Les biotechnologies en Chine : un état des lieux
Introduction
Les biotechnologies, l’une des priorités du gouvernement chinois
Stratégies nationales et soutien financier public
Recrutement de talents
Transferts technologiques
Les biotechnologies en Chine : un état des lieux
La biomédecine, composante la plus importante des biotech en Chine
Le biomanufacturing et son attrait écologique
Les consommateurs plébiscitent le bio mais rejettent les OGM
Former des champions nationaux dans le domaine des semences
La rivalité sino-américaine dans le domaine des biotechnologies
La course à l’édition génomique
Controverses et perspectives pour le futur
Les controverses autour des biotechnologies chinoises
Quelles perspectives pour l’avenir ?
Conclusion
Résumé
Dans cette étude, Aifang Ma présente les stratégies et les programmes nationaux chinois en biotechnologie et propose un état des lieux de l’avancement du pays dans ses applications médicale, industrielle, énergétique et agricole. En tant que nouveau challenger sur la scène internationale, la Chine multiplie ses efforts pour concurrencer les États-Unis, leader dans le domaine.
Devenue une puissance incontournable, la Chine va cependant devoir trancher entre deux options, à savoir continuer à prioriser les avancées technologiques en reléguant la régulation des biotechnologies dans une position secondaire ou bien se donner le temps de réfléchir à la manière de cultiver un modèle alternatif de développement scientifique et technologique afin d’endiguer les éventuelles dérives éthiques.
Aifang Ma,
Doctorante et enseignante au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po.
Ayant parallèlement fait deux masters à Beijing Foreign Studies University et à Sciences Po Paris en Affaires Européennes, elle a successivement travaillé à l’UNESCO à Paris et à l’Ambassade de France en Chine à Beijing. Elle est l’auteure de L’intelligence artificielle en Chine : un état des lieux, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2018.
L'intelligence artificielle en Chine : un état des lieux
Des outils de modification du génome au service de la santé humaine et animale
Des plantes biotech au service de la santé du végétal et de l'environnement
OGM et produits d'édition du génome : enjeux réglementaires et géopolitiques
L'Affaire Séralini l'impasse d'une science militante
L'intelligence artificielle : l'expertise partout accessible à tous
Le numérique au secours de la santé
La blockchain, ou la confiance distribuée
Contester les technosciences : leurs raisons
Contester les technosciences : leurs réseaux
Introduction
Huo Shi Chuang Zao [société chinoise influente, spécialisée en économie biologique], Blue Book on the Development of Biomedical Industry in China 2017, 2017, p. 24.
Voir Gryphon Scientific et Rhodium Group, « China’s Biotechnology Development: The Role of US and other Foreign Engagement. A report prepared for the U.S.-China Economic and Security Review Commission », 14 février 2019, p. 14.
Ibid.
Le 5 octobre 2015, Tu Youyou, scientifique chinoise du Centre des sciences de la santé de l’université de Pékin, se voyait attribuer le « prix Nobel de physiologie ou médecine » pour avoir découvert l’artémisinine, remède particulièrement efficace contre le paludisme. Après avoir été couronnée par le prestigieux prix Albert-Lasker pour la recherche médicale clinique en 2011, elle devenait ainsi la première femme chinoise à recevoir le prix Nobel. Ce coup d’éclat a une nouvelle fois attiré le regard du monde entier vers la Chine. Même si les recherches de Tu Youyou s’inscrivent plutôt dans le cadre de la médecine traditionnelle, elles démontrent l’excellence de la formation des chercheurs chinois en biologie et pharmacologie, qui explique notamment les progrès spectaculaires que le pays a pu accomplir ces dernières années en matière de biotechnologies.
Dans les années 1980, le démarrage des recherches chinoises en matière de biotechnologie s’inscrit dans un contexte d’intensification de la compétition mondiale dans la recherche scientifique. Ayant pris un retard considérable par rapport aux pays industrialisés pendant les deux premières révolutions industrielles, la Chine, appauvrie par le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle, souhaite d’abord combler ses lacunes et aspire à dépasser un jour ses concurrents occidentaux. Plus de trente ans d’efforts acharnés après, la Chine est en partie parvenue à réaliser ses ambitions en construisant une véritable puissance technologique. Aujourd’hui le pays a même pris une avance considérable en matière d’édition du génome humain et peut se vanter de sa position privilégiée en matière de PD-1, de CAR-T cells, d’iRNA, de cellules-souches et d’inhibiteur IDO1. Comme l’indique un rapport préparé pour la U.S.-China Economic and Security Review Commission en février 2019, le volume de publications scientifiques réalisées par des chercheurs chinois s’est accru avec une vitesse annuelle de 20% entre 2007 et 20172. Le nombre de brevets biotechnologiques accordés à la Chine a dépassé celui des États-Unis entre 2011 et 2012 pour occuper la première place mondiale3.
Dans ce même rapport, les biotechnologies sont définies comme les progrès scientifiques et technologiques issus des découvertes et avancées en sciences de la vie. Cette définition inclut l’application des biotechnologies dans la médecine, l’agriculture et l’industrie. La présente note commence par présenter les stratégies et les programmes nationaux de la Chine en matière de biotechnologies. Des comparaisons avec d’autres pays du monde sont réalisées afin de saisir les progrès de la Chine dans ce domaine. Un état des lieux de l’avancement chinois en biotechnologies médicale, industrielle, énergétique et agricole est ensuite présenté. Puisque, à l’heure actuelle, les États-Unis disposent du plus grand marché et de la plus forte capacité d’innovation biotechnologique au monde, une attention particulière sera accordée à la rivalité sino-américaine. Enfin, de récents controverses et scandales sont analysés afin de mieux appréhender l’avenir du secteur des biotechnologies en Chine.
Les biotechnologies, l’une des priorités du gouvernement chinois
Depuis l’application de la politique de réforme et d’ouverture en 1978, le développement des technologies de pointe figure parmi les priorités du gouvernement chinois. L’objectif est de rattraper les pays industrialisés. Cette période marque de facto le démarrage officiel des biotechnologies.
Stratégies nationales et soutien financier public
Voir Guillaume Levrier, « Un scientifique chinois a-t-il fait naître les premiers bébés CRISPR ? », theconversation.com, 26 novembre 2018.
Contrairement à ce que certains chercheurs ont longtemps suggéré4, la Chine n’a pas attendu le neuvième plan quinquennal de développement économique et social (1996-2000) pour entamer ses recherches sur les biotechnologies.
Dans les années 1980, nombre de pays industrialisés mettent en place des plans ambitieux de développement scientifique et technologique, tels que le projet d’ordinateurs de cinquième génération au Japon (Fifth Generation Computer Project, FGCS) en 1982, l’initiative américaine de défense stratégique en 1983, ou encore l’initiative européenne Eureka en 1985.
Afin de répondre à ces initiatives étrangères et placer la Chine en position favorable dans la compétition internationale de la high-tech, en mars 1986, Deng Xiaoping, alors président de la commission militaire centrale de la Chine, rend public le Programme 863, soutenu par plusieurs scientifiques chinois de première importance : Wang Daheng, Wang Ganchang, Yang Jiachi et Chen Fangyun. Ce programme, mis en œuvre à partir de mars 1987, couvre quinze domaines scientifiques et technologiques, dont les biotechnologies. Sur ce dernier domaine, les travaux scientifiques chinois se focalisent alors sur la recherche et développement (R&D) des biotechnologies en médecine et en agriculture, comprenant l’ingénierie génétique, la vaccination, la génothérapie et le développement de nouvelles variétés animales et végétales à haut rendement.
Wuhan Coronavirus (2019-nCoV), Global Cases by Johns Hopkins CSSE, 4 février 2020.
Voir « 13e plan quinquennal de développement économique et social (2016-2020) », adopté par la 4e session de la 12e Assemblée nationale populaire, mars 2016, p. 39-40.
Ministère de l’Industrie et de la Technologie informatique (MIIT), Commission nationale du développement et de la réforme (NCDR), ministère de la Science et de la Technologie, ministère du Commerce, Commission nationale de la santé et de la planification familiale, et China Food and Drug Administration (le CFDA relève aujourd’hui des compétences de l’Administration d’État pour la régulation du marché, institution créée le 21 mars 2018), « Guide de développement de l’industrie pharmaceutique », 7 novembre 2016.
Ministère de la Science et de la Technologie, Commission nationale de la santé et de la planification familiale, China Food and Drug Administration (CFDA), Administration nationale de la médecine traditionnelle chinoise (National Administration of Traditional Chinese Medicine), et Département de la fourniture logistique de la Commission militaire centrale, « Plan spécifique dédié à l’innovation scientifique et technologique de la santé sous la période du 13e plan quinquennal », mai 2017, numéro 147.
Voir Commission nationale de la réforme et du développement, « 11e plan quinquennal du développement des biotechnologies », avril 2007.
Voir UBS, China’s Biotech Revolution. Shifting Asia, août 2018, p. 11.
Conseil des affaires d’État, « Plusieurs mesures visant à accélérer le développement des industries biologiques », juin 2009.
Huo Shi Chuang Zao, op. cit., p. 4.
UBS, op. cit., p. 7.
En dehors de la compétition internationale, cette attention intense accordée aux biotechnologies s’explique également par la nécessité de protéger les habitants chinois contre des crises de santé publique. Dix-sept ans après avoir réussi à effectivement contrôler le SARS (Syndrome respiratoire aigu sévère), depuis décembre 2019, la Chine se trouve une nouvelle fois dans l’œil du cyclone. Originaire de Wuhan, chef-lieu de la province du Hubei, le coronavirus s’est propagé à plusieurs mégapoles du pays. Au 3 février 2020, 361 morts et 17.222 infections ont été recensées en Chine5. Transporté par des voyageurs internationaux, des cas de contamination ont déjà été signalés dans une vingtaine de pays. Vu la gravité de la situation actuelle, l’Organisation Mondiale de la Santé a estimé que la menace liée au coronavirus était « très élevée » en Chine, et « élevée » aux niveaux régional et international.
Le développement des biotechnologies, surtout de la biomédecine, permettrait à la Chine d’être mieux équipée pour lutter contre les épidémies et réduire les dégâts humains que celles-ci entraînent.
Les biotechnologies deviennent ainsi un sujet récurrent dans un grand nombre de plans nationaux. L’importance du secteur est officiellement affichée à partir du neuvième plan quinquennal et des lignes directrices sur les objectifs à long terme d’ici à 2010, qui précisent que la Chine doit appliquer la stratégie de « grande puissance par la science et l’éducation » (ke jiao xing guo zhan lüe). L’objectif est de faire des progrès importants dans l’industrialisation des secteurs high-tech tels que le génie biologique. Les biotechnologies figurent sur la liste des disciplines émergentes auxquelles l’État prévoit d’accorder un soutien financier important. L’importance de l’agriculture biologique, qui doit contribuer au projet national de semences (zhong zi gong cheng), est particulièrement mise en avant.
Si la Chine imite les biotechnologies de pays industrialisés jusqu’à la période du onzième plan quinquennal (2006-2010), elle investit depuis plusieurs années dans l’innovation de nouveaux produits. Lors du douzième plan quinquennal (2011-2015), les biotechnologies figurent parmi les sept industries émergentes stratégiques. Les priorités de développement comprennent les médicaments, le génie biomédical, l’agriculture et le biomanufacturing. D’ailleurs, la Chine encourage les fusions-acquisitions dans le secteur biotechnologique pour former des grandes entreprises compétitives au niveau international. Le douzième plan quinquennal de développement des industries émergentes stratégiques, publié par le Conseil des affaires d’État, en décembre 2012, fixe des objectifs quantifiables dans les domaines des biotechnologies médicale, agricole, et industrielle à échéance de 2015 et 2020. Ainsi, au niveau de la biotechnologie médicale, il est prévu qu’en 2020 la Chine figure parmi les pays avancés, notamment en ce qui concerne l’ingénierie génétique, la vaccination, l’ingénierie des anticorps et la R&D des équipements de diagnostic et de traitement à haute performance. Pour l’agriculture biologique, toujours pour 2020, une ou deux entreprises semencières chinoises doivent figurer dans le top 20 des entreprises semencières mondiales. En outre, dix à quinze entreprises chinoises de produits biologiques agricoles doivent être compétitives à l’international. Quant au biomanufacturing, le pourcentage des produits biosourcés dans la totalité des produits chimiques doit s’élever à 12% en 2020. Il est prévu que le niveau technologique et le chiffre d’affaires de l’industrie chinoise de la fermentation biologique soient dans le peloton de tête au niveau international.
Le treizième plan quinquennal (2016-2020) marque le renforcement de la capacité d’innovation du pays en biotechnologies, réalisé à travers l’application de plusieurs programmes stratégiques de grande ampleur tels que « Innovation comme leitmotiv » (chuang xin qu dong), « Entrepreneuriat et innovation par tous » (da zhong chuang ye, wang zhong chuang xin), « Talents en priorité » (ren cai you xian), « Grande puissance en manufacturing » (zhi zao qiang guo) et « Chine en bonne santé » (jiang kang zhong guo). Le budget consacré à la recherche scientifique doit passer de 2,1% du PIB en 2015 à 2,5% en 2020. Le secteur des biotechnologies est considéré comme une industrie stratégique nationale et ses objectifs incluent le développement de la biologie synthétique et de la médecine régénérative, l’application en grande envergure de la génomique, la construction de plateformes de bases comme la banque de gènes et la banque de cellules, et le développement d’échelle d’une nouvelle génération de produits et de services biologiques, y compris la médecine personnalisée, des médicaments innovants et l’élevage biologique6. Un guide de novembre 2016 dispose que les priorités de l’industrie pharmaceutique sont le développement de médicaments biologiques, de nouveaux types de vaccins, de thérapies cellulaires et de la bio-impression 3D7. De même, des objectifs quantifiables ont été fixés dans un document publié en mai 2017 : la Chine doit accomplir la R&D de 20 à 30 médicaments innovants et créer entre 20 et 30 marques de médicaments avec une influence internationale8.
L’importance des biotechnologies est fondamentale. Au XXIe siècle, il est fort probable qu’elles remplaceront le numérique pour devenir le nouveau pilier de l’économie mondiale. Selon le onzième plan quinquennal du développement des biotechnologies, le secteur biotechnologique doit atteindre 4% du PIB chinois en 2020, pour devenir l’une des industries dominantes de l’économie nationale9. De par leur importance stratégique, les projets de recherche biotechnologiques voient le budget étatique qui leur est affecté s’accroître. À partir du douzième plan quinquennal, la Chine a créé des fonds spécifiques pour soutenir les industries émergentes stratégiques, dont font partie les biotechnologies. Le soutien gouvernemental se traduit également par le fait que l’État achète en priorité les produits biologiques fabriqués par des entreprises chinoises, en conformité avec la loi sur l’approvisionnement gouvernemental.
Les entreprises biologiques bénéficient de traitements préférentiels en matière de politiques budgétaires et fiscales. En avril 2017, le ministère des Finances a annoncé la suppression des droits de douane sur les thérapies anti-cancer importées de l’étranger10. Selon la réglementation chinoise, les frais que les entreprises biologiques engagent dans la R&D de nouveaux produits, technologies et procédés sont déduits de leurs revenus imposables. De plus, lorsqu’une entreprise biologique est considérée comme une entreprise high-tech, le taux d’imposition qui lui est appliqué est de 15%11, alors que ce chiffre s’élève à 25% pour les entreprises non high-tech, quel que soit le secteur dans lequel ces dernières s’engagent.
Le soutien tous azimuts de l’État aux industries biologiques constitue pour la Chine un avantage décisif par rapport aux États-Unis et aux pays européens car le secteur biologique se caractérise par des risques élevés, une longue période de R&D et, surtout, un faible taux de réussite. Prenons l’exemple de la biopharmaceutique. Il est estimé que les entreprises investissent en général 23,8% de leur budget dans la R&D des médicaments biologiques, chiffre largement supérieur aux entreprises de médicaments génériques, qui investissent en moyenne 7,6%. Le coût du développement d’un nouveau produit est d’environ 300 millions de dollars. Alors que le délai de R&D d’un médicament biologique est de dix à quinze ans, le taux de réussite se stabilise entre 5% et 10% seulement12. En plus du soutien financier public, les investissements privés sont en plein essor. En 2016, le capital-risque et le capital-investissement dans la santé atteignaient les 20 milliards de dollars en Chine. Ce chiffre est estimé à 30 milliards de dollars en 201713.
La Chine a pour ambition de franchir un pas qualitatif sur la période du treizième plan quinquennal, estimant que les conditions pour y parvenir sont réunies. Le tableau ci-dessous présente des objectifs quantifiables que le pays doit réaliser en 2020.
Objectifs quantifiables du secteur biotechnologique d’ici à 2020
Source :
Fondation pour l’innovation politique, 2020.
Recrutement de talents
Haigui (海龟) signifie « tortue de mer » dans la langue chinoise. Ce terme désigne les étudiants chinois qui font leurs études à l’étranger et qui retournent en Chine une fois leur cursus achevé.
Comité central du Parti communiste chinois, Conseil des Affaires d’État, « Plan national de développement de talents à moyen et long terme », 2010.
Voir « Quel est le traitement dont bénéficient les chercheurs Chang Jiang ? Un regard sur le revenu et les traitements des chercheurs Chang Jiang en 2018 » (en chinois), aizhcj.com, 22 novembre 2018.
UBS, op. cit., p. 12.
La Chine ambitionne de s’imposer comme une grande puissance d’économie biologique. Ses objectifs sont fixés dans le plan national de développement des biotechnologies à moyen et long termes (2006-2020). Pour 2020, les contributions des technologies au PIB doivent atteindre au moins 60% et la dépendance de la Chine vis-à-vis des technologies étrangères ne doit pas dépasser les 30%. Le pays prévoit également de figurer parmi les cinq pays les plus brevetés du monde. Les travaux scientifiques chinois doivent être au moins les cinquièmes les plus cités au monde.
Afin de pouvoir réaliser ces objectifs, le recrutement de talents de haut niveau est indispensable. De nombreuses politiques nationales et régionales ont été proclamées afin d’encourager les étudiants chinois à retourner en Chine et y faire carrière. Selon les données révélées à l’occasion du Forum international de la médecine biologique de 2014 à Wuhan, chef-lieu de la province du Hubei, les haigui14 représentent 30% des chercheurs chinois travaillant dans les biotechnologies.
Pour attirer des talents en biotechnologies, un grand nombre d’initiatives d’incitation sont successivement rendues publiques, telles que le « Plan de cent talents » (bai ren ji hua) en 1994, le « Fonds national de science pour les jeunes chercheurs distingués » (guo jia jie chu qing nian ke xue ji jin) en 1994, le « Chang Jiang Scholars Program » (chang jiang xue zhe jiang li ji hua) en 1998, le « Programme de recrutement d’experts globaux » (qian ren ji hua, hai wai gao ceng ci ren cai yin jin ji hua) en 2008, le « Plan de développement de jeunes talents » (qing nian ying cai kai fa ji hua) et le « Plan de promotion des talents d’innovation » (chuang xin ren cai tui jin ji hua) en 2011, et le « Plan des 10.000 talents » (wan ren ji hua) en 2012. Répondant à des initiatives nationales, des projets similaires sont proclamés au niveau provincial. L’objectif final est de former pour 2020 plus de 5 millions de talents dans les secteurs d’une importance stratégique pour la Chine, dont les biotechnologies15.
Dans le cadre de ces programmes, les chercheurs sélectionnés travaillent dans des conditions confortables et bénéficient de traitements privilégiés en termes de logement, de mobilité ou de fonds de recherche. Par exemple, le recrutement par l’université des Transports de l’est de Chine de chercheurs issus du programme Chang Jiang, lancé conjointement en 1998 par le ministère de l’Éducation et la Li Ka Shing Foundation, s’est fait moyennant un salaire annuel de 1,6 million de yuans (environ 232.600 dollars), des subventions au logement et aux installations pour 3 millions de yuans (environ 436.100 dollars), un fonds de recherche de démarrage de 4 millions de yuans (environ 581.500 dollars), un logement gratuit pour deux ans, ainsi qu’une aide au conjoint(e) dans la recherche d’emploi16.
L’attractivité de ces initiatives incitatives est évidente et se traduit en chiffres. Sur la période 2012-2018, on estime que sur les 2 millions d’étudiants retournés en Chine pour travailler, 250.000 travaillent dans le secteur biologique17. De plus, un grand nombre de professionnels biomédicaux, à l’instar de Tong Youzhi, PDG de Souzhou Kintor Pharmaceuticals, sont retournés en Chine pour créer leur propre start-up.
Certaines mesures d’incitation s’appliquent également aux chercheurs étrangers. Les récents projets d’introduction de talents, tels que le Programme de recrutement d’experts globaux, leur sont ouverts. D’ailleurs, s’ils obtiennent un titre de séjour permanent, les chercheurs étrangers deviennent éligibles au « Plan des 10.000 talents ». Il en va de même pour des chercheurs venus de Taiwan, de Hongkong ou de Macao et qui ont travaillé en Chine pendant plus d’un an. Les entreprises chinoises n’hésitent pas à recruter des chercheurs étrangers de haut niveau et leur proposent des rémunérations avantageuses. Steven Schweller et David Howe, respectivement spécialisés en médecine régénérative et thérapies par cellules-souches, sont des conseillers appréciés de la société chinoise RE-Stem Biotech, située à Suzhou, dans la province du Jiangsu. Parmi les vingt nouvelles politiques de talents appliquées par le parc scientifique de Zhongguangcun, appelé aussi Silicon Valley de Chine, l’une d’entre elles dispose que les experts étrangers invités par les établissements du parc peuvent demander un visa de cinq ans avec entrées multiples. La Chine compte sur cette synergie de chercheurs chinois et internationaux pour porter le développement des biotechnologies au plus haut niveau.
Transferts technologiques
Voir Gryphon Scientific et Rhodium Group, art. cit.
UBS, op. cit., p. 4.
Natalie Chiu, « Contract Research Organization (CRO) Industry Report 2017 », Global Newswire, 23 octobre 2017.
Research in China, « China Contract Research Organization (CRO) Industry Report (2019-2025) », mars 2019.
Ibid.
Ibid.
Gryphon Scientific et Rhodium Group, art. cit., p. 21.
Voir WuXi Biologics, « WuXi Biologics Reports Outstanding Interim Results », wuxibiologics.com, 20 août 2019.
Bien que des progrès spectaculaires aient été réalisés par la Chine dans les biotechnologies, surtout en termes d’édition génomique, de CAR-T cells, d’immunothérapie et de recherche en cellules-souches, la taille du marché chinois ne représente que 10% du marché américain18. Alors que la Chine dispose du deuxième plus grand marché pharmaceutique au monde, les médicaments biologiques ne représentent que 12% du marché des médicaments chinois19. Dans ce contexte, le pays a un immense besoin de renforcer sa capacité d’innovation, d’autant plus que la demande en produits biologiques ou produits fabriqués avec des procédés biologiques est particulièrement forte. Le transfert technologique est un moyen efficace pour y parvenir. Il peut se réaliser sous plusieurs formes. En plus des initiatives nationales pour faire revenir les étudiants ayant étudié à l’étranger, la Chine encourage le transfert de biotechnologies sous forme de fusion-acquisition, de Contract Research Organisation (CRO) et de Contract Manufacturing Organization (CMO). Ces nouvelles formes de transfert technologiques sont retenues car, avec l’adoption de la nouvelle loi sur les investissements étrangers le 15 mars 2019, il est désormais interdit de recourir à des mesures administratives pour obliger les entreprises étrangères à faire des transferts technologiques vers leurs homologues chinoises.
La fusion-acquisition est une pratique officiellement encouragée en Chine, dans le but de former des champions biotech nationaux de premier plan sur la scène mondiale et d’élever le niveau technologique des entreprises chinoises. Dans le treizième plan quinquennal de développement des biotechnologies, l’un des objectifs est de former au moins vingt entreprises biotechnologiques dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 10 milliards de yuans (environ 1,4 milliard de dollars). En 2020, il est prévu que des provinces pilotes et des bases industrielles phares aient été formées. L’année 2017 a vu l’acquisition de Syngenta, entreprise suisse spécialisée en produits phytosanitaires et semences, par l’entreprise d’État chinois ChemChina (China National Chemical Corporation) pour un montant total de 43 milliards de dollars, ce qui constitue à ce jour l’acquisition la plus importante en Chine. Celle-ci permet à l’empire du Milieu non seulement d’avoir accès au marché européen, mais également d’utiliser les semences brevetées de Syngenta, particulièrement importantes pour assurer le rendement des agriculteurs chinois. L’adoption de la stratégie de fusion-acquisition par le gouvernement chinois est motivée par des pratiques internationales et les résultats positifs qu’entraînent ces dernières. La fusion de Sanofi et d’Aventis a ainsi donné lieu à la formation du plus grand groupe européen de fabrication de médicaments et la position de leadership mondial de la société américaine Pfizer au niveau du secteur pharmaceutique au début des années 2010 s’explique par de nombreuses acquisitions importantes (Warner-Lambert en 2000, Pharmacia en 2003, Wyeth en 2009).
Le transfert technologique peut aussi se réaliser sous formes de CRO et de CMO. Les organisations CRO, sollicitées par de nombreuses entreprises pharmaceutiques et fabricants d’équipements médicaux, offrent des services externalisés pour les études préclinique et clinique. La plupart des CRO du monde sont basées aux États-Unis, mais le marché chinois est en pleine expansion. Environ 400 sur 1.100 CRO du monde sont implantées en Chine20, avec une taille de marché atteignant les 68,7 milliards de yuans (environ 9,9 milliards de dollars) en 201821. L’équipe Research in China estime que ce chiffre pourrait s’élever à 242,5 milliards de yuans (environ 35 milliards de dollars) en 202522. Le pays compte plusieurs CRO réputées, dont WuXi AppTec, Pharmaron, Medicilon, Shanghai ChemPartner, Tigermed et Joinn Laboratories. Parmi celles-ci, WuXi AppTec est particulièrement compétitive au niveau international. Spécialisée dans la R&D des médicaments chimiques à petites molécules, l’entreprise est parvenue à détenir 10,1% des parts de marché global en 201823. La Chine a de fortes chances de voir ses CRO occuper des parts de marché encore plus importantes à l’avenir en raison du coût de R&D raisonnable, de politiques publiques favorables, d’un environnement de régulation souple et de capacités de recherche croissantes.
S’agissant de la CMO, des progrès spectaculaires ont été constatés à partir de février 2016, moment où la Chine a introduit le système d’autorisation de mise sur le marché (Marketing Authorization Holder System, MAH) afin que le pays s’aligne sur les pratiques internationales. D’abord testé dans dix provinces et municipalités, le MAH s’est généralisé dans tout le pays en 2018. Selon ce système, l’autorisation de production et celle de mise sur le marché sont gérées séparément. Le titulaire d’une autorisation de commercialisation peut choisir de produire un médicament par lui-même ou de faire appel à d’autres producteurs. Alors qu’avant 2016 les entreprises chinoises ne pouvaient pas faire appel aux CMO, l’introduction de la MAH a donné un véritable coup de pouce à l’essor du biomanufacturing. Aujourd’hui, la Chine est devenue le deuxième pays le plus important en CMO, juste derrière les États-Unis24. Au cours de ces dernières années, un grand nombre de CMO chinoises sont ainsi apparus et ont connu une expansion étonnante. Créée en 2011 et basée à Pékin, AutekBio, est ainsi la première CMO de l’empire du Milieu et WuXi Biologics, spécialisée dans la production de vaccins et cotée à la Bourse de Hongkong, a enregistré une hausse de 52,4% de ses revenus de 2018 à 201925. D’autres entreprises, y compris North China Pharmaceutical, Tasly Pharmaceutical, WuXi AppTec, ChemPartner, JHL Biotech and 3S Guojian, ont aussi développé des capacités de biomanufacturing importantes.
Les biotechnologies en Chine : un état des lieux
La biomédecine, composante la plus importante des biotech en Chine
Voir Laura, « La Chine va améliorer la lutte contre le cancer, l’augmentation du nombre de cas coûtant plus de 220 milliards de yuans par an », china.org.cn, 27 février 2019.
Huo Shi Chuang Zao, op. cit., p. 20.
Huo Shi Chuang Zao, op. cit., p. 10. Le taux de change utilisé est basé sur le cours du 20 janvier 2020, soit 1 dollar est égal à 6,86 yuans.
Gryphon Scientific et Rhodium Group, art. cit., p. 13.
David Cyranoski, « CRISPR gene editing tested in a person », Nature, vol. 539, n° 7630, 15 novembre 2016, p. 479.
UBS, op. cit., p. 17.
Ibid.
Voir Aifang Ma, L’intelligence artificielle en Chine : un état des lieux, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2018.
Eurnet, « La forte poussé des entreprises pharmacentiques chinoises : recensement de 30 entreprises pharmaceutiques innovantes de Chine » (en chinois), baijiahao.baidu.com, 26 janvier 2018.
En Chine, les médicaments innovants sont ceux qui n’ont été approuvés nulle part dans le monde, ceux dont les sites de production vont être transférés en Chine, ceux qui sont utilisés pour traiter le sida, les hépatites virales et les maladies rares, ainsi que les médicaments génériques nouvellement lancés.
Voir UBS, op. cit., p. 7.
Voir Bill Wang et Davidson Alistair, « An overview of major reforms in China’s regulatory environment », Regulatory Rapporteur, vol. 14, n° 7-8, juillet-août 2017, p. 5-9.
La biomédecine est apparue dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec la production du premier vaccin atténué par Louis Pasteur contre le choléra des poules. La découverte de la pénicilline en 1928 par Alexander Fleming marque une autre étape majeure dans l’exploration humaine de la biomédecine. Utilisant une source biologique comme matière première du principe actif ou des procédés biologiques dans la production, les biomédicaments sont censés être plus précis et avec une qualité optimisée. Ils sont surtout efficaces dans le traitement des maladies liées au vieillissement.
Le développement de la biomédecine revêt aujourd’hui une importance particulière pour la Chine principalement pour deux raisons. D’une part, le taux d’incidence de cancers des Chinois est bien supérieur à celui des pays industrialisés et l’espérance de vie pour des personnes atteintes d’un cancer est bien plus faible. Jusqu’en 2015, le taux de survie relative à cinq ans d’individus atteints de cancers du sein, de la thyroïde, et de la prostate en Chine était respectivement de 82%, 84,3% et 66,4%, alors que ces chiffres étaient généralement supérieurs à 95% dans les pays industrialisés26. Le développement de la biomédecine peut donc permettre à l’empire du Milieu de satisfaire les besoins de la population à un prix abordable, en réduisant la dépendance aux médicaments biologiques étrangers. D’autre part, la Chine a annoncé en 2016 un plan national intitulé Healthy China 2030. Dans ce document, elle s’est fixée comme objectif la réduction du nombre de morts dues aux maladies chroniques de 33% d’ici à 2030. Avec la hausse du nombre de personnes âgées, la biomédecine a le potentiel pour aider le pays à relever ce défi.
La biomédecine demeure la composante la plus importante des biotechnologies en Chine, avec un taux de croissance atteignant + 16%, la plus rapide au monde27. La valeur du marché chinois de la médecine biologique était de 121,1 milliards de yuans (17,6 milliards de dollars) en 2015, de 134,4 milliards de yuans (19,6 milliards de dollars) en 2016, et de 145,8 milliards de yuans (21,2 milliards de dollars) en 201728. Si l’on prend en considération le fait que la valeur totale du marché biologique (tous secteurs biotech confondus) était de seulement 2,8 milliards de dollars29, il est encore plus facile de se rendre compte de la rapidité de l’expansion de la biomed chinoise. D’ailleurs, le pays a réussi à créer plusieurs centres de biomédecine où des entreprises biologiques forment un écosystème complet. On pense par exemple au Parc scientifique de Zhongguancun ; à la Vallée de la pharmacie de Zhangjiang, à Shanghai ; au BioBay, à Suzhou ; à la Base nationale de l’industrie biologique de Wuhan (Biolake) ; au Guangzhou International Biotech Island ; ou encore au Parc des sciences de la vie de Tianfu, à Chengdu. Cette concentration des entreprises de biomed a produit des effets bénéfiques, tels que l’optimisation dans l’utilisation des ressources naturelles, l’amélioration de l’expertise ou les économies d’échelle.
Fruits de plusieurs années de développement, plusieurs entreprises biopharma avant-gardistes ont vu le jour : BeiGene, Hengrui, Fosun Pharma, WuXi App Tec, GenorBio, Qilu Pharmaceutical, 3SBio, Innovent Biologics, Hisun Pharmaceutical, Zhangjiang Biotech, pour n’en citer que quelques-unes. La Chine a vu ses entreprises et ses instituts de recherche développer une expertise pointue. Alors que Legend Biotech et le CARsgen Therapeutics sont connus pour les CAR-T cells, Fosun Pharma, basée à Shanghai, s’est spécialisée dans le diagnostic et le traitement des hépatites virales, du diabète, du cancer et du paludisme. En octobre 2016, un groupe associé à l’université du Sichuan a utilisé le CRISPR dans un essai clinique sur un être humain. C’est la première fois, à l’échelle mondiale, que la technique CRISPR était appliquée à l’homme30. Le niveau de développement de l’édition du génome humain est très élevé en Chine. Ce n’est donc pas une surprise si elle dispose du deuxième plus grand marché génomique du monde. Selon les données de la China Food and Drug Administration (CFDA), 171 anticorps monoclonaux sont en cours de développement dans le pays, soit plus de 20% de la totalité du monde31. D’ailleurs, l’exploration de seize sur cinquante inhibiteurs de point de contrôle immunitaire se déroule également en Chine32. La R&D des inhibiteurs revêt une signification particulière pour contenir le développement de cancers puisque les inhibiteurs peuvent bloquer les protéines qui empêchent le système immunitaire d’attaquer le cancer.
En Chine, les cinq domaines prioritaires de la biomédecine sont :
– le développement de nouveaux types de vaccins et l’amélioration de vaccins traditionnels ;
– l’industrialisation des médicaments anticorps et des médicaments protéiques ;
– le développement de technologies de diagnostic et de détection de maladies graves ;
– la génothérapie et la cellulothérapie ;
– la R&D en médecine régénérative.
Il est fort probable que le pays réalise des avancées significatives dans ces domaines au regard de la facilité accrue qu’ont les entreprises chinoises à obtenir des financements sur le marché boursier et de la mise en place d’un cadre institutionnel favorable à l’innovation. En ce qui concerne la facilitation d’obtention de financements, la poussée des CRO et des CMO chinoises a réduit le nombre de risques encourus par les entreprises et les investisseurs. D’ailleurs, l’application de l’intelligence artificielle et des robots à des fins médicales a attiré les investissements des géants numériques33. Depuis ces dernières années, en plus de Hengrui qui, en tant qu’entreprise pionnière de biopharmaceutique en Chine, a une capitalisation boursière de plus de 28,29 milliards de dollars, des entreprises de moindre taille ont également réussi à obtenir des investissements élevés. En janvier 2018, Zelgen, Kintor et Henlius ont toutes attiré des investissements à hauteur de plus de 14,14 millions de dollars34. Des petites entreprises, telles que Akesobio, Antengene, MicuRX Pharmaceuticals, qui se font remarquer par leurs performances exceptionnelles, ont de fortes chances d’obtenir le soutien des institutions financières.
Quant à l’optimisation de l’environnement institutionnel en Chine, force est de constater que des changements de politiques significatifs ont eu lieu pour faciliter la mise sur le marché de médicaments innovants. Suite à la publication du plan national Made in China 2025, un grand nombre de politiques concrètes ont été annoncées. En février 2016, la CFDA a mis en place un nouveau système de classification permettant d’analyser prioritairement les médicaments innovants. Le délai d’examen se trouve raccourci de six mois35. Ainsi, 9 médicaments innovants sur 35 approuvés entre janvier et octobre 2017 ont pu être lancés sur le marché beaucoup plus rapidement que d’habitude36.
Parallèlement, le nombre d’examinateurs est passé de 60 à 200 en 2016 et va encore augmenter dans les prochaines années37. Depuis mars 2017, les médicaments innovants importés de l’étranger sont susceptibles d’être approuvés en Chine sans avoir à passer toutes les étapes d’essais cliniques. Afin d’améliorer leur accessibilité pour les patients, l’État a opté pour un système de subventions. En 2017, parmi les 340 médicaments nouvellement ajoutés sur la liste nationale des médicaments remboursables, on comptait de nombreux produits biologiques onéreux, ce qui montre, entre autres, la volonté du gouvernement chinois de favoriser la biomédecine, quitte à s’acquitter d’une facture importante.
Le biomanufacturing et son attrait écologique
Voir Dabo Guan et al., « Structural decline in China’s CO2 emissions through transitions in industry and energy systems », Nature Geoscience, vol. 11, n° 8, août 2018, p. 551-555.
Voir Éric de La Maisonneuve, Les Défis chinois. La révolution Xi Jinping, Éditions du Rocher, 2019.
Énergie renouvelable tirée de la transformation chimique de la biomasse (par exemple issue de déchets organiques, de la production de matière organique par les arbres, de la conversion de certains produits agricoles, de la conversion photosynthétique d’énergie solaire ou encore de l’algoculture).
Tim Buckley, Simon Nicholas et Melissa Brown, China 2017 Review. World’s Second-Biggest Economy Continues to Drive Global Trends in Energy Investment, Institute for Energy Economics and Financial Analysis, janvier 2018, p. 47.
International Renewable Energy Agency (Irena), Renewable Power Generation Costs in 2017, janvier 2018, p. 26.
Selon le treizième plan quinquennal de développement des biotechnologies (2016-2020), la fabrication de produits avec des procédés biologiques permettra d’économiser entre 20% et 50% d’énergie et de réduire de 20% à 60% l’impact sur l’environnement. Dans le contexte actuel marqué par un niveau de pollution environnementale élevé en Chine, l’utilité du biomanufacturing est incontestable. Une étude menée par le département des sciences de l’université de Tsinghua a ainsi montré qu’après avoir signé l’Accord de Paris sur le climat en 2015, les émissions du gaz à effet de serre en Chine se sont réduites chaque année entre 2014 et 2016. Les chercheurs estiment que si la Chine veut continuer sur cette voie, des changements structurels industriels sont nécessaires38. Étant donné l’immense potentiel écologique du biomanufacturing, l’utilisation industrielle des procédés biologiques à une plus grande échelle est vouée à contribuer grandement au développement durable de la Chine. Cette dernière étant le plus grand émetteur de gaz à effet de serre dans le monde (28% du CO2 mondial)39, les réductions des émissions chinoises doivent contribuer à l’amélioration de la planète dans son ensemble.
Le treizième plan quinquennal prévoit que la part des énergies non fossiles dans la production d’énergie primaire devrait passer de 15% en 2020 à 20% en 2030. Le développement des énergies biologiques joue un rôle essentiel dans la réalisation de cet objectif, et ce d’autant plus que la Chine se montre aujourd’hui capable de s’engager dans la production de bioénergie40. Le remplacement des énergies fossiles par les énergies biologiques atteint désormais l’équivalent de 33 millions de tonnes de charbon standard. En plus des avancées technologiques en la matière, le pays ne cesse d’augmenter son soutien financier public au développement des énergies renouvelables. Selon un rapport publié par l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA) en 2017, le gouvernement chinois a investi 44 milliards de dollars dans la production d’énergie propre, soit une augmentation de 12 milliards de dollars par rapport à 201641. La production de bioénergie chinoise bénéficie également de la réduction du coût de revient. Selon l’International Renewable Energy Agency (Irena), en 2020, la production des énergies renouvelables sera au même prix que celle d’énergies fossiles, voire moins chère42.
Capacité totale de production de bioénergie en Chine entre 2008 et 2018 (en mégawatts)
Source :
IRENA, Statista, 2019.
En développant des microbes qui engendrent des produits chimiques à un prix moins élevé et ayant un moindre impact environnemental, le biomanufacturing apparaît comme une industrie de l’avenir. Le gouvernement chinois favorise le développement de matériaux biosourcés, y compris les microbes industriels, les matières premières industrielles – telles que l’acide polylactique (utilisé dans les emballages alimentaires, pour les sutures chirurgicales ou l’impression 3D) et le succinate de polybutylène (utilisé pour les films et les emballages) –, le plastique dégradable, les fibres de biomasse et les biosolvants. L’objectif est de doter la Chine d’une industrie plus performante et de réaliser un développement durable de l’économie. Selon le douzième plan quinquennal de développement des nouvelles industries stratégiques, la part de produits biosourcés devra atteindre en 2020 12% du total des produits chimiques, et 30% de la production dans les secteurs de la chimie, de la teinture et du tonnage s’effectuera avec des méthodes biologiques. Pour réduire l’empreinte écologique, des procédés biologiques seront utilisés dans la production chimique, l’industrie légère et le secteur textile.
Voir Ruiyan Wang et al., « Bioindustry in China: an overview and perspective », New Biotechnology, vol. 40, Part. A, janvier 2018, p. 46-51.
Voir « La Chine veut étendre l’usage de l’éthanol carburant d’ici 2020 », capital.fr, 13 septembre 2017.
Conseil des Affaires d’État, « 12e plan quinquennal de développement des industries émergentes biologiques », 9 juillet 2012.
La Chine occupe aujourd’hui une position de leader mondial dans plusieurs procédés de production biologique. C’est notamment le cas de la fermentation biologique : en 2015, on estime qu’elle a fabriqué 24,3 millions de tonnes de produits basés sur ce procédé43. En 2017, la Chine est devenue le troisième plus grand producteur de carburant à l’éthanol, derrière les États-Unis et le Brésil, bien que la consommation y reste moins spectaculaire avec seulement 2,6 millions de tonnes par an. Dans un document dévoilé par la Commission nationale de la réforme et du développement le 13 septembre 2017, il est prévu que la Chine se dote d’une capacité de production annuelle de 4 tonnes de bioéthanol en 2020 et étende l’usage du carburant à l’éthanol à l’ensemble du pays44. L’utilisation de la biomasse devrait permettre une production d’électricité à hauteur de 30 millions de kilowatts avant 2020 et 50 milliards de mètres cubes de biogaz seront utilisés tous les ans45.
La Chine a aussi réalisé des progrès majeurs dans la production de produits chimiques d’origine biologique, y compris les enzymes, les acides organiques et les vitamines. La capacité de production d’enzymes industrielles en Chine était de 1,2 million de tonnes en 201446, mais elle a encore néanmoins un long chemin à parcourir en la matière car le marché mondial de l’enzyme reste dominé par des entreprises étrangères telles que BASF (allemande), Novozymes (danoise), DowDuPont (américaine), Associated British Foods (britannique) et Amano Enzyme (japonaise). Dans le domaine relativement récent de la biologie synthétique, la Chine n’hésite pas à s’investir mais reste débutante. En plus des 250 millions de yuans qui ont été consacrés au développement de la biologie synthétique à travers le Programme 973, la Chine accorde chaque année un budget public d’environ 260 millions de yuans47. Dans ce cadre, le laboratoire de biologie synthétique de l’Académie chinoise des sciences est un institut de recherche important pour porter la R&D chinoise au plus haut niveau.
Évolution du nombre de familles de brevets CRISPR par zone géographique (à partir de la date de priorité la plus antérieure, de 2002 à 2016)
Source :
Jacqueline Martin-Laffon, Marcel Kuntz et Agnès E. Ricroch, « Worldwide CRISPR patent landscape shows strong geographical biases », Nature Biotechnology, vol. 37, n° 6, p. 619, juin 2019.
Voir « The output of China’s biological industry will reach 1.5 trillion U.S. dollars in 2022 », ilbioeconomista. com, 10 novembre 2017.
Ibid.
Voir « Zhongliang Zhenghua: la plus grande entreprise chinoise de carburant à l’éthanol et l’une des premières entreprises chinoises pilotes de production de carburant à l’alcool » (en chinois), guba.eastmoney.com, 16 septembre 2017.
Ces dernières années, un grand nombre d’entreprises chinoises en biologie industrielle ont attiré l’attention mondiale grâce à leur expertise avancée. Parmi les indicateurs pouvant être utilisés pour mesurer le niveau de développement de l’industrie biologique, le nombre d’articles scientifiques publiés et de brevets déposés est assez révélateur. En 2016, 11 266 articles scientifiques sur le sujet ont été publiés en Chine48, notamment grâce à l’Académie chinoise des sciences, à l’université du Zhejiang et à l’université Jiangnan, devenues des centres de recherches pionniers. Entre 2014 et 2016, les scientifiques chinois ont déposé un total de 57 559 demandes de brevets biotech, représentant plus de 30% des demandes de brevet dans le monde49. Kaidi Eco, basée à Wuhan, est une entreprise spécialisée dans la production d’électricité d’origine biomasse. Leader incontestable des énergies renouvelables en Chine, l’entreprise dispose aujourd’hui de 40 centrales d’électricité biomasses réparties dans 22 provinces et régions autonomes de Chine50. La société Zhongliang Zhenghua, rattachée au groupe Zhongliang (China National Cereals, Oils and Foodstuffs Corporation, COFCO), est la plus grande productrice de carburant à l’éthanol en Chine. En plus d’une capacité de production annuelle de 1,2 million de tonnes de carburant à l’éthanol, Zhongliang Shenghua peut aussi produire 2 millions de tonnes de fécule de maïs, 1 million de tonnes de sucre d’amidon, 100 000 tonnes de lysine et 200 000 tonnes d’acide citrique51. La Chine dispose en même temps de nombreuses entreprises biologiques productrices d’enzymes industrielles, comme BlueStar Adisseo (le groupe BlueStar International est d’ailleurs la troisième entreprise la plus compétitive en silicium organique et acide aminé dans le monde).
Les consommateurs plébiscitent le bio mais rejettent les OGM
Gryphon Scientific et Rhodium Group, art. cit., p. 35.
Kai Cui et Sharon P. Shoemaker, « Public perception of genetically-modified (GM) food: A Nationwide Chinese Consumer Study », Science of Food, n° 2, art. 10, 5 juin 2018, p. 2.
Voir Zhang Zhulin, « Double jeu chinois sur les OGM», Le Monde diplomatique, n° 767, février 2018, p. 10-11.
Le concept d’agriculture biologique date des années 1920. C’est à cette époque que naissent de nouveaux courants de pensée reposant sur des principes éthiques et écologiques. Le terme d’agriculture biologique recèle en son sein les dimensions économique et écologique. Sur le plan économique, elle désigne une grande variété de techniques de génie génétique ou de sélection artificielle visant à améliorer la rentabilité de la production agricole, en augmentant la productivité par unité de production, en rendant les plantes et les animaux plus résistants aux maladies ou en formant de nouvelles espèces pour rapporter des bénéfices économiques. Sur le plan écologique, l’agriculture biologique désigne des méthodes de culture et d’élevage inoffensives pour l’environnement et pour la santé humaine, par exemple la non-utilisation des herbicides ou des engrais chimiques, ou les techniques d’abattage permettant de diminuer la souffrance animale. En Chine, le développement de l’agriculture biologique comprend plusieurs secteurs, parmi lesquels la sélection par la modification génétique, les vaccins pour animaux, les engrais biologiques, le fourrage biologique, le contrôle biologique des insectes, les pesticides et les herbicides biologiques. À l’heure actuelle, la sélection par la modification génétique est la technique la plus développée, la plus utilisée et qui a le plus grand potentiel de développement dans le futur.
La Chine a commencé à prêter une attention particulière à l’agriculture biologique, notamment à sa dimension économique, dans les années 1970. Après le mouvement du Grand Bond en avant de 1958 à 1960, la production agricole chinoise a été grandement endommagée, du fait d’une exploitation excessive de la terre arable et d’une mauvaise préservation des ressources agricoles. La Révolution culturelle n’a pas aidé à réparer la situation, la conséquence étant qu’un grand nombre de foyers ont alors manqué quotidiennement de nourriture. L’un des défis majeurs pour la Chine dans les années 1970 et 1980 était d’assurer la sécurité alimentaire de la population chinoise. Yuan Longping, surnommé le « père du riz hybride », a apporté des contributions exceptionnelles en la matière. En 1974, il a réussi à créer la première espèce de riz hybride dans la province du Hunan, en introduisant dans une espèce de riz cultivé un gène de stérilité mâle découvert chez un riz sauvage, permettant ainsi le croisement entre lignées pures. Cette expérimentation a entraîné une spectaculaire augmentation de la récolte à l’hectare. La production du riz hybride en Chine a respectivement atteint 700, 800, 900 et 1.000 kilos à l’hectare en 2000, 2004, 2011 et 2014, contribuant grandement à résoudre le problème de famine.
L’amélioration des espèces animales et végétales et la formation de nouvelles espèces à travers la modification génétique ont connu des progrès importants en Chine. Aujourd’hui, le pays est capable de créer un grand nombre de variétés OGM telles que le coton, le soja, la papaye, le riz, le maïs, la tomate, le piment, le tabac, le pétunia, le peuplier, etc. Le gouvernement chinois a fait des investissements importants dans la production de semences transgéniques. À travers le Key Scientific and Technological Grant of China for Breeding New Technology, l’État chinois a investi 24 milliards de yuans (environ 3,7 milliards de dollars) dans les projets OGM, y compris 585 projets de semences, afin de développer de nouvelles caractéristiques telles que la résistance aux insectes, aux maladies et au stress chez les animaux et les plantes52. Il n’en demeure pas moins que la culture et l’élevage des plantes et des animaux OGM constituent un sujet controversé en Chine. La société civile reste très réticente envers les produits OGM : les résultats d’une enquête montrent que seulement 11,9% des Chinois ont une perception positive des produits OGM, alors que 41,4% et 46,7% se déclarent respectivement neutres et défavorables envers ces mêmes produits53. Les réserves de la société chinoise expliquent la prudence de l’État dans la promotion des espèces OGM, malgré la volonté gouvernementale de faire avancer la recherche scientifique. Le 11 janvier 2018, un riz génétiquement modifié par des chercheurs chinois a été validé par les autorités américaines des aliments et des médicaments (Food and Drug Administration, FDA), mais il ne peut cependant pas être cultivé sur le sol chinois, à cause des difficultés à faire accepter le riz OGM par la population chinoise54.
Les inquiétudes des habitants vis-à-vis des produits OGM s’inscrivent dans la dimension écologique de l’agriculture biologique. Ces dernières années, plusieurs scandales alimentaires ont indigné les consommateurs chinois. En septembre 2008 a été révélé que le lait produit par le groupe Sanlu était frelaté. Jusqu’en décembre 2008, quelque 294 000 enfants en bas âge ont souffert d’un dysfonctionnement du système urinaire après avoir consommé de la poudre laitière contaminée55. De la mélamine a été identifiée dans des produits de vingt-deux autres groupes laitiers nationaux aussi reconnus que Yashili, Yili, Mengniu, Guangming, etc57. Plus récemment, en mars 2015, un autre scandale a éclaté dans la province du Fujian. Plusieurs individus ont acheté des cochons morts de maladie et des cochons malades pour les revendre à un prix avantageux. Ce type d’affaires a ainsi contribué à expliquer la popularité grandissante de l’agriculture biologique. Un mode de consommation alternatif émerge parmi les habitants, notamment ceux vivant dans les grandes métropoles et ayant un statut socio-économique élevé.
Voir Le Petit Journal Shanghai, « Où acheter du Bio en Chine ? », lepetitjournal.com, 6 mars 2018.
Voir Olivia Guerry, « Chine : l’essor de l’agriculture biologique », asialyst.com, 11 septembre 2015.
Ibid.
Aujourd’hui, la dimension écologique de l’agriculture biologique semble dépasser la dimension économique. Répondant aux préoccupations des citoyens chinois concernant l’hygiène et la sûreté des aliments, le gouvernement a créé des institutions de certification des produits biologiques, tels que le China Organic Food Certification Center (COFCC) et l’Organic Food Development and Certification Center (OFDC). La Certification and Accreditation Administration of China a accrédité de nombreux organismes57 et elle peut également attribuer des labels de produits organiques. Par la suite ont été créés deux systèmes labellisés, les « produits biologiques » (you ji shi pin) en 2002 et les « produits verts » (lü se shi pin) en 2006. Il est interdit d’utiliser des produits chimiques dans la production des aliments portant ces deux labels. Il est estimé que la production totale d’aliments bio en Chine a atteint 6,73 millions de tonnes en 2013, soit 2,4 fois plus qu’en 200558. Une grande variété de produits agricoles alimentaires est disponible à la consommation : riz, riz sauvage, soja, thé, miel, vin, chou chinois, gingembre, etc59. Les fruits bio, eux, sont relativement rares, étant donné que leur apparence rustique ne parvient pas toujours à attirer les consommateurs chinois.
Deux problèmes restent encore à résoudre. D’une part, étant donné le coût élevé de l’agriculture biologique, l’accès des habitants chinois aux produits verts reste très inégalitaire. D’autre part, la surface de l’agriculture biologique demeure faible par rapport à la surface agricole totale.
Former des champions nationaux dans le domaine des semences
Institut des hautes études pour la science et la technologie, « L’agriculture en Chine », juillet 2016, les dossiers de la médiathèque de l’IHEST, p. 36.
« La Chine, plus grand marché de la graine en 2015 », CCTV.com, 27 mai 2014.
Les expériences difficiles que la Chine a eues avec le manque de céréales avant les années 1980 expliquent aussi l’importance que le pays accorde à la culture de semences de bonne qualité. Plusieurs documents officiels ont été successivement publiés, notamment « Les Opinions du Conseil d’État sur l’accélération du développement de l’industrie moderne des semences céréalières en 2011 », le « Plan national sur l’augmentation de la capacité de production de semences de 100 milliards de kilogrammes 2009-2020 », le « Plan national de développement de l’agriculture moderne (2011-2015) », le « Plan national de développement de l’industrie des semences céréalières (2012-2020) » et l’adoption puis l’amendement de la loi sur les semences respectivement en 2000 et 2015. L’importance de l’industrie semencière est aussi soulignée dans le douzième plan quinquennal de développement des nouvelles industries émergentes stratégiques, en tant que composante importante du secteur des biotechnologies. Dans le but de former des champions nationaux dans le domaine des semences, l’État chinois encourage la fusion et acquisition des entreprises, le but étant de voir la part de marché des cinquante plus grandes entreprises passer de 30% en 2012 à 40% en 2015, puis à 60% en 202060. Les grandes entreprises semencières chinoises ont aussi été encouragées à réaliser des fusions et acquisitions au niveau international. En plus du rachat de Syngenta par ChemChina en 2016, on peut noter l’acquisition de Makhteshim Agan Industries par ChemChina en 2010 et d’Adama en 2011. En juin 2018, la Chine a annoncé la fusion entre ChemChina et SinoChem, créant ainsi un nouveau géant en agriculture biologique. La haute concentration du marché national des semences a permis à la Chine d’être extrêmement compétitive à l’international. En 2014, la télévision chinoise annonçait que la Chine dépasserait les États-Unis en 2015 en devenant le plus grand marché de commercialisation de semences agricoles du monde61.
La rivalité sino-américaine dans le domaine des biotechnologies
Voir Gryphon Scientific et Rhodium Group, art. cit., p. 2.
Voir Sacha Pouget, « La place des biotechs européennes dans le monde en 2019 », biotechbourse.fr, 27 juin 2019.
Ibid.
Voir « Le secteur des biotechs pèse désormais 1 000 milliards de dollars en Bourse », tradingsat.com, 2 juillet 2019.
Il existe une forte compétition mondiale dans le secteur des biotechnologies. Un grand nombre de pays ont adopté des plans ambitieux : le « National Bioeconomy Blueprint » par l’administration Obama aux États-Unis en 2012, « Une bioéconomie durable pour l’Europe : renforcer les liens entre l’économie, la société et l’environnement » par la Commission européenne en 2018, « Une stratégie bioéconomie pour la France » par le ministère français de l’Agriculture en 2016, la « National Policy Strategy on Bioeconomy » par le ministère allemand de l’Alimentation et de l’Agriculture en 2014, etc. Les États-Unis étant le leader mondial des biotechnologies, la comparaison sino-américaine est essentielle pour avoir une idée plus précise du niveau de développement des biotechnologies en Chine. Les points forts des Américains tiennent, entre autres, à la taille de leur marché biotech et au niveau de concentration des entreprises. Malgré une forte poussée du secteur biotechnologique dans l’empire du Milieu, la taille du marché chinois représente moins de 10% du marché américain62.
Selon une étude récente, 820 entreprises biotech dans le monde sont cotées en Bourse, cumulant une capitalisation boursière de 1.060 milliards de dollars. Parmi elles, 408 entreprises sont américaines, soit 52% de la valorisation globale. Les dix mastodontes américains, accaparent à eux seuls 482 milliards de dollars63, ce qui montre une concentration extrême du marché américain. Dans ce cadre, leurs entreprises bénéficient d’un écosystème favorable afin de partager ressources et infrastructures. En comparaison, seules 37 entreprises chinoises apparaissent sur la liste avec une capitalisation boursière atteignant 10,1% du niveau mondial64, inférieure à celle de la Corée du Sud. Néanmoins, en comparaison avec les entreprises européennes, les entreprises asiatiques semblent plus performantes : les entreprises coréennes et chinoises représentent 1,5 fois la valorisation totale des 159 entreprises biotech européennes65.
Répartition des 10 pays ayant le plus grand nombre d’entreprises biotech cotées en bourse
Source :
Factset, InFront – Données compilées par Sacha Pouget, 2019.
Voir « Pour promouvoir la médecine interventionnelle, ils se sont réunis et ils ont fait une chose importante ! » (en chinois), neusoftmedical.com, 4 août 2019.
La capacité d’innovation des entreprises américaines devance celle de la Chine en matière de médecine interventionnelle et d’implants médicaux. Créées il y a parfois très longtemps, les firmes Johnson & Johnson (1886), Medtronic (1949) et Boston Scientific (1979) peuvent se targuer d’une expertise avancée en la matière. En revanche, l’expérience chinoise en médecine interventionnelle est récente et la compétitivité des entreprises nationales reste à améliorer. C’est en 2006 que s’est tenu le premier forum de médecine interventionnelle en Chine et c’est seulement à la fin des années 2000 que les hôpitaux chinois ont commencé à avoir recours à la technique d’intervention mini-invasive d’une façon généralisée, grâce aux efforts acharnés de plusieurs experts chinois tels que Xinwei Han, directeur du service de médecine interventionnelle de l’Hôpital N° 1 affilié à l’université de Zhenzhou. La fabrication de produits de médecine interventionnelle en Chine demeure faible et 95% des produits sont importés de l’étranger66. Aujourd’hui, les entreprises chinoises, notamment Lepu Medical Technology et Neusoft, sont capables de produire les équipements de scan CT, d’imagerie par résonance magnétique (IRM) supraconductrice, d’angiographie par soustraction numérique (DSA), d’échographie, etc., mais la Chine a encore un long chemin à parcourir avant d’être un leader mondial dans ces domaines.
La course à l’édition génomique
Shu-Jing Jean Chen, « Genomic Dreams Coming True In China », forbes.com, 28 août 2013.
Ibid.
Gryphon Scientific et Rhodium Group, art. cit., p. 25.
Ibid., p. 26.
Huo Shi Chuang Zao, « Développement actuel de la technologie de diagnostic moléculaire en Chine », 15 octobre 2018.
Voir « Le deuxième jour s’est poursuivi à merveille : la 9e conférence sur les technologies de diagnostic moléculaire s’est achevée avec succès » (en chinois), sohu.com, 10 novembre 2018.
« Nature : la Chine utilise la médecine de précision à une grande échelle », 29 novembre 2017.
Voir Gryphon Scientific et Rhodium Group, art. cit., p. 25.
Voir UBS, op. cit., p. 15.
Voir Serge Soudoplatoff, Le numérique au secours de la santé, Fondation pour l’innovation politique, janvier 2019.
David Baverez, Paris-Pékin Express. La nouvelle Chine racontée au futur Président, Éditions François Bourin, 2017, p. 121.
Voir Philippine Robert, « Chine : son incroyable percée dans les technologies d’avenir », capital.fr, 25 juin 2018.
Cependant, grâce à une forte capacité en matière de séquençage du génome humain, la Chine est en train de prendre le dessus en ce qui concerne l’édition génomique par la technologie CRISPR-Cas9, le traitement des cancers par CAR-T cells, le diagnostic moléculaire et la médecine de précision. Créé en 1999, le Beijing Genomics Institute (BGI) est l’une des institutions les plus avancées au monde pour le séquençage du génome humain, ayant contribué au Human Genome Project. Conscient de l’importance du séquençage ADN, le gouvernement chinois a accordé en 2010 au BGI un prêt de 1,5 milliard de dollars à travers la Banque de développement de Chine67. On estime qu’avec 25% des services mondiaux en séquençage du génome (non seulement humain mais aussi végétal et animal), le BGI devance ses concurrents américains Illumina, le Broad Institute of Harvard et le MIT68. Parmi les autres acteurs importants que la Chine a formés dans le secteur de la génomique, on peut citer WuXi NextCode, Novogene ou encore CloudHealth Genomics, qui témoignent d’une grande capacité en matière de capitalisation boursière. Concernant la technologie CRISPR-9, jusqu’en février 2018, 9 études cliniques visant à tester la performance des cellules éditées via CRISPR dans le traitement des cancers et du VIH ont eu lieu en Chine, et 80 patients chinois ont reçu le traitement. En comparaison, sur la même période, on ne compte qu’un seul essai clinique CRISPR aux États-Unis.
Ces avancées exceptionnelles en génomique ont permis à la Chine d’atteindre des résultats encourageants en ce qui concerne la médecine de précision, notamment le diagnostic moléculaire. On estime que le marché chinois du diagnostic moléculaire s’est accru plus rapidement que le marché mondial70.
Alors que le marché mondial s’accroît à une vitesse annuelle de 11%, ce chiffre est de 24% pour le marché chinois71. Les entreprises chinoises telles que Haplo X Biotechnology, Singlera Genomics et CapitalBio Corporation ont développé une grande expertise : les deux premières en diagnostic du cancer utilisant la biopsie liquide et le ctmDNA (circulating tumor methylated DNA) et CapitalBio Corporation en technologies de biopuce. En outre, depuis sa première édition en juin 2010 à Pékin, la Conférence de la technologie du diagnostic moléculaire se réunit tous les ans pour favoriser les échanges d’expériences et de bonnes pratiques.
Ces dernières années, le State Food and Drugs Administration (SFDA) a approuvé l’utilisation de plusieurs outils de diagnostic moléculaire, y compris une puce de détection du gène responsable de la surdité héréditaire, des biopuces pour l’identification des espèces mycobactériennes et des biopuces de détection de gènes résistant aux médicaments antituberculeux. L’Institut chinois de test des médicaments et des produits biologiques a établi une liste de 35 types de produits standards pour la détection des micro-organismes pathogènes72. La performance de la Chine en matière de médecine de précision, notamment en diagnostic moléculaire, est étroitement liée au soutien gouvernemental dans le domaine. En mars 2016, un an après la publicisation de la Precision Medicine Initiative par l’administration Obama, la Chine a lancé une initiative similaire intitulée China Precision Medicine Initiative. Un investissement de 9,2 milliards de dollars, déployé sur une période de quinze ans, est envisagé pour favoriser l’achat de données cliniques et la recherche en séquençage génomique. Il s’agit là d’un investissement largement supérieur à l’investissement public américain de 215 millions de dollars73.
La montée en puissance de la Chine se traduit également dans l’application de la nanotechnologie, du big data et de la 5G aux biotechnologies. Début 2019, l’Institut de technologie de Harbin a mis au point des nanorobots avec un diamètre de 500 nanomètres, soit plus fins qu’un cheveu. Ces nanorobots en forme de spirale sont capables de se détacher des molécules biologiques du patient pour se déplacer collectivement du corps vitré de l’œil à la rétine pour y déposer des médicaments. La même année, la Chine a réussi la première opération à distance du monde en utilisant la technologie 5G. Grâce à la coopération entre Huawei, China Unicom, la société de robots Kangduo basée à Suzhou, l’Hôpital N° 301 de Pékin a conduit avec succès une opération de résection de lobules hépatiques pour un porcelet se trouvant à l’hôpital hépatobiliaire Mengchao, rattaché à l’université médicale du Fujian. La première opération 5G sur l’être humain a été réalisée en mars 2019 en Chine. Un patient atteint de la maladie de Parkinson, hospitalisé à l’hôpital général chinois de l’Armée populaire de libération, a été opéré depuis Sanya, une ville de la province du Hainan située à plus de 3 000 kilomètres de distance.
La question se pose de savoir comment cette rivalité sino-américaine peut évoluer dans le futur. Bien que les États-Unis dominent encore le marché mondial des biotechnologies, la Chine a de fortes chances d’occuper une position de leadership dans les prochaines années. Plusieurs facteurs jouent en sa faveur. Premièrement, force est de constater que les entreprises chinoises bénéficient d’un environnement régulatoire considérablement plus souple que leurs homologues américains. Par exemple, les manipulations génétiques du génome humain ne sont pas interdites en Chine, plusieurs essais y sont d’ailleurs en cours. Les régulateurs américains se montrent quant à eux extrêmement prudents vis-à-vis des manipulations du génome, ce qui explique leur retard dans ce domaine74. Autre exemple, les entreprises chinoises sont autorisées à mobiliser un grand nombre de données, ce qui leur offre un fort potentiel en termes de percées technologiques. Leurs homologues américains sont souvent obligés de remplir de lourdes formalités administratives avant d’obtenir l’autorisation de la Food and Drug Administration concernant les essais, ce qui peut refroidir leur enthousiasme.
Deuxièmement, l’empire du Milieu connaît une demande croissante pour les biotechnologies. Le pays enregistre actuellement le plus haut taux d’incidence de cancers et le plus grand nombre de patients atteints du cancer dans le monde. Depuis 2010, le cancer est parmi les premières causes de mortalité en Chine. En 2014, la Chine a enregistré 3,8 millions nouveaux cas de cancer, représentant ainsi 27% du nombre total mondial. Le nombre de cancers pulmonaires en Chine représente quant à lui 36% du niveau mondial75. Le vieillissement de la population risque d’augmenter la prévalence du cancer encore davantage selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le développement de ce type de maladie, couplé à l’augmentation continue du niveau de vie, va créer une forte demande de la population chinoise pour les médicaments et les thérapies d’origine biologique et de haute qualité. Cette demande sera d’autant plus forte que l’État chinois n’hésite pas rembourser les médicaments biologiques. Étant donné que le secteur biopharmaceutique est la composante principale de la biotech chinoise, la demande en médicaments biologiques va fortement pousser l’expansion du marché chinois de la biotech. En comparaison, le fait que les patients américains doivent généralement assumer eux-mêmes des dépenses médicales onéreuses risque d’affaiblir leur volonté d’achat. Les coûts globaux de santé y sont plus forts que la moyenne de l’OCDE. Le coût élevé des médicaments et des équipements médicaux est l’un des facteurs les plus importants pour expliquer les dépenses médicales élevées des foyers américains76. Concernant l’agriculture biologique, on constate une prise de conscience générale chez les Chinois qui font de plus en plus appel aux produits agricoles verts. Cette tendance contribue fortement à la croissance de l’agriculture bio en Chine.
Troisièmement, le soutien financier de l’État chinois est un facteur crucial du développement soutenu des biotechnologies en Chine et, éventuellement, du dépassement des États-Unis. Depuis que les biotechnologies se sont érigées en industrie émergente stratégique en 2012, le gouvernement chinois n’a pas hésité à accorder de fortes aides financières aux entreprises chinoises impliquées dans ce secteur. Aux yeux de David Baverez, investisseur français basé à Hongkong, « les acquéreurs chinois bénéficient de financements sous formes d’emprunts pratiquement illimités, dès lors que leurs opérations obéissent aux objectifs stratégiques du gouvernement chinois »77. C’est ce qui a notamment permis en 2016 l’acquisition de Syngenta par ChemChina, alors lourdement endettée. Combinées avec la proclamation de politiques nationales volontaires, les politiques budgétaires et fiscales produisent un effet bénéfique sur le long terme, particulièrement sur la R&D dans les nouvelles technologies. Alors qu’en 1996 la Chine consacrait 0,56% du PIB à la R&D, ce chiffre est monté à 2,12% en 201778. En comparaison, les dynamiques de développement du secteur biotechnologique aux États-Unis viennent en priorité des acteurs privés qui sont plus vulnérables aux fluctuations imprévisibles du marché, ce qui correspond parfaitement au cas du marché biotechnologique, marqué par un degré de risque extrêmement élevé.
Enfin, contrairement aux États-Unis, l’opinion publique chinoise est très favorable aux biotechnologies, à l’exception des OGM alimentaires. Ayant souffert du retard technologique de la Chine avant l’établissement de la Nouvelle Chine en 1949, la population considère les nouvelles technologies et les avancées scientifiques davantage comme un progrès et un symbole de modernité que comme une menace. Dans la philosophie chinoise, le Mal et le Bien, représentés par le yin et le yang du taoïsme chinois, peuvent coexister, et sont même inséparables. Les Chinois acceptent mieux que les Occidentaux le fait qu’une technologie porteuse de risques ne doit pas tout de suite être censurée ou tuée dans l’œuf. La société chinoise apparaît confiante face à la high-tech, friande d’innovations technologiques, et s’estime capable de gérer leurs effets indésirables. Cette mentalité explique la course folle aux nouvelles technologies que l’on observe en Chine à l’heure actuelle.
Controverses et perspectives pour le futur
Parsemé de scandales liés à la qualité des médicaments et des produits alimentaires, le développement des biotechnologies en Chine n’est pas sans obstacles. Des vaccins défectueux de Changchun Changsheng en juillet 2018 à la naissance des premiers bébés OGM annoncée par le chercheur He Jiankui en novembre 2018 à Hongkong, la Chine a encore de gros efforts à déployer pour rassurer les investisseurs étrangers, susciter le respect et la confiance de ses partenaires, et s’imposer comme une grande puissance biotechnologique fiable et respectable.
Les controverses autour des biotechnologies chinoises
Voir Hugo Jalinière, « Bébés CRISPR : l’enquête révèle les dessous du scandale », sciencesetavenir.fr, 21 janvier 2019.
Vicky Qing Xia et Leo Cai Yang, « Contract BioManufacturing in China: Creating a New Segment », contractpharma.com, 4 octobre 2018.
« Alimentation : pourquoi la Chine recule sur la production d’OGM», challenges.fr, 17 novembre 2018.
Voir Aifang Ma, op. cit.
À l’heure actuelle, la grande majorité des controverses autour des biotechnologies chinoises sont liées, d’une part, au non-respect des normes éthiques et, d’autre part, à la qualité douteuse des produits et services. En novembre 2018, la déclaration de l’existence des jumeaux Lulu et Nana, génétiquement modifiés par He Jiankui à l’aide de la technologie CRISPR-Cas9, a choqué l’opinion publique et attiré les critiques virulentes du milieu scientifique international pour négligence de considérations éthiques. En janvier 2019, la presse chinoise a confirmé la grossesse d’une seconde femme enceinte d’un bébé génétiquement modifié. Le gouvernement chinois accuse He Jiankui d’avoir effectué son projet sans avoir obtenu d’approbation officielle. Bien que le chercheur chinois ait déclaré que la mutation génétique CCR5-∆32 rendrait les bébés résistants au VIH, à la variole et au choléra, les scientifiques doutent de l’utilité réelle des essais en invoquant la disponibilité de plusieurs autres méthodes efficaces contre le sida. Par ailleurs, selon une étude récente, non seulement l’espérance de vie des bébés OGM est de deux ans inférieure à celle des bébés n’ayant pas subi de modification génétique, mais ils sont aussi plus vulnérables face à plusieurs maladies infectieuses telles que la grippe80.
De plus, suite à l’introduction de la réforme MAH en 2016, les CMO ont pris un véritable essor en Chine, à tel point que Li Zhiliang, PDG d’AutekBio, a déclaré que les produits pharmaceutiques made in China avaient vocation à être aussi omniprésents que les iPhone made in China81. Cependant, derrière cette croissance exceptionnelle de capacité de production, la révélation de plusieurs affaires liées à la qualité des vaccins pour enfants a non seulement ébranlé la confiance des consommateurs chinois mais aussi fait naître des doutes chez les partenaires internationaux. En juillet 2018, la National Medical Products Administration a dénoncé l’entreprise biotechnologique Changchun Changsheng et révélé que cette dernière avait falsifié des données dans son processus de fabrication du vaccin antirabique lyophilisé pour usage humain. Si les vaccins concernés ont été confisqués par les autorités avant qu’ils soient mis sur le marché, ce n’est pas le cas de 252.600 vaccins contre le tétanos, également fabriqués par Changchun Chansheng avec des méthodes douteuses et qui ont été presque tous vendus dans la province du Shandong. Le Centre pour le contrôle de maladies du Shandong a rapporté que ces vaccins avaient provoqué une hausse des réactions anormales chez les enfants à qui ils avaient été administrés. Les 186 vaccins restants ont été confisqués et les autorités provinciales du Shandong ont demandé que les enfants concernés reçoivent une nouvelle vaccination contre le tétanos.
La dernière controverse est liée à la consommation des aliments OGM. Avec la diffusion rapide de l’idée d’agriculture biologique, la consommation d’aliments bio gagne en popularité dans les familles chinoises. Les produits OGM, quant à eux, ont beaucoup de mal à trouver leur place dans leurs cuisines. « Selon la revue Nature, 45% des Chinois sont opposés aux OGM. Près d’un citoyen sur sept estime que la technologie OGM est un “bioterrorisme ciblant la Chine”82 » : tenant compte de la réticence du public envers les OGM dont les conséquences demeurent incertaines sur la santé humaine et la biodiversité, le gouvernement chinois n’encourage pas particulièrement la plantation des produits agricoles OGM alimentaires pour usage humain. C’est la raison pour laquelle la commercialisation des aliments OGM est très faible par rapport aux États-Unis où l’opinion publique y est plus favorable. La culture des produits OGM constitue l’un des rares domaines où la Chine n’est pas pressée de dépasser le pays de Donald Trump. Ainsi, en mai 2017, la FDA américaine a approuvé la mise sur le marché d’un ananas rose fuchsia, chose inimaginable en Chine.
Les controverses récentes autour des biotechnologies révèlent plusieurs problèmes sociétaux qui persistent en Chine. Les gains commerciaux gigantesques que le secteur biotechnologique promet aux entreprises incitent parfois ces dernières à adopter des comportements irresponsables pouvant nuire aux consommateurs. Le phénomène est d’autant plus répandu que le gouvernement chinois a mis en place un environnement de régulation relativement laxiste concernant les biotechnologies. Si une faible régulation de la high-tech peut inciter l’innovation scientifique, ce qui est le cas dans le secteur de l’intelligence artificielle par exemple83, elle est aussi susceptible de donner lieu à des pratiques controversées. Le scandale du vaccin toxique de Changchun Changsheng illustre la nécessité pour les autorités chinoises de resserrer la régulation du secteur des biotechnologies.
Par ailleurs, le désir de voir la Chine s’imposer comme leader mondial et sortir de la dépendance technologique des pays étrangers, notamment des États-Unis (ce qui est le cas pour certains équipements médicaux comme les implants), est largement partagé par le milieu scientifique chinois. C’est la raison pour laquelle la poursuite de l’innovation devient l’objectif prioritaire et la culture dominante dans les entreprises et les laboratoires de recherche chinois. Bien qu’une telle émulation soit à bien des égards propice aux avancées scientifiques, elle pousse inconsciemment certains chercheurs à outrepasser les considérations éthiques afin d’obtenir des résultats sensationnels et de devenir le numéro 1 mondial dans tel ou tel domaine. Les travaux de recherche de He Jiankui qui ont abouti à la création des premiers bébés OGM au monde sont partiellement motivés par cette sorte de déséquilibre entre la volonté d’innovation et le respect des normes éthiques. Pour ne pas voir son projet refusé, il a même choisi de poursuivre ses recherches sans prévenir les autorités compétentes. Ce scandale met en avant le fait que la dimension éthique est, sinon plus importante, au moins aussi importante que la volonté d’innover.
Le dernier facteur de controverses est étroitement lié aux changements de mentalité des consommateurs chinois. Choqué par les scandales alimentaires et médicaux qui ont eu lieu ces dernières années, le public chinois commence à s’interroger sur la nature même des avancées scientifiques. Ces dernières ne sont plus considérées exclusivement comme un symbole de progrès mais aussi, dans une certaine mesure, comme une source de problèmes sociaux. Cette mentalité se répand d’autant plus que les trente dernières années de croissance économique ont engendré la raréfaction des ressources naturelles et un niveau de pollution environnementale insoutenable. La prise de conscience de l’importance de la préservation écologique s’est généralisée dans la société chinoise. Ce n’est donc pas une surprise si les Chinois, notamment ceux habitant en ville et ayant un statut socio-économique relativement élevé, font de plus en plus attention à ce qu’ils mangent quotidiennement. Parmi les habitants des régions gravement polluées, on pourrait presque parler d’une paranoïa vis-à-vis de la sécurité alimentaire. Cette vigilance touche aussi bien les produits agricoles auxquels sont appliqués pesticides, herbicides ou engrais chimiques que les aliments OGM. L’incertitude qui plane sur les conséquences de l’utilisation des OGM n’a pas aidé à améliorer leur réputation en Chine.
Quelles perspectives pour l’avenir ?
Voir Émilie Frenkiel, « République populaire de Chine : une démocratie alternative ? », aoc.media, 1er octobre 2019.
Jean-Louis Rocca, «Mediapart, Arrêt sur image et la Chine: une victoire du néo-conservatisme ? », Mediapart, 29 septembre 2019.
Le développement des scandales alimentaires et médicaux invite l’empire du Milieu à réfléchir à la manière dont il doit optimiser son avenir dans le secteur des biotechnologies. Après la révolution numérique, l’innovation biotechnologique risque également de provoquer un nombre considérable de bouleversements dans la société. Elle pourrait non seulement devenir une nouvelle dynamique de croissance économique, mais aussi grandement influencer la qualité et l’espérance de vie de milliards d’individus. En tant que pays le plus peuplé du monde, confronté de surcroît à un problème de vieillissement démographique, le développement du secteur biotechnologique revêt une importance stratégique pour la Chine. Comme précédemment évoqué, les avantages dont se dote aujourd’hui le pays lui permettront sans doute d’engranger de meilleurs résultats dans les années qui viennent. Cependant, pour sécuriser et pérenniser ses avancées, la Chine doit rester vigilante pour que son développement soit à l’abri des vicissitudes internationales.
Les pays étrangers ressentent à la fois une grande admiration et une profonde inquiétude face aux prouesses technologiques chinoises. Impressionnée par la vitesse à laquelle la Chine a successivement pris le leadership mondial dans le commerce électronique, le paiement mobile, l’intelligence artificielle et l’édition du génome, la communauté internationale s’inquiète des conséquences que cette montée en puissance pourrait entraîner pour l’ordre international existant. La Chine va-t-elle profiter de sa puissance technologique pour établir une hégémonie mondiale ? Va-t-elle diffuser, voire même imposer, son modèle autoritaire au monde entier ? Les pays européens doivent-ils maintenir leur alliance avec les États-Unis ou se jeter, avec ou sans entrain, dans les bras ouverts du dragon rouge ? Si, à l’heure actuelle, ces questions peuvent encore être laissées en suspens, le moment viendra où l’Est et l’Ouest devront trancher.
En ce sens, l’une des tâches prioritaires de la Chine est de rassurer ses nombreux partenaires étrangers. Il ne s’agit pas de convaincre l’Occident de la perfection du socialisme chinois mais de faire comprendre que la Chine, comme tous les pays du monde, possède ses propres dilemmes et équations à résoudre. C’est ainsi que de nombreux haigui, après avoir étudié à l’étranger, expriment davantage un sentiment patriotique qu’une sympathie pour la démocratie au sens schumpétérien du terme. Le séjour à l’étranger semble en effet faire prendre conscience aux étudiants chinois de la difficulté à gouverner un pays aussi vaste que le leur84. Par ailleurs, le traitement médiatique de la Chine dans la presse occidentale demeure bien souvent marqué par l’exagération et une certaine démagogie. Comme le signale Jean-Louis Rocca, les protagonistes du néoconservatisme, marqués par des jugements manichéens et une sinophobie parfois appuyée, échouent souvent à adopter une approche comparative raisonnable quand il s’agit de comparer la Chine à l’Occident : « La Chine n’est jamais comparée aux sociétés démocratiques telles qu’elles fonctionnent réellement. Les Chinois sont manipulés par le gouvernement (sous-entendu en démocratie pas du tout), les Chinois sont d’affreux capitalistes (sous-entendu pas les autres), les Chinois veulent dominer le monde (sous-entendu pas les autres), le régime chinois est autoritaire (sous-entendu pas du tout les autres), etc. Ce qui devrait être à démontrer, la spécificité et pour ainsi dire la malignité chinoise devient le point de départ de l’analyse. La Chine est peut-être dangereuse pour la paix, la prospérité des peuples, le bonheur du monde, mais en quoi l’est-elle plus que les États-Unis ou la France ? Peut-on démontrer que la Chine est plus capitaliste, impérialiste, inégalitaire, militariste que les autres pays dominants ?85 ».
Par ailleurs, une attention particulière doit être portée à la continuité des investissements dans la R&D biotechnologique. Malgré des avancées importantes ces dernières années, notamment en CAR-T cells et CRISPR-Cas 9, la dépendance chinoise vis-à-vis des États-Unis en termes de biotechnologies essentielles reste inchangée et la capacité d’innovation des équipes de recherche chinoises demeure encore faible par rapport à leurs homologues américains. Il s’agit donc de renforcer la sécurité des informations biologiques des citoyens chinois. En effet, le risque d’usurpation des données personnelles des individus existe non seulement dans l’intelligence artificielle mais aussi dans le processus du traitement des données de santé.
La régulation du marché national des biotechnologies est un autre chantier majeur pour la Chine. Étant donné les gains économiques considérables et l’attrait des biotechnologies, il est très probable que de nouveaux scandales se produisent si l’État chinois n’arrive pas à adopter rapidement des réglementations dissuasives et à les faire respecter par toutes les parties prenantes du secteur. Avec la prise de conscience généralisée de la société chinoise vis-à-vis de la sécurité alimentaire et médicale, les entreprises pharmaceutiques et les producteurs agricoles font l’objet d’une grande supervision. Un faux pas peut coûter très cher, comme en témoigne la répudiation exceptionnellement rapide du créateur des bébés OGM, He Jiankui, pourtant sélectionné dans le top 10 des personnalités scientifiques de l’année 2018 par la revue Nature. La pression issue de la société civile et de l’État pourra aider à encadrer le comportement des entreprises.
Les législations concernant la propriété intellectuelle en innovation biotechnologique doivent également être renforcées et mises en œuvre avec rigueur. Des efforts en ce sens sont actuellement déployés. En 2018, la Cour suprême de la Chine a rendu un jugement en faveur de Novozymes, société danoise représentant 44% du marché mondial de l’enzyme. Pendant six ans, l’entreprise s’est engagée dans un litige contre deux sociétés chinoises Shandong Longda Bio-products et Jiangsu Boli Bioproducts, accusant ces deux dernières d’avoir violé ses droits de propriété intellectuelle sur une espèce d’enzyme. Le jugement de la Cour suprême de la Chine permet de donner confiance aux investisseurs étrangers présents dans le pays. Le renforcement du cadre juridique améliorera la prévisibilité du marché chinois et augmentera la volonté d’investissement des partenaires internationaux.
Conclusion
Emboîtant le pas à la technologie numérique, les biotechnologies, avec leur potentiel positif comme négatif, risquent à nouveau de nous prendre par surprise. La compétition étatique dans ce domaine sera probablement aussi intense que celle sévissant aujourd’hui dans le domaine de l’intelligence artificielle. En tant que nouveau challenger sur la scène internationale, la Chine multiplie ses efforts pour concurrencer les États-Unis, que ce soit autour de l’intelligence artificielle ou des biotechnologies. La détermination chinoise pour se hisser comme grande puissance mondiale biotechnologique se traduit par un niveau de soutien public inégalé dans le monde, l’élaboration des feuilles de route balisées à chaque étape, la conception des politiques incitatives pour faire venir des talents de grande qualité, et ce quelle que soit leur nationalité, mais aussi la création d’un écosystème national aussi favorable que possible à l’innovation des entreprises chinoises.
Force est de constater que depuis l’époque de Deng Xiaoping la Chine a réussi une transition significative de son modèle de développement biotechnologique, passant d’un statut de pays simple imitateur des nations développées à un statut de pays innovateur.
Concomitante à cette transition, l’application des biotechnologies s’est étendue à des domaines aussi divers que la médecine, l’industrie, l’agriculture, l’énergie et la protection environnementale. Malgré des retards qui persistent dans la production d’appareils médicaux, elle figure dans le peloton de tête mondial en ce qui concerne l’édition génomique, l’immunothérapie, la cellulothérapie et, surtout, l’intégration de l’informatique à la médecine.
Rattrapant son retard par rapport aux puissances occidentales, la Chine a opéré des percées majeures en peu de temps dans la recherche biotechnologique appliquée, tout en faisant preuve d’une certaine négligence quant à l’élaboration de normes éthiques. Étant donné que le pays est devenu une puissance incontournable et que cette position pourrait lui attirer des suspicions préjudiciables, la Chine va devoir trancher entre deux options : continuer à prioriser les avancées technologiques en reléguant la régulation des biotechnologies dans une position secondaire ou bien se donner le temps de réfléchir à la manière de cultiver un modèle alternatif de développement scientifique et technologique afin d’endiguer les éventuelles dérives éthiques.