Les attentats islamistes dans le monde 1979-2021
Les principaux enseignements de l’étude
Entre 1979 et mai 2021, nous avons recensé 48.035 attentats islamistes dans le monde, qui ont provoqué la mort d’au moins 210.138 personnes.
En moyenne, un attentat islamiste a causé la mort de 4,4 personnes.
Les explosifs sont le type d’arme le plus utilisé (43,9% pour 21.082 attentats), suivi par les armes à feu (16.649 attentats), les armes de contact, comme les couteaux ou les machettes (2.120 attentats) et les armes incendiaires (960 attentats).
Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne ont concentré 95,7 % des attentats islamistes entre 1979 et mai 2021.
L’Afghanistan a été le pays le plus touché par le terrorisme islamiste, devant l’Iraq et la Somalie.
La France a été le pays le plus touché de toute l’Union européenne, avec 82 attentats islamistes commis sur son sol entre 1979 et mai 2021. Ces attentats ont fait au moins 330 morts.
L’affrontement indirect en Afghanistan des puissances américaine et soviétique est l’une des causes majeures de la violence islamiste du XXIe siècle.
Les militaires sont la cible principale (31,7%) des terroristes islamistes, devant les civils (25,0%) et les forces de police (18,3%).
La plupart (89,5%) des attentats islamistes ont été commis dans des pays musulmans1. De même, la très grande majorité des morts provoquées par des attentats islamistes (91,7%) ont été enregistrées dans des pays musulmans.
Sur l’ensemble de la période étudiée, les talibans ont été le groupe le plus meurtrier. Ses actions terroristes ont provoqué la mort de 69.303 personnes.
Une évaluation de la violence islamiste dans le monde (1979-mai 2021)
1979, l’année critique
Définition du terrorisme
Définition de l’islamisme
Une base de données mondiale des attentats islamistes de 1979 à mai 2021
Pourquoi notre étude sous-estime la réalité de la violence islamiste
Les prémices d’un terrorisme islamiste transnational (1979-2000)
La guerre soviéto-afghane, « matrice du terrorisme islamiste contemporain »
Les années 1980 et l’émergence du terrorisme islamiste
Années 1990, propagation du terrorisme islamiste au Moyen-Orient et en Afrique du Nord
L’exportation du djihad
Le tournant du 11-Septembre (2001-2012)
Le 11-Septembre et la « guerre contre le terrorisme »
Globalisation des attentats islamistes
La migration des terroristes vers les médias sociaux
L’irruption de l’État islamique et de Boko Haram (2013-mai 2021)
L’État islamique et l’« administration de la sauvagerie »
La région du lac Tchad à l’épreuve du terrorisme de masse de Boko Haram
L’attentat-suicide, le « martyr » et la terreur
L’Afghanistan, pays le plus touché au monde
En 2021, l’Afrique subsaharienne reste un intense foyer du terrorisme islamiste
Les territoires du terrorisme islamiste (1979-mai 2021)
Les pays les plus touchés (1979-mai 2021)
Résumé
La période située entre l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge en 1979 et la prise de Kaboul par les talibans, le 15 août 2021, correspond à une montée en puissance du terrorisme islamiste. Se multipliant, les attentats ont frappé partout dans le monde, atteignant jusqu’au coeur des pays occidentaux – New York, Madrid, Londres, Paris, Moscou… –, exacerbant les sentiments de peur, de méfiance et de suspicion à l’égard des musulmans, et même un sentiment antimusulman. Dans les démocraties, le terrorisme islamiste favorise à la fois le rejet de l’islam et les demandes d’autoritarisme.
Pourtant, malgré son importance, la réalité de cette violence n’a pas été précisément mesurée. La Fondation pour l’innovation politique a voulu contribuer à ce travail d’évaluation en quantifiant le terrorisme islamiste, en repérant les formes qu’il a pu prendre au fil de ces décennies, en recensant les actes qu’il a pu inspirer ou initier, en estimant le nombre de ses victimes, en identifiant les organisations les plus meurtrières et les pays les plus touchés. Ce travail pionnier a été publié en novembre 2019 dans un rapport intitulé Les attentats islamistes dans le monde 1979-2019, disponible en ligne sur le site fondapol.org, en version française, anglaise et arabe. Pour ce faire, nous avons collecté une très grande quantité d’informations, au point de construire une volumineuse base de données. Elle est disponible en open data sur notre site data.fondapol.org.
Deux ans plus tard, nous proposons aux lecteurs une mise à jour de notre base de données devenue indispensable à la description et à la compréhension d’une nouvelle réalité politique singulièrement problématique. L’actualisation de l’étude qui est ici proposée s’étend jusqu’en mai 2021.
La reprise de cet important travail fait écho à la commémoration des attaques terroristes du 11-Septembre aux États-Unis. Le vingtième anniversaire de cette tragédie coïncide avec l’annonce du retrait américain d’Afghanistan par le président Biden, la prise de Kaboul par les talibans le 15 août 2021, puis le retrait des dernières troupes américaines sur le sol afghan le 31 août 2021.
La masse d’informations recueillies éclaire d’un jour nouveau le phénomène de la violence islamiste. Elle permet de mieux la décrire, de mieux la comprendre, de mieux la documenter. Ainsi, malgré toutes les difficultés de cette tâche, nous montrons qu’entre 1979 et mai 2021 au moins 48.035 attentats islamistes ont eu lieu dans le monde. Ils ont provoqué la mort d’au moins 210.138 personnes. En moyenne, un attentat islamiste a causé la mort de près de 4,4 personnes. Nous identifions et quantifions les modes opératoires et les cibles. Les explosifs sont le type d’arme le plus utilisé (43,9%), tandis que les militaires sont la cible principale (31,7%), devant les civils (25,0%) et les forces de police (18,3%). La vision du phénomène se précise, l’image devient plus nette.
L’Afghanistan a été le pays le plus touché par le terrorisme islamiste, devant l’Iraq et la Somalie. Au sein de l’Union européenne, la France a été le pays le plus frappé, avec au moins 82 attentats islamistes et 332 morts. Nous montrons également que la majorité des attentats islamistes (89,5%) touchent des pays musulmans et que les victimes sont principalement des musulmans, dans les mêmes proportions.
L’information réunie est inédite. Nous espérons que son contenu et son utilisation contribueront à la connaissance et à la qualité du débat comme de la décision publique.
Dominique Reynié (dir.),
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé les ouvrages Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tension (Fondation pour l’innovation politique, 2019), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Fondation pour l'innovation politique,
Think tank libéral, progressiste et européen.
Les attentats islamistes dans le monde 1979-2019
2022, le risque populiste en France (vague 4)
2022, le risque populiste en France (vagues 2 et 3)
2022 le risque populiste en France
Démocraties sous tension - Volume I. Les enjeux
Démocraties sous tension – Volume II. Les pays
Où va la démocratie ?
Dominique REYNIÉ, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique
Victor DELAGE, Abdellah BOUHEND, Katherine HAMILTON, Léo MAJOR
Loraine AMIC, Abdellah BOUHEND, Victor DELAGE, Anne FLAMBERT, Léa GHILINI, Élisa GRANDJEAN, Madeleine HAMEL, Katherine HAMILTON, Camille JAFFIOL, Léo MAJOR, Sasha MORINIÈRE, Dominique REYNIÉ, Mathilde TCHOUNIKINE
Francys GRAMET, Claude SADAJ
Julien RÉMY
GALAXY Imprimeurs
Septembre 2021
Les principaux enseignements de l’étude
Entre 1979 et mai 2021, nous avons recensé 48.035 attentats islamistes dans le monde, qui ont provoqué la mort d’au moins 210.138 personnes.
• 1979-2000 : 2.194 attentats et 6.817 morts.
• 2001-2012 : 8.265 attentats et 38.186 morts.
• 2013-mai 2021 : 37.576 attentats et 165.135 morts.
En moyenne, un attentat islamiste a causé la mort de 4,4 personnes.
• 1979-2000 : un attentat a tué en moyenne 3,1 personnes.
• 2001-2012 : un attentat a tué en moyenne 4,6 personnes.
• 2013-mai 2021 : un attentat a tué 4,4 personnes.
Les explosifs sont le type d’arme le plus utilisé (43,9% pour 21.082 attentats), suivi par les armes à feu (16.649 attentats), les armes de contact, comme les couteaux ou les machettes (2.120 attentats) et les armes incendiaires (960 attentats).
• 1979-2000 : armes à feu (911), explosifs (856), armes de contact (124), armes incendiaires (68).
• 2001-2012 : explosifs (4.516), armes à feu (2.572), armes incendiaires (234), armes de contact (198).
• 2013-mai 2021 : explosifs (15.710), armes à feu (13.166), armes de contact (1.798), armes incendiaires (658).
Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne ont concentré 95,7 % des attentats islamistes entre 1979 et mai 2021.
• Asie du Sud : 40,1% des attentats, 38,2% des morts.
• Moyen-Orient et Afrique du Nord : 32,4% des attentats, 36,5% des morts.
• Afrique subsaharienne : 23,2% des attentats, 21,7% des morts.
• Asie du Sud-Est : 3,5% des attentats, 1,2% des morts.
• Europe : 0,6% des attentats, 0,8% des morts.
• Amérique du Nord : 0,1% des attentats, 1,5% des morts.
• Océanie : 0,02% des attentats, 0,01% des morts.
• Amérique du Sud : 0,01% des attentats, 0,1% des morts.
L’Afghanistan a été le pays le plus touché par le terrorisme islamiste, devant l’Iraq et la Somalie.
Les pays les plus touchés sont l’Afghanistan (15.874 attentats), l’Iraq (7.469 attentats), la Somalie (5.265 attentats), le Nigeria (2.938 attentats), le Pakistan (2.299 attentats), la Syrie (1.654 attentats), l’Algérie (1.386 attentats), le Yémen (1.289 attentats), l’Égypte (1.211 attentats), les Philippines (1.163 attentats), l’Inde (898 attentats), et la Libye (736 attentats).
Dans ces douze pays, on enregistre 187.284 morts provoquées par les attentats islamistes, ce qui représente 89,1% du total des morts recensées dans le monde.
La France a été le pays le plus touché de toute l’Union européenne, avec 82 attentats islamistes commis sur son sol entre 1979 et mai 2021. Ces attentats ont fait au moins 330 morts.
• 1979-2000 : 24 attentats, 32 morts.
• 2001-2012 : 8 attentats, 8 morts.
• 2013-mai 2021 : 50 attentats, 290 morts.
L’affrontement indirect en Afghanistan des puissances américaine et soviétique est l’une des causes majeures de la violence islamiste du XXIe siècle.
Les États-Unis et la Russie ont été aussi frappés par le terrorisme djihadiste. Au cours de la période 1979-2021, nous avons recensé aux États-Unis 58 attentats et 3.121 morts et, en Russie, 85 attentats responsables de la mort de 844 personnes.
Les militaires sont la cible principale (31,7%) des terroristes islamistes, devant les civils (25,0%) et les forces de police (18,3%).
• 1979-2000 : civils (425 attentats, 19,4%), militaires (343 attentats, 15,6%), forces de police (408 attentats, 18,6%).
• 2001-2012 : civils (2.169 attentats, 26,2%), militaires (1.411 attentats, 17,1%), forces de police (1.427 attentats, 17,3%).
• 2013-mai 2021 : militaires (13.476 attentats, 35,9%), civils (9.420 attentats, 25,1%), forces de police (6.937 attentats, 18,5%).
La plupart (89,5%) des attentats islamistes ont été commis dans des pays musulmans1. De même, la très grande majorité des morts provoquées par des attentats islamistes (91,7%) ont été enregistrées dans des pays musulmans.
Pays musulmans : Afghanistan, Algérie, Arabie saoudite, Azerbaïdjan, Bahreïn, Bangladesh, Bosnie-Herzégovine, Burkina Faso, Cisjordanie et bande de Gaza, Djibouti, Égypte, Émirats arabes unis, Indonésie, Iran, Iraq, Jordanie, Kazakhstan, Kirghizistan, Koweït, Liban, Libye, Malaisie, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Nigeria, Ouzbékistan, Pakistan, Qatar, Somalie, Soudan, Syrie, Tadjikistan, Tchad, Tunisie, Turkménistan, Turquie, Yémen.
• Nombre d’attentats islamistes commis dans des pays musulmans : 43.002 attentats (89,5% des attentats islamistes dans le monde).
• Nombre de morts provoquées par les attentats islamistes dans des pays musulmans : 192.782 morts (91,7% des morts provoquées par les attentats islamistes dans le monde).
Notons que ces chiffres sous-estiment la réalité puisqu’ils ne prennent pas en compte les attentats islamistes perpétrés dans des pays à majorité non musulmane où des populations musulmanes sont concentrées dans certaines provinces. C’est, par exemple, le cas du sud de la Thaïlande où les musulmans sont majoritaires dans les provinces de Satun, Yala, Pattani et Narathiwat, mais aussi aux Philippines, 1dans la région de Mindanao ; en Inde, dans la province de Jammu-et-Cachemire ; ou encore en Chine, dans la région autonome ouïgour du Xinjiang.
Sur l’ensemble de la période étudiée, les talibans ont été le groupe le plus meurtrier. Ses actions terroristes ont provoqué la mort de 69.303 personnes.
Les organisations terroristes les plus meurtrières, en prenant en compte leurs différentes ramifications, ont été les talibans (69.303 morts), le groupe État islamique (58.632 morts), Boko Haram (25.719 morts) et al-Qaida (14.359 morts). Ces quatre groupes terroristes ont été responsables de plus des trois quarts (80,0%) des victimes d’attentats islamistes entre 1979 et mai 2021.
Une évaluation de la violence islamiste dans le monde (1979-mai 2021)
Dominique Reynié,
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Si 6291 personnes ont été blessées le jour même, des milliers d’autres ont témoigné de lésions physiques liées aux attentats du 11 septembre 2001, telles que des affections respiratoires ou des cancers, dans les années qui suivirent ces événements, comme en témoigne le World Trade Center Health Registry.
Après la première édition publiée en 2019, voici l’actualisation de notre étude sur les attentats islamistes dans le monde depuis 1979. La reprise de cet important travail fait écho à la commémoration des attaques terroristes du « 11-Septembre » aux États-Unis. Le vingtième anniversaire de cette tragédie coïncide avec l’annonce du retrait américain d’Afghanistan par le président Biden, puis la prise de Kaboul par les talibans, le 15 août 2021.
La série d’attaques du 11 septembre 2001 est la plus meurtrière de l’histoire du terrorisme, avec 3001 morts et 16.493 blessés1. En Europe (hors Russie), depuis 1979, on recense 197 attentats et 789 morts. En France, pays d’Europe le plus touché sur cette même période, on compte 82 actes terroristes islamistes ayant entraîné la mort de 330 personnes. Outre la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Grèce, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse ont été frappés, parfois à plusieurs reprises. C’est néanmoins en dehors du monde occidental que les pays ont subi la violence islamiste plus souvent et plus durement encore.
1979, l’année critique
Voir Gilles Kepel, Sortir du chaos. Les crises en méditerranée et au Moyen-Orient, Gallimard, 2018, p. 23-69.
Dans son rapport réalisé pour l’Institut Montaigne, Hakim El Karaoui présente les raisons pour lesquelles, selon lui, il est possible de considérer que l’autonomisation du djihadisme a pris forme en Afghanistan, à savoir « l’arrivée de plusieurs groupes islamistes que le conflit afghan a unis, l’autonomie financière des moudjahidines afghans grâce aux financements américains et saoudiens, la mise en pratique effective du djihad pour la première fois depuis la fin du xixe siècle et sa théorisation par le Frère musulman Abdallah Azzam » (La Fabrique de l’islamisme, Institut Montaigne, septembre 2018, p. 63).
Gilles Kepel, Jihad. Expansion et déclin de l’islamisme, 2e éd. refondue et mise à jour, Gallimard, coll. « Folio actuel », 2003, p. 26.
Ibid.
Nous nous sommes demandé s’il était possible de connaître l’ampleur de la violence islamiste dans le monde, d’en faire le recensement et d’en partager les résultats avec les publics intéressés sous la forme d’une base de données accompagnée de la présente étude. Pour mener à bien un tel travail, il fallait préalablement déterminer le point de départ du recensement, puis identifier les sources les plus fiables, les examiner et les valider, traiter ensuite les données recueillies, présenter les principaux enseignements et, enfin, mettre à la disposition du public les informations ainsi collectées.
Nous avons décidé de faire commencer la collecte des données à partir de l’année 1979. Cette année est retenue par la plupart des spécialistes parce qu’elle solde l’échec historique du nationalisme arabe concurrencé par les mouvements d’islamisation et d’affirmation du djihadisme2. Cette même année, un certain nombre d’événements précipitent cette évolution : l’intervention militaire soviétique en Afghanistan, la révolution iranienne, la signature des accords de Camp David et la prise d’otages de la Grande Mosquée de La Mecque par un groupe de fondamentalistes islamistes, en novembre-décembre 19793. Pour Gilles Kepel, ce qui se déroule cette année-là est le résultat de « la lutte acharnée que se livrent la monarchie saoudienne et l’Iran de Khomeini4 », mais elle est en même temps le moment d’une nouvelle confrontation indirecte entre l’URSS et les États-Unis : « Le jihad que financent dans ce pays [l’Afghanistan] les pétromonarchies de la péninsule Arabique et la CIA a pour but explicite d’infliger à l’Union soviétique […] un “Vietnam” qui précipite sa chute. À l’échelle de l’islam, il a aussi pour fonction de détourner les militants radicaux du monde entier de la lutte contre le Grand Satan américain – à laquelle les incite Khomeini – et de les canaliser contre l’URSS. Le jihad afghan a une importance cardinale dans l’évolution de la mouvance islamiste à travers le monde. Il en devient la cause par excellence, à quoi s’identifient tous les militants, modérés comme radicaux. Il supplante, dans l’imaginaire arabe, la cause palestinienne et symbolise le passage du nationalisme à l’islamisme5. »
Définition du terrorisme
« The threatened or actual use of illegal force and violence by a non-state actor to attain a political, economic, religious, or social goal through fear, coercion, or intimidation » (Global Terrorism Database, National Consortium for the Study of Terrorism (START), Université du Maryland, Codebook: Inclusion Criteria and Variables, juillet 2017, p. 10).
Suivant cette définition, les actes relevant d’un terrorisme d’État ne sont pas retenus dans notre recensement.
Comme nombre de notions, le terrorisme est l’objet de définitions controversées. Dans cette note, nous entendrons par « terrorisme » les actes politiques répondant au principe et aux critères retenus par le National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism (START) . Dans ce cadre, l’acte terroriste est présenté comme « la menace de l’usage ou l’usage effectif de la force et de la violence illégales par un acteur non étatique afin d’atteindre des objectifs politiques, économiques, religieux ou sociaux, par la peur, la coercition ou l’intimidation6 ». Cette définition se prolonge dans l’énumération d’un ensemble de caractéristiques précisant la nature de l’acte terroriste :
– il doit être intentionnel et résulter d’un calcul conscient de la part de son auteur ;
– il doit comprendre un certain niveau de violence ou de menace de violence imminente, qu’il s’agisse de violence physique ou matérielle;
– les auteurs de l’incident doivent être des acteurs non étatiques7.
Pour être inclus dans la base de données, un événement doit de plus satisfaire au moins deux des critères suivants :
– l’acte violent doit viser un objectif politique, économique, religieux ou social;
– l’acte doit résulter d’une intention de coercition, d’intimidation, ou être motivé par la volonté de propager un message économique, politique, religieux ou social à destination d’une audience plus large que celle que représentent les victimes immédiates ; ce qui compte est l’intention de ceux qui ont planifié l’attentat ou de ceux qui ont pris la décision de l’exécuter;
– l’action doit se distinguer des activités considérées légitimes en temps de guerre. L’acte doit transgresser le cadre défini par les règles internationales à finalité humanitaire, notamment celles concernant l’interdiction de cibler intentionnellement des civils ou des non-combattants.
Notre contribution s’intéresse spécifiquement aux actes terroristes accomplis par des organisations ou des individus se réclamant de l’islamisme. Le critère définissant une action terroriste et selon lequel « l’acte violent doit viser un objectif politique, économique, religieux ou social » doit donc être précisé. Il est considéré comme essentiel à notre recense- ment et concerne les attentats qui ont fait l’objet d’une revendication islamiste ou à propos duquel les informations disponibles permettent de savoir qu’il a été planifié, décidé et accompli au nom de l’islamisme.
Définition de l’islamisme
Janine Sourdel et Dominique Sourdel (dir.), Dictionnaire historique de l’islam, PUF, 1996, p. 411.
Ibid.
Ibid.
Ibid. Voir également Mehdi Mozaffari, « What is Islamism? History and Definition of a Concept », Totalitarian Movements and Political Religions, vol. 8, no 1, mars 2007, p. 21.
« By “Islamism”, I mean the normative political ideology that has as its core program the establishment of Islam as a state religion and the implementation of Islamic law (shari’a). Militant Islamism, then, is any form of Islamism that advocates the use of violence to achieve Islamist objectives. This same distinction is made by Islamists themselves, who refer to “Parties of the Islamic Call,” or al-da’wa al Islamiyya (i.e. Islamist groups that do not advocate violence) on the one hand, and “Parties of the Muslim Revolution,” or al-thawra al-Islamiyya (i.e. Islamist groups that do advocate violence) » (Edward W. Walker, « Islam, Islamism and Political Order in Central Asia », Journal of International Affairs, vol. 56, no 2, printemps 2003, p. 22, note 1).
Voir Robin Simcox, Hannah Stuart, Houriya Ahmed et Douglas Murray, « Islamist Terrorism. The British Connection », The Henry Jackson Society and The Centre for Social Cohesion, 2e éd., 2010, p. XVI.
Pour les historiens, « islamisme » est un terme « employé à la fin du xixe siècle pour désigner l’islam en tant que religion et civilisation, mais qui a pris récemment une nouvelle acception d’islam militant fondamentaliste, traditionaliste et prosélyte8 ». Désormais, l’islamisme désigne « une tendance qui consiste à exiger l’application stricte des prescriptions de la loi religieuse ou chari’a dont il considère que certaines avaient été abandonnées, de même que les principes de la foi, par divers gouvernements modernes des pays musulmans, notamment sous l’influence des pays européens, des idéologies occidentales et des mouvements réformistes9 ». Il s’en suit de cette évolution que les défenseurs d’une telle conception de l’islam, les « islamistes », prônent le djihad, « d’une part, dans leur propre pays contre les “mauvais” musulmans et les gouvernants corrompus de manière à instaurer, si besoin est, un État pure- ment islamique, d’autre part, de façon plus générale, contre les valeurs séculières qui dominent le monde non musulman10 ». Les mêmes auteurs considèrent que l’islamisme présente beaucoup d’analogies avec le mouvement des Frères musulmans11.
Il existe de nombreuses autres définitions de l’islamisme, souvent très détaillées. Pour compléter sans compliquer exagérément, on peut notamment se référer à la définition proposée par Edward Walker, en raison de sa relative clarté et de sa concision : « Par “islamisme”, j’entends l’idéologie politique normative qui a pour programme central l’établissement de l’islam comme religion d’État et l’application de la loi islamique (shari’a). L’islamisme militant désigne toute forme d’islamisme qui préconise le recours à la violence pour atteindre ses objectifs. Cette même distinction est faite par les islamistes eux-mêmes, qui se réfèrent, d’une part, aux “partis de l’appel islamique” ou al-da’wa al Islamiyya – soit les groupes islamistes qui ne prônent pas la violence – et, d’autre part, aux “partis de la révolution musulmane” ou al-thawra al-Islamiyya – soit les groupes islamistes qui préconisent la violence12. » Constatant qu’il n’existe pas de définition universellement acceptée de l’islamisme, certains chercheurs le caractérisent comme une idéologie selon laquelle :
– l’islam n’est pas seulement une religion mais aussi un système sociopolitique holistique;
– la charia (islamique) doit devenir la loi de l’État ;
– il existe une communauté musulmane transnationale, l’oumma, qui doit s’unir pour former un bloc politique ;
– il faut instaurer un État « islamique », ou califat, au sein duquel le pouvoir souverain appartiendra à Dieu13.
Une base de données mondiale des attentats islamistes de 1979 à mai 2021
Le 28 avril 2019, le journal allemand Welt am Sonntag a publié une liste des attentats islamistes. Cette liste porte sur une période plus courte, à savoir du 11 septembre 2001 au 28 avril 2019. Jusqu’en 2017, les données sont extraites de la Global Terrorism Database. Pour les années 2018 et 2019, le journal a procédé à son propre recensement. Nos données se distinguent de celles du Welt am Sonntag sur au moins trois points : en premier lieu, nous couvrons une période de quarante ans au lieu de dix-huit ans, ce qui nous permet de suivre les évolutions du terrorisme islamiste en mettant notamment au jour un phénomène de globalisation ; en deuxième lieu, Welt am Sonntag a choisi de ne comptabiliser que les attaques ayant fait au moins douze morts, tandis que nous avons nous-mêmes enregistré tous les attentats identifiables ; en troisième lieu, Welt am Sonntag s’est focalisé sur les attaques menées par les principaux groupes terroristes (Abdullah-Azzam Brigade, Asaib Ahl ab-Haqq, Abu Sayyaf, Ansar al-Din, Allied Democratic Forces, djihadistes algériens, Ahrar al-Sham, Ansar al-Islam, Al-Ittihaad al-Islami, Parti Al-Islah, Aisha-Brigade, Brigade des martyrs Al-Aksa, Brigade Al-Muaqioon-Biddam, Ansar-Al-Din-Front, al-Qaida, Arakan Rohingya Salvation Army, Ansar al-Sunna, al-Shabaab, Ansar al-Sharia, Ansar al-Tawhid, Ansar ul-Islam, Boko Haram, Mouvement sunnite djihadiste d’Iran, Deccan Mujahideen, Gardiens de la religion, Groupe islamique armé, Groupe salafiste pour la prédication et le combat, Hezbollah, Hizb-i-Islami, Harkatul Jihad-e-Islami, Réseau Hakkani, Halqa-e-Mehsud, Hisbul Mujahideen, Hamas, Houthis, Hayat Tahrir al-Sham, Mouvement islamique d’Ouzbékistan, Jihad islamique, Front islamique, Moudjahidines indiens, Parti islamique du Turkestan, Jaish al-Adl, Jaish-al-Islam, Jamaat al-Tawhid wal-Jihad, Jaish-e-Mohammad, Jaish al-Fatah, Jaish-i-Islam, Jemaah Islamiya, Jund al-Khilafah, Jamiat ul-Mujahedin, Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin, Jundallah, Jundallah Pakistan, Jaljala Army, Kataib Hezbollah, Lashkar-e-Jhangvi, Lashkar-e-Omar, Lashkar-e-Taiba, Lashkar-e-Islam, Mujahideen Ansar, Mahaz-e-Inquilab, Moro Islamic Liberation Front, Moro National Liberation Front, Movement for Tawheed and Jihad in West Africa, Mujahedeen Shura Council, Armée Mukhtar, Front al Nosrah, Students Islamic Movement of India, Sipah-i-Mohammed, Salafia Jihadia, Shura des Moudjahidines de Derna, Special Purpose Islamic Regiment, Shura des révolutionnaires de Benghazi, Taliban, Tehrik-e-Taliban Islami, Tehrik-e-Taliban Pakistan, United Jihad Council) ; tandis que notre base de données recense, aussi précisément que possible, l’ensemble des attentats islamistes. Ainsi, outre les attentats commis par les groupes les plus connus, nous prenons également en compte les attaques menées par des individus ou des groupuscules se réclamant de l’islamisme sans appartenir à une organisation particulièrement connue. Voir « 18 Jahre Terror », Welt am Sonntag, no 17, 28 avril 2019, p. 12-14.
Nous pouvons citer, par exemple, la base de données rendue disponible par Le Monde sur les attentats du groupe État islamique de 2014 à 2016 ou encore celle du New York Times.
Global Terrorism Database, National Consortium for the Study of Terrorism (START), Université du Maryland.
La Global Terrorism Database ne fournissait pas d’informations pour l’année 1993. Les années 2018 et 2019 n’étaient alors pas renseignées par la GTD.
C’est dans le cadre de ces définitions que nous avons conçu ce travail et que nous en proposons ici le résultat sous la forme d’une base de données répertoriant les attentats islamistes perpétrés dans le monde depuis le 27 décembre 1979. Les don- nées intégrées dans notre base ne vont pas au-delà du 31 mai 2021, compte tenu du temps nécessaire à la validation et au traitement des informations recueillies. En effet, si les attentats qui ont lieu dans les pays occidentaux ont une visibilité considérable, en raison de l’impact plus grand que peut avoir la violence dans des sociétés plus pacifiées, de leurs capacités à produire rapidement des données fiables et d’une présence médiatique particulièrement dense, il n’en va pas de même pour les attentats qui ont lieu, beaucoup plus souvent, dans d’autres parties du monde où tous les processus de repérage et de renseignement deviennent plus longs sans pouvoir être aussi performants. Dès lors, la validation et la classification des événements pertinents supposent un travail qui excédait le terme que nous devions nécessairement nous fixer pour rendre possible cette publication.
Pour mener à bien notre recherche, nous avons utilisé trois types de sources : le recueil d’informations sur les attentats via les moteurs de recherche, le croisement des bases de données existantes et, enfin, les recherches académiques. Il existe en effet diverses bases de données sur les attentats en général et sur les attentats islamistes en particulier14.
Toutes les bases de données en circulation nous ont été utiles pour confirmer ou enrichir le travail que nous étions en train d’effectuer15. Cependant, la plupart des bases de données accessibles sont très incomplètes ou inégalement renseignées. Dans certains cas, l’information peut être abondante à propos d’un pays, d’une région, d’une année ou d’une période, généralement très courte, puis très pauvre ou inexistante pour un autre pays ou une autre année. On le constate sur Wikipédia, où l’on trouve des données par année ou par thème, mais très lacunaires, très fragmentées et sous une forme qui ne permet pas le traitement statistique. Pour la première édition Les attentats islamistes dans le monde 1979-2019, notre source initiale a été la Global Terrorism Database (GTD) réalisée par l’uni- versité du Maryland, aux États-Unis16. Cette base de données compilait alors les attentats terroristes entre 1970 et 2017. La valeur de cet ensemble est de recenser les attentats quelle que soit leur motivation. Cette richesse avait été aussi pour nous le principal défi à relever, puisqu’il a fallu extraire les attentats de type islamiste des 172.944 attentats recensés dans le monde de 1979 à 2017. Nous avons donc préalablement réalisé un travail de sélection, de vérification et de classification des données contenues dans la GTD. Nous avons dû ensuite la compléter par nos informations, en particulier pour les années 1993, 2018 et 201917.
Remarques additives à propos de la 2e édition de notre étude sur Les attentats islamistes dans le monde. Les années 2018 et 2019 ont été consolidées et nous avons intégré de nouvelles données pour la période située entre janvier 2020 et mai 2021.
Depuis la première édition de notre étude, en novembre 2019, la database de l’université du Maryland a été mise à jour jusqu’à juin 2020. Dans un premier temps, nous avons pu consolider nos données pour les années 2018 et 2019.
Dans un second temps, en extrayant les attentats de type islamiste, nous avons pu recenser les occurrences pertinentes entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2020.
Pour la période allant de juillet 2020 à mai 2021, nous avons utilisé la base de données de l’Armed Conflict and Event Data Project (ACLED). Cette organisation américaine à but non lucratif est spécialisée dans la collecte de données et la cartographie de tout type d’événements violents dans le monde, de 1997 à nos jours. Nous avons élaboré un système de filtrage, avec trois paramètres, afin de ne retenir que les attentats islamistes :
1. La période : nous avons exporté les données portant sur la période du 1er juillet 2020 au 31 mai 2021 ;
2. Le type d’évènements : nous avons ensuite retenu l’ensemble des attentats terroristes dans le monde ;
3. Les groupes terroristes islamistes : nous avons enfin conservé les attentats perpétrés par un terroriste islamiste ou par un groupe terroriste islamiste, 656 groupes terroristes islamistes ayant été recensés de 1979 à nos jours.
Nous avons exclu plusieurs types d’événements :
– Les opérations menées à l’initiative d’une force étatique dans le but d’affaiblir préventivement un groupe terroriste (ex : “On 12 March 2021, 3 Taliban were killed and 1 wounded in the Afghan military forces operation in the limits of Dih Yak district, Ghazni province. In addition, 4 Taliban planted IEDS were detected and defused in the district. Fatalities coded as 3”) ;
– Les opérations dont l’instigateur n’est pas clairement identifiable (ex : “On 14 October 2020, members of an Islamist militia from Mozambique clashed with the Tanzanian armed forces in Kitaya. At least 20 citizens were killed, and between 2 to 3 soldiers. The group of around 200 militiamen set several buildings on fire, including a cashew nut factory and a hospital; an armored personnel carrier was destroyed. The Islamic State claimed credit for the attack”).
Pour les attentats islamistes retenus dans notre base de données, nous avons renseigné les points sui- vants :
– la date;
– la localisation de l’attaque : pays, ville, lieu exact quand il est possible de l’identifier;
– le nombre de morts confirmés et le nombre de blessés, y compris parmi les attaquants ; il importe de signaler ici que le nombre de personnes blessées est à l’évidence très sous-estimé par les informations disponibles ;
– le ou les auteur(s) de l’attentat;
– le ou les type(s) de cibles;
– le ou le(s) type(s) d’attaque(s) dont il s’agit ;
– le ou le(s) type(s) d’arme(s) utilisé(es).
Pour la période juillet 2020-mai 2021, nous avons analysé au total 10.978 événements, ce qui représente une moyenne de près de 1.000 actes terroristes par mois. Nous avons harmonisé la taxonomie entre la Global Terrorism Database (GTD) et l’Armed Conflict and Event Data Project (ACLED) afin de constituer notre propre base de données. Elle est disponible en open data sur notre site data.fondapol.org. Toutefois, l’université du Maryland ayant modifié ses paramètres de confidentialité depuis notre première publication, en novembre 2019, le contrat nous liant à la GTD pour les données postérieures à 2017 ne nous permet plus d’en donner l’accès au public, ce que nous regrettons. Vous trouverez cependant sur notre plateforme datafondapol.org les données de 1979 à 2017 et celles du 1er juillet 2020 au 31 mai 2021.
Pourquoi notre étude sous-estime la réalité de la violence islamiste
Il n’est évidemment pas possible de prétendre proposer une base de données exhaustive des attentats islamistes commis dans le monde entre 1979 et mai 2021, et ce pour un ensemble de raisons détaillées ci-après.
a/ Un certain nombre d’attentats n’ont pas été répertoriés. Quels que soient les efforts déployés, il est certain qu’un nombre significatif d’attentats relevant de la catégorie islamiste n’ont pas pu être répertoriés sur l’ensemble de la période concernée.
b/ Un certain nombre d’attentats ne figurent pas dans notre « estimation retenue » lorsque la motivation religieuse n’est pas clairement pré-pondérante dans une combinaison impliquant une autre détermination. Le terrorisme islamiste s’inscrit en effet dans des contextes à la fois singuliers et complexes qui rendent parfois difficile le recueil de données fiables. C’est notamment le cas dans des situations de guerres, civiles ou internationales, de luttes séparatistes ou indépendantistes et de conflits territoriaux qui perdurent sur de longues périodes, où les causalités sont mouvantes ou inextricables, comme autour de la question palestinienne, tandis que, dans un tout autre cadre, en Thaïlande par exemple, un mouvement séparatiste conduit une minorité musulmane à s’impliquer par les armes au nom d’objectifs qui peuvent atteindre, au-delà de la revendication politique, une dimension religieuse.
c/ La motivation islamiste n’est pas toujours identifiée. Les données disponibles ne permettent pas toujours aux agences de presse d’imputer l’attentat à la cause islamiste, et ce d’autant plus que le pays victime de l’attentat est caractérisé par la faiblesse de ses structures administratives. La non-revendication peut augmenter la probabilité pour qu’un attentat ne soit même pas répertorié par les agences ou que cette information n’atteigne pas la presse.
d/ Le nombre des morts différées est pratiquement inconnu. Or il est certainement très important. Dans la mesure où les victimes succombant à leurs blessures ultérieurement à l’attentat ne sont presque jamais mentionnées dans les informations disponibles, il est impossible de connaître leur nombre avec exactitude. Il est donc également impossible d’intégrer ces morts dans notre base de manière fiable. Ainsi, selon notre base de données, nous relevons au moins 210.138 morts et 172.109 blessés, soit un nombre de blessés inférieur au nombre des tués. Or si nous considérons trois cas d’attentats, chacun menés avec des moyens différents, dans deux pays où la qualité de l’information est excellente, nous observons un rapport tout à fait inverse entre le nombre des morts et le nombre des blessés : aux États-Unis, pour les attentats du 11-Septembre, on dénombre cinq fois plus de blessés (16.493) que de morts (3.001) ; en France, lors des attentats du 13 novembre 2015, il y a eu trois fois plus de blessés (413) que de morts (137) ; à Nice, lors de l’attentat du 14 juillet 2016, il y a eu cinq fois plus de blessés (458) que de personnes tuées (87). Ces informations nous incitent à penser que le chiffre des blessés est très supérieur à celui de notre base de données. Il est certain que les pays pauvres, qui sont ceux où se déroulent la plupart des attentats, n’ont pas la même capacité à repérer et à prendre en charge les personnes blessées lors d’une attaque. Une partie de ces blessés ne sont probablement même pas comptabilisés, tandis que d’autres meurent de leurs blessures après un certain temps en raison de l’insuffisance ou de la fragilité des systèmes de secours et des institutions de santé. Si l’on appliquait au nombre des blessés indiqué dans notre base de données (172.109) les ratios des trois attentats pris en exemple, il faudrait corriger ce chiffre en le multipliant par trois (516.327) ou par cinq (860.545).
e/ Pour ces quatre raisons, nous proposons au lecteur deux types de quantification de la violence islamiste, sous la forme d’une « estimation retenue » et d’une « estimation possible ». L’« estimation retenue » résulte du recensement des attentats au cours de la période 1979-mai 2021 dont la motivation islamiste ne fait pas de doute. L’« estimation possible » résulte du recensement des attentats susceptibles d’être qualifiés d’islamistes, en incluant certains actes terroristes relevant également de logiques séparatistes, politiques ou sociales, qui rendent plus difficiles l’imputation à une motivation exclusivement ou principalement islamiste. Dans tous les cas, le nombre des victimes, morts ou blessés, est sensiblement inférieur à une réalité que l’on ne connaîtra pas plus précisément.
Voir Pierre Daum, « Mémoire interdite en Algérie », Le Monde diplomatique, août 2017, p. 8-9.
Fouad Ajami, « The Furrows of Algeria », newrepublic.com, 27 janvier 2010.
« Algeria puts strife toll at 150,000 », aljazeera.com, 23 février 2005.
Fouad Ajami, art. cit.
Voir notamment les pages « Algérie » du site counterextremism.com ; Audra Grant, « The Algerian 2005 Amnesty: The Path to Peace? », Terrorism Monitor, vol. 3, n° 22, novembre 2017 ; « Algeria: Fundamentalist Conflict, 1980s-Present », in James Ciment (dir.), World terrorism. An Encyclopedia of Political Violence. Ancient Times to the Post-9/11 era, Routledge, 2011, vol. I, p. 157.
Roman Hagelstein, « Explaining the Violence Pattern of the Algerian Civil War », HiCN Working Paper, n° 43, mars 2008.
La « décennie noire » algérienne : seule une estimation est possible
Le cas Algérien illustre particulièrement bien la difficulté à proposer une base de données exhaustive. Les Algériens nomment « décennie noire » la période comprise entre 1991 et 2002 qui a vu divers groupes islamistes, en particulier le Front islamique du salut (FIS) et le Groupe islamique armé (GIA), s’opposer à l’État algérien dans le cadre d’une guerre civile d’une grande violence dont le bilan est difficile à documenter1. Selon Fouad Ajami, « on ne connaîtra jamais avec précision le nombre d’Algériens qui ont péri dans la guerre civile qui a éclaté en 1992. Les dirigeants algériens, peu connus pour leur fidélité à la vérité, et qui ont tant à cacher, ont reconnu, en 1999, un bilan de 100.000 victimes. Des estimations plus fiables fournies par les organisations civiques algériennes font état d’un bilan de 200.000 morts2». En effet, le président Abdelaziz Bouteflika a d’abord estimé, en 1999, le nombre des victimes à 100 000. Puis, en février 2005, le président algérien a donné dans un discours le chiffre de 150.000 morts3. De son côté, Fouad Ajami considère que le bilan pourrait atteindre 200.000 victimes, arguant qu’il était dans l’intérêt du gouvernement algérien de minimiser les pertes4. Ce chiffre, repris dans divers travaux consacrés au terrorisme en Algérie5, reste discuté, notamment parce qu’il ne fait pas de distinction entre les victimes membres de la police ou de l’armée, terroristes et civils. Dans une étude publiée en 2008, Roman Hagelstein s’est employé à distinguer, d’une part, les personnes tuées lors d’affrontements opposant les forces de sécurité et les terroristes, et, d’autre part, les victimes de massacres, d’attentats à la bombe et d’assassinats. L’étude distingue également le nombre des personnes disparues, présumées assassinées en secret, l’auteur estimant le nombre total de victimes à 44.0006. Concernant les victimes du terrorisme islamiste algérien au cours de la période 1991-2002, les estimations disponibles et que l’on peut considérer fiables en raison des sources, des auteurs et des types de publication varient donc entre 44.000 et 200.000. Dans tous les cas, pour ce pays et pour cette période, il n’existe pas de données permettant de renseigner le nombre des attentats, leur date, les modalités d’action, le groupe responsable ou encore le profil des victimes. Pour notre base de données, ces grandes incertitudes ont plusieurs conséquences : en premier lieu, faute d’information, il n’est pas possible de préciser davantage la situation du terrorisme islamiste en Algérie au cours de cette décennie. Fidèles à notre méthode, nous ne conservons donc dans les « données retenues » que les cas renseignés. Ce choix induit une sous-évaluation sans doute très importante du nombre des attentats et des victimes en Algérie. D’autre part, nous inclurons dans la catégorie « estimation possible » les indications concernant l’Algérie. Enfin, par voie de conséquence, cette situation de grande ignorance en ce qui concerne le cas algérien, conduit à sous-estimer le nombre des attentats et des victimes du terrorisme islamiste dans le monde aussi bien pour la période postérieure à 1991 que pour l’ensemble de la période.
Il s’agit bien là d’une sous-évaluation puisque si nous ajoutons les personnes mortes du terrorisme islamiste pendant la décennie noire algérienne, ce nombre peut grimper de 254.000 à 410.000 morts selon les sources retenues.
Nous avons recensé 48.035 attentats islamistes ayant provoqué la mort d’au moins 210.138 personnes18 entre 1979 et mai 2021.
Dominique Reynié (dir.), Les attentats islamistes dans le monde 1979-2019, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2019.
Notre recherche a débuté au printemps 2018. Elle a donné lieu à une première publication, en 201919. L’étude que nous publions ici procède de la base de données que nous avons élaborée, disponible en open data sur data.fondapol.org (en anglais) dans les limites précédemment indiquées. Les analyses qui suivent présentent d’abord les évolutions du terrorisme islamiste de 1979 à nos jours avant de proposer une présentation et une lecture des données selon les régions du monde et les pays touchés par la violence islamiste.
La précision des chiffres ne saurait impliquer une connaissance aussi fine de la réalité observée; le degré de précision résulte des opérations de calcul appliquées à la base de données. Nous ne pouvions que reproduire exactement le résultat de ces opérations.
Les prémices d’un terrorisme islamiste transnational (1979-2000)
Ce travail n’ambitionne pas d’éclairer les fondements de l’islamisme ni de discuter les origines et les justifications, dans le contexte de l’islam, du recours à la violence et à la violence de type terroriste en particulier. Différemment, nous considérons que l’apport de notre contribution réside dans les informations que l’on peut tirer de l’exploitation d’une base de données consolidée et des analyses auxquelles elles peuvent donner lieu. Cependant, la compréhension de l’intérêt des données partagées ici nécessite de rappeler succinctement les évolutions du terrorisme islamiste depuis 1979.
Voir Mohamed Louizi, Libérer l’islam de l’islamisme, Fondation pour l’innovation politique, janvier 2018; Mohamed Sifaoui, Taqiyya! Comment les Frères musulmans veulent infiltrer la France, L’Observatoire, 2019 ; ou encore Malik Bezouh, Crise de la conscience arabo-musulmane, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2015.
Jusqu’au milieu des années 1970, l’islamisme reste peu influent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Dans le prolongement de la décolonisation et du rejet de l’impérialisme occidental, les nouveaux États de la région affirment une vision nationaliste et panarabique portée par des leaders tels que Nasser ou Boumediene et par des mouvements comme le Baath, en Syrie et en Iraq, ou l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), en Palestine. Les organisations islamistes sont fermement conte- nues ou durement réprimées, comme le fit Nasser, en Égypte, avec les Frères musulmans. Fondée en 1928 par Hassan el-Banna, l’organisation des Frères musulmans est née dans le but de restaurer l’islam politique disparu avec l’abolition du califat ottoman proclamée par Atatürk en 1924.
À la fin des années 1970, la revendication islamiste se renforce1. L’accroissement des inégalités sociales et la corruption des élites sont dénoncés. Les mouvements islamistes tentent d’incarner une alternative politique aux dictatures en place ou s’engagent dans des actions violentes, comme en Syrie, où les Frères musulmans lancent une lutte armée contre le régime baathiste d’Hafez el-Assad. Ces mouvements d’islamisation des sociétés du Moyen-Orient prospèrent d’autant plus que le nationalisme arabe périclite puis s’effondre. Dès la fin de la décennie, en 1979, un espace d’opportunité s’ouvre aux islamistes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
La guerre soviéto-afghane, « matrice du terrorisme islamiste contemporain »
Voir Gilles Kepel, « Le terrorisme islamiste est né en Afghanistan », propos recueillis par Héloïse Kolebka, L’Histoire, n° 293, décembre 2004, p. 18-19.
L’année 1979 est une année charnière, théâtre de plusieurs événements importants, parmi lesquels la révolution iranienne et l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. L’opération militaire russe précipite l’émergence d’un nouvel islamisme. Au même moment, en Iran, l’opposition menée par le clergé chiite, grâce au contexte d’une intense contestation sociale, contraint le shah à fuir le pays (16 janvier 1979). Le 1er février 1979, Ruhollah Khomeyni parvient au pouvoir. Il engage la transformation du régime impérial d’Iran, accusé d’« occidentalisation », en une république islamique. Dans le sillage de la révolution iranienne, des groupes chiites prônant la lutte armée voient le jour. Parmi eux, on compte le Hezbollah libanais, créé en 1982. L’idéologie chiite s’affirme dans le contexte du processus d’islamisation du Moyen-Orient où elle concurrence la légitimité sunnite.
En Afghanistan, l’invasion soviétique ouvre le conflit qui sera considéré comme la matrice du terrorisme islamiste contemporain2. Le djihad est soutenu par l’Arabie saoudite, par l’Algérie ou encore par l’Égypte. Les djihadistes qui rejoignent l’Afghanistan deviennent des « moudjahidines » ; ils sont regardés comme les libérateurs d’une « terre d’islam » (dar al-islam).
Les années 1980 et l’émergence du terrorisme islamiste
Avec 357 attentats, qui coûtent la vie à 1.442 personnes, les années 1980 sont les moins meurtrières par comparaison avec les décennies qui suivent. L’émergence du terrorisme islamiste est visible dès les années 1980-1983 qui correspondent à l’activisme des Frères musulmans en Syrie, alors en pleine insurrection contre le gouvernement de Hafez el-Assad.
De 1980 à 1982, on relève 69 attentats sur le territoire syrien, soit près des deux tiers (63,3%) des attentats islamistes répertoriés dans le monde au cours de ces trois années. Les attentats cessent après la répression du mouvement des Frères musulmans, notamment lors des massacres de Hama par l’armée syrienne, en 1982.
Les attentats islamistes dans le monde (1979-2000)
De 1980 à 1989, le pays le plus touché par le terrorisme islamiste est le Liban, avec 133 attentats, qui font au moins 515 morts. En proie à une guerre civile depuis 1975, le pays subit la montée en puissance de groupuscules terroristes. Ce contexte national instable et l’invasion du sud du Liban par Israël en 1982 favorisent, la même année, l’émergence du Hezbollah. Un an plus tard, l’organisation chiite déclenche une série d’attentats contre des institutions étrangères. Une patrouille italienne est touchée le 15 mars 1983, sans avoir à déplorer de pertes, mais le 18 avril un nouvel attentat atteint l’ambassade des États-Unis à Beyrouth, provoquant la mort de 63 personnes. À la fin de la même année, le 23 octobre, une base américaine et une patrouille française sont terriblement frappées par un attentat au cours duquel 299 personnes perdent la vie. L’activisme terroriste du Hezbollah est particulièrement intense au Liban, où il provoque 276 attentats de 1983 à 2000, mais il ne s’y restreint pas. En tout, en intégrant les autres pays touchés, le Hezbollah est responsable de 339 attentats de 1983 à 2000, tuant 1.105 personnes. L’Arabie saoudite, l’Argentine, Chypre, le Danemark, l’Égypte, la Grèce, Israël, le Koweït et la Tunisie sont parmi les pays victimes.
En septembre 1986, Paris subit une série de six attentats, dont celui du 17 septembre, rue de Rennes, devant un magasin Tati, qui fait 7 morts et 55 blessés.
Ces attentats sont revendiqués par le Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient, pour le compte du Hezbollah libanais.
L’organisation libanaise est aussi jugée responsable des deux attaques du 17 mars 1992 contre l’ambassade israélienne à Buenos Aires (30 morts, 220 blessés), ainsi que de l’attentat du 18 juillet 1994 contre une association juive, également à Buenos Aires (85 morts, 236 blessés). Sur l’ensemble de la période 1979-mai 2021, l’Argentine reste le seul pays d’Amérique du Sud touché par le terrorisme islamiste, avec 3 attentats.
Types d’armes utilisées dans les attentats islamistes (1979-2000)
Années 1990, propagation du terrorisme islamiste au Moyen-Orient et en Afrique du Nord
Faute d’information, il n’est pas possible de préciser davantage la situation du terrorisme islamiste en Algérie au cours de cette décennie. Fidèle à notre méthode, nous ne conservons donc dans les « données retenues » que les cas renseignés. Ce choix induit une sous-évaluation sans doute très importante du nombre d’attentats et de victimes en Algérie.
Le retrait de l’Armée rouge de Kaboul, le 5 février 1989, galvanise la mobilisation islamiste, déjà stimulée en 1987 par la création d’al-Qaida, par Abdullah Azzam et Oussama Ben Laden. La globalisation de la lutte djihadiste est engagée. Le discours repose principalement sur l’idée d’une communauté de musulmans unifiée (oumma) revendiquant son autonomie vis-à-vis des spécificités ethniques, nationales et culturelles de chaque peuple. L’objectif est l’établissement du califat et de la cité prophétique exemplaire, qui doit aussi être étendue aux pays non musulmans. L’autonomisation du discours djihadiste par rapport aux référents classiques, nationalistes et politiques, n’est pas le propre d’al-Qaida. Elle est reprise par tous les musulmans venus en Afghanistan pour prendre part à l’action violente. À la suite du retrait soviétique, ces moudjahidines retournent dans leur pays d’origine et y diffusent les idées du salafisme djihadiste. C’est ainsi que, dans les années 1990, un nombre croissant de pays, notamment au Moyen-Orient, sont directement frappés par la violence islamiste.
En Algérie, un certain nombre de djihadistes se rassemblent en groupes militants dès les débuts de la guerre civile de 1991-20023. La victoire du Front islamique du salut (FIS) aux élections municipales de 1990 et aux élections législatives de 1991, puis l’annulation de ces élections par l’armée algérienne et la démission du président Chadli Bendjedid déclenchent une « décennie noire ». Militaires et groupes islamistes s’engagent dans une lutte terrifiante pour le pouvoir. La confrontation ravage le pays. De 1990 à 1999, l’Algérie est le pays le plus durement touché par le terrorisme islamiste. On y recense 542 attentats, soit plus d’un tiers (34,6%) des attentats enregistrés dans le monde au cours de cette décennie par notre base de données; on compte au moins 2.390 morts, soit plus de la moitié (51,4%) des victimes du terrorisme islamiste dans le monde entre 1990 et 1999. La violence atteindra son paroxysme en 1997 : 967 personnes sont alors tuées à la suite des élections législatives remportées par le Rassemblement national démocratique (RDN), soutenu par l’armée.
Groupes terroristes les plus meurtriers en Algérie (1979-2000)
Au cours de cette « décennie noire », les figures et les institutions religieuses ont été particulièrement touchées, notamment les chrétiens de nationalité étrangère : douze touristes croates sont assassinés le 14 décembre 1993, deux religieuses espagnoles sont tuées le 23 octobre 1994 et sept moines français de Tibhirine sont enlevés et assassinés au printemps 1996.
Principales cibles des attentats terroristes en Algérie (1979-2000)
Voir Amr Hamzawy et Sarah Grebowski, « From Violence to Moderation. Al-Jama’a al-Islamiya and al-Jihad », Carnegie Papers, n° 20, avril 2010.
En Égypte, à la veille des années 2000, le paysage islamiste est structuré par deux mouvements : al-Jihad et al-Gama’a al-Islamiyya. L’objectif de ces deux organisations est l’instauration d’un État islamique et le moyen d’y parvenir est le terrorisme4. Dans les années 1990, al-Gama’a al-Islamiyya a lancé contre le gouvernement 257 attentats à visée insur- rectionnelle, provoquant la mort de 489 personnes.
Au Proche-Orient, les années 1990 sont marquées par l’islamisation du conflit israélo-palestinien. Une sorte de passation de pouvoir s’opère au profit du Hamas, mouvement islamiste palestinien né en 1987 au début de la première Intifada, et au détriment de l’OLP, issu de la mouvance nationaliste arabe. Cette évolution entraîne une mutation du conflit israélo-palestinien. En 1992, 417 dirigeants et activistes du Hamas sont arrêtés et conduits au Sud-Liban, dans le village de Marj al-Zouhour, après l’assassinat d’un officier israélien. Une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU exige leur rapatriement. Cet événement est analysé par Gilles Kepel comme « le bas-culement symbolique qui donna au Hamas la parité avec l’OLP, sinon la primauté, pour l’incarnation de la cause palestinienne, et en conséquence l’islamisation de son image arabe et universelle5 ». Par-delà les vicissitudes politiques sur le terrain palestinien, « la multiplication des attentats-suicides – face au durcissement des gouvernements successifs de M. Netanyahou et l’intensification de la colonisation – peut être considérée comme le modèle au miroir duquel le djihadisme international d’al-Qaida élaborerait son mode d’action privilégié6 ».
Dans notre base de données, nous observons clairement une hausse du nombre des attentats affectant les territoires israéliens et palestiniens dès le début des années 1990. Les attaques terroristes sont en grande partie incriminables au Hamas mais aussi au groupe Jihad islamique palestinien (JIP). Entre 1979 et 2000, sur les 62 attentats dénombrés sur le sol israélien, 29 ont été revendiqués par le Hamas et 13 par le JIP. Sur 86 attentats commis en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, 65 ont été revendiqués par le Hamas et 12 par le JIP.
Types d’attentats en Israël (1979-2000)
Types d’attentats en Cisjordanie et dans la bande de Gaza (1979-2000)
L’exportation du djihad
La violence islamiste se développe au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à partir des années 1980 et d’autres régions du monde deviennent le théâtre de ce djihad, notamment l’Asie du Sud-Est (Philippines), l’Asie du Sud (Inde) et l’Europe.
La violence islamiste dans le monde (1979-2000)
Voir Dominique Thomas, Le Londonistan. La voix du djihad, Michalon, 2003, p. 70.
La rapide autonomisation et la montée en puissance de l’islamisme finissent par susciter la crainte de pays qui ont pourtant œuvré à ce mouvement ou qui l’ont utilisé pour des raisons de politique intérieure ou de relations internationales. Ainsi, face à la menace islamiste, l’Arabie saoudite et l’Algérie se livrent à une implacable répression. Il en va de même pour l’Égypte et la Syrie. En une décennie, les salafistes changent de catégorie : d’abord admirés comme les « combattants de la liberté », ils sont ensuite anathématisés comme « fugitifs »7.
Ibid., p. 62. Sur l’activisme salafo-djihadiste au Royaume-Uni, cf. aussi Dominique Reynié, Les Nouveaux Populismes, Paris, Fayard/Pluriel, 2013, en particulier la deuxième partie (« Le conflit des identités ») et notamment son chapitre 3, « La charia en Europe ? », p. 97 sqq.
Ce contexte régional conduit nombre de djihadistes à l’exil : certains, revenus d’Afghanistan, deviennent réfugiés politiques, souvent dans le but d’exporter leur combat islamiste vers de nouveaux territoires, y compris ceux qui ne sont pas à majorité musulmane. Ils demandent l’asile en Europe. Dans les années 1990, ces territoires d’implantation et de conquête sont d’abord l’Angleterre et la France. Londres devient ainsi un foyer de l’activisme salafo-djihadiste en Europe8. Entre juillet et octobre 1995, la France est touchée par une vague d’attentats islamistes, non sans lien avec le contexte algérien : le 25 juillet 1995 un attentat dans le métro parisien se solde par la mort de 7 personnes et 86 blessés.
L’Asie est durement frappée entre 1979 et 2000, tout particulièrement dans le sud et le sud-est. D’après notre base de données, on note un premier attentat islamiste en Inde en 1986. Le phénomène reste spo- radique jusqu’en 1990. Cette année-là, 12 attentats sont commis sous l’impulsion du groupe Hizbul Mujahideen (HM) et de ses partisans. L’action de ce groupe islamiste prend place dans le conflit opposant l’Inde au Pakistan à propos de la région frontalière du Jammu-et-Cachemire, mais si le groupe souhaite l’intégration de la région au Pakistan, il milite aussi pour l’établissement d’un califat dans le monde.
Le paysage du terrorisme islamiste en Inde est fragmenté : un certain nombre de groupes gravitent autour de la problématique indépendantiste, notamment Allah’s Tigers (« Tigres d’Allah »), les Frères musulmans, Harkat ul-Ansar ou encore Jamaat-e-Islami. Entre 1979 et 2000, la plupart des attentats (78,8%) sont concentrés au Jammu-et-Cachemire. À partir de 2000 et de la création du groupe terroriste Jaish-e-Mohammed (JeM), les attaques sont à la fois plus nombreuses et plus meurtrières (25 attentats et 126 morts en 2000, 42 attentats et 200 morts en 2001). Ces années voient aussi les talibans pakistanais (Lashkar-e-Taiba) conduire des campagnes de terreur en Inde.
Aux Philippines, le terrorisme islamiste se déploie dans le cadre du combat séparatiste du peuple moro, une minorité musulmane du sud du pays. L’un des principaux groupes terroristes de la région, le groupe Abou Sayyaf (ASG), fondé en 1991 par Abdurajak Abubakar Janjalani, puise son inspiration dans les mouvements islamistes du Moyen-Orient. La première manifestation de cette mouvance terroriste survient le 7 septembre 1986, lorsque le Front Moro de libération islamique (FMIL) attaque une église catholique et une cérémonie de mariage à Salvador, sur l’île de Mindanao, faisant 20 morts et 186 blessés. Le groupe déclenche un attentat le 15 janvier 1987 dans le métro de Manille, la capitale, causant la mort de 8 personnes. En 1994, après une sorte d’éclipse, le groupe Abou Sayyaf (ASG) commet 7 attentats dans le sud du pays. Il deviendra l’un des acteurs principaux du terrorisme islamiste aux Philippines pendant les décennies suivantes.
Voir Gérard Chaliand et Arnaud Blin (dir.), Histoire du terrorisme de l’Antiquité à Daech, Fayard, 2015 ; Franklin L. Ford, Le Meurtre politique. Du tyrannicide au terrorisme [1985], PUF, 1990; Mario Turchetti, Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, PUF, 2001 ; Monique Cottret, Tuer le tyran ? Le tyrannicide dans l’Europe moderne, Fayard, 2009 ; Isabelle Sommier, Le Terrorisme, Flammarion, coll. « Dominos », 2000; Henry Laurens et Mireille Delmas-Marty (dir), Terrorismes. Histoire et droit, CNRS Éditions, 2010.
Sur les cas italien et français, voir Isabelle Sommier, La Violence politique et son deuil. L’après-68 en France et en Italie, Presses universitaires de Rennes, 1998.
Les données concernant l’ensemble des attentats terroristes dans le monde est uniquement disponible sur la database de l’université du Maryland, qui a été mise à jour jusqu’à juin 2020.
Les multiples visages du terrorisme
Violence politique singulière que certains auteurs font remonter jusqu’à l’Antiquité1, le terrorisme trouve dans les mutations de la fin du xixe siècle de nouvelles ressources propres à décupler la puissance : l’idéologie favorise le recrutement des terroristes et leur détermination à agir, l’évolution des technologies fournit des moyens de destruction de plus en plus puissants, en même temps plus maniables et plus aisés à dissimuler, et l’avènement du journal et de la photographie assure une visibilité qui confère un impact inédit aux actions terroristes.
À la fin du xixe siècle, le terrorisme est dominé par les causes séculières : révolutionnaires, anarchistes et socialistes, nationalistes et séparatistes constituent le gros de troupes terroristes. Certains attentats semblent rejoindre la grande histoire, comme l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, le 28 juin 1914, à Sarajevo. Pendant un siècle, jusqu’à la fin des années 1980, des dizaines de milliers d’attentats ont ensanglanté l’actualité, prenant place dans le cadre de conflits s’inscrivant dans des logiques nationalistes ou révolutionnaires, parfois les deux. À titre d’exemples, on peut citer : les attentats en Algérie ou en France du Front de libération nationale (FLN) et de l’OAS ; autour du conflit israélo-palestinien, ceux perpétrés par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) ou l’organisation Septembre noir, responsable notamment du massacre de membres de la délégation sportive israélienne, le 5 septembre 1972, lors des Jeux olympiques de Munich ; ceux des organisations paramilitaires irlandaises, notamment de l’Irish Republican Army (IRA) ; ceux des indépendantistes, catalans, basques, corses ou bretons ; les actions des Brigades rouges, en Italie, dont l’enlèvement et l’assassinat, en 1978, de l’ancien président du Conseil Aldo Moro, ou, deux ans plus tard, en 1980, l’attentat de la gare de Bologne (85 morts, 200 blessés) attribué à une organisation d’extrême droite, les Noyaux armés révolutionnaires (NAR) ; les assassinats, en Allemagne, de la Fraction Armée rouge, reconnue responsable de la mort de 34 personnes entre 1970 et 1998 ; les attentats et les enlèvements, en France, du groupe Action Directe, qui revendique plus de 80 attentats entre 1979 et 1987, dont l’assassinat de l’industriel Georges Besse, en 19862 ; les actions de l’Armée rouge japonaise (JRA) ; les actions de guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (FARC-EP) ou de l’organisation péruvienne Sentier lumineux ; les massacres des Tigres tamouls, entre 1976 et 2009, au Sri Lanka…
Les causes séculières ont dominé le terrorisme jusqu’à la fin des années 1980. Après cette date, on observe la montée en puissance d’un terrorisme d’inspiration islamique. Depuis plusieurs années, l’islamisme est devenu la principale motivation du terrorisme3. Selon nos données, entre janvier 2013 et juin 2020, les attentats islamistes (29.528) représentent 32,1% de l’ensemble des attentats (91.994) commis dans le monde mais sont responsables de 145.225 morts (65,3%) sur un total de 222.341 personnes tuées.
Extrait de notre base de données, en libre accès sur data.fondapol.org.
Source :
Fondation pour l’innovation politique
Le tournant du 11-Septembre (2001-2012)
Louis Gautier (dir.), Mondes en guerre. Tome IV, Guerre sans frontières. 1945 à nos jours, Éditions Passé composés/ Humensis, Paris, 2021. Cf. en particulier Louis Gautier, « Le temps des conflits », chapitre III, pp. 143-204
Les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par al-Qaida sur le sol américain forment à ce jour l’attaque terroriste la plus meurtrière de l’histoire, avec 3.001 morts et 16 493 blessés au total. Ce jour-là, deux avions de ligne qui avaient été détournés ont été lancés contre les tours du World Trade Center, à New York. Un troisième appareil avait été dirigé sur le Pentagone, à Washington. À bord du quatrième avion détourné, c’est la révolte des passagers qui fait échouer le plan des terroristes, l’appareil s’écrasant en pleine campagne, en Pennsylvanie. La diffusion en direct et planétaire de cet événement dramatique et spectaculaire1 marque aussi le début d’une nouvelle ère dans la médiatisation du terrorisme. À l’information différée et destinée à des publics particuliers s’ajoute désormais une information immédiate et globale. Ce nouvel espace public affecte profondément le travail des médias traditionnels (télévision, presse et radio). L’avènement des réseaux sociaux et des smartphones ouvre les portes de la communication de masse à d’innombrables nouveaux acteurs, à commencer par les organisations terroristes.
Voir Steven Pinker, La Part d’ange en nous. Histoire de la violence et de son déclin [2011], Les Arènes, 2017.
Voir le haut niveau de confiance que recueillent les institutions d’ordre (police, armée et justice) dans quarante-deux démocraties, comparativement à la crise qui affecte la plupart des institutions. Voir Mathieu Zagrodzki, « Armée, police, justice : un soutien marqué aux institutions d’ordre », in Dominique Reynié (dir.), Démocraties sous tension, Fondation pour l’innovation politique, 2019, vol. I, p. 97-98.
Dans les vingt-huit pays de l’Union européenne, une large majorité (57%) des personnes interrogées répondent qu’ils ne peuvent « pas accueillir plus de réfugier car ils augmentent le risque terroriste dans notre pays ». Dans les onze pays de l’ancien bloc communiste aujourd’hui membres de l’Union européenne, cette réponse concerne 72% des répondants (voir Dominique Reynié, « L’enjeu migratoire à la lumière de la question des réfugiés », in Domnique Reynié (dir.), op. cit., vol. I, p. 52-56.)
Voir Antoine Garapon et Michel Rosenfeld, Démocraties sous stress. Les défis du terrorisme global, PUF, 2016.
L’opinion en faveur d’une forme autoritaire de gouvernement atteint des niveaux qui dépassent les scores électoraux des partis populistes. Le niveau est d’autant plus élevé que les répondants sont plus jeunes (voir Dominique Reynié, « Les fantômes de l’autoritarisme », in Dominique Reynié (dir.), op. cit., vol. I, p. 39-40.
Voir Dominique Reynié, Les Nouveaux Populismes, éd. revue et augmentée, Fayard/Pluriel, 2013.
Islamisme et populisme : une dialectique implacable
La violence terroriste atteint principalement des civils. Elle les atteint au cœur de leur vie ordinaire, un monde où nul n’a de raison d’être sur ses gardes. N’importe quand, n’importe où, n’importe qui. La mort due au terrorisme installe dans les esprits un sentiment insupportable de vulnérabilité permanente. Pendant quelques jours, quelques semaines et parfois plus longtemps, la paix a des airs de guerre. Les populations du monde démocratique sont plus traumatisées par la violence terroriste parce qu’elles ont hérité d’une culture irénique, conséquence logique du déclin de la violence interétatique1. Mais les démocraties sont aussi plus désemparées parce qu’elles représentent un ordre politique doux, fondé sur la liberté et les droits humains. Immanquablement, face à la violence terroriste, face à une guerre imposée à tous, les démocraties se sentent désarmées.
La stupeur, l’abattement puis la crainte bouleversent les demandes politiques. Une envie de répression, de contrôle, de surveillance, d’expulsion, de fermeture des frontières s’exprime au grand jour2. Elle engendre une culture sécuritaire, voire paranoïaque, que pérennisent les inévitables mesures destinées à rassurer autant sinon plus qu’à prévenir. Les démocraties se peuplent d’innombrables systèmes de contrôle d’accès aux lieux publics et aux magasins, portiques et vigiles surgissent partout, les poubelles de rue sont des sacs transparents. Désormais, prendre un avion oblige à de lourdes procédures de contrôle et de fouille, aller dans le métro requiert la vigilance des voyageurs, les sites stratégiques inquiètent et la vidéosurveillance se répand, tandis que la lutte contre les réseaux terroristes intensifie la vigilance policière : fichiers, écoutes, traçage sur le Web et les réseaux sociaux, sur les forums de jeux vidéo, etc.
Par la violence des djihadistes, l’islam et les musulmans suscitent des craintes irrépressibles et grandissantes3. La peur de l’autre fissure les sociétés, elles finissent par s’opposer à elles-mêmes : désir d’en découdre, xénophobie, conflit des identités, autoritarisme. Le droit commun est jugé argutieux, encombrant et lâche4. Une part croissante de l’opinion se croit représentée et rassurée par des chefs qui promettent d’altérer l’État de droit. Lorsque la peur passe dans les urnes que la démocratie met à disposition, elle se transforme en cette force qui défait et refait la loi. La promesse de la démocratie illibérale augmente l’attractivité des programmes populistes5. Islamisme et populisme se répondent et se comprennent sans devoir se parler. Ils croissent l’un par l’autre et s’espèrent mutuellement6.
Le 11-Septembre et la « guerre contre le terrorisme »
Selon une enquête, réalisée par la Fondation pour l’innovation politique et la Fondation pour la mémoire de la Shoah, parmi dix-sept événements proposés, la moitié des jeunes interrogés (47%) citent les attentats du 11 septembre 2001 comme l’un des trois événements les plus marquants (voir Mémoires à venir, Fondation pour l’innovation politique-Fondation pour la mémoire de la Shoah, janvier 2015).
Les attentats du 11-Septembre ont considérablement modifié la géopolitique du Moyen-Orient2. Qualifiée par l’administration de George W. Bush de « guerre contre le terrorisme », la riposte américaine est fulgurante. Le 7 octobre 2001, les États-Unis déclenchent une vaste offensive contre le régime taliban en Afghanistan, accusé d’avoir soutenu al-Qaida. Une année et demie plus tard, le 20 mars 2003, l’armée américaine envahit l’Iraq, afin de renverser le régime de Saddam Hussein dans la perspective d’une « démocratisation du Moyen-Orient ». Malgré des victoires militaires écrasantes, les États-Unis ne parviennent ni à rétablir la paix, ni à éradiquer l’islamisme. Confrontés à la machine de guerre américaine dans la durée, les islamistes s’organisent, en acquérant une dimension internationale qu’ils ne cessent d’affirmer. Entre 2001 et 2012, le nombre d’attentats et de victimes croît de manière spectaculaire, en raison notamment des attentats perpétrés par les fondamentalistes talibans.
Leur mouvement se répand en Afghanistan et au Pakistan dès 1994. Deux ans plus tard, ils renversent le gouvernement en place lors de la prise de Kaboul. Ils instaurent le régime de l’Émirat islamique d’Afghanistan, avec à sa tête Mohammad Omar. Pendant les années qui suivent, les talibans persécutent les minorités, instaurent un régime fondé sur l’application stricte de la charia et accueillent de nombreux djihadistes recherchés, dont le chef d’al-Qaida, Oussama Ben Laden. En quelques années, l’Afghanistan devient un foyer pour des extrémistes islamistes du monde entier.
Après les attentats du 11-Septembre, les talibans sont chassés du pouvoir par une coalition internationale menée par les Américains. À partir de ce moment, on observe une hausse exponentielle du nombre d’attentats et du nombre de victimes, notamment parmi les forces internationales ou les membres du gouvernement afghan. On passe de 4 attentats et 153 morts en Afghanistan en 2001 à 829 attentats et 2604 morts en 2012. Au total, entre 2001 et 2012, 2536 attaques ont lieu sur le sol afghan, faisant au moins 8054 morts. Cela représente 30,7% du total des attentats islamistes répertoriés dans le monde entre 2001 et 2012. Les talibans sont responsables de la plupart (95,2%) de ces attentats.
Cibles des talibans en Afghanistan (2001-2012)
Au Pakistan, on assiste également à la montée de groupuscules multipliant les actes terroristes entre 2001 et 2012, avec 1.010 attentats et 4.997 morts. Très présents sur ce territoire, les talibans s’organisent à partir de 2007 sous le nom Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) ; ils sont responsables de près des trois quarts (71,1%) des violences terroristes sur cette période (2001-2012). D’autres groupes islamistes sont également actifs, tels que Lashkar-e-Jhangvi (56 attentats, 386 morts) ou Lashkar-e-Islam (64 attentats,115 morts). En 2007, deux attaques terroristes menées par al-Qaida et ses alliés marquent le paysage politique du pays : le 18 octobre, une attaque contre une foule rassemblée pour accueillir l’ancienne Première ministre Benazir Bhutto, de retour d’exil, cause la mort de 141 personnes et en blesse 250. Le 27 décembre, elle est à son tour assassinée, victime d’un attentat-suicide qui fait 20 morts et une centaine de blessés.
Les attentats islamistes au Pakistan (2001-2012)
Entre 2001 et 2012, l’Iraq est le troisième pays le plus touché par ;le terrorisme islamiste, avec 914 attentats. Particulièrement violents, ces attentats provoquent la mort de 8.534 personnes, avec en moyenne 9,3 tués par action terroriste. À titre de comparaison, dans le monde, durant la même période, un attentat tue en moyenne 4,6 personnes. La lutte contre l’ingérence étrangère est présentée comme un motif de violence par les islamistes. Dès le 19 août 2003, l’attentat à la voiture piégée contre le Canal Hotel, quartier général de l’ONU à Bagdad, fait 22 morts. L’année 2004 voit une série d’actes terroristes cibler les pays membres de la coalition internationale présents en Iraq, avec 5 attentats contre des patrouilles, des checkpoints ou des bases militaires de la Multi-National Force-Iraq (MNF-I). On enregistre également à cette époque le développement de la prise d’otages dans le répertoire des actions terroristes : alors que l’on n’enregistre aucune prise d’otage ou enlèvement en 2001, 2002 et 2003, on en compte 27 en 2004, visant largement des civils de pays militairement déployés en Iraq (5 Américains, 4 Japonais, 3 Sud-Coréens, 1 Bulgare, 1 Canadien, 1 Italien). Parmi les pays belligérants, les États-Unis sont très touchés : entre 2001 et 2012, en Iraq, 34 attentats ciblent les Américains, dont 15 pendant l’année 2004.
Groupes terroristes les plus meurtriers en Iraq (2001-2012)
Globalisation des attentats islamistes
Entre 2001 et 2012, une propagation des attentats islamistes est observable dans plusieurs zones géographiques du monde. Par rapport à la période précédente (1979-2000), on note une forte augmentation du nombre d’attaques terroristes, avec 8.265 attentats (contre 2194 au total entre 1979 et 2000) et 38.186 morts (contre 6.817 au total entre 1979 et 2000). Cette hausse spectaculaire s’explique en partie par la globalisation du djihad, facilitée par l’accélération de la circulation des personnes et des idées.
Les attentats islamistes dans le monde (2001-2012)
Gilles Kepel, Sortir du chaos. Les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient, Gallimard, 2018, p. 147.
Voir David Martin Jones, Michael Smith et Mark Weeding, « Looking for the Pattern: Al Qaeda in Southeast Asia-The Genealogy of a Terror Network », Studies in Conflict & Terrorism, vol. 26, n° 6, novembre 2003, p. 443-457.
Voir Gabriel Facal, « Les groupes islamistes radicaux en Asie du Sud-Est–Panoramas institutionnels, réseaux d’affiliation et références », Note d’actualité n° 10/16, Observatoire de l’Asie du Sud-Est, cycle 2018-2019, centreasia.eu, juillet 2018.
À partir de 2004, l’Europe se retrouve confrontée à une vague d’attentats d’une nouvelle ampleur. Le 11 mars, à Madrid, quatre trains explosent presque simultanément. Revendiquées par al-Qaida, ces attaques font 191 morts. Le 7 juillet 2005, quatre explosions touchent les transports publics de Londres, faisant 56 morts et 784 blessés. Si al-Qaida revendique ces attentats, les terroristes, contrairement à ceux du 11-Septembre, sont natifs du Royaume-Uni. Gilles Kepel y voit une mutation de la mise en œuvre des attentats islamistes, qui s’appuient désormais « sur une ressource humaine propre au pays occidental visé3 ».
De plus, nombre de mouvements islamistes intensifient leurs collaborations interrégionales, comme en Asie. Les attaques du 11-Septembre sur le sol américain revendiquées par al-Qaida puis l’intervention en Afghanistan des troupes américaines achèvent le rapprochement du mouvement de Oussama Ben Laden et de la nébuleuse de groupes sud asiatiques4 dont on peut citer pour exemples Abu Sayyaf aux Philippines et Jemaah Islamiyah (JI) en Indonésie. Toute la difficulté est d’examiner, dans chaque contexte, la façon dont les personnes et les groupes violents combinent les éléments locaux, régionaux et globaux au sein des référents, des objectifs et des modes opératoires qu’ils mobilisent et mettent en œuvre. Apparaissent alors des tendances oscillant entre l’ethno-nationalisme sans lien avec le djihad global et un référent religieux transnational5. La situation en Thaïlande à cette époque relève de cette dynamique. À partir de 2004, dans le cadre d’une insurrection séparatiste, le sud du pays où vit une minorité musulmane est traversé par un activisme violent. Les deux principaux groupes terroristes, le Runda Kumpalan Kecil (RKK) et l’Organisation unifiée de libération de Patani (PULO), s’organisent alors autour d’un discours djihadiste. Pour un certain nombre d’attaques survenant à ce moment-là, le caractère islamiste se retrouve parfois entremêlé à des revendications ethno-nationalistes. Notre base de données offre au lecteur la possibilité de conserver ou non ces événements dans la comptabilisation des attentats islamistes. Selon notre estimation retenue, entre 2001 et 2012, nous recensons en Thaïlande 111 attentats et 91 morts. D’après l’estimation possible, nous dénombrons 146 attentats et 121 morts sur la même période. Dans ce dernier cas, nous prenons également en compte des actes terroristes imputés à des séparatistes musulmans extrémistes.
Nombre d’attentats par province en Thaïlande (2001-2012)
L’essor du terrorisme islamiste s’explique enfin par le développement des ramifications d’al-Qaida, tels que al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) ou encore al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
Les ramifications d’al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) et d’al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) (2001-2012)
Voir Center for International Security and Cooperation (Cisac), « Al Shabaab », cisac.fsi.stanford.edu.
Ces différentes branches développent une capa- cité à frapper fort à l’étranger, comme le montrent les trois attaques successives du 9 novembre 2005 d’al-Qaida en Iraq, dans l’hôtel Grand Hyatt d’Amman, qui causent la mort d’au moins 61 personnes, ou encore celle du 28 novembre 2002 au Paradise Hotel de Mombasa, au Kenya, tuant 16 personnes. Jusque-là relativement épargnée, l’Afrique sub-saharienne devient lors de la seconde moitié des années 2000 une cible du terrorisme islamiste. La création et l’expansion du groupe Al Shabaab en Somalie en 2006, auparavant bras armé de l’Union des tribunaux islamiques (UTI), sont décisives. Poursuivant un objectif de renversement du gouvernement somalien afin d’instaurer un régime fondé sur la charia, Al Shabaab cultive dès ses débuts des liens étroits avec al-Qaida, s’inscrivant ainsi dans le mouvement djihadiste global6. L’activité du groupe dépasse les frontières de la Somalie, où le groupe commet 459 attentats et tue 1.396 personnes entre 2001 et 2012, pour atteindre le Kenya, qu’il attaque à 97 reprises (126 morts), et l’Éthiopie, avec deux attentats, dont celui, dévastateur (100 morts), le 2 novembre 2007 contre des soldats éthiopiens dans un hôtel à Dolo.
Cibles de Al-Shabaab en Somalie (2001-2012)
L’Afrique subsaharienne subit également les premiers actes de violence de Boko Haram, que l’on enregistre dès 2009 au Nigeria. L’ampleur considérable de ses attaques entre 2010 et 2012 (566 attentats, 1.655 morts) préfigure le pouvoir de destruction qui sera le sien au cours de la décennie suivante.
Types d’armes utilisées dans les attentats islamistes (2001-2012)
La migration des terroristes vers les médias sociaux
David Thomson, Les Français jihadistes, Paris, Les Arènes, 2014, « les jeunes qui découvrent les hadiths sur Internet sont complètement sourds à tous ceux qui, à la mosquée, peuvent essayer d’expliquer que le sens des prophéties s’inscrit dans un contexte : pour eux, qui sont venus aux textes sacrés seuls ou avec la propagande djihadiste, l’interprétation historique ou figurée est une “innovation”, c’est-à-dire la pire des choses puisqu’elle dénature et biaise le sens qu’ils pensent être original ».
David Thomson, Les Français jihadistes, Paris, Les Arènes, 2014, « les jeunes qui découvrent les hadiths sur Internet sont complètement sourds à tous ceux qui, à la mosquée, peuvent essayer d’expliquer que le sens des prophéties s’inscrit dans un contexte : pour eux, qui sont venus aux textes sacrés seuls ou avec la propagande djihadiste, l’interprétation historique ou figurée est une “innovation”, c’est-à-dire la pire des choses puisqu’elle dénature et biaise le sens qu’ils pensent être original ».
Internet joue évidemment un rôle clé dans la globalisation du terrorisme islamiste. Il se révèle un outil redoutable de propagande et de recrutement7. L’apparition des réseaux sociaux permet aux groupes islamistes d’interagir de façon efficace et souvent anonymement, de partager des documents et des informations, mais également d’établir une communauté d’individus reliés entre eux. Selon Evan Kohlmann, « 90% des activités terroristes sur Internet ont aujourd’hui lieu sur les réseaux sociaux. Ces forums servent de pare-feu virtuel pour protéger l’identité des utilisateurs et leur offrent une chance d’entrer directement en contact avec des représentants du terrorisme [trad.]8 ». Enfin, le cyber- terrorisme est aussi une modalité d’attaque pour les groupuscules islamistes qui démultiplient ainsi leurs capacités d’action.
L’impact de la violence terroriste dans un espace public planétaire mis à la portée de l’individu-média
À partir du milieu des années 1990, l’accès à la visibilité prend des proportions inouïes. L’espace public numérique décuple l’impact des actions terroristes. L’interaction du Web avec les chaînes d’information continue amplifie les effets de la violence islamiste. Al Jazeera, la chaîne qatarienne lancée en 1996, émet dans une trentaine de pays et développe des sites d’information dans les quelques langues qui permettent de s’adresser à la plupart des habitants de la planète. Réseaux sociaux et autres applications de messagerie sécurisée offrent aux plus modestes des groupuscules terroristes les outils d’une action planétaire : communication, propagande, organisation, recrutement… Le smartphone déploie jusqu’au bout de la chaîne, c’est-à-dire l’individu, la maîtrise de ces outils surpuissants et l’accès à tous les réseaux. La couverture médiatique des attentats passe toujours par les médias traditionnels (agences, télévisions, radios et presse) mais elle ne dépend plus d’eux. Dans l’espace public universel, la production de l’information est absolument disséminée. Le Web et le smartphone donnent à la multitude humaine les pouvoirs d’une agence de presse aux 2,8 milliards de correspondants et les capacités d’influence d’autant de médias. Le terrorisme islamique prospère à l’ère de l’individu-média. L’épaisseur du réseau, la force des images, le jeu des algorithmes font que tout attentat peut devenir en quelques minutes un événement planétaire.
L’irruption de l’État islamique et de Boko Haram (2013-mai 2021)
« Le jihadisme des femmes a pris, depuis l’émergence et la territorialisation de Daech, une ampleur inédite. Avant l’existence de l’État islamique (EI), ni al-Qaida ni aucune autre organisation de la jihadosphère n’avaient appelé des femmes à rejoindre en nombre leur cause ou à y contribuer moralement et physiquement. […] Daech a offert une conception inédite du jihadisme des femmes et proposé une manipulation des ressorts proprement féminins de leur engagement. »
Fethi Benslama et Farhad Khosrokhavar, Le Jihadisme des femmes.
Pourquoi ont-elles choisi Daech?, Seuil, 2017, p. 9-10.
Hakim El Karoui, La Fabrique de l’islamisme, Institut Montaigne, septembre 2018, p. 85. Voir aussi Hakim El Karoui, Benjamin Hodayé, Les militants du djihad, Fayard, 2021.
Le 17 décembre 2010, l’immolation du jeune vendeur ambulant Mohamed Bouazizi, dans la région de Sidi Bouzid, en Tunisie, conduit à l’embrasement des Printemps arabes. Après avoir un temps suscité l’espoir d’une démocratisation, ces événements débouchent, dans la première moitié des années 2010, sur des victoires électorales de partis proches des Frères musulmans. S’ils échouent parfois à conserver le pouvoir, ils sont « portés par des sociétés de plus en plus conservatrices, sous l’effet également de la progression d’un salafisme importé d’Arabie saoudite1 ».
Dans ce nouveau contexte, le djihadisme se développe régionalement, s’appuyant notamment sur la proclamation par l’organisation État islamique (EI) du califat, à Mossoul, en 2014. C’est durant cette période que le terrorisme est le plus meurtrier. On enregistre une augmentation sans précédent du nombre d’attentats dans le monde. La montée en puissance de l’EI et de Boko Haram est facilitée par des contextes géopolitiques chaotiques qui offrent aux terroristes de nombreuses opportunités d’expansion.
L’État islamique et l’« administration de la sauvagerie »
Expression reprise de « L’administration de la sauvagerie : l’étape la plus critique que traversera l’oumma », texte en arabe publié sur Internet en 2004 et écrit sous le nom de Abou Bakr Naji, pseudonyme de Mohamed Hassan Khalil al-Hakim, alias Abu Jihad al-Masri, un cadre d’al-Qaida. Ce texte a vocation à servir de guide spirituel à de nombreux extrémistes. Il explique la stratégie à mettre en place pour établir un califat islamique. Selon certains commentateurs, le manifeste compte « 103 pages de discours de haine, contre le juif, contre le chrétien, contre l’apostat, contre la démocratie et ses valeurs. À tel point que certains ont qualifié ce brûlot de Mein Kampf du petit djihadiste. L’intérêt de ce livre est qu’il nous met, dès le titre, devant le paradoxe du djihadisme, qui d’un côté prône le déchaînement de la sauvagerie, l’installation de la loi de la jungle, avec l’appel à la destruction de l’ordre ancien, et en même temps théorise la gestion de cette sauvagerie et son “administration” » (Abderrazak Sayadi et Alberto Fabio Ambrosio, « Terrorisme : anatomie du “Mein Kampf” djihadiste », contrepoints.org, 27 mars 2018).
Voir Mathieu Guidère, Atlas du terrorisme islamiste. D’Al-Qaida à Daech, Autrement, 2017.
Par exemple, les tentatives d’attentat à Villejuif, le 19 avril 2015, et dans le train Thalys, le 21 août 2015.
Voir Anne-Aël Durand, William Audureau, Maxime Vaudano, Madjid Zerrouky et Gary Dagorn, « Les attentats de l’État islamique ont fait plus de 2.500 morts en deux ans », lemonde.fr, 17 juin 2016.
C’est pendant la guerre civile irakienne, entre 2003 et 2011, que le groupe État islamique émerge puis s’ins- talle. L’organisation est créée en 2006 et, par trois fois, son changement de nom accompagne son expansion en dehors de son berceau irakien : elle se nomme d’abord État islamique en Iraq (EII, 2006-2013), puis État islamique en Iraq et au Levant (EIIL, 2013-2014) et, enfin, État islamique (EI, à partir de 2014).
Théorisée dans les années 2000, la stratégie de l’EI est de favoriser le chaos, l’« administration de la sauvagerie2 », et de globaliser le djihad. Son objectif est de cultiver la religion dans l’esprit des masses, de faire de l’islam l’unique ordre politique et social, et de former les jeunes afin d’instituer une société militarisée. L’EI agit selon plusieurs modalités. Le groupe terroriste peut inciter des individus à agir seul. Ce sont les « loups solitaires ». Popularisée dans les années 1990, cette expression a été reprise par l’EI à travers diffé- rentes publications. Un loup solitaire se radicalise à distance, planifie un attentat et agit de son côté, sans être affilié à un groupe terroriste en particulier, même s’il peut revendiquer l’attentat au nom de l’EI3. Notons que les attentats qui échouent ne sont généralement pas revendiqués par l’État islamique4. A contrario, la « maison mère » irako-syrienne revendique la plu- part du temps directement l’attentat lorsqu’il est très meurtrier5. On pense par exemple à l’attaque du musée du Bardo, en Tunisie, le 18 mars 2015, ou aux attentats du 13 novembre 2015 en France, reven- diqués dès le lendemain par l’EI.
Au fil de sa montée en puissance, l’EI étend son champ de bataille. Selon notre recensement, c’est à partir de 2013 que l’organisation a multiplié les actes terroristes. Pour cette année-là, nous recensons près de trente et une fois plus d’attentats commis par l’EI par rapport à l’année précédente (374 attentats en 2013, 12 en 2012).
Les attentats islamistes dans le monde (2011-mai 2021)
Attentats revendiqués par l’État islamique (2006-mai 2021)
58.621 morts dans les 11.175 attentats perpétrés par les différentes branches de l’organisation de l’État islamique (2006-mai 2021)
Organisations : État islamique en Iraq, État islamique en Iraq et au Levant, État islamique au Bangladesh, État islamique en Somalie, État islamique en Égypte, État islamique dans le Grand Sahara, Province de Khorassan de l’État islamique, Province de Najd de l’État islamique en Arabie saoudite, Province du Sinaï de l’État islamique, Province de al-Tarabulus (Tripoli) de l’État islamique en Libye, Province de al-Fezzan de l’État islamique en Libye, Province du Caucase de l’État islamique, Province de Barqah de l’État islamique en Libye, Province de l’Algérie de l’État islamique, Province d’al-Bayda de l’État islamique, Province d’Aden-Abyan de l’État islamique, etc.
Le 23 avril 2021, un attentat a eu lieu devant le commissariat de Rambouillet en banlieue parisienne. Lors d’une attaque au couteau, une policière a été assassinée. Le meurtrier a été abattu. Cependant, suivant les règles qui ont présidé à la réalisation de notre travail, nous ne pouvons retenir dans les informations avérées de notre base de données sur la violence islamiste ni cet attentat, ni le nombre des victimes puisque nous ne disposons pas des conclusions de l’enquête au moment où nous terminons cette étude.
À noter que Boko Haram n’est pas pris en compte ici, bien que ce groupe ait prêté allégeance à l’EI en mars 2015. Nous consacrons à ce groupe terroriste la section suivante afin de souligner sa singularité. Néanmoins, en ajoutant les actes terroristes de Boko Haram commis depuis 2015 au nombre d’attentats perpétrés par l’EI et ses différentes branches depuis sa création en 2006, nous obtenons le chiffre de 13 559 attentats ayant provoqué la mort de 73.456 personnes.
Suite à la proclamation du « califat », en juin 2014, une multitude de groupuscules islamistes rejoignent la bannière de l’EI. Cette stratégie d’élargissement permet à l’organisation de s’établir à travers l’Afrique et le Moyen-Orient en s’appuyant sur l’ancrage de groupes djihadistes locaux. En 2016, l’EI assassine 13.746 personnes. Il s’agit de l’année la plus meurtrière enregistrée sur l’ensemble de la période 1979-mai 2021. Le nombre de victimes de l’EI a été multiplié par neuf en trois ans (1.458 morts en 2013, 13.746 morts en 2016). Le graphique de la page 35 permet de se rendre compte de l’évolution du nombre d’attentats commis par les différentes branches de l’organisation État islamique depuis sa création jusqu’en mai 2021.
Les territoires les plus touchés sont les lieux où l’EI s’est historiquement implanté, à savoir l’Iraq et la Syrie. Les guerres qui frappent ces États ont facilité son développement en lui permettant de conquérir plusieurs villes et provinces, et de mettre en place un ordre totalitaire animé par l’objectif de rétablir un « califat abbasside ». C’est en Iraq que les terroristes de l’EI sont les plus destructeurs : ils y ont commis 6.539 attentats, provoquant la mort de 35.401 personnes. Cela signifie que sur les 42.790 personnes mortes en Iraq du fait du terrorisme islamiste depuis 1979, 82,7% ont été victimes de l’État islamique entre 2006 et mai 2021.
Cibles de l’organisation État islamique en Iraq (2013-mai 2021)
En Syrie, entre 2013 et mai 2021, les attentats de l’État islamique ont été très meurtriers puisque les 996 attaques ont coûté la vie à 9.612 personnes; en moyenne, dans le pays, l’EI provoque la mort de 10 personnes à chacun de ses attentats. Certains pays voisins subissent l’intrusion de l’EI, par ses ramifications, notamment à partir de 2014. Là encore, ces immixtions sont facilitées par des contextes de déstabilisation qui, à leur tour, favorisent l’emprise de l’organisation terroriste sur ces territoires que l’EI regarde comme ses « nouvelles provinces » depuis 2013 : la Libye (571 attentats, 1.160 morts), l’Égypte (733 attentats, 2.253 morts), le Yémen (115 attentats, 997 morts), mais aussi l’Afghanistan (482 attentats, 3.133 morts) et le Pakistan (133 attentats, 768 morts).
Les attentats perpétrés par l’organisation État islamique en Europe (2013-mai 2021)
Voir Bernard Rougier, Les territoires conquis de l’islamisme, Puf, janvier 2020 ; Hugo Micheron, Le Jihadisme Français : Quartiers, Syrie, Prisons, Éditions Gallimard, 2020.
À l’exception de l’Amérique du Sud, les pays des autres continents sont visés par l’EI dans des attentats sur leur territoire aussi bien que contre leurs ressortissants à l’étranger. Plusieurs pays de l’Union européenne sont durement touchés, et la France, avec 13 attentats et 146 morts causés par l’EI, est le pays de l’Union européenne le plus meurtri6.
« Je sais que cette lettre va te faire du mal. Pourtant, je vais te dire combien je t’aime. Papa, je t’ai demandé l’autorisation de passer quelques jours chez tante Safia. Je n’y suis pas allée. Pardonne-moi : je t’ai menti. Avant-hier soir, je suis arrivée en Irak pour rejoindre mon mari. Nous nous sommes connus sur Internet. Il est formidable. Je suis sûre que tu l’aimeras. C’est un responsable régional de l’État islamique. »
Rachid Benzine, Lettres à Nour, Points, 2019
La région du lac Tchad à l’épreuve du terrorisme de masse de Boko Haram
En langue haoussa boko haram peut être traduit par « l’éducation occidentale est un péché ». Le mouvement Boko Haram a été fondé par le prédicateur nigérian Mohamed Yusuf en 2002, à Maiduguri, capitale de l’État de Borno, au Nigeria. Secte islamiste devenue mouvement de lutte armée en 2009, l’organisation prône un islam salafiste djihadiste hostile à toute influence occidentale. Son objectif est de créer un califat, régi par la charia, tout comme l’EI, auquel il prête allégeance en mars 2015 en se faisant désigner par le nom d’État islamique en Afrique de l’Ouest.
Les attentats islamistes perpétrés par Boko Haram (2009-mai 2021)
Le groupe amplifie son activisme terroriste à partir de 2009, en menant une insurrection pour la création d’un califat au Nigeria. En 2013, le président nigérian Goodluck Jonathan proclame l’État d’urgence et l’armée nigériane lance une offensive dans l’ensemble du pays. Malgré cela, Boko Haram prend le contrôle de nouvelles régions, notamment de l’État de Borno, où se concentrent 68,5% de ses attaques (1902 sur les 2777 attentats de Boko Haram au Nigeria). À partir de 2014, le théâtre d’opération du groupuscule islamiste s’étend dans les pays frontaliers du lac Tchad, au nord du Cameroun, au Niger et au Tchad.
Les attentats islamistes perpétrés par Boko Haram (2009-mai 2021)
Entre 2009 et mai 2021, Boko Haram a été responsable de 3.691 attentats. Le bilan humain (25.719 morts) est particulièrement cruel. Un nombre important de réfugiés ont fui leur ville, voire leur pays. Des femmes et des enfants ont même été kidnappés afin de servir l’organisation terroriste, comme ce fut le cas en avril 2014 de 276 lycéennes enlevées à Chibok (Nigeria).
Cibles de Boko Haram (2009-mai 2021)
La majorité des victimes ont été des civils, notamment dans les écoles où l’enseignement est jugé trop occidental : entre 2009 et mai 2021, 92 institutions scolaires ont souffert de ces attaques terroristes. Les militaires qui luttent contre Boko Haram sont également des cibles; de même les villageois qui tentent de se défendre en créant une milice d’autodéfense, et qui sont le plus souvent massacrés. S’agissant de son mode opératoire, on relève que Boko Haram recourt massivement à l’attentat-suicide.
Types d’armes utilisées par Boko Haram (2009-mai 2021)
Voir Marc Hecker, Élie Tenenbaum, Al-Qaïda et Daech après le califat, IFRI, Centre des études de sécurité, janvier 2019.
Le 23 mars 2019, grâce aux forces arabo-kurdes soutenues par les États-Unis, l’EI est défait7. La fin du califat autoproclamé est officielle avec la prise du dernier territoire syrien tenu par l’organisation djihadiste. Mais, privé de son bastion irako-syrien, l’EI ne perd pas toute sa capacité de nuisance et décentralise son activisme vers ses filiales. À partir des données que nous avons recensées, nous comptabilisons 3.825 attentats (10.824 morts) émanant de l’EI entre 2018 et fin mai 2021 (5.095 attentats et 16.135 morts en incluant Boko Haram). Cette liste est possiblement incomplète, mais ces chiffres illustrent néanmoins la persistance de l’action terroriste de l’EI. En témoignent les attentats meurtriers du 21 avril 2019 au Sri Lanka pendant le dimanche de Pâques, ainsi que, le même jour, les attaques contre trois policiers en Arabie saoudite.
L’attentat-suicide, le « martyr » et la terreur
Voir Alain Louyot, « Les “petits martyrs” de la guerre Iran-Irak », lexpress.fr, 27 septembre 2001.
C’est d’abord lors du conflit Iran-Iraq (1980-1988) que l’on parle des « attaques-suicides ». Il s’agit d’une tactique de guerre. Le 30 octobre 1980, Mohammad Hossein Fahmideh, un chiite fanatique âgé de 13 ans, se donne la mort en se jetant, grenade à la main, sous un tank. Au total, ce sont plusieurs milliers d’enfants iraniens âgés de moins de 16 ans qui se précipiteront sur les champs de mines afin de provoquer leur explosion et permettre aux troupes de passer pour aller combattre au nom de la république islamique de Khomeyni8. C’est ensuite dans le cadre de la guerre du Liban que sont perpétrés les premiers « attentats-suicides ». À Beyrouth, le 23 octobre 1983, deux attentats-suicides orchestrés par le Hezbollah ciblent les contingents américain et français de la Force multinationale de sécurité. Le premier entraîne la mort de 241 soldats américains, le second de 58 personnes, dont des parachutistes français et la famille libanaise d’un gardien d’immeuble. Au total, 19 attentats-suicides seront commis entre 1979 et 2000. Ils représentent 0,9% des 2.194 actes de violence islamiste dans le monde.
Les attentats-suicides demandent peu de moyens, produisent des dégâts considérables et sont susceptibles d’avoir une répercussion médiatique maximale. En effet, le récit de l’action en est profondément modifié. Ce n’est plus exactement un attentat perpétré par un terroriste susceptible de ne courir aucun risque lui-même ou d’avoir la vie sauve; il s’agit d’un « martyr » qui accepte et conduit son propre « sacrifice » pour une cause. Son impact est encore augmenté par l’utilisation du nouvel ordre médiatique qui permet au « martyr » de mettre en scène sa mort en se filmant à l’aide de son smart- phone connecté au Web.
Les attentats-suicides islamistes dans le monde (1979-2000)
Voir Daniel Pipes, « The [Suicide] Jihad Menace », The Jerusalem Post, 27 juillet 2001.
Voir Robert A. Pape, « The Strategic Logic of Suicide Terrorism », The American Political Science Review, vol. 97, no 3, août 2003, p. 343-361, ou Scott Atran, « The Moral Logic and Growth of Suicide Terrorism », The Washington Quarterly, vol. 29, no 2, printemps 2006, p. 127-147.
Voir Ehud Sprinzak, « Rational Fanatics », Foreign Policy, no 120, septembre-octobre 2000, p. 66-73.
Pour les années 2020 et 2021, les attentats-suicides ne sont pas identifiables dans la base de données de l’Armed Conflict and Event Data Project (ACLED).
Entre 2001 et 2012, le recours aux attentats-suicides a fortement progressé (679), pour représenter alors 8,2% de l’ensemble des attentats islamiques (8.265). Le récit du martyr djihadiste est soigneusement élaboré et entretenu par les islamistes radicaux; leurs efforts portent sur la valorisation religieuse du geste terroriste. Le « terroriste » doit se considérer comme un shahid (martyr). Ainsi, pour ces hommes et ces femmes qui, le plus souvent n’ont pas 30 ans, l’acte de tuer en se donnant la mort n’est plus perçu comme un suicide – considéré comme un péché –, mais il est supposé, au contraire, témoigner d’une grande piété dans la mesure où il nuit à des non-musulmans9.
Si, dans l’opinion publique occidentale, l’auteur d’un attentat-suicide est le plus souvent associé à l’idée d’un fanatique, d’une personne misérable ou psychologiquement déséquilibrée, un certain nombre d’études semblent contraster ce portrait en soulignant le niveau socio-culturel relativement élevé d’une majorité des terroristes morts dans des attentats- suicides10. C’est le cas, par exemple, au sein du Hamas et du Mouvement du Jihad islamique palestinien, dont les terroristes recourant à l’attentat-suicide sont généralement identifiés comme des individus diplômés du supérieur et issus des classes moyennes11.
Sur la période 2013-201912, on a identifié 1.879 attentats-suicides, soit 6,8% des 27.811 attentats islamistes. Parmi les attentats menés par l’organisation État islamique et par Boko Haram, l’attentat-suicide est fréquemment utilisé. Il témoigne de la culture de la mort entretenue et développée chez les jeunes djihadistes. Pour Boko Haram, nous avons recensé 459 attentats-suicides entre 2013 et 2019, soit 18,9% de l’ensemble des attentats imputables à ce groupe, tandis qu’ils représentent 9,4% (1.614) du total des attentats commis par l’EI. Pour réaliser ses attentats-suicides, Boko Haram endoctrine, manipule, embrigade ou contraint avant tout des femmes, des adolescents et de très jeunes enfants.
Les attentats-suicides islamistes dans le monde
De la peur (individuelle) à la terreur (collective)
« Les différents types de terrorisme utilisent toutes les ressources (tactiques, médiatiques, technologiques, etc.) pour plonger les opinions publiques dans la stupeur. Par-delà leurs différences, ils ont en commun de déclencher et de répandre un état affectif individuel et collectif spécifique : une peur extrême et un sentiment de vulnérabilité généralisée. Dans cette perspective, la terreur est une peur superlative […]. Les sources de la peur cessent d’être précisément circonscrites. Et la peur devient plus durable et plus tenace. De plus, si la peur est individuelle, la terreur est collective : l’attentat vise à plonger une communauté entière dans un certain état d’esprit. L’augmentation du nombre de victimes sert cette dynamique et conduit à l’“hyperterrorisme”, selon la formule forgée par François Heisbourg. Les attentats du 11-Septembre ont marqué une rupture car ils ont cherché à faire un nombre de victimes d’un autre ordre que celui des attentats précédents. Le but est alors la terreur à l’échelle planétaire. »
Cyrille Bret, Qu’est-ce que le terrorisme ?, Vrin, 2018, p. 52-53.
Voir Nathan Bailleux, The Bear, the Dragon and the Islamists: Russia and China Ambiguous Stances With Regard to the Islamic Militancy Threat and What It Means for South Asia, Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), coll. « Asia Focus », no 115, juin 2019.
Russie
Le terrorisme islamiste en Russie est lié au conflit opposant l’État central aux rebelles séparatistes issus de territoires musulmans situés dans la région du Caucase du Nord, notamment en Tchétchénie et au Daghestan. À la suite de plusieurs siècles de conflit avec le pouvoir central, les séparatistes tchétchènes déclarent leur indépendance au moment de la fin de l’URSS, en 1991. La première guerre de Tchétchénie éclate en 1994 et se solde par un échec de l’armée russe qui est contrainte de se retirer du territoire. Cependant, le 3 octobre 1998, dans la république d’Ingouchie, dans le Caucase du Nord, le groupe Loups d’islam assassine un membre du gouvernement russe qu’ils accusent de collaborer avec les services du FSB et, le 2 février 1999, le groupe Sword of Islam s’attaque au ministère de l’Énergie à Grozny. Quelques mois plus tard, dans le cadre de la seconde guerre de Tchétchénie, Moscou intervient à nouveau d’août 1999 à avril 2000, parvenant cette fois à instaurer un gouvernement favorable au pouvoir central.
Le 11-Septembre permet aux autorités russes d’intensifier la lutte contre les insurgés tchétchènes. Il s’ensuit une période violente de radicalisation islamiste de la lutte séparatiste, qui étend ses revendications à la création d’un État islamique dans le Caucase du Nord. En moyenne, de 2001 à 2012, le terrorisme islamiste a tué 60 personnes par an. Parmi les 26 attentats ayant frappé le pays au cours de cette période, deux actions terroristes ont particulièrement marqué l’opinion. Le 23 octobre 2002, des membres du groupe djihadiste tchétchène du Special Purpose Islamic Regiment (SPIR) pénètrent dans le théâtre Dubrovka, à Moscou, et prennent 912 civils en otages. Deux ans plus tard, le 1er septembre 2004, un groupe de terroristes s’attaque à une école : 344 personnes, dont beaucoup d’enfants, sont tuées et on dénombre au moins 727 blessés. Cet attentat est revendiqué par le Riyadus-Salikhin Reconnaissance and Sabotage Battalion of Chechen Martyrs, qui recours à l’attentat-suicide. Entre 2013 et mai 2021, le nombre d’actes terroristes a été en hausse, avec 57 attentats et 118 morts, dont 20 ont eu lieu dans la république du Daghestan. La Russie voit même l’État islamique gagner en influence sur ton territoire avec l’émergence de la Province du Caucase de l’État islamique, qui revendique 29 attentats sur la période.
Marc Julienne, « La Chine, nouvel acteur de la lutte contre le terrorisme international », Les Champs de Mars, n° 30, supplément, mai 2018, p. 276.
Chine
Depuis plusieurs décennies, la Chine fait face à la menace terroriste de militants séparatistes issus de la communauté des Ouïghours, une ethnie turcophone musulmane habitant principalement la province du Xinjiang, au nord-ouest du pays. Il existe parmi eux des militants islamistes, incluant dans leur revendication la création d’un État islamique du Turkestan oriental.
La radicalisation du conflit opposant les Ouïghours au pouvoir central chinois remonte à avril 1990, date à laquelle des Ouïghours manifestent massivement dans le district d’Akto afin de dénoncer le refus des autorités chinoises d’y autoriser la construction d’une mosquée. Le gouvernement chinois mène une sévère répression faisant plus de 60 morts. En 1996, les autorités chinoises lancent la campagne « Frapper fort », procédant à l’arrestation de 10.000 personnes dans la province du Xinjiang. En février 1997, une révolte voit plusieurs centaines de jeunes Ouïghours protester dans les rues pour la libération de dignitaires religieux arrêtés par la police à Guldja. La répression fait 167 morts.
Depuis 2001 et les attentats du 11-Septembre, le gouvernement chinois a repris le concept de « guerre contre la terreur » et s’en sert pour renforcer ses dispositifs de lutte antiterroriste et de répression contre les militants séparatistes issus de la minorité ouïghour. Face à la répression, nombre de Ouïghours fuient leur pays pour gagner la Turquie ou rejoindre des camps djihadistes en Indonésie ou au Pakistan. Selon le chercheur Marc Julienne, « aujourd’hui, les militants “islamo-nationalistes” ouïghours sont présents et connectés à d’autres réseaux en Asie centrale et du Sud-Est, sur la frontière pakistano-afghane, ainsi qu’en Turquie et en Syrie1 ». Entre 2001 et mai 2021, selon notre estimation, le Parti islamique du Turkestan (PIT), un groupe djihadiste ouïghour proche d’al-Qaida depuis les années 1990, a commis 6 attentats, provoquant la mort de 107 personnes. Parmi ces actions terroristes, notons le double attentat du 28 juillet 2014 dans la province du Xinjiang, contre des bureaux du gouvernement chinois ainsi qu’un commissariat de police à Elixku et des civils à Huangdi.
Les actes terroristes du PIT sont les seuls que nous avons considérés comme relevant d’une motivation islamiste claire dans le contexte chinois. Cependant, en se référant à ce que nous proposons comme estimation « possible », on dénombre 97 attentats et 513 morts en recensant l’ensemble des attentats perpétrés par les séparatistes ouïghours, dont la dimension religieuse, au-delà de la revendication politique, n’est pas clairement prépondérante.
L’Afghanistan, pays le plus touché au monde
Voir « US sending almost 4,000 extra forces to Afghanistan, Trump official says », theguardian.com, 16 juin 2017.
Voir Gilles Paris, « “Il est temps de mettre fin à la plus longue guerre des États-Unis” : Joe Biden défend sa décision de retirer les troupes américaines d’Afghanistan », lemonde.fr.
Voir « Les talibans affirment contrôler 85% du territoire », francetvinfo.fr, 9 juillet 2021.
Voir Carter Malkasian, The American War in Afghanistan. A History, Oxford University Press, 2021.
Voir The Economist, “America’s war in Afghanistan is ending in crushing defeat”, theeconomist.com, 10 juillet 2021.
En juin 2017, Donald Trump appelle à un retrait mili- taire de l’Afghanistan, mais les États-Unis envoient alors près de 4.000 soldats supplémentaires pour contenir l’avancée des talibans12. En octobre 2017, les forces afghanes contrôlent encore 56% du territoire. Le 20 février 2020, un accord est conclu entre les États-Unis et les talibans afin de permettre le départ des forces américaines. Le 14 avril 2021, Joe Biden fixe officiellement le retrait des troupes au 11 septembre 2021, pour sortir d’une « guerre sans fin »13. Au début du mois de juillet 2021, les talibans affirment détenir 85% du territoire14. Kaboul tombe le 15 août 2021. Les talibans sont de retour au pouvoir, vingt ans après la déclaration de guerre des États-Unis15. Comme le rappelle The Economist, le bilan est rude : « L’Amérique se bat en Afghanistan depuis vingt ans. Les États-Unis ont dépensé plus de 2.000 milliards de dollars dans cette guerre. Ils ont perdu des milliers de soldats et ont vu la mort de dizaines de milliers d’Afghans, soldats et civils. »16 La réédition actualisée de notre base de données à l’occasion de la commémoration des vingt ans du 11-Septembre montre que, depuis 1979, l’Afghanistan est le pays le plus touché par le terrorisme islamiste, aussi bien en nombre d’attentats (15.874) que de victimes (66.662). Le nombre de morts a doublé entre 2014 (4.209) et 2020 (10.734), témoignant d’une montée en puissance de la violence préfigurant la vitesse avec laquelle les talibans ont reconquis les territoires jusqu’à la capitale, le 15 août 2021. Les attentats contre les cibles civiles ou militaires se sont multipliés. Entre 2017 et 2021, nous avons recensé 4.517 attaques contre des cibles militaires, 2.423 contre des cibles policières, 979 contre des civils et 578 contre des cibles gouvernementales. Lors de la première édition de cette étude, en octobre 2019, il ressortait de notre travail que l’État islamique était le groupe le plus meurtrier (52.619 morts) entre 1979 et 2019, devant les talibans (39.733) et Boko Haram (22.287). Après consolidation des données 2018- 2019 et en intégrant l’année 2020 ainsi que les cinq premiers mois de 2021, ce sont les talibans qui forment le groupe le plus meurtrier avec 69.303 morts, suivis par l’État islamique (58.632) et Boko Haram (25.719).
Les attentats islamistes en Afghanistan (2017-mai 2021)
En 2021, l’Afrique subsaharienne reste un intense foyer du terrorisme islamiste
Nos données indiquent qu’entre 2019 et mai 2021 l’Afrique subsaharienne est restée un important foyer du terrorisme islamiste : 862 attentats et 3.893 morts en 2019, 2.005 attentats et 5.099 morts en 2020, 1.962 morts et 1.229 attentats entre janvier et mai 2021. Entre 2019 et mai 2021, Boko Haram est resté le groupe islamiste le plus actif et le plus meurtrier dans la région, avec 1.028 attentats perpétrés (soit 25,1% de l’ensemble des attentats islamistes perpétrés en Afrique subsaharienne), faisant 3.984 morts (36,4% de l’ensemble des morts du terrorisme islamiste en Afrique subsaharienne). Al-Shabaab, avec 489 attentats et 1.282 morts au total sur la période, est le deuxième groupe le plus meurtrier. Les pays les plus touchés sont principalement situés autour de la région du lac Tchad : Nigeria (3.057 morts), Niger (1.268 morts),Burkina Faso (708 morts), Cameroun (662 morts), République démocratique du Congo (630 morts), Mali (629 morts) et Tchad (484 morts). À l’est, la Somalie compte un grand nombre de victimes du terrorisme islamiste (2.420 morts), tout comme le Mozambique (911 morts).
Les territoires du terrorisme islamiste (1979-mai 2021)
La globalisation du terrorisme islamiste peut désigner la visibilité planétaire que le numérique assure à leurs attentats, mais elle peut aussi désigner une réalité géographique : peu ou prou, toutes les régions du monde ont été frappées. Bien sûr, les actes criminels commis varient considérablement selon les parties du monde. Sur le nombre d’attentats répertoriés depuis 1979, la quasi-totalité (95,7%, soit 45.973 attentats) ont eu lieu dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, de l’Asie du Sud et de l’Afrique subsaharienne.
En ce qui concerne les 210.138 morts, une proportion considérable (96,4%, soit 202.490 morts) a aussi été recensée dans ces trois régions. Indéniablement, l’Occident est moins touché. Cependant, l’Europe et les États-Unis ont dû faire face à une menace croissante et changeante, avec des attentats particulièrement sanglants, comme aux États-Unis en 2001, en Espagne en 2004, au Royaume-Uni en 2005, en France en 2015 et 2016. Autant de drames qui sont toujours très présents dans la mémoire collective.
« La guerre contre le terrorisme dure, elle, depuis plus de sept mille jours. La supériorité technologique et militaire des Occidentaux face aux djihadistes est encore plus flagrante qu’en 1991 face à l’armée irakienne. Et pourtant, les djihadistes ne sont pas demeurés spectateurs de leur défaite. Ils ont ingénieusement pratiqué l’escrime de la stratégie et appris à esquiver, fatiguer, feindre et rompre autant qu’à attaquer et menacer. Ils ne sont pas pour autant parvenus à rééditer un attentat aussi spectaculaire que celui du 11 Septembre, ni à conserver plus de quelques années une assise territoriale comparable à celle dont ils bénéficiaient en Afghanistan avant 2001. »
Marc Hecker, Élie Tenenbaum, La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle, Robert Laffont, avril 2021, introduction.
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* Lors de la première édition de cette étude, publiée en 2019, les attentats islamistes perpétrés au Royaume-Uni étaient comptabilisés dans la fiche Union européenne. Ce n’est plus le cas dans cette deuxième édition, suite à la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union le 31 janvier 2020.
Les pays les plus touchés (1979-mai 2021)
Voir “Democracy Index 2019”, The Economist Intelligence Unit, 2020.
Voir “Muslim Population by Country”, Pew Research Center, 27 janvier 2011.
Sur la période étudiée, 81 pays ont subi au moins un attentat islamiste. Parmi ces pays, 18 sont des pays européens (19 en comptant la Russie). Parmi ces pays européens, 14 sont membres de l’Union européenne. Sur ces 81 pays, 30 sont des démocraties1. Grâce aux données rassemblées, on voit que, au cours des quarante dernières années, les pays les plus touchés par des attentats islamistes sont ceux qui ont connu des périodes de guerre : l’Afghanistan, l’Iraq, la Somalie… La plupart des 81 pays victimes de la violence islamiste sont des pays pauvres.
Enfin, il faut noter que l’immense majorité (89,5%) des attentats islamistes ont été commis dans des pays musulmans. Par voie de conséquence, la plupart des morts provoquées par des attentats islamistes (91,7%) sont aussi enregistrées dans des pays musulmans. Ces chiffres sous-estiment la réalité puisqu’ils ne prennent pas en compte les attentats islamistes perpétrés dans des pays à majorité non musulmane où des populations musulmanes sont concentrées dans certaines provinces. La plupart des vies perdues sont donc celles de musulmans.2
Les 81 pays touchés par le terrorisme islamiste dans le monde (1979-mai 2021)
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*Cette fiche pays ne peut pas prendre en compte les estimations de la décennie noire de 1991 à 2002 qui selon les sources varient entre 44.000 morts et 200.000 morts du terrorisme islamiste.
Dans le prolongement de notre étude sur le terrorisme islamiste, nous proposons une carte interactive des 33.769 attentats islamistes comptabilisés entre 1979 et 2019, en libre accès sur fondapol.org. Cette carte intéractive a été réalisée en 2020 et se base donc sur la base de données de la première édition de l’étude.
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