Les principaux enseignements de l’étude

1.

Entre 1979 et avril 2024, nous avons recensé 66.872 attentats islamistes dans le monde. Ils ont provoqué la mort d’au moins 249.941 personnes.

2.

En moyenne, un attentat islamiste a causé la mort de 3,7 personnes.

3.

Les armes à feu sont le type d’arme le plus utilisé (26.925), suivies de près par les explosifs (25.832), les armes de contact, comme les couteaux ou les machettes (2.479) et les armes incendiaires (1.162)*.

4.

Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne ont concentré 96,7% des attentats islamistes entre 1979 et avril 2024.

5.

Au sein de l’Union européenne, la France a été le pays le plus touché avec 85 attentats islamistes commis sur son sol entre 1979 et avril 2024. Ces attentats ont fait au moins 334 morts.

6.

L’Afghanistan a été le pays le plus touché par le terrorisme islamiste, devant la Somalie et l’Irak.

7.

L’affrontement indirect en Afghanistan des puissances américaine et soviétique est l’une des causes majeures de la violence islamiste du XXIe siècle.

8.

Les militaires sont la cible principale (34%) des terroristes islamistes, devant les civils (27,7%) et les forces de police (15,3%)*.

9.

La plupart (86,3%) des attentats islamistes ont été commis dans des pays musulmans1. De même, la très grande majorité des morts provoquées par des attentats islamistes (88,9%) ont été enregistrées dans des pays musulmans.

10.

Sur l’ensemble de la période étudiée, les talibans ont été le groupe le plus meurtrier. Ses actions terroristes ont provoqué la mort de 71.965 personnes.

Une évaluation de la violence islamiste dans le monde (1979-avril 2024)

1.

1979, l’année critique

2.

Définition du terrorisme

3.

Définition de l’islamisme

4.

Une base de données mondiale des attentats islamistes de 1979 à avril 2024

5.

Pourquoi notre étude sous-estime la réalité de la violence islamiste

I.

Les prémices d’un terrorisme islamiste transnational (1979-2000)

1.

La guerre soviéto-afghane, « matrice du terrorisme islamiste contemporain

2.

Les années 1980 et l’émergence du terrorisme islamiste

3.

Années 1990, propagation du terrorisme islamiste au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

4.

L’exportation du djihad

II.

Le tournant du 11-Septembre (2001-2012)

1.

Le 11-Septembre et la « guerre contre le terrorisme »

2.

Globalisation des attentats islamistes

3.

Les terroristes investissent les médias sociaux

III.

Les nouveaux visages du terrorisme islamiste (2013-avril 2024)

1.

L’État islamique et l’« administration de la sauvagerie »

2.

La région du lac Tchad à l’épreuve du terrorisme de masse de Boko Haram

3.

L’attentat-suicide, le « martyr » et la terreur

4.

L’Afghanistan demeure le pays le plus touché au monde

5.

La recrudescence des attentats islamistes en Afrique de l’Ouest

6.

L’Afrique subsaharienne est un intense foyer du terrorisme islamiste

7.

Les attentats du 7 octobre 2023 en Israël : un tournant historique

IV.

Les territoires du terrorisme islamiste (1979-avril 2024)

V.

Les pays les plus touchés (1979-avril 2024)

Voir le sommaire complet Replier le sommaire
Direction

Dominique REYNIÉ, directeur général
de la Fondation pour l’innovation politique

Coordination éditoriale

Joséphine STARON

Production

Simon AMAT, Diane de CHARRY, Clément DE CARO, Anne FLAMBERT,
Nicola GADDONI, Éric GARCIA, Mélodie JOURDAIN, Alice LE FAUCHEUR,
Jean MICHEL, Claire-Marie MORINIÈRE, Enzo MUS, Dominique REYNIÉ

Maquette et réalisation

Julien RÉMY

Impression

GALAXY Imprimeurs

Parution

Octobre 2024

Crédits

Les principaux enseignements de l’étude

1

Entre 1979 et avril 2024, nous avons recensé 66.872 attentats islamistes dans le monde. Ils ont provoqué la mort d’au moins 249.941 personnes.

• 1979-2000 : 2.194 attentats et 6.817 morts.
• 2001-2012 : 8.265 attentats et 38.187 morts.
• 2013-avril 2024 : 56.413 attentats et 204.937 morts.

Les attentats islamistes dans le monde sont aujourd’hui plus nombreux que jamais

Copyright :

Fondapol

Grille de lecture : Entre 2013 et 2024, 56.413 attentats islamistes ont eu lieu dans le monde, représentant 84,4% de tous les
attentats islamistes recensés depuis 1979.

2

En moyenne, un attentat islamiste a causé la mort de 3,7 personnes.

• 1979-2000 : un attentat a tué en moyenne 3,1 personnes.
• 2001-2012 : un attentat a tué en moyenne 4,6 personnes.
• 2013-avril 2024 : un attentat a tué en moyenne 3,6 personnes.

3

Les armes à feu sont le type d’arme le plus utilisé (26.925), suivies de près par les explosifs (25.832), les armes de contact, comme les couteaux ou les machettes (2.479) et les armes incendiaires (1.162)*.

Notes

*.

Les données du Mozambique n’ont pas été inclues car les bases de données utilisées pour ce pays ne permettent pas de connaître le type d’armes utilisées.

+ -

• 1979-2000 : armes à feu (911), explosifs (856), armes de contact (124), armes incendiaires (68).
• 2001-2012 : armes à feu (2.572), explosifs (4.516), armes de contact (198), armes incendiaires (234).
• 2013-avril 2024 : armes à feu (23.442), explosifs (20.460), armes de contact (2.157), armes incendiaires (860).

4

Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne ont concentré 96,7% des attentats islamistes entre 1979 et avril 2024.

• Asie du Sud : 31,2% des attentats, 33,7% des morts.
• Moyen-Orient et Afrique du Nord : 30,4% des attentats, 33% des morts.
• Afrique subsaharienne : 35,2% des attentats, 30,1% des morts.
• Asie du Sud-Est : 2,6% des attentats, 1,1% des morts.
• Europe et Russie : 0,4% des attentats, 0,7% des morts.
• Amérique du Nord : 0,1% des attentats, 1,3% des morts.
• Océanie : 0,01% des attentats, 0,005% des morts.
• Amérique du Sud : 0,004% des attentats, 0,05% des morts.

5

Au sein de l’Union européenne, la France a été le pays le plus touché avec 85 attentats islamistes commis sur son sol entre 1979 et avril 2024. Ces attentats ont fait au moins 334 morts.

• 1979-2000 : 24 attentats, 32 morts.
• 2001-2012 : 8 attentats, 8 morts.
• 2013-avril 2024 : 53 attentats, 294 morts.

6

L’Afghanistan a été le pays le plus touché par le terrorisme islamiste, devant la Somalie et l’Irak.

Les pays les plus touchés sont l’Afghanistan (17.075 attentats), la Somalie (10.768 attentats), l’Irak (8.209 attentats), le Nigeria (3.950 attentats), la Syrie (3.421 attentats), le Pakistan (2.635 attentats), le Mali (2.289 attentats), Israël (1.748 attentats), le Yémen (1.657 attentats), l’ Algérie (1.387 attentats), l’Égypte (1.367 attentats), le Mozambique (1.302 attentats) et le Cameroun (1.230 attentats).

Dans ces treize pays, on enregistre 218.734 morts provoquées par les attentats islamistes, ce qui représente 87,5% du total des morts recensées dans le monde.

7

L’affrontement indirect en Afghanistan des puissances américaine et soviétique est l’une des causes majeures de la violence islamiste du XXIe siècle.

Les États-Unis et la Russie ont aussi été frappés par le terrorisme djihadiste. Au cours de la période 1979-avril 2024, nous avons recensé aux États-Unis 60 attentats et 3.121 morts et, en Russie, 86 attentats responsables de la mort de 988 personnes.

8

Les militaires sont la cible principale (34%) des terroristes islamistes, devant les civils (27,7%) et les forces de police (15,3%)*.

Notes

*.

Les données du Mozambique n’ont pas été inclues car les bases de données utilisées pour ce pays ne permettent pas de
connaître les cibles.

+ -

• 1979-2000 : militaires (343 attentats, 15,6%), civils (530 attentats, 24,1%), forces de police (408 attentats, 18,6%).
• 2001-2012 : militaires (1.410 attentats, 17,1%), civils (2.506 attentats, 30,3%), forces de police
(1.424 attentats, 17,2%).
• 2013-avril 2024 : militaires (20.556 attentats, 37,2%), civils (15.111 attentats, 27,4%), forces de police (8.217 attentats, 14,9%).

9

La plupart (86,3%) des attentats islamistes ont été commis dans des pays musulmans1. De même, la très grande majorité des morts provoquées par des attentats islamistes (88,9%) ont été enregistrées dans des pays musulmans.

Notes

1.

Pays musulmans : Afghanistan, Algérie, Arabie saou­ dite, Azerbaïdjan, Bahreïn, Bangladesh, Bosnie-Herzégovine, Burkina Faso, Cisjordanie et bande de Gaza, Djibouti, Égypte, Émirats arabes unis, Indonésie, Irak, Iran, Jordanie, Kazakhstan, Kirghizistan, Koweït, Liban, Libye, Malaisie, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Nigeria, Ouzbékistan, Pakistan, Qatar, Somalie, Soudan, Syrie, Tadjikistan, Tchad, Tunisie, Turkménistan, Turquie, Yémen.

+ -

• Nombre d’attentats islamistes commis dans des pays musulmans : 57.726 attentats (86,3% des attentats islamistes dans le monde).
• Nombre de morts provoquées par les attentats islamistes dans des pays musulmans : 222.236 morts
(88,9% des morts provoquées par les attentats islamistes dans le monde).

Notons que ces chiffres sous-estiment la réalité puisqu’ils ne prennent pas en compte les attentats islamistes perpétrés dans des pays à majorité non musulmane où des populations musulmanes sont concentrées dans certaines provinces. C’est, par exemple, le cas du sud de la Thaïlande où les musulmans sont majoritaires dans les provinces de Satun, Yala, Pattani et Narathiwat, mais aussi aux Philippines, dans la région de Mindanao ; en Inde, dans la province de Jammu-et-Cachemire ; ou encore en Chine, dans la région autonome ouïgour du Xinjiang.

10

Sur l’ensemble de la période étudiée, les talibans ont été le groupe le plus meurtrier. Ses actions terroristes ont provoqué la mort de 71.965 personnes.

Les organisations terroristes les plus meurtrières, en prenant en compte leurs différentes ramifications, ont été les talibans (71.965 morts), le groupe État islamique (69.641 morts), Boko Haram (26.081 morts), Al-Shabaab (21.784 morts) et Al-Qaïda (14.856 morts). Ces cinq groupes terroristes ont été responsables de plus des trois quarts (81,8%) des victimes d’attentats islamistes entre 1979 et avril 2024.

La précision des chiffres ne saurait impliquer une connaissance aussi fine de la réalité observée ; le degré de précision résulte des opérations de calcul appliquées à la base de données. Nous ne pouvions que reproduire exactement le résultat de ces opérations.

Une évaluation de la violence islamiste dans le monde (1979-avril 2024)

Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique

Notes

1.

“Transcript of Biden’s Speech on the U.S. Withdrawal From Afghanistan”, The New York Times, 31 août 2021 [en ligne].

+ -

2.

Si 6.291 personnes ont été blessées le jour même, des milliers d’autres ont témoigné de lésions physiques liées aux attentats
du 11 septembre 2001, telles que des affections respiratoires ou des cancers, dans les années qui suivirent ces événements,
comme en témoigne le World Trade Center Health Registry [en ligne].

+ -

3.

Chiffres issus du rapport de Humans Right Watch, « “I Can’t Erase All the Blood from My Mind”, Palestinian Armed Groups’ October 7 Assault on Israel », 2024.

+ -

La Fondapol s’est attelée à un important travail de quantification et d’analyse du terrorisme islamiste dans le monde qui a donné lieu à un rapport publié pour la première fois en 2019, puis en 2021, dont voici la troisième édition. La mise en évidence de la poussée spectaculaire de la violence islamiste ces dernières années a rendu nécessaire cette nouvelle édition actualisée. Le président américain Joe Biden le soulignait en août 2021, à la suite du retrait des troupes américaines d’Afghanistan et de la prise de Kaboul par les talibans : « la menace terroriste a métastasé dans le monde entier, bien au-delà de l’Afghanistan. Nous sommes confrontés aux menaces d’Al-Shabaab en Somalie, des réseaux d’Al-Qaïda en Syrie et dans la péninsule arabique, et de l’État islamique qui tente de créer un califat en Syrie et en Irak, et d’établir des réseaux en Afrique et en Asie »1. Trois ans plus tard, nos données documentent la pertinence de ces propos. L’expansion du terrorisme islamiste depuis 2012-2013 est indiscutable, en particulier en Afrique de l’Ouest, en Afrique subsaharienne, et au Moyen-Orient, une expansion tragiquement illustrée par les attentats du Hamas sur le territoire israélien, le 7 octobre 2023.

La série d’attaques du 11 septembre 2001 reste la plus meurtrière de l’histoire du terrorisme, avec 3.001 morts et 16.493 blessés2. Mais les attentats du 7 octobre 2023 représentent le deuxième événement terroriste islamiste le plus meurtrier puisqu’ils ont causé la mort d’au moins 1.195 civils et militaires, ont fait plus de 3.400 blessés, et ont organisé l’enlèvement de 251 personnes3. Ces attaques sont les plus importantes menées contre Israël sur son sol, depuis sa création en 1948. Le pogrom du 7 octobre a été caractérisé par l’usage d’une violence inédite : assassinats, tortures, viols, et prises d’otages de femmes, d’enfants et de vieillards. Le 31 août 2024, 98 otages sont encore prisonniers du Hamas.

En Afrique subsaharienne, l’attentat le plus meurtrier à ce jour reste la prise de la ville de Palma au Mozambique par l’État islamique entre le 24 mars 2021 et le 5 avril 2021 : 1.193 personnes ont été tuées pendant ces 13 jours d’occupation de la ville, et 209 ont été enlevées.

En Europe (hors Russie), depuis 1979, on recense 209 attentats et 802 morts. En France, pays d’Europe
le plus touché sur cette même période, on compte 85 actes terroristes islamistes ayant entraîné la mort de 334 personnes. Outre la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Grèce, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse ont été frappés, parfois à plusieurs reprises. La Russie est également une cible du terrorisme islamiste avec 86 attentats et 988 morts entre 1998 et avril 2024. Au cours de l’année 2024, la Russie a été touchée par deux attentats islamistes particulièrement meurtriers : le premier, le 22 mars à Moscou qui a causé la mort d’au moins 144 personnes et en a blessé 550 ; le second, le 23 juin dans la province du Daghestan, a causé la mort d’une vingtaine de personnes et une quarantaine ont été blessées. C’est néanmoins en dehors du monde occidental que les pays ont subi plus souvent et plus durement encore la violence islamiste.

1

1979, l’année critique

Notes

4.

Voir Gilles Kepel, Sortir du chaos. Les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient, Gallimard, 2018, pp. 23-69.

+ -

5.

Dans son rapport réalisé pour l’Institut Montaigne, Hakim El Karaoui présente les raisons pour lesquelles, selon lui, il est possible de considérer que l’autonomisation du djihadisme a pris forme en Afghanistan, à savoir « l’arrivée de plusieurs groupes islamistes que le conflit afghan a unis, l’autonomie financière des moudjahidines afghans grâce aux financements américains et saoudiens, la mise en pratique effective du djihad pour la première fois depuis la fin du xixe siècle et sa théorisation par le Frère musulman Abdallah Azzam » (La Fabrique de l’islamisme, Institut Montaigne, septembre 2018, p.63, [en ligne].

+ -

6.

Gilles Kepel, Jihad. Expansion et déclin de l’islamisme, 2e éd. refondue et mise à jour, Gallimard, coll. « Folio actuel », 2003, p. 26.

+ -

7.

Ibid.

+ -

Nous nous sommes demandé s’il était possible de connaître l’ampleur de la violence islamiste dans le
monde, d’en faire le recensement et d’en partager les résultats avec les publics intéressés sous la forme de la présente étude.
Pour mener à bien un tel travail, il fallait préalablement déterminer le point de départ du recensement, puis identifier les sources les plus fiables, les examiner et les valider, traiter ensuite les données recueillies, présenter les principaux enseignements et, enfin, mettre à la disposition du public les informations ainsi collectées.

Nous avons décidé de commencer la collecte des données à partir de l’année 1979. Cette année est retenue par la plupart des spécialistes parce qu’elle solde l’échec historique du nationalisme arabe concurrencé par les mouvements d’islamisation et d’affirmation du djihadisme4. Cette même année, un certain nombre d’événements précipitent cette évolution : l’intervention militaire soviétique en Afghanistan, la révolution iranienne, la signature des accords de Camp David et la prise d’otages de la Grande Mosquée de La Mecque par un groupe de fondamentalistes islamistes, en novembre-décembre 19795. Pour Gilles Kepel, ce qui se déroule cette année-là est le résultat de « la lutte acharnée que se livrent la monarchie saoudienne et l’Iran de Khomeini6 », mais elle est en même temps le moment d’une nouvelle confrontation indirecte entre l’URSS et les États-Unis : « Le jihad que financent dans ce pays [l’Afghanistan] les pétromonarchies de la péninsule Arabique et la CIA a pour but explicite d’infliger à l’Union soviétique […] un “Vietnam” qui précipite sa chute. À l’échelle de l’islam, il a aussi pour fonction de détourner les militants radicaux du monde entier de la lutte contre le Grand Satan américain – à laquelle les incite Khomeini – et de les canaliser contre l’URSS. Le jihad afghan a une importance cardinale dans l’évolution de la mouvance islamiste à travers le monde. Il en devient la cause par excellence, à quoi s’identifient tous les militants, modérés comme radicaux. Il supplante, dans l’imaginaire arabe, la cause palestinienne et symbolise le passage du nationalisme à l’islamisme7. »

2

Définition du terrorisme

Notes

8.

« The threatened or actual use of illegal force and violence by a non-state actor to attain a political, economic, religious, or social goal through fear, coercion, or intimidation » Global Terrorism Database, National Consortium for the Study of Terrorism (START), Université du Maryland, Codebook: Inclusion Criteria and Variables, juillet 2017, p. 10 [en ligne].

+ -

9.

Suivant cette définition, les actes relevant d’un terrorisme d’État ne sont pas retenus dans notre recensement.

+ -

Comme nombre de notions, le terrorisme est l’objet de définitions controversées. Dans cette note, nous entendrons par « terrorisme » les actes politiques répondant au principe et aux critères retenus par le National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism (START) . Dans ce cadre, l’acte terroriste est présenté comme « la menace de l’usage ou l’usage effectif de la force et de la violence illégales par un acteur non étatique afin d’atteindre des objectifs politiques, économiques, religieux ou sociaux, par la peur, la coercition ou l’intimidation8 ». Cette définition se prolonge dans l’énumération d’un ensemble de caractéristiques précisant la nature de l’acte terroriste :
– il doit être intentionnel et résulter d’un calcul conscient de la part de son auteur ;
– il doit comprendre un certain niveau de violence ou de menace de violence imminente, qu’il s’agisse
de violence physique ou matérielle ;
– les auteurs de l’incident doivent être des acteurs non étatiques9.

Pour être inclus dans la base de données, un événement doit de plus répondre à au moins deux des
critères suivants :
– l’acte violent doit viser un objectif politique, économique, religieux ou social ;
– l’acte doit résulter d’une intention de coercition, d’intimidation, ou être motivé par la volonté de propager un message économique, politique, religieux ou social à destination d’une audience plus large que celle que représentent les victimes immédiates ; ce qui compte est l’intention de ceux qui ont planifié l’attentat ou de ceux qui ont pris la décision de l’exécuter ;
– l’action doit se distinguer des activités considérées légitimes en temps de guerre. L’acte doit transgresser le cadre défini par les règles internationales à finalité humanitaire, notamment celles concernant l’interdiction de cibler intentionnellement des civils ou des non-combattants.

Notre contribution s’intéresse spécifiquement aux actes terroristes accomplis par des organisations ou des individus se réclamant de l’islamisme. Le critère définissant une action terroriste et selon lequel « l’acte violent doit viser un objectif politique, économique, religieux ou social » doit donc être précisé. Ce critère est considéré comme essentiel à notre recensement et concerne les attentats qui ont fait l’objet d’une revendication islamiste ou à propos desquels les informations disponibles permettent de savoir qu’ils ont été planifiés, décidés et accomplis au nom de l’islamisme.

3

Définition de l’islamisme

Notes

10.

Janine Sourdel et Dominique Sourdel (dir.), Dictionnaire historique de l’islam, PUF, 1996, p. 411.

+ -

11.

Ibid.

+ -

12.

Ibid.

+ -

13.

Ibid. Voir également Mehdi Mozaffari, « What is Islamism? History and Definition of a Concept », Totalitarian Movements and Political Religions, vol. 8, no 1, mars 2007, p. 21.

+ -

14.

« By “Islamism”, I mean the normative political ideology that has as its core program the establishment of Islam as a state religion and the implementation of Islamic law (shari’a). Militant Islamism, then, is any form of Islamism that advocates the use of violence to achieve Islamist objectives. This same distinction is made by Islamists themselves, who refer to “Parties of theIslamic Call,” or al-da’wa al Islamiyya (i.e. Islamist groups that do not advocate violence) on the one hand, and “Parties of the Muslim Revolution,” or al-thawra al-Islamiyya (i.e. Islamist groups that do advocate violence) » (Edward W. Walker, « Islam, Islamism and Political Order in Central Asia », Journal of International Affairs, vol. 56, no 2, printemps 2003, p. 22, note 1).

+ -

15.

Voir Robin Simcox, Hannah Stuart, Houriya Ahmed et Douglas Murray, « Islamist Terrorism. The British Connection », The Henry Jackson Society and The Centre for Social Cohesion, 2nd ed., 2010, p. XVI [en ligne].

+ -

Pour les historiens, « islamisme » est un terme « employé à la fin du XIXe siècle pour désigner l’islam en tant que religion et civilisation, mais qui a pris récemment une nouvelle acception d’islam militant fondamentaliste, traditionaliste et prosélyte10 ». Désormais, l’islamisme désigne « une tendance qui consiste à exiger l’application stricte des prescriptions de la loi religieuse ou shari’a dont il considère que certaines avaient été abandonnées, de même que les principes de la foi, par divers gouvernements modernes des pays musulmans, notamment sous l’influence des pays européens, des idéologies occidentales et des mouvements réformistes11 ». Il s’ensuit de cette évolution que les défenseurs d’une telle conception de l’islam, les « islamistes », prônent le jihad, « d’une part, dans leur propre pays contre les “mauvais” musulmans et les gouvernants corrompus de manière à instaurer, si besoin est, un État purement islamique, d’autre part, de façon plus générale, contre les valeurs séculières qui dominent le monde non musulman12 ». Les mêmes auteurs considèrent que l’islamisme présente beaucoup d’analogies avec le mouvement des Frères musulmans13.

Il existe de nombreuses autres définitions de l’islamisme, souvent très détaillées. Pour compléter sans compliquer exagérément, on peut notamment se référer à la définition proposée par Edward Walker, en raison de sa relative clarté et de sa concision : « Par “islamisme”, j’entends l’idéologie politique normative qui a pour programme central l’établissement de l’islam comme religion d’État et l’application de la loi islamique (shari’a). L’islamisme militant désigne toute forme d’islamisme qui préconise le recours à la violence pour atteindre ses objectifs. Cette même distinction est faite par les islamistes eux-mêmes, qui se réfèrent, d’une part, aux “partis de l’appel islamique” ou al-da’wa al Islamiyya – soit les groupes islamistes qui ne prônent pas la violence – et, d’autre part, aux “partis de la révolution musulmane” ou al-thawra al-Islamiyya – soit les groupes islamistes qui préconisent la violence14 ». Constatant qu’il n’existe pas de définition universellement acceptée de l’islamisme, certains chercheurs le caractérisent comme une idéologie selon laquelle :
– l’islam n’est pas seulement une religion mais aussi un système sociopolitique holistique ;
– la shari’a (islamique) doit devenir la loi de l’État ;
– il existe une communauté musulmane transnationale, l’oumma, qui doit s’unir pour former un bloc politique ;
– il faut instaurer un État « islamique », ou califat, au sein duquel le pouvoir souverain appartiendra à Dieu15.

4

Une base de données mondiale des attentats islamistes de 1979 à avril 2024

Notes

16.

Le 28 avril 2019, le journal allemand Welt am Sonntag a publié une liste des attentats islamistes. Cette liste porte sur une période plus courte, à savoir du 11 septembre 2001 au 28 avril 2019. Jusqu’en 2017, les données sont extraites de la Global Terrorism Database. Pour les années 2018 et 2019, le journal a procédé à son propre recensement. Nos données se distinguent de celles du Welt am Sonntag sur au moins trois points : en premier lieu, nous couvrons une période de quarante ans au lieu de dix-huit ans, ce qui nous permet de suivre les évolutions du terrorisme islamiste en mettant notamment au jour un phénomène de mondialisation ; en deuxième lieu, Welt am Sonntag a choisi de ne comptabiliser que les attaques ayant fait au moins douze morts, tandis que nous avons nous-mêmes enregistré tous les attentats identifiables ; en troisième lieu, Welt am Sonntag s’est focalisé sur les attaques menées par les principaux groupes terroristes (Abdullah-Azzam Brigade, Asaib Ahl ab-Haqq, Abu Sayyaf, Ansar al-Din, Allied Democratic Forces, djihadistes algériens, Ahrar al-Sham, Ansar al-Islam, Al-Ittihaad al-Islami, Parti Al-Islah, Aisha-Brigade, Brigade des martyrs Al-Aksa, Brigade Al-Muaqioon-Biddam, Ansar-Al-Din-Front, Al-Qaïda, Arakan Rohingya Salvation Army, Ansar al-Sunna, al-Shabaab, Ansar al-Sharia, Ansar al-Tawhid, Ansar ul-Islam, Boko Haram, Mouvement sunnite djihadiste d’Iran, Deccan Mujahideen, Gardiens de la religion, Groupe islamique armé, Groupe salafiste pour la prédication et le combat, Hezbollah, Hizb-i-Islami, Harkatul Jihad-e-Islami, Réseau Hakkani, Halqa-e-Mehsud, Hisbul Mujahideen, Hamas, Houthis, Hayat Tahrir al-Sham, Mouvement islamique d’Ouzbékistan, Jihad islamique, Front islamique, Moudjahidines indiens, Parti islamique du Turkestan, Jaish al-Adl, Jaish-al-Islam, Jamaat al-Tawhid wal-Jihad, Jaish-e-Mohammad, Jaish al-Fatah, Jaish-i-Islam, Jemaah Islamiya, Jund al-Khilafah, Jamiat ul-Mujahedin, Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin, Jundallah, Jundallah Pakistan, Jaljala Army, Kataib Hezbollah, Lashkar-e-Jhangvi, Lashkar-e-Omar, Lashkar-e-Taiba, Lashkar-e-Islam, Mujahideen Ansar, Mahaz-
e-Inquilab, Moro Islamic Liberation Front, Moro National Liberation Front, Movement for Tawheed and Jihad in West Africa, Mujahedeen Shura Council, Armée Mukhtar, Front al Nosrah, Students Islamic Movement of India, Sipah-i-Mohammed, Salafia Jihadia, Shura des Moudjahidines de Derna, Special Purpose Islamic Regiment, Shura des révolutionnaires de Benghazi, Taliban, Tehrik-e-Taliban Islami, Tehrik-e-Taliban Pakistan, United Jihad Council) ; tandis que notre base de données recense, aussi précisément que possible, l’ensemble des attentats islamistes. Ainsi, outre les attentats commis par les groupes les plus connus, nous prenons également en compte les attaques menées par des individus ou des groupuscules se réclamant de l’islamisme sans appartenir à une organisation particulièrement connue. Voir « 18 Jahre Terror », Welt am Sonntag, no 17, 28 avril 2019, pp. 12-14.

+ -

17.

Nous pouvons citer, par exemple, la base de données rendue disponible par Le Monde sur les attentats du groupe État islamique de 2014 à 2016 [en ligne]. Nous pouvons aussi citer celle du journaliste Alexander Perry [en ligne]. Enfin, nous pouvons citer celle du New York Times [en ligne].

+ -

18.

Global Terrorism Database, National Consortium for the Study of Terrorism (START), Université du Maryland [en ligne].

+ -

19.

La Global Terrorism Database ne fournissait pas d’informations pour l’année 1993. Les années 2018 et 2019 n’étaient alors pas renseignées par la GTD.

+ -

20.

Extrait de la base de données Fondapol 1979-avril 2024.

+ -

21.

Ibid.

+ -

22.

La base de données de l’ACLED étant régulièrement actualisée, nous avons été en mesure de modifier certaines données d’avant 2021 – ces actualisations sont marginales.

+ -

C’est dans le cadre de ces définitions que nous avons conçu ce travail et que nous en proposons ici le résultat sous la forme d’une base de données répertoriant les attentats islamistes perpétrés dans le monde depuis le 27 décembre 1979. Les données intégrées dans notre base ne vont pas au-delà du 12 avril 2024, compte tenu du temps nécessaire à la validation et au traitement des informations recueillies. En effet, si les attentats qui ont lieu dans les pays occidentaux ont une visibilité considérable, en raison de l’impact plus grand que peut avoir la violence dans des sociétés plus pacifiées, de leurs capacités à produire rapidement des données fiables et d’une présence médiatique particulièrement dense, il n’en va pas de même pour les attentats qui ont lieu, beaucoup plus souvent, dans d’autres parties du monde où tous les processus de repérage et de renseignement deviennent plus longs sans pouvoir être aussi performants. Dès lors, la validation et la classification des événements pertinents supposent un travail qui excédait le terme que nous devions nécessairement nous fixer pour rendre possible cette publication.

Pour mener à bien notre recherche, nous avons utilisé trois types de sources : le recueil d’informations sur les attentats via les moteurs de recherche, le croisement des bases de données existantes et, enfin, les recherches académiques. Il existe en effet diverses bases de données sur les attentats en général et sur les attentats islamistes en particulier16. Toutes les bases de données en circulation nous ont été utiles pour confirmer ou enrichir le travail que nous étions en train d’effectuer17. Cependant, la plupart des bases de données accessibles sont très incomplètes ou inégalement renseignées. Dans certains cas, l’information peut être abondante à propos d’un pays, d’une région, d’une année ou d’une période, généralement très courte, puis très pauvre ou inexistante pour un autre pays ou une autre année. On le constate sur Wikipédia, où l’on trouve des données par année ou par thème, mais très lacunaires, fragmentées et sous une forme qui ne permet pas le traitement statistique. Pour la première édition Les attentats islamistes dans le monde 1979-2019, notre source initiale a été la Global Terrorism Database (GTD) réalisée par l’université du Maryland, aux États-Unis18. Cette base de données compilait alors les attentats terroristes entre 1970 et 2017. La valeur de cet ensemble est de recenser les attentats quelle que soit leur motivation. Cette richesse avait été aussi pour nous le principal défi à relever, puisqu’il a fallu extraire les attentats de type islamiste des 172.944 attentats recensés dans le monde de 1979 à 2017. Nous avons donc préalablement réalisé un travail de sélection, de vérification et de classification des données contenues dans la GTD. Nous avons dû ensuite la compléter par nos informations, en particulier pour les années 1993, 2018 et 201919.

Depuis la première édition de notre étude, en novembre 2019, la database de l’université du Maryland a été mise à jour jusqu’à juin 2020. Dans un premier temps, nous avons pu consolider nos données pour les années 2018 et 2019.

Pour la période allant de juillet 2020 à avril 2024, nous avons utilisé la base de données de l’Armed Conflict and Event Data Project (ACLED). Cette organisation américaine à but non lucratif est spécialisée dans la collecte de données et la cartographie de tout type d’événements violents dans le monde, de 1997 à nos jours. Nous avons élaboré un système de filtrage, avec trois paramètres, afin de ne retenir que les attentats islamistes :

1. La période : nous avons exporté les données portant sur la période du 1er juillet 2020 au
12 avril 2024 ;
2. Le type d’événements : nous avons ensuite retenu l’ensemble des attentats terroristes dans le
monde ;
3. Les groupes terroristes islamistes : nous avons enfin conservé les attentats perpétrés par un terroriste islamiste ou par un groupe terroriste islamiste, 656 groupes terroristes islamistes ayant été recensés de 1979 à nos jours.

Nous avons exclu plusieurs types d’événements :
– Les opérations menées à l’initiative d’une force étatique dans le but d’affaiblir préventivement un groupe terroriste (ex : “On 12 March 2021, 3 Taliban were killed and 1 wounded in the Afghan military forces operation in the limits of Dih Yak district, Ghazni province. In addition, 4 Taliban planted IEDS were detected and defused in the district. Fatalities coded as 3”)20.
– Les opérations dont l’instigateur n’est pas clairement identifiable (ex : “On 18 September 2021, clashes erupted between AQAP militants and unidentified tribesmen in Al Tariyah village in Hatib district (Shabwah) killing 1 and injuring others. The reason behind the clashes was not reported.”)21.

Pour les attentats islamistes retenus dans notre base de données, nous avons renseigné les points suivants :
– la date ;
– la localisation de l’attaque : pays, ville, lieu exact quand il est possible de l’identifier ;
– le nombre de morts confirmés et le nombre de blessés, y compris parmi les attaquants ; il importe de signaler ici que le nombre de personnes blessées est à l’évidence très sous-estimé par les informations disponibles ;
– le ou les auteur(s) de l’attentat ;
– le ou les type(s) de cible(s) ;
– le ou le(s) type(s) d’attaque(s) dont il s’agit ;
– le ou le(s) type(s) d’arme(s) utilisé(es) ;
– le descriptif de l’attaque.

Pour la période juin 2021-avril 2024, nous avons analysé au total 18.188 événements, ce qui représente une moyenne de 527 actes terroristes par mois. Nous avons travaillé à partir des informations fournies par l’Armed Conflict and Event Data Project (ACLED) afin de les analyser et de constituer notre propre base de données22.

5

Pourquoi notre étude sous-estime la réalité de la violence islamiste

Il n’est évidemment pas possible de prétendre proposer une base de données exhaustive des attentats islamistes commis dans le monde entre 1979 et avril 2024, et ce pour un ensemble de raisons détaillées ci-après.

Un certain nombre d’attentats n’ont pas été répertoriés. Quels que soient les efforts déployés, un nombre sans doute significatif d’attentats relevant de la catégorie islamiste n’ont pas pu être répertoriés sur l’ensemble de la période concernée.

a/ Dans certains cas, le nombre des victimes provoquées par des attentats islamistes est insuffisamment détaillé. Il n’est parfois que globalement estimé par les autorités du pays qui, pour des raisons politiques, ne tiennent pas à recueillir et à publier les informations à ce sujet. C’est le cas en particulier de l’État algérien (cf. l’encadré ci-après).

b/ Un certain nombre d’attentats ne figurent pas dans notre « estimation retenue » lorsque la motivation religieuse n’est pas clairement prépondérante dans une combinaison impliquant une autre détermination. Le terrorisme islamiste s’inscrit en effet dans des contextes à la fois singuliers et complexes qui rendent parfois difficile le recueil de données fiables. C’est notamment le cas dans des situations de guerres, civiles ou internationales, de luttes séparatistes ou indépendantistes et de conflits territoriaux qui perdurent sur de longues périodes, où les causalités sont mouvantes ou inextricables, comme autour de la question palestinienne, tandis que, dans un tout autre cadre, en Thaïlande par exemple, un mouvement séparatiste conduit une minorité musulmane à s’impliquer par les armes au nom d’objectifs qui peuvent atteindre, au-delà de la revendication politique, une dimension religieuse.

c/ La motivation islamiste n’est pas toujours identifiée. Les données disponibles ne permettent pas toujours aux agences de presse d’imputer l’attentat à la cause islamiste, et ce d’autant plus que le pays victime de l’attentat est caractérisé par la faiblesse de ses structures administratives. La non-revendication peut augmenter la probabilité pour qu’un attentat ne soit même pas répertorié par les agences ou que cette information n’atteigne pas la presse.

d/ Le nombre des morts différées est pratiquement inconnu. Or, il est certainement très important. Dans la mesure où les victimes succombant à leurs blessures ultérieurement à l’attentat ne sont presque jamais mentionnées dans les informations disponibles, il est impossible de connaître leur nombre avec exactitude. La fin de Tahar Mejri, mort de chagrin le 14 juin 2019, 3 ans après avoir perdu sa femme et son fils dans l’attentat de Nice du 14 juillet 2016 est une autre illustration tragique de ce que nous désignons comme « des morts différées ». Il est donc également impossible d’intégrer ces morts dans notre base de manière fiable. Ainsi, selon notre base de données, nous relevons au moins 249.941 morts et 192.598 blessés, soit un nombre de blessés inférieur au nombre des tués. Or, si nous considérons quatre cas d’attentats, chacun mené avec des moyens différents, dans trois pays où la qualité de l’information est excellente, nous observons un rapport tout à fait inverse entre le nombre de morts et le nombre de blessés : aux États-Unis, pour les attentats du 11-Septembre, on dénombre cinq fois plus de blessés (16.493) que de morts (3.001) ; en France, lors des attentats du 13 novembre 2015, il y a eu trois fois plus de blessés (413) que de morts (137) ; à Nice, lors de l’attentat du 14 juillet 2016, il y a eu cinq fois plus de blessés (458) que de personnes tuées (87). En Israël, les attentats du 7 octobre 2023 ont fait 3.400 blessés et au moins 1.195 morts, soit trois fois plus de blessés que de morts. Notons ici que l’attentat du Bataclan comme l’attentat de Nice ont entraîné des suicides de survivants plusieurs mois voire plusieurs années après les événements. Notre rapport revient sur ce point particulier. Ces informations nous incitent à penser que le chiffre des blessés est très supérieur à celui de notre base de données. Il est certain que les pays pauvres, qui sont ceux où se déroulent la plupart des attentats, n’ont pas la même capacité à repérer et à prendre en charge les personnes blessées qui ne sont probablement même pas comptabilisées, tandis que d’autres meurent de leurs blessures après un certain temps en raison de l’insuffisance ou de la fragilité des systèmes de secours et des institutions de santé. Si l’on appliquait au nombre de morts indiqué dans notre base de données (249.941), les ratios des quatre attentats pris en exemple, il faudrait corriger le nombre des blessés en le multipliant par trois (soit, 749.823 blessés) ou par cinq (soit, 1.249.705). Or, parmi toutes ces personnes blessées, il est certain qu’un certain nombre meurt de leurs blessures, et qu’elles sont d’autant plus nombreuses à mourir si le pays concerné est plus pauvre et démuni de moyens de secours et de soins.

Pour ces quatre raisons, nous proposons au lecteur deux types de quantification de la violence islamiste, sous la forme d’une « estimation retenue » et d’une « estimation possible ». L’« estimation retenue » résulte du recensement des attentats au cours de la période 1979-avril 2024 dont la motivation islamiste ne fait pas de doute. L’« estimation possible » résulte du recensement des attentats susceptibles d’être qualifiés d’islamistes, en incluant certains actes terroristes relevant également de logiques séparatistes, politiques ou sociales, qui rendent plus difficiles l’imputation à une motivation exclusivement ou principalement islamiste. Dans tous les cas, le nombre des victimes, morts ou blessés, est sensiblement inférieur à une réalité que l’on ne connaîtra pas plus précisément.

Nous avons recensé 66.872 attentats islamistes ayant provoqué la mort d’au moins 249.941 personnes entre 1979 et avril 2024.

Notes

23.

Dominique Reynié (dir.), Les attentats islamistes dans le monde 1979-2019, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2019 [en ligne].

+ -

24.

Dominique Reynié (dir.), Les attentats islamistes dans le monde 1979-2021, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2021 [en ligne].

+ -

« L’estimation possible » devrait se situer entre 300.000 et 400.000 morts en tenant compte des victimes du terrorisme islamiste en Algérie, selon les hypothèses procédant des meilleures sources connues et des travaux les plus fiables.

Notre recherche a débuté au printemps 2018. Elle a donné lieu à une première publication en 201923 et une deuxième en 202124. L’étude que nous publions ici procède de la base de données que nous avons élaborée, dans les limites précédemment indiquées. Les analyses qui suivent présentent d’abord les évolutions du terrorisme islamiste de 1979 à nos jours avant de proposer une présentation et une lecture des données selon les régions du monde et les pays touchés par la violence islamiste.

Notes

1.

Voir Pierre Daum, « Mémoire interdite en Algérie », Le Monde diplomatique, août 2017, p. 8-9 [en ligne].

+ -

2.

Fouad Ajami, « The Furrows of Algeria », newrepublic.com, 27 janvier 2010 [en ligne].

+ -

3.

« Algeria puts strife toll at 150,000 », aljazeera.com, 23 février 2005 [en ligne].

+ -

4.

Fouad Ajami, art. cit.

+ -

5.

Voir notamment les pages « Algérie » du site counterextremism.com ; Audra Grant, « The Algerian 2005 Amnesty: The Path to Peace? », Terrorism Monitor, vol. 3, n° 22, novembre 2017 ; « Algeria: Fundamentalist Conflict, 1980s Present », in James Ciment (dir.), World terrorism. An Encyclopedia of Political Violence. Ancient Times to the Post-9/11 era, Routledge, 2011, vol. I, p. 157.

+ -

6.

Roman Hagelstein, « Explaining the Violence Pattern of the Algerian Civil War », HiCN Working Paper, n° 43, mars 2008 [en ligne].

+ -
La « décennie noire » algérienne : seule l’approximation est possible

Le cas algérien illustre particulièrement bien la difficulté à proposer une base de données exhaustive. Les Algériens nomment « décennie noire » la période comprise entre 1991 et 2002 qui a vu divers groupes islamistes, en particulier le Front islamique du salut (FIS) et le Groupe islamique armé (GIA), s’opposer à l’État algérien dans le cadre d’une guerre civile d’une grande violence dont le bilan est difficile à documenter1. Selon Fouad Ajami, « on ne connaîtra jamais avec précision le nombre d’Algériens qui ont péri dans la guerre civile qui a éclaté en 1992. Les dirigeants algériens, peu connus pour leur fidélité à la vérité, et qui ont tant à cacher, ont reconnu, en 1999, un bilan de 100.000 victimes. Des estimations plus fiables fournies par les organisations civiques algériennes font état d’un bilan de 200.000 morts2». En effet, le président Abdelaziz Bouteflika a d’abord estimé, en 1999, le nombre des victimes à 100.000. Puis, en février 2005, le président algérien a donné dans un discours le chiffre de 150.000 morts3. De son côté, Fouad Ajami considère que le bilan pourrait atteindre 200.000 victimes, arguant qu’il était dans l’intérêt du gouvernement algérien de minimiser les pertes4. Ce chiffre, repris dans divers travaux consacrés au terrorisme en Algérie5, reste discuté, notamment parce qu’il ne fait pas de distinction entre les victimes membres de la police ou de l’armée, terroristes et civils. Dans une étude publiée en 2008, Roman Hagelstein s’est employé à distinguer, d’une part, les personnes tuées lors d’affrontements opposant les forces de sécurité et les terroristes, et, d’autre part, les victimes de massacres, d’attentats à la bombe et d’assassinats. L’étude distingue également le nombre des personnes disparues, présumées assassinées en secret, l’auteur estimant le nombre total de victimes à 44.0006. Concernant les victimes du terrorisme islamiste algérien au cours de la période 1991-2002, les estimations disponibles et que l’on peut considérer fiables en raison des sources, des auteurs et des types de publication varient donc entre 44.000 et 200.000. Dans tous les cas, pour ce pays et pour cette période, il n’existe pas de données permettant de renseigner le nombre des attentats, leur date, les modalités d’action, le groupe responsable ou encore le profil des victimes. Pour notre base de données, ces grandes incertitudes ont plusieurs conséquences : en premier lieu, faute d’information, il n’est pas possible de préciser davantage la situation du terrorisme islamiste en Algérie au cours de cette décennie. Fidèles à notre méthode, nous ne conservons donc dans les « données retenues » que les cas renseignés. Ce choix induit une sous-évaluation sans doute très importante du nombre des attentats et des victimes en Algérie. D’autre part, nous inclurons dans la catégorie « estimation possible » les indications concernant l’Algérie. Enfin, par voie de conséquence, cette situation de grande ignorance en ce qui concerne le cas algérien, conduit à sous-estimer le nombre des attentats et des victimes du terrorisme islamiste dans le monde aussi bien pour la période postérieure à 1991 que pour l’ensemble de la période.

I Partie

Les prémices d’un terrorisme islamiste transnational (1979-2000)

Notes

1.

Voir Mohamed Louizi, Libérer l’islam de l’islamisme, Fondation pour l’innovation politique, janvier 2018 [en ligne] ; Mohamed Sifaoui, Taqiyya ! Comment les Frères musulmans veulent infiltrer la France, L’Observatoire, 2019 ; ou encore Malik Bezouh, Crise de la conscience arabo-musulmane, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2015 [en ligne].

+ -

Ce travail n’ambitionne pas d’éclairer les fondements de l’islamisme ni de discuter les origines et les justifications, dans le contexte de l’islam, du recours à la violence et à la violence de type terroriste en particulier. Différemment, nous considérons que l’apport de notre contribution réside dans les informations que l’on peut tirer de l’exploitation d’une base de données consolidée et des analyses auxquelles elles peuvent donner lieu. Cependant, la compréhension de l’intérêt des données partagées ici nécessite de rappeler succinctement les évolutions du terrorisme islamiste depuis 1979.

Jusqu’au milieu des années 1970, l’islamisme reste peu influent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Dans le prolongement de la décolonisation et du rejet de l’impérialisme occidental, les nouveaux États de la région affirment une vision nationaliste et panarabique portée par des leaders tels que Nasser ou Boumediene et par des mouvements comme le Baath, en Syrie et en Irak, ou l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), en Palestine. Les organisations islamistes sont fermement contenues ou durement réprimées, comme le fit Nasser, en Égypte, avec les Frères musulmans. Fondée en 1928 par Hassan el-Banna, l’organisation des Frères musulmans est née dans le but de restaurer l’islam politique disparu avec l’abolition du califat ottoman proclamée par Atatürk en 1924.

À la fin des années 1970, la revendication islamiste se renforce1. L’accroissement des inégalités sociales et la corruption des élites sont dénoncés. Les mouvements islamistes tentent d’incarner une alternative politique aux dictatures en place ou s’engagent dans des actions violentes, comme en Syrie, où les Frères musulmans lancent une lutte armée contre le régime baathiste d’Hafez el-Assad. Ces mouvements d’islamisation des sociétés du Moyen-Orient prospèrent d’autant plus que le nationalisme arabe périclite puis s’effondre. Dès la fin de la décennie, en 1979, un espace d’opportunité s’ouvre aux islamistes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

1

La guerre soviéto-afghane, « matrice du terrorisme islamiste contemporain

Notes

2.

Voir Gilles Kepel, « Le terrorisme islamiste est né en Afghanistan », propos recueillis par Héloïse Kolebka, L’Histoire, n° 293, décembre 2004, pp. 18-19 [en ligne].

+ -

L’année 1979 est une année charnière, théâtre de plusieurs événements importants, parmi lesquels la révolution iranienne et l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. L’opération militaire russe précipite l’émergence d’un nouvel islamisme. Au même moment, en Iran, l’opposition menée par le clergé chiite, grâce au contexte d’une intense contestation sociale, contraint le shah à fuir le pays (16 janvier 1979). Le 1er février 1979, Rouhollah Khomeini parvient au pouvoir. Il engage la transformation du régime impérial d’Iran, accusé d’« occidentalisation », en une république islamique. Dans le sillage de la révolution iranienne, des groupes chiites prônant la lutte armée voient le jour. Parmi eux, on compte le Hezbollah libanais, créé en 1982. L’idéologie chiite s’affirme dans le contexte du processus d’islamisation du Moyen-Orient où elle concurrence la légitimité sunnite.

En Afghanistan, l’invasion soviétique ouvre le conflit qui sera considéré comme la matrice du terrorisme islamiste contemporain2. Le djihad est soutenu par l’Arabie saoudite, par l’Algérie ou encore par l’Égypte. Les djihadistes qui rejoignent l’Afghanistan deviennent des « moudjahidines » ; ils sont regardés comme les libérateurs d’une « terre d’islam » (dar al-islam).

2

Les années 1980 et l’émergence du terrorisme islamiste

Avec 357 attentats, qui coûtent la vie à 1 442 per- sonnes, les années 1980 sont les moins meurtrières par comparaison avec les décennies qui suivent. L’émergence du terrorisme islamiste est visible dès les années 1980-1983 qui correspondent à l’activisme des Frères musulmans en Syrie, alors en pleine insurrection contre le gouvernement de Hafez el-Assad.
De 1980 à 1982, on relève 69 attentats sur le territoire syrien, soit près des deux tiers (63,3%) des attentats islamistes répertoriés dans le monde au cours de ces trois années. Les attentats cessent après la répression du mouvement des Frères musulmans, notamment lors des massacres de Hama par l’armée syrienne, en 1982.

Les attentats islamistes dans le monde (1979-2000)

De 1980 à 1989, le pays le plus touché par le terro- risme islamiste est le Liban, avec 133 attentats, qui font au moins 515 morts. En proie à une guerre civile depuis 1975, le pays subit la montée en puissance de groupuscules terroristes. Ce contexte national instable et l’invasion du sud du Liban par Israël en 1982 favorisent, la même année, l’émergence du Hezbollah. Un an plus tard, l’organisation chiite déclenche une série d’attentats contre des institutions étrangères. Une patrouille italienne est touchée le 15 mars 1983, sans avoir à déplorer de pertes, mais le 18 avril un nouvel attentat atteint l’ambassade des États-Unis à Beyrouth, provoquant la mort de 63 personnes. À la fin de la même année, le 23 octobre, une base américaine et une patrouille française sont terriblement frappées par un attentat au cours duquel 299 personnes perdent la vie. L’activisme terroriste du Hezbollah est particulièrement intense au Liban, où il provoque 276 attentats de 1983 à 2000, mais il ne s’y restreint pas. En tout, en intégrant les autres pays touchés, le Hezbollah est responsable de 339 attentats de 1983 à 2000, tuant 1.105 personnes. L’Arabie saoudite, l’Argentine, Chypre, le Danemark, l’Égypte, la Grèce, Israël, le Koweït et la Tunisie sont parmi les pays victimes.

En septembre 1986, Paris subit une série de six attentats, dont celui du 17 septembre, rue de Rennes, devant un magasin Tati, qui fait 7 morts et 55 blessés.

Ces attentats sont revendiqués par le Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient, pour le compte du Hezbollah libanais.

L’organisation libanaise est aussi jugée responsable des deux attaques du 17 mars 1992 contre l’ambassade israélienne à Buenos Aires (30 morts, 220 blessés), ainsi que de l’attentat du 18 juillet 1994 contre une association juive, également à Buenos Aires (85 morts, 236 blessés). Sur l’ensemble de la période 1979-avril 2024, l’Argentine reste le seul pays d’Amérique du Sud touché par le terrorisme islamiste, avec 3 attentats.

Types d’armes utilisées dans les attentats islamistes (1979-2000)

Source :

*L’information disponible sur les attentats répertoriés pouvant être incomplète, le total des attentats selon les armes utilisées n’est pas égal à 100%.

Les attentas islamistes dans le monde

3

Années 1990, propagation du terrorisme islamiste au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Notes

3.

Faute d’information, il n’est pas possible de préciser davantage la situation du terrorisme islamiste en Algérie au cours de cette décennie. Fidèle à notre méthode, nous ne conservons donc dans les « données retenues » que les cas renseignés. Ce choix induit une sous-évaluation sans doute très importante du nombre d’attentats et de victimes en Algérie.

+ -

Le retrait de l’Armée rouge de Kaboul, le 5 février 1989, galvanise la mobilisation islamiste, déjà stimulée en 1987 par la création d’Al-Qaïda, par Abdullah Azzam et Oussama Ben Laden. La globalisation de la lutte djihadiste est engagée. Le discours repose principalement sur l’idée d’une communauté de musulmans unifiée (oumma) revendiquant son autonomie vis-à-vis des spécificités ethniques, nationales et culturelles de chaque peuple. L’objectif est l’établissement du califat et de la cité prophétique exemplaire, qui doit aussi être étendue aux pays non musulmans. L’autonomisation du discours djihadiste par rapport aux référents classiques, nationalistes et politiques, n’est pas le propre d’Al-Qaïda. Elle est reprise par tous les musulmans venus en Afghanistan pour prendre part à l’action violente. À la suite du retrait soviétique, ces moudjahidines retournent dans leur pays d’origine et y diffusent les idées du salafisme djihadiste. C’est ainsi que, dans les années 1990, un nombre croissant de pays, notamment au Moyen-Orient, sont directement frappés par la violence islamiste.

En Algérie, un certain nombre de djihadistes se rassemblent en groupes militants dès les débuts de la guerre civile de 1991-20023. La victoire du Front islamique du salut (FIS) aux élections municipales de 1990 et aux élections législatives de 1991, puis l’annulation de ces élections par l’armée algérienne et la démission du président Chadli Bendjedid déclenchent une « décennie noire ». Militaires et groupes islamistes s’engagent dans une lutte terrifiante pour le pouvoir. La confrontation ravage le pays. De 1990 à 1999, l’Algérie est le pays le plus durement touché par le terrorisme islamiste. On y recense 542 attentats, soit plus d’un tiers (34,6%) des attentats enregistrés dans le monde au cours de cette décennie par notre base de données; on compte au moins 2.390 morts, soit plus de la moitié (51,4%) des victimes du terrorisme islamiste dans le monde entre 1990 et 1999. La violence atteindra son paroxysme en 1997 : 967 personnes sont alors tuées à la suite des élections législatives remportées par le Rassemblement national démocratique (RDN), soutenu par l’armée.

Groupes terroristes les plus meurtriers en Algérie (1979-2000)
En % du nombre des victimes des attentats

Au cours de cette « décennie noire », les figures et les institutions religieuses ont été particulièrement touchées, notamment les chrétiens de nationalité étrangère : douze touristes croates sont assassinés le 14 décembre 1993, deux religieuses espagnoles sont tuées le 23 octobre 1994 et sept moines français de Tibhirine sont enlevés et assassinés au printemps 1996.

Principales cibles des attentats terroristes en Algérie (1979-2000)

Notes

4.

Voir Amr Hamzawy et Sarah Grebowski, « From Violence to Moderation. Al-Jama’a al-Islamiya and al-Jihad », Carnegie Papers, n° 20, avril 2010 [en ligne].

+ -

5.

Gilles Kepel, Sortir du chaos…, op. cit., p. 102.

+ -

6.

Ibid., p. 99.

+ -

En Égypte, à la veille des années 2000, le paysage islamiste est structuré par deux mouvements : al-Jihad et al-Gama’a al-Islamiyya. L’objectif de ces deux organisations est l’instauration d’un État islamique et le moyen d’y parvenir est le terrorisme4. Dans les années 1990, al-Gama’a al-Islamiyya a lancé contre le gouvernement 257 attentats à visée insurrectionnelle, provoquant la mort de 489 personnes.

Au Proche-Orient, les années 1990 sont marquées par l’islamisation du conflit israélo-palestinien. Une sorte de passation de pouvoir s’opère au profit du Hamas, mouvement islamiste palestinien né en 1987 au début de la première Intifada, et au détriment de l’OLP, issue de la mouvance nationaliste arabe. Cette évolution entraîne une mutation du conflit israélo-palestinien. En 1992, 417 dirigeants et activistes du Hamas sont arrêtés et conduits au Sud-Liban, dans le village de Marj al-Zouhour, après l’assassinat d’un officier israélien. Une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU exige leur rapatriement. Cet événement est analysé par Gilles Kepel comme « le basculement symbolique qui donna au Hamas la parité avec l’OLP, sinon la primauté, pour l’incarnation de la cause palestinienne, et en conséquence l’islamisation de son image arabe et universelle5 ». Par-delà les vicissitudes politiques sur le terrain palestinien, « la multiplication des attentats-suicides – face au durcissement des gouvernements successifs de M. Netanyahou et l’intensification de la colonisation – peut être considérée comme le modèle au miroir duquel le djihadisme international d’Al-Qaïda élaborerait son mode d’action privilégié6 ».

Dans notre base de données, nous observons clairement une hausse du nombre des attentats affectant les territoires israéliens et palestiniens dès le début des années 1990. Les attaques terroristes sont en grande partie incriminables au Hamas mais aussi au groupe Jihad islamique palestinien (JIP). Entre 1979 et 2000, sur les 62 attentats dénombrés sur le sol israélien, 29 ont été revendiqués par le Hamas et 13 par le JIP. Sur 87 attentats commis en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, 65 ont été revendiqués par le Hamas et 12 par le JIP.

Types d’attentats en Israël (1979-2000)

Types d’attentats en Cisjordanie et dans la bande de Gaza (1979-2000)

4

L’exportation du djihad

La violence islamiste se développe au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à partir des années 1980 et d’autres régions du monde deviennent le théâtre de ce djihad, notamment l’Asie du Sud-Est (Philippines), l’Asie du Sud (Inde) et l’Europe.

La violence islamiste dans le monde (1979-2000)

Notes

7.

Voir Dominique Thomas, Le Londonistan. La voix du djihad, Michalon, 2003, p. 70.

+ -

8.

Ibid., p. 62. Sur l’activisme salafo-djihadiste au Royaume-Uni, cf. aussi Dominique Reynié, Les Nouveaux Populismes, Paris, Fayard/Pluriel, 2013, en particulier la deuxième partie (« Le conflit des identités ») et notamment son chapitre 3, « La charia en Europe ? », p. 97.

+ -

La rapide autonomisation et la montée en puissance de l’islamisme finissent par susciter la crainte de pays qui ont pourtant œuvré à ce mouvement ou qui l’ont utilisé pour des raisons de politique intérieure ou de relations internationales. Ainsi, face à la menace islamiste, l’Arabie saoudite et l’Algérie se livrent à une implacable répression. Il en va de même pour l’Égypte et la Syrie. En une décennie, les salafistes changent de catégorie : d’abord admirés comme les « combattants de la liberté », ils sont ensuite anathématisés comme « fugitifs »7.

Ce contexte régional conduit nombre de djihadistes à l’exil : certains, revenus d’Afghanistan, deviennent réfugiés politiques, souvent dans le but d’exporter leur combat islamiste vers de nouveaux territoires, y compris ceux qui ne sont pas à majorité musulmane. Ils demandent l’asile en Europe. Dans les années 1990, ces territoires d’implantation et de conquête sont d’abord l’Angleterre et la France. Londres devient ainsi un foyer de l’activisme salafo-djihadiste en Europe8. Entre juillet et octobre 1995, la France est touchée par une vague d’attentats islamistes, non sans lien avec le contexte algérien : le 25 juillet 1995, un attentat dans le métro parisien se solde par la mort de 7 personnes et 86 blessés.

L’Asie est durement frappée entre 1979 et 2000, tout particulièrement dans le sud et le sud-est. D’après notre base de données, on note un premier attentat islamiste en Inde en 1986. Le phénomène reste sporadique jusqu’en 1990. Cette année-là, 12 attentats sont commis sous l’impulsion du groupe Hizbul Mujahideen (HM) et de ses partisans. L’action de ce groupe islamiste prend place dans le conflit opposant l’Inde au Pakistan à propos de la région frontalière du Jammu-et-Cachemire, mais si le groupe souhaite l’intégration de la région au Pakistan, il milite aussi pour l’établissement d’un califat dans le monde.

Le paysage du terrorisme islamiste en Inde est fragmenté : un certain nombre de groupes gravitent autour de la problématique indépendantiste, notamment Allah’s Tigers (« Tigres d’Allah »), les Frères musulmans, Harkat ul-Ansar ou encore Jamaat-e-Islami. Entre 1979 et 2000, la plupart des attentats (78,8%) sont concentrés au Jammu-et-Cachemire. À partir de 2000 et de la création du groupe terroriste Jaish-e-Mohammed (JeM), les attaques sont à la fois plus nombreuses et plus meurtrières (25 attentats et 126 morts en 2000, 42 attentats et 200 morts en 2001). Ces années voient aussi les talibans pakistanais (Lashkar-e-Taiba) conduire des campagnes de terreur en Inde.

Aux Philippines, le terrorisme islamiste se déploie dans le cadre du combat séparatiste du peuple moro, une minorité musulmane du sud du pays. L’un des principaux groupes terroristes de la région, le groupe Abou Sayyaf (ASG), fondé en 1991 par Abdurajak Abubakar Janjalani, puise son inspiration dans les mouvements islamistes du Moyen-Orient. La première manifestation de cette mouvance terroriste survient le 7 septembre 1986, lorsque le Front Moro de libération islamique (FMIL) attaque une église catholique et une cérémonie de mariage à Salvador, sur l’île de Mindanao, faisant 20 morts et 186 blessés. Le groupe déclenche un attentat le 15 janvier 1987 dans le métro de Manille, la capitale, causant la mort de 8 personnes. En 1994, après une sorte d’éclipse, le groupe Abou Sayyaf (ASG) commet 7 attentats dans le sud du pays. Il deviendra l’un des acteurs principaux du terrorisme islamiste aux Philippines pendant les décennies suivantes.

Notes

1.

Voir Gérard Chaliand et Arnaud Blin (dir.), Histoire du terrorisme de l’Antiquité à Daech, Fayard, 2015 ; Franklin L. Ford, Le Meurtre politique. Du tyrannicide au terrorisme [1985], PUF, 1990 ; Mario Turchetti, Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, PUF, 2001 ; Monique Cottret, Tuer le tyran? Le tyrannicide dans l’Europe moderne, Fayard, 2009 ; Isabelle Sommier, Le Terrorisme, Flammarion, coll. « Dominos », 2000 ; Henry Laurens et Mireille Delmas-Marty (dir), Terrorismes. Histoire et droit, CNRS Éditions, 2010.

+ -

2.

Sur les cas italien et français, voir Isabelle Sommier, La Violence politique et son deuil. L’après-68 en France et en Italie, Presses universitaires de Rennes, 1998.

+ -

3.

Les données concernant l’ensemble des attentats terroristes dans le monde est uniquement disponible sur la database de l’université du Maryland, qui a été mise à jour jusqu’à juin 2020.

+ -
Les multiples visages du terrorisme
Violence politique singulière que certains auteurs font remonter jusqu’à l’Antiquité1, le terrorisme trouve dans les mutations de la fin du XIXe siècle de nouvelles ressources propres à décupler sa puissance : l’idéologie favorise le recrutement des terroristes et leur détermination à agir, l’évolution des technologies fournit des moyens de destruction de plus en plus puissants, en même temps plus maniables et plus aisés à dissimuler, et l’avènement du journal et de la photographie assure une visibilité qui confère un impact inédit aux actions terroristes.
À la fin du XIXe siècle, le terrorisme est dominé par les causes séculières : révolutionnaires, anarchistes et socialistes, nationalistes et séparatistes constituent le gros des troupes terroristes. Certains attentats semblent rejoindre la grande histoire, comme l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, le 28 juin 1914, à Sarajevo. Pendant un siècle, jusqu’à la fin des années 1980, des dizaines de milliers d’attentats ont ensanglanté l’actualité, prenant place dans le cadre de conflits s’inscrivant dans des logiques nationalistes ou révolutionnaires, parfois les deux. À titre d’exemples, on peut citer : les attentats en Algérie ou en France du Front de libération nationale (FLN) et de l’OAS ; autour du conflit israélo-palestinien, ceux perpétrés par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) ou l’organisation Septembre noir, responsable notamment du massacre de membres de la délégation sportive israélienne, le 5 septembre 1972, lors des Jeux olympiques de Munich ; ceux des organisations paramilitaires irlandaises, notamment de l’Irish Republican Army (IRA) ; ceux des indépendantistes, catalans, basques, corses ou bretons; les actions des Brigades rouges, en Italie, dont l’enlèvement et l’assassinat, en 1978, de l’ancien président du Conseil Aldo Moro, ou, deux ans plus tard, en 1980, l’attentat de la gare de Bologne (85 morts, 200 blessés) attribué à une organisation d’extrême droite, les Noyaux armés révolutionnaires (NAR) ; les assassinats, en Allemagne, de la Fraction Armée rouge, reconnue responsable de la mort de 34 personnes entre 1970 et 1998 ; les attentats et les enlèvements, en France, du groupe Action Directe, qui revendique plus de 80 attentats entre 1979 et 1987, dont l’assassinat de l’industriel Georges Besse, en 19862 ; les actions de l’Armée rouge japonaise (JRA); les actions de guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (FARC-EP) ou de l’organisation péruvienne Sentier lumineux ; les massacres des Tigres tamouls, entre 1976 et 2009, au Sri Lanka…
Les causes séculières ont dominé le terrorisme jusqu’à la fin des années 1980. Après cette date, on observe la montée en puissance d’un terrorisme d’inspiration islamique. Depuis plusieurs années, l’islamisme est devenu la principale motivation du terrorisme3. Selon nos données, entre janvier 2013 et juin 2020 , les attentats islamistes (29.528) représentent 32,1% de l’ensemble des attentats (91.994) commis dans le monde mais sont responsables de 145.225 morts (65,3%) sur un total de 222.341 personnes tuées.
II Partie

Le tournant du 11-Septembre (2001-2012)

Notes

1.

Louis Gautier (dir.), Mondes en guerre. Tome IV, Guerre sans frontières. 1945 à nos jours, Éditions Passé composés/ Humensis, Paris, 2021. Cf. en particulier Louis Gautier, « Le temps des conflits », chapitre III, pp. 143-204.

+ -

Les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par Al-Qaïda sur le sol américain forment à ce jour l’at- taque terroriste la plus meurtrière de l’histoire, avec 3.001 morts et 16.493 blessés au total. Ce jour-là, deux avions de ligne qui avaient été détournés ont été lancés contre les tours du World Trade Center, à New York. Un troisième appareil avait été dirigé sur le Pentagone, à Washington. À bord du quatrième avion détourné, c’est la révolte des passagers qui fait échouer le plan des terroristes, l’appareil s’écrasant en pleine campagne, en Pennsylvanie. La diffusion en direct et planétaire de cet événement dramatique et spectaculaire1 marque aussi le début d’une nouvelle ère dans la médiatisation du terrorisme. À l’information différée et destinée à des publics particuliers s’ajoute désormais une information immédiate et globale. Ce nouvel espace public affecte profondément le travail des médias traditionnels (télévision, presse et radio). L’avènement des réseaux sociaux et des smartphones ouvre les portes de la communica- tion de masse à d’innombrables nouveaux acteurs, à commencer par les organisations terroristes.

Notes

1.

Voir Steven Pinker, La Part d’ange en nous. Histoire de la violence et de son déclin [2011], Les Arènes, 2017.

+ -

2.

Voir le haut niveau de confiance que recueillent les institutions d’ordre (police, armée et justice) dans quarante-deux démocraties, comparativement à la crise qui affecte la plupart des institutions. Voir Mathieu Zagrodzki, « Armée, police, justice : un soutien marqué aux institutions d’ordre », in Dominique Reynié (dir.), Démocraties sous tension, Fondation pour l’innovation politique, 2019, vol. I, pp. 97-98 [en ligne].

+ -

3.

Dans les vingt-huit pays de l’Union européenne, une large majorité (57%) des personnes interrogées répondent qu’ils ne peuvent « pas accueillir plus de réfugiés car ils augmentent le risque terroriste dans notre pays ». Dans les onze pays de l’ancien bloc communiste aujourd’hui membres de l’Union européenne, cette réponse concerne 72% des répondants (voir Dominique Reynié, « L’enjeu migratoire à la lumière de la question des réfugiés », in Domnique Reynié (dir.), op. cit., vol. I, pp. 52-56.)

+ -

4.

Voir Antoine Garapon et Michel Rosenfeld, Démocraties sous stress. Les défis du terrorisme global, PUF, 2016.

+ -

5.

L’opinion en faveur d’une forme autoritaire de gouvernement atteint des niveaux qui dépassent les scores électoraux des partis populistes. Le niveau est d’autant plus élevé que les répondants sont plus jeunes (voir Dominique Reynié,« Les fantômes de l’autoritarisme », in Dominique Reynié (dir.), op. cit., vol. I, pp. 39-40.

+ -

6.

Voir Dominique Reynié, Les Nouveaux Populismes, éd. revue et augmentée, Fayard/Pluriel, 2013.

+ -
Islamisme et populisme : une dialectique à l’œuvre
La violence terroriste atteint principalement des civils. Elle les atteint au cœur de leur vie ordinaire, un monde où nul n’a de raison d’être sur ses gardes. N’importe quand, n’importe où, n’importe qui. La mort due au terrorisme installe dans les esprits un sentiment insupportable de vulnérabilité permanente. Pendant quelques jours, quelques semaines et parfois plus longtemps, la paix a des airs de guerre. Les populations du monde démocratique sont plus traumatisées par la violence terroriste parce qu’elles ont hérité d’une culture irénique, conséquence logique du déclin de la violence interétatique1. Mais les démocraties sont aussi plus désemparées parce qu’elles représentent un ordre politique doux, fondé sur la liberté et les droits humains. Immanquablement, face à la violence terroriste, face à une guerre imposée à tous, les démocraties se sentent désarmées.
La stupeur, l’abattement puis la crainte bouleversent les demandes politiques. Une envie de répression, de contrôle, de surveillance, d’expulsion, de fermeture des frontières s’exprime au grand jour2. Elle engendre une culture sécuritaire, voire paranoïaque, que pérennisent les inévitables mesures destinées à rassurer autant sinon plus qu’à prévenir. Les démocraties se dotent d’innombrables systèmes de contrôle d’accès aux lieux publics et aux magasins, portiques et vigiles surgissent partout, les poubelles de rue deviennent des sacs transparents. Désormais, prendre un avion oblige à de lourdes procédures de contrôle et de fouille, aller dans le métro requiert la vigilance des voyageurs, les sites stratégiques inquiètent et la vidéosurveillance se répand, tandis que la lutte contre les réseaux terroristes intensifie la vigilance policière : fichiers, écoutes, traçage sur le Web et les réseaux sociaux, sur les forums de jeux vidéo, etc.
Par la violence des djihadistes, l’islam et les musulmans suscitent des craintes irrépressibles et grandissantes3. La peur de l’autre fissure les sociétés, elles finissent par s’opposer à elles-mêmes : désir d’en découdre, xénophobie, conflit des identités, autoritarisme. Le droit commun est jugé argutieux, encombrant et lâche4. Une part croissante de l’opinion se croit représentée et rassurée par des chefs qui promettent d’altérer l’État de droit. Lorsque la peur passe dans les urnes que la démocratie met à disposition, elle se transforme en cette force qui défait et refait la loi. La promesse de la démocratie illibérale augmente l’attractivité des programmes populistes5. Islamisme et populisme se répondent et se comprennent sans devoir se parler. Ils croissent l’un par l’autre et s’espèrent mutuellement6.
1

Le 11-Septembre et la « guerre contre le terrorisme »

Notes

2.

Selon une enquête, réalisée par la Fondation pour l’innovation politique et la Fondation pour la mémoire de la Shoah, parmi dix-sept événements proposés, la moitié des jeunes interrogés (47%) citent les attentats du 11 septembre 2001 comme l’un des trois événements les plus marquants (voir Mémoires à venir, Fondation pour l’innovation politique-Fondation pour la mémoire de la Shoah, janvier 2015) [en ligne].

+ -

Les attentats du 11-Septembre ont considérablement modifié la géopolitique du Moyen-Orient2. Qualifiée par l’administration de George W. Bush de « guerre contre le terrorisme », la riposte américaine est fulgurante. Le 7 octobre 2001, les États-Unis déclenchent une vaste offensive contre le régime taliban en Afghanistan, accusé d’avoir soutenu Al-Qaïda. Une année et demie plus tard, le 20 mars 2003, l’armée américaine envahit l’Irak, afin de renverser le régime de Saddam Hussein dans la perspective d’une « démocratisation du Moyen-Orient ». Malgré des victoires militaires écrasantes, les États-Unis ne parviennent ni à rétablir la paix, ni à éradiquer l’islamisme. Confrontés à la machine de guerre américaine dans la durée, les islamistes s’organisent, en acquérant une dimension internationale qu’ils ne cessent d’affirmer. Entre 2001 et 2012, le nombre d’attentats et de victimes croît de manière spectaculaire, en raison notamment des attentats perpétrés par les fondamentalistes talibans.
Leur mouvement se répand en Afghanistan et au Pakistan dès 1994. Deux ans plus tard, ils renversent le gouvernement en place lors de la prise de Kaboul. Ils instaurent le régime de l’Émirat islamique d’Afghanistan, avec à sa tête Mohammad Omar. Pendant les années qui suivent, les talibans persécutent les minorités, instaurent un régime fondé sur l’application stricte de la shari’a et accueillent de nombreux djihadistes recherchés, dont le chef d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden. En quelques années, l’Afghanistan devient un foyer pour des extrémistes islamistes du monde entier.

Après les attentats du 11-Septembre, les talibans sont chassés du pouvoir par une coalition internationale menée par les Américains. À partir de ce moment, on observe une hausse exponentielle du nombre d’attentats et du nombre de victimes, notamment parmi les forces internationales ou les membres du gouvernement afghan. On passe de 4 attentats et 153 morts en Afghanistan en 2001 à 829 attentats et 2.604 morts en 2012. Au total, entre 2001 et 2012, 2.536 attaques ont lieu sur le sol afghan, faisant au moins 8.054 morts. Cela représente 30,7% du total des attentats islamistes répertoriés dans le monde entre 2001 et 2012. Les talibans sont responsables de la plupart (95,2%) de ces attentats.

Cibles des talibans en Afghanistan (2001-2012)

Au Pakistan, on assiste également à la montée de groupuscules multipliant les actes terroristes entre 2001 et 2012, avec 1.009 attentats et 4.997 morts. Très présents sur ce territoire, les talibans s’organisent à partir de 2007 sous le nom Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) ; ils sont responsables de près des trois quarts (71,1%) des violences terroristes sur cette période (2001-2012). D’autres groupes islamistes sont éga- lement actifs, tels que Lashkar-e-Jhangvi (56 attentats, 386 morts) ou Lashkar-e-Islam (64 attentats, 115 morts). En 2007, deux attaques terroristes menées par Al-Qaïda et ses alliés marquent le paysage politique du pays : le 18 octobre, une attaque contre une foule rassemblée pour accueillir l’ancienne Première ministre Benazir Bhutto, de retour d’exil, cause la mort de 141 personnes et en blesse 250. Le 27 décembre, elle est à son tour assassinée, victime d’un attentat-suicide qui fait 20 morts et une centaine de blessés.

Les attentats islamistes au Pakistan (2001-2012)

Entre 2001 et 2012, l’Irak est le troisième pays le plus touché par le terrorisme islamiste, avec 914 attentats. Particulièrement violents, ces attentats provoquent la mort de 8.534 personnes, avec en moyenne 9,3 tués par action terroriste. À titre de comparaison, dans le monde, durant la même période, un attentat tue en moyenne 4,6 personnes. La lutte contre l’ingérence étrangère est présentée comme un motif de violence par les islamistes. Dès le 19 août 2003, l’attentat à la voiture piégée contre le Canal Hotel, quartier général de l’ONU à Bagdad, fait 22 morts. L’année 2004 voit une série d’actes terroristes cibler les pays membres de la coalition internationale présents en Irak, avec 5 attentats contre des patrouilles, des checkpoints ou des bases militaires de la Multi-National Force-Irak (MNF-I). On enregistre également à cette époque le développement de la prise d’otages dans le répertoire des actions terroristes : alors que l’on n’enregistre aucune prise d’otage ou enlèvement en 2001, 2002 et 2003, on en compte 27 en 2004, visant largement des civils de pays militairement déployés en Irak (5 Américains, 4 Japonais, 3 Sud-Coréens, 1 Bulgare, 1 Canadien, 1 Italien). Parmi les pays belligérants, les États-Unis sont très touchés : entre 2001 et 2012, en Irak, 34 attentats ciblent les Américains, dont 15 pendant l’année 2004.

Groupes terroristes les plus meurtriers en Irak (2001-2012)

Les attentats islamistes dans le monde

2

Globalisation des attentats islamistes

Entre 2001 et 2012, une propagation des attentats islamistes est observable dans plusieurs zones géographiques du monde. Par rapport à la période précédente (1979-2000), on note une forte augmentation du nombre d’attaques terroristes, avec 8.265 attentats (contre 2.194 au total entre 1979 et 2000) et 38.187 morts (contre 6.817 au total entre 1979 et 2000). Cette hausse spectaculaire s’explique en partie par la globalisation du djihad, facilitée par l’accélération de la circulation des personnes et des idées.

Les attentats islamistes dans le monde (2001-2012)

Notes

4.

Gilles Kepel, Sortir du chaos. Les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient, Gallimard, 2018, p. 147.

+ -

4.

Voir David Martin Jones, Michael Smith et Mark Weeding, « Looking for the Pattern: Al Qaeda in Southeast Asia-The Genealogy of a Terror Network », Studies in Conflict & Terrorism, vol. 26, n° 6, novembre 2003, pp. 443-457.

+ -

5.

Voir Gabriel Facal, « Les groupes islamistes radicaux en Asie du Sud-Est–Panoramas institutionnels, réseaux d’affiliation et références », Note d’actualité n° 10/16, Observatoire de l’Asie du Sud-Est, cycle 2018-2019, centreasia.eu, juillet 2018 [en ligne].

+ -

À partir de 2004, l’Europe se retrouve confrontée à une vague d’attentats d’une nouvelle ampleur. Le 11 mars, à Madrid, quatre trains explosent presque simultanément. Revendiquées par Al-Qaïda, ces attaques font 191 morts. Le 7 juillet 2005, quatre explosions touchent les transports publics de Londres, faisant 56 morts et 784 blessés. Si Al-Qaïda revendique ces attentats, les terroristes, contrairement à ceux du 11-Septembre, sont natifs du Royaume-Uni. Gilles Kepel y voit une mutation de la mise en œuvre des attentats islamistes, qui s’appuient désormais « sur une ressource humaine propre au pays occidental visé3 ».

De plus, nombre de mouvements islamistes intensifient leurs collaborations interrégionales, comme en Asie. Les attaques du 11-Septembre sur le sol américain revendiquées par Al-Qaïda puis l’intervention en Afghanistan des troupes américaines achèvent le rapprochement du mouvement de Oussama Ben Laden et de la nébuleuse de groupes sud asiatiques4 dont on peut citer pour exemples Abu Sayyaf aux Philippines et Jemaah Islamiyah (JI) en Indonésie. Toute la difficulté est d’examiner, dans chaque contexte, la façon dont les personnes et les groupes violents combinent les éléments locaux, régionaux et globaux au sein des référents, des objectifs et des modes opératoires qu’ils mobilisent et mettent en œuvre. Apparaissent alors des tendances oscillant entre l’ethno-nationalisme sans lien avec le djihad global et un référent religieux transnational5. La situation en Thaïlande à cette époque relève de cette dynamique. À partir de 2004, dans le cadre d’une insurrection séparatiste, le sud du pays où vit une minorité musulmane est traversé par un activisme violent. Les deux principaux groupes terroristes, le Runda Kumpalan Kecil (RKK) et l’Organisation unifiée de libération de Patani (PULO), s’organisent alors autour d’un discours djihadiste. Pour un certain nombre d’attaques survenant à ce moment-là, le caractère islamiste se retrouve parfois entremêlé à des revendications ethno-nationalistes. Selon notre estimation retenue, entre 2001 et 2012, nous recensons en Thaïlande 111 attentats et 91 morts. D’après l’estimation possible, nous dénombrons 146 attentats et 121 morts sur la même période. Dans ce dernier cas, nous prenons également en compte des actes terroristes imputés à des séparatistes musulmans extrémistes.

Nombre d’attentats par province en Thaïlande (2001-2012)

L’essor du terrorisme islamiste s’explique enfin par le développement des ramifications d’Al-Qaïda, tels que Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) ou encore Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

Les ramifications d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) (2001-2012)

Notes

6.

Voir Center for International Security and Cooperation (Cisac), « Al Shabaab » [en ligne].

+ -

Ces différentes branches développent une capa- cité à frapper fort à l’étranger, comme le montrent les trois attaques successives du 9 novembre 2005 d’Al-Qaïda en Jordanie, dans l’hôtel Grand Hyatt d’Amman, qui causent la mort d’au moins 61 personnes, ou encore celle du 28 novembre 2002 au Paradise Hotel de Mombasa, au Kenya, tuant 16 personnes.

Jusque-là relativement épargnée, l’Afrique subsaharienne devient lors de la seconde moitié des années 2000 une cible du terrorisme islamiste.

La création et l’expansion du groupe Al-Shabaab en Somalie en 2006, auparavant bras armé de l’Union des tribunaux islamiques (UTI), sont décisives. Poursuivant un objectif de renversement du gouvernement somalien afin d’instaurer un régime fondé sur la charia, Al-Shabaab cultive dès ses débuts des liens étroits avec Al-Qaïda, s’inscrivant ainsi dans le mouvement djihadiste global6. L’activité du groupe dépasse les frontières de la Somalie, où le groupe commet 459 attentats et tue 1.396 personnes entre 2001 et 2012, pour atteindre le Kenya, qu’il attaque à 97 reprises (126 morts), et l’Éthiopie, avec deux attentats, dont celui, dévastateur (100 morts), le 2 novembre 2007 contre des soldats éthiopiens dans un hôtel à Dolo.

Cibles de Al-Shabaab en Somalie (2001-2012)

L’Afrique subsaharienne subit également les premiers actes de violence de Boko Haram, que l’on enregistre dès 2009 au Nigeria. L’ampleur considérable de ses attaques entre 2010 et 2012 (566 attentats, 1.655 morts) préfigure le pouvoir de destruction qui sera le sien au cours de la décennie suivante.

Types d’armes utilisées dans les attentats islamistes (2001-2012)

Source :

*L’information disponible sur les attentats répertoriés pouvant être incomplète, le total des attentats selon les armes utilisées n’est pas égal à 100%.

3

Les terroristes investissent les médias sociaux

Notes

7.

David Thomson, Les Français jihadistes, Paris, Les Arènes, 2014, « les jeunes qui découvrent les hadiths sur Internet sont complètement sourds à tous ceux qui, à la mosquée, peuvent essayer d’expliquer que le sens des prophéties s’inscrit dans un contexte : pour eux, qui sont venus aux textes sacrés seuls ou avec la propagande djihadiste, l’interprétation historique ou figurée est une “innovation”, c’est-à-dire la pire des choses puisqu’elle dénature et biaise le sens qu’ils pensent être original ».

+ -

8.

Evan Kohlmann, cité in Gabriel Weimann, « Terrorist Migration to Social Media », Georgetown Journal of International Affairs, vol. 16, n° 1, 2015, p. 181.

+ -

Internet joue évidemment un rôle clé dans la globalisation du terrorisme islamiste. Il se révèle un outil redoutable de propagande et de recrutement7. L’apparition des réseaux sociaux permet aux groupes islamistes d’interagir de façon efficace et souvent anonymement, de partager des documents et des informations, mais également d’établir une communauté d’individus reliés entre eux. Selon Evan Kohlmann, « 90% des activités terroristes sur Internet ont aujourd’hui lieu sur les réseaux sociaux. Ces forums servent de pare-feu virtuel pour protéger l’identité des utilisateurs et leur offrent une chance d’entrer directement en contact avec des représentants du terrorisme [trad.]8 ». Enfin, le cyber-terrorisme est aussi une modalité d’attaque pour les groupuscules islamistes qui démultiplient ainsi leurs capacités d’action.

Notes

1.

Voir Dominique Reynié, « Le retour des foules », Commentaire, n° 182, 2023, pp. 273-284

+ -
L’impact de la violence terroriste dans un espace public planétaire mis à la portée de « l’individu-média »1

À partir du milieu des années 1990, l’accès à la visibilité prend des proportions inouïes. L’espace public numérique décuple l’impact des actions terroristes. L’interaction du Web avec les chaînes d’information continue amplifie les effets de la violence islamiste. Al Jazeera, la chaîne qatarienne lancée en 1996, émet dans une trentaine de pays et développe des sites d’information dans les quelques langues qui permettent de s’adresser à la plupart des habitants de la planète. Réseaux sociaux et autres applications de messagerie sécurisée offrent aux plus modestes des groupuscules terroristes les outils d’une action planétaire : communication, propagande, organisation, recrutement…
Le smartphone déploie jusqu’au bout de la chaîne, c’est-à-dire à l’individu, la maîtrise de ces outils surpuissants et l’accès à tous les réseaux. La couverture médiatique des attentats passe toujours par les médias traditionnels (agences, télévisions, radios et presse) mais elle ne dépend plus d’eux. Dans l’espace public universel, la production de l’information est absolument disséminée. Le Web et le smartphone donnent à la multitude humaine les pouvoirs d’une agence de presse aux 2,8 milliards de correspondants et les capacités d’influence d’autant de médias. Le terrorisme islamique prospère à l’ère de l’« individu média ». L’épaisseur du réseau, la force des images, le jeu des algorithmes font que tout attentat peut devenir en quelques minutes un événement planétaire.

Notes

9.

Voir Georgia Wells, « Islamic State Turns to Teen-Friendly TikTok, Adorning Posts With Pink Hearts », The Wall Street Journal, 21 octobre 2019.

+ -

10.

Voir Gabriel Weimann et Alexander Pack, « TamTam: The Online Drums of Hate », Studies in Conflict & Terrorism, p.1–16, 28 juin 2023 [en ligne].

+ -

11.

Ibid.

+ -

12.

Ibid.

+ -

13.

Voir Ciaran O’Connor, « Hatescape : An In-Depth Analysis of Extremism and Hate Speech on TikTok », Institute for Strategic Dialogue, 24 août 2021 [en ligne].

+ -

14.

Voir Moustafa Ayad, « CaliphateTok: TikTok continues to host Islamic State propaganda », Institute for Strategic Dialogue, 13 juin 2023 [en ligne].

+ -

.

III Partie

Les nouveaux visages du terrorisme islamiste (2013-avril 2024)

Notes

1.

Hakim El Karoui, La Fabrique de l’islamisme, Institut Montaigne, septembre 2018, p. 85. Voir aussi Hakim El Karoui, Benjamin Hodayé, Les militants du djihad, Fayard, 2021.

+ -

Le 17 décembre 2010, l’immolation du jeune vendeur ambulant Mohamed Bouazizi, dans la région de Sidi Bouzid, en Tunisie, conduit à l’embrasement des Printemps arabes. Après avoir un temps suscité l’espoir d’une démocratisation, ces événements débouchent, dans la première moitié des années 2010, sur des victoires électorales de partis proches des Frères musulmans. S’ils échouent parfois à conserver le pouvoir, ils sont « portés par des sociétés de plus en plus conservatrices, sous l’effet également de la progression d’un salafisme importé d’Arabie saoudite1 ».

Dans ce nouveau contexte, le djihadisme se développe régionalement, s’appuyant notamment sur la proclamation par l’organisation État islamique (EI) du califat, à Mossoul, en 2014. C’est durant cette période que le terrorisme est le plus meurtrier. On enregistre une augmentation sans précédent du nombre d’attentats dans le monde. La montée en puissance de l’EI et de Boko Haram est facilitée par des contextes géopolitiques chaotiques qui offrent aux terroristes de nombreuses opportunités d’expansion.

1

L’État islamique et l’« administration de la sauvagerie »

Notes

2.

Expression reprise de « L’administration de la sauvagerie : l’étape la plus critique que traversera l’oumma », texte en arabe publié sur Internet en 2004 et écrit sous le nom de Abou Bakr Naji, pseudonyme de Mohamed Hassan Khalil al-Hakim, alias Abu Jihad al-Masri, un cadre d’Al-Qaïda. Ce texte a vocation à servir de guide spirituel à de nombreux extrémistes. Il explique la stratégie à mettre en place pour établir un califat islamique. Selon certains commentateurs, le manifeste compte « 103 pages de discours de haine, contre le juif, contre le chrétien, contre l’apostat, contre la démocratie et ses valeurs. À tel point que certains ont qualifié ce brûlot de Mein Kampf du petit djihadiste. L’intérêt de ce livre est qu’il nous met, dès le titre, devant le paradoxe du djihadisme, qui d’un côté prône le déchaînement de la sauvagerie, l’installation de la loi de la jungle, avec l’appel à la destruction de l’ordre ancien, et en même temps théorise la gestion de cette sauvagerie et son “administration” » (Abderrazak Sayadi et Alberto Fabio Ambrosio, « Terrorisme : anatomie du “Mein Kampf” djihadiste », contrepoints.org, 27 mars 2018 [en ligne].

+ -

3.

Voir Mathieu Guidère, Atlas du terrorisme islamiste. D’Al-Qaïda à Daech, Autrement, 2017.

+ -

4.

Par exemple, les tentatives d’attentat à Villejuif, le 19 avril 2015, et dans le train Thalys, le 21 août 2015.

+ -

5.

Voir Anne-Aël Durand, William Audureau, Maxime Vaudano, Madjid Zerrouky et Gary Dagorn, « Les attentats de l’État islamique ont fait plus de 2.500 morts en deux ans », lemonde.fr, 17 juin 2016 [en ligne].

+ -

C’est pendant la guerre civile irakienne, entre 2003 et 2011, que le groupe État islamique émerge puis s’installe. L’organisation est créée en 2006 et, par trois fois, son changement de nom accompagne son expansion en dehors de son berceau irakien : elle se nomme d’abord État islamique en Irak (EII, 2006-2013), puis État islamique en Irak et au Levant (EIIL, 2013-2014) et, enfin, État islamique (EI, à partir de 2014).

Théorisée dans les années 2000, la stratégie de l’EI est de favoriser le chaos, l’« administration de la sauvagerie2 », et de globaliser le djihad. Son objectif est de cultiver la religion dans l’esprit des masses, de faire de l’islam l’unique ordre politique et social, et de former les jeunes afin d’instituer une société militarisée. L’EI agit selon plusieurs modalités. Le groupe terroriste peut inciter des individus à agir seul. Ce sont les « loups solitaires ». Popularisée dans les années 1990, cette expression a été reprise par l’EI à travers différentes publications. Un loup solitaire se radicalise à distance, planifie un attentat et agit de son côté, sans être affilié à un groupe terroriste en particulier, même s’il peut revendiquer l’attentat au nom de l’EI3. Notons que les attentats qui échouent ne sont généralement pas revendiqués par l’État islamique4. A contrario, la « maison mère » irako-syrienne revendique la plupart du temps directement l’attentat lorsqu’il est très meurtrier5. On pense par exemple à l’attaque du musée du Bardo, en Tunisie, le 18 mars 2015, ou aux attentats du 13 novembre 2015 en France, revendiqués dès le lendemain par l’EI.

Au fil de sa montée en puissance, l’EI étend son champ de bataille. Selon notre recensement, c’est à partir de 2013 que l’organisation a multiplié les actes terroristes. Pour cette année-là, nous recensons trente et une fois plus d’attentats commis par l’EI par rapport à l’année précédente (374 attentats en 2013, 12 en 2012).

« Le jihadisme des femmes a pris, depuis l’émergence et la territorialisation de Daech, une ampleur inédite. Avant l’existence de l’État islamique (EI), ni Al-Qaïda ni aucune autre organisation de la jihadosphère n’avaient appelé des femmes à rejoindre en nombre leur cause ou à y contribuer moralement et physiquement. […] Daech a offert une conception inédite du jihadisme des femmes et proposé une manipulation des ressorts proprement féminins de leur engagement. »

Fethi Benslama et Farhad Khosrokhavar, Le Jihadisme des femmes.
Pourquoi ont-elles choisi Daech ?, Seuil, 2017, pp. 9-10.

Les attentats islamistes dans le monde (2011-avril 2024)

Attentats revendiqués par l’État islamique (2006-avril 2024)

69.641 morts dans les 15.559 attentats perpétrés par les différentes branches de l’organisation de l’État islamique (2006-avril 2024)

Organisations : État islamique en Irak, État islamique en Irak et au Levant, État islamique au Bangladesh, État islamique en Somalie, État islamique en Égypte, État islamique dans le Grand Sahara, Province de Khorassan de l’État islamique, Province de Najd de l’État islamique en Arabie saoudite, Province du Sinaï de l’État islamique, Province de al-Tarabulus (Tripoli) de l’État islamique en Libye, Province de al-Fezzan de l’État islamique en Libye, Province du Caucase de l’État islamique, Province de Barqah de l’État islamique en Libye, Province de l’Algérie de l’État islamique, Province d’al-Bayda de l’État islamique, Province du Mozambique de l’État Islamique Province d’Aden-Abyan de l’État islamique, etc.

À noter que Boko Haram n’est pas pris en compte ici, bien que ce groupe ait prêté allégeance à l’EI en mars 2015. Nous consacrons à ce groupe terroriste la section suivante afin de souligner sa singularité. Néanmoins, en ajoutant les actes terroristes de Boko Haram commis depuis 2015 au nombre d’attentats perpétrés par l’EI et ses différentes branches depuis sa création en 2006, nous obtenons le chiffre de 19.640 attentats ayant provoqué la mort de 89.268 personnes.

À la suite de la proclamation du « califat », en juin 2014, une multitude de groupuscules islamistes rejoignent la bannière de l’EI. Cette stratégie d’élargissement permet à l’organisation de s’établir à travers l’Afrique et le Moyen-Orient en s’appuyant sur l’ancrage de groupes djihadistes locaux. En 2016, l’EI assassine 13.746 personnes. Il s’agit de l’année la plus meurtrière enregistrée sur l’ensemble de la période 1979-avril 2024. Le nombre de victimes de l’EI a été multiplié par neuf en trois ans (1.458 morts en 2013, 13.746 morts en 2016). Le graphique de la page 36 permet de se rendre compte de l’évolution du nombre d’attentats commis par les différentes branches de l’organisation État islamique depuis sa création jusqu’en avril 2024.

Les territoires les plus touchés sont les lieux où l’EI s’est historiquement implanté, à savoir l’Irak et la Syrie. Les guerres qui frappent ces États ont facilité son développement en lui permettant de conquérir plusieurs villes et provinces, et de mettre en place un ordre totalitaire animé par l’objectif de rétablir un « califat abbasside ». C’est en Irak que les terroristes de l’EI sont les plus destructeurs : ils y ont commis 7.178 attentats, provoquant la mort de 36.029 personnes. Cela signifie que sur les 43.422 personnes mortes en Irak du fait du terrorisme islamiste depuis 1979, 83% ont été victimes de l’État islamique entre 2006 et avril 2024.

Cibles de l’organisation État islamique en Irak (2013-avril 2024)

L’État islamique en Syrie

En Syrie, entre 2013 et avril 2024, les attentats de l’État islamique ont été très meurtriers puisque les 1.962 attaques ont coûté la vie à 11.775 personnes ; en moyenne, dans le pays, l’EI provoque la mort de 6 personnes à chacun de ses attentats. Certains pays voisins subissent l’intrusion de l’EI, par ses ramifications, notamment à partir de 2014. Là encore, ces immixtions sont facilitées par des contextes de déstabilisation qui, à leur tour, favorisent l’emprise de l’organisation terroriste sur ces territoires que l’EI regarde comme ses « nouvelles provinces » depuis 2013 : le Mozambique (1.072 attentats, 4.081 morts), l’Égypte (889 attentats, 2.493 morts), l’Afghanistan (850 attentats, 4.198 morts) la Libye (578 attentats, 1.171 morts), le Pakistan (170 attentats, 807 morts) ainsi que le Yémen (116 attentats, 1.008 morts).

Le 23 mars 2019, grâce aux forces arabo-kurdes soutenues par les États-Unis, l’EI est défait. La fin du califat autoproclamé est officielle avec la prise du dernier territoire syrien tenu par l’organisation djihadiste. Mais, privé de son bastion irako-syrien, l’EI ne perd pas toute sa capacité de nuisance et décentralise son activisme vers ses filiales. En témoignent les attentats meurtriers du 21 avril 2019 au Sri Lanka pendant le dimanche de Pâques, ainsi que, le même jour, les attaques contre trois policiers en Arabie Saoudite.

L’État islamique au Mozambique

Notes

6.

« Al-Chabab » au Mozambique ne doit pas être confondu ou associé avec « Al-Shaabab » en Somalie. « Al-Chabab » au Mozambique est une appellation locale signifiant « les jeunes » en arabe, et est constitué principalement de la jeunesse de Cabo Delgado.

+ -

7.

Conrado Régio, « L’extrémisme islamiste au nord du Mozambique : Terrorisme et insécurité à Cabo Delgado », Institut de Recherche Stratégique de L’École Militaire (IRSEM), étude n° 94, mai 2022.

+ -

8.

« Palma Massacre – Alex Perry », Alexandre Perry, 27 juin 2023 [en ligne].

+ -

9.

Antony Blinken, Secrétaire de la diplomatie américaine, 6 août 2021.

+ -

10.

Base de données de l’ACLED, il s’agit de l’attaque du 5 octobre 2017.

+ -

11.

Solinas, Margaux, « Les femmes du Cabo Delgado, premières victimes des djihadistes au Mozambique », Le Monde.fr, 14 mars 2024 [en ligne].

+ -

12.

La CDAA (Communauté de développement de l’Afrique australe) regroupe en son sein seize pays de l’Afrique australe et de l’océan Indien : Afrique du Sud, Angola, Botswana, Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, République démocratique du Congo, Seychelles, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe, Comores. Cinq d’entre eux sont francophones.

+ -

13.

« Plus de 110.000 personnes déplacées au Mozambique en raison de la montée de la violence et des besoins croissants », International Organization For Migration, 8 mars 2024 [en ligne].

+ -

L’État islamique est également responsable de nombreux attentats au Mozambique, à travers le groupe « Al-Chabab au Mozambique »6, affilié à l’EI depuis 20197. Le 24 mars 2021, ce groupe réussit à prendre la ville portuaire stratégique de Palma, dans la région de Cabo Delgado. Peu de données existent sur cette attaque puisque l’armée mozambicaine a repris le contrôle de la ville quelques jours plus tard, le 5 avril 2021. Les données de l’ACLED ne nous ont pas permis de réunir assez d’éléments pour illustrer cet événement. Nous nous sommes donc basés sur l’enquête réalisée par un journaliste indépendant, Alexander Perry8, qui a reçu le prix George-Polk. Entre novembre 2022 et mars 2023, une équipe d’enquêteurs s’est rendue dans les six districts de Palma et dans 15 villages environnants. Ils ont pu visiter 13.686 maisons d’habitants et évaluer l’impact de cet événement sur les populations locales. Grâce à ce travail de terrain, ils ont pu estimer que 1.193 personnes avaient été tuées ou étaient présumées mortes, et que 209 personnes avaient été enlevées, et ont établi un total de 1.402 victimes de la prise de Palma en seulement quelques jours. Avec ces données, nous pouvons constater qu’il s’agit de l’un des trois attentats islamistes les plus meurtriers depuis le 11-Septembre 2001, avec le 7 octobre 2023 en Israël.

Le Mozambique est en proie au terrorisme islamique depuis de nombreuses années, notamment depuis la montée en puissance d’Al-Chabab, dont le nom officiel est Alhu Sunna Wal Jamma (ASWJ), également appelé Ansar al-Sunna, et représenté par le terroriste international Bonomado Machude Omar9. Le 5 octobre 2017, il mène avec Ansar al-Sunna la première insurrection contre un poste de police, faisant 18 morts10. Cet événement marque le début d’une guerre entre les forces policières et l’armée mozambicaine contre les militants islamistes, qui dure toujours. Cette guerre a entraîné plus d’un million de déplacés de la région et au moins 4.671 morts11.

En mai 2022, l’État islamique a proclamé la « Province du Mozambique » (ISIS-M ou ISM), sans en définir les frontières exactes. Toutefois, les affrontements avec les forces armées mozambicaines, rwandaises et de la CDAA12 étant permanentes, la présence effective des djihadistes à Cabo Delgado a nettement baissé entre 2021 et 2023.

La présence des insurgés ayant diminué en grande quantité, les forces armées de la CDAA ont entamé un retrait de la région qui sera complété le 15 juillet 2024. Toutefois, la présence militaire continuera d’être assurée par le Rwanda qui prévoit d’envoyer à la même période 2.000 soldats supplémentaires. Bien qu’affaiblie, la présence de l’État islamique au Mozambique est toujours d’actualité et la région reste particulièrement fragile et dangereuse : l’Organisation Internationale pour les Migration (OIM) a recensé en mars 2024 plus de 110.000 personnes déplacées13 depuis décembre 2023 en raison des attaques menées par les groupes djihadistes dans la région.

Les attentats perpétrés par l’organisation État islamique en Europe (2013-avril 2024)

L’État islamique en France

Notes

14.

Voir Bernard Rougier, Les territoires conquis de l’islamisme, Puf, janvier 2020 ; Hugo Micheron, Le Jihadisme Français : Quartiers, Syrie, Prisons, Éditions Gallimard, 2020.

+ -

15.

130 sont mortes le soir des attentats, et 3 se sont suicidées depuis. Ce chiffre n’inclut pas les terroristes morts pendant ces attaques.

+ -

16.

Audoin-Rouzeau Stéphane, « L’après-13 Novembre. Naissance et mort d’une ‘’culture de guerre ‘’ ? », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 134, no. 2, 2017, pp. 11-19.

+ -

À l’exception de l’Amérique latine, les pays des autres régions sont visés par l’EI dans des attentats sur leur territoire aussi bien que contre leurs ressortissants à l’étranger. Plusieurs pays de l’Union européenne sont durement touchés, et la France, avec 14 attentats et 149 morts causés par l’EI, est le pays de l’UE le plus meurtri14.

Le 13 novembre 2015 la France est frappée par une série d’attaques terroristes de l’EI. Au total, 133 personnes sont mortes15 et 413 ont été blessées. Face à l’ampleur du massacre, le président de la République François Hollande, déclarait le soir même des attentats que la France était « entrée en guerre » face « aux barbares de Daesh16 ».

Ces attentats terroristes ont été revendiqués par l’État islamique (Daesh). Ils ont été menés simultanément, dans différents lieux à Paris, par différents groupes de terroristes en possession d’armes de guerres (explosifs, kalachnikovs). La première attaque a été commise au Stade de France en Seine-Saint-Denis lors du match amical entre la France et l’Allemagne. Elle fut exécutée par trois hommes, deux frères de nationalité irakienne et un homme de nationalité française. Arrêtés par les agents de sécurité, ne pouvant pas s’introduire dans le stade, ils déclenchèrent leurs ceintures explosives aux abords, faisant un mort et des dizaines de blessés ; ce furent les premiers attentats-suicides survenus en France.

La deuxième attaque survient presque simultanément dans le 10e et le 11e arrondissement de Paris. Le groupe d’assaillants composé de trois hommes était connu pour avoir commis des actes terroristes en Syrie. Les terroristes armés de kalachnikovs tirèrent à bout portant sur les clients aux terrasses de bars et de restaurants. Cette attaque surprise causa la mort de 39 personnes et en blessa 32.

Enfin, la troisième et la plus meurtrière des attaques de cette nuit du 13 novembre 2015 s’est déroulée au théâtre du Bataclan, lors d’un concert. Les assaillants munis d’explosifs et de kalachnikovs se sont introduits dans la salle de spectacle avant de tirer sur la foule, causant la mort de 90 personnes et des dizaines de blessés graves. Les forces de police arrivèrent dix minutes après les premiers coups de feu, rapidement rejointes par des forces militaires de l’opération Sentinelle qui neutralisèrent les terroristes islamistes, avec l’aide des unités d’élites spécialisées dans la lutte contre le terrorisme.

Notes

17.

Message posté sur le réseau social X, le 7 mai 2024 par l’association « Life for Paris ».

+ -
Ces rescapés qui ne survivent pas

Parmi les victimes de cette série d’attentats le soir du 13 novembre 2015, certains rescapés, qui n’avaient pas subi de blessures physiques, n’ont pas pu survivre au traumatisme vécu. Trois personnes se sont données la mort. Le premier, Guillaume Valette, s’est suicidé le 19 novembre 2017, deux ans après la tragédie du Bataclan. Il est officiellement reconnu comme la 131e victime du massacre. La deuxième personne est France-Élodie Besnier, ébranlée par l’attaque du bar Le Carillon ; elle s’est donné la mort six ans après, le 6 novembre 2021. Enfin, Fred Dewilde, survivant des attentats du Bataclan, s’est donné la mort le 5 mai 2024, 9 ans après l’attentat. L’association « Life for Paris » a annoncé qu’il était mort « terrassé par la violence de ses traumas contre lesquels il luttait sans relâche, avec tant de courage, de talent et de générosité depuis ce soir funeste où il disait qu’une partie de lui était morte17 ».
Ces trois personnes figurent parmi les victimes prises en compte dans notre étude.

Notes

18.

Sans compter le terroriste mort pendant l’attaque.

+ -

Quelques mois plus tard, le 14 juillet 2016, jour de la fête nationale, la France est de nouveau victime du terrorisme islamiste. Alors qu’une foule profite du feu d’artifice sur la promenade des Anglais à Nice, aux alentours de 22h30, un poids lourd de 19 tonnes fonce sur les badauds, faisant 8618 morts et 458 blessés. Outre la France, 19 nations sont affectées par cet attentat terroriste et des milliers de personnes en sortent traumatisées. Il s’agit du deuxième attentat le plus meurtrier en France. Deux jours après l’attaque, l’EI revendique le massacre.

« Je sais que cette lettre va te faire du mal. Pourtant, je vais te dire combien je t’aime. Papa, je t’ai demandé l’autorisation de passer quelques jours chez tante Safia. Je n’y suis pas allée. Pardonne-moi : je t’ai menti. Avant-hier soir, je suis arrivée en Irak pour rejoindre mon mari. Nous nous sommes connus sur Internet. Il est formidable. Je suis sûre que tu l’aimeras. C’est un responsable régional de l’État islamique. »

Rachid Benzine, Lettres à Nour,
Seuil, Points, 2019

L’État islamique en Russie

Notes

19.

« L’État islamique et la Russie ont une dette de sang qui remonte à plusieurs années », Wassim Nasr, France info, 23 mars 2024.

+ -

20.

« Pourquoi la Russie est-elle dans la ligne de mire de l’État islamique ? », TV5 MONDE, 24 mars 2024.

+ -

21.

Amelot Laurent, « L’extension orientale de l’Organisation de l’État islamique : le cas de l’Asie du Sud », Outre-Terre, vol. 44, n° 3, 2015, pp. 100-104.

+ -

22.

Antonio Giustozzi, « Terrorisme : à un mois des JO, comprendre la menace de l’État islamique au Khorassan », Le Grand Continent, 25 juin 2024.

+ -

Le terrorisme islamiste en Russie est lié au conflit opposant l’État central aux rebelles séparatistes issus de territoires musulmans situés dans la région de Ciscaucasie, notamment en Tchétchénie et au Daghestan. À la suite de plusieurs siècles de conflit avec le pouvoir central, les séparatistes tchétchènes déclarent leur indépendance au moment de la fin de l’URSS, en 1991. La première guerre de Tchétchénie éclate en 1994 et se solde par un échec de l’armée russe qui est contrainte de se retirer du territoire. Cependant, le 3 octobre 1998, dans la république d’Ingouchie, en Ciscaucasie, le groupe Loups d’islam assassine un membre du gouvernement russe qu’ils accusent de collaborer avec les services du FSB et, le 2 février 1999, le groupe Sword of Islam s’attaque au ministère de l’Énergie à Grozny. Quelques mois plus tard, dans le cadre de la deuxième guerre de Tchétchénie, Moscou intervient à nouveau, d’août 1999 à avril 2000, parvenant cette fois à instaurer un gouvernement favorable au pouvoir central au prix de plusieurs dizaines de milliers de victimes.

Le 11-Septembre permet aux autorités russes d’intensifier la lutte contre les insurgés tchétchènes. Il s’ensuit une période violente de radicalisation islamiste de la lutte séparatiste, qui étend ses revendications à la création d’un État islamique en Ciscaucasie. En moyenne, de 2001 à 2012, le terrorisme islamiste a tué 60 personnes par an. Parmi les 26 attentats ayant frappé le pays au cours de cette période, deux actions terroristes ont particulièrement marqué l’opinion. Le 23 octobre 2002, des membres du groupe djihadiste tchétchène du Special Purpose Islamic Regiment (SPIR) pénètrent dans le théâtre Dubrovka, à Moscou, et prennent 912 civils en otages. Deux ans plus tard, le 1er septembre 2004, un groupe de terroristes s’attaque à une école : 344 personnes, dont beaucoup d’enfants, sont tuées et on dénombre au moins 727 blessés. Cet attentat est revendiqué par le Riyadus-Salikhin Reconnaissance and Sabotage Battalion of Chechen Martyrs, qui recourt à l’attentat-suicide. Entre 2013 et avril 2024, le nombre d’actes terroristes a augmenté, avec 58 attentats et 262 morts, dont 20 ont eu lieu dans la république du Daghestan.

La Russie voit aussi l’État islamique gagner en influence sur son territoire avec l’émergence de la Province du Caucase de l’État islamique, qui revendique 40 attentats sur la période. Pour Wassim Nasr, spécialiste du djihadisme, il existe une « dette de sang » entre l’EI et la Russie « qui remonte à la guerre en Syrie et en Tchétchénie »19. D’ailleurs, en Tchétchénie, en Ingouchie et au Daghestan, certains séparatistes se sont peu à peu islamisés jusqu’à prêter allégeance à l’EI à la suite des nombreuses confrontations avec l’armée russe.

Selon la revue américaine Foreign Policy20, peu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, l’État islamique a lancé une campagne de déstabilisation afin d’attiser la haine envers la Russie et de développer son réseau de sympathisants.

Les deux attentats les plus récents perpétrés par l’EI sont survenus en 2024, l’un à Moscou, et l’autre au Daghestan. Le 22 mars 2024, quatre hommes originaires du Tadjikistan pénètrent dans une salle de concert, le Crocus City Hall, situé dans la banlieue de Moscou à Krasnogorsk. Ils tirent à bout portant sur le public avec des armes automatiques. Cet attentat d’une violence extrême a causé la mort d’au moins 144 personnes et fait 550 blessés. Quelques mois plus tard, c’est la région du Daghestan qui est touchée, le 23 juin, faisant une vingtaine de victimes et une quarantaine de blessés (nous n’avons pas pris en compte cet attentat dans notre étude puisqu’il est postérieur au 12 avril 2024, mais il nous semblait important de le mentionner ici).

L’attentat de Moscou a été revendiqué par une branche de l’État islamique : l’État islamique au Khorassan (EIK). Basé à l’origine dans l’est de l’Afghanistan et né en 2014, l’État islamique au Khorassan cherche à établir un califat qui couvrirait toute la région allant du Pakistan à l’Ouzbékistan, en passant par l’Iran. Appartenant d’abord à des groupes talibans pakistanais et afghans, proches des réseaux d’Al-Qaïda21, les futurs chefs de l’EIK prêtent allégeance à l’État islamique en octobre 2014, et fondent la province du Khorassan au début de l’année suivante. L’EIK mène dans l’est de l’Afghanistan des exactions d’une extrême violence à l’égard des populations civiles, notamment des proches des talibans, ainsi qu’à l’égard des minorités religieuses.

En mai 2022, l’EIK menace d’attaquer l’Iran, la Chine, les pays d’Asie centrale et la Russie, qui est l’un des principaux soutiens des talibans à l’échelle internationale. En septembre 2022, ils ont attaqué l’ambassade russe à Kaboul. En janvier 2024, l’attentat commis à Kerman, en Iran, lors de la commémoration de la mort de Qassem Soleimani, est revendiqué par l’EIK, et a fait 93 morts : l’ampleur de l’attentat aurait permis au groupe terroriste de collecter de nouveaux fonds dans les pays du Golfe22. Avec l’attentat de Moscou en mars 2024, l’EIK atteint son but : être connu et craint de tous, notamment des Occidentaux.

2

La région du lac Tchad à l’épreuve du terrorisme de masse de Boko Haram

En langue haoussa, boko haram peut être traduit par « l’éducation occidentale est un péché ». Le mouvement Boko Haram a été fondé par le prédicateur nigérian Mohamed Yusuf en 2002, à Maiduguri, capitale de l’État de Borno, au Nigeria. Secte islamiste devenue mouvement de lutte armée en 2009, l’organisation prône un islam salafiste djihadiste hostile à toute influence occidentale. Son objectif est de créer un califat, régi par la charia, tout comme l’EI, auquel il prête allégeance en mars 2015 en se donnant le nom d’« État islamique » en Afrique de l’Ouest.

Les attentats islamistes perpétrés par Boko Haram (2009-avril 2024)

Le groupe amplifie son activisme terroriste à partir de 2009, en menant une insurrection pour la création d’un califat au Nigeria. En 2013, le président nigérian Goodluck Jonathan proclame l’État d’urgence et l’armée nigériane lance une offensive dans l’ensemble du pays. Malgré cela, Boko Haram prend le contrôle de nouvelles régions, notamment de l’État de Borno, où se concentrent 68,9% de ses attaques (1.955 sur les 2.836 attentats de Boko Haram au Nigeria). À partir de 2014, le théâtre d’opération du groupuscule islamiste s’étend dans les pays frontaliers du lac Tchad, au nord du Cameroun, au Niger et au Tchad.

Les attentats islamistes perpétrés par Boko Haram (2009-avril 2024)

Entre 2009 et avril 2024, Boko Haram a été responsable de 3.546 attentats. Le bilan humain (26.081 morts) est particulièrement cruel. Un nombre important de réfugiés ont fui leur ville, voire leur pays. Des femmes et des enfants ont même été kidnappés afin de servir l’organisation terroriste, comme ce fut le cas en avril 2014 où 276 lycéennes ont été enlevées à Chibok (Nigeria).

Cibles de Boko Haram (2009-avril 2024)

Les civils représentent 64,1% des cibles de Boko Haram entre 2009 et avril 2024, une part significativement élevée par rapport aux autres catégories. Entre autres, les écoles où l’enseignement est jugé trop occidental sont régulièrement ciblées. Les militaires qui luttent contre Boko Haram sont également des cibles ; de même les villageois qui tentent de se défendre en créant des milices d’autodéfense, et qui sont le plus souvent massacrés. S’agissant de son mode opératoire, on relève que Boko Haram recourt massivement à l’attentat-suicide.

Types d’armes utilisées par Boko Haram (2009-avril 2024)

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L’attentat-suicide, le « martyr » et la terreur

Notes

22.

Voir Alain Louyot, « Les “petits martyrs” de la guerre Iran-Irak », lexpress.fr, 27 septembre 2001 [en ligne].

+ -

C’est d’abord lors du conflit Iran-Irak (1980-1988) que l’on parle des « attaques-suicides ». Il s’agit d’une tactique de guerre. Le 30 octobre 1980, Mohammad Hossein Fahmideh, un chiite fanatique âgé de 13 ans, se donne la mort en se jetant, grenade à la main, sous un char. Au total, ce sont plusieurs milliers d’enfants iraniens âgés de moins de 16 ans qui se précipiteront sur les champs de mines afin de provoquer leur explosion et permettre aux troupes de passer pour aller combattre au nom de la république islamique de Khomeini22. C’est ensuite dans le cadre de la guerre du Liban que sont perpétrés les premiers « attentats-suicides ». À Beyrouth, le 23 octobre 1983, deux attentats-suicides orchestrés par le Hezbollah ciblent les contingents américain et français de la Force multinationale de sécurité. Le premier entraîne la mort de 241 soldats américains, le second de 58 personnes, dont des parachutistes français et la famille libanaise d’un gardien d’immeuble. Au total, 19 attentats-suicides seront commis entre 1979 et 2000. Ils représentent 0,9% des 2.194 actes de violence islamiste dans le monde.

Les attentats-suicides demandent peu de moyens, produisent des dégâts considérables et sont susceptibles d’avoir une répercussion médiatique maximale. En effet, le récit de l’action en est profondément modifié. Ce n’est plus exactement un attentat perpétré par un terroriste susceptible de ne courir aucun risque lui-même ou d’avoir la vie sauve ; il s’agit d’un « martyr » qui accepte et conduit son propre « sacrifice » pour une cause. Son impact est encore augmenté par l’utilisation du nouvel ordre médiatique qui permet au « martyr » de mettre en scène sa mort en se filmant à l’aide de son smartphone connecté au Web.

Les attentats-suicides islamistes dans le monde (1979-2000)

Notes

23.

Voir Daniel Pipes, « The [Suicide] Jihad Menace », The Jerusalem Post, 27 juillet 2001 [en ligne].

+ -

24.

Voir Robert A. Pape, « The Strategic Logic of Suicide Terrorism », The American Political Science Review, vol. 97, no 3, août 2003, p. 343-361, ou Scott Atran, « The Moral Logic and Growth of Suicide Terrorism », The Washington Quarterly, vol. 29, no 2, printemps 2006, pp. 127-147 [en ligne].

+ -

25.

Voir Ehud Sprinzak, « Rational Fanatics », Foreign Policy, no 120, septembre-octobre 2000, pp. 66-73.

+ -

26.

Pour les années 2020 et 2021, les attentats-suicides ne sont pas identifiables dans la base de données de l’Armed Conflict and Event Data Project (ACLED).

+ -

Entre 2001 et 2012, le recours aux attentats-suicides a fortement progressé (679), pour représenter alors 8,2% de l’ensemble des attentats islamiques (8.265). Le récit du martyr djihadiste est soigneusement élaboré et entretenu par les islamistes radicaux ; leurs efforts portent sur la valorisation religieuse du geste terroriste. Le « terroriste » doit se considérer comme un shahid (martyr). Ainsi, pour ces hommes et ces femmes qui, le plus souvent ont moins de 30 ans, l’acte de tuer en se donnant la mort n’est plus perçu comme un suicide – considéré comme un péché –, mais il est supposé, au contraire, témoigner d’une grande piété dans la mesure où il nuit à des non-musulmans23.

Si, dans l’opinion publique occidentale, l’auteur d’un attentat-suicide est le plus souvent associé à l’idée d’un fanatique, d’une personne misérable ou psychologiquement déséquilibrée, un certain nombre d’études semblent contraster ce portrait en soulignant le niveau socio-culturel relativement élevé d’une majorité des terroristes morts dans des attentats-suicides24.

C’est le cas, par exemple, au sein du Hamas et du Mouvement du Jihad islamique palestinien, dont les terroristes recourant à l’attentat-suicide sont généralement identifiés comme des individus diplômés du supérieur et issus des classes moyennes25.

Sur la période 2013-avril 202426, nous avons identifié 2.071 attentats-suicides, soit 3,7% des 56.413 attentats islamistes. Parmi les attentats menés par l’organisation État islamique et par Boko Haram, l’attentat-suicide est fréquemment utilisé. Il témoigne de la culture de la mort entretenue et développée chez les jeunes djihadistes. Pour Boko Haram, nous avons recensé 460 attentats-suicides entre 2013 et avril 2024, soit 10,9% de l’ensemble des attentats imputables à ce groupe, tandis qu’ils représentent 10,7% (1.649) du total des attentats commis par l’EI. Pour réaliser ses attentats-suicides, Boko Haram endoctrine, manipule, embrigade ou contraint avant tout des femmes, des adolescents et de très jeunes enfants.

Les attentats-suicides islamistes dans le monde

De la peur (individuelle) à la terreur (collective)

« Les différents types de terrorisme utilisent toutes les ressources (tactiques, médiatiques, technologiques, etc.) pour plonger les opinions publiques dans la stupeur. Par-delà leurs différences, ils ont en commun de déclencher et de répandre un état affectif individuel et collectif spécifique : une peur extrême et un sentiment de vulnérabilité généralisée. Dans cette perspective, la terreur est une peur superlative […]. Les sources de la peur cessent d’être précisément circonscrites. Et la peur devient plus durable et plus tenace. De plus, si la peur est individuelle, la terreur est collective : l’attentat vise à plonger une communauté entière dans un certain état d’esprit. L’augmentation du nombre de victimes sert cette dynamique et conduit à l’“hyperterrorisme”, selon la formule forgée par François Heisbourg. Les attentats du 11-Septembre ont marqué une rupture car ils ont cherché à faire un nombre de victimes d’un autre ordre que celui des attentats précédents. Le but est alors la terreur à l’échelle planétaire. »

Cyrille Bret, Qu’est-ce que le terrorisme ?, Vrin, 2018, pp. 52-53.

Notes

1.

Marc Julienne, « La Chine, nouvel acteur de la lutte contre le terrorisme international », Les Champs de Mars, n° 30, supplément, mai 2018, p. 276.

+ -

2.

Marc Julienne, « Ouïghours du Xinjiang : «Les politiques répressives mises en œuvre par Pékin depuis 2015 sont sans précédent» », Marianne, 22 juillet 2020.

+ -
Chine

Depuis plusieurs décennies, la Chine fait face à la menace de groupes terroristes issus des communautés musulmanes venant des régions avoisinantes, dont les Ouïghours, une ethnie turcophone musulmane habitant principalement la province du Xinjiang, au nord-ouest du pays. Ces groupes terroristes et leurs militants revendiquent la création d’un État islamique du Turkestan oriental et la mise en place d’un fondamentalisme islamiste et d’un nationalisme ouïghour.
La radicalisation du conflit opposant les Ouïghours au pouvoir central chinois remonte à avril 1990, date à laquelle des Ouïghours manifestent massivement dans le district d’Akto afin de dénoncer le refus des autorités chinoises d’y autoriser la construction d’une mosquée. Le gouvernement chinois mène une sévère répression faisant plus de 60 morts. En 1996, les autorités chinoises lancent la campagne « Frapper fort », procédant à l’arrestation de 10.000 personnes dans la province du Xinjiang. En février 1997, une révolte voit plusieurs centaines de jeunes Ouïghours protester dans les rues pour la libération de dignitaires religieux arrêtés par la police à Guldja. La répression fait 167 morts.
Depuis 2001 et les attentats du 11-Septembre, le gouvernement chinois a repris le concept de « guerre contre la terreur » et s’en sert pour renforcer ses dispositifs de lutte antiterroriste et de répression contre les militants séparatistes issus de la minorité ouïghour. Face à la répression, nombre de Ouïghours fuient leur pays pour gagner la Turquie ou rejoindre des camps djihadistes en Indonésie ou au Pakistan. Selon le chercheur Marc Julienne, « aujourd’hui, les militants “islamo-nationalistes” ouïghours sont présents et connectés à d’autres réseaux en Asie centrale et du Sud-Est, sur la frontière pakistano-afghane, ainsi qu’en Turquie et en Syrie »1.
Entre 2001 et mai 2021, selon notre estimation, le Parti islamique du Turkestan (PIT), un groupe djihadiste ouïghour proche d’Al-Qaïda depuis les années 1990, a commis 6 attentats, provoquant la mort de 107 personnes. Parmi ces actions terroristes, notons le double attentat du 28 juillet 2014 dans la province du Xinjiang, contre des bureaux du gouvernement chinois ainsi qu’un commissariat de police à Elixku et des civils à Huangdi.
Les actes terroristes du PIT sont les seuls que nous avons considérés comme relevant d’une motivation islamiste claire dans le contexte chinois. Cependant, en se référant à ce que nous proposons comme estimation « possible », on dénombre 97 attentats et 513 morts en recensant l’ensemble des attentats perpétrés par les séparatistes ouïghours, dont la dimension religieuse, au-delà de la revendication politique, n’est pas clairement prépondérante.
Depuis 2021, nous assistons à une diminution du nombre d’attentats en provenance de ces groupes terroristes. C’est notamment le résultat d’une forte augmentation de la répression de la part des autorités chinoises. Les populations Ouïghours identifiées comme un terreau favorable à la contestation et une menace pour l’identité ethno-nationaliste de la Chine font l’objet d’une politique de persécution systématique2.

4

L’Afghanistan demeure le pays le plus touché au monde

Notes

27.

Voir “US sending almost 4,000 extra forces to Afghanistan, Trump official says”, theguardian.com, 16 juin 2017 [en ligne].

+ -

28.

Voir Gilles Paris, « “Il est temps de mettre fin à la plus longue guerre des États-Unis” : Joe Biden défend sa décision de retirer les troupes américaines d’Afghanistan », lemonde.fr [en ligne].

+ -

29.

Voir « Les talibans affirment contrôler 85% du territoire », francetvinfo.fr, 9 juillet 2021 [en ligne].

+ -

30.

Voir Carter Malkasian, The American War in Afghanistan. A History, Oxford University Press, 2021.

+ -

31.

Voir The Economist, “America’s war in Afghanistan is ending in crushing defeat”, theeconomist.com, 10 juillet 2021 [en ligne].

+ -

32.

Amelot Laurent, « L’extension orientale de l’Organisation de l’État islamique : le cas de l’Asie du Sud », Outre-Terre, vol. 44, no. 3, 2015.

+ -

33.

Heard Joel, « Afghanistan : plus de 200 anciens fonctionnaires tués depuis l’arrivée au pouvoir des Talibans », Communiqué des Nations Unies, 22 août 2023.

+ -

En juin 2017, Donald Trump appelle à un retrait militaire de l’Afghanistan, mais les États-Unis envoient alors près de 4.000 soldats supplémentaires pour contenir l’avancée des talibans27. En octobre 2017, les forces afghanes contrôlent encore 56% du territoire. Le 20 février 2020, un accord est conclu entre les États-Unis et les talibans afin de permettre le départ des forces américaines. Le 14 avril 2021, Joe Biden fixe officiellement le retrait des troupes au 11 septembre 2021, pour sortir d’une « guerre sans fin »28. Au début du mois de juillet 2021, les talibans affirment détenir 85% du territoire29. Kaboul tombe le 15 août 2021. Les talibans sont de retour au pouvoir, vingt ans après la déclaration de guerre des États-Unis30. Comme le rappelle The Economist, le bilan est rude : « L’Amérique se bat en Afghanistan depuis vingt ans. Les États-Unis ont dépensé plus de 2.000 milliards de dollars dans cette guerre. Ils ont perdu des milliers de soldats et ont vu la mort de dizaines de milliers d’Afghans, soldats et civils. »31 La réédition actualisée de notre base de données montre que, depuis 1979, l’Afghanistan est le pays le plus touché par le terrorisme islamiste, aussi bien en nombre d’attentats (17.075) que de victimes (70.038). Le nombre de morts a plus que doublé entre 2014 (4.209) et 2020 (10.734), témoignant d’une montée en puissance de la violence préfigurant la vitesse avec laquelle les talibans ont reconquis les territoires jusqu’à la capitale, le 15 août 2021. Les attentats contre les cibles civiles ou militaires se sont multipliés. Entre 2017 et avril 2024, nous avons recensé 5.134 attaques contre des cibles militaires, 2.551 contre des cibles policières, 1.440 contre des civils et 536 contre des cibles gouvernementales. Lors de la première édition de cette étude, en octobre 2019, il ressortait de notre travail que l’État islamique était le groupe le plus meurtrier (52.619 morts) entre 1979 et 2019, devant les talibans (39.733) et Boko Haram (22.287). Après consolidation des données 2018-2019 et en intégrant les années 2020, 2021, 2022 et 2023 ainsi que les quatre premiers mois de 2024, il apparaît que ce sont les talibans qui forment le groupe le plus meurtrier avec 71.965 morts dans le monde, suivis par l’État islamique (69.641) et Boko Haram (26.081).

Les talibans sont un groupe fondamentaliste islamiste d’obédience sunnite. Il s’oppose au gouvernement de coalition comprenant des factions de la résistance. Impliquant majoritairement des jeunes Afghans issus des milieux les plus pauvres de la paysannerie pachtoune, les talibans apparaissent à la suite de l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique mais aussi en réaction à une situation politique interne chaotique provoquée par des gouvernements prosoviétiques. Ils vont alors développer un fondamentalisme rejetant toute influence occidentale et communiste. La prise de Kaboul en 1996 et en 2021 par les talibans se fait dans les deux cas au détriment d’un pouvoir désavoué par la population. Le vide institutionnel et politique auquel était soumis le pays est comblé par les talibans à travers le rétablissement de la charia, ce qui lui permet d’obtenir l’approbation de la population qui était en demande d’une stabilité politique après des décennies de conflits. Les talibans ont réussi à tirer profit de la situation et à augmenter leurs chances de succès en usant de leur forte présence dans les milieux ruraux pour développer la culture du pavot, générant des revenus non négligeables pour un pays à l’économie exsangue (bien que cette culture ait été interdite par les talibans dès leur retour en 2021). À cela s’ajoute le soutien de divers alliés régionaux étatiques, comme le Pakistan qui procure des armes et une aide logistique, ainsi que des acteurs non étatiques comme Al-Qaïda. L’endoctrinement religieux des combattants talibans confrontés à des factions limitées et démotivées leur permet de prendre le contrôle de 90% du territoire en 1998, et de reprendre le pouvoir en 2021 après le départ des troupes américaines.

Toutefois, le retour au pouvoir des talibans n’aura pas permis d’endiguer l’insécurité, bien au contraire. Des groupes armés subsistent et continuent de commettre des exactions sur le sol afghan. Parmi eux, l’État islamique au Khorassan demeure une menace pour les talibans32, bien que ses capacités offensives soient pour l’instant limitées (1.000 à 1.300 hommes). Les talibans font également face à des accusations de violations des droits de l’homme de la part du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDC) et de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA). Plus de deux cents anciens fonctionnaires ont été tués depuis août 2021, et des violations des droits humains ont été documentées dans tout le pays (provinces de Kaboul, de Kandahar et de Balkh)33. Les droits des femmes sont inexistants.

Dans le cadre de notre étude, nous avons fait le choix méthodologique de ne pas qualifier de terroristes les actions violentes menées par les talibans depuis leur retour au pouvoir en août 2021. Leurs exactions n’ont donc pas été prises en compte dans notre étude en tant qu’attentats. Cela explique la diminution du nombre d’actes terroristes et de victimes en Afghanistan sur la période août 2021-avril 2024 (352 attentats répertoriés faisant 1.157 victimes). Nous savons que la violence caractérise toujours l’action des talibans ; ils continuent de terroriser les populations civiles.

Les attentats islamistes en Afghanistan (2017-avril 2024)

5

La recrudescence des attentats islamistes en Afrique de l’Ouest

Depuis 2021, l’Afrique de l’Ouest a été le théâtre de plusieurs coups d’État. Le Mali a connu deux coups d’État militaires en l’espace de neuf mois : le premier, en août 2020, a renversé le Président Ibrahim Boubacar Keïta, tandis que le deuxième, en mai 2021, a évincé le président de transition Bah N’Daw. De même, en Guinée, en septembre 2021, un coup d’État militaire a chassé le président Alpha Condé qui était au pouvoir depuis 2010. En janvier 2022, c’est le Burkina Faso qui est touché à son tour par un coup d’État militaire contre le président Roch Kaboré.

Ce contexte d’instabilité politique en Afrique de l’Ouest a favorisé la recrudescence du terrorisme islamiste, particulièrement dans la région du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso et le nord du Nigeria). Des groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique ont émergé, multipliant les attaques terroristes, notamment contre des civils. Au Nigeria, Boko Haram et « l’État islamique en Afrique de l’Ouest » (ISWAP), posent des problèmes sécuritaires majeurs, en particulier dans le nord-est du Nigeria. Les enlèvements de masse, les attaques contre les civils et les forces de sécurité sont fréquents. De même, au Mali, l’armée a subi de nombreux revers dans l’Azawad face aux groupes indépendantistes Touaregs et aux groupes islamistes. Enfin, les crises humanitaires provoquées par l’insécurité dans plusieurs pays de la région se multiplient. On estime que des millions de personnes ont été déplacées et se retrouvent dans des conditions désastreuses. Les conflits armés et l’instabilité ont aggravé la pauvreté et la famine dans certaines régions, notamment au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

Dans cette région, la forte augmentation du nombre d’attentats islamistes est liée à la fin des interventions militaires étrangères, notamment celles conduites par la France à travers l’opération Serval (2013-2014), puis Barkhane (2014-2022), destinées à lutter contre les groupes djihadistes dans la région du Sahel. Au Mali, la fin de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation (MINUSMA) en 2023 explique également la poussée du terrorisme dans le pays.

6

L’Afrique subsaharienne est un intense foyer du terrorisme islamiste

Notes

34.

Skjelderup M. W, “Jihadi governance and traditional authority structures: al-Shabaab and Clan Elders in Southern Somalia, 2008-2012”, Small Wars & Insurgencies, 31(6), 1174–1195, 2020.

+ -

35.

Marchal R., “A tentative assessment of the Somali Harakat Al-Shabaab”, Journal of Eastern African Studies, 3(3), 381–404, 2009.

+ -

36.

Ana Arjona, “Rebelocracy : A theory of social order in civil war”, Kellog Institute for International Studies, working paper n°422, June 2017, pp 7-12.

Michael Weddegjerde Skjelderup, « Jihadi governance and traditional authority structures : al-Shabaab and Clan Elder in Southern Somalia, 2008-2012 », Small Wars and Insurgencies, Taylor & Francis Journals, vol. 31, n°6, août 2020, p. 1178.

+ -

37.

Jonathan Masters, and Mohammed Aly Sergie, “Al Shabaab”, Council on Foreign Relations, 6 décembre 2022.

+ -

38.

Mohamed Dhaysane, « Somalia’s President Vows ‘Total War’ Against al-Shabab », VOA, 24 août 2022.

+ -

Nos données indiquent qu’entre 2019 et avril 2024, l’Afrique subsaharienne est restée un important foyer du terrorisme islamiste : 862 attentats et 3.893 morts en 2019, 2.005 attentats et 5.099 morts en 2020, 3.675 attentats et 8.750 morts en 2021, 4.332 attentats et 10.045 morts en 2022, 4.159 attentats et 9.815 morts en 2023 et 1.466 attentats et 3.088 morts entre le 1er janvier et le 12 avril 2024. Entre 2021 et avril 2024, Boko Haram est resté un groupe islamiste actif et meurtrier dans la région, avec 342 attentats perpétrés (soit 4,9% de l’ensemble des attentats islamistes perpétrés en Afrique subsaharienne), faisant 1.079 morts (3,4% de l’ensemble des morts du terrorisme islamiste en Afrique subsaharienne). Mais c’est le groupe terroriste Al-Shabaab, avec 6.294 attentats et 9.327 morts au total sur la période qui est le groupe le plus meurtrier. Les pays les plus touchés par le terrorisme islamiste entre 2021 et avril 2024 sont principalement situés autour de la région du lac Tchad : Mali (4.983 morts), Nigeria (4.324 morts), République démocratique du Congo (3.926 morts), Mozambique (3.782 morts), Burkina Faso (2.782 morts), Niger (1.306 morts), Cameroun (835 morts) et Tchad (212 morts). À l’est, la Somalie compte un grand nombre de victimes du terrorisme islamiste (9.152 morts).

Al-Shabaab en Somalie

Le groupe Al-Shabaab, qui peut se traduire par « mouvement de la jeunesse », est une organisation militaire et politique sunnite, basée en Somalie depuis les années 2000, également active au Kenya et en Éthiopie de manière plus marginale. Il est à distinguer du groupe du même nom qui sévit au Mozambique depuis 2017.

Identifiée comme organisation terroriste par les États-Unis en 2008, Al-Shabaab a tiré profit de la guerre contre l’Éthiopie, puis de la guerre civile somalienne qui a conduit à la dissolution des institutions étatiques : cela lui a permis d’asseoir une autorité « proto-étatique » sur les zones sud et centre du pays. Des structures administratives ont été mises en place à partir des années 201034. Son action dans la région a été comparée à celle des talibans avant qu’ils n’accèdent au pouvoir, ou encore à celle de l’État islamique en Irak et en Syrie. Le groupe acquiert peu à peu le soutien de la population en s’assimilant aux institutions policières et judiciaires35, ou encore en investissant les structures d’autorité traditionnelles et les clans : une forme de « rebellocratie » a ainsi été mise en place, dont l’un des objectifs principaux est l’opposition au gouvernement somalien36.

Entre 2018 et 2020, Al-Shabaab était responsable de 1.574 attentats. Entre 2021 et 2024, on lui impute 6.164 attentats. Cette intensification de la violence terroriste est due, d’une part, à l’augmentation du nombre de leurs combattants, on en compte ainsi plus de douze mille37 ; la plupart sont des civils, notamment des enfants, souvent enrôlés de force. D’autre part, la lutte lancée par le gouvernement fédéral somalien depuis 202238, à la suite d’un attentat commis en août de la même année dans un hôtel de Mogadiscio, suscite des répliques et conduit le groupe terroriste à multiplier les actions à l’encontre des structures officielles et des militaires. Le gouvernement, soutenu par l’Union africaine et des partenaires occidentaux, n’est pas parvenu pour le moment à restaurer son autorité.

Al-Shabaab, soutenu par Al-Qaïda, est partisan d’une forme transnationale de djihadisme salafiste, mais une partie de ses affiliés sont avant tout mus par des dynamiques nationalistes. Une violente opposition s’est peu à peu cristallisée entre le groupe somalien et l’État islamique, le premier refusant de prêter allégeance au second, maintenant son indépendance et sa propre interprétation de la charia.

Al-Shabaab se distingue par un usage important des réseaux sociaux, d’abord via les forums de discussions, puis à travers Facebook et X qui lui permettent de relayer ses attaques et ses messages. Le groupe a ainsi recruté un grand nombre de combattants issus de la diaspora somalienne, ainsi que des étrangers spécialisés dans la production d’explosifs et issus de groupes perpétrant des attentats-suicides : ce fort ancrage à l’extérieur renforce la dimension transnationale d’Al- Shabaab, qui ne se contente plus de revendications claniques et nationalistes.

7

Les attentats du 7 octobre 2023 en Israël : un tournant historique

Notes

39.

« Massacres du 7 octobre en Israël par le Hamas et des civils : un bilan quasi définitif », The Times of Israël, 15 décembre 2023 [en ligne]. Libération, et AFP (2024, 8 juin), « Gaza : l’armée israélienne annonce avoir libéré quatre otages en vie, ‘’ nous ne lâcherons pas ‘’ martèle Nétanyahou » [en ligne].

+ -

40.

815 civils tués sur les 1.195 victimes du 7 octobre, selon les chiffres du rapport de Humans Right Watch de 2024, précédemment cité.

+ -

41.

Christina Lamb, “First Hamas fighters raped her. Then they shot her in the head”, The Times, 2 décembre 2023 [en ligne].

+ -

42.

« UN Women statement on the situation in Israel and Gaza », Communiqué de UN Women, 1er décembre 2023 [en ligne].

+ -

43.

Résolution 2331 du Conseil de sécurité des Nations Unies, « Maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Adoptée par le Conseil de sécurité lors de sa 7847e séance le 20 décembre 2016.
Extrait du point n°11 : « Condamne tous les actes relevant de la traite, en particulier la vente ou le commerce de personnes tels que l’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL, connu également sous le nom de Daech) les pratique à l’encontre notamment des Yézidis et de membres d’autres minorités religieuses ou ethniques, condamne également tous les actes de traite d’êtres humains et toutes les violations et exactions auxquels se livrent Boko Haram, les Chabab, l’Armée de résistance du Seigneur et d’autres groupes terroristes ou armés à des fins d’esclavage sexuel, d’exploitation sexuelle et de travail forcé » [en ligne].

+ -

44.

Ibid. Extrait du point n°9 : « la réalisation des objectifs stratégiques exposés plus haut peut entraîner le recours à diverses
formes de violence sexuelle durant un conflit – viol, esclavage sexuel, prostitution forcée et grossesse forcée –, qui peuvent
être associées à la traite d’êtres humains ».

+ -

45.

Myriam Denov, « Enfants nés du viol : l’héritage dévastateur de la violence sexuelle dans le Rwanda de l’après-génocide »,
The Conversation [en ligne].

+ -

46.

BBC, « Hamas to be declared a terrorist group by UK » [en ligne]. Gouvernement du Canada, communiqué de presse, 25 juin 2024 : « Le Canada impose des sanctions supplémentaires en réponse aux attaques terroristes du Hamas contre Israël » [en ligne].

+ -

47.

Eugénie Boilait, « Israël : qui sont les pays qui soutiennent le Hamas ou adoptent une réaction en demi-teinte ? », Le Figaro, 11 octobre 2023 [en ligne].

+ -

48.

Bruno Meyerfeld, (2023, 27 octobre). « Guerre Israël-Hamas : les tentatives infructueuses du Brésil au Conseil de sécurité de l’ONU », Le Monde, 27 octobre 2023 [en ligne].

Voir aussi : Benoît Vitkine, « De Russie, le Hamas exclut toute libération des otages sans cessez-le-feu », Le Monde, 30 novembre 2023 [en ligne].

+ -

49.

Georges Bensoussan, Les pogroms en Palestine avant la création de l’État d’Israël (1830-1948), Fondation pour l’innovation politique, avril 2024 [en ligne]. Voir aussi : Pierre-Alain Clément, « Note de recherche sur le Hamas », Université de Montréal, 2009.

+ -

50.

Benny Morris (trad. de l’anglais), « Victimes : histoire revisitée du conflit arabo-sioniste », Bruxelles/Paris/Cachan, Éditions Complexes, n° 852, 2003.

+ -

51.

Laetitia Limmois, Mélody Da Fonseca, « Guerre Israël-Hamas : qu’est-ce que le Hamas ? », Comprendre en trois minutes, Le Monde, 13 octobre 2023 [en ligne].

+ -

52.

Fabien Jannic-Cherbonnel, « Israël-Palestine : qu’est-ce que le Hamas, l’organisation islamiste qui contrôle Gaza ? », Franceinfo, 30 septembre 2021 [en ligne].

+ -

53.

« 40 cartes pour comprendre le conflit Israël Palestine », Le Monde (Hors-série) [en ligne].

+ -

54.

Le 19 février 2024, l’Union européenne a déclenché la mission « Aspides » pour surveiller et protéger le trafic maritime en mer Rouge.

+ -

55.

“Who are Yemen’s Houthis?”, Wilson Center, 7 juillet 2022 [en ligne].

+ -

L’attentat nommé « déluge d’Al-Aqsa », en référence à la mosquée du même nom à Jérusalem, a été conduit par les Brigades Al-Qassam, branche militaire du mouvement islamiste palestinien Hamas, avec l’appui de groupes affiliés au Jihad islamique palestinien (JIP) et aux Brigades des martyrs d’Al-Aqsa. Les terroristes ont attaqué l’État hébreu par la terre, l’air et la mer, en utilisant des moyens technologiques modernes.

Le 7 octobre 2023, jour de la fête juive de Simhat Torah, à l’aube, des milliers de roquettes sont tirées depuis la bande de Gaza. Les premiers communiqués de l’armée israélienne annoncent que Tel Aviv et la communauté agricole de Lakish sont visés. Plus tard, des roquettes tirées depuis la bande de Gaza visent Jérusalem. Le chef d’état-major des Brigades Al-Qassam, Mohammed Deif, a déclaré que 5.000 roquettes avaient été tirées depuis la bande de Gaza vers Israël ce jour-là. L’armée israélienne estime ce nombre à 3.000.

Vers 6h30, les terroristes équipés de drones attaquent six bases militaires israéliennes et des zones résidentielles civiles : une ville, cinq kibboutz, et le site du festival de musique « Tribu de Nova » qui se tenait à Ré’im, à seulement quelques kilomètres de l’enclave palestinienne de Gaza. Les cibles sont militaires et civiles. Dans les Kibboutz de Be’eri et Nirim, les civils sont massacrés, certains pris en otages. À l’aube, au festival de musique de Ré’im, les 3.500 festivaliers sont la cible de roquettes. Certaines sont interceptées par le système de défense antimissile israélien, le dôme de fer. Par la suite, lors d’un assaut terrestre, 364 festivaliers sont assassinés.

L’objectif du Hamas, et des groupes qui l’accompagnent, comme le Jihad islamique palestinien, est d’enlever le plus de personnes possible, de tuer et d’infliger le plus grand nombre de souffrances en un temps limité. Certains civils sont brulés vifs dans leurs maisons, comme ce fut le cas dans les kibboutz.

Le pogrom du 7 octobre a été caractérisé par l’usage d’une violence sans limite donnant lieu à de très nombreux assassinats, actes de tortures, viols et enlèvements, y compris de vieillards et de bébés. La multiplicité des attaques en différents lieux et visant différentes cibles comme la variété des modes d’action sciemment choisis par le Hamas, témoignent de la volonté d’imposer la terreur au sein de la société israélienne comme sur le plan international.

L’Agence France Presse a croisé les données de la Sécurité sociale israélienne, de l’armée, de la police, du Bureau du Premier ministre israélien, ainsi que des chiffres de la Sécurité intérieure pour parvenir à un bilan du nombre de personnes assassinées lors et à la suite du 7 octobre39. Ainsi, l’attaque a entraîné la mort d’au moins 1.195 personnes, majoritairement des civils, ainsi que 3.400 blessés40. Les terroristes du Hamas ont également pris en otages 251 personnes. Parmi elles, 112 personnes ont été libérées en novembre 2023, à la suite d’un accord d’échange d’otages contre des prisonniers palestiniens détenus en Israël. Le 8 juin dernier, quatre otages ont été libérés dans le cadre d’une opération militaire conduite par Tsahal. Le 31 août 2024, il reste encore 98 personnes détenues par le Hamas.

Le viol : arme du terrorisme islamiste

Au lendemain du 7 octobre, des témoignages ont fait état des violences sexuelles commises par le Hamas, notamment sur le site du festival « Tribu de Nova »41. Le 4 mars 2024, l’Organisation des Nations Unies a publié un rapport sur l’usage de la violence sexuelle par les combattants du Hamas lors de ce pogrom, et lors des mois qui ont suivi42. Ce rapport met en exergue les difficultés à rassembler les preuves de ces violences dues au nombre limité d’examens médico-légaux effectués du fait des circonstances exceptionnelles de l’attaque (pluralité d’acteurs, diversification des scènes de crimes, corps calcinés…). Cependant, l’ONU estime qu’il existe bien « des motifs raisonnables de croire » que des violences sexuelles ont été commises par les combattants du Hamas. Dans le chaos de la tuerie du festival de musique, des témoins oculaires ont assisté à des scènes d’une rare violence. Des victimes ont été violées, parfois collectivement, parfois alors qu’elles étaient déjà mortes. Des corps de femmes ont été retrouvés nus, blessés par balles, certains attachés à des arbres. Le long de la route 232, dans le désert du Néguev, deux femmes auraient été violées, mais cela n’a pas pu être vérifié par l’équipe de mission de l’ONU. Aux abords de cette route, plusieurs corps dénudés, certains portant des traces de blessures génitales, ont été retrouvés. Dans les kibboutz de Ré’im et de Be’eri, plusieurs indices laissent penser que des violences sexuelles ont été commises, notamment la découverte de corps de femmes nus. Dans les tunnels de Gaza, des violences à caractère sexuel auraient été infligées à des femmes et des enfants par des combattants du Hamas, selon les témoignages des otages libérés.

Les violences sexuelles visent à terroriser les populations. Le viol est devenu l’une des armes utilisées par le terrorisme islamiste43. Par ces violences sexuelles, viols, grossesses forcées ou encore prostitution des victimes, les terroristes soumettent, humilient et détruisent leurs victimes44. Les viols inséminants sont aussi pensés comme une façon de coloniser la génétique d’une population ; ils ont souvent été utilisés comme armes génocidaires au XXe siècle45. Ces modes de violences sont de plus en plus souvent employés par les groupes islamistes.

Le Hamas

Le Hamas (abréviation de « mouvement de résistance islamique ») est un mouvement islamiste palestinien, fondé en 1987 après la première intifada. Le conflit israélo-palestinien associé à la guerre civile libanaise pousse des membres des Frères musulmans de Gaza, où se concentre son action, à former le mouvement. Classé « organisation terroriste » par une majorité des États occidentaux parmi lesquels les États-Unis, le Canada, l’Argentine, le Royaume-Uni, les pays de l’Union européenne et l’Australie46, le Hamas bénéficie du soutien de la Syrie, de l’Algérie, du Yémen, de la Malaisie et de l’Afghanistan47. La Chine, la Russie, le Brésil ne le considèrent pas comme une organisation terroriste48.

Publiée en 1988, la Charte du Hamas appelle au djihad contre les Juifs et à la création d’un « État islamique en Palestine », ainsi qu’à l’anéantissement total de l’État d’Israël49. En 2017, la charte est amendée : elle abandonne toute référence aux Frères musulmans, rejette les accords d’Oslo, la déclaration Balfour de 1917 et le plan de partage de la Palestine de 1947. Si la version de 1988 était ouvertement antisémite50, la charte de 2017 refuse l’amalgame de l’antisionisme et de l’antisémitisme, comme l’indique l’article 16. Cette nouvelle charte conserve cependant la justification de la « résistance armée, qui est considérée comme le choix stratégique pour la protection des principes et des droits du peuple palestinien » (article 25).

Le Hamas dispose de deux branches : la branche politique qui se compose de deux organes, le Conseil de la Choura et le Bureau politique51. La branche militaire est composée des Brigades Ezzedine Al-Qassam. Depuis 1994, ces brigades multiplient les attentats en Israël, notamment pour saboter les accords d’Oslo de 1993, qui s’inscrivent dans un processus de paix dans le conflit israélo-palestinien52. En 2006, le Hamas remporte pour la première fois les élections législatives palestiniennes au détriment du Fatah. Depuis cette date, il administre le territoire de Gaza53.

Répercussions dans la région

Les attentats du 7 octobre 2023 ont engendré des répliques de la part du gouvernement israélien, notamment le déclenchement d’une guerre dans l’enclave de Gaza, dont l’objectif premier est la récupération des otages. Mais les soutiens du Hamas se sont très vite organisés pour attaquer Israël, son territoire et/ou ses intérêts : d’abord à la frontière nord entre le Liban et l’État hébreu, où le Hezbollah lance quotidiennement des roquettes ; en mer Rouge également où les Houthis attaquent des navires commerciaux et entravent le commerce international. L’Union européenne et les États-Unis ont d’ailleurs lancé des opérations de sécurisation de la mer Rouge et du détroit d’Ormuz54.

Les Houthis, ou mouvement Ansarrullah, se sont constitués autour de piliers idéologiques tels que la lutte contre Israël et l’impérialisme américain. Financés par l’Iran qui les intègre dans ce qu’elle nomme « l’axe de la Résistance »55, les Houthis ont pris part à la guerre à Gaza en affectant considérablement le trafic maritime en mer Rouge, où transitent plus de 12% du commerce mondial.

IV Partie

Les territoires du terrorisme islamiste (1979-avril 2024)

La globalisation du terrorisme islamiste peut désigner la visibilité planétaire que le numérique assure à leurs attentats, mais elle peut aussi désigner une réalité géographique : peu ou prou, toutes les régions du monde ont été frappées. Bien sûr, les actes criminels commis varient considérablement selon les parties du monde. Sur le nombre d’attentats répertoriés depuis 1979, la quasi-totalité (96,7%, soit 64.691 attentats) ont eu lieu dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, de l’Asie du Sud et de l’Afrique subsaharienne.

En ce qui concerne les 249.941 morts, une proportion considérable (96,8%, soit 242.035 morts) a aussi été recensée dans ces trois régions. Indéniablement, l’Occident est moins touché. Cependant, l’Europe et les États-Unis ont dû faire face à une menace croissante et changeante, avec des attentats particulièrement sanglants, comme aux États-Unis en 2001, en Espagne en 2004, au Royaume-Uni en 2005, en France en 2015 et 2016. Autant de drames qui sont toujours très présents dans la mémoire collective.

Notes

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*Les données du Mozambique n’ont pas été inclues car les bases de données utilisées pour ce pays ne permettent pas de connaître ni les cibles ni les types d’attaques.

+ -

Certains attentats sont perpétrés en utilisant plusieurs types d’armes à la fois, notamment des explosifs et des armes à feu. Dans ces cas de figure, nous avons fait le choix méthodologique de ne pas les comptabiliser deux fois, et de ne les retenir que dans la catégorie «Explosifs».

Ex : «On 6 January 2023, Al Shabaab launched an attack against government security forces (SNA) base and took control over Hilowle Gaab village (Adan Yabaal, Middle Shabelle). The attack was initiated with IEDs, hand grenades, RPGs and followed by heavy exchanged of gunfire from both ends. Al Shabaab claimed killing 31 soldiers, injured several others and sized five vehicles».

« La guerre contre le terrorisme dure, elle, depuis plus de sept mille jours. La supériorité technologique et militaire des Occidentaux face aux djihadistes est encore plus flagrante qu’en 1991 face à l’armée irakienne. Et pourtant, les djihadistes ne sont pas demeurés spectateurs de leur défaite. Ils ont ingénieusement pratiqué l’escrime de la stratégie et appris à esquiver, fatiguer, feindre et rompre autant qu’à attaquer et menacer. Ils ne sont pas pour autant parvenus à rééditer un attentat aussi spectaculaire que celui du 11 Septembre, ni à conserver plus de quelques années une assise territoriale comparable à celle dont ils bénéficiaient en Afghanistan avant 2001. »

Marc Hecker, Élie Tenenbaum, La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle, Robert Laffont, avril 2021, introduction.

« L’estimation possible » devrait se situer entre 120.000 et 270.000 morts en tenant compte des victimes du terrorisme islamiste en Algérie, selon les hypothèses procédant des meilleures sources connues et des travaux les plus fiables.

Source :

*Les totaux peuvent ne pas être égaux à 100% en raison de l’arrondi à la première décimale.

Source :

*Les totaux peuvent ne pas être égaux à 100% en raison de l’arrondi à la première décimale.

*Les données du Mozambique n’ont pas été inclues car les bases de données utilisées pour ce pays ne permettent pas de connaître les cibles ou le type d’attaques.

Source :

*Les totaux peuvent ne pas être égaux à 100% en raison de l’arrondi à la première décimale.

Source :

*Les totaux peuvent ne pas être égaux à 100% en raison de l’arrondi à la première décimale.

* Lors de la première édition de cette étude, publiée en 2019, les attentats islamistes perpétrés au Royaume-Uni étaient comptabilisés dans la fiche Union européenne. Ce n’est plus le cas dans cette édition, suite à la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union le 31 janvier 2020.

Source :

Le Royaume-Uni a été retiré de la carte et des calculs pour l’UE du fait de l’effectivité du Brexit au 31 janvier 2020.

V Partie

Les pays les plus touchés (1979-avril 2024)

Notes

1.

Voir “Democracy Index 2023”, The Economist Intelligence Unit, 2020 [en ligne].

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2.

Voir “Muslim Population by Country”, Pew Research Center, 27 janvier 2011 [en ligne].

+ -

Sur la période étudiée, 85 pays ont subi au moins un attentat islamiste. Parmi ces pays, 18 sont des pays européens (19 en comptant la Russie). Parmi ces pays européens, 14 sont membres de l’Union européenne. Sur ces 85 pays, 33 sont des démocraties1. Grâce aux données rassemblées, on voit que, au cours des quarante dernières années, les pays les plus touchés par des attentats islamistes sont ceux qui ont connu des périodes de guerre : l’Afghanistan, la Somalie, l’Irak… La plupart des 85 pays victimes de la violence islamiste sont des pays pauvres.

Enfin, il faut noter que l’immense majorité (86,3%) des attentats islamistes ont été commis dans des pays musulmans. Par voie de conséquence, la plupart des morts provoquées par des attentats islamistes (88,9%) sont aussi enregistrées dans des pays musulmans. Ces chiffres sous-estiment la réalité puisqu’ils ne prennent pas en compte les attentats islamistes perpétrés dans des pays à majorité non musulmane où des populations musulmanes sont concentrées dans certaines provinces. La plupart des vies perdues sont donc celles de musulmans.2

Les 85 pays touchés par le terrorisme islamiste dans le monde (1979-avril 2024)

Source :

* Cette fiche pays ne peut pas prendre en compte les estimations de la décennie noire de 1991 à 2002 qui selon les sources varient entre 44.000 morts et 200.000 morts du terrorisme islamiste.

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