Les assureurs face au défi climatique
Introduction
Le dérèglement climatique, une réalité pour les assureurs
Dans le monde
En France
Les événements naturels sont localisés géographiquement
Les événements naturels contribuent à l’inflation de l’assurance habitation
Les événements naturels en France : faits et chiffres
Le poids économique des assurances d’événements naturels
Tempêtes, inondations, sécheresses
La garantie « catastrophes naturelles »
La garantie « tempête, grêle, neige »
Les assurances sur les récoltes
Que faire face au coût croissant du dérèglement climatique ?
Faire payer plus cher ou refuser d’assurer
Privilégier quatre axes de progrès
Conclusion
Résumé
Près d’un demi-siècle de données assurantielles témoigne de l’aggravation des événements climatiques (tempêtes, inondations, sécheresses…) qui frappent les habitations, les entreprises et les récoltes agricoles en France et dans le monde. Face à ce coût croissant, comment les assureurs peuvent-ils réagir ?
Une première réaction peut être de se désengager, en refusant de couvrir les habitations trop exposées ou, tout au moins, en envoyant un signal prix fort.
Si cette piste ne doit pas être exclue dans certaines situations extrêmes, une autre approche doit être privilégiée pour la majorité des risques : renforcer la prévention et l’éducation aux risques naturels, mieux adapter les normes de construction aux aléas climatiques locaux, progresser sur certains aspects dans l’indemnisation et améliorer la gouvernance des organismes qui suivent les risques naturels par un meilleur partage de l’information entre acteurs publics et privés.
Arnaud Chneiweiss,
Ancien conseiller pour les affaires européennes de Dominique Strauss-Kahn et de Laurent Fabius au moment du passage à l’euro, il travaille depuis dix-neuf ans dans le secteur de l’assurance.
Après avoir été secrétaire général du réassureur Scor, directeur général adjoint de la Matmut, secrétaire général du Groupement des entreprises mutuelles d’assurance (Gema) et délégué général de la Fédération française de l’assurance (FFA), il est actuellement Médiateur de l’Assurance.
José Bardaji,
Ancien chef du bureau diagnostic et prévisions à l’international à la Direction générale du Trésor et chef de la division des études macroéconomiques à l’Insee, il travaille depuis quatre ans dans le secteur de l’assurance.
Il est actuellement directeur des études économiques et des statistiques à la Fédération française de l’assurance (FFA).

De l’assurance maladie à l’assurance santé

Le mutualisme : répondre aux défis assurantiels

Énergie-climat : pour une politique efficace

Une civilisation électrique (1) un siècle de transformations

Une civilisation électrique (2) vers le réenchantement

Prix de l’électricité : entre marché, régulation et subvention

Vers une société post-carbone

Énergie-climat en Europe : pour une excellence écologique
Introduction
Depuis le début de la crise sanitaire, l’expression « le monde d’après » est partout. Ce monde sera plus solidaire, plus responsable, plus écologique. Comme si nous étions enfin prêts à affronter des défis pourtant identifiés de longue date. Est-ce le sentiment que, face à une épidémie qui peut toucher chacun d’entre nous et alors que les salariés les plus modestes ont joué un rôle essentiel dans la vie du pays, les inégalités sociales et territoriales sont devenues insupportables ? Est-ce l’idée que ce terrible virus, apparemment d’origine animale et détecté d’abord à Wuhan, en Chine, viendrait de la destruction que nous causons à la planète et à la biodiversité ? Toujours est-il que ces déclarations ne garantissent rien quant à la mise en place de politiques différentes. L’humanité survivra au Covid-19 et la peur passera. Les premières préoccupations des gouvernements occidentaux ont déjà été faire repartir au plus vite la consommation automobile, le trafic aérien et de sauvegarder la saison touristique.
L’enjeu de la transition écologique peut sembler lointain alors que circulent des prévisions alarmistes sur le recul à deux chiffres de l’activité économique, le bond de l’endettement public et la forte montée du chômage – notamment des générations les plus jeunes qui essayent d’entrer sur le marché du travail – avec ce que cela peut signifier comme périls pour nos démocraties travaillées par le populisme. Pourtant, repousser à des temps meilleurs les enjeux de transition écologique et d’adaptation au changement climatique serait une grave erreur. Dans notre pays, la réalité du dérèglement climatique est bien là, et nous le montrons clairement dans cette étude à partir de données issues du monde de l’assurance sur une fenêtre temporelle longue de trente à cinquante ans. Et cette réalité croissante a un coût économique et social bien réel, particulièrement concentré sur certaines régions (en France, le Sud-Est et le Sud-Ouest en particulier).
Il est donc nécessaire d’engager sans tarder des politiques de prévention, d’éducation et d’aménagement du territoire pour adapter effectivement nos comportements aux modifications climatiques de notre territoire (sécheresse, inondations, tempêtes…). Faute de quoi, le coût économique et social du dérèglement climatique ira croissant, ce qui est potentiellement générateur de nouvelles inégalités et de tensions, pouvant conduire la population à s’interroger sur la solidarité entre les territoires de la République.
Le dérèglement climatique, une réalité pour les assureurs
Pour ces données, voir le site du service européen Copernicus sur le changement climatique.
Voir Nathalie Meyer, « La décennie 2010-2019 a été la plus chaude jamais enregistrée confirme la Nasa », futura-sciences.com, 16 janvier 2020.
Le réchauffement climatique est une réalité. L’année 2019 se classe comme la deuxième année la plus chaude dans le monde, à seulement 0,04 °C derrière 2016 1. La décennie 2010-2019 a également été la plus chaude depuis 1880 2, début des relevés modernes. Les effets du réchauffement climatique sont tout autant des réalités, qu’illustrent particulièrement bien les données collectées par les assureurs depuis plusieurs décennies, à l’international comme en France, aussi bien pour les assurances des habitations, les assurances des entreprises ou les assurances agricoles.
Dans le monde
Voir notamment Lucia Bevere, « Sigma 2/2019: Secondary natural catastrophe risks on the front line », Swiss Re Institute, 10 avril 2019.
Pour faciliter la comparaison, il s’agit de coûts à prix constants, en dollars 2019.
Deux enseignements peuvent être tirés des données internationales produites chaque année par Swiss Re 3, l’un des principaux réassureurs mondiaux. Tout d’abord, le nombre de catastrophes naturelles ne cesse d’augmenter : dans les années 1970, on recensait près de 50 catastrophes par an ; dans les années 1990 et 2000, ce chiffre a été multiplié par trois. Plus récemment, dans les années 2010, ce sont près de 200 catastrophes qui ont été recensées chaque année, soit quatre fois plus que quarante ans plus tôt. Ensuite, le coût de ces catastrophes croît rapidement : dans les années 1970, ce coût s’élevait à 24 milliards de dollars en moyenne chaque année ; dans les années 1990, ce coût a été multiplié par 5 et, au cours de la dernière décennie, par 8,8, jusqu’à atteindre 211 milliards de dollars de dégâts économiques en moyenne par an 4. Autrement dit, entre les années 1970 et les années 2010, le nombre de catastrophes naturelles a été multiplié par quatre, et le coût moyen qui leur est associé par 2,2.
La prolifération de ce type d’événement est une conséquence directe du réchauffement climatique. En revanche, l’accroissement du coût est plus difficile à apprécier lorsqu’on sait que la richesse a quadruplé sur cette même période. Cet accroissement du coût est-il lié au développement économique ou au réchauffement climatique ? Pour répondre à cette question, il serait nécessaire de connaître le développement économique des zones du globe sinistrées par les catastrophes naturelles, ce qui n’est pas une donnée fine disponible.
En France
Sur cette même période, les dix pays ou territoires les plus exposés aux événements climatiques étaient Porto Rico, la Birmanie, Haïti, les Philippines, le Pakistan, le Vietnam, le Bangladesh, la Thaïlande, le Népal et la République dominicaine. Voir David Eckstein, Vera Künzel, Laura Schäfer et Maik Winges, Global Climate Risk Index Who Suffers Most from Extreme Weather Events? Weather-Related Loss Events in 2018 and 1999 to 2018, GermanWatch, décembre 2019, tableau 4, p. 32-49.
Sont comptabilisées ici les catastrophes naturelles définies par le régime en vigueur depuis 1982, les sinistres affectant la garantie « Tempête, grêle, neige » (voir section 3) et les récoltes sinistrées couvertes par les assurances agricoles. Le coût est exprimé en euros constants 2018.
Fédération française de l’assurance (FFA), Impact du changement climatique sur l’assurance à l’horizon 2040, décembre 2015.
La France représente moins de 0,5% de la surface terrestre. Pourtant, elle peut être considérée comme un échantillon assez représentatif des phénomènes décrits ci-dessus, certainement en raison de l’étendue géographique des départements et régions d’outre-mer. Une étude de GermanWatch, association pour l’environnement et le développement, estime que la France est le quinzième pays le plus touché par des événements climatiques sur la période 1999-2018 5, mais le premier parmi les économies avancées, devant l’Allemagne (17e), le Portugal (19e), l’Italie (26e) et les États-Unis (27e).
Aussi, le constat à l’échelle de la France est sensiblement le même. Le coût des événements climatiques est passé d’une moyenne d’un peu plus de 1 milliard d’euros par an au début des années 1980 à une moyenne proche de 3 milliards d’euros au cours des dix dernières années 6. Une partie de cette inflation du coût des événements climatiques relève également de l’augmentation de la présence assurantielle couvrant les événements naturels, d’un effet de richesse et des conséquences de l’aménagement du territoire. Il est difficile de distinguer chacun de ces effets. Pour les vingt-cinq prochaines années, une étude prospective menée par la Fédération française de l’assurance (FFA) anticipe un quasi-doublement des sinistres liés au climat et quantifie à 35% la part incombant au seul changement climatique 7. Le réchauffement climatique se traduit bel et bien par des sinistres plus fréquents et plus coûteux, mais aussi localisés, comme nous allons le voir.
Coût des événements naturels en France sur la période 1984-2018 (en milliards d’euros)

Source :
Fondation pour l’innovation politique, données FFA.
Les événements naturels sont localisés géographiquement
Sur la période 1989-2018, les sinistres climatiques sont principalement localisés dans quatre départements : le Tarn-et-Garonne, l’Aude, le Lot-et-Garonne et le Tarn.Avec un indice de sinistralité maximal, ces départements enregistrent depuis trente ans le plus d’inondations,de tempêtes et de sinistres sécheresse en métropole. À titre d’exemple, le Tarn-et-Garonne se classe en première position des départements métropolitains en termes de fréquence de sinistres sécheresse et de sinistres tempête, et en vingt-sixième position pour les inondations.
Parmi les autres départements fréquemment affectés, on peut citer les Ardennes et le Gard pour les inondations ; les Landes, la Charente-Maritime, la Charente et la Gironde, en plus du Tarn-et-Garonne, pour les tempêtes ; le Val-de-Marne, le Gers et les Bouches-du-Rhône pour la sécheresse. Une corrélation étroite s’observe d’ailleurs entre la répartition des zones sinistrées et la présence à faible profondeur dans les sols de formations argileuses, qui présentent de fortes variations de volume en cas de modification de la teneur en eau.
À l’inverse, certains départements sont particulièrement épargnés par les événements climatiques. Les Hautes-Alpes, la Savoie et les Côtes-d’Armor sont les départements métropolitains qui enregistrent le moins de sinistres depuis trente ans, suivis par la Haute-Savoie et le Morbihan.
L’indice géographique de sinistralité (IGS)
L’indice de sinistralité, qui s’apparente à une fréquence de sinistres (rapport entre le nombre de sinistres et la matière assurée), permet d’offrir une visualisation géographique des départements les plus sinistrés par un événement climatique. Cet indice cumule les rangs des trois principaux sinistres climatiques : les inondations, les tempêtes (et la grêle) et la sécheresse.
Pour chaque catégorie de sinistres, une pseudo-fréquence est ainsi calculée au niveau départemental sur la période 1989-2018. Pour les inondations et les tempêtes, il s’agit du ratio entre le nombre de sinistres et le nombre de contrats. Pour la sécheresse, il s’agit de la proportion des communes sinistrées. Ces différents indicateurs correspondant à des pseudo-fréquences ne sont pas homogènes entre eux. En conséquence, une transformation préalable est nécessaire avant sommation. Chaque département est classé de 1, pour le moins sinistré, à 95, pour le plus sinistré. L’indicateur somme les trois classements puis est normalisé entre 0 et 1.
Toutefois, l’indicateur ne tient pas compte du coût de la sinistralité, ce qui constitue une de ses limites. Un sinistre sécheresse ou inondation a, en moyenne, un coût environ quatre fois supérieur à celui d’une tempête (ou d’un épisode de grêle).
Indice géographique de sinistralité en France métropolitaine*

Source :
Fondation pour l’innovation politique, données FFA.
* Les territoires d’outre-mer ne sont pas représentés sur cette carte en raison de l’absence de données assurantielles.
Plus encore que la métropole, les territoires d’outre-mer sont particulièrement exposés au risque climatique, non pas en fréquence mais en impact, avec des coûts moyens des sinistres parfois particulièrement élevés.
Il est toutefois important d’ajouter qu’il n’y a pas toujours correspondance entre la survenance d’un événement naturel et le niveau de sinistralité tel que relevé par les assureurs. C’est évidemment fonction du taux d’assurance mais également de la qualité du bâti. Certaines régions de France comme la Bretagne sont relativement préservées alors qu’elles sont exposées aux tempêtes, signe que le bâti y est particulièrement adapté.
Enfin, rappelons que l’exposition inégale des territoires aux événements climatiques est analysée sur une période longue de trente ans, période qui reste cependant courte dans le cadre d’une analyse climatologique. Elle exclut ainsi des événements non survenus, comme une crue de type de celle de 1910 en région parisienne ou un tremblement de terre dans le sud. En revanche, elle inclut les tempêtes Lothar et Martin de décembre 1999, parfois qualifiées de tempêtes millénaires. Un territoire épargné sur la période étudiée pourrait très bien être exposé dans le futur à la survenance d’événements naturels.
Les événements naturels contribuent à l’inflation de l’assurance habitation
+ 3,1% pour l’indice Insee contre + 3,3% pour la prime moyenne mesurée par la FFA.
Direction générale du Trésor et Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), « L’évolution des cotisations d’assurance automobile et habitation », janvier 2011.
Dans le jargon assurantiel, on parle de ratio combiné qui rapporte les charges de prestations aux Un ratio combiné supérieur à 100 % indique un résultat technique déficitaire.
La croissance des cotisations est plus élevée que celle de la prime moyenne en raison d’un effet volume (hausse du nombre d’habitations) couplé à une augmentation du taux d’équipement en assurance sur la période.
Calculé par la Fédération française du bâtiment (FFB), l’indice du coût de la construction (ICC) est un indice trimestriel calculé à partir du prix de revient d’un immeuble de rapport de type courant à Paris. Il enregistre les variations de coût des différents éléments qui entrent dans la composition de l’ouvrage. Ce calcul ne prend pas en compte la valeur des terrains.
L’assurance habitation, communément appelée multirisque habitation (MRH), connaît une hausse de la cotisation moyenne qui, de prime abord, interpelle. En effet, de 2000 à 2018, le prix de l’assurance habitation a crû en moyenne d’un peu plus de 3% 8 par an, soit une croissance plus de deux fois supérieure à celle de l’indice des prix à la consommation (+ 1,4%) et plus de trois fois supérieure à celle des prix de l’assurance automobile (+ 1,0%). Comment expliquer cette hausse, alors même que l’industrie de l’assurance habitation est particulièrement concurrentielle (plus de cent acteurs proposent leurs offres aujourd’hui sur ce marché en France) ? Au lendemain des tempêtes Klaus en 2009 (2,1 milliards d’euros de coût) et Xynthia en 2010 (1,7 milliard d’euros), les services du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie avaient expertisé la hausse des tarifs et conclu à des évolutions tarifaires largement expliquées par l’équilibre entre produits et charges des opérateurs dans le cadre d’un marché pleinement concurrentiel 9.
Cette concurrence intense est toujours présente. Entre 2000 et 2018, le résultat technique de la branche 10 a été négatif à treize reprises. De fait, les cotisations et les prestations affichent des dynamiques très proches. Naturellement, en raison des événements climatiques, les prestations connaissent un rythme bien plus heurté que les cotisations. Pour les contrats d’assurance habitation, la croissance de toutes les cotisations perçues et celle des prestations versées sont respectivement de 5,1 et 5,2% 11. Rappelons enfin que de nombreux contrats incluent une clause d’indexation à l’indice émis par la Fédération française du bâtiment (FFB) du coût de la construction 12, qui a crû de 3% en moyenne par an sur cette même période en raison de l’inflation des matières premières.
Cotisations et prestations assurance multirisque habitation (MRH)
Base 100 en 2000

Source :
Fondation pour l’innovation politique, données FFA.
Grille de lecture : entre 2000 et 2018, les prestations ont progressé de 150%, soit quasiment autant que les cotisations sur la même période.
Prestations assurance multirisque habitation (MRH)
En milliards d’euros

Source :
Fondation pour l’innovation politique, données FFA.
Les territoires d’outre-mer : des territoires surexposés
Les données statistiques sont plus parcellaires lorsqu’il s’agit d’étudier les événements climatiques dans les territoires d’outre-mer. L’assurance en outre-mer représente 1,7% de l’assurance non-vie en France, mais les indemnisations des événements naturels pèsent en moyenne 5,3% par an sur la période 1995-2018. Cette grandeur moyenne appelle les deux observations suivantes :
- il y a une très forte variabilité entre les années. La sinistralité en outre-mer est parfois quasi nulle, comme en 2001, mais elle peut aussi représenter la moitié de la sinistralité annuelle en France, comme en 2017 lors de la survenance des cyclones Irma et Maria aux Antilles. Hors années exceptionnelles (1999 pour la France métropolitaine et 2017 pour l’outre-mer), la sinistralité des événements naturels en outre-mer est ramenée à 2,4%, chiffre qui mesure mieux leur surexposition réelle ;
- le potentiel de sinistre majeur pose problème. Les cyclones Irma et Maria ont coûté 2 milliards d’euros aux assureurs pour 1,3 milliard d’euros d’encaissement total en assurance de biens et de responsabilité en outre-mer, soit 153%. À l’échelle de la métropole, cela représenterait un sinistre de 118 milliards d’euros, à comparer au plus gros sinistre recensé en métropole, de 12 milliards d’euros (tempêtes Lothar et Martin de 1999).
Poids de la sinistralité en outre-mer (en %)

Source :
Fondation pour l’innovation politique, données CCR, FFA.
De ce fait, l’assurance en outre-mer est spécifique. Elle repose, avant tout, sur un mécanisme de mutualisation beaucoup plus large que celle circonscrite sur une année à ces seuls territoires, aussi bien au niveau temporel qu’au niveau géographique. C’est aussi la raison pour laquelle la réassurance tient une place particulière. Cette dernière permet d’apporter une mutualisation à plus grande échelle. La Caisse centrale de réassurance a ainsi la capacité de faire jouer la solidarité entre l’outre-mer et la métropole sur ces sinistres. Autrement les événements climatiques ne seraient pas assurables dans ces territoires, et ce malgré toutes les mesures de précaution et de prévention envisageables.
Les événements naturels en France : faits et chiffres
Le poids économique des assurances d’événements naturels
Dans le monde assurantiel, les événements naturels regroupent trois types de couverture, pour un volume de cotisations de 3,8 milliards d’euros en 2018.
La première couverture est inhérente au régime créé en 1982 portant sur les catastrophes naturelles (« Cat Nat »). La cotisation correspond à un taux uniforme de surprime établi par les pouvoirs publics qui s’élève à 12 % sur les assurances de dommages aux biens des particuliers et des professionnels, et à 6% sur les garanties vol et incendie d’un véhicule terrestre à moteur (ou à défaut 0,5% sur la garantie dommages). Son évolution dépend étroitement de celle de ces branches d’assurances, indépendamment de la sinistralité d’une année. À titre d’illustration, la prime Cat Nat est de 26 euros en moyenne pour une habitation.
La deuxième couverture regroupe les garanties « tempête, grêle, neige » (TGN). La garantie tempête sur les biens est intégrée obligatoirement dans tous les contrats multirisques. Pour les contrats de particuliers, les garanties grêle et neige y sont systématiquement adossées. Contrairement au taux de surprime pour la couverture des Cat Nat, le prix de la garantie TGN est fixé librement par les sociétés et s’établit en moyenne à 26 euros pour les habitations, à 35 euros pour les petites entreprises (artisans, commerçants et prestataires de services) et à 290 euros pour les biens agricoles.
La troisième couverture correspond à l’assurance agricole et représente près de 150.000 contrats pour 501 millions d’euros de cotisations. Non obligatoire, elle recouvre les contrats spécifiques grêle sur cultures et l’assurance multirisque climatique sur cultures. Les premiers contrats assurent les cultures de céréales, de colza, de vignes et de fruits contre la grêle et affichent une prime moyenne de 2.220 euros HT. Créés en 2005 à l’initiative conjointe des pouvoirs publics, des assureurs et des professionnels du secteur, les seconds contrats couvrent les cultures de vente (grandes cultures, vignes, cultures fruitières et maraîchères) et d’autoconsommation (prairies) contre les aléas climatiques, principalement la grêle, le gel, l’inondation, la sécheresse et la tempête. La prime moyenne y est plus élevée : 4.680 euros HT en moyenne.
Poids économique des assurances d’événements naturels

Source :
Fondation pour l’innovation politique, données FFA.
Note : la prime moyenne porte sur une habitation pour les couvertures CAT NAT et TGN, et sur les cultures pour les assurances agricoles.
Tempêtes, inondations, sécheresses
Voir « Sécheresse géotechnique », Lettre d’information de la Mission Risques naturels, nº 30, juillet 2019, p. 2-3.
Depuis 1989, on a recensé en France six séismes d’envergure, pour un coût total de 289 millions d’euros dont le plus important est celui qui a frappé Annecy en juillet 1996 (coût de 107 millions d’euros).
En 2018, le coût des sinistres climatiques s’est élevé à 3,4 milliards d’euros, montant supérieur de près de 1 milliard à la moyenne des dix années précédentes. Toutefois, pour apprécier cette sinistralité, il est nécessaire de l’observer sur une longue période. Depuis trente ans, le coût de la sinistralité atteint 78 milliards d’euros, dont 34 milliards au titre du régime Cat Nat, 36 milliards au titre de la garantie TGN et 8 milliards au titre des récoltes. Au regard des types d’événement, les tempêtes sont celles qui ont généré le coût le plus important au cours de ces trente dernières années en France (42% de l’ensemble). Les inondations arrivent en deuxième position, puis vient la sécheresse 13. Outre les récoltes, déjà mentionnées, ajoutons les dégâts occasionnés par les épisodes de grêle et un reliquat de sinistres pour près de 2 milliards d’euros qui portent essentiellement sur ceux provoqués par le poids de la neige et par des séismes 14.
Coût des événements climatiques sur la période 1989-2018 (en milliards d’euros)

Source :
Fondation pour l’innovation politique, données CCR, FFA.
Sur cette même période, les principaux événements naturels, définis ci-après comme ceux d’un coût assuré supérieur à 500 millions d’euros, sont au nombre de vingt-neuf, soit quasiment un par an. Ils ont occasionné un coût de 39 milliards d’euros, soit la moitié du coût total. Le principal événement demeure les tempêtes Lothar et Martin de décembre 1999, qui à elles seules ont provoqué des sinistres d’un peu plus de 12 milliards d’euros d’aujourd’hui. L’inflation de la sinistralité est ici encore perceptible car au cours des dix dernières années, treize événements majeurs ont été dénombrés pour un coût de près de 14 milliards d’euros.
Principaux événements naturels sur la période 1989-2018

Source :
Source : Fondation pour l’innovation politique, données CCR, FFA.
* Coûts en euros constants 2018 revalorisés par l’indice de la Fédération Française du Bâtiment.
La garantie « catastrophes naturelles »
Le régime légal des catastrophes naturelles est encadré par la loi du 13 juillet 1982. Aux termes de la loi, « sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles […] les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises 15 ». La garantie « catastrophe naturelle » permet ainsi d’indemniser les dégâts causés par une catastrophe naturelle uniquement si un arrêté interministériel paru au Journal officiel constate l’état de catastrophe naturelle pour l’aléa concerné dans la zone où se trouvent les biens sinistrés et si ces biens sont garantis en assurance de dommages (par exemple, en incendie ou en dégât des eaux). Si la personne a souscrit une assurance multirisque habitation, elle est ainsi automatiquement couverte contre les dégâts dus aux catastrophes naturelles.
En pratique, entre 1989 et 2018, les 35.000 communes de notre pays ont toutes fait l’objet d’au moins un arrêté « catastrophe naturelle ». Les inondations génèrent le plus d’arrêtés (56%), suivies par les mouvements de terrain (20%), puis la sécheresse (18%) et les chocs mécaniques liés à l’action des vagues (4%). Les autres arrêtés « catastrophe naturelle » regroupent principalement le poids de la neige et les secousses sismiques, tandis que raz de marée, avalanches, cyclones, etc. font l’objet d’un nombre particulièrement limité d’arrêtés.
La répartition départementale des arrêtés « catastrophe naturelle » est particulièrement concentrée selon les risques. Pour les inondations, le Pas-de-Calais comptabilise 92 arrêtés « catastrophe naturelle » en moyenne chaque année. Pour la sécheresse, c’est la Haute-Garonne qui arrive en tête (66). Pour les autres risques, la Charente-Maritime, la Gironde et la Seine-Maritime sont également concernés par ces arrêtés.
Nombre annuel moyen d’arrêtés « catastrophe naturel » sur la période 1989-2018 en France métropolitaine*

Source :
Source : Fondation pour l’innovation politique, données CCR, FFA.
* Les territoires d’outre-mer ne sont pas représentés sur cette carte en raison de l’absence de données assurantielles.
Comme déjà signalé, la sinistralité est très inégalement répartie sur le territoire. En effet, alors que la cotisation en catastrophe naturelle correspond à un taux uniforme de surprime sur les assurances de dommages, la sinistralité ne frappe que quelques départements en particulier. Un indicateur économique usuel dans le monde assurantiel consiste à rapporter le montant des sinistres au montant des primes, dit rapport S/P. Calculé au niveau départemental, ce rapport signale ainsi une redistribution massive de la très grande majorité des départements métropolitains vers l’Aude (S/P = 318%), le Gard (306%), l’Hérault (271%), les Ardennes (222%) et les Hautes-Pyrénées (188%). À l’opposé, la Creuse, le Rhin, la Charente et les Deux-Sèvres enregistrent des ratios S/P au plus égaux à 6%.
La garantie « tempête, grêle, neige »
Ibid., art. L122-7.
Si l’on écarte les tempêtes exceptionnelles Lothar et Martin, les proportions seraient respectivement de 75%, 19% et 6%.
L’écart-type du ratio S/P est de 56 points de pourcentage pour la garantie TGN contre 59 pour la garantie CatNat.
L’analyse de la disparité territoriale de la sinistralité TGN s’appuie sur des ratios S/P cumulés sur la période 2001-2018. Les tempêtes de 1990 et de 1999 ne sont donc pas prises en compte alors que ces deux années représentent 42% du coût total des tempêtes depuis 1989. Les tempêtes de 1990 n’avaient touché que la partie nord de la France, tandis que 23% des indemnités versées en 1999 concernait la région parisienne.
La loi du 25 juin 1990 a permis la généralisation de la garantie tempête en rendant obligatoire la couverture des dommages résultant des effets du vent dû aux tempêtes, ouragans et cyclones pour toute personne ou entreprise détentrice d’un contrat d’assurance garantissant les dommages incendie. Le vent et la grêle ne sont pas des périls couverts par le régime Cat Nat, à l’exception, depuis 2001, des « effets du vent dû à un événement cyclonique pour lequel les vents maximaux de surface enregistrés ou estimés sur la zone sinistrée ont atteint ou dépassé 145 km/h en moyenne sur dix minutes ou 215 km/h en rafales 16 ».
Pour les véhicules, dès lors que le contrat qui les couvre a une garantie dommages, ils sont couverts pour les dommages causés par les tempêtes mais également pour les dommages causés par la grêle. Les véhicules ayant fait le choix de ne s’assurer qu’en responsabilité civile (autrement dit le minimum légal) ne le sont pas.
Pour les bâtiments (particuliers, entreprises, agriculteurs), même si la garantie grêle n’est pas obligatoire, tous les contrats ont une garantie grêle (incluse dans la garantie TGN).
Depuis 1989, la tempête représente à elle seule 83 % des sinistres TGN, la grêle 13% et la neige 4% 17. Les coûts moyens sont assez différents selon le risque climatique : 2.000 euros pour une tempête, 4.000 euros pour un dégât de grêle ou les sinistres provoqués par le poids de la neige. Sur les cinq dernières années, la sinistralité signale un développement rapide des dommages liés à la grêle. Le coût total de 1,6 milliard d’euros sur cette période de cinq ans représente déjà la moitié du coût de la grêle depuis trente ans.
Au vu de la concentration de la sinistralité, la connaissance de ces territoires à risque pourrait permettre d’adapter plus finement le niveau de la prime en fonction du département ou de la région 18. Toutefois, les entreprises d’assurance sont toujours dans une logique de mutualisation, si bien que les territoires les plus exposés ne sont pas pénalisés par des primes significativement plus élevées. En effet, le ratio S/P signale une redistribution nette de la grande majorité des départements métropolitains vers les Landes (S/P = 338%), le Tarn-et- Garonne (311%), les Hautes-Pyrénées (220%), le Gers (180%) et les Pyrénées Atlantiques (179%). À l’opposé, Paris et la petite couronne 19 enregistrent un ratio S/P au plus égal à 21%. À ces quatre départements vient s’ajouter l’Ille- et-Vilaine (19%).
Rapport S/P au niveau des départements

Source :
Fondation pour l’innovation politique, données CCR, FFA.
* Les territoires d’outre-mer ne sont pas représentés sur cette carte en raison de l’absence de données assurantielles.
Grille de lecture : un rapport S/P d’environ 70% correspond à une prime en adéquation à la sinistralité. Les départements en rouge sont des départements où le montant de la prime ne reflète pas la sinistralité. À l’inverse, les départements en vert clair ont des niveaux de prime excessifs par rapport à la sinistralité. La mutualisation est donc bien réelle, aussi bien pour le régime catastrophe naturelle que pour la garantie TGN.
Les assurances sur les récoltes
Sur la période 2012-2018, le ratio S/P s’établit à 92%, nettement supérieur au seuil de 70-75% à partir duquel le résultat technique de l’assureur est déficitaire en raison des multiples frais (acquisition, gestion des contrats et des sinistres, d’expertise) et des éventuels coûts de réassurance.
L’écart-type est de 33 points de pourcentage contre 56 et 59 points respectivement pour les garanties TGN et CatNat.
Pour les exploitants agricoles, se couvrir contre les aléas climatiques par un contrat d’assurance est un choix. Comme déjà signalé, les agriculteurs peuvent assurer leurs récoltes via des contrats spécifiques grêle ou via une multirisque climatique récolte (MRC). Les agriculteurs qui ne sont pas assurés peuvent éventuellement bénéficier d’une indemnisation par le Fonds national de gestion du risque agricole (le fonds des « calamités agricoles »).
Sur les près de 359.000 exploitations agricoles recensées en France, seules 42% sont couvertes contre la grêle, ce qui représente 61% de la surface agricole utile (SAU) assurable. La répartition départementale des cotisations grêle sur récoltes traduit davantage le lieu d’implantation des cultures. Les cotisations sont très élevées en Gironde et en Champagne, terres de vignes, particulièrement vulnérables à la grêle. Pour les risques climatiques autres que la grêle, seuls 30% de la SAU sont assurés. La non-assurance est ainsi particulièrement répandue, ce qui est une source de préoccupation croissante dans un contexte de dérèglement climatique. Depuis 2012, elle reste stable malgré des résultats techniques dégradés pour les assureurs 20, si bien que très peu d’acteurs (moins d’une dizaine) sont présents sur les risques agricoles.
En revanche, l’analyse départementale de la sinistralité concernant la grêle montre une moindre mutualisation. Sur la période 2012-2018, les contrats spécifiques grêle sont présents dans quelques territoires seulement : seize départements concentrent à eux seuls la moitié des cotisations. Mentionnons notamment la Gironde et la Côte-d’Or (4,9% des cotisations chacun), la Marne, l’Eure-et-Loir et le Cher (près de 4% chacun). La sinistralité est nettement mieux répartie qu’en catastrophe naturelle ou en TGN avec un ratio S/P qui s’étale d’un minimum de 17% pour le Cher à un maximum de 163% pour la Charente 21.
Contrats spécifiques grêle sur la période 2012-2018

Source :
FFA.
*Les territoires d’outre-mer ne sont pas représentés sur cette carte en raison de l’absence de données
Note : seuls les départements qui cumulent au moins 0,7% des cotisations totales en contrat grêle spécifique sont ici représentés.
Grille de lecture : la première carte représente la répartition territoriale des cotisations en grêle. Elle signale une faible présence de l’assurance dans l’ouest et le sud-est du pays. La seconde carte représente le rapport S/P. Celui-ci a une moindre étendue que pour les garanties catastrophe naturelle et TGN, indiquant en creux une moindre mutualisation.
Ce taux moyen masque une disparité entre les départements d’outre-mer : alors que 99% des ménages métropolitains sont assurés, seuls 44% des ménages guadeloupéens, 52% des ménages guyanais, 50% des ménagesmartiniquais et 59% desménages réunionnais vivent dans une habitation assurée (voir Lucie Calvet et Céline Grislain-Letrémy, « L’assurance habitation dans les départements d’outre-mer : une faible souscription », Économie et Statistique, n° 447, 2011, 57-70.
Au terme de ce panorama sur l’état des lieux de la prise en charge par les assureurs des conséquences du dérèglement climatique, nous pouvons faire les constats suivants :
- les coûts du dérèglement climatique sont Nous le voyons bien avec l’accélération des coûts des catastrophes naturelles au cours des dernières années. C’est d’autant plus notable qu’en 2018 ou 2019 le coût des catastrophes naturelles n’est pas lié à un événement majeur comme l’ouragan Irma aux Antilles en 2017. Le coût croissant est dû à la multiplication d’événements, se chiffrant à chaque fois en dizaines et souvent en centaines de millions d’euros : coups de vent violents, grêle, inondations, sécheresse… Ces sinistres génèrent une inflation du coût de l’assurance habitation deux fois plus élevée que celle de l’indice des prix à la consommation ;
- sur un temps long, la France enregistre en moyenne un événement massif, de plus de 500 millions d’euros, chaque année. Ces événements totalisent la moitié des 78 milliards d’euros de sinistralité sur la période 1989-2018 en France ;
- les événements naturels sont localisés géographiquement dans un croissant qui relie le quart sud-ouest au centre et au nord-est. La solidarité s’exerce très fortement, au profit de quelques départements, en particulier du sud-ouest, du sud-est et de l’outre-mer ;
- si le pays est correctement équipé pour faire face au dérèglement climatique à court terme, la France a trois grandes faiblesses pour le moyen terme : l’outre-mer, où seulement 52% des ménages ont souscrit pour leur résidence principale une assurance habitation 22 ; les exploitations agricoles, puisque seulement 30% des surfaces agricoles utiles sont assurées pour les risques climatiques hors grêle (pour la grêle, les surfaces sont assurées à 60%) ; et, plus généralement, une culture du risque naturel encore très insuffisante au moment d’aménager le territoire, de construire résilient et de se protéger de ces périls croissants ;
- la sous-assurance dans les territoires d’outre-mer et chez nos agriculteurs est préoccupante et appelle des actions particulières.
Que faire face au coût croissant du dérèglement climatique ?
Faire payer plus cher ou refuser d’assurer
En matière de Cat Nat, la modulation de la prime ne peut être réellement En effet, elle est afférente aux garanties dommages du contrat de base (à hauteur de 12% pour les biens autres que les véhicules à moteur), ce qui représenterait seulement quelques euros de plus d’une prime Cat Nat, de l’ordre de 20 à 30 euros.
Bureau central de tarification (BCT), Rapport d’activité 2018, p.34.
On peut cependant penser que l’État ne resterait pas sans réaction si des zones entières du territoire n’étaient plus assurées. Il est intéressant de voir qu’en Californie, à l’automne 2019, alors que de nombreux assureurs souhaitaient se désengager suite à plusieurs années d’incendies très coûteux, l’État de Californie leur a imposé de ne pas résilier leurs contrats habitation, au moins pour un an.
Deux réactions spontanées pourraient être envisagées par les assureurs.
Faire payer le « vrai » coût du risque aux habitants des zones exposées
Les assureurs pourraient envoyer un signal prix fort à ceux qui habitent en zone inondable, d’une part, pour leur faire prendre conscience de la réalité des risques de la zone en question ; d’autre part, pour les inciter à prendre des mesures de prévention. Cette idée se heurte cependant à quelques difficultés. Alors que le coût moyen d’une assurance habitation est de l’ordre de 300 euros par an, le coût moyen du sinistre habitation dans le cas de l’ouragan Irma à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy en septembre 2017 a été de 91.000 euros. Certes, il s’agissait d’un événement « hors normes ». Citons alors le cas des inondations catastrophiques de l’Aude en octobre 2018, où le coût moyen du sinistre habitation a été de l’ordre de 8 000 euros. Rappelons que sur une période longue de trente ans, la France connaît en moyenne un sinistre très important (d’un montant d’au moins 500 millions d’euros) chaque année.
Ainsi, faire payer sur l’assurance habitation quelques euros de plus ne serait pas à la hauteur du problème (même si la modulation du prix peut aider à la prise de conscience) 23. Il est commun de dire en assurance que si le risque n’est pas bon, il ne faut tout simplement pas le souscrire. Enfin, si une collectivité locale ou une grande entreprise peut entreprendre des mesures de prévention par l’aménagement du territoire ou des travaux spécifiques, cela est naturellement plus difficile pour un particulier.
Refuser d’assurer les habitations trop exposées
Bien que la connaissance des aléas climatiques s’affine sans cesse, celle-ci ne s’accompagne pas d’une difficulté accrue aujourd’hui en France à souscrire une assurance habitation, même si l’on habite par exemple au bord d’un fleuve ou dans une zone sujette aux risques sismiques. Le Bureau central de tarification (BCT), vers lequel peuvent se tourner ceux qui n’ont trouvé aucun assureur, n’est saisi que pour quelques dossiers par an (10 dossiers en 2018 24), pour un parc estimé à près de 34 millions d’habitations.
C’est que le régime des catastrophes naturelles joue bien son rôle, avec la réassurance de la Caisse centrale de réassurance (CCR) et, comme on a pu le voir précédemment, une mutualisation des tarifs entre des territoires peu exposés et des zones très exposées, permettant de proposer des tarifs abordables pour tous.
Pourtant, cette situation ne saurait être garantie pour toujours. La population peu exposée acceptera-t-elle dans la longue durée d’être solidaire avec des communes qui font régulièrement l’objet d’un arrêté de catastrophe naturelle ? Pour ce qui est des assureurs, ne vont-ils pas considérer autrement le risque habitation si le dérèglement climatique conduit à des sinistres croissants sur certains territoires ?
Prenons l’exemple des Antilles. À la suite des ouragans Irma et Maria de septembre 2017, il ne subsiste qu’une poignée d’assureurs souhaitant encore être actifs à Saint-Martin, et leur politique de sélection du risque est plus rigoureuse pour les habitations ou commerces (hôtels, restaurants…) proches du bord de mer. À Saint-Barthélemy, territoire très particulier en raison de son haut niveau de richesse par habitant, ceux qui sont restés ont obtenu de très fortes revalorisations des primes d’assurance.
Afin d’écarter ces deux risques – une très forte hausse des tarifs des assurances, habitation en particulier, et une politique de sélection des risques qui exclurait les territoires les plus exposés 25 –, il est essentiel que la France améliore sa prise en compte du dérèglement climatique pour continuer à proposer des protections de qualité pour tous.
Privilégier quatre axes de progrès
Lors des inondations d’octobre 2015 dans les Alpes-Maritimes, plusieurs personnes se sont noyées en se rendant au parking souterrain pour sauver leur voiture ; lors des inondations dans l’Aude, en octobre 2018, plusieurs personnes sont décédées alors que l’eau avait envahi le rez-de-chaussée de leur habitation pendant qu’elles dormaient.
Voir Lettre d’information de la Mission Risques naturels, numéro spécial « Construire en zone inondable et réhabiliter après inondation », n° 27, juillet 2018.
Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, Journal officiel, 24 novembre 2018.
Si une boulangerie est sinistrée pour un montant total de 300 000 euros, 30 000 euros restent à la charge de l’assuré, ce qui peut empêcher le commerçant de relancer de son activité.
Le président de la République a annoncé le principe d’une telle réforme en octobre 2018, lors d’un déplacement à Saint-Martin.
Une meilleure prévention
La prévention des risques naturels doit devenir une priorité nationale. Il faut développer une culture du risque naturel, et ce dans l’ensemble de la société : particuliers, entreprises, collectivités locales, État, exploitants agricoles… Il semble en ce sens important de redynamiser, par exemple, la Journée nationale de prévention, qui existe mais qui se déroule dans l’indifférence générale, faute de mobilisation politique. On pourrait imaginer, au niveau local, que le maire réunisse les habitants de sa commune pour faire part des principaux risques naturels locaux, indiquer les bons réflexes en cas d’inondation 26 ou les travaux effectivement engagés par la commune pour réduire l’impact d’une catastrophe naturelle (construction d’ouvrages de protection, réaménagement urbain…). Ce serait l’occasion de proposer à la population des exercices d’anticipations de catastrophes naturelles.
En mars 2016, une opération de grande envergure, dite Sequana, avait été menée avec l’aide de la Commission européenne en association avec les services publics, les grands opérateurs d’électricité, d’eau et de télécoms, et les assureurs, simulant une crue centennale de la Seine. Si cet exercice a permis de mieux sensibiliser la population francilienne, les réflexes s’oublient vite si les messages ne sont pas régulièrement répétés.
Il est nécessaire d’inscrire ces réflexes dans le quotidien des populations afin qu’elles en gardent la mémoire. Par exemple, les repères de crues doivent être généralisés dans les communes soumises au risque d’inondation. Bien qu’obligatoires, il est rare qu’ils soient effectivement mis en place.
De nombreux outils administratifs existent (plans de prévention des risques naturels, plans communaux de sauvegarde, plans d’action et de prévention inondation, système « vigicrues »…). On peut les perfectionner, en instaurant par exemple une plus grande liberté quant à la franchise s’appliquant aux grandes entreprises et aux collectivités locales, acteurs pouvant mettre en œuvre des mesures de prévention d’envergure. Cependant, il faut avant tout vérifier qu’ils sont effectivement mis en œuvre, au plus près des réalités du terrain.
Prenons l’exemple des collectivités locales. Elles doivent se doter d’un plan communal de sauvegarde si elles sont particulièrement exposées à des risques naturels. On constate aujourd’hui que ces plans, qui déterminent les mesures immédiates de sauvegarde et de protection des personnes, qui fixent l’organisation de la diffusion des alertes et des consignes de sécurité, et qui recensent les moyens disponibles, n’existent pas dans plus de 40% des communes concernées.
Pour ce qui est des entreprises, elles doivent intégrer dans leur plan de continuité d’activité leur vulnérabilité aux risques naturels si elles sont situées dans une zone à risque.
L’État a naturellement lui aussi une responsabilité majeure, à la fois dans les politiques d’éducation au risque – y compris dans les localités et les écoles – et dans le financement d’actions visant à réduire la vulnérabilité du territoire. Tout cela passe notamment par le développement des moyens d’informations des citoyens. Au moment d’acheter un bien immobilier, il serait normal de consulter sur un site Internet (par exemple georisques.gouv.fr, qui dépend du ministère de la Transition écologique et solidaire) les risques naturels qui pèsent sur ce bien.
Il faut par ailleurs penser à l’aménagement du territoire et à la qualité des constructions. Le principal outil d’intervention de l’État à ce titre est le Fonds national de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), souvent appelé « fonds Barnier », du nom du ministre qui l’a créé. Ce fonds est financé par une contribution des assurés basée sur la prime d’assurance. Son budget théorique est de 200 millions d’euros, bien que la direction du Budget l’ait, sans justification, réduit à 137 millions d’euros par an. C’est ce fonds qui peut financer l’aménagement de certains quartiers ou le déménagement des habitants les plus exposés. Nous pourrions également envisager d’élargir ses missions au financement de la réduction de la vulnérabilité à la suite d’un sinistre.
Mieux construire
La prise de conscience commence à se faire sur le thème du « reconstruire mieux 27 » après une catastrophe naturelle, et mieux encore celui du « bien construire maintenant ». Dans la récente loi Élan 28, par exemple, un diagnostic des sols permettra de mieux construire les nouvelles habitations puisqu’on saura si le sol est argileux ou pas (et donc si le phénomène de « retrait- gonflement » peut jouer).
Bien que l’assureur soit normalement tenu de remettre le bien dans l’état dans lequel il se trouvait avant le sinistre, il semble déraisonnable de reconstruire à l’identique un logement qui n’a pas su résister à une catastrophe naturelle. Il serait préférable de reconstruire un logement plus résilient, ce qui nécessitera souvent des financements complémentaires, et parfois même une relocalisation du logement si la zone présente des risques trop élevés de catastrophe naturelle. Le fonds Barnier pourrait justement apporter ces financements complémentaires.
Il faut également adapter les normes de construction aux réalités des risques naturels locaux. La filière construction doit devenir une partie prenante de la prévention contre les aléas naturels, et les professionnels concernés devraient donc être sensibilisés et recevoir une formation adéquate.
Pour mieux construire, il faut aussi mieux connaître les risques naturels. Des progrès peuvent encore être fait en ce sens, en partageant mieux l’information entre acteurs publics et privés (État, Météo France, BRGM, CCR, assureurs privés…). Sur le territoire de la métropole, la connaissance de certains risques naturels est encore perfectible. On pense notamment à la grêle et aux tornades métropolitaines, phénomènes pour lesquels des cartographies devraient exister afin de construire de façon plus résiliente dans les zones exposées. La Suisse et l’Allemagne sont plus avancées que la France en la matière.
Mieux indemniser
La France dispose d’un bon régime d’indemnisation des aléas climatiques, notamment avec le régime public dit des « catastrophes naturelles » mis en place en 1982, où les assureurs privés partagent le risque avec la CCR, détenue à 100% par l’État. Il peut cependant être amélioré sur quelques points.
En cas d’inondations, la prise en charge des frais de relogement ne fait ainsi pas partie du régime public et dépend donc entièrement du contrat, plus ou moins protecteur, souscrit par l’assuré. L’inégalité de la protection des sinistrés selon leurs contrats provoque des incompréhensions et des frustrations. Il serait pertinent que cette garantie très utile soit généralisée, ce qui suppose son intégration au moins partielle au régime public.
Dans le cadre des retours d’expérience concernant les inondations de mai-juin 2016, il a été constaté que la franchise s’appliquant aux artisans (10% du sinistre total) peut se révéler très lourde 29 au point d’empêcher un artisan de se relancer après la catastrophe. Elle pourrait être plafonnée, par exemple, à 10.000 euros.
Un débat peut exister sur la question des franchises pour les particuliers. Cette franchise est aujourd’hui fixée par la loi de façon un peu arbitraire à 380 euros. Certains contestent l’existence même de la franchise. Pourtant, c’est une règle de bon sens qui existe toujours dans les contrats d’assurance, afin d’inciter l’assuré à la prévention des risques. Cette franchise est-elle au bon niveau ? Doit-elle être relevée pour inciter davantage encore à la prévention ? Doit-elle être exprimée en pourcentage du sinistre (car la valeur absolue actuelle n’a bien sûr pas la même importance selon la gravité des dommages) ? Doit-elle toujours pouvoir être doublée, triplée, en cas de répétition de catastrophes naturelles dans une période courte pour obliger les élus locaux à réagir et à mener des travaux de prévention (cette possibilité existe aujourd’hui, mais elle n’est de fait pas utilisée par commun accord entre la CCR et les assureurs privés car elle pénaliserait encore des assurés déjà frappés par une catastrophe naturelle) ? Doit-elle être modulable en fonction des actions de prévention menées par l’assuré (mais si une grande entreprise ou une collectivité locale peuvent lancer des actions d’envergure, c’est beaucoup moins le cas pour un particulier) ?
Autant de débats difficiles en perspective dans les prochains mois si est débattue une refonte du régime 30, débats qui aideront également à définir la stratégie d’éducation aux risques naturels.
Une meilleure gouvernance
Il faut instaurer une véritable gouvernance du système de veille et de protection face aux aléas climatiques, en associant tous les acteurs concernés. L’État et les collectivités locales sont sans doute en première ligne, mais beaucoup d’autres acteurs détiennent des informations utiles, pour alerter avant la catastrophe et participer ensuite aux retours d’expérience : Météo France, le Bureau de recherche géographique et minière (BRGM), EDF, les grands opérateurs de télécoms, de réseaux d’eau, les assureurs privés, la CCR…
Un premier point de coopération concret pourrait concerner les retours d’expérience après une catastrophe. L’Observatoire national des risques naturels (ONRN), qui réunit le ministère de la Transition écologique et solidaire, la CCR et la Mission Risques naturels (MRN), association créée par les assureurs privés, pourrait être le lieu de ces synthèses.
Conclusion
Voir, par exemple, Giec, Réchauffement planétaire de 1,5 °C. Résumé à l’intention des décideurs. Résumé technique. Foire aux questions, 2019.
Si les conséquences du dérèglement climatique sont croissantes et tendent à s’intensifier, comme le suggèrent notamment les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec)31, combien de temps nos concitoyens des zones peu exposées accepteront-ils d’être solidaires de ceux des zones très exposées s’ils constatent que toutes les actions possibles de prévention et réduction des risques, y compris de réaménagement urbain, n’y ont pas été entreprises ? Les constats des assureurs, notamment en termes de coûts croissants concentrés sur certaines zones du territoire, confirment bien d’autres indicateurs du dérèglement climatique.
Face aux risques croissants des divers aléas climatiques (sécheresse, submersion marine, mais aussi ouragans et tempêtes, inondations…) au cours des prochaines décennies, la priorité est à la conception de politiques de prévention efficaces, reposant sur une culture du risque naturel beaucoup mieux partagée qu’aujourd’hui, adaptée aux réalités locales et supposant mobilisation et coordination des acteurs publics et privés.
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