, définis, selon les moments historiques, comme les « riches » et les « pauvres », la « bourgeoisie capitaliste » et la « classe ouvrière » ou encore, plus près de nous, les « gros » et les « petits ». Pour s’en tenir à l’histoire récente de la Ve République, on rappellera que, érigées en objet politique décisif pour la conquête du pouvoir, les classes moyennes ont été l’objet d’attentions particulières, aussi bien de la part de la gauche que de la droite (Dupoirier, 2007). Dans les années 1970, Valéry Giscard d’Estaing, qui les désigne sous le nom de « groupe central », tente, sans succès, de les convaincre que leur avenir est lié au centrisme politique que lui-même entend incarner, à égale distance du conservatisme « passéiste » de la droite et des tentations « collectivistes » de la gauche. C’est pourtant vers cette dernière que les « nouvelles couches moyennes » se tournent en majorité, et tout spécialement vers le PS, qui y gagnera en 1981 son image de « parti des classes moyennes ». Depuis, la composition de ces « classes moyennes » a évolué avec les mouvements de fond qui ont travaillé la société française dans son ensemble. Et les inclinations politiques dominantes de ses électeurs ont fluctué. Par leur poids croissant au sein de l’électorat1 – environ 15 %. à la fin des années 1970, un peu plus de 17 % au moment de l’élection présidentielle de 20072 –, elles ont contribué activement aux décisions d’alternance politique et de cohabitation de ces trente dernières années. Après avoir précisé la définition de la catégorie retenue pour cette étude et présenté les principaux traits qui fondent son identité politique, on examinera les tendances lourdes de son vote telles qu’elles se sont manifestées lors des élections nationales depuis la fin des années 1970. Puis, dans la perspective des rendez-vous électoraux de 2012, on esquissera les dispositions actuelles des classes moyennes à l’égard du système politique et de ses acteurs à mi-parcours du quinquennat de Nicolas Sarkozy3.
Un groupe doté d’une forte identité sociale
La définition des classes moyennes dépend de la double représentation que la société se fait d’elle-même en termes de hiérarchie des catégories sociales qui la composent et d’identité de ces catégories.
Des définitions successives et concurrentes
Le texte exact de la question est : « Comment vous en sortez vous avec les revenus de votre foyer… « très difficilement », « difficilement », « facilement » ou « très facilement » ? ».
Cette dénomination est celle du groupe 4 de la nomenclature Insee des catégories socioprofessionnelles. Les petits commerçants et artisans qui faisaient partie des classes moyennes indépendantes sont regroupés dans la nomenclature de 1982 en catégorie 2, dénommée « Artisans, commerçants et chefs d’entreprise » qui regroupe les anciens « Patrons de l’industrie et du commerce » (Desrosières-Thévenot, 2002).
Il s’agit d’un niveau de revenu par « unité de consommation » prenant en compte le nombre d’adultes et celui d’enfants, en fonction de leur âge, qui vivent dans le foyer.
L’Insee propose une distribution de la population en quatre catégories socioéconomiques selon le revenu par unité de consommation des ménages : la classe moyenne inférieure rassemble ceux disposant de revenus mensuels compris environ entre 880 et 1.200 euros, et la classe moyenne supérieure comprend les foyers dont les revenus sont compris entre environ 1.300 et 1.500 euros, toujours selon le nombre de personnes qui en vivent.
De l’après-guerre à la fin des années 1970, l’analyse marxiste de la société qui dominait alors définissait les classes moyennes par défaut, comme une catégorie « fourre-tout », sans prétention à une identité sociale ou politique et, de surcroît, condamnée à disparaître. La fonction des classes moyennes était surtout de rendre « plus pure » la définition des catégories polarisées de la classe ouvrière et de la bourgeoisie possédante, et plus visibles les manifestations de leurs antagonismes (Poulantzas, 1974). Il en a longtemps résulté une définition pratique des classes moyennes regroupant des groupes de professions disparates du point de vue de leurs conditions sociales et de leur mode de vie, agrégées dans un ensemble borné sur sa frange inférieure par les employés et sur sa frange supérieure par les « cadres moyens ». S’inscrivant dans cette perspective, à la fin des années 1970, Pierre Bourdieu voyait ces classes moyennes comme des « petits bourgeois » privés de capital économique, habités par une perception individualiste et méritocratique de la société, ouverts au changement politique à condition que leur position, qualifiée de « moyenne », au sein de l’ordre social établi ne soit pas menacée (Bourdieu, 1979). À la fin des années 1970, un colloque organisé par la Fondation nationale des sciences politiques remettait en cause les conclusions de l’approche marxiste (Lavau, 1983). En effet, loin de décliner, les classes moyennes occupaient une place croissante dans la société postindustrielle. De plus, elles se renouvelaient profondément de l’intérieur, ce qui se traduisait par un repositionnement de leurs orientations politiques dominantes. Les « anciennes » catégories indépendantes et en déclin – artisans boutiquiers et petits commerçants –, en majorité souvent fidèles aux forces de la droite, s’opposaient désormais aux « nouvelles classes moyennes salariées » en développement – cadres moyens, techniciens, enseignants, professions de santé et employés –, qui formaient depuis le début des années 1970 la base sociale du jeune PS de François Mitterrand. L’Union de la gauche, réalisée en 1972 autour d’un programme commun, ouvrait en effet une voie nouvelle et attractive pour ces classes moyennes. Elle conciliait une idéologie politique du changement – le réformisme à l’égard du capitalisme conduit par un État interventionniste dans le champ de l’économie – avec une vision nouvelle du système de valeurs fondant le pacte social, ayant pour ciment l’individualisme et le « libéralisme culturel », garantissant l’épanouissement de la personne et valorisant la méritocratie (Grunberg-Schweisguth, 1990). Toutefois, ces « nouvelles classes moyennes salariées », portées par le passage d’une économie à dominante industrielle à une économie à dominante de services et fidèles soutiens des gouvernements socialistes des années 1980, ne sont plus exactement celles d’aujourd’hui. Les classes moyennes actuelles, dans la définition choisie pour cette étude4 , sont celles définies par la nouvelle nomenclature des professions et groupes professionnels de l’Insee établie en 1982 (Dérosières et Thévenot, 2002). Cette définition a largement clarifié la différenciation des classes moyennes des autres grands ensembles sociaux. Sous la dénomination de « professions intermédiaires5 », les classes moyennes – massivement composées de salariés – comprennent désormais les cadres moyens d’entreprise et de la fonction publique, les techniciens, ainsi que les contremaîtres et agents de maîtrise. Par rapport à la définition en usage dans les années 1970 – qui a encore ses défenseurs et analystes aujourd’hui (Chiche-Groux, 2011) –, les classes moyennes comprennent désormais les contremaîtres et agents de maîtrise – qui appartenaient précédemment au groupe ouvrier. En revanche, elles sont amputées des employés, qui ont rejoint les ouvriers pour former à présent les « catégories populaires ». Cependant, avec l’installation de la crise économique, une nouvelle approche des classes moyennes est souvent mise en avant, fondée non plus sur un critère d’appartenance socioprofessionnelle de l’individu, mais sur un critère socioéconomique appliqué à son foyer d’appartenance. Il s’agit du revenu du ménage, dont le montant est évalué en fonction du nombre de personnes qui en vivent6. Cette approche propose une vision non plus ternaire mais quaternaire de la société, éclatée entre une classe « aisée », une « classe moyenne supérieure », une « classe moyenne inférieure » et une classe « modeste7 ». Cette classification est utilisée de plus en plus souvent dans les enquêtes d’opinion pour tenir compte des différences de niveau de vie des individus. Pour cette étude, dont l’objectif est de contribuer à la connaissance du vote des classes moyennes, on a préféré retenir l’approche plus classique, à partir de l’univers professionnel. En effet, le vote – ses motivations, sa décision et son orientation –, loin d’être exclusivement déterminé par les conditions de vie matérielles des électeurs, relève aussi de leur socialisation politique et de leurs modes d’intégration dans la société. L’appartenance professionnelle en rend mieux compte que le niveau de revenus. Toutefois, dans la période actuelle de crise économique et de précarité sociale, il sera tenu compte du revenu du foyer en même temps que d’autres marqueurs sociaux : le niveau de diplôme, le statut professionnel et le secteur d’activité professionnelle. Ces critères permettent d’identifier différentes composantes des classes moyennes. L’hypothèse est que l’appartenance à l’une de ces composantes plutôt qu’à une autre peut produire au sein de la catégorie des différences significatives d’attitudes et de comportements politiques, justifiant l’adoption de la dénomination plurielle « des » classes moyennes.
Les classes moyennes dans l’électorat d’aujourd’hui
Le tableau 1 confirme la position « intermédiaire » qu’occupent dans l’électorat de 2007 les classes moyennes telles que définies par la catégorie Insee des professions intermédiaires8. Elles comptent 50% de bacheliers et diplômés de l’enseignement supérieur, alors que ces derniers sont 60% parmi les électeurs des catégories supérieures et seulement 16% parmi ceux des catégories populaires. D’un point de vue matériel, quatre électeurs sur dix des classes moyennes disent vivre « très difficilement » ou « difficilement » avec le revenu de leur foyer9, au lieu de trois sur dix parmi les catégories supérieures et plus de six sur dix des catégories populaires.
Source :
CEVIPOF, 2007
Au sein de ces classes moyennes, les quatre marqueurs sociaux présentés précédemment (voir p. 10) fournissent les éléments pertinents de différenciation de leurs principales composantes (tableau 2).
1. Du point de vue du statut professionnel, les classes moyennes du secteur privé, en constante expansion depuis le début des années 1980, l’emportent aujourd’hui en nombre sur celles du public. Au moment de l’élection présidentielle de 2007, ces classes moyennes du secteur public se différencient nettement de celles du privé par une féminisation dominante des emplois – 53% de femmes au lieu de 38% dans le privé – et des difficultés de revenu ressenties moins fréquemment que dans le secteur privé : 39% au lieu de 43%.
Tableau 2 : Les classes moyennes dans l’électorat en 2007
Source :
CEVIPOF, 2007
La dénomination de « cadre moyen » est celle de l’Insee, qui désigne ainsi les professions généralistes correspondant aux agents de catégorie B des fonctions publiques de l’État et des collectivités territoriales.
Selon les sociologues Guy Michelat et Michel Simon, la classe sociale subjective est fondée sur « une expérience vécue des réalités économiques et sociales et de la concurrence des idéologies » (Michelat-Simon, 1971).
2. Du point de vue du secteur où s’exerce l’activité professionnelle, quatre pôles sont distingués. Celui de l’éducation de la santé et du travail social rassemble les professeurs des écoles et instituteurs, les professions paramédicales et les travailleurs sociaux qui forment les gros bataillons du public. Le niveau de féminisation de ces professions est le plus élevé des quatre pôles (65%) et la proportion de jeunes actifs de moins de 40 ans est majoritaire (51%), ce qui témoigne de sa vitalité. Le deuxième pôle est formé des cadres moyens généralistes des fonctions publiques11. Parmi eux, le taux de féminisation est encore majoritaire (53%), mais les difficultés de revenus sont plus souvent évoquées que par les professions du pôle précédent : 40% au lieu de 35%. Le troisième pôle, constitué des cadres moyens du secteur privé, est équilibré en termes d’hommes et de femmes. De tous les pôles d’activité professionnelle, c’est celui où les difficultés financières du foyer sont le plus souvent évoquées (46%). Enfin, le dernier pôle est formé des techniciens et des agents de maîtrise qui travaillent pour l’essentiel dans le secteur privé. Il se distingue surtout par le très faible taux de féminisation de ces professions : 16 %. Le critère de revenu du ménage – selon le nombre de personnes qui en vivent – introduit comme attendu le clivage le plus net en termes de difficultés financières ressenties : peu répandues parmi les revenus égaux ou supérieurs au revenu médian de la catégorie (23%), elles sont majoritaires (53%) parmi les revenus modestes, inférieurs à cette norme catégorielle. Pour finir, le diplôme entraîne un clivage entre bacheliers et diplômés de l’enseignement supérieur, parmi lesquels dominent les femmes (52%) et les jeunes de moins de 40 ans (64%), d’une part, et les personnes sans diplôme ou faiblement diplômées, d’autre part. Cette dernière composante s’oppose à la précédente par son faible taux de féminisation (39%), la très faible présence des moins de 40 ans (16%) et, surtout, la large diffusion de difficultés de revenus parmi ses membres (48 %). Mais au-delà de ces différences internes de conditions sociales qui illustrent la thèse de l’hétérogénéité toujours actuelle des classes moyennes (Bouffartigue, 2011), le sentiment massif de tous les individus d’appartenir à une classe sociale constitue un ferment d’homogénéisation de la catégorie dans ses rapports avec le politique. L’enquête postprésidentielle 2007 du CEVIPOF montre que, de toutes les catégories sociales, les classes moyennes sont en effet celles où ce sentiment est le plus répandu : 64% au lieu de 56% pour les catégories supérieures et 55% pour les catégories populaires. Et la fréquence de cette opinion varie peu selon les professions : de 59% parmi les cadres administratifs du public – les moins concernés – à 67% parmi les professions de l’éducation et de la santé – les plus concernées. En septembre 2010, l’enquête Ifop réalisée pour la Fondapol confirme que la propension des professions intermédiaires à se reconnaître en tant que « classes moyennes » est la plus élevée de toutes les catégories sociales : 62 %. Cette propension est supérieure de 10 points à celle déjà majoritaire des Français à déclarer un sentiment d’appartenance à cette « classe subjective12 » (tableau 3)
Tableau 3 : Le sentiment d’appartenance à une classe sociale subjective
Source :
Source : enquête Ifop/Fondapol, septembre 2010.
L’identité politique des classes moyennes
La « politisation négative »
Les classes moyennes font partie des catégories sociales les plus politisées, mais leur intérêt pour la politique est lié à leur acharnement particulier à la dénoncer. Cette tendance, qui n’est pas nouvelle, s’est encore accrue depuis la dernière élection présidentielle et n’a pas été démentie depuis (tableau 4). En 2007, l’enquête post-présidentielle du CEVIPOF établit que sept électeurs des classes moyennes sur dix s’intéressent à la politique, et ce niveau d’intérêt est supérieur de 8 points à la moyenne de l’électorat. Le niveau d’information par le média TV est lui-même élevé (54%), et quel qu’ait été leur choix présidentiel entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, 71% de ces électeurs sont satisfaits de la manière dont la démocratie fonctionne (+ 7 points par rapport à la moyenne de l’électorat) et encore 53% sont confiants dans la capacité de l’élection présidentielle à faire « s’améliorer les choses » en France. Cependant, les signes d’une tendance à la « politisation négative » (Missika, 1992) sont déjà en place, souvent plus développés que dans l’ensemble de l’électorat. Ils s’accentuent encore dans les années suivantes, comme le montrent les résultats de la première vague du Baromètre de la confiance en politique du CEVIPOF à la fin de l’année 2009. En effet, au lendemain de l’élection présidentielle de 2007, 30% seulement des classes moyennes faisaient confiance aux partis politiques, au lieu de 34% de l’électorat. Les hommes politiques n’étaient pas non plus épargnés : 30% seulement des classes moyennes pensaient qu’ils se préoccupaient de « ce que pensaient les gens comme eux », et de toutes les catégories sociales, les classes moyennes étaient celles qui étaient les plus nombreuses (86%) à croire à la corruption du personnel politique.
Tableau 4 : Les classes moyennes et la politique – Évolution 2007-2009
Source :
CEVIPOF, 2007 et 2009a
Or ce contraste entre intérêt pour la politique et vision critique de la manière dont elle est pratiquée s’est encore amplifié durant les deux premières années du mandat de Nicolas Sarkozy. En décembre 2009, la politisation des classes moyennes se révèle toujours élevée. L’intérêt pour la politique, en légère baisse en l’absence d’une échéance électorale très rapprochée, est cependant toujours massivement majoritaire (63%) et très supérieur à celui de l’ensemble de l’électorat (55%). La propension à s’informer a gagné 4 points pour atteindre 62%. Mais dans le même temps la satisfaction à l’égard du fonctionnement de la démocratie a reculé de 11 points (60%) et la confiance dans les partis politiques, déjà peu répandue en 2007, a encore perdu 8 points, pour ne plus concerner qu’une très faible minorité des classes moyennes (22%). Quant à la capacité du personnel politique à prendre en charge les préoccupations des gens, elle n’est plus reconnue que par un quart des électeurs des classes moyennes (– 6 points en deux ans). De plus, près de six électeurs sur dix (59%) jugent les politiques « plutôt corrompus ». Au total, 64% des classes moyennes ne font plus confiance ni à la gauche ni à la droite pour gouverner en décembre 2009 (+ 9 points par rapport à l’enquête 2007). La dégradation des jugements positifs envers les partis et le personnel politique est particulièrement sévère parmi la composante des classes moyennes aux revenus modestes. Ces progrès de la politisation négative entraînent une dévalorisation d’ensemble de la politique aux yeux des classes moyennes. Son image, positive il y a vingt ans, a basculé (tableau 5). Au lendemain de l’élection présidentielle de 1988, qui ouvrait le second septennat de François Mitterrand, les classes moyennes valorisaient la politique à partir de deux traits positifs : son intérêt (29%, 9 points au-dessus de la moyenne nationale) et l’espoir dont elle était porteuse (20%). Globalement, l’ensemble des qualités représentait 55% de l’image de la politique, tandis que les défauts n’en rassemblaient que 42%, 2% des personnes interrogées seulement ne se prononçant pas. Vingt ans plus tard, les traits négatifs attribués à la politique représentent les trois quarts de son image (76%) : l’espoir s’est effondré à 6%, le « dégoût » atteint 22% et la méfiance devient le trait d’image dominant, touchant plus de quatre électeurs sur dix des classes moyennes (43%). En somme, aujourd’hui la politique ne fait plus rêver…
Tableau 5 : La dégradation de l’image de la politique parmi les classes moyennes (1988-2010)
Source :
CEVIPOF, 1988 et 2010
On entend par là des élections dont les résultats sont sans effet direct sur la dévolution du pouvoir au niveau national.
Cependant, dans ce contexte d’affirmation croissante de la « politisation négative », l’intérêt des classes moyennes pour les élections est élevé. En 2010, dans la seconde vague du Baromètre de la confiance en politique du CEVIPOF, le vote est toujours jugé comme le moyen plus important pour se faire entendre, comparé à d’autres moyens relevant de l’action protestataire. C’est ainsi que pour « influencer les décisions prises en France », 65% désignent le vote de préférence à la manifestation (6%), à la grève sauvage (5%) ou encore au boycott de produits ou d’entreprises (13%). Toutefois, la participation électorale – d’un niveau équivalent à celle de l’ensemble des électeurs depuis la fin des années 1970 – tend à fléchir depuis 2007 plus rapidement que celle de l’ensemble du corps électoral. Lors des élections européennes de 2009, elle a chuté de manière vertigineuse (37%, 4 points en dessous de la moyenne nationale) et les élections régionales de 2010 ont confirmé cette démobilisation : 41% de participation, au lieu de 46% en moyenne nationale lors du premier tour. L’accentuation de la « politisation négative » et le fléchissement de la participation électorale dans les élections les plus récentes, il est vrai « intermédiaires14 », sont à mettre en relation avec le désabusement à l’égard de la politique que les classes moyennes partagaient déjà, en 2007, avec la majorité des Français. En effet, dès le lendemain de l’élection présidentielle, pourtant très mobilisatrice, 55 % des classes moyennes ne faisaient confiance « ni à la gauche ni à la droite pour gouverner » et 52 % sont toujours du même avis en décembre 2010.
Oui au libéralisme culturel, non au libéralisme économique
Dans le prolongement des travaux de Gérard Grunberg et Étienne Schweisguth (Grunberg-Schweisguth, 1990 ; Schweisguth, 2006).
La seconde tendance politique lourde des classes moyennes est leur adhésion aux valeurs du « libéralisme culturel ». Sous cette dénomination, on entend15 un ensemble de valeurs hédonistes (bien-être, permissivité des mœurs), humanistes (refus de la peine de mort), universalistes (ouverture aux autres) et antiautoritaires (contestation de l’autorité et des hiérarchies au travail notamment) défendues par les catégories supérieures et les classes moyennes dans les années 1970. Le soutien indéfectible de ces valeurs constitue toujours aujourd’hui un marqueur culturel fort de leur identité politique. En quarante ans, la diffusion de ces valeurs dans l’ensemble de la société s’est faite à plusieurs vitesses. La permissivité des mœurs est à présent beaucoup mieux acceptée, tandis que les valeurs qui relèvent plutôt de l’universalisme, comme les attitudes à l’égard des étrangers, plus particulièrement des immigrés, et les attitudes à l’égard de l’autorité, continuent de diviser la société (tableau 6).
Tableau 6 : Le libéralisme culturel des classes moyennes aujourd’hui (en %)
Source :
European Values Survey, 2008.
Cette note prend en compte les réponses « libérales » à au moins deux des trois questions qui définissent l’index de libéralisme culturel. Pour les index d’attitudes anti-immigrés et d’autoritarisme, le principe de calcul est identique. On trouvera en annexe la composition détaillée des questions utilisées pour la construction des index.
Cette note prend en compte les réponses « libérales » à au moins deux des trois questions qui définissent l’index de libéralisme culturel. Pour les index d’attitudes anti-immigrés et d’autoritarisme, le principe de calcul est identique. On trouvera en annexe la composition détaillée des questions utilisées pour la construction des index.
Les classes moyennes sont toujours aujourd’hui, aux côtés des catégories supérieures, les plus acquises au libéralisme culturel : respectivement 61% et et 65% de ces deux catégories ont des notes élevées de libéralisme culturel17 et sont spécialement distantes vis-à-vis des attitudes anti-immigrés et autoritaires. Elles se distinguent ainsi nettement des catégories populaires, qui adoptent les positions inverses. Au sein des classes moyennes, les attitudes des différentes composantes introduisent des nuances, mais jamais d’opposition, dans la détermination de la catégorie en faveur du libéralisme culturel et dans son rejet des attitudes anti-immigrés et autoritaires. Mais si les classes moyennes se posent avec les catégories supérieures comme les championnes du libéralisme culturel, elles s’en distinguent en revanche en ce qui concerne leur attitude – globalement négative – à l’égard du libéralisme économique (tableau 7). Sur ce point, elles se rangent, en effet, aux côtés des classes populaires pour critiquer la concurrence, manifester leur défiance vis-à-vis des incitations aux efforts individuels s’ils accroissent les inégalités de revenus et se diviser sur l’attitude que l’État doit adopter envers les entreprises : 51% sont favorables à ce qu’il leur laisse la bride sur le cou, contre 49% qui pensent que l’État doit les contrôler. Globalement, seulement 42% des classes moyennes ont une note élevée de libéralisme économique 18, au lieu de 51% des catégories supérieures et 38% des classes populaires.
Tableau 7 : Le libéralisme économique des classes moyennes aujourd’hui (en %)
En définitive, la relation spécifique des classes moyennes au libéralisme est aujourd’hui faite d’une adhésion forte au libéralisme culturel associée à un rejet majoritaire du libéralisme économique : 40% des classes moyennes se reconnaissent dans cette position contrastée, alors que dans l’ensemble de la société française elle ne compte que 29% d’adeptes (tableau 8).
Tableau 8 : Les classes moyennes et le libéralisme culturel versus économique
Source :
European Values Survey, 2008.
La volatilité du positionnement politique
Le texte de la question posée de manière identique dans les quatre enquêtes du Cevipof est : « Diriez-vous que vous êtes très à gauche, à gauche, au centre, à droite, très à droite, ni à gauche ni à droite ? ». Les deux positions extrêmes de la gauche et de la droite étant très peu choisies par les classes moyennes, l’analyse se fait en considérant le total des positionnements à gauche et le total de ceux à droite.
La troisième caractéristique de l’identité politique des classes moyennes est la volatilité de leur positionnement politique sur la période récente, volatilité largement supérieure par son ampleur à celle observée pour l’ensemble du corps électoral. Entre 2006 et 2010, leur déploiement dans l’espace politique évalué par l’autopositionnement sur l’échelle gauche droite20 montre l’absence de polarisation politique stable selon ce clivage classiquement structurant des comportements politiques (figure 1). Certes, durant ces quatre années, la proportion des classes moyennes qui s’est déclarée « à gauche » est restée à peu près constante, mais ce positionnement de gauche n’a rassemblé lors de chaque mesure qu’environ un tiers de la catégorie. Pour les deux autres tiers, de fortes oscillations de polarisation entre le centre, la droite et la position « ni de gauche ni de droite » ont été relevées d’une enquête à l’autre.
Au printemps 2006, dans la première vague du Baromètre politique français du CEVIPOF, le positionnement hors du clivage gauche-droite (« ni gauche ni droite ») s’équilibre avec le positionnement à gauche (respectivement 34% et 33%), alors que les positionnements à droite.
Figure 1 : La volatilité du positionnement politique des classes moyennes 2006-2009
Source :
CEVIPOF, 2006, 2007, 2009a.
(23%) et a fortiori au centre (12%) attirent beaucoup moins les classes moyennes, un an avant l’élection présidentielle. Toutefois, en mai 2007, au lendemain de la victoire de Nicolas Sarkozy, les classes moyennes renouent comme l’ensemble des Français avec la polarisation gauche-droite (33%-29%) et sont secondairement attirées par le centre, incarné avec succès par François Bayrou : 21%, + 9 points en un an. C’est l’attitude phare de l’année précédente, « ni gauche ni droite », qui fait les frais des nouvelles polarisations et recule de 16 points, à 18%. Les repolarisations au bénéfice de la gauche sont les plus fréquentes parmi les plus diplômés (37%), les salariés du public (41%) et les classes moyennes aux revenus modestes (37%), tandis que celles vers la droite dominent parmi les moins diplômés (34%), les salariés du privé et les classes moyennes aux revenus élevés (37%). Or, deux ans et demi plus tard et après la victoire du parti présidentiel lors des élections européennes de juin 2009, environ la moitié des classes moyennes rejette à nouveau le clivage gauche-droite au bénéfice de la position « ni gauche ni droite ». Parmi les salariés du privé, les échanges entre la droite – dominante en 2007 – et la position « ni gauche ni droite » – dominante en 2009 – sont les plus spectaculaires : recul de 17 points pour la droite, qui chute à 17 %, et progression de même ampleur pour les « ni gauche ni droite », pour atteindre 34%.
Le vote des classes moyennes
Replacé dans une perspective de long terme, le vote des classes moyennes aux élections nationales fait apparaître trois caractéristiques majeures qui le distinguent de celui des autres catégories sociales (tableau 9). La première caractéristique est l’avantage dont bénéficie la gauche par rapport à la droite à chaque élection nationale de la période 1978-2007, le plus souvent dès les premiers tours des élections présidentielles. Et, lors du tour décisif, les classes moyennes ont toujours fait majoritairement le choix du candidat de la gauche : massivement en 1988 (59% pour François Mitterrand), de justesse en 1995 (51% pour Lionel Jospin), mais de nouveau généreusement en 2007 (54% pour Ségolène Royal). La deuxième caractéristique concerne le peu d’attirance des classes moyennes, comparée à celle de l’ensemble des Français, pour les formations présentant une position extrême sur l’échiquier politique, qu’il s’agisse des mouvements d’extrême gauche ou du Front national. En ce qui concerne les formations d’extrême gauche, le vote des classes moyennes a toujours été inférieur à celui de l’ensemble des électeurs, avec cependant une tendance des salariés du secteur public à se distinguer lors des deux dernières élections présidentielles par un vote d’extrême gauche plus élevé que celui l’ensemble de la catégorie : 14% en 2002, au lieu de 10% pour l’ensemble des classes moyennes, et 7% en 2007, au lieu de 5%. Quant au vote Front national, il est lui aussi toujours nettement inférieur à la moyenne nationale. Mais il est vrai qu’au sein de la composante faiblement diplômée des classes moyennes – la plus masculine, la plus âgée et celle où les difficultés de revenus concernent un foyer sur deux21 –, le FN réalise des scores plus élevés, dont les niveaux se rapprochent de ceux des catégories populaires : 20 % en 2002 et 12 % en 200722.
Tableau 9 : Le vote des classes moyennes aux élections nationales de la période 1978-2007 (en %)
Source :
CEVIPOF, 1978-2007 ; enquêtes TNS Sofres pour 2009 et 2010.
La troisième caractéristique du vote des classes moyennes est leur attirance, quand l’offre électorale le permet, pour les candidats revendiquant un positionnement hors du clivage gauche-droite. Ce fut déjà le cas en 1988 avec la candidature de l’écologiste Antoine Waechter, qui obtint 6% des suffrages des classes moyennes au lieu de 4% dans l’ensemble de l’électorat, puis de nouveau en 2007 avec la candidature centriste de François Bayrou : 24% au lieu de 19%.
L’ancrage à gauche
Les gouvernements Cresson et surtout Bérégovoy ont connu plusieurs scandales financiers.
Ayant entraîné la seconde cohabitation : 1993-1995.
Et avec pour seul concurrent au sein de la droite Philippe de Villiers, qui rassemble environ 1% des votes des classes moyennes.
En 1995, Édouard Balladur devance Jacques Chirac avec un score de 19%, et en 2002 Jacques Chirac obtient 17%. Le score de Nicolas Sarkozy en 2007 fait ainsi mentir l’adage selon lequel la présence de deux candidats d’une même famille politique maximise le score global de la famille.
L’ancrage à gauche est une constante du vote de cette catégorie sociale depuis la fin des années 1970. La gauche domine la droite régulièrement de plus de 10 points de pourcentage lors des premiers tours de toutes les élections présidentielles. La seule exception est celle de l’élection de 1995 qui clôt les « années Mitterrand ». Les classes moyennes maintiennent alors moins généreusement leur vote envers une gauche dévalorisée par les avatars des derniers gouvernements de la gauche unie23 et démoralisée par sa cuisante défaite aux élections législatives de 199324 : l’écart gauche-droite n’est que de 5 points en faveur de la gauche. Cette domination de la gauche a été longtemps facilitée par le handicap que représentait, pour la droite, l’installation du Front national sur la scène électorale depuis 1988. Même si les classes moyennes ont été beaucoup moins attirées par ce vote protestataire que d’autres catégories sociales – notamment les catégories populaires –, Jean-Marie Le Pen a retenu suffisamment d’électeurs pour pénaliser le vote de droite et conforter celui de gauche dans sa position privilégiée. Toutefois, deux périodes doivent être distinguées. La première court de la fin des années Mitterrand au premier tour de l’élection présidentielle de 2007. Elle se caractérise par la tendance au tassement du vote de gauche des classes moyennes lors des premiers tours d’élection présidentielle (– 6 points entre 1988 et 2007), compensé lors des seconds tours par un sursaut de mobilisation et un « vote utile » majoritaire en faveur du candidat de gauche. La dernière élection présidentielle porte cette tendance à son paroxysme. Le vote de gauche des classes moyennes s’établit au premier tour à son niveau historiquement le plus bas depuis 1988 : 42%. Ce « score-plancher » est en relation avec l’attraction exercée par la candidature UMP de Nicolas Sarkozy. Avec 25% des suffrages25, il réalise parmi les classes moyennes un score inégalé par les candidats RPR ou UDF, qui n’avaient jamais franchi la barre des 20% des suffrages auprès de cette catégorie d’électeurs26 dans les années 1990. Au succès de la candidature, Nicolas Sarkozy s’ajoute l’attrait de celle de François Bayrou qui réalise parmi les classes moyennes un score de 24%, supérieur de 5 points à sa moyenne nationale. Ce premier tour de l’élection présidentielle de 2007 est aussi un révélateur de la forte hétérogénéité des votes des différentes composantes des classes moyennes (tableau 10).
Le vote de gauche connaît des variations d’environ 10 points ou plus selon le statut – public (49%) ou privé (36%) – des électeurs, selon leurs revenus – modestes (49%) ou élevés (36%) – et selon leur niveau de diplôme – égal ou supérieur au bac (46%) ou inférieur au bac (37%). De même, l’attraction exercée par chacun des principaux candidats est tout autant contrastée. Le vote Bayrou atteint 30% parmi les professions de l’éducation de la santé et du travail social, mais seulement 20% parmi les revenus modestes.
Tableau 10 : Le vote présidentiel 2007 des différentes composantes des classes moyennes (en %)
Source :
CEVIPOF, 2007
Le vote pour Nicolas Sarkozy fait une forte percée (33%) parmi les classes moyennes aux revenus élevés, qui le place très près du niveau du vote de gauche (36%) de cette composante. En revanche, parmi les professions de l’éducation de la santé et du travail social et les classes moyennes aux revenus modestes, le vote Sarkozy plafonne à 18%. Quant au vote FN, il est à son maximum parmi les classes moyennes peu diplômées (12%) et atteint encore 9% parmi les techniciens et contremaîtres, mais ne concerne que 3% des bacheliers et diplômés de l’enseignement supérieur ou 2% des professions de l’éducation et de la santé et du travail social. Cependant, une seconde période s’ouvre avec le second tour de l’élection présidentielle de 2007, caractérisée par le retour en force du vote de gauche : Ségolène Royal obtient 54% des suffrages des classes moyennes (65% parmi les professions de l’éducation et de la santé et encore 63% parmi les salariés du secteur public), au rebours de la majorité des Français qui élisent Nicolas Sarkozy27. Les élections européennes de 2009 et régionales de 2010 confirmeront ce retour du vote de gauche28 (figure 2).
Figure 2 : Le retour en force du vote de gauche des classes moyennes 2009-2010
En 2009, le vote de gauche des classes moyennes atteint 60%, une nouvelle fois en sens inverse des résultats du scrutin favorable à la droite, surtout à l’UMP. En 2010, aux élections européennes, il bat un record jamais égalé depuis les années 1970 avec un score de 71%, 17 points au-dessus de la moyenne nationale et encore 13 points au-dessus du vote des catégories supérieures. Mais, comme on va le voir, ce retour en force du vote gauche des classes moyennes profite peu au PS.
Le PS n’est plus le « parti des classes moyennes » des années Mitterrand
Depuis la fin des années 1970, les classes moyennes ont incontestablement fait partie des plus fidèles soutiens électoraux du PS et ont continué de le soutenir dans les moments difficiles de l’après-Mitterrand, à la différence des autres catégories populaires ou supérieures, plus volatiles (figure 3).
Ainsi, en 2002, lorsque l’électorat du PS se disperse sur une offre électorale de gauche pléthorique, sans doute fatale à Lionel Jospin, les classes moyennes donnent encore 20 % de leurs voix au candidat socialiste, qui n’en recueille que 16 % au niveau national. En 2007, lorsque la candidate socialiste Ségolène Royal est contestée jusqu’au sein de son propre parti, elle obtient 30 % (au lieu de 25 % en moyenne) dans cette
Figure 3 : Le vote PS des différentes catégories sociales : 1978-2010
Source :
Enquêtes postélectorales du CEVIPOF et enquêtes TNS Sofres pour 2009 et 2010. En 1981, il n’y a pas eu d’enquête CEVIPOF
La seule exception concerne les élections européennes de 1994 où la liste PS conduite par Michel Rocard a été fortement concurrencée par celle de Bernard Tapie, sur laquelle figuraient quelques personnalités socialistes.
catégorie sociale. Enfin, aux élections européennes de 2009, alors que le PS pâtit du flou de ses positions européennes face à un parti présidentiel qui, avec Nicolas Sarkozy, affiche haut et fort son engagement pour la cause de l’Europe, le score moyen des listes socialistes est de 21% (au lieu de 16% en moyenne). Sur l’ensemble de cette période, le vote PS des classes moyennes n’est pratiquement jamais descendu au-dessous de 20% dans les premiers tours de scrutins29. Toutefois, malgré ces démonstrations incontestables de fidélité d’une partie des classes moyennes, leur relation au PS n’est plus celle des années Mitterrand (figure 4). Tout d’abord parce que ces classes sont sensibles au renouvellement de l’offre électorale de la gauche, qui contribue par ailleurs aux difficultés grandissantes que le PS rencontre pour conserver la position de parti dominant de son camp (Dupoirier, 2008). De ce point de vue, l’évolution du comportement des classes moyennes ne se distingue pas de celui des autres catégories sociales.
Figure 4 : Le PS soumis à la concurrence des autres forces de gauche (Scores en %)
En 1988, l’offre de candidature à gauche comprenait quatre « petits candidats » en plus de François Mitterrand : Laguiller et Boussel (EXG), Juquin (diss. PCF) et Lajoinie (PCF). En 1995, Lionel Jospin partageait l’offre de la gauche avec trois « petits candidats » : Laguiller (EXG), Hue (PCF) et Voynet (Verts).
Il s’agit de Gluckstein, Laguiller et Besancenot (EXG), Hue (PCF), Chevènement (MDC), Taubira (Rad.) et Mamère (Verts).
Il s’agit de six candidats : Besancenot, Shivardi et Laguiller pour l’extrême-gauche, Buffet (PCF), Bové (Altermondialiste) et Voynet (Verts).
Date du premier tour de l’élection présidentielle de 2002 et de l’élimination du candidat socialiste Lionel Jospin du second tour.
L’élection de 1995 est l’occasion de la première alerte de recul du vote PS. Lionel Jospin recueille au premier tour 25% des votes des classes moyennes, un score qui se différencie à peine des 22% cumulés par les autres candidats de la gauche. On est loin de la position dominatrice de François Mitterrand qui, débarrassé en 1988 de la concurrence substantielle du PC, obtenait 35% quand ses concurrents de gauche ne totalisaient que 14%. Pourtant, le nombre de candidats de gauche concurrents du PS en 1995 est similaire à celui de 1988 et le volume des voix qu’ils rassemblent auprès des classes moyennes est resté quasiment identique : 49% en 1988, 47% en 199530. Le premier tour de l’élection présidentielle de 2002 confirme la mise en difficulté du PS : son candidat ne recueille que 20% des voix, face, il est vrai, à sept concurrents de gauche qui en totalisent 33%31. Et si la situation paraît à nouveau contrôlée en 2007, alors que la concurrence des « petits candidats » de gauche est toujours nombreuse32, c’est que le souvenir du 21 avril 200233 incite les électeurs de gauche des classes moyennes à un « vote utile » en faveur du PS dès le premier tour. Mais ce souvenir est bien fugace, puisque dès les élections européennes de 2009, puis régionales de 2010, le Parti socialiste se voit à nouveau délaissé. En bref, son image de « parti des classes moyennes » des années Mitterrand a vécu. Plus préoccupant pour le PS, le recul de sa position dominante sur la gauche constatée en 2009 puis en 2010 est dû à des logiques nouvelles. En effet, le PS ne pâtit plus de la dispersion des votes de gauche sur plusieurs petits candidats, mais de la concentration de ces votes sur les listes concurrentes de l’allié Verts. Aux élections européennes, les listes PS (21 %) sont devancées par les listes Europe Écologie (24 %). Aux élections régionales de 2010, dans un scrutin a priori favorable au PS qui préside les majorités sortantes de 21 des 22 régions métropolitaines, les listes socialistes ne font pas au premier tour un meilleur score que les listes Europe Écologie : en moyenne 28 %. Plus inquiétant encore pour les socialistes, les suffrages recueillis par le PS parmi les classes moyennes en 2010 représentent toujours une minorité des votes de gauche, alors qu’au sein de l’ensemble de l’électorat, le PS redevient le bénéficiaire majoritaire de ce vote de gauche, effaçant ainsi rapidement sa déroute des élections européennes.
Vers le rendez-vous électoral de 2012
Les relations compliquées des classes moyennes avec le PS
Baromètre CEVIPOF de la confiance en politique, vague 1.
On aurait tort de conclure trop rapidement des développements exposés ci-dessus que les relations privilégiées entre les classes moyennes et le PS appartiennent définitivement au passé. En novembre 2008, une enquête de TNS Sofres-Logica pour Le Monde révèle que 53% d’entre elles considèrent encore le PS comme le parti le mieux à même de « comprendre et répondre aux aspirations des classes moyennes », alors que 30% seulement désignent l’UMP. Ce qui n’exclut pourtant pas des jugements sévères à l’égard du Parti socialiste, vigoureusement critiqué dans la même enquête par les classes moyennes pour son dynamisme insuffisant (71%) et ses positions dans la crise financière de 2008, jugées encore moins satisfaisantes que celles de l’UMP (25% de satisfaction pour celles du PS et 37% pour celles de l’UMP). Par ailleurs, l’attirance exercée par le parti des Verts est plus inquiétante pour le PS. En décembre 200934, les classes moyennes désignent le parti écologiste aussi souvent que le PS comme parti « le plus proche ou disons le moins éloigné » (14% pour les premiers, 13% pour le second). On peut faire l’hypothèse que le succès d’Europe Écologie aux élections régionales de 2010 a encore accru son attrait potentiel, et que cet attrait en fera en 2012 pour le candidat PS un allié dangereux au premier tour et exigeant pour les conditions de son ralliement au second tour.
Les effets politiques de la crise ?
Le CAS a publié en juillet 2009 un rapport intitulé « La mesure du déclassement ».
Rapport du CAS, p. 58.
Dans cette étude consacrée au vote des classes moyennes, le déclassement social n’est pas traité sous l’angle intergénérationnel mais sous l’angle intragénérationnel du décalage entre le niveau de diplôme ou de revenu de l’individu et la norme de sa catégorie d’appartenance.
Il s’agit de l’activité au sens de l’Insee, qui comprend les personnes exerçant un emploi, auxquelles s’ajoutent celles à la recherche d’un emploi.
Plusieurs lectures contradictoires de l’impact de la crise sur les catégories sociales créent actuellement une controverse parmi les analystes. Le débat porte sur le fait de savoir si la crise actuelle menace – et comment – la position des classes moyennes dans le champ social. Plus précisément, le débat tourne autour de l’existence et l’évaluation d’un processus de déclassement qui entraînerait la « paupérisation » de cette catégorie sociale. Pour certains experts, dont ceux du Centre d’analyse stratégique (CAS)35, il s’agirait largement d’un leurre. La paupérisation des classes moyennes serait une préoccupation de « classe anxieuse », « relayée par les médias mais aussi par les travaux académiques36 », qu’aucune exploration de long ou moyen terme ne viendrait étayer. En effet, statistiquement parlant, leur niveau de vie aurait continué de s’améliorer depuis la fin des Trente Glorieuses. Leur revenu aurait augmenté de 85%, notamment grâce à un système fiscal plus favorable que dans d’autres pays européens et à un bas niveau d’endettement par rapport à d’autres catégories sociales. On observerait, tout au plus, une diminution du rythme de progression de leurs revenus du travail depuis 1996. Pour le sociologue Louis Chauvel, en revanche, la « paupérisation des classes moyennes » est en marche (Chauvel, 2006). L’« ascenseur social » qui avait permis la mobilité ascendante des classes moyennes par rapport aux générations précédentes durant les Trente Glorieuses est à présent en panne. Les positions sociales conquises en période de croissance seraient sapées à leur base par son ralentissement, le déploiement de la globalisation et le développement de la crise actuelle, renforçant les risques de précarité et de déclassement intergénérationnel37. Toutefois, en septembre 2010, à un moment où les effets sociaux de la crise sont nettement installés, l’enquête de la Fondapol sur les classes moyennes ne confirme pas les craintes de déclassement social massif redoutées ci-dessus. Une solide majorité d’entre elles (62%) se déclare « satisfaite de leur position sociale dans la société ». Surtout, 52% des classes moyennes actives en 201038 décrivent cette position sociale comme identique à celle de leurs parents (tableau 11). Seulement 22% d’entre elles pensent que leurs parents appartiennent à des catégories sociales supérieures à la leur, alors que c’est le cas de 57% des personnes appartenant aux catégories populaires (qui déclarent des parents appartenant aux couches moyennes et encore 14% aux catégories les plus favorisées). On note enfin que la crise n’a pas tari pour le moment le flux des mobiles ascendants parmi les classes moyennes (26%), mais que ce flux compense de surcroît nettement celui des personnes faisant état d’un déclassement intergénérationnel (22%).
Tableau 11 : L’évaluation du déclassement intergénérationnel des classes moyennes en 2010 (en %)
Source :
Fondapol/Ifop, 2011
Mais les enquêtes récentes du CEVIPOF montrent que, dès décembre 200939, une grande majorité des classes moyennes (59%) redoute « beaucoup » ou « un peu » le risque de chômage, une inquiétude globalement de même ampleur que celle éprouvée par les catégories populaires (60%), et qui atteint 65% des classes moyennes aux revenus modestes. De plus, 46% déclarent « vivre difficilement » avec les revenus de leur foyer, soit une hausse modérée de 5 points de cette inquiétude par rapport à celle déclarée en mai 2007 mais qui touche aussi une solide majorité des classes moyennes aux revenus modestes (60%). Enfin, les classes moyennes sont massivement convaincues que, dans le futur, la transmission à leurs enfants de leur position sociale actuelle, sans même parler d’une amélioration de cette position, sera problématique : environ les trois quarts (73%) pensent que leurs enfants « auront moins de chance » qu’eux aujourd’hui. En clair, elles redoutent pour l’avenir une « panne » de l’ascenseur social, et cette crainte affecte toutes les composantes de la catégorie. Enfin, en décembre 2010, dans la seconde vague du Baromètre de la confiance en politique du CEVIPOF, 30% des classes moyennes citent spontanément la crise économique et financière comme l’événement principal qui explique leur perte de confiance dans l’avenir, au lieu de 25% de l’ensemble des Français40. Ces observations suggèrent que la situation de déclassement intragénérationnel par le revenu accentue le pessimisme des perceptions et des représentations de leur condition sociale que se font les classes moyennes en période de crise.
Perte de confiance dans la politique et l’économie
La crise de confiance à l’égard de la politique et des personnalités qui la mettent en œuvre paraît plus inquiétante pour ses conséquences sur la mobilisation électorale et l’orientation des votes en 2012. Encore faut-il en préciser les contours (tableau 12). Tout d’abord, cette crise n’est pas générale. Elle n’affecte pas la confiance massive des classes moyennes dans les grandes institutions du service public, qui obtiennent des taux de confiance conséquents en 2009 et encore en 2010. Dans une moindre mesure, la crise épargne aussi les grandes entreprises publiques qui, en 2010, ont conservé la confiance de 51% des classes moyennes.
Tableau 12 : La perte de confiance dans les institutions des classes moyennes
Source :
CEVIPOF, 2009b et 2010
En revanche, cette crise affecte sans doute possible toutes les institutions privées testées par le CEVIPOF qui œuvrent dans les champs de la politique et de l’économie. Dans le champ de l’économie, la dégradation de la confiance est particulièrement importante entre 2009 et 2010 pour les banques (– 11 points), les grandes entreprises privées (– 7 points) et les institutions de régulation internationale : le G20 ne bénéficie en 2010 de la confiance que de 22% des classes moyennes. Finalement, ce sont les syndicats qui « tiennent » le mieux dans cette période d’incertitude économique, avec un score de confiance de 42% en 2010, en hausse de 5 points par rapport à l’évaluation de l’année précédente. Les classes moyennes redécouvrent sans doute leurs mérites en période de fortes menaces sur l’emploi, lorsque leur confiance dans l’entrepreneuriat privé se délite. Restent les partis politiques, les mal-aimés des classes moyennes – comme des Français –, qui sont de plus en plus nombreuses à leur retirer leur confiance : déjà faible en 2009 (14%), elle plafonne à 12% à la fin de l’année 2010. Notons enfin que, pour toutes les institutions considérées, le recul de la confiance des classes moyennes est plus prononcé que celui de l’ensemble de l’électorat. C’est en définitive le personnel politique qui fait le plus largement les frais de la perte de confiance des classes moyennes en 2010 (tableau 13). Les maires sont les seuls à tirer encore leur épingle du jeu en conservant en 2010 la confiance majoritaire des classes moyennes (57%), tandis que la confiance dans le député s’effondre à 38% (– 15 points), celle dans le Premier ministre recule de 7 points, à 36%, et celle dans le président de la République (25%) poursuit en 2010 une chute déjà largement entamée en 2009 (– 12 points). Quelle que soit la fonction du personnel politique considéré, le reflux de confiance des classes moyennes se révèle toujours plus important que celui de l’ensemble des électeurs.
Tableau 13 : La perte de confiance des classes moyennes dans le personnel politique
Source :
CEVIPOF, 2009b et 2010.
La démonstration de Camille Peugny repose sur une analyse des attitudes et comportements favorables aux thèses de l’extrême droite et au FN au moment de l’élection présidentielle de 2002.
Cette grande désillusion à l’égard de la politique et de la manière dont elle est pratiquée ne débouche pas, loin s’en faut, sur une tentation protestataire. La crainte d’une radicalisation inédite du vote des classes moyennes en 2012 résultant d’un ressenti dramatisé de la crise et du recul de la confiance dans les acteurs politiques – comme le suggère la thèse de Camille Peugny41 – n’est cependant pas confortée par les récentes enquêtes du CEVIPOF. La crise n’émousse pas la volonté des classes moyennes de participer au jeu démocratique et les entraîne peu souvent vers une conception « radicale » de l’action politique, privilégiant les actions protestataires (tableau 14).
Tableau 14 : Mobilisation et radicalisation politique des classes moyennes (en %)
Source :
Baromètre CEVIPOF 2009a.
Voir en annexe le détail de la composition et des résultats des index.
On a retenu pour l’analyse les variables qui rendent compte de l’intensité et de l’orientation du positionnement politique des classes moyennes : leur degré d’attachement au vote, leur propension à la mobilisation politique et à la radicalisation des opinions, leur degré de confiance dans les institutions et les principaux acteurs de la politique et de l’économie et, pour finir, de leurs votes au second tour de l’élection présidentielle de 2007. Toutes ces variables ont été présentées et intégrées à la discussion dans les développements précédents. La position des classes moyennes a été doublement évaluée. Tout d’abord en la confrontant à celle des catégories supérieures et des catégories populaires. Ensuite, en prenant en compte trois variables qui décrivent l’hétérogénéité du groupe des classes moyennes : leur statut, leurs revenus et leur situation de couple en distinguant les couples de classes moyennes des couples « mixtes » dans lesquels un des partenaires exerce une profession d’employé ou d’ouvrier.
Mes remerciements à Flora Chanvril, du CEVIPOF, qui a réalisé cette ACM et qui m’a guidée dans son interprétation.
En effet, 54% d’entre elles obtiennent une note élevée sur un index de mobilisation politique qui prend en compte la défense du vote comme moyen d’influence prioritaire, la pratique de la manifestation, l’engagement associatif et la participation systématique aux élections. Leurs pratiques et/ou intentions de mobilisation sont certes moins massives que celles des catégories supérieures (68%) mais clairement plus fréquentes que celles des catégories populaires plus souvent en retrait (49%). Seule une minorité des classes moyennes se déclare prête à utiliser des modes protestataires de mobilisation : 39% obtiennent une note élevée sur un index de radicalisation politique qui prend en compte la pratique et/ou l’intention de recours aux grèves sauvages, aux occupations d’usines ou de bureaux ainsi que la demande de réformes « en profondeur » du système capitaliste42. Pour finir, une analyse des correspondances multiples (ACM)43 réalisée à partir de la première vague du Baromètre de la confiance en politique du CEVIPOF en décembre 2009 (figure 5) permet d’apprécier en synthèse les logiques d’organisation des opinions et attitudes des classes moyennes présentées dans les développements précédents44. Les résultats de l’ACM définissent un plan organisé par deux axes qui expliquent à eux deux 88% de la variance totale des attitudes et opinions politiques des classes moyennes en décembre 2009. Le premier axe est déterminé à la fois par le vote au second tour de l’élection présidentielle de 2007, les niveaux de confiance dans le Président et le Premier ministre, ainsi que le positionnement politique des individus. Cet axe décrit clairement l’organisation classique gauche droite des attitudes politiques, avec un positionnement au « centre » plus proche de celui à « droite », que de celui à « gauche » et, surtout, distinct de celui « ni gauche ni droite » proche du centre de gravité de l’axe, c’est-à-dire sans contribution forte à la description de l’ordre gauche-droite.
Figure 5 : Les logiques d’organisation des opinions politiques des classes moyennes en 2009
Source :
CEVIPOF
Comme à l’égard des autres acteurs économiques, qu’on n’a pas fait figurer ici pour éviter les redondances.
Le second axe est organisé en fonction du degré de politisation des individus. Il oppose la propension forte à la mobilisation politique, l’attachement au vote et la confiance dans les partis à des attitudes distantes, voire apathiques, par rapport à la politique, telles que l’abstention, la faible propension à la mobilisation et le détachement du vote. En revanche, les attitudes à l’égard des banques45 ou encore les jugements sur l’opportunité de réformer plus ou moins le système capitaliste – qui mesurent tous deux les effets politiques de la crise – se révèlent sans effet propre, directement corrélés au positionnement gauche-droite des individus décrits par l’axe 1.
On indique entre parenthèses la dénomination des segments de classes moyennes figurant dans la figure 4.
Dans le champ organisé par ces deux axes, les classes moyennes se situent tout d’abord dans un espace politique situé au centre de la figure. Cet espace est borné par la position « ni gauche ni droite » sur sa gauche et par le « centre » sur sa droite, se trouvant ainsi également éloigné des deux pôles antagonistes que sont la gauche et la droite. En termes de sympathie partisane, les classes moyennes sont à peine plus proches du PS que de l’UMP, et se caractérisent surtout par leur proximité du MoDem et des Verts. Pour finir, elles se tiennent au plus près du centre de gravité du second axe, nettement moins tentées par l’apathie que les catégories populaires, mais aussi moins mobilisées et attachées au vote que les catégories supérieures. L’impression d’indétermination des classes moyennes se dissipe en partie – mais en partie seulement – lorsqu’on examine les attitudes et opinions de leurs principales composantes. Deux composantes – les salariés du public (public)46 et les classes moyennes aux revenus modestes (revenu 2) – se distinguent par leur positionnement clair à gauche et leur relative proximité du PS. Les salariés du public ont, de surcroît, un niveau de politisation élevé, proche de celui des catégories supérieures, à la différence des classes moyennes aux revenus modestes peu politisées, plus défiantes envers les acteurs politiques et économiques, et proches des Verts et du MoDem. Les autres composantes des classes moyennes se retrouvent toutes proches du « centre » et ne se différencient que par leur niveau inégal de politisation. La composante la plus aisée (revenu 1) et celle formée par les couples endogames de classes moyennes (couple 1) sont les plus politisées, attachées au vote et confiantes dans les acteurs politiques et économiques tout en se tenant assez éloignées de l’UMP et de la confiance dans l’exécutif. Les classes moyennes du secteur privé et les couples « mixtes » de classes moyennes et de catégories populaires (couple 2) se montrent en revanche plus incertains en termes de mobilisation politique.
Conclusion
Voir le discours d’investiture de Marine Le Pen comme présidente du FN, le 16 janvier 2011.
Toutes ces observations concourent pour décrire une situation politiquement ouverte pour 2012. Au regard des résultats de l’ACM, il ne paraît pas qu’une proportion significative des classes moyennes puisse être attirée par un vote protestataire : on a vu l’attrait très limité qu’exercent sur elles les formations de gauche comme de droite porteuses de messages de radicalisation de l’action politique. La principale incertitude porte sur le caractère conjoncturel ou structurel de la réticence des classes moyennes à s’inscrire clairement dans le clivage gauche-droite. En ce qui concerne la gauche, plusieurs hypothèses peuvent être évoquées. Soit les votes « verts » des classes moyennes en 2009 et 2010 représentent de simples « votes d’avertissement », des « sonnettes d’alarme » utilisées lors d’élections sans enjeu sur la dévolution du pouvoir, pour manifester un fort mécontentement à l’égard d’un PS qui offre, après le congrès de Reims de novembre 2008 et jusqu’à une date récente, une image négative de parti désorganisé par ses querelles internes et incapable de se rassembler sur une ligne programmatique commune. Selon cette hypothèse, ces votes ne remettraient vraiment pas en jeu la loyauté des classes moyennes de gauche à l’égard du PS. Le redressement de l’image du parti opéré par la première secrétaire Martine Aubry et l’existence d’un projet politique approuvé par tous les courants et candidats aux primaires sont de nature à rassurer les classes moyennes et entraîner leur retour dans le giron socialiste dès le premier tour de l’élection de 2012. Mais il est aussi possible que le vote « vert » des classes moyennes en 2009 puis en 2010 soit l’expression de la perte de confiance des classes moyennes dans les capacités du PS à porter des valeurs toujours inspirées par le libéralisme culturel qui leur est cher mais dont le contenu s’est en partie renouvelé depuis la fin des années 1990 : progrès et modernité ne s’entendent plus aujourd’hui sans une attention particulière au « développement durable ». De même, l’épanouissement et le « bien-être » de la personne passent après les préoccupations d’emploi, de revenu et de correction des inégalités qui prennent un relief particulier en période de crise économique sévère et durable. Sur ces défis politiques réactualisés, les Verts pourraient être considérés comme autant, si ce n’est plus, crédibles dans leurs propositions d’actions que le PS. Celui-ci perdrait alors aux yeux des classes moyennes sa légitimité de « chef de file » de la gauche. En ce qui concerne la droite, il reste à s’interroger sur la possibilité pour l’UMP de retrouver la capacité d’attraction qu’avait eue dès le premier tour la candidature de Nicolas Sarkozy en 2007 auprès de la fraction non négligeable des classes moyennes – ménages aux revenus modestes et les moins diplômés – qui se positionne à « droite » ou « au centre ». Le repositionnement en tête du premier tour du Président sortant est à ce prix. Or les projets gouvernementaux actuels de renforcement des politiques sécuritaires, de contrôle de l’immigration et de défense de la laïcité ont peu de chances de les toucher, compte tenu de leur solide attachement aux valeurs humanistes et antiautoritaires. La crainte d’une large attraction du FN paraît, elle aussi, peu fondée, compte tenu de leur assez grande insensibilité aux discours anti-immigrés. Mais le nouveau discours du FN sous la houlette de Marine le Pen, de refus du libéralisme économique et de restauration de l’État dans ses missions de protection économique et de protection sociale47, est de nature à conforter dans son vote la fraction des classes moyennes aux revenus modestes qui avait déjà voté FN en 2007 dans des proportions supérieures à celles de l’ensemble de la catégorie (tableau 9). C’est plus probablement l’attraction d’une candidature centriste qui menace le plus sérieusement le succès d’une stratégie de reconquête de l’UMP. De ce point de vue, le bilan de l’action gouvernementale de lutte contre les effets sociaux de la crise économique et financière sera décisif. Aujourd’hui comme demain, il est probable que c’est entre la gauche et le centre – centre gauche et/ou centre droit – que se jouera le vote des classes moyennes en 2012.
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