L'enseignement supérieur privé en France
Introduction
Un secteur dynamique
La part des étudiants dans un établissement privé est en forte croissance
Les facteurs d’attraction du secteur privé sont multiples
Le boom de l’apprentissage
La multi-implantation
Des freins subsistent
Du côté de l’offre
Le lucratif versus non lucratif
La diversité des acteurs
Diplômes et titres délivrés
Labels et accréditations des écoles
Des consommateurs moins protégés dans leur choix
Les modèles actionnariaux
Indépendants et groupes
Trois centres de coût
Un modèle de coût fixe
Des fonds investissent
Et les autres ?
Le temps des porosités
Formation initiale et formation professionnelle
Public et privé : où est la frontière ?
Vers la régulation
Une responsabilité sociétale
Des mesures en débat
Conclusion
Annexes
Résumé
On connaît les écoles, les collèges et les lycées privés : mais qu’en est-il des établissements privés d’enseignement supérieur fréquentés par un quart de la population étudiante ? Écoles d’ingénieurs, instituts catholiques, grandes écoles de commerce, ou écoles d’application : des plus désintéressées aux plus rentables, les écoles supérieures privées se déploient sur un large spectre de statuts, de fonctionnements et de domaines.
Elles mettent toutes en avant l’employabilité de leurs élèves.
Dans leur grande variété, quelles sont-elles ? Quels sont leurs modèles économiques ? À quel type de régulation ce secteur d’enseignement doit-il souscrire ?
Pour repenser le bac, réformons le lycée et l’apprentissage
Défendre l'autonomie du savoir
Former, de plus en plus, de mieux en mieux : l’enjeu de la formation professionnelle
Enseignement supérieur : les limites de la « mastérisation »
Pour une complémentaire éducation : l'école des classes moyennes
La réforme de l’enseignement supérieur en Australie
La protestation contre la réforme du statut des enseignants-chercheurs : défense du statut, illustration du "statu quo"
L'académie au pays du capital
L’Ecole de la liberté : initiative, autonomie et responsabilité
Introduction
L’enseignement supérieur privé s’est invité à la tribune du débat public, d’abord en raison de son succès. Sauf à considérer que les consommateurs sont irrationnels, il doit bien exister des raisons positives à l’attrait du secteur privé. Pourtant, à peine lui reconnaît-on quelque mérite que les objections se lèvent. Elles viennent du secteur public, enclin à réduire le sujet à l’insuffisance des moyens qui lui sont alloués. Les critiques viennent aussi de l’intérieur même du privé qui révèle ainsi sa diversité : contre des dérives marchandes avérées, les grandes écoles privées protestent de leur vertu.
Il existe assurément un ensemble d’établissements qui ont en commun de relever d’un statut et d’un financement privés. Mais l’enseignement supérieur privé n’est pas un et indivisible. La segmentation courante entre deux pôles, lucratif et non lucratif, n’épuise pas l’analyse. La dispersion est grande, depuis l’association 1901 jusqu’au groupe piloté par un fonds de private equity. La variété se retrouve dans les domaines de formation des écoles, comme dans l’ambition des programmes selon qu’ils sont sanctionnés par des diplômes reconnus ou par des certifications de niveau.
Comprendre les ressorts communs au secteur, identifier ses acteurs et leurs différences, apprécier leurs apports et leurs abus, imaginer des évolutions probables ou souhaitables : tel est le sujet de cette contribution.
Un secteur dynamique
La part des étudiants dans un établissement privé est en forte croissance
Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, « État de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France n°15 ».
Un étudiant sur quatre est inscrit dans un établissement privé. Au cours de la décennie 2010-2020, les effectifs post-bac ont globalement augmenté de 600000 étudiants et le secteur privé en a absorbé presque la moitié 1. La part du secteur privé est donc passée en dix ans, de 19,1% à 24,8% des effectifs globaux.
Effectif étudiants
Source :
MESR, RERS, 2022
Les sites à destination des jeunes et de leurs familles reflètent le dynamisme du secteur privé. Une recherche sur l’item du privé fait ressortir plus de 4000 établissements, dont beaucoup de Centres de formation d’apprentis (CFA) sur Studyrama comme sur L’Étudiant. Après filtrage des doublons et des établissements étrangers, le nombre d’écoles dépasse 1500, y compris les filiales des groupes, sans compter les CFA indépendants.
Évolution du nombre d’établissements et structures de l’enseignement supérieur
Source :
MESR, RERS, 2022
Les facteurs d’attraction du secteur privé sont multiples
La forte croissance du secteur privé dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) puise à plusieurs sources.
La première est propre à l’ensemble de l’enseignement supérieur, puisque la démographie étudiante a augmenté de quelque 600000 étudiants en dix ans. Cependant la croissance du privé est supérieure à celle du public, de sorte qu’il faut en revenir aux spécificités de l’attrait du privé. Le secteur privé surfe sur la promotion de « l’employabilité ». L’orientation résolument professionnelle des formations ainsi que l’alternance en sont les principaux leviers. Les écoles communiquent largement sur le taux d’emploi de leurs élèves. Un groupe s’est donné comme marque « Alternance ». Une école s’affiche comme « l’écolemploi », en un seul mot.
Le secteur privé dispense des spécialités dont il a une exclusivité de droit ou de fait. Il en est ainsi des écoles de préparation au diplôme d’État de kinésithérapie ou des formations d’ostéopathe. Surtout, les écoles privées ont su développer une offre dans des domaines attractifs et peu investis par le public, dans les métiers d’arts et de création articulés aux outils numériques, du design, de l’architecture intérieure, et des applications professionnelles des ressources du digital.
Le post-bac privé fait aussi la promesse d’une relation d’encadrement étroite avec l’étudiant, à la fois administrative et pédagogique. Loin de l’anonymat qui règne dans les grandes cohortes universitaires, cette relation de proximité sert la cause du privé tout comme celle des Instituts universitaires de technologie (IUT) ou des classes préparatoires. Le succès des bachelors tient pour beaucoup à cela.
La proximité géographique n’est pas davantage étrangère au succès de certaines écoles qui évitent aux étudiants le risque de dépaysement et le coût du logement dans la grande ville universitaire à la sortie du lycée.
Les écoles privées dispensent des programmes post-bac qui se présentent comme une alternative aux classes préparatoires, sous le vocable de « prépas intégrées ». C’est un facteur clé du succès des écoles d’ingénieurs privées. Le tableau suivant illustre la préférence pour le post-bac intégré dans les écoles privées d’ingénieurs.
Origine des étudiants en 1ère année d’étude d’ingénieur en 2020 (en %)
Copyright :
Grille de lecture : Dans les écoles privées d’ingénieurs, 44,6 % des élèves de 1ère année ont suivi une formation intégrée post-bac, tandis que 25,1 % sont issus d’une CPGE.
Source :
MESR, direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEEP)
D’autres raisons, moins explicites interviennent dans le choix du privé. La conviction religieuse est évidemment présente dans l’orientation vers « la catho » là où celle-ci est implantée. Les étudiants n’y recherchent pas tant une formation ou une pratique religieuses qu’une ambiance de valeurs conforme à leur éducation. Plus généralement, un certain attrait pour l’entre-soi peut aussi guider le choix du privé parmi les catégories socioprofessionnelles supérieures (CSP+).
Enfin, les meilleures écoles s’efforcent d’attirer une clientèle internationale, issue des classes solvables. La pandémie a mis un frein à ce recrutement, en particulier d’Asie, elle a ainsi amené à réévaluer l’apport des étudiants étrangers dont l’accueil en France n’est pas sans contraintes.
Conjoncturellement, la réforme de l’apprentissage fin 2018 a suscité un essor important de formations en apprentissage non diplômantes mais inscrites au répertoire national des compétences professionnelles (RNCP). Accessibles en dehors de la procédure Parcoursup, les écoles mettent en avant cette caractéristique comme un atout à l’égard de familles dont la défiance pour cette procédure a été entretenue.
L’ensemble des facteurs incitatifs à la demande d’enseignement supérieur privé ne pourraient pas se révéler sans l’existence d’une offre dynamique, en volume et en gamme. Cette tendance attire les investisseurs qui apportent à certaines écoles privées les ressources nécessaires à leur développement.
Le boom de l’apprentissage
Depuis l’adoption de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel 2, les effectifs de jeunes en apprentissage ont plus que doublé, pour s’approcher du million, malgré les effets délétères de la pandémie de Covid-19. Ce résultat spectaculaire a d’ailleurs eu un impact sur la baisse du taux de chômage et la disparition dans le débat public de l’invocation du « chômage de masse ». C’est indéniablement une bonne nouvelle sociale et économique. Les mesures à l’origine de cette réussite sont de trois ordres : une réorganisation des structures de gestion des contrats, une simplification des procédures administratives et un financement direct des entreprises embauchant des apprentis (la prime aux entreprises de 6000 euros par apprenti ayant été pérennisée).
Nombre de bénéficiaires de contrats d’apprentissage
Source :
Ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion
Interrogé sur la part de la réforme de l’apprentissage dans la croissance de son groupe ces quatre dernières
années, Mathias Emmerich, président du groupe Omnes Education répond « qu’elle est significative, peut-être un tiers. » (AEF, 17 avril 2023). C’est une estimation largement dépassée par nombre d’écoles
Cette politique publique a un coût élevé, à mettre en regard du coût humain et financier du chômage des jeunes. Il reste que le déficit de l’organisme de financement, France compétences 3, appelle des mesures de régulation. Cet organisme abonde les demandes des organismes de formation, sur la base d’un forfait négocié par les partenaires sociaux au niveau de chaque branche professionnelle. Ce niveau de prise en charge (NPEC) forfaitaire est d’autant plus librement fixé que son impact financier au niveau macro ne ressort pas de la branche. Il en résulte que les ressources de France compétences, nullement négligeables, tirées de la taxe sur la formation versée par les entreprises (équivalant à 0,59% de leur masse salariale), sont loin de couvrir les dépenses. Les établissements destinataires de la prise en charge sont les CFA et les organismes de formation au titre des formations inscrites au RNCP. Les établissements d’enseignement supérieur privé peuvent ouvrir un CFA ou se faire homologuer comme organismes de formation. On comprend que leur engagement pour la formation en alternance ait pris un essor considérable. Le contrat d’apprentissage offre un triple avantage :
- il promeut une formule d’alternance facilitant l’accès à l’emploi, conformément aux attentes des jeunes ;
- il lève l’obstacle du financement des frais de scolarité par les familles, qui sont pris en charge par France compétences ;
- il permet d’élargir sensiblement le nombre d’élèves inscrits et d’augmenter les ressources de l’école, d’autant plus que le coût de la formation en alternance fait l’économie des périodes passées en entreprise.
La croissance forte du chiffre d’affaires et du résultat des écoles recourant à l’alternance témoigne de l’impact de l’apprentissage sur leurs performances économiques 4. Mais on ne peut pas vouloir l’apprentissage sans prendre les écoles qui l’opèrent.
Quant aux établissements publics, il leur revient de s’ouvrir davantage à l’alternance, même si toutes leurs formations ne s’y prêtent pas aisément et s’ils ne dispensent pas certaines formations professionnelles en plein essor. Au regard des droits d’inscription nationaux, le NPEC représente un abondement important des ressources propres d’un établissement public.
Force est de constater que le secteur privé a saisi les opportunités de la loi de 2018, et qu’il a accueilli un public en attente d’alternance. Il a su mettre en avant « l’employabilité », mot-clé de la communication des écoles. Au-delà de cette performance, les écoles privées ont favorisé un mouvement d’ouverture sociale des effectifs post-bac. Ainsi, les élèves préparant un Brevet de Technicien Supérieur (BTS) en apprentissage sont trois fois plus nombreux dans le privé que dans le public.
Nombre d’étudiants au sein des sections de technicien supérieur (STS) et assimilés en 2021-2022 (en milliers)
Source :
MESR-SIES (sous-direction des systèmes d’information et des études statistiques)
Les organismes de formation ont trois ressources. Outre le NPEC par apprenti, ils peuvent percevoir un
reste à charge auprès des entreprises qui acceptent de compenser la différence entre le coût affiché de la
formation et le NPEC, ainsi que des soutiens des régions au titre du fonctionnement ou de l’investissement. Une baisse de 10% des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage intervient en deux temps, en septembre 2022 et septembre 2023.
Le visa est attribué à un diplôme et non à un établissement, pour une durée de six ans au plus. Une même école peut donc proposer des diplômes visés, et d’autres non visés.
Il reste que le succès quantitatif de la politique de l’apprentissage appelle des corrections :
- son coût élevé met le dispositif en tension. Le NPEC pourrait être mieux maîtrisé5. La prime par apprenti pérennisée jusqu’à la fin du quinquennat sera-t-elle maintenue à son niveau de 6000 euros ?
- du côté des entreprises, la facilité conduit parfois à enchaîner les contrats d’apprentissage sur un même poste, et à remplacer un apprenti par un autre plutôt qu’à embaucher. La prime mérite-t-elle alors d’être reconduite ? L’apprentissage a représenté pour certaines écoles un effet d’aubaine. Telle école propose aux entreprises de mettre à leur disposition un « chasseur d’alternant ». Telle autre adresse des mailings réguliers aux entreprises pour solliciter leurs besoins en alternance. Certaines écoles monnayent la délivrance de leurs titres RNCP auprès d’autres écoles qui ne les ont pas obtenus.
- du côté des entreprises, la facilité conduit parfois à enchaîner les contrats d’apprentissage sur un même poste, et à remplacer un apprenti par un autre plutôt qu’à embaucher. La prime mérite-t-elle alors d’être reconduite ?
- enfin, la délivrance des titres RNCP par France compétences (ministère du Travail), qui conditionnent le contrat d’apprentissage n’est pas exempte de critiques. Après avoir été trop généreuse, cette instance tend à devenir indistinctement rigoureuse. Cette situation est mal comprise du ministère de l’Enseignement supérieur dont l’expérience dans la délivrance des visas 6 gagnerait à être mobilisée.
La multi-implantation
Pour les grandes écoles de management des régions, l’implantation à Paris est devenue un must : il s’agit d’y capter des candidats dans le plus grand bassin du pays (en particulier pour les bachelors) ainsi que les étudiants internationaux plus facilement attirés par la capitale. L’enjeu est aussi d’y développer la formation continue des managers et dirigeants, ou executive education, dans le plus grand bassin d’emploi du pays. Ces grandes écoles sont donc toutes venues à Paris : Edhec, Skema Business School, emlyon business school, Neoma, Audencia, Kedge, TBS Education, Grenoble EM, Excelia, Rennes School of Business, ICN Business School, EM Normandie, Y Schools… Parmi les exceptions, la dijonnaise BSB a préféré se démultiplier sur la ville de Lyon.
À l’inverse, les trois parisiennes, HEC, ESSEC, ESCP, n’ont pas d’implantation régionale. Écoles « capitales », l’unicité de leur implantation est un marqueur de leur statut.
Hors de l’Île-de-France, les « petites » écoles s’attachent aussi à essaimer depuis leur ville d’origine vers d’autres sites de leur région, jusqu’à donner naissance à un groupe (c’est le cas de Talis Business School en Nouvelle-Aquitaine).
En régions, les collectivités territoriales tentent d’attirer des écoles privées dans une quadruple logique de marque pour la ville, de qualification des jeunes sur leur bassin d’emploi, de dynamique économique locale, et de fixation d’une population de jeunes actifs.
Pour ce vice-président d’Angers Loire Métropole, « le calcul est simple : un étudiant réinjecte dans l’économie locale entre 650 et 700 euros par mois : logement, sorties, nourriture, fournitures, etc. L’école compte 550 étudiants et une quarantaine de personnels : cela représente donc entre 3,5 et 4,5 millions d’euros par an. En un an, notre investissement est amorti. » La politique proactive des collectivités territoriales concerne en particulier les écoles d’ingénieurs :
- Bordeaux : implantation en 2022 de l’ESTACA (filière aéronautique) et de l’école d’ingénieurs ISEN dont le campus est financé au tiers par les collectivités locales ;
- Angers : accueil de l’ISTOM en 2018, une école d’ingénieurs en agronomie internationale (vente du terrain par la ville à l’euro symbolique, financement par les collectivités du bâtiment de 11 millions d’euros) ;
- Dijon : arrivée de l’ESTP, école d’ingénieurs de la construction, en 2022, campus partagé avec l’ESEO, école d’ingénieurs de la transformation numérique. Coût pour Dijon Métropole et la région : 18 millions d’euros pour les locaux et 3 millions d’euros d’aides diverses ;
- Orléans : depuis 2021, l’ISC Paris partage son site avec l’ESTP Paris au centre-ville. La métropole a investi 23,5 millions d’euros.
À côté des mouvements de délocalisation, les écoles privées ont déployé une politique immobilière active. Il s’agit d’offrir des locaux attirants aux candidats, tout en permettant aux groupes de concentrer leurs moyens. Les professionnels de l’immobilier ont identifié l’immobilier d’enseignement comme un segment dynamique du marché. En outre, les grandes écoles comme l’emlyon, Toulouse BS, Neoma, Kedge à Marseille ouvrent des nouveaux campus sur leurs villes. L’ESCP requalifie le sien, HEC programme une rénovation complète. C’est le temps des grands mouvements et des grands travaux.
Des freins subsistent
Voir lefigaro.fr, « Taux de réussite définitifs au bac 2022 : des mentions « très bien » en forte hausse », 9 juillet 2022.
Si le secteur privé a su capter une partie importante de l’afflux d’étudiants, l’évolution de la démographie étudiante dans les prochaines années sera moins porteuse. Les effets différés de la natalité stabiliseront la taille des cohortes étudiantes à venir. De plus, la proportion de bacheliers dans une cohorte de lycéens atteint son plafond (96% de bacheliers dans la voie générale en 20227), de sorte que le taux d’accès à l’enseignement supérieur ne devrait plus augmenter significativement.
Projections des effectifs étudiants d’ici à 2030 (en milliers)
Source :
MESR-SIES
La compensation de la stagnation démographique française par l’accueil d’étudiants étrangers se heurte aux difficultés de la mobilité internationale, en raison des désordres sanitaires, géopolitiques et écologiques.
L’effet d’aubaine pour les écoles produit par le boom de l’apprentissage devrait aussi atteindre un seuil, le nombre de candidats n’étant pas indéfiniment extensible. De plus, la régulation du dispositif de soutien tendra à mieux en contrôler le déploiement.
La soutenabilité du niveau d’investissement à même de maintenir l’attractivité de l’école représente un défi financier structurel. En particulier, la digitalisation de l’enseignement nécessite des moyens techniques coûteux et susceptibles d’obsolescence.
Pour plusieurs établissements, le fondateur atteint l’âge d’organiser la transmission. C’est l’occasion de réaliser une opération patrimoniale, sous réserve de rencontrer un repreneur avisé.
Enfin, les évolutions positives de l’enseignement supérieur public tendront à rehausser son rapport qualité-prix auprès des familles et conforteront sa capacité concurrentielle sur plusieurs segments. Il en résulte que l’intensité de la concurrence entre écoles augmente avec leur succès. Si des écoles indépendantes peuvent se maintenir à l’abri de leurs barrières géographiques protectrices, la tendance est, depuis plusieurs années, à la concentration du secteur. L’enseignement privé n’échappe pas aux impératifs de consolidation, comme d’autres branches de services.
Une course à la taille est donc engagée par les acteurs les plus puissants. La croissance interne passe par l’élargissement de la gamme des formations et par l’extension géographique. L’implantation sur plusieurs villes permet de capter des candidats locaux. Sur un même site, les groupes distribuent plusieurs de leurs marques-écoles.
La croissance par acquisition vise à consolider la part de marché et la notoriété de marque du repreneur. Elle permet aussi de mutualiser des moyens fonctionnels et de répartir les coûts fixes sur un volume accru. La course à la taille accélère le mouvement des acquisitions.
À défaut de pouvoir compter sur un afflux d’étudiants étrangers, les écoles qui le peuvent iront chercher ces étudiants dans leur propre pays, par une politique d’implantation internationale.
Face aux risques, le double défi des acteurs les plus dynamiques et/ou les plus puissants relève de leur capacité digitale d’une part, de leur implantation internationale d’autre part. Dans les deux cas, l’adossement à un pool de ressources financières est la clé du succès.
Du côté de l’offre
Le lucratif versus non lucratif
« Holding » désigne une société qui possède des parts dans d’autres entreprises, afin de les gérer d’une manière centralisée.
Stéphane de Miollis, le dirigeant du groupe IGS qui se veut associatif, illustre le mélange des genres : « Quand on est associatif, la notion de chiffre d’affaires n’est pas vraiment pertinente, contrairement à la capacité de dégager de la rentabilité. Pour nous, tendre entre 5% et 10% de rentabilité est dans notre objectif. Notre rentabilité a deux vocations : être réinvestie dans la pédagogie pour être au meilleur niveau, ou par le partage avec les collaborateurs qui sont eux-mêmes créateurs de cette valeur. », news tank, 27 avril 2023.
La distinction d’un « secteur lucratif » vise à caractériser la spécificité des groupes ou écoles dépendant d’un ou plusieurs actionnaires. L’actionnaire peut être représenté par un propriétaire physique (souvent le fondateur), ou par un tour de table associant des fonds d’investissement et des personnes physiques (les dirigeants). Dans ces écoles comme dans n’importe quelle entreprise, l’actionnaire investit en vue d’un retour financier : l’école est un actif qu’il convient de valoriser. La valorisation peut prendre la forme de la perception de dividendes et/ou de la plus-value de l’actif, plus-value latente aussi longtemps qu’une cession n’est pas opérée. Cette plus-value est réalisée quand un fonds cède sa part à un autre fonds ou à un actionnaire physique.
Deux stratégies d’investissement se dessinent. La première consiste à pousser la croissance du groupe en ouvrant le capital à des investisseurs et/ou en endettant le groupe. Plusieurs holdings 8 de contrôle permettent de loger les fonds et les emprunts. Ce modèle est caractéristique des plus grands groupes qui multiplient les acquisitions. Il se retrouve aussi dans des groupes de taille moyenne qui se développent par croissance organique. Dans tous les cas, il s’agit de mobiliser les capitaux nécessaires au financement du développement du groupe. La seconde stratégie est patrimoniale. Les bénéfices accumulés sont réinvestis dans des biens immobiliers, pour l’essentiel dédiés aux écoles qui en deviennent locataires. Un groupe d’école peut ainsi doubler sa structure d’enseignement avec celle d’une petite société foncière. Certains groupes combinent ces deux orientations et cumulent l’ouverture aux fonds avec l’accumulation immobilière du fondateur.
La logique financière de ces stratégies de croissance est indéniable. Mais comme dans toute autre activité, la performance financière ne tient dans la durée qu’à condition de conquérir une clientèle. Il convient donc de vendre des services satisfaisant cette clientèle dans un univers concurrentiel. L’image de marque de ces groupes financiarisés reste tributaire de la qualité de leurs services. La force de rappel du marché vient donc contraindre les acteurs financiers, de sorte que la stigmatisation du secteur lucratif précisément en raison de sa logique financière manque en partie sa cible. Sans rien ignorer de la logique financière de ces groupes, leur activité ne peut pas être assimilée à une vente de marchandise dévaluée. Au sein de ces groupes, des écoles sont reconnues par l’équivalence de leurs diplômes ou le prestige de leur marque. La stigmatisation du « privé lucratif » dont la nature serait intrinsèquement perverse, n’épuisera pas le sujet de la place du secteur privé dans l’enseignement supérieur.
De plus, la performance financière n’est pas l’apanage des groupes. Elle s’exprime aussi dans les résultats d’écoles indépendantes, géographiquement concentrées. Même si ces écoles recrutent au-delà de leur ressort, l’effet de réputation joue pleinement au niveau local. Force est de constater que leurs prix ne sont pas dissuasifs pour leur clientèle. C’est le cas en particulier pour des écoles orientées vers le management ou vers certains métiers de la santé.
Il existe donc dans le secteur privé un pôle financier à caractère actionnarial ou familial, qui recouvre des acteurs réalisant un chiffre d’affaires allant de quelques millions d’euros à plusieurs centaines de millions d’euros. L’étendue de ce pôle témoigne que tout le secteur est concerné par une logique de performance financière, sans que celle-ci puisse être récusée par nature. La critique politique du financement privé des études supérieures relève d’un autre registre, évidemment légitime, elle peut s’appuyer sur des cas d’abus manifestes, mais il ne lui est pas nécessaire d’essentialiser le « privé lucratif », sauf à assumer une dénonciation globale de l’économie de marché.
Par ailleurs, la logique financière n’est pas l’exclusivité des écoles actionnariales, elle ne contourne aucune école du secteur privé, quel que soit son statut et son projet. Dès lors que les écoles se financent par leurs frais de scolarité (éventuellement assumés par les entreprises dans le cadre de l’apprentissage), elles interviennent sur un marché, quelle que soit leur motivation première. Ainsi, la concurrence est rude entre les écoles dans le champ de la formation continue (executive education). Les écoles de la sphère consulaire, comme certaines écoles d’ingénieurs associatives, dont la vocation première n’est pas de garantir une rentabilité financière, doivent s’imposer sur ce marché. Leur développement qualitatif et quantitatif est aussi tributaire de leurs rentrées financières en formation initiale.
Elles savent créer de nouveaux diplômes (bachelors) et ajuster le niveau de leurs tarifs. Elles sont présentes dans les salons professionnels pour pousser leurs programmes auprès des jeunes. Sans que le qualificatif de « lucratif » puisse leur être accolé, ces écoles n’échappent pas à une logique marchande.
Ainsi, plutôt que par une opposition brute du lucratif et du non lucratif, le secteur privé se caractérise par un continuum dans l’ordre de la performance financière. Aux deux pôles du spectre, il est possible d’identifier des caractères marqués, depuis le « tout pédagogique » jusqu’au « tout financier », dans une sorte de dégradé plutôt que d’un contraste 9.
Enfin, l’idée que la concurrence serait l’apanage du secteur privé est contestable. De longue date, les grandes écoles publiques rivalisent pour l’ordre des places aux concours de recrutement, et plus récemment pour leur reconnaissance par les classements internationaux. Elles sont en mode de compétition sportive plutôt que de concurrence marchande, sans doute. Inversement, la relation au marché des acteurs privés est d’intensité variable.
La diversité des acteurs
Les formations privées post-bac recouvrent des formations courtes et des formations longues, dans des domaines de formation variés. Ce secteur est également divers dans sa qualité, avec des écoles visées ou non par l’État, délivrant ou non le grade de licence et de master ou le titre d’ingénieur, disposant ou non d’une accréditation internationale (Equis, AACSB, AMBA), reconnues ou non par le label EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général), etc.
Avant de se spécifier par sa dimension marchande, le caractère privé d’une école relève de son statut. Dès lors qu’elle n’est pas un établissement public, une école gagne des degrés de liberté et d’initiative par rapport au public, à commencer par la sélection de ses étudiants. Détachée d’une tutelle administrative, elle a l’initiative de son organisation, de ses programmes, de ses embauches et de sa tarification. Mais ces caractéristiques communes au secteur privé s’accommodent de statuts et de projets différents. La distinction de plusieurs sphères est utile, même si on prend le risque de simplifier et de négliger leurs zones de recouvrement.
La sphère associative de projet
Le statut d’association est de droit privé. Il n’est pas en soi porteur d’une intention, mais il est très largement adopté par des écoles dotées d’une finalité pédagogique prévalente. C’est le cas de la cinquantaine d’écoles privées reconnues comme écoles d’ingénieurs par la commission qui délivre le titre. C’est aussi le cas de structures à vocation professionnelle, parfois adossées à des fédérations professionnelles et dotées d’un CFA ; le CESI (Campus d’enseignement supérieur et de formation professionnelle) en est l’archétype. Ce type d’association est animée par des représentants des professions ou par des anciens élèves. Leur caractère désintéressé les rend plus facilement éligibles aux subventions extérieures.
Il convient de souligner l’action méritoire d’écoles associatives, dont l’horizon financier se limite à la recherche de l’équilibre, à moindres frais pour les étudiants. Elles n’en sont pas moins exigeantes pour la qualité de leur service et savent parfois convaincre la puissance publique de soutenir leur projet.
Une mention particulière doit être décernée aux maisons familiales rurales (MFR). Principalement dédiées à l’enseignement secondaire, sur un modèle d’internat éducatif, plusieurs d’entre elles délivrent des BTS. On ne compte pas moins de 470 associations MFR et 90000 apprenants. Leur financement est partagé entre les familles et les bailleurs publics.
La sphère consulaire
Les chambres de commerce et d’industrie (CCI) exercent un rôle actif dans la formation post-bac. À l’origine, les formations consulaires étaient des services internes aux CCI, subventionnés comme tels. Les écoles étaient des marques mais ne disposaient pas de statut particulier. Cette organisation perdure, et concerne encore le réseau des écoles EGC (écoles de gestion et de commerce) qui délivrent un bachelor de gestion ainsi que des services de formation continue tels que CCI Campus Alsace, Campus du Lac à Bordeaux, Sup’TG Niort (CCI des Deux-Sèvres), École de Savignac (CCI de Dordogne), etc.
Mais la tendance est à l’autonomisation des écoles consulaires tant pour leur régime juridique que pour leur financement. Elles adoptent deux types de statut. Les unes deviennent des associations, dont la gouvernance est partagée entre des représentants de la CCI, des anciens élèves, des entreprises et des enseignants. Le second statut de droit privé, créé en 2014, est celui d’établissement d’enseignement supérieur consulaire (EESC). Le capital d’un EESC est ouvert aux investisseurs sous une forte contrainte de répartition du capital : les investisseurs ne peuvent pas disposer de plus d’un tiers du capital, et la participation de la CCI ne peut pas être inférieure à 51% de ce capital. Le reste est ouvert aux représentants des anciens élèves et des personnels. La part de la CCI au capital correspond souvent à un apport en nature, par transfert à l’EESC des actifs immobiliers occupés par l’école. Bien qu’ils restent sous une gouvernance contrôlée par les CCI, les EESC prennent leurs distances en fonctionnement et en financement. Mais les barrières statutaires à l’entrée dans leur capital sont dissuasives pour des fonds en quête de performance.
La sphère catholique
Les instituts catholiques sont particulièrement actifs à Lille, Paris, Angers, et Lyon. Ils délivrent des formations de type universitaire et assurent une couverture importante d’écoles d’ingénieurs : Junia (Lille), ISEN (ex-Yncréa Ouest), ICAM (fondé par les jésuites), ECAM. L’organisation UniLaSalle d’origine canadienne qui s’implante en France s’inscrit dans ce courant. L’enseignement catholique supérieur est également présent dans les lycées avec des classes de BTS et des classes préparatoires.
La sphère actionnariale
Propriété d’une famille ou d’un groupe d’actionnaires (investisseurs, dirigeants), les écoles actionnariales ont un statut de société commerciale, le plus souvent de société anonyme. La performance ne vise pas seulement à atteindre l’équilibre financier mais à dégager la meilleure rentabilité. En cela, la sphère actionnariale se distingue des autres. On y trouve des établissements peu scrupuleux : l’éventail de la qualité s’y déploie sans doute plus largement qu’ailleurs.
Sphère consulaire : quelques établissements autonomes
Diplômes et titres délivrés
C’est le cas dans les filières médicales (pharmacien…), paramédicales (infirmier…), sociales (éducateur de jeunes enfants…) ou en architecture.
Le baccalauréat et le doctorat sont les deux autres grades universitaires.
La CEFDG délivre aussi un simple « visa » à des formations en attente du grade. Des formations privées peuvent ainsi obtenir un visa « nu ».
Les diplômes
Les établissements publics supérieurs délivrent deux types de diplômes :
- les « diplômes nationaux », dès lors que l’établissement est accrédité par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) pour ce faire. Ces diplômes ne sont pas astreints à suivre un programme uniforme, leur réputation et celle de l’établissement qui les délivre vaut donc autant que leur qualificatif. Ils sont cependant requis pour accéder à certains concours de recrutement dans la fonction publique. Les diplômes nationaux sont astreints à respecter les droits d’inscription fixés nationalement chaque année ;
- les « diplômes propres », conçus par l’établissement et dont les droits de scolarité, sont librement fixés. Ils sont éligibles à l’obtention d’un grade de licence ou de master. Certains « grands établissements » publics délivrent des diplômes propres en lieu et place d’un diplôme national, assortis du grade afférent.
Les établissements privés ne peuvent pas délivrer de diplôme national mais ils peuvent en assurer la préparation. C’est souvent le cas pour le BTS ou certains diplômes de professions réglementées 10. Les appellations de licence et de master sont réservées aux diplômes nationaux. Le bachelor ou le mastère sont donc devenus des appellations alternatives et suggestives des écoles privées. Comment les établissements privés ayant une ambition diplômante composent-ils avec la réglementation des diplômes ?
Ils visent d’abord à l’obtention du grade qui donne l’équivalence d’un diplôme national. Le grade est attribué au diplôme et non à l’établissement 11. On pourra ainsi connaître un bachelor avec grade de licence ou un mastère avec grade de master. Pour les écoles de management, l’attribution du grade est instruite par la commission d’évaluation des diplômes et formations de gestion (CEFDG) composée par le MESRI. Le grade est attribué pour une période de 3 à 5 ans renouvelable. On dénombre aujourd’hui 92 diplômes « privés » ayant grade de master et 47 ayant grade de licence 12.
En deuxième lieu, dans un objectif de standardisation de la qualité de ses écoles, la Conférence des grandes écoles (CGE) a déposé les marques de « mastère spécialisé » et de « MSc – Master of Science », dont l’usage est subordonné au respect d’un cahier des charges. La CGE a accrédité quelque 391 mastères spécialisés et 171 MSc.
Enfin, pour les écoles d’ingénieurs, la Commission des titres d’ingénieur (CTI) a le monopole de l’attribution du titre. Quelque 53 écoles d’ingénieurs privées ont obtenu ce titre.
Quant aux BTS, ils peuvent être préparés dans un établissement public ou privé (sous contrat ou non), dans un CFA ou dans un organisme de formation. Si le programme de formation est libre, l’examen de délivrance du diplôme relève d’un jury désigné par le recteur d’académie.
À ce panorama des diplômes, des grades, des titres et des visas, il convient d’ajouter le foisonnement de la communication des écoles. À défaut de reconnaissance, elle vantera le niveau de la formation : niveau Bac +3 ou niveau Bac +5. Le terme de bachelor s’est répandu comme une traînée de poudre, sa diffusion contribuant à alimenter sa notoriété et à entretenir l’idée qu’il correspondrait à un standard validé par quelque structure officielle.
Les titres
Il reste le sujet du RNCP qui liste dans un même ensemble les titres à vocation professionnelle. Quelque 2700 « compétences » ont été identifiées au niveau des branches professionnelles. Les écoles privées sont d’autant plus motivées à enregistrer leurs formations au RNCP que les formations éligibles aux contrats d’apprentissage doivent figurer au répertoire. Par ailleurs le RNCP classe les diplômes et les formations par niveau.
Cette typologie se prête à des présentations suggestives de la part de certaines écoles. Par exemple une formation inscrite au niveau 6 du RNCP pourra être facilement assimilée à un diplôme équivalant à la licence.
Dans un objectif de double régulation de l’apprentissage et de la communication des écoles, France compétences se montre plus exigeante pour l’accès des formations au RNCP, mais ne parvient pas toujours à opérer une distinction pertinente dans l’offre des titres.
Labels et accréditations des écoles
Sur un marché commercialement agressif, les offreurs rivalisent dans l’affichage de garanties de qualité. La bataille ne se joue pas seulement sur la nature des diplômes et des titres dispensés par l’école, elle engage aussi des labels de toutes sortes.
IG comme Intérêt Général
L’idée a germé parmi les établissements privés catholiques d’étendre à l’enseignement supérieur le type de contrat public liant les établissements agricoles privés et le ministère de l’Agriculture depuis la loi Rocard de 1984. Ce contrat est fondé sur le constat que l’établissement privé remplit une mission de service public qui, à défaut d’école privée, devrait être assurée par des établissements publics. Une forme réduite de ce contrat a été créée en 2013 pour l’enseignement supérieur privé.
Label EESPIG
Cette disposition exclut les écoles actionnariales (sociétés commerciales). En outre, elle opère un curieux tri entre les écoles de la sphère consulaire selon qu’elles ont choisi un statut d’association (éligible à l’EESPIG) ou un statut d’EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire) exclu a priori du label.
Des établissements supérieurs privés peuvent faire valoir leur concours à « l’intérêt général » et recevoir de la part du MESRI le label d’établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG). Un contrat pluriannuel est alors signé entre l’établissement et le ministère assorti d’une subvention budgétaire. Il a pu arriver que ce contrat ne soit pas renouvelé si l’établissement n’a pas tenu ses engagements ou a changé de statut.
Les EESPIG doivent satisfaire trois conditions :
- seuls les établissements créés par des associations, des fondations reconnues d’utilité publique, ou des syndicats professionnels sont éligibles au label 13 ;
- pour être reconnu EESPIG, l’établissement doit justifier « d’une gestion désintéressée » et s’engager sur le caractère non lucratif de son activité ;
- l’établissement doit déposer un dossier de candidature témoignant de sa contribution qualitative aux six missions de service public énoncées dans le code de l’éducation : formation, recherche, insertion professionnelle, diffusion des savoirs, engagement européen et ouverture internationale. À l’instar des établissements publics, les EESPIG sont soumis à une évaluation périodique par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) dédié à cette tâche.
Quelque 64 établissements (ci-après la liste des établissements), accueillant 160000 étudiants, sont aujourd’hui titulaires du label EESPIG. Cet ensemble recrute largement dans la sphère des associations de projet et dans la sphère catholique.
Il existe d’autres labels divers et variés. Comme pour les EESPIG, tous les autres labels sont délivrés par le MESRI. Ils sont principalement destinés à qualifier la nature des diplômes dispensés. Il en est ainsi par exemple des labels « BTS contrôlé par l’État », « Diplôme d’ingénieur contrôlé par l’État », « Diplôme conférant grade de licence contrôlé par l’État », etc.
Accréditations internationales
Issues d’initiatives de la société civile, la raison d’être des accréditations internationales est de distinguer les écoles satisfaisant à des standards de qualité incontestables sur plusieurs critères : les contenus enseignés, la qualité du corps professoral, les valeurs transmises aux étudiants, leurs débouchés professionnels, le cadre de vie, l’ouverture sociale, le fonctionnement de l’organisation, la gouvernance, l’ouverture internationale, etc.
Ces accréditations ont donc une fonction d’assurance qualité. Renouvelées périodiquement, elles donnent lieu à la rédaction d’un rapport d’auto-évaluation par l’école, à la visite d’un comité d’évaluateurs et à la décision d’une instance qui, traitant de l’ensemble des dossiers, est à même d’apprécier la qualité relative de chacun d’eux. Ces évaluations ont joué un rôle moteur dans l’amélioration de la qualité des écoles.
Elles ont également eu le mérite d’inspirer les évaluations mises en place pour les établissements publics depuis 2007, d’abord avec l’AERES (agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) à laquelle a succédé le HCERES (Haut-Conseil à l’évaluation).
Dans le domaine du management, trois accréditations dominent : EQUIS (European Quality Improvement System), AACSB d’origine américaine (Association to Advance Collegiate Schools of Business), AMBA (Association of Masters of Business Administration). La conquête des trois accréditations (la « triple couronne ») est devenue un facteur distinctif. Mais à mesure qu’elles ont produit leur effet sur la qualité des écoles, les accréditations sont devenues moins prestigieuses sans pour autant se banaliser.
Les 64 « EESPIG » (mars 2023)
Des consommateurs moins protégés dans leur choix
Dans un marché optimal, les défauts de qualité des entreprises sont sanctionnés par l’évitement des consommateurs avertis et informés. Cette force de rappel du marché est relativisée à deux titres dans l’enseignement supérieur privé.
En premier lieu, l’achat d’une formation est un acte unique. La déception du client le cas échéant ne l’amène pas à changer de fournisseur. L’engagement financier du client et la complétude du cycle de formation qu’il a choisi le fidélisent. La concurrence s’exerce à l’entrée du cursus. Une fois intégré à l’école, le client lui est acquis. La bataille pour la conquête des nouveaux entrants est donc intense et les groupes déploient des moyens puissants de marketing. Les sites web sont très bien conçus pour attirer les candidatures. Les visiteurs n’accèdent à aucune information substantielle sans déposer leurs coordonnées. De véritables call centers prennent alors le relais pour contacter les clients potentiels – les prospects –, les inviter à un rendez-vous et leur proposer un échéancier d’inscription souvent présenté sous la contrainte du nombre de places disponibles. En ce sens, l’inscription dans les écoles de ce type joue sur une relative captivité de la clientèle, le plus dur étant de décrocher le contrat. Il reste que la conquête des candidats repose d’abord sur la nature de l’offre en termes de contenus de formation, de conditions matérielles d’accueil et de perspectives d’emploi à l’issue de la formation. Le premier geste de marketing d’un investisseur financier repose sur l’affichage de sa créativité et de ses services. Les écoles sont nombreuses à afficher les « dix bonnes raisons » de les choisir.
Comparaison de deux communications entre deux écoles anonymisées
Par un second aspect, le critère de la qualité est moins discriminant dans l’enseignement supérieur que dans d’autres secteurs. En effet, le client manque de points de comparaison entre le service qu’il reçoit et d’autres de la même nature. L’étudiant dont les parents apportent une contribution financière significative n’est pas enclin à les décevoir en exprimant son mécontentement. L’intérêt des étudiants et des diplômés n’est pas d’entacher la réputation de leur école sur le marché du travail. Ces facteurs propres à la psychologie des consommateurs apportent aux prestataires une relative protection malgré d’éventuels défauts de qualité.
En 2022, la direction générale de la concurrence, de la consommation, et de la répression des fraudes (DGCCRF) a enquêté sur les pratiques abusives dans le supérieur privé. Plus de 56% des 80 établissements contrôlés se sont avérés être en anomalie sur au moins un des points de la réglementation. La DGCCRF a adressé 72 avertissements, 38 injonctions et 4 procès-verbaux pénaux 14. Les enquêteurs ont constaté dans la communication de plusieurs établissements :
- l’usage de mentions valorisantes dépourvues de toute justification vérifiable comme, par exemple, des mentions sur l’employabilité post-diplôme ou sur des partenariats non formalisés avec des grandes entreprises ;
- des avis partiaux – car provenant de consommateurs devenus des employés de l’établissement – rendus via Google ;
- l’utilisation de termes tels que « licence », « master » ou « doctorat » ou d’un terme approchant, sans que l’établissement y soit habilité ;
- des manquements dans l’information précontractuelle, l’information sur les prix et l’absence de remise de facture (dans près d’un établissement contrôlé sur deux).
Enfin des clauses abusives ou illicites dans les contrats ont été relevées dans 40% des établissements contrôlés, par exemple une clause réservant à l’établissement le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives à sa durée, à ses caractéristiques ou à son prix. contrôlés se sont avérés être en anomalie sur au moins un des points de la réglementation.
Les modèles actionnariaux
Indépendants et groupes
La course à la taille et aux acquisitions par les groupes n’occupe pas tout l’espace du secteur privé. Ces groupes privilégient des implantations géographiques à forte concentration de population et délaissent les villes moyennes, tandis qu’une école régionale pourra mailler son territoire en visant le déploiement d’une offre de proximité. Les groupes n’empêchent pas davantage certaines écoles de prospérer en grande agglomération, fortes de leur spécialisation et de leur réputation. De nouveaux entrants s’acclimatent au secteur : Accelis en région parisienne, IES à Rouen, IRIIG à Lyon, Mewo à Metz, etc. Les écoles indépendantes sont pour beaucoup d’entre elles des entreprises florissantes dans la durée, et disposent d’une surface financière solide. Il en sera ainsi tant qu’elles conserveront une position de quasi-monopole sur leur ressort géographique et qu’elles pourront suivre à leur échelle le déploiement de cours en ligne. La poussée des groupes n’annonce donc pas la fin des petits acteurs ou des acteurs locaux. En se concentrant sur les capitales nationales et régionales, les grands groupes libèrent aussi un espace pour des intervenants locaux et multilocaux.
Le domaine de formation
Un premier ensemble est constitué des écoles spécialisées dans un domaine tel que l’hôtellerie, l’ostéopathie, la kinésithérapie, l’optométrie, la mode, la gastronomie, le journalisme, la communication, la préparation aux concours, l’ingénierie de spécialité, l’immobilier, les langues, etc. À côté de cet ensemble, figurent les écoles généralistes : le management ou plus largement les métiers du tertiaire, l’ingénierie, les sciences humaines et sociales (instituts catholiques), les arts et la création, etc. Cette distinction entre spécialistes et généralistes n’efface pas les situations intermédiaires. Où faut-il ranger une école de design dont les déclinaisons sont nombreuses jusqu’à l’architecture d’intérieur ? La digitalisation est transversale à tous les métiers de sorte qu’on ne sait pas toujours si le digital est le bouquet de diverses formations appliquées ou s’il est un outil de métiers distincts.
Les groupes peuvent être multidisciplinaires et réunir une large gamme de spécialités (comme Galileo) ou être concentrés sur un domaine : la santé pour Novétude et ISO, la communication et les médias pour Vendôme Education ou Mediaschool.
La marque
À chaque école est attachée une marque, même si l’école ne constitue pas une société juridiquement distincte. Les acteurs du secteur parlent de « marque-école » ou d’enseigne. Les groupes conservent une multiplicité de « marques-écoles » pour des raisons de marketing. Certaines marques sont porteuses d’une forte notoriété : Cours Florent, École Pigier, etc. La notoriété s’interprète aussi au niveau sectoriel : Silvya Terrade est une marque reconnue dans la coiffure. D’autres jouissent du prestige de leur nom : École Ducasse, École Thierry Marx. D’autres encore sont fortes de leur ancienneté et de leur réseau d’alumni : ESCE, ECE. D’autres enfin se veulent signifiantes : sup de web, sup de com, sup de mode, etc.
Cependant, quelques groupes déclinent une marque unique, surtout quand ils ont fait le choix d’une croissance organique par création de sites, plutôt que par acquisition de « marques-écoles » existantes. Il en est ainsi par exemple du groupe Ynov, du groupe Alternance ou du groupe ISO (optométrie).
Certaines écoles indépendantes s’efforcent de promouvoir une marque commune sans pour autant renoncer à leur indépendance :
- Scholis est une association de mutualisation d’expériences et de formations, entre des écoles locales de taille plutôt réduite. Ce réseau fédère aujourd’hui 47 établissements dédiés aux métiers tertiaires ;
- Skale réunit une dizaine d’écoles indépendantes visant à mutualiser leur communication et à évoluer vers un réseau de franchise ;
- HEP (pour humanisme, entrepreneuriat et professionnalisme) est une sorte de marque ombrelle créée par le même dirigeant de deux groupes, le groupe Compétences et Développement et le groupe IGS. Ainsi, le campus HEP de Lyon accueille les écoles de ces deux groupes sur la ville.
La gestion de groupe
On a pu identifier quelque 36 groupes, de tailles très différentes, avec un chiffre d’affaires compris entre une quinzaine de millions et plusieurs centaines de millions d’euros. Ils partagent la caractéristique de mutualiser leurs fonctions de support (système d’information, gestion comptable et financière, communication et marketing, etc.). Ils peuvent gérer leurs écoles non comme des entités juridiques distinctes mais comme des marques ou des enseignes rattachées à une même filiale. Les marques sont distribuées dans des locaux partagés. La diversité des formations au sein d’un groupe facilite la vente croisée : le client d’un programme est incité à suivre un complément de formation dispensé par le groupe.
La centralisation financière confère à la tête de groupe les moyens de réaliser des investissements lourds (équipement digital) et de réaliser des acquisitions. La surface financière du groupe lui facilite l’accès aux emprunts bancaires ainsi qu’aux fonds d’investissement. Le pilotage financier des plus grands groupes porte donc une attention particulière à la performance opérationnelle et à la remontée des dividendes vers les holdings décisionnelles.
Groupes d’enseignement supérieur privé en france
Trois centres de coût
Les trois principaux postes de coût sont l’immobilier, les enseignants et le marketing. La nature de ces coûts est différente selon les écoles : les unes sont locataires quand d’autres sont propriétaires, les unes recrutent un corps d’enseignants-chercheurs tandis que les autres mobilisent principalement des vacataires, les unes sont « accrochées » aux classements quand d’autres s’en détournent. Mais dans tous les cas, les charges des écoles sont dominées par ces trois centres de coût.
L’immobilier
Les locaux de l’école forgent l’image de celle-ci. Ils doivent donc tenir un certain standing, comme une contrepartie du prix des études payé par les familles. De plus, l’organisation de l’espace doit répondre aux fonctions des formations : cours, travail de groupe, études, conférences. Ces locaux doivent également être adaptés à la socialisation des étudiants, avec des espaces d’échange et de restauration légère. Enfin, la localisation des écoles dans la ville ressort comme un critère de choix. Il convient d’offrir des locaux dans des quartiers attractifs : ce peut être un quartier d’affaires pour une formation au management ou un quartier culturel pour des formations à la création. De manière générale, les clients sont sensibles à la localisation en tant qu’expression de leur aspiration à la vie étudiante ainsi qu’à leur perspective professionnelle.
Ainsi, le sujet immobilier est au cœur de la politique des entreprises du secteur. Elles y répondent de manière différenciée. Pour les groupes, leur première règle est d’optimiser le coût immobilier en mutualisant les locaux entre leurs différentes « marques-écoles ». Les sites locaux accueillent et distribuent plusieurs marques du groupe. Ainsi les sites sont dits intégrés, et la comptabilité du groupe peut s’appuyer sur des filiales locales multimarques.
Comment arbitrer entre la location et l’achat ? Ce choix est tributaire de deux facteurs : le prix du foncier (il est logique que les écoles se montrent plus volontiers acheteuses en province qu’en région parisienne), et le projet du chef d’entreprise. Si ce dernier s’inscrit dans une logique patrimoniale, l’accumulation d’actifs immobiliers peut représenter une forme de transmission familiale. Mais si l’objectif prioritaire de l’entreprise est de développer le nombre et la taille de ses fonds de commerce, alors la propriété immobilière devient un objectif subordonné à la croissance des marques.
La rémunération des enseignants
Dans une activité de service comme l’enseignement, la rémunération des intervenants représente un coût significatif. On en trouve la mesure soit dans le poste des salaires, soit dans la ligne des honoraires. Les écoles les plus ambitieuses s’efforcent de stabiliser un corps enseignant permanent. Celui-ci a deux vertus pour un établissement. La première est de penser et d’animer les programmes de formation diplômants. Il leur revient de concevoir la cohérence des programmes et de la défendre auprès des différentes instances d’accréditation. Leur seconde peut être, le cas échéant, d’abonder l’activité de recherche de l’école, par des publications scientifiques reconnues comme telles, et valorisées par les diverses instances d’évaluation et d’accréditation.
Il ne faut pas sous-estimer le coût du recrutement des enseignants qui publient des travaux de recherche pour les meilleures écoles. Le marché du travail des enseignants-chercheurs place au cœur de la négociation tout autant le niveau de la rémunération que la liberté d’action et de temps laissée au candidat pour publier. C’est un facteur discriminant entre les écoles privées. Celles qui sont soumises à l’évaluation par des instances scientifiques ou qui sont en compétition avec les meilleures institutions internationales se doivent de recruter un vivier d’enseignants-chercheurs reconnus de leur communauté scientifique. Et le coût de ce recrutement est d’autant plus lourd que les chercheurs négocient une charge d’enseignement allégée. Il en va très différemment des écoles professionnalisantes qui fonctionnent avec un corps d’enseignants vacataires, payés à l’heure.
Les cours diffusés en ligne s’adressent au même instant à un public illimité, puisque la contrainte de la capacité d’accueil est levée. Si le cours est enregistré, il peut être programmé à plusieurs reprises ou proposé en accès libre, de sorte que la palette de l’offre de cours s’en trouve élargie. Les entreprises de la formation professionnelle non diplômante se sont emparées de la formule en ligne pour multiplier les modules et les certificats. Le développement d’une plateforme de cours en ligne représente un investissement qui peut atteindre plusieurs dizaines de millions d’euros pour les plus grands groupes et la plateforme doit être mise à niveau régulièrement.
Le marketing
La conquête des clients cible des individus ou des entreprises, pour de la formation initiale ou continue. Les écoles du secteur privé, quel que soit leur statut, disposent d’équipes internes dédiées à la prospection. La communication en ligne (site et mailings) est le premier vecteur, mais les formes traditionnelles de publicité dans la presse ou par affiche ne sont pas négligées. Les salons (Studyrama, L’Étudiant) se sont démultipliés par thèmes ou par niveaux de formation, en présence ou en ligne. Le printemps est le temps des « JPO », journées portes ouvertes, organisées dans chaque école et parfois proposées en ligne.
Les grandes écoles de management ou d’ingénieurs portent une attention particulière aux classements et aux accréditations qui impactent leur attractivité auprès des étudiants. En management, la triple accréditation (EQUIS, AACSB, AMBA) est un minimum. Le classement Sigem (système d’intégration aux grandes écoles de management) hiérarchise les grandes écoles en fonction des arbitrages rendus par les élèves admis dans plusieurs écoles en même temps. Les journaux (Le Figaro, Challenges, etc.) établissent leur propre classement sur la base d’enquêtes. L’optimisation des classements mobilise des ressources humaines et financières dans les écoles.
La communication auprès des prospects sur les frais de scolarité est rare. Les sites préfèrent mettre en avant les formules de financement par les entreprises dans le cadre de l’alternance. De même, la documentation n’est accessible qu’après avoir déposé en ligne ses coordonnées, de sorte que les services clients prennent rapidement l’initiative d’une communication directe.
Un modèle de coût fixe
L’ouverture d’une école nécessite un investissement, c’est-à-dire une avance de fonds concentrée sur les trois coûts évoqués. De même, la création d’une formation entraîne des coûts. La spécificité de ces coûts est qu’ils sont indépendants du nombre d’étudiants inscrits à partir d’un certain seuil. Plus précisément, ces coûts sont couverts par un niveau plancher de recrutement, au-delà duquel tout nouveau client n’entraîne pas de coût marginal. Les frais de scolarité de l’étudiant supplémentaire représentent donc presque intégralement une marge nette. Si, par exemple, le coût global d’un programme est couvert par 15 inscrits, à partir du 16e étudiant, la recette de l’école est proche de 100%. C’est là une caractéristique de ce secteur d’activité qu’il partage avec d’autres, tels l’hôtellerie. Mais il s’y ajoute le fait que sa capacité d’accueil n’est pas toujours physiquement limitée. L’alternance des périodes de formation et d’apprentissage en entreprise autorise une optimisation de l’occupation des locaux.
Il en est de même de la mobilité internationale. Surtout, l’enseignement à distance permet de démultiplier le nombre des étudiants. Un des enjeux du développement digital des écoles réside bien dans l’opportunité qu’il offre d’augmenter le nombre d’inscrits, de réduire la pression immobilière, et d’optimiser le coût des intervenants. En même temps, la digitalisation représente elle-même un investissement important. Mais l’arbitrage entre son gain et son coût semble acquis.
Ce modèle économique de coût fixe est donc un modèle vertueux en termes financiers. Mais il se prête à la tentation de le pousser aux limites.
Le biais naturel d’un établissement fondé sur ce modèle est de faire du volume. Le biais du volume n’est pas présent dans toutes les écoles privées, et notamment pas dans celles qui savent limiter les effectifs à une jauge pédagogiquement acceptable. Mais ce biais n’est pas rare, et contribue sans doute à la critique portée au secteur lucratif.
Un modèle économique de coût fixe
Ainsi, ce modèle économique peut dégager un taux de marge (résultat/chiffre d’affaires) élevé. En outre, le dégagement du chiffre d’affaires n’exige pas d’investissement lourd en actifs corporels. Le rapport de la marge au montant investi, la rentabilité (résultat/actif) est donc potentiellement très élevé. C’est pourquoi il a retenu l’intérêt des investisseurs.
En termes de trésorerie, la gestion financière des écoles présente la particularité de percevoir les frais de scolarité en début d’exercice (quand ils ne sont pas réglés en plusieurs acomptes) et de disposer ainsi d’une avance de trésorerie importante. Cette avance dispense beaucoup d’entre elles de recourir à l’emprunt.
Enfin, comme dans toute société commerciale, la rémunération des investisseurs de l’enseignement privé peut prendre plusieurs formes, parmi lesquelles :
- le versement de dividendes. Dans un groupe structuré sur plusieurs niveaux intermédiaires de contrôle, les dividendes « remontent » soit pour être réinvestis dans des cibles prioritaires du groupe, soit pour alimenter la tête de groupe ;
- la réduction de capital. La société rend du capital à l’actionnaire en lui rachetant ses actions avant d’annuler celles-ci. L’arbitrage entre cette solution et le versement de dividendes répond principalement à des motivations fiscales ;
- la plus-value sur la cession de telle école ou de telle marque, vendue en tant que société ou que fonds de commerce. C’est la modalité privilégiée des fonds d’investissement qui entrent au capital pour une durée limitée de 5 à 7 ans ;
- la rémunération. Elle compense la contribution sur la base d’un contrat de travail ou d’un contrat de prestation parfois porté par une société du même groupe ;
- les loyers perçus. Ils procèdent d’une société immobilière, propriété des investisseurs, qui donne à bail ses locaux aux écoles du groupe ;
- la distribution d’actions gratuites. Attribuées aux dirigeants, ces actions constituent un capital qui se valorise en même temps que le groupe.
Des fonds investissent
La montée des fonds dans le secteur éducatif a commencé depuis plus d’une dizaine d’années. La rentabilité élevée du secteur ne pouvait pas les laisser indifférents, d’autant moins que les risques sont maîtrisés : la demande ne faiblit pas et l’investissement en immobilisations est limité.
L’attrait du secteur, combiné avec la disponibilité de liquidités abondantes dans les années 2010, a nourri l’engouement pour l’enseignement supérieur privé. Les prix de transaction ont grimpé jusqu’à atteindre 20 fois l’EBIT 15 de l’école (solde proche du résultat d’exploitation) ou 15 fois l’EBITDA 16.
Les fonds d’investissement mobilisent des capitaux apportés par plusieurs épargnants fortunés ou par des acteurs « institutionnels » (assurances, mutuelles, banques, etc.) qui diversifient leurs placements dans des fonds spécialisés et dédiés à un secteur d’activité. Il n’est pas rare que le « ticket d’entrée », (la somme minimale à confier au fonds) soit de 1 million d’euros.
Les fonds peuvent prendre le contrôle total de leurs cibles ou accompagner leur développement avec une participation au capital minoritaire, mais significative.
Un fonds choisit ses acquisitions sur la base d’une connaissance fine de chaque secteur d’activité : perspectives de croissance, intensité concurrentielle, menaces et opportunités technologiques, marges soutenables, rentabilité sur investissement, risques de toutes natures, etc. Cette connaissance ne met pas l’investisseur à l’abri d’un échec (par exemple, une entreprise acquise qui décline jusqu’à déposer le bilan), mais un fonds d’investissement se protège de ce risque par la diversification de ses secteurs d’investissements et de ses cibles. Le fonds n’est pas un opérateur, il mesure l’évolution des performances, intervient dans les décisions en tant qu’actionnaire, mais n’assure pas la direction « exécutive ».
La performance d’un fonds se réalise à la revente sur la plus-value de l’entreprise qu’il a acquise et accompagnée. Pour doubler la valeur de sa mise dans un temps moyen de 5 à 7 ans, l’entreprise acquise doit dégager une rentabilité annuelle de 10% à 15%.
Le choix des fonds pour l’enseignement supérieur relève de cette logique. Il leur faut identifier des écoles à potentiel et les valoriser pendant la période de l’investissement. Pour atteindre les niveaux de rentabilité attendus, l’école acquise doit activer les bons leviers. La croissance du volume n’en est pas le moindre.
La plupart des fonds affichent leur portefeuille de participations dans les entreprises. Sous réserve d’inventaire, une trentaine d’établissements ont ainsi ouvert leur capital à des investisseurs. À l’inverse, de nombreux fonds, y compris parmi les plus grands, n’ont pas fait le choix d’investir dans l’enseignement privé, parce qu’ils privilégient d’autres secteurs d’activité, ou parce qu’ils n’ont pas identifié de cible attractive, ou encore parce que les prix de transaction leur paraissent trop élevés.
Enfin, deux sociétés sont cotées à Euronext : M2i et Eduform’action. Principalement versées dans la formation professionnelle, elles s’ouvrent à la formation initiale.
Et les autres ?
La diversité des écoles trouve aussi sa traduction dans leur politique financière. De leur côté, les écoles associatives (y compris catholiques) ou consulaires ne rendent pas de compte à un actionnaire et elles ne distribuent pas de dividendes. C’est un caractère majeur, même si elles ne sont pas en dehors du marché.
Les grandes écoles de management supportent une quadruple contrainte financière :
- elles sont tenues d’employer un corps permanent d’enseignants-chercheurs sur un marché du travail très compétitif ;
- les accréditations internationales les contraignent à maintenir une qualité de service de bon niveau ;
- leur ancrage géographique fait partie de leur histoire et de leur image, elles ne déménagent pas au gré des locations, même quand le financement de leur campus est amorti, son entretien pèse lourd ;
- le développement international, par implantation ou par réseau, induit également un budget important.
Certaines écoles consulaires ont perdu le bénéfice des subventions que leur versaient les CCI depuis que l’État a réduit les ressources des Chambres en supprimant l’impôt de production des entreprises qui les alimentaient. Dans l’ensemble, cette perte de subventions a été plus que compensée par les écoles, avec la croissance de leurs frais de scolarité et de leurs formations (bachelors). En outre, les écoles consulaires peuvent compter sur les CCI pour soutenir leurs efforts d’investissement immobilier.
Les grandes écoles associatives d’ingénieurs doivent investir dans des équipements et des installations plus lourds qu’une école de management. En outre, leur sélectivité est par nature plus élevée en raison du niveau scientifique requis, elles sont moins enclines à céder au biais du volume. Enfin, en raison de leur vocation et/ou de la composition sociale de leur recrutement, elles sont incitées à maîtriser les frais de scolarité. De sorte que les subventions publiques d’exploitation leur restent nécessaires. De même, les écoles catholiques, plus attentives à contenir leurs frais de scolarité, bénéficient-elles de subventions publiques, soit au titre du contrat quand il s’agit de lycées (classes préparatoires) ou du statut d’EESPIG, soit au titre de leur contribution locale à l’enseignement supérieur.
Le temps des porosités
Formation initiale et formation professionnelle
Voir travail-emploi.gouv.fr
École privée supérieure ou organisme de formation ? La frontière fonctionnelle tend à s’estomper.
Les établissements privés d’enseignement supérieur technique
Ils ont vocation à délivrer des formations initiales, sanctionnées parfois par un diplôme, parfois par un titre.
Ils peuvent assurer la préparation aux diplômes nationaux ou d’État : diplômes d’État de masseur-kinésithérapeute ou d’éducateur spécialisé, BTS de toutes spécialités, diplômes nationaux du parcours d’expertise comptable (DCG, DSCG), diplôme national d’art (DNA), instituts de formations en soins infirmiers (IFSI) privés, etc. De même, certaines écoles se sont-elles spécialisées dans la préparation aux concours d’entrée dans telle ou telle filière.
Ces établissements délivrent aussi des formations diplômantes par la vertu d’une marque de qualité : diplôme d’école avec visa ou grade, titre d’ingénieur, mastères spécialisés ou MSc de la CGE.
Au-delà, et en plus grand nombre, les attestations de fin d’études délivrées par les écoles privées sont des appellations « maison », bénéficiant le cas échéant d’un titre du RNCP souvent présenté comme une sorte d’onction publique.
Les organismes de formation (OF)
De leur côté, les OF, centrés sur la formation professionnelle, ont comme première vocation de délivrer une formation qualifiante à des adultes en formation continue. Par ailleurs, leur qualité est reconnue par l’obtention du label Qualiopi 17, qui a ainsi fleuri sur nombre de sites de formation.
Pourtant, la frontière n’est pas étanche entre les établissements privés et les OF : les premiers peuvent dispenser de la formation continue quand les seconds préparent à certains diplômes. Mais ils se distinguent par leur destination originelle : les uns sont a priori dédiés à la formation initiale quand les autres sont orientés vers la formation continue.
La tendance perceptible, bien que difficilement quantifiable, est au mélange des genres entre écoles et OF. Les établissements d’enseignement supérieur technique ont compris l’intérêt de délivrer des formations courtes, y compris en ligne, à des clients qui payent éventuellement avec la liquidation de leur compte personnel de formation (CPF). De plus, le développement de l’apprentissage a familiarisé les écoles avec un usage performant des RNCP. Il n’est plus rare qu’une école cumule en même temps les statuts d’établissement technique privé et d’organisme de formation (y compris un CFA). La même enseigne proposera des diplômes, des titres RNCP et des certificats qualifiants. Inversement, des OF, en bons praticiens de l’alternance, étendent leur métier en amont, vers la formation initiale.
Public et privé : où est la frontière ?
Où est la frontière quand les grandes écoles consulaires acquièrent un statut de droit privé (association ou EESC), et que leurs étudiants sont très largement formés dans les classes préparatoires des lycées publics ? Quand certains établissements publics élargissent la base de leur budget à des financements propres dans une proportion significative ? Quand des fonds d’investissement prennent le contrôle d’établissements délivrant des diplômes nationaux ou des grades équivalents ? Quand les subventions publiques sont indispensables à l’équilibre financier de certains établissements privés ? Quand la politique publique finance l’alternance des élèves accueillis en écoles privées ? Quand des universités publiques fédèrent dans un même groupement des établissements privés (Cergy, Assas, Nice, etc.) ?
À côté des soutiens publics, le secteur privé mobilise des financements considérables des entreprises, des familles et des investisseurs. Comme toute branche concurrentielle, il connaît des échecs, mais son modèle économique est porteur de hautes performances financières. Celles-ci ressortissent à la capacité à capter une demande solvable et à y répondre par une offre attractive. Si un étudiant sur quatre est inscrit dans un établissement privé et si le secteur connaît une forte croissance, il est difficile de lui contester une fonction d’utilité.
Les établissements publics, universités et écoles, portent sur cette réalité massive un regard plutôt distancié. Il est vrai qu’il y a de la distance entre une université de chercheurs et une école de niche professionnelle ; dans une large mesure, les uns et les autres n’exercent pas le même métier et ils n’accueillent pas les mêmes candidats. À chacun son rôle ? Si oui, alors le manque de moyens des universités ne saurait suffire à expliquer l’attractivité du privé. Faut-il pour autant se résigner à cette différenciation fonctionnelle ?
Du côté du secteur privé, les meilleurs établissements ont évolué vers le recrutement de professeurs permanents, docteurs dans leur spécialité. Certains s’inscrivent dans la compétition pour les classements en recherche. Mais cette catégorie représente une part minoritaire du secteur privé.
Le secteur public a quelque chose à apprendre du secteur privé. Il peut s’inspirer de ses qualités. Encadrement et employabilité sont les deux arguments de vente du privé, certes trop souvent au prix d’un prisme étroit et contradictoire avec une formation préparant à l’évolution des métiers, mais cette évolution n’échappe pas non plus aux radars des meilleurs opérateurs. Le public a des idées et de l’argent à prendre au secteur privé.
Les établissements publics ont aussi une forte marge de progression dans la délivrance de formations en apprentissage. C’est d’abord une formule pédagogique appréciée des étudiants à tous les niveaux de formation. Ils y gagnent en maturité et en familiarité avec le monde du travail auquel ils vont postuler. De plus, l’apprentissage apporte à l’établissement public une ressource financière bien supérieure aux droits d’inscription nationaux acquittés par les étudiants. Enfin, l’apprentissage est également une réponse à la précarité étudiante en permettant à l’étudiant apprenti un salaire alternatif aux « petits boulots ».
L’executive education prisée par les écoles privées fait aussi partie des missions des établissements publics. Cependant, elle y reste sous-développée. Il faut assumer que la relation avec des adultes (salariés, chômeurs, indépendants) exige un niveau de prestation pas toujours usuel en formation initiale : accueil, conditions de travail, suivi, etc. Comme il faut assumer que la « relation client », puisqu’il s’agit de cela, n’est en rien contradictoire avec la pleine liberté et la responsabilité académique. D’expérience, les universitaires qui interviennent en formation continue trouvent une satisfaction particulière dans l’interaction avec un public plus expérimenté que les étudiants.
Enfin, les établissements publics gagneraient à investir le champ des diplômes propres pour un public jeune choisi et solvable, à des tarifs plus bas et plus compétitifs que ceux des acteurs privés : pourquoi se résigner à laisser filer les frais de scolarité vers d’autres écoles ?
Vers la régulation
Une responsabilité sociétale
La force d’attraction du secteur privé et l’éclosion de grands groupes ont suscité la curiosité et provoqué un effet de notoriété. Plus conjoncturellement, la remarquable croissance de l’apprentissage a largement contribué au développement du secteur, en même temps qu’elle a révélé un paradoxe : tandis que l’État abonde en milliards d’euros le financement de l’apprentissage, celui-ci échappe à tout contrôle de qualité.
Parce que le privé élargit son périmètre et qu’il perçoit plus d’argent public, sa responsabilité sociétale se trouve accrue. De sorte que le sujet de la régulation a émergé. Le ministère de l’Enseignement supérieur a diligenté un groupe de travail. Galileo, le plus grand groupe actionnarial et premier acteur de l’enseignement supérieur privé, a formulé dix propositions pour la régulation. Des responsables d’écoles prennent la parole. Ils entendent marquer leur exigence qualitative et revendiquer leur proximité d’intention avec le secteur public. Les écoles consulaires ou associatives montent le ton de leurs critiques contre les « dévoiements » lucratifs de la formation. Elles entendent protéger leur réputation et ne pas subir l’amalgame avec des écoles qu’elles qualifient d’officines.
Ainsi, la porosité entre public et privé n’est pas univoque. La demande de régulation s’adresse aux pouvoirs publics, quand bien même elle gagnerait à s’organiser de l’intérieur même du secteur. En effet, le secteur privé ne peut pas s’exonérer de quelques observations critiques.
Les cas existent d’écoles qui abusent de la crédulité des familles et délivrent une très mauvaise qualité de formation, de service et d’employabilité. Conjoncturellement, la politique d’encouragement de l’apprentissage a induit un effet d’aubaine. On pourrait espérer que le marché « fasse le ménage » mais les promotions d’étudiants se renouvellent chaque année et l’expérience client n’est pas toujours transmise.
D’autres structures pèchent par opportunisme, plutôt que par tricherie. Leur qualité n’est pas en cause. En revanche, elles n’hésitent pas à accueillir en nombre des candidats sur une promesse d’emploi largement illusoire. Ces écoles doivent mieux informer leurs clients de l’incertitude des débouchés. Certes, cette incertitude n’est pas propre à ce type d’école privée, mais elles ont en propre de faire payer très cher la désillusion.
Le biais du volume n’épargne aucune école privée. La tentation de gonfler les effectifs est d’autant plus grande que les inscriptions supplémentaires rapportent une marge intégrale au-delà de la couverture des coûts fixes. La qualité du service rendu aux étudiants, et le taux d’insertion dans le métier choisi pâtissent des politiques de remplissage. Sur ce sujet, les clients disposent de peu ou pas d’information publique, encore moins d’engagement, à quelques exceptions près.
La communication des écoles mérite aussi d’être interrogée. Les sites web vantent des chiffres (insertion, réussite) difficilement contrôlables. Ils mettent parfois en avant des labels usurpés. Ils n’éclairent guère sur la nature des formations, en particulier le terme de bachelor, qui recouvre des substances très variables. Ils taisent pudiquement les frais de scolarité. Enfin, les techniques d’hameçonnage du client potentiel sont excessivement pressantes.
Cet ensemble de pratiques n’annihile pas les réalisations positives, dont il ne faut pas exclure en bloc toutes les écoles actionnariales. Mais le temps de la régulation de l’enseignement supérieur privé est venu, afin de mettre hors jeu les pratiques dévoyées, de promouvoir la qualité des formations et de conforter la défense du consommateur.
Des mesures en débat
La régulation met en jeu plusieurs questions parmi lesquelles :
- l’objet de la régulation : quels sont les sujets qui appellent un engagement des établissements ?
- le ressort du droit : quelles sont les obligations légales et/ou réglementaires auxquelles doivent être soumis les établissements ?
- les bonnes pratiques : elles sont volontaires mais rendues publiques et attestent d’un engagement non contraint de l’établissement.
- les instances : laquelle est garante du droit ? Laquelle valide les bonnes pratiques ?
Les dix propositions du groupe Galileo pour une régulation, non pas du secteur privé, mais de « l’enseignement supérieur professionnalisant » ont été transmises à la presse le 24 avril 202318. Galileo pose « comme premier impératif d’une bonne régulation de couvrir de la même manière l’ensemble du champ de l’enseignement supérieur professionnalisant, quel que soit son statut (public, associatif, privé) », et d’évoquer la performance en matière d’accès à l’emploi des étudiants. Faut-il comprendre que le secteur public n’est pas déjà fortement régulé ? Faut-il étendre au secteur privé les conditions d’accueil qui sont imposées au secteur public ? Où passe la frontière de la professionnalisation parmi les enseignements supérieurs ?
Dans quels domaines, avec quelles procédures la régulation peut-elle contribuer à la qualité du secteur privé ?
L’information des consommateurs
L’intérêt du secteur privé, comme l’intérêt général, demandent une meilleure information des familles qui doivent pouvoir faire le tri dans l’offre. Il conviendrait, par exemple, que tous les établissements communiquent sur les volumes horaires de leurs programmes, sur les disciplines enseignées et sur leurs tarifs.
L’analyse de la communication dans tous ses aspects (contrôle de légalité mais aussi qualité de l’information du consommateur) doit faire l’objet d’un suivi régulier. La DGCCRF ne suffira pas à y pourvoir. Des écoles pourraient prendre l’initiative d’une charte déontologique en la matière.
Galileo soutient la publication d’indicateurs en particulier pour l’employabilité des étudiants sur la base de données statistiques publiques.
Enfin, une instance de recours pour les consommateurs pourrait être instituée. L’Union professionnelle des employeurs de l’enseignement supérieur privé qui tente de se mettre en place s’honorerait de créer une médiation pour ce secteur, sur le mode des médiations de la consommation telles que celles du transport, de l’assurance, ou du tourisme. La commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation (CECMC) veillerait sur la médiation de l’enseignement supérieur privé (MESP) avec le même soin qu’elle apporte à toutes les médiations de la consommation.
L’évaluation des établissements
Des procédures existent déjà pour l’attribution des visas, des labels et des grades de diplômes. On pourrait leur adjoindre une procédure d’évaluation volontaire auprès d’un organisme indépendant. Le seul fait de ne pas solliciter une évaluation serait en soi un signal. Cette évaluation, dont le coût serait assumé par l’école, pourrait ressortir au HCERES qui évalue déjà les écoles consulaires et d’ingénieurs, ou à toute autre structure équivalente sous la double tutelle du ministère du Travail et du ministère de l’Enseignement supérieur. Comme pour tous les établissements publics, les rapports d’évaluation seraient rendus publics.
Galileo défend le principe d’une évaluation des enseignements par les étudiants et il est vrai qu’elle est devenue courante dans le secteur public. Le groupe évoque « un mode de recueil standardisé de ces appréciations (comme cela se fait dans certains pays, notamment au Royaume-Uni) 19 ».
La qualité des formations
Du côté de l’apprentissage, l’explosion quantitative soulève logiquement un problème de qualité posé comme tel par les responsables des CCI. La délivrance des titres RNCP reste cantonnée au ministère du Travail tandis que les diplômes relèvent de la compétence du ministère de l’Enseignement supérieur : cette coupure est-elle soutenable ?
Pour Alice Ghuilhon, directrice générale de Skema BS et présidente de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) : « L’État devrait délivrer une autorisation préalable, sur le modèle du visa, avant toute ouverture d’école. C’est de sa responsabilité morale ! Je trouve dramatique de voir que certains construisent un programme en supply chain avec un titre loué en ressources humaines ou en finance. C’est invraisemblable qu’il n’y ait aucun contrôle. Aucune école ne devrait pouvoir délivrer ou déposer de certification RNCP sans posséder au moins un visa. Les ministères de l’Enseignement supérieur et du Travail doivent se mettre autour d’une table pour avancer ensemble sur toutes ces questions. Et France compétences mieux contrôler la bonne utilisation du RNCP20 ».
Galileo partage l’idée d’une accréditation commune des ministères du Travail et de l’Enseignement supérieur, sous deux formes. Elle devrait remplacer la certification de chaque formation (l’attribution du titre RNCP), comme si le label Qualiopi autorisait ipso facto la délivrance de tout titre à la discrétion de l’école. De plus, la nouvelle accréditation devrait se substituer aux actuels visas de l’enseignement supérieur. On ne saurait mieux défendre la prééminence du ministère du Travail dans la diplomation.
La qualité des formations est évidemment redevable de celle des enseignants. Dans ce domaine, Galileo formule ses propositions les plus engageantes telles que : « Formaliser la procédure de recrutement des enseignants (à partir d’un certain volume d’heures) ; Prévoir une formation pour les enseignants à partir d’un certain volume d’enseignement ; Définir un équilibre entre la proportion d’enseignants réguliers (i. e. : un certain volume de cours) et des enseignants ponctuels (les spécialistes qui interviennent pour un nombre très restreint de séances). » Il reste à en définir les modalités d’application.
La publication des comptes
Le code du commerce (article L 232-23) fait obligation à toute société par actions de déposer au greffe du tribunal :
1) les comptes annuels, le rapport de gestion, le rapport des commissaires aux comptes sur les comptes annuels, le cas échéant, éventuellement complété de leurs observations sur les modifications apportées par l’assemblée aux comptes annuels qui ont été soumis à cette dernière ainsi que, le cas échéant, les comptes consolidés, le rapport sur la gestion du groupe, le rapport des commissaires aux comptes sur les comptes consolidés et le rapport du conseil de surveillance ;
2) la proposition d’affectation du résultat soumise à l’assemblée et la résolution d’affectation votée.
Cette disposition ne relève pas d’une logique de contrôle : celui-ci a été effectué par les commissaires aux comptes sur le plan de la licéité des pratiques commerciales et de la conformité aux normes. Dans l’ordre du contrôle également, le Trésor public exerce sa compétence, bien au-delà de la communication des états comptables. Au contraire, la publication des comptes participe de l’information économique mise à la disposition de tous les partenaires de l’entreprise : clients, fournisseurs, salariés, pouvoirs publics. C’est un élément de la régulation des marchés. Or, nombre d’entreprises, y compris dans l’enseignement supérieur privé, se dispensent de l’obligation de publication de leurs comptes, les unes par négligence, les autres par une sorte de précaution. Il est vrai que cette facilité a été élargie en droit aux entreprises dites moyennes, mais elle ne s’applique pas aux sociétés membres d’un groupe.
Il est également regrettable que certaines écoles associatives, dont certaines se veulent non lucratives contreviennent à l’obligation faite à toutes les associations de déposer leurs comptes annuels.
Avant de relever du droit, la publication des comptes s’inscrit comme une des bonnes pratiques des entreprises socialement responsables.
Conclusion
On a soutenu que l’opposition lucratif versus non lucratif n’était pas pertinente, ce n’était ni pour défendre la vertu des uns, ni pour éviter de stigmatiser les défauts des autres. Mais il y aurait quelque naïveté à ignorer la variété des modèles économiques. Certaines expressions contournent rapidement le sujet. Peut-on soutenir sans autre précaution que le sujet ne porte pas sur le modèle économique, mais sur la qualité des formations ? La formule est exacte… jusqu’au point où le modèle économique bouscule la qualité. Il peut la stimuler dans le bon sens en mobilisant des ressources au service de la formation, c’est là un défi pour le secteur public. Mais le modèle économique peut aussi contrarier la qualité quand le management de l’école a les yeux rivés sur le baromètre des cash-flow d’exploitation. Il n’y a pas non plus d’équivalence entre une école qui réinvestit ses gains et une autre dont le modèle est de remonter des dividendes et de valoriser son capital. Tous les modèles sont dans la nature, il ne faut pas nier leur diversité et leurs qualités inégales. Il est préférable de regarder chaque modèle pour ce qu’il est, et non pas seulement pour ce qu’en disent ses représentants.
La régulation de l’enseignement supérieur privé sera d’autant plus efficace qu’elle émanera des acteurs eux-mêmes. Ceux d’entre eux qui s’y engageront seront gagnants. Cela passe aussi par de la réglementation et par la promotion d’instances indépendantes.
Annexes
ANNEXE I
Conférences et associations professionnelles
Trois conférences jouent un rôle institutionnel de représentation auprès des pouvoirs publics, tandis que les associations, plus nombreuses, ont un caractère plus affinitaire. Une union professionnelle, ayant vocation à être reconnue comme une organisation patronale représentative, a également vu le jour.
Les conférences
La Conférence des grandes écoles (CGE). Elle regroupe 235 écoles, publiques et privées. Les critères d’admission concernent principalement la sélectivité du recrutement des étudiants, la délivrance d’un diplôme de niveau cadre et l’attention au débouché professionnel. Depuis 2022, la CGE a créé un nouveau statut de « grande école affiliée » permettant d’accueillir de nouveaux établissements d’enseignement supérieur d’excellence ne délivrant pas de master (bac+5).
La Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI). Elle représente plus de 200 écoles d’ingénieurs dont 53 privées.
La Conférence des directeurs des écoles françaises de management (CDEFM). Créée en 2021 par analogie et symétrie avec la CDEFI, la CDEFM a rapidement réuni l’ensemble des écoles de son champ d’activité.
Les associations
FESIC : Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif. Elle a été créée en 1969 par un groupe d’écoles catholiques pour faire prévaloir la mission « d’intérêt collectif » des établissements privés, confessionnels ou non. Aujourd’hui la FESIC veut être le meilleur promoteur du contrat d’EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général) qui associe les établissements privés aux missions de service public. Sur les 64 établissements labellisés EESPIG, 28 sont membres de la FESIC.
UGEI : Union des grandes écoles indépendantes. Elle regroupe depuis 1993 une quarantaine de grandes écoles dont l’indépendance veut être un marqueur.
UDESCA : Union des établissements supérieurs catholiques. Il s’agit des instituts de Paris, Lille, Lyon, Angers et Toulouse.
UNFL : Union des nouvelles facultés libres. Créée en 2004 à l’initiative de six établissements (IRCOM, IPC, ICR, ICES, Faco et Cephi), dont certains s’inscrivent dans un courant catholique traditionaliste.
EUPHE : European union of private higher education. Regroupe en France l’UGEI et l’UNFL.
Vers une organisation professionnelle de branche
Quatre associations (FESIC, UDESCA, UGEI et UNFL) ont déclaré la création d’une association le 1er décembre 2022 : l’Union professionnelle de l’enseignement supérieur (UPES). Domiciliée au siège de la FESIC, l’UPES a pour objet de rassembler les établissements « quelle que soit leur forme juridique, dont l’activité principale relève de la branche professionnelle de l’enseignement privé indépendant. »
L’UPES entend devenir une organisation professionnelle d’employeurs représentative, au sein de la branche professionnelle de l’enseignement privé indépendant (EPI).
ANNEXE II
EdTech France
À propos d’activité marchande relative à l’enseignement, l’association EdTech France est incontournable. Elle réunit plus de 450 entreprises. Une enquête menée par EY, l’association EdTech France et la Banque des Territoires en 2021 montrait que 85% des entreprises étaient concentrées sur la formation professionnelle, que près de la moitié s’adressait à tous les degrés de l’enseignement, et que seule une trentaine d’entre elles visait exclusivement l’enseignement supérieur.
Les entreprises de la EdTech sont des acteurs de plus en plus présents dans le déploiement de l’enseignement supérieur privé, c’est ainsi que certaines plateformes de e-learning ont été acquises par les groupes d’enseignement privé à des prix considérables.
Les entreprises de la EdTech conçoivent des produits soit pour les entreprises de l’éducation (B2B), soit pour le consommateur final (B2C).
Les offres aux consommateurs peuvent concerner l’apprentissage des langues (SPEEKOO, YESNYOU…), la traduction (LINGUEE…), l’aide à la révision (BENEYLU, PLUME…), le conseil à l’orientation (UP2 school, STUDIZZ, HELLO CHARLY…).
Les solutions proposées aux opérateurs de formation sont également diverses : outil d’e-learning, architecture d’école numérique, plateforme de collaboration en entreprise (BEECOME…), outils de conception digitale de formations, plateforme vidéo (UBICAST…).
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