Les Classes moyennes et le crédit
Définitions
Définition des classes moyennes
Définition du crédit aux particuliers
Le crédit s’adresse principalement aux classes moyennes
Un tiers des ménages dont le revenu est compris entre deux et cinq SMIC a recours au crédit à la consommation
Crédit et épargne ne sont pas antinomiques
Le crédit caractérise les classes moyennes
La propriété de la résidence principale
L’équipement de la maison et les travaux d’amélioration
L’automobile
Les services
Évolutions : ce que le crédit révèle des classes moyennes
Les classes moyennes vieillissent
Les classes moyennes consomment différemment
Les classes moyennes quittent les grandes villes
Le crédit est-il un bon outil pour promouvoir les classes moyennes ?
Crédit et acquisition immobilière
L’utilité économique du crédit à la consommation
Conclusion
Les classes moyennes et le crédit
Entre classes moyennes et crédit existe un lien historique et structurant. En France, l’avènement des classes moyennes pendant les « Trente glorieuses » a été étroitement lié au développement du crédit ; aujourd’hui, la progression du financement aux particuliers dans les économies émergentes réaffirme ce lien. Le recours au crédit reste le fait principalement des classes moyennes. En anticipant sur les revenus à venir, le crédit permet à de nombreux ménages d’accéder à un mode de vie et de consommation leur conférant le statut de classes moyennes, qu’il s’agisse du financement de leur résidence, des biens d’équipement de la maison, de l’automobile, mais aussi des services et loisirs. Grâce à ce lien, l’usage du crédit au cours des dernières décennies révèle plusieurs évolutions des classes moyennes en France, notamment en matière de modes de consommation (low cost, Internet), d’habitat (départ des grandes villes), ou encore de générations (vieillissement des classes moyennes).
Si le soutien du financement immobilier est largement reconnu, l’utilité du crédit à la consommation, comme outil de promotion des classes moyennes, mérite d’être soulignée. Tout particulièrement en France où les encours de crédit représentent 13,2% de la consommation contre 15,4% en moyenne dans l’Union européenne.
Nicolas Pécourt,
Directeur Prospective et Communication institutionnelle de Crédit Agricole Consumer Finance.
Colloque « À quoi rêvent les classes moyennes ? », organisé le 18 novembre 2010 par la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol).
Antoine Rault, Le Diable rouge, 2008.
Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975, Fayard, Paris, 1979. Dans cet ouvrage, Jean Fourastié souligne notamment que « le niveau de vie national (revenu national moyen réel par tête de population) […] se trouve en 1975 au triple de sa valeur de 1938 ».
Nicolas Bouzou, Le Chagrin des classes moyennes, JC Lattes, Paris, 2011
Fernand Braudel et Ernest Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale de la France, Tome IV, volume 3, années 1950-1980, PUF, Quadrige, 1993.
La vente à tempérament est une des plus anciennes formes de crédit à la consommation, qui sert à financer l’acquisition d’un bien ou le paiement d’un service ; le contrat de vente et le contrat de financement ne font qu’un.
Quelles que soient les époques, la population est souvent divisée en trois ensembles en fonction des moyens dont disposent les individus qui la composent. Lors d’un colloque organisé par la Fondation pour l’innovation politique1, Dominique Reynié soulignait qu’il existe même une « loi de tripartition du corps social » distinguant les plus riches, les plus pauvres et un troisième groupe occupant une position médiane. Cette partie intermédiaire de la population, souvent majoritaire en nombre, a toujours suscité l’attention et la convoitise de nos gouvernants, pour de bonnes ou mauvaises raisons. Ainsi, dans une pièce de théâtre2, Mazarin s’adressant à Colbert se voit prêter les mots suivants : « Il y a quantité de gens qui sont entre les deux, ni pauvres, ni riches… des Français qui travaillent, rêvant d’être riches et redoutant d’être pauvres ! C’est ceux-là que nous allons taxer, encore plus, toujours plus ! Ceux-là ! Plus tu leur prends, plus ils travaillent – pour compenser… C’est un réservoir inépuisable. » La notion de classes moyennes, qui correspond à cette position médiane, est néanmoins plus contemporaine. On peut la lier à l’industrialisation de notre société et dater l’apogée des classes moyennes à la période des Trente Glorieuses ainsi qualifiée par Jean Fourastié3. Aprèsguerre, les ménages français s’équipent massivement en automobiles et biens d’équipement modernes. C’est l’apparition de la consommation de masse. Comme le souligne Nicolas Bouzou dans son dernier essai, « c’est l’âge d’or de la société de consommation. Les ménages s’équipent : réfrigérateurs, machines à laver, […] téléviseurs et automobiles […]. On passe d’une consommation de sustentation […] à une consommation de masse4. » Cette évolution économique majeure qui assure aux ménages un confort matériel significatif au regard des périodes précédentes est notamment permise par l’émergence du crédit. Ainsi que le mentionne l’ouvrage Histoire économique et sociale de la France5, « les besoins personnels de masse furent d’abord assurés par l’extension des ventes à tempérament6. » La période des Trente Glorieuses voit ainsi le développement des classes moyennes mais aussi celui du crédit, outil financier indispensable à l’équipement des ménages.
C’est au lien qui existe entre les classes moyennes et le crédit – et plus particulièrement le crédit à la consommation – que sera consacrée cette note organisée en cinq parties. Tout d’abord, une brève définition de ces deux notions sera rappelée. La seconde partie fera état d’études qui, bien qu’allant à l’encontre des idées reçues, montrent que ce sont les classes moyennes qui ont le plus recours au crédit. Crédit qui, par ailleurs, leur permet d’accéder à un mode de vie qui les caractérise, ceci sera l’objet de la troisième partie. La partie suivante portera sur certaines évolutions des classes moyennes observées au travers des modifications de leur usage du crédit. La dernière partie sera consacrée à l’utilité du crédit comme outil de promotion des classes moyennes. Cette utilité économique et sociale du crédit mérite tout particulièrement d’être rappelée.
Définitions
Avant d’expliquer le lien entre classes moyennes et crédit, il faut rappeler la définition de ces deux termes.
Définition des classes moyennes
CRÉDOC, « Les classes moyennes sous pression », Cahier de recherche n°249, Régis Bigot, décembre 2008
Raymond Aron, La Lutte de classes, nouvelles leçons sur les sociétés industrielles, Gallimard, Paris, 1964.
Ibid.
Centre d’analyse stratégique, Note de veille n° 54, par Virginie Gimbert et Arnaud Rohmer, avril 2007.
Cette enquête de l’Ifop pour la Fondapol a été menée en octobre 2010.
CRÉDOC, op. cit
Le Chagrin des classes moyennes, op. cit.
Ifop, op. cit. Ce taux (bénéfice de la prime pour l’emploi) est de 16 % pour la catégorie des « classes moyennes » et de 3 % pour la catégorie des « classes moyennes supérieures ».
Ifop, op. cit. Ce taux (paiement de l’impôt) est de 64% pour la catégorie des « classes moyennes » et de 81% pour la catégorie des « classes moyennes supérieures ».
Insee, « Les revenus et le patrimoine des ménages », Insee Références, Édition 2011.
Ibid.
Comme le fait le CRÉDOC, cf. op. cit.
Les déciles permettent de distribuer la population en dix parties d’effectifs égaux. La première catégorie représente ainsi les 10% de ménages percevant le revenu disponible le plus faible, la dernière les 10% de ménages percevant le revenu disponible le plus élevé.
Que signifie le terme de classes moyennes ? Ce terme prononcé systématiquement au pluriel suppose qu’il existe plusieurs classes moyennes. Celles-ci peuvent se définir de diverses façons ; les études et essais économiques consacrés à leur définition sont nombreux et parviennent à des résultats parfois différents selon l’angle choisi. Les classes moyennes se définissent d’abord par ce qu’elles ne sont pas. Pour le Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie (CRÉDOC7 ), elles seraient même « une sorte d’objet social non identifié ». Dans ses cours à la Sorbonne8, Raymond Aron les qualifiait d’« espèce de fourre-tout », tout en rappelant que la notion de classe ne se définit pas par des critères juridiques9. Selon un rapport du Centre d’analyse stratégique, « les classes moyennes désignent les ménages et les groupes sociaux qui n’appartiennent ni aux classes les moins favorisées, ni aux classes supérieures. Elles se situeraient entre les deux10. » Le même rapport suggère trois critères pour définir les classes moyennes :
– un critère subjectif,
– un critère sociologique,
– un critère économique.
Le premier critère, subjectif, est celui de l’auto-évaluation, reposant sur la perception qu’ont les individus eux-mêmes d’appartenir ou non à la catégorie des classes moyennes. C’est cette notion qu’a retenue l’institut Ifop pour son enquête11 réalisée pour la Fondapol en 2010. Dans cette enquête, 65% des personnes interrogées déclaraient appartenir à la catégorie des « classes moyennes » ou à celle des « classes moyennes supérieures », soit au total deux individus sur trois. À l’inverse, 33% se classaient parmi les catégories « défavorisées » ou « modestes » et uniquement 2% parmi les catégories « favorisées ou aisées », ce qui est naturellement très peu. Le CRÉDOC 12 dresse un constat similaire et souligne que « deux personnes sur trois considèrent appartenir aux classes moyennes » lorsque seulement « 5% de la population estiment faire partie des gens aisés ou privilégiés. » On perçoit ici les limites de cette auto-évaluation même si elle a une importance particulière dans le mode de vie adopté par les ménages. Ce critère subjectif dépend également de l’environnement économique : en période faste, les ménages seront ainsi plus nombreux à déclarer appartenir à une classe moyenne ou aisée. Selon l’enquête de l’Ifop, ce n’est qu’au-dessus d’un seuil de revenu net (du foyer) de 1.500 euros mensuels que les individus interrogés se déclarent en majorité appartenir aux classes moyennes. Cette perception d’appartenance aux classes moyennes est enfin plus marquée chez les salariés du secteur public que chez ceux du secteur privé.
Le second critère, sociologique, repose sur la profession exercée, ainsi que sur les valeurs et modes de vie. Selon le Centre d’analyse stratégique, « les classes moyennes regrouperaient les professions intermédiaires, une partie des cadres supérieurs et également des employés. » Néanmoins, la profession exercée définit de moins en moins bien l’appartenance aux classes moyennes13 dans la mesure où il existe désormais de forts écarts de salaires entre individus exerçant un même métier. Ainsi un avocat, un médecin généraliste ou encore un artisan peuvent-ils percevoir chaque mois un salaire modeste comme de fortes rémunérations pour ceux qui réussissent particulièrement bien. Quant aux valeurs et modes de vie, ils définissent effectivement assez bien le statut de classes moyennes. Comme cela sera détaillé dans la troisième partie de cette note, les classes moyennes se caractérisent par un style de vie, notamment lié à l’acquisition de leur logement principal, à l’accession à certains biens durables (automobile, équipement de l’habitat, etc.), à l’accession aux loisirs. Les classes moyennes se définissent également par le travail et l’importance qu’elles accordent à la réussite des études de leurs enfants afin qu’ils perpétuent le même modèle social. Le troisième critère proposé par le Centre d’analyse stratégique est économique. Il est en apparence le plus objectif et le moins discutable. Il reposerait sur la classification des ménages en fonction de leurs revenus et niveaux de vie. Pourtant ce critère n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Il existe une diversité d’indicateurs statistiques qui peuvent être utilisés afin de définir la situation financière des classes moyennes. Le salaire perçu par un individu ne reflète pas forcément son véritable pouvoir d’achat : en 2009, le pouvoir d’achat des ménages progressait de 1,6% lorsque dans le même temps la rémunération des salariés stagnait (+0,1%). Souvent, le salaire perçu par un individu ne constitue pas l’origine unique de ses revenus. Un ménage peut en effet percevoir diverses aides sociales ou allocations : en 2008, 7 millions de ménages ont bénéficié de prestations familiales et 6,5 millions de ménages d’allocations logement ; près d’un ménage sur six appartenant aux classes moyennes14 bénéficierait de la prime pour l’emploi. Un ménage peut aussi percevoir des revenus d’une autre nature, par exemple les intérêts de son épargne ou les loyers perçus d’un bien immobilier mis en location. À cela s’ajoute l’effet d’un système fiscal complexe : 64% des classes moyennes15 déclarent payer l’impôt sur le revenu. Autre élément de complexité, celui de la composition du foyer : les « économies d’échelle » obtenues par deux adultes vivant sous le même toit (avec en particulier des frais de logement et d’équipement de la maison partagés) permettent de dégager un pouvoir d’achat supérieur ; à l’inverse, la présence d’enfants à charge modifiera cet équilibre financier. À la notion de salaire, on pourra donc préférer celle du revenu disponible brut des ménages qui, comme le rappelle l’Insee, est « le revenu qui reste à la disposition des ménages pour la consommation et l’épargne une fois déduits les prélèvements fiscaux et sociaux. Il comprend en particulier les revenus d’activité, les revenus du patrimoine (dividendes, intérêts et loyers) et les prestations sociales en espèces (allocations familiales, minima sociaux, pensions de retraite, indemnités de chômage…)16. »
De façon concrète, en 2008, le revenu disponible annuel moyen17 d’un ménage était de 34.450 euros (soit 2.870 euros mensuels) et le revenu disponible médian – celui qui partage la population en deux parties égales – de 28.570 euros (2.380 euros mensuels). Une première définition statistique des classes moyennes (voir tableau ci-dessous) pourrait consister18 à exclure d’un côté les trois déciles19 de revenu inférieurs (soit les 30% des ménages percevant le revenu le plus faible) et de l’autre les deux déciles supérieurs (soit 20% des ménages percevant le revenu le plus important). Cette approche considère 50% de la population, et tient compte de l’asymétrie de la distribution des revenus. Ainsi, les classes moyennes concerneraient les ménages percevant un revenu disponible compris entre 20.260 et 46.520 euros annuels, soit entre 1.700 et 3.900 euros mensuels (données 2008).
ableau 1 : Revenu disponible des ménages en 2008
Source :
Insee, « Les revenus et le patrimoine des ménages », Insee Références, Édition 2011.
Histoire économique et sociale de la France, op. cit.
Si la notion de salaire perçu semble en apparence la plus objective pour définir les classes moyennes, ce troisième critère économique est donc en réalité beaucoup plus complexe. Cette complexité est intégrée depuis de longues années par les établissements financiers qui ont développé de puissants outils d’évaluation de la solvabilité des individus (appelés les « scores ») afin de mesurer précisément les capacités de remboursement avant l’octroi d’un crédit. En conclusion, il n’existe pas de définition officielle et unique des classes moyennes. Nous retiendrons que les classes moyennes se définissent selon trois critères (subjectif, sociologique et économique) et notamment, pour les besoins de cette note, en fonction de la nature de leur consommation et du niveau de revenus disponible par ménage (globalement dans une fourchette comprise entre 1.700 et 3.900 euros par mois, selon les données de l’année 2008). À cela s’ajoute la nécessité, soulignée dans diverses études, de distinguer au moins deux catégories au profil assez différent : celle des « classes moyennes inférieures » et celle des « classes moyennes supérieures », autrement qualifiées par Fernand Braudel et Ernest Labrousse20 de « classes moyennes à tendance prolétarienne » et de « classes moyennes à vocation bourgeoise ». Comme le montre le tableau ci-contre relatif au revenu disponible des ménages, il existe en effet un écart allant du simple au double (de 20.260 à 46.520 euros annuels) entre les deux limites ici retenues pour définir les classes moyennes.
Définition du crédit aux particuliers
Le taux d’endettement exprime le rapport à un moment donné entre, d’une part, les montants de crédits restant à rembourser s’ils devaient être soldés immédiatement et, d’autre part, le revenu annuel disponible. Un taux de 69% signifie donc que la dette d’un ménage restant à rembourser, si elle devait être soldée d’une seule traite, représente 69% de son revenu annuel.
Nicolas Pécourt, Un Monde sans crédit ?, Eyrolles, Paris, 2010.
« Observatoire du Financement des Marchés Résidentiels », réalisé par Crédit Logement et l’Institut CSA, sous la direction de Michel Mouillart, juin 2010, 4ème édition.
« Observatoire du Financement des Marchés Résidentiels », op. cit.
« Observatoire du Financement des Marchés Résidentiels », op. cit.
Cette durée moyenne peut varier d’une source à une autre.
Un Monde sans crédit ?, op. cit.
Dans le cas du crédit renouvelable, dès lors que le contrat de crédit a été souscrit, les utilisations suivantes de crédit ne donnent pas lieu à un nouveau contrat.
Du fait de remboursements anticipés, il existe une différence significative en matière de crédits à la consommation entre la durée contractuelle (définie au départ) et la durée réelle d’un crédit.
Le crédit aux particuliers repose sur deux catégories principales de produits : le crédit immobilier et le crédit à la consommation.
La quantification du crédit s’apprécie à partir de deux notions : les encours (il s’agit à un moment donné de la somme des montants de crédits restant à rembourser par les particuliers) et la production (il s’agit du montant total des crédits souscrits sur une période). Les statistiques qui vont suivre concernent essentiellement des données d’encours.
Fin 2010, les crédits distribués aux particuliers s’élevaient à 950 milliards d’euros d’encours, dont 795 pour le crédit immobilier (84% du total) et 155 pour le crédit à la consommation (16%). Par habitant, cela représente une moyenne de 12.600 euros pour le crédit immobilier et un peu plus de 2.400 euros pour le crédit à la consommation, soit un total de 15.000 euros par habitant. Deux constations peuvent être rapidement soulignées :
– L’endettement privé des Français est inférieur à ce qu’il est dans des pays voisins : fin 2008, le taux d’endettement21 (crédit immobilier + crédit à la consommation) des Français était de 69%, contre 92% en Allemagne, 139% aux Pays-Bas et 169% au Royaume-Uni ;
– Autre particularité : la répartition de la dette privée n’est pas la même que dans d’autres économies comparables. Le poids du crédit à la consommation est plus faible (16% de la dette privée des Français en 2010) qu’il ne l’est en moyenne dans le monde (de l’ordre de 25%). À titre comparatif, ce ratio est de 19% en Allemagne, 20% au Royaume-Uni et 24% en Italie. Le poids du crédit à la consommation dans l’endettement privé a diminué en France au cours de la dernière décennie, passant de 24% en 2000 à 16% en 2010.
Selon le rapport de l’Observatoire des crédits aux ménages, étude très documentée réalisée annuellement sous la direction de Michel Mouillart, la moitié des ménages français (49,5% très exactement) remboursaient un ou plusieurs crédits fin 2010. À cette proportion, il convient d’ajouter les personnes qui utilisent le découvert bancaire. Soit au total trois foyers sur cinq (soit près de 16 millions de ménages) qui ont recours chaque année aux différents moyens de financement qui leur sont offerts22. Dans le détail, 31% des ménages remboursaient fin 2010 un ou plusieurs crédits immobiliers et 30% un ou plusieurs crédits à la consommation.
La destination des prêts immobiliers (795 milliards d’euros d’encours fin 2010) est diverse : le financement de la résidence principale en premier lieu, mais également le financement d’un autre logement (une résidence secondaire par exemple) ou d’autres opérations immobilières dont l’investissement locatif. Plusieurs offres de financement immobilier existent. La plupart des financements sont construits autour d’un prêt bancaire classique, crédit amortissable défini notamment par une durée, une mensualité et un taux d’intérêt qui peut être fixe ou variable ; ce produit représente plus de la moitié des financements immobiliers23. Pour les clientèles modestes, celuici peut parfois être un prêt d’accession sociale (PAS) qui bénéficie de certains avantages. Le prêt bancaire peut être complété par un prêt épargne logement (PEL) dont le montant dépend des intérêts acquis à l’issue d’une période d’épargne et pour les primo-accédants par un prêt à taux zéro plus (PTZ+), prêt aidé par l’État. Des prêts relais permettent d’assurer la transition entre l’achat d’un nouveau logement et la vente du précédent. Il existe encore des prêts aidés par l’employeur, dont le dispositif du « 1 % logement » mis en place en 1953 afin de faire participer les employeurs à l’effort de construction nécessaire dans la période d’après-guerre, ou les prêts employeurs consentis à des taux intéressants (fonction publique pour les fonctionnaires, collectivités locales, etc.), mais ceux-ci ont perdu beaucoup de leur importance. Enfin des montages particuliers sont possibles pour les investisseurs avec par exemple des prêts in fine associés le plus souvent à un contrat d’assurance vie. Les prêts viagers hypothécaires, étroitement réglementés, rencontrent peu de succès en France. En nombre 24, 1.246.000 opérations de prêts liées à l’accession immobilière (dont deux tiers dans l’ancien) ont été enregistrés en 2008, contre 31.000 pour l’acquisition d’une résidence secondaire et 102.000 au titre de l’investissement locatif. Cela sachant qu’en moyenne, les emprunteurs utilisent près de 1,6 prêt par acquisition immobilière. Le montant moyen emprunté 25 dans le cas de l’accession à la propriété est de l’ordre de 146.000 euros. Sous l’effet de l’augmentation importante des prix de l’immobilier depuis plusieurs années, la durée moyenne d’un prêt immobilier n’a cessé de progresser en France : elle est passée26 de 13 ans en moyenne en 2000 à 21 ans en 2008.
La destination des crédits à la consommation (155 milliards d’euros d’encours fin 2010) est également diverse. Un tiers des crédits à la consommation est affecté à l’acquisition d’automobiles, un autre tiers aux travaux et à l’équipement de la maison et le dernier tiers à tous les autres usages, du financement des études à la gestion du budget (trésorerie) d’une famille27. Plusieurs offres de crédit à la consommation existent. On peut distinguer quatre catégories principales de produits :
– le prêt personnel, crédit amortissable distribué directement aux particuliers par les réseaux bancaires et les sociétés spécialisées. Fin 2010, le prêt personnel représentait 59% des encours totaux de crédits à la consommation ;
– le crédit renouvelable, autorisation permanente de crédit, permettant à un particulier de l’utiliser à tout moment à concurrence du niveau de l’autorisation accordée. Fin 2010, le crédit renouvelable représentait 16% des encours totaux ;
– le crédit affecté, parfois qualifié de « vente à tempérament », qui est également un crédit amortissable, mais distribué chez un commerçant (principalement dans les secteurs de l’automobile et de l’équipement de la maison). Fin 2010, le prêt affecté représentait 11 % des encours totaux ;
– la location avec option d’achat (LOA), mode locatif, principalement utilisée pour l’automobile. Fin 2010, la LOA représentait 3% des encours totaux ;
– les autres formes de crédits à la consommation (découvert bancaire, paiement différé associé à l’usage d’une carte de paiement…) représentaient, fin 2010, 11% des encours totaux de crédits à la consommation.
En nombre, on estime à près de neuf millions le nombre de contrats annuels de crédits à la consommation souscrits (ou utilisés28) par les ménages en France. Contrairement au crédit immobilier, la durée des crédits à la consommation29 n’a pas évolué au cours des dernières années : elle est en moyenne de deux ans et demi, même s’il subsiste des disparités entre les produits de trésorerie aux durées plus courtes et les financements liés à des biens de consommation durables et services onéreux (automobile, travaux) dont la durée de financement est plus importante. Le montant moyen emprunté dans le cas d’un prêt personnel est de l’ordre de 12.000 euros.
Tableau 2 : Tableau synthétique des crédits aux particuliers
Source :
Ces données sont issues de différentes études ou publications ; certaines d’entre elles reposent sur des estimations.
Cette première étape de définitions étant achevée, il est désormais intéressant de souligner que le crédit est principalement destiné aux classes moyennes.
Le crédit s’adresse principalement aux classes moyennes
Dominique Reynié, colloque « À quoi rêvent les classes moyennes ? » organisé par la Fondapol le 18 novembre 2010.
Pourquoi le crédit s’adresse-t-il majoritairement aux classes moyennes? Si l’on s’en tient à la « loi de tripartition du corps social30 » évoquée en introduction, on observe que :
– La catégorie aux revenus les plus modestes a un accès limité au crédit du fait de revenus insuffisants ne permettant pas toujours le remboursement chaque mois des échéances d’un financement ;
– Les classes moyennes se définissent, en revanche, par le recours le plus important au crédit, qui leur permet, outre l’acquisition de leur résidence principale (crédit immobilier), d’anticiper l’achat de biens d’équipement (automobile, meubles, etc.) mais aussi de gérer les fluctuations de leur trésorerie (crédit à la consommation) ;
– Les classes les plus aisées ont également accès au crédit, crédit immobilier et aussi crédit à la consommation, mais parfois pour d’autres motivations, et à un niveau relatif moindre.
Le recours au crédit est donc le fait principalement des classes moyennes. Ceci tord le cou aux idées reçues liées au crédit à la consommation qui assimilent souvent celui-ci au « crédit du pauvre ». Plusieurs études réalisées en France au cours de la dernière décennie ont corroboré ce fait et peuvent à cet effet être rappelées.
Un tiers des ménages dont le revenu est compris entre deux et cinq SMIC a recours au crédit à la consommation
La revalorisation intervenue en janvier 2011 a porté le SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance) mensuel net à 1.073 euros.
Ifop, op. cit. Propriétaire du logement principal : revenu net mensuel du foyer de 2 001 à 3 000 euros : 61% ; de 3.001 à 4.000 euros : 77% ; plus de 4.000 euros : 76%.
Ifop, op. cit. Propriétaire d’une résidence secondaire : revenu net mensuel du foyer de 2.001 à 3.000 euros : 9% ; de 3.001 à 4.000 euros : 19% ; plus de 4.000 euros : 30%.
La première étude est celle de l’Observatoire des crédits aux ménages qui, dans sa dernière édition de mars 2011, apporte un éclairage en fonction du revenu des ménages emprunteurs.
S’agissant du crédit à la consommation, ceux qui y ont le plus recours ont un revenu compris entre deux et cinq SMIC31 (voir tableau ci-après) : plus de 34% d’entre eux remboursaient un ou plusieurs crédits à la consommation lors de cette enquête, contre moins de 20% pour ceux dont le revenu est inférieur à un SMIC, et près de 26% pour les classes plus aisées dont le revenu est supérieur à cinq SMIC. On observe ainsi que le crédit à la consommation s’adresse principalement aux classes moyennes.
Le cas du crédit immobilier est plus singulier. Au global, la proportion d’emprunteurs augmente régulièrement en fonction du revenu : de 3% pour les ménages dont le revenu est inférieur à un SMIC à 68% pour ceux dont le revenu est supérieur à cinq SMIC. Mais il faut distinguer le crédit immobilier destiné à l’acquisition de la résidence principale et celui affecté à d’autres usages (logement à but locatif ou résidence secondaire) :
– Le crédit immobilier lié à l’accession à la propriété de la résidence principale caractérise également les classes moyennes. En effet, comme le montre une autre étude32, à partir d’un certain niveau de revenus (4.000 euros), le taux de détention du logement principal n’augmente plus ;
– À l’inverse, le crédit immobilier lié à d’autres usages caractérise surtout les classes les plus aisées et assez peu les classes moyennes : le taux de détention d’une résidence secondaire33 ou d’un bien immobilier à but locatif est très étroitement corrélé au niveau de revenus.
Tableau 3 : Part des ménages ayant recours au crédit, en fonction de leurs revenus
Source :
Observatoire des crédits aux ménages, 23ème rapport annuel, mars 2011.
Rapport d’information du Sénat sur l’accès des ménages au crédit en France (2005-2006), n°261, par le sénateur Joël Bourdin, fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 16 mars 2006.
Parmi les utilisateurs du crédit les plus fréquents, on trouve les fonctionnaires, qui constituent en France une partie importante des classes moyennes, et dont l’absence d’aléa face à l’emploi en fait une clientèle privilégiée des sociétés financières.
Une deuxième étude issue du Sénat34 (2006), qui s’appuie sur une enquête de l’institut BIPE, exprime la charge d’emprunt au titre du crédit à la consommation en fonction du revenu disponible brut des ménages (voir ci-dessus sa définition). Du fait de conditions financières insuffisantes qui rendent plus difficile l’accès au crédit, ce sont les foyers aux revenus les plus modestes qui, en proportion, ont le moins recours au crédit. Comme le montre le tableau ci-après, les trois déciles qui affichent le taux le moins important correspondent aux revenus les plus faibles.
Tableau 4 : Charges d’emprunt par déciles de revenu en pourcentage du revenu disponible brut
Source :
Étude du BIPE citée dans le rapport d’information du Sénat sur l’accès des ménages au crédit en France, par le Sénateur Joël Bourdin.
Crédit et épargne ne sont pas antinomiques
Le terme « crédit » vient du latin credere, qui signifie « croire » ou « faire confiance ».
Ifop, op. cit. 62 % des « classes moyennes » et 81 % des « classes moyennes supérieures » déclarent avoir la possibilité d’épargner de l’argent à la fin du mois.
Michel Drancourt, Une Force inconnue, le crédit, Hachette, Paris, 1961.
Cette étude montre également que les catégories les plus aisées ont un recours plus important au crédit à la consommation que les catégories les moins aisées. Les motivations des individus les plus fortunés ne sont pas les mêmes que les ménages plus modestes et traduisent des stratégies de gestion budgétaire, le fait par exemple d’arbitrer entre leurs supports d’épargne et le recours au crédit. Pour les classes supérieures, le crédit peut permettre d’éviter de ponctionner un patrimoine qui peut déjà être engagé ailleurs : placements boursiers, résidence secondaire, etc. Le fait de disposer d’un revenu ou d’un patrimoine supérieur à la moyenne n’est pas antinomique avec le recours au crédit. Cela accroît la confiance des ménages dans leur avenir financier et ils seront ainsi plus enclins à s’engager dans des prêts. Comme en témoigne l’étymologie36 du mot « crédit », souscrire un financement est aussi l’expression d’une certaine confiance en l’avenir. Ainsi, si les classes moyennes ont un recours important au crédit, elles épargnent également dans leur grande majorité (pour deux tiers d’entre elles37). La troisième étude pouvant être citée est celle réalisée par l’institut Ifop pour la Fondapol. Elle dresse un constat semblable : les individus les moins endettés, sans distinction de la nature de l’endettement, sont les individus dont le revenu mensuel du foyer est inférieur à 1.500 euros. De façon plus anecdotique, cette dernière étude souligne que le recours au crédit au sein des classes moyennes ne constitue pas un indicateur sur l’appartenance politique de l’emprunteur … ou presque. Les électeurs de droite sont ainsi 61% à être endettés, ceux de gauche 62%, mais ceux du Modem 75%, à l’inverse des électeurs des Verts qui ne sont que 59% à avoir recours au crédit. Cette destination du crédit principalement vers les classes moyennes est un fait historique. Il y a cinquante ans (1961), Michel Drancourt analysait dans son ouvrage38 les emprunteurs en fonction de leurs salaires alors exprimés en nouveaux francs. La conclusion était identique : les catégories qui avaient le plus recours au crédit à la consommation étaient les classes moyennes et la catégorie la moins servie de l’époque était celle des classes les moins aisées. Ce qui conduit Michel Drancourt à qualifier ainsi les utilisateurs de l’époque du crédit à la consommation : « Il s’agit donc de Français vivant dans une modeste aisance. »
Le crédit caractérise les classes moyennes
Au-delà d’un certain niveau de revenus ou de richesses, les classes moyennes se définissent également par des modes de vie, un style de consommation, l’accès à certains équipements. Dans une majorité des cas, cet accès n’est rendu possible que grâce au recours au crédit. En leur donnant les moyens de s’équiper par anticipation, le crédit permet à des ménages d’accéder plus rapidement au statut de classes moyennes, puis de consolider cette position sociale. En anticipant sur les revenus à venir, le crédit permet à ces foyers une élévation de leur niveau de vie. Quatre catégories d’équipements sont plus particulièrement révélatrices de cette appartenance aux classes moyennes. Ces quatre thèmes seront successivement développés dans cette troisième partie. Les classes moyennes se caractérisent d’abord par une aspiration forte à la propriété de leur résidence principale. Viennent ensuite l’équipement de la maison et les travaux d’amélioration de l’habitat. La troisième catégorie d’équipements concerne l’automobile, et la dernière celle des services.
La propriété de la résidence principale
Rapport du Conseil d’analyse économique : « Loger les classes moyennes : la demande, l’offre et l’équilibre du marché du logement », par Jacques Mistral et Valérie Plagnol, 2008.
Insee, « Les revenus et le patrimoine des ménages », Insee Références, Édition 2011
« Le Logement, facteur d’éclatement des classes moyennes ? », étude de l’université Paris-Dauphine pour la Confédération Française de l’Encadrement – CGC, par François Cusin et Claire Juillard, avec la collaboration de Denis Burckel, 2010.
« Les revenus et le patrimoine des ménages », op.cit. ; moyenne sur dix ans (1997/2006)
S’il est une caractéristique essentielle des classes moyennes, c’est leur volonté d’accéder à la propriété. Cet accès à la propriété caractérise au moins psychologiquement l’appartenance au statut de classes moyennes. Il peut aussi être le révélateur d’un changement de statut et de promotion sociale. Ainsi que le rappellent Jacques Mistral et Valérie Plagnol dans un rapport réalisé pour le Conseil d’analyse économique « le logement est devenu l’un des principaux marqueurs sociaux39.
» En 2010, 58% des ménages français étaient propriétaires de leur résidence principale ou accédants , contre 53% en 1998. Si ce taux est en augmentation constante, de fortes disparités géographiques entre régions françaises demeurent. Ce taux est surtout inférieur à la moyenne européenne, et loin derrière certains pays voisins comme le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne, où le taux de propriétaires est de 83%. L’acquisition du logement est une priorité pour les classes moyennes, « afin de se sentir chez soi, de ne plus avoir le sentiment de jeter l’argent par la fenêtre en payant des loyers, de constituer un patrimoine [pour la retraite ou pour transmettre à leurs enfants], d’asseoir sa position sociale41. »
Le financement est très souvent indispensable pour réaliser une acquisition immobilière. Le moyen essentiel en France d’acquisition de sa résidence principale42 est en effet le recours au crédit (79% des cas), loin devant l’achat au comptant (14%) et l’héritage ou donation (7%). De surcroît, du fait de l’envolée des prix immobiliers, le recours au crédit s’est accentué et la durée moyenne des prêts a fortement augmenté.
L’équipement de la maison et les travaux d’amélioration
Les Trente Glorieuses, op. cit
Insee, « Enquête Budget des familles 2006 », par Vanessa Bellamy et Laurent Léveillé (source : CRÉDOC, op. cit.).
Insee, Enquêtes Logement 2006 (source : « Loger les classes moyennes : la demande, l’offre et l’équilibre du marché du logement », rapport du Conseil d’analyse économique, par Jacques Mistral et Valérie Pagnol, 2008).
Sofinco, « PROFIL 2011. Ameublement et crédit : analyse du marché », étude réalisée par Sofinco avec le concours de l’IPEA, 2011.
Étude du Panorama du Crédit Conso de Sofinco, marque de Crédit Agricole Consumer Finance. Cette étude de 2008 est consacrée au lien entre financement immobilier et crédit à la consommation.
« Observatoire des crédits aux ménages », op. cit.
Patrick Stocker, responsable du Logement de la Fédération Nationale du Crédit Agricole, a été interviewé par l’auteur dans le cadre de la réalisation de cette note.
Une fois acquis le logement principal, reste à l’améliorer, voire même l’agrandir, et surtout à l’équiper. Les foyers sont de mieux en mieux équipés tant sur un plan quantitatif que qualitatif. Certains équipements, assimilés à du matériel de luxe comme le réfrigérateur ou la télévision dans les années d’aprèsguerre, sont aujourd’hui considérés comme indispensables. Comme le montre Jean Fourastié43, dès 1975, 91% des ménages possédaient un réfrigérateur, 72% une machine à laver et 86% une télévision, contre respectivement 7% (réfrigérateur), 8% (machine à laver) et 1% (télévision) vingt ans auparavant (1954). À cela se sont ajoutés de nombreux appareils électroménagers ; de nouveaux besoins sont apparus avec l’équipement informatique et multimédia. Les évolutions technologiques de plus en plus rapides accélèrent par ailleurs le renouvellement de cet équipement. L’accès à ces équipements caractérise également le statut de classes moyennes. L’étude réalisée en 2006 par l’Insee44, qui mesure le taux d’équipement des ménages en fonction des déciles de revenus, le montre très clairement. Ainsi, si on considère comme cela a été fait dans le premier chapitre que les classes moyennes correspondent aux déciles de revenus 4 à 8 (soit 50% de la population compris entre les 30% des revenus les plus faibles et les 20% les plus élevés), leur taux d’équipement en téléviseur est de 95%, celui en lave-vaisselle de 46% et celui en magnétoscope/lecteur DVD de 79%. Un autre élément est à prendre en compte dans l’équipement du foyer : celui de l’augmentation de la surface d’habitation. Entre 1984 et 200645 la surface moyenne par personne a évolué de 31 à 40 mètres carrés, soit une hausse de 30% en un peu plus de vingt ans, et le nombre moyen de pièces dans un logement par personne de 1,4 à 1,8.
Le recours au crédit est nécessaire pour l’acquisition de ces équipements. À tel point que les secteurs de l’ameublement et de l’électroménager sont à l’origine de la création de plusieurs sociétés de crédit à la consommation. Après-guerre, la Fédération nationale de l’Ameublement met en place un plan de développement du secteur de l’ameublement reposant notamment sur la généralisation du crédit à la consommation. Sofinco est ainsi créée en 1951 pour aider les professionnels du secteur à aider leurs clients à s’équiper en meubles. Deux ans plus tard, en 1953, le Cetelem, dont le nom est une contraction de « crédit à l’électroménager », est créé. Parallèlement, les pouvoirs publics prennent des mesures permettant aux sociétés financières de se procurer plus facilement des fonds. Le phénomène est le même dans d’autres pays européens ; après-guerre, à l’initiative du secteur de la distribution, des sociétés financières sont créées dans plusieurs pays (Compass en Italie, etc.) afin de permettre aux ménages de s’équiper et d’accéder ainsi au statut de classes moyennes. Si la nature des biens d’équipement de la maison a évolué en soixante ans, le recours au crédit est resté indispensable aux ménages pour s’équiper, et principalement aux classes moyennes. On estime aujourd’hui que le recours au crédit représente près de 25% du chiffre d’affaires de la distribution spécialisée et 40% de celui de la vente à distance, comme le souligne Pierre Blanc dans le rapport Athling réalisé pour le Comité Consultatif du Secteur Financier présidé par Emmanuel Constans. Interrogés début 201146, 50% des ménages ayant l’intention d’acheter un canapé envisageaient de le faire à l’aide d’un financement.
À cela s’ajoutent des travaux d’amélioration de l’habitat, qui pour certains seront réalisés rapidement après l’emménagement. Par exemple, le remplacement de la cuisine équipée trente ans auparavant, de fenêtres mal isolées ou encore d’un système de chauffage inadapté ou trop coûteux. Lorsque l’ensemble des économies du ménage a été mobilisé pour constituer l’apport du financement immobilier, le recours au crédit à la consommation est nécessaire pour financer des travaux qui n’ont pas été anticipés. Ainsi un financement de cuisine47 sur quatre intervient moins d’un an après l’entrée dans la nouvelle habitation. C’est notamment la raison pour laquelle le taux de recours au crédit à la consommation est supérieur chez les individus qui remboursent également un crédit immobilier (recours de 36%)48 que pour la population en général (30%). Comme le souligne Patrick Stocker, Responsable du Logement de la Fédération Nationale du Crédit Agricole, « avec le Grenelle de l’environnement, les travaux pour économiser l’énergie sont en train de prendre une importance particulière49. » Ces travaux sont soutenus par les pouvoirs publics avec notamment un mécanisme de crédit d’impôts et un prêt aidé : l’éco-prêt. Les travaux dans les copropriétés deviennent par ailleurs un enjeu majeur avec la nécessité de mettre les immeubles aux nouvelles normes. Les pouvoirs publics devront se pencher sur leur financement.
L’automobile
Le troisième volet concerne l’automobile. L’équipement en véhicules est essentiel pour les classes moyennes, cette nécessité étant renforcée par le fait qu’elles habitent majoritairement dans des petites communes ou des quartiers périphériques. Seuls 7%50 des ménages appartenant aux classes moyennes ne possèdent pas de voiture. Mais surtout un ménage sur deux (49%) appartenant aux classes moyennes possède deux voitures ou plus. Le crédit est très souvent indispensable pour l’achat d’une automobile. Automobile et financement entretiennent un lien historique. Les constructeurs automobiles ont d’ailleurs compris d’emblée que la vente à crédit est indispensable à la commercialisation de leurs véhicules auprès des particuliers et ont créé leurs propres organismes (Sovac, Diac, etc.) dans l’entre-deux-guerres51. Comme le soulignent Fernand Braudel et Ernest Labrousse52, après la Seconde Guerre mondiale, « les besoins personnels de masse furent d’abord assurés par l’extension des ventes à tempérament pour tous les biens semi-durables offerts à la société de consommation, l’automobile ayant la première fait la percée. » Grâce au crédit, au cours des Trente Glorieuses « l’automobile s’est banalisée […] la possession d’une automobile a cessé d’être le signe d’un haut niveau de vie. […] En 1953, 20% seulement des ménages étaient équipés d’au moins une voiture […] en 1973, le taux était de 62%53. » Hors immobilier, l’automobile est d’ailleurs le premier bien acquis par les ménages avec le crédit ; l’automobile représente aujourd’hui en volume un tiers des crédits à la consommation distribués. On estime qu’aujourd’hui en France54, près de trois automobiles neuves sur quatre et plus d’une automobile d’occasion sur deux sont acquises par les particuliers grâce à un financement. En moyenne, les ménages qui ont recours au crédit financent grâce à celui-ci trois quarts du prix d’achat de leur automobile. En France, les financements destinés à l’achat de voitures neuves par les particuliers sont souscrits pour moitié sur le lieu de vente (concession automobile), et pour moitié hors du lieu de vente. Cette nécessité du crédit sera renforcée par le développement des véhicules électriques dont l’usage reposera sur des formules financières locatives du fait d’une durée de vie des batteries différente de celle du véhicule.
Les services
Le Chagrin des classes moyennes, op. cit.
Ifop, op. cit. Ce taux est de 11 % pour la catégorie des « classes moyennes » et de 13 % pour la catégorie des « classes supérieures ».
« Le Logement, facteur d’éclatement des classes moyennes ? », op. cit.
CRÉDOC, op. cit.
« Les Français et le crédit à la consommation en 2007 », étude réalisée par TNS Sofres pour l’ASF (Association française des Sociétés Financières), 2007.
Ifop, op. cit. Ce taux est de 60 % pour la catégorie des « classes moyennes » et de 82 % pour la catégorie des « classes moyennes supérieures ».
Panorama du Crédit Conso de Sofinco : étude sur les véhicules de loisirs, 2008.
CRÉDOC, « Les classes moyennes sous pression », Note n° 219, par Régis Bigot, mars 2009
La dernière catégorie concernée est celle des services en général, notamment s’agissant des études des enfants et des loisirs. Dès l’introduction de son essai sur les classes moyennes55, Nicolas Bouzou souligne l’importance particulière qu’accordent les classes moyennes à l’éducation et à la réussite scolaire de leurs enfants. Selon l’Ifop, 11% d’entre eux56 n’hésitent pas à avoir recours à du soutien scolaire payant pour leurs enfants, cette proportion s’élevant à 15% lorsque l’enfant est étudiant. Le principe de la mobilité sociale est au cœur des préoccupations des classes moyennes. Comme le mentionnent François Cusin et Claire Juillard, le trait commun des classes moyennes « à travers les époques a été de représenter l’espace privilégié des mobilités sociales ascendantes et le moteur principal de la croissance économique57. » Le CRÉDOC souligne également cette peur de descendre l’échelle sociale : « 76% des personnes disposant de revenus moyens redoutent que leurs enfants aient un niveau de vie inférieur au leur58. » Le sujet de l’éducation est majeur. Aussi les classes moyennes n’hésitent pas à avoir recours au crédit pour financer les études de leurs enfants. 58% des Français sondés en 2007 par TNS Sofres pour l’A.S.F.59 considèrent d’ailleurs qu’il est normal de souscrire un crédit à la consommation pour financer les études de leurs enfants.
Les loisirs constituent un deuxième exemple. 60% des classes moyennes60 partent en vacances d’été tous les ans ou quasiment chaque année. Le secteur des véhicules de loisirs apporte à cet égard un éclairage intéressant : sous l’effet de différents facteurs (diversification de l’offre, amélioration de l’image, multiplication des aires, etc.), les véhicules de loisirs connaissent depuis plusieurs années un certain engouement de la part des Français et notamment de certaines classes moyennes qui y trouvent le moyen de compenser l’absence d’une résidence secondaire. En 2007, le revenu mensuel moyen d’un ménage61 qui avait acquis un camping-car était de 2.780 euros, celui d’un ménage qui avait acquis une caravane de 2.120 euros. Compte tenu d’un prix de vente élevé, le recours au financement pour l’acquisition d’un véhicule de loisirs est très fréquent. La durée de ce financement varie selon le type de véhicule considéré, de cinq ans en moyenne pour une caravane, à dix ans pour un camping-car. Les acheteurs de camping-cars consacrent en moyenne 14% de leur revenu mensuel au remboursement de ce dernier.
Quelle que soit l’affectation du financement (habitation, équipement de la maison, automobile, services, etc.), la nécessité du recours au crédit est également accentuée par l’augmentation de la part des dépenses dites contraintes (logement, eau, gaz, électricité, etc.) dans le budget des classes moyennes. Cette part des dépenses contraintes représentait « 21% du budget des classes moyennes inférieures en 1979, contre 38% aujourd’hui62. »
Évolutions : ce que le crédit révèle des classes moyennes
Comme cela vient d’être montré, le crédit est un élément caractéristique des classes moyennes. Dès lors, il est pertinent de relever certaines évolutions particulières des classes moyennes au travers de celles observées chez les souscripteurs de crédit. Trois d’entre elles peuvent être mentionnées : le vieillissement des classes moyennes, la transformation du mode de consommation et le départ des grandes villes.
Les classes moyennes vieillissent
D’après des données de l’Insee retraitées par le Panorama du Crédit Conso de Sofinco dans une étude consacrée aux seniors et le crédit à la consommation, juillet 2011.
Première évolution, les classes moyennes vieillissent. Les statistiques du crédit au cours des 20 dernières années montrent que le vieillissement des classes moyennes serait plus rapide que celui de la population française en général. Les classes d’âge qui consomment le plus, notamment des biens de consommation durables pouvant être acquis avec un crédit, sont désormais celles des « jeunes seniors », la notion de senior débutant selon les instituts à partir de 50 ou 55 ans. Le niveau de vie63 des ménages dont l’âge est compris entre 50 et 64 ans est de 21% supérieur à celui des foyers de moins de 50 ans. Leur consommation en valeur est supérieure à la moyenne nationale pour de nombreux produits, qu’il s’agisse de l’automobile ou de l’équipement de la maison. Lorsque la retraite intervient tôt, ils profitent également de nombreux loisirs, parfois onéreux. Par exemple, l’achat d’un camping-car acquis avec un crédit, comme cela a été évoqué dans la partie précédente. L’usage du crédit au cours des vingt dernières années montre ce « vieillissement » très clairement, comme l’illustrent les deux tableaux ci-après.
Tableau 5 : Distribution selon l’âge des emprunteurs (estimation)
Source :
Estimations de l’auteur d’après, d’une part, les données de l’Observatoire des crédits aux ménages et, d’autre part, les évolutions démographiques de l’Insee.
En 1990, 17% des emprunteurs (crédit immobilier et/ou crédit à la consommation) étaient des « seniors » âgés de 55 ans et plus. Vingt ans plus tard, en 2010, ils sont 26%. Soit une augmentation plus forte que celle observée pour la démographie française en général. Ce déplacement de l’âge moyen de l’emprunteur est très net.
Cette tendance observée pour le crédit en général est encore plus spectaculaire pour le crédit à la consommation. La part des seniors (55 ans et plus) augmente de 13% à 30%. Ce phénomène est très significatif après 65 ans. Selon l’Observatoire des crédits aux ménages, 7% des 65 ans et plus remboursaient un ou plusieurs crédits à la consommation en 1990 ; vingt ans plus tard (2010) ils sont 19%. L’usage du crédit en fonction des générations est différent : sur cent crédits à la consommation remboursés par les plus de 55 ans, 34% concernent l’achat d’une automobile ou moto (contre 51% pour les moins de 30 ans), 30% l’acquisition de biens d’équipement du logement ou la réalisation de travaux (17% pour les moins de 30 ans). Les seniors appartenant aux classes moyennes, et issus de la génération du baby-boom, perpétuent des modes de consommation et un accès au crédit qui étaient les leurs pendant la vie active. En revanche, les générations qui leur succèdent dans le monde du travail restent en deçà en matière d’utilisation du crédit, peut-être parce qu’elles n’ont plus le même niveau de revenus pour certains d’entre eux et qu’elles ne disposent plus des mêmes critères de stabilité. Les générations plus jeunes semblent accéder beaucoup moins rapidement que leurs aînés à la catégorie des classes moyennes.
Les classes moyennes consomment différemment
Deuxième évolution observée au travers des chiffres du crédit, les classes moyennes consomment différemment. Certes, les besoins et usages pour lesquels le recours au crédit est sollicité sont globalement les mêmes au cours des dernières décennies, en particulier lorsqu’il s’agit de financer l’accès à l’immobilier, l’équipement du logement ou l’automobile. Par contre, deux tendances importantes sont apparues au cours de la dernière décennie, qu’illustrent très bien les données relatives au crédit.
Exception faite de l’immobilier, la première tendance est celle d’achats de moins en moins chers, voire celle du low cost, même si en quantité de biens achetés il n’y a pas forcément de baisse observée. L’automobile, qui reste indispensable pour se déplacer, se rendre sur son lieu de travail, en apporte une excellente illustration. Ainsi, si sous l’effet des mesures de soutien les immatriculations automobiles ont progressé en 2008 et 2009, le montant moyen d’un financement de véhicule neuf a en revanche chuté de 14% en deux ans seulement. Le montant moyen d’un financement de véhicule d’occasion baisse quant à lui régulièrement depuis 2004. Ce phénomène de « panier moyen inférieur » concerne quasiment tous les secteurs. La deuxième tendance concerne les canaux de distribution, en particulier depuis l’avènement d’Internet. La distribution des produits financiers n’échappe pas à cette logique. Qu’il s’agisse d’accompagner l’achat du consommateur sur un site de e-commerce, ou de la distribution directe de crédits à la consommation auprès de particuliers, plus d’une demande de crédit amortissable sur deux auprès de certaines sociétés financières spécialisées se fait désormais sur Internet. Depuis dix ans, les formules de financement directement proposées sur les sites marchands se multiplient, traduisant le déplacement de la consommation, et en particulier celle des classes moyennes, vers Internet.
Les classes moyennes quittent les grandes villes
Histoire économique et sociale de la France, op. cit.
« Observatoire des crédits aux ménages », op. cit.
Ifop, op. cit. Ce taux (logement dans une maison individuelle) est de 64 % pour la catégorie des « classes moyennes » et de 63 % pour la catégorie des « classes moyennes supérieures ».
Intervention de Dominique Reynié lors du colloque « À quoi rêvent les classes moyennes ? » organisé le 18 novembre 2010 par la Fondapol.
Une Force inconnue, le crédit, op. cit.
Histoire économique et sociale de la France, op. cit.
CRÉDOC, « Les classes moyennes sous pression », Cahier de recherche n°249, Régis Bigot, décembre 2008.
Le Chagrin des classes moyennes, op. cit.
Troisième évolution, les classes moyennes quittent les grandes villes. Du fait d’un prix de l’immobilier qui a très fortement augmenté depuis dix ans, sans que les salaires augmentent en proportion, les classes moyennes privilégient de plus en plus les agglomérations moins importantes, notamment les zones périphériques des métropoles, ou les zones rurales. Les travaux de Jacques Friggit illustrent le découplage assez récent entre prix de l’immobilier et revenu des ménages. Ils se basent sur un indice du prix des logements rapporté au revenu disponible par ménage avec une base 100 fixée pour l’année 1965. Cet indice a fluctué de 1965 à 2002 dans une fourchette comprise entre 90% et 110% du niveau de 1965 (« tunnel de Friggit »), pour en sortir par le haut en 2002 et atteindre près de 170% en 2008.
D’après l’Observatoire des crédits aux ménages, en 1989, les grandes agglomérations de plus de 100.000 habitants (dont Paris) représentaient 45% des ménages endettés ; vingt ans plus tard (2009) ce ratio n’est plus que de 40%. Cet écart est encore plus significatif si on remonte dans le temps : exprimé en montant par habitant65, le crédit était, en 1970, deux fois et demi plus élevé dans la région parisienne qu’il ne l’était en moyenne en France. En 2010, les ménages résidant dans des communes rurales ou dans des communes de moins de 20.000 habitants étaient endettés à 55%66, chiffre à comparer à un taux de 45% pour les ménages dont le foyer se situe dans l’agglomération parisienne ou dans des communes de plus de 100.000 habitants, soit un écart de dix points. Cette proportion de classes moyennes plus importante dans les petites agglomérations est confirmée par le type de logement occupé : les classes moyennes sont plus nombreuses que les autres catégories de la population à habiter une maison individuelle67. Cette évolution est significative car elle introduit une rupture dans l’histoire des classes moyennes, traditionnellement liée à l’urbanisation et à l’industrialisation. Car comme le souligne Dominique Reynié68, les classes moyennes « sont d’abord apparues avec la société industrielle ». Dans son ouvrage publié en 1961, Michel Drancourt69 soulignait que « les ménages ont tendance à recourir beaucoup plus facilement au crédit s’ils habitent la ville que la campagne ». Cette règle semble s’être inversée depuis quelques années.
Même si à l’inverse des évolutions précédentes elle ne découle pas de l’observation directe du crédit, une dernière modification mérite d’être soulignée : elle concerne la représentativité des classes moyennes au sein de la population globale. On le sait, les Trente Glorieuses ont favorisé l’émergence des classes moyennes. Selon l’ouvrage Histoire économique et sociale de la France70, la représentativité des classes moyennes serait passée de 30% de la population en 1954 à 41% en 1975.
La poursuite de cette évolution est remise en cause depuis quelques années et donne lieu à de nombreux débats. Le poids des classes moyennes tendrait-il à diminuer face notamment à l’augmentation du nombre d’individus de plus en plus riches, et de ceux de plus en plus pauvres ? Non, répond le CRÉDOC pour qui « les classes moyennes sont plus nombreuses aujourd’hui qu’au milieu des années 198071 » ; « en 1984, 47% de la population disposaient d’un niveau de vie compris entre 75% et 150% du niveau de vie médian ; aujourd’hui [2008], la proportion s’élève à 52% ». Oui, rétorque Nicolas Bouzou pour qui « les classes moyennes ont du chagrin car elles disparaissent et le sentent confusément. Le concept même de classes moyennes devrait être remisé au placard72 ».
Le crédit est-il un bon outil pour promouvoir les classes moyennes ?
« Loger les classes moyennes », op. cit.
« Le Logement, facteur d’éclatement des classes moyennes ? », op. cit.
Il y a eu jusqu’à présent quatre éditions (années de référence : 2001, 2004, 2007 et 2010).
Banque de France, enquête typologique 2007 sur le surendettement, septembre 2008.
Banque de France, enquête typologique 2010 sur le surendettement, mars 2011.
CRÉDOC, op. cit.
Le développement du crédit est-il un bon vecteur pour promouvoir les classes moyennes ? Se poser cette question quatre ans après le début (2007) de la crise financière que nous connaissons peut, de prime abord, paraître surprenant. Car le développement aux États-Unis des crédits subprimes a trouvé son origine dans la volonté, au demeurant louable, des pouvoirs publics américains de permettre l’accès à la propriété à un plus grand nombre de ménages. La crise financière qui a débuté en août 2007 est d’ailleurs souvent présentée comme une crise du surendettement des ménages. Ne faut-il pas dès lors en conclure qu’il est urgent de ne pas repartir dans les mêmes errements ?
La réalité est plus complexe. Il faut en particulier rappeler que les modalités d’octroi des financements aux particuliers jusqu’à la crise étaient très différentes entre les États-Unis et l’Europe continentale. Contrairement à ce qui se pratique dans de nombreux pays européens (dont la France), où l’octroi de crédits aux particuliers repose sur l’équilibre entre les revenus et charges du futur emprunteur, les prêts aux États-Unis étaient également accordés en fonction du patrimoine pouvant servir de garantie en cas de défaillance. La hausse du marché immobilier américain jusqu’au milieu des années 2000 a eu pour effet d’augmenter la valeur des résidences, et donc la capacité d’endettement de leurs propriétaires. Jusqu’au retournement du marché immobilier. La suite est connue. Aussi, la crise des subprimes remet-elle plus en cause le système alors pratiqué aux États-Unis que la vocation du crédit comme soutien à l’équipement des ménages dès lors que sa distribution est encadrée par des règles saines comme c’est le cas en France. Comme le souligne Patrick Stocker, « les banques françaises sont restées vigilantes avec des crédits accordés sur la base de la capacité de remboursement des emprunteurs et non pas sur la valeur de l’actif financé ». Pour le Conseil d’analyse économique, « le système français de financement du logement – fondé sur le prêt personnel – a permis d’éviter les excès observés ailleurs (en particulier aux États-Unis lors de la crise des subprimes) et de protéger à la fois les emprunteurs et les banques des désordres consécutifs à une distribution trop peu prudente des crédits immobiliers73 ». Le taux de refus à une demande de prêt constaté en France mérite d’être rappelé. Notamment lorsqu’il s’agit du crédit à la consommation pourtant souvent décrié du fait d’une trop grande facilité d’octroi supposée. Tous produits et canaux de distribution confondus, le taux de refus en France pour le crédit à la consommation concerne environ 30 % des demandes. S’agissant du seul crédit renouvelable, le taux de refus est de près d’un sur deux comme le relève Pierre Blanc dans le rapport Athling.
La deuxième objection qui puisse être soulevée est liée au développement préoccupant du surendettement, qui ne laisse personne indifférent. Une étude récente de l’université Paris-Dauphine74 pose la question du « déclassement par le surendettement » des classes moyennes. Car si, comme cela vient d’être vu, l’endettement peut permettre une élévation du niveau de vie, le surendettement et ses conséquences tragiques sont à l’inverse synonyme de déclassement social. Le surendettement constitue un drame pour les ménages qui y sont confrontés et engendre des situations particulièrement difficiles.
Mais, comme le mentionne dans ses dernières éditions le rapport triennal réalisé par la Banque de France75, les causes du surendettement sont de façon majoritaire le fait des « accidents de la vie » (chômage, divorce, etc.) qui créent une rupture souvent soudaine dans l’équilibre financier des ménages. Face à une baisse brutale des revenus suite à un licenciement ou à une augmentation des charges causées par un divorce, des familles se trouvent dans l’impossibilité de faire face à un endettement jusqu’ici assumé. Parmi les causes du surendettement en France, l’excès de crédit représente près d’un dossier sur sept76 ; son poids est en outre en diminution significative depuis dix ans comme le souligne le dernier rapport de la Banque de France77. Ce même rapport rappelle qu’en 2010, « 23% des dépôts de dossiers sont dus à des difficultés familiales (séparation, divorce, décès d’un membre de la cellule familiale) impliquant une diminution des ressources […] ; 26% des particuliers surendettés sont au chômage […] ; la seule diminution des ressources indépendamment de tout autre facteur [est] à l’origine de 27% des dépôts de dossiers. » Si les classes moyennes peuvent être confrontées au surendettement, c’est qu’elles sont également, et de façon croissante, confrontées aux « accidents de la vie », le chômage tout particulièrement. Le CRÉDOC souligne78 l’instabilité professionnelle croissante des classes moyennes : « Alors que les générations d’actifs des Trente glorieuses évoluaient avec la perspective d’un avenir professionnel stable […], les nouvelles générations […] ne sont pas assurées de vivre avec un emploi à temps plein tout au long de leur vie : la probabilité est donc forte que leur parcours professionnel s’émaille de périodes de chômage. »
Crédit et acquisition immobilière
La question du support du crédit pour l’acquisition immobilière et l’intérêt de le promouvoir pour le bénéfice des classes moyennes ne font en réalité pas vraiment débat. Elle est placée ainsi régulièrement au cœur des programmes politiques. Lors de la dernière campagne présidentielle, le futur Président de la République déclarait79 : « Il faut permettre aux classes moyennes […] d’accéder à la propriété. » Suivra une mesure phare du début du quinquennat, reposant sur la déductibilité fiscale des intérêts liés au crédit immobilier. Cette mesure sera revue en 2010 avec la création du PTZ+. Le dossier de presse qui l’accompagne souligne explicitement que ce nouveau dispositif « aidera […] les familles des classes moyennes, (par exemple les familles dont les revenus sont compris entre 2 et 4 SMIC qui sont insuffisamment aidés par les dispositifs actuels) », ou encore qu’ « un accent est mis sur […] au bénéfice particulier […] des classes moyennes ».
Depuis plusieurs décennies, les initiatives des pouvoirs publics se succèdent afin de promouvoir l’accès à la propriété au moyen de différentes mesures intervenant en trois étapes :
– La première concerne l’incitation à la préparation avec la constitution d’une épargne : c’est l’objectif du Plan Épargne Logement avec une prime versée par l’État qui s’ajoute aux intérêts acquis ;
– Vient ensuite l’achat immobilier encouragé par différentes aides liées au financement comme cela a été vu dans la première partie de cette note ;
– Enfin, dernière étape, le maintien de la solvabilité financière de certains foyers « accédants » en leur apportant une sécurité face aux accidents de la vie ; c’est le rôle des Aides Personnelles au Logement, dites APL Accession.
Comme le rappellent Jacques Mistral et Valérie Plagnol, « depuis la loi de 1977 ont été accumulées sans interruption des strates de prêts et de subventions. La loi de 1977 avait institué un système de prêts aidés appelés PAP (prêts d’accession à la propriété) et PC (prêts conventionnés). En 1995, le PAP a été remplacé par le PTZ (prêt à taux zéro) ; ce dernier a été constamment élargi et aménagé depuis. Plus récemment a été institué le PASS foncier…80 ». À cela s’ajoutent, même s’ils ne concernent pas directement les primoaccédants mais ceux qui investissent (avec recours très souvent au financement), de nombreux dispositifs fiscaux en faveur de l’investissement locatif.
L’utilité économique du crédit à la consommation
Asterés.
Sofinco, « PROFIL 2011 », op. cit.
Panorama du Crédit Conso de Sofinco : étude consacrée au financement automobile, 2010.
Aristote, Politique, I, IV.
Paul Reboud, Précis d’économie politique, tome 2, Dalloz, Paris, 1939
Par exemple, dans Paul Reboud, Précis d’économie politique, tome 1, Paris, Dalloz, 1939.
Louis Baudin, Le Crédit, Éditions Montaigne, Paris, 1934.
Panorama du Crédit Conso de Sofinco : étude consacrée au crédit à la consommation en Europe, juin 2011.
En réalité, le débat porte davantage sur l’utilité économique du crédit à la consommation. Ceci est d’autant plus important dans un pays où la consommation des ménages est un élément central. L’évolution de la consommation des ménages français a généré en moyenne 85% de la croissance économique au cours des dix dernières années81.
Le rôle économique et social du crédit à la consommation est souvent ignoré, alors que personne ne conteste par ailleurs l’importance du crédit pour les entreprises ou celle du crédit immobilier. Facteur incontournable de l’équipement des particuliers, le crédit à la consommation contribue pourtant de façon directe à la croissance économique. En France, les dépenses réalisées grâce au crédit à la consommation représentent chaque année un peu plus de 7% du PIB. Soit davantage que le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). Comme cela vient d’être vu dans les précédentes parties, le crédit est primordial pour de nombreux secteurs : que deviendrait sans lui l’industrie automobile, quand trois véhicules neufs sur quatre, acquis par les particuliers, le sont grâce à un financement ?
En permettant d’étaler dans le temps la charge d’acquisition, le crédit permet par ailleurs aux ménages d’acquérir des biens de valeur supérieure et donc d’augmenter le chiffre d’affaires du commerce. Deux exemples en attestent. Chez les spécialistes de l’ameublement82, le panier d’achat moyen, tous modes de paiement confondus, est de 1.900 euros ; il augmente de 32% lorsque l’achat est réalisé à crédit. Ce qui est vrai de l’équipement de la maison, l’est également pour la distribution automobile : le prix des véhicules acquis avec un financement83 est supérieur de 20% à celui des véhicules acquis sans financement.
Certes, le crédit, et en particulier le crédit à la consommation, a pâti historiquement de diverses condamnations. La première est liée à la prohibition du prêt à intérêt, affirmée dès Aristote84 et proclamée par de nombreuses religions. La monnaie apparaît comme un simple intermédiaire dans les échanges, et ne pouvant d’aucune façon être un moyen de se procurer un gain : nummus non gignit nummum. Jusqu’au XVIème siècle, aucune distinction n’est par ailleurs faite entre le prêt à intérêt et l’usure, qui exprime un abus. « C’est seulement à la fin du XVIIIème siècle que les économistes, avec Turgot et Bentham, se déclarèrent résolument en faveur du prêt à intérêt et que le législateur français l’autorisa. La loi du 11 avril 1793 proclama la liberté absolue du prêt d’argent85. » Une autre condamnation, plus récente, que l’on trouve par exemple dans des manuels d’économie de la première partie du XXème siècle86, distinguait d’une part le crédit à la production, vertueux car il sert à « produire une richesse nouvelle » et d’autre part le crédit à la consommation, « dangereux […] puisqu’il n’a pas pour but la création d’un bien qui servirait à le rembourser. » Dans le livre intitulé Le Crédit publié en 1934, livre qui expose les avantages du crédit dans son ensemble, on peut lire que « le crédit à la consommation, étant improductif, n’engendre pas […] les revenus qui permettent au débiteur de se libérer plus tard87. »
L’usage du crédit à la consommation pourrait être plus développé qu’il ne l’est aujourd’hui. En effet, si on excepte la dette publique, les Français sont parmi les moins endettés des pays occidentaux, tout particulièrement en matière de crédit à la consommation. En 2010, les encours de crédits à la consommation représentaient 13,2%88 de la consommation totale des ménages en France, contre 15,4% en moyenne dans les 27 pays de l’Union européenne (ce ratio est de 15,8% en Allemagne et de 22,4% au Royaume-Uni). La réalité de ce moindre recours des Français au crédit à la consommation mérite d’être soulignée. À l’instar d’un rapport du Sénat de 2006 qui souligne ainsi que « le sous-endettement relatif des ménages français entraînait un “coût” macroéconomique et microéconomique sur lequel il faut insister tant, en ce domaine, reste dominante l’idée selon laquelle l’endettement serait, en soi, pernicieux ».
Le crédit peut enfin être un moyen complémentaire ou de substitution à certaines aides directes des pouvoirs publics, comme ce fut d’ailleurs à deux reprises (1996, 2004) le cas avec des mesures reposant sur la déductibilité des impôts d’une partie des agios.
Fort de ce double constat, d’une part que le crédit à la consommation est un puissant levier pour la croissance, mais que d’autre part le recours des Français y est inférieur à la moyenne européenne, il convient donc de s’interroger sur l’utilité d’encourager l’usage du crédit, tout en respectant bien naturellement des règles d’acceptation rigoureuses. Un calcul assez simple permet de l’évaluer. Une mise à niveau de la France par rapport à l’Allemagne représenterait des encours supplémentaires de crédits à la consommation de plus de 20%, soit plus de 30 milliards d’euros, c’est-à-dire le niveau du plan de relance de l’État engagé en 2009 ou le grand emprunt lancé en 2010.
Conclusion
Par exemple, d’après l’étude réalisée en juillet 2011 par le Panorama du Crédit Conso de Sofinco, les encours de crédits à la consommation ont ainsi évolué en un an (2010) de +59% en Chine, de +30% au Brésil, de +17% en Russie, etc.
Parce qu’il concerne une très grande majorité des ménages à un ou plusieurs moments de leur existence, le crédit aux particuliers est un miroir de la société et de ses évolutions :
– Miroir de la situation financière d’un foyer, et, au-delà, de la situation de l’emploi : l’octroi d’un financement repose sur un examen préalable de la solvabilité des individus qui en font la demande. Par la suite, leur capacité à rembourser témoigne de leur aisance financière ;
– Reflet fidèle des dépenses des ménages et de leurs choix de consommation : les différentes formes de crédit souscrites correspondent à la structure de dépenses des particuliers : immobilier, automobile, biens d’équipement de la maison, mais aussi loisirs, études des enfants, etc. Le crédit suit également les formes de distribution, comme l’illustre l’évolution du e-commerce ;
– Marqueur des évolutions sociétales et démographiques de la société française : s’il ne fallait retenir qu’un seul exemple, les modifications observées en matière de consommation et de patrimoine entre les jeunes générations et celle des « seniors » sont révélées par les données du crédit. C’est pourquoi le choix du crédit comme outil d’analyse des classes moyennes et de leur évolution est pleinement approprié.
Comme cela vient d’être développé dans cette note, le crédit s’adresse principalement aux classes moyennes, qui en retour se définissent par un mode de vie, un équipement et des usages que leur permettent le recours au crédit. Ce lien entre crédit et classes moyennes semble vérifié à la fois dans le temps et à l’échelle du monde. La forte progression du crédit aux particuliers89 que connaissent actuellement les économies émergentes rappelle ainsi celle observée dans les économies traditionnelles au cours des Trente Glorieuses. Les évolutions et le niveau d’utilisation du crédit enregistrés dans chaque pays témoignent à leur façon de l’état des classes moyennes sur chacun de ces marchés.
Enfin, au delà de son utilité économique et sociale, au service principalement des classes moyennes, le crédit aux particuliers reste un outil moderne. Il peut constituer un levier politique face aux enjeux de demain, s’agissant notamment du soutien au logement et à la consommation, de l’accompagnement du désengagement partiel des pouvoirs publics de certaines dépenses, mais aussi de la volonté de modifier, dans le cadre des politiques environnementales, les modes d’habitat et de consommation.
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