Résumé

Introduction

I.

Un système de santé très dégradé

1.

Une offre générale de soins qui ne répond pas aux besoins

2.

Une prise en charge déficiente à plusieurs niveaux

3.

Une approche palliative du soin négligée

4.

L’effet anxiogène sur les soignants de l’annonce de la légalisation de la mort provoquée

II.

Les certitudes des économies possibles et les incertitudes de financement des soins palliatifs

1.

Le Canada, un choix assumé d’économies

2.

En France, des promesses pour le développement des soins palliatifs

3.

Le coût de la fin de vie en France

4.

Les extrapolations à la France des chiffres de la mort provoquée à l’étranger : le Québec et l’Oregon

III.

L’évolution du profil socio-économique des personnes ayant recours à la mort provoquée

Conclusion

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Résumé

Le projet de loi sur l’accompagnement des malades et de la fin de vie,
proposant de légaliser le suicide assisté et l’euthanasie, s’inscrit dans une
logique inédite. L’étude d’impact de ce texte n’a pas pris en considération
les implications sociales de ces nouvelles pratiques dans notre société.

Or, les exemples observés au Canada et dans l’Oregon font apparaître
que les personnes seules ou défavorisées sont surreprésentées parmi les
populations ayant recours au suicide assisté. De plus, on voit désormais
circuler, à bas bruit mais aussi explicitement, l’idée que le développement
de la mort provoquée pourrait être une source d’économies.

Si l’on devait laisser s’installer une telle idée, les conséquences morales
et politiques pour nos sociétés vieillissantes seraient considérables et
possiblement d’une gravité extrême, en particulier dans des pays marqués
par le sous-investissement dans les soins palliatifs, souvent essentiels dans
l’accompagnement des personnes en fin de vie.

Yves-Marie Doublet,

Docteur en droit, chargé d’enseignement à l’espace éthique de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Pascale Favre,

Médecin, titulaire d’un DEA en droit et économie de la santé et doctorante en philosophie.

Notes

1.

Il est fait référence dans cette étude au projet de loi déposé devant l’Assemblée nationale sous la XVIe législature [en ligne].

+ -

2.

Matthias Savignac, « MGEN : Pourquoi nous soutenons la législation de l’aide active à mourir », La Croix, 16 septembre 2022 [en ligne].

+ -

La pression exercée pour reprendre le débat législatif sur la question de la mort provoquée sous la forme d’une légalisation de l’euthanasie ou/et du suicide assisté1 apparaît en grand décalage avec la réalité du terrain. Elle ne correspond ni aux attentes prioritaires des Français ni à la situation préoccupante de notre système de santé dont l’état alarmant est sous-estimé, voire tu. Dans ce contexte, avec en toile de fond un déficit considérable des finances publiques et de nos régimes sociaux et une dégradation de la note de la France sur les marchés, la légalisation de la mort provoquée est soutenue par des complémentaires santé2. Or, nul ne peut ignorer l’impact spécifique qu’une telle loi aurait sur les plus précaires, l’exemple des pays étrangers ayant légalisé l’euthanasie étant à ce titre instructif. Ce qui est présenté comme un choix pour « les plus forts » pourrait bien être une incitation pour « les plus faibles ». Ce sont ces données qu’il convient de rappeler à la veille d’une reprise du débat sur la légalisation de la mort provoquée.

I Partie

Un système de santé très dégradé

1

Une offre générale de soins qui ne répond pas aux besoins

Notes

3.

« Baromètre. État de la France. », IPSOS, 2ème édition, septembre 2024 [en ligne].

+ -

4.

Sans pour autant d’ailleurs que la douleur soit à ce jour reconnue comme une spécialité à part entière.

+ -

5.

Claire Lagadie, « « Bouleversée et à bout de souffie » : resté sur un brancard pendant 10 jours, un patient se suicide aux urgences psychiatriques du CHU de Toulouse », La Dépêche, 14 février 2024 [en ligne].

+ -

6.

« Déserts médicaux : dans la Nièvre, des habitants « interdits de tomber malades », Le Figaro, 16 octobre2024 [en ligne].

+ -

7.

Une ALD est par définition une maladie chronique, incurable, qui peut rapidement être à un « stade avancé » sans pour autant engager le pronostic vital à court terme, voire à moyen terme.
Il existe trois natures d’ALD : des pathologies listées par voie réglementaire après avis de la Haute autorité de santé ; les pathologies en dehors de cette liste, reconnues comme « une affection grave caractérisée» et nécessitant « un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse » ; les « polypathologies entraînant un état pathologique invalidant » et nécessitant « un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse ».

+ -

8.

« Les bénéficiaires du dispositif des affections de longue durée en 2022 », Points de repère n° 54, juillet 2024 [en ligne].

+ -

Dans le contexte d’une offre de soin profondément détériorée, il n’est pas surprenant que la santé constitue cette année « le premier sujet de préoccupation des Français », devant le pouvoir d’achat (celui-ci était en tête en 2023). Interrogés sur les trois sujets qui les préoccupent le plus, 40% des Français ont sélectionné l’item « votre santé et celle de vos proches » ; ils sont même 42% au sein des catégories socioprofessionnelles défavorisées3.

L’accès aux soins de base se révèle chaque jour plus complexe, une grande partie de la population française n’a plus de médecin traitant, les délais des rendez-vous chez les spécialistes se comptent en mois ; pour une consultation spécialisée contre la douleur4 – sujet sensible s’il en est dans nombre de pathologies chroniques et tout particulièrement au moment de la fin de la vie – ils sont d’au moins six mois. Le recours auxurgences, qui devient pour certains la seule issue, alourdit la charge qui pèse sur des services déjà saturés. Plusieurs décès survenus aux urgences, imputables à des retards de prise en charge, ont été médiatisés au cours de ces derniers mois5. Le maire de Decize, dans la Nièvre, a fourni une illustration spectaculaire de la gravité de la situation. Non sans ironie, il a publié en octobre 2024 un arrêté municipal « relatif à l’interdiction de tomber malade sur le territoire de la commune […] sous peine de ne recevoir aucune prise en charge médicale en raison de la fermeture répétée des services d’urgence6 ». Aussitôt suivie par une vingtaine d’autres élus de communes voisines, cette décision témoigned’une situation qui prévaut dans bien d’autres endroits. Au-delà de la perpétuation de conditions insupportables pour les patients, ces dysfonctionnements entraînent d’inévitables retards de diagnostic, ceux-ci générant à leur tour une aggravation de l’état de santé des patients et donc des coûts majorés de prise en charge ainsi qu’une réduction des chances de guérison. L’absence d’une prise en charge potentiellement rassurante majore l’anxiété toujours présente dans la maladie, la crainte d’être mal soigné grandit. La peur de souffrir s’installe, favorisant l’idée du recours possible à une mort provoquée. Les personnes âgées et les personnes handicapées, c’est-à-dire les fractions les plus vulnérablesde la population, sont les plus concernées.

Si la croissance de la population et son vieillissement comptent pour plus de 55% dans l’évolution des dépenses relatives aux affections de longue durée (ALD) 7, le nombre de personnes souffrant d’une ALD sans médecin traitant reste notable, même si la courbe s’est infléchie en 2023 à la suite d’un plan d’action ciblé de l’Assurance maladie8.

Notre système de santé est exsangue et sans transformations radicales de son financement comme de son organisation, aucune perspective d’amélioration ne semble imaginable à court terme.

2

Une prise en charge déficiente à plusieurs niveaux

Notes

9.

Marc Lévêque, « Un droit à mourir plutôt qu’à être soulagé de ses douleurs », Le Point, 13 mars 2024 [en ligne].

+ -

10.

Gilles Duhamel, Julien Mejane et Prescillia Piron, « Les soins palliatifs et la fin de vie à domicile », Inspection général des affaires sociales, janvier 2017 [en ligne].

+ -

11.

Claude Mermod, Je vais mourir mardi 18. Le suicide assisté au paradis helvète, l’Harmattan, 2019.

+ -

12.

Sonia Delesalle-Stolper, « La militante Christiane Hessel-Chabry, veuve de Stéphane Hessel, a choisi de mourir en Belgique », Libération, 15 décembre 2024 [en ligne].

+ -

13.

“Oregon Death with Dignity Act. 2023 Data Summary”, Oregon Health Authority, 20 mars 2024 [en ligne].

+ -

14.

Marie-Claire Carrère-Gée et Xavier Iacovelli, Rapport d’information N° 770, Sénat, 24 septembre 2024 [en ligne].

+ -

15.

Marie-Claire Carrère-Gée et Xavier Iacovelli, « Complémentaires santé, mutuelles : l’impact sur le pouvoir d’achat des Français », www.sénat.fr, 24 septembre 2024 [en ligne].

+ -

16.

Franck Arnaud et Geoffrey Lefebvre, « Les dépenses de santé en 2022. Résultats des comptes de la santé. Éditions 2023 », Panoramas de la Drees Santé, 2023 [en ligne].

+ -

17.

À titre d’exemple, les 800 postes pour les CMP (centres médico psychologiques) dont le financement était annoncé lors des assises de la psychiatrie en 2021 sont tous restés vacants, faute de candidats.

+ -

18.

Voir CCNE, « Avis 139. Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité », 13 septembre 2022 [en ligne].

+ -

19.

Camille Riquier, « La fin de vie est un dilemme devant lequel la morale est impuissante », Le Monde, 26 mars 2024 [en ligne].

+ -

Plusieurs situations plus spécifiques, affectant directement la santé des patients, s’avèrent mal prises en charge. Or, chaque état dégradé peut être une porte ouverte à une demande de mort anticipée, qui ne serait alors que la traduction d’une forme de maltraitance.

L’insuffisance de la prise en charge de la douleur

Sans même parler de soin palliatif, les personnes favorables à l’euthanasie disent « ne pas vouloir souffrir », ce qui semble une exigence absolument justifiée. De fait, le ressenti de la douleur et/ou l’appréhension de douleurs futures sont à l’origine de nombre de demandes de mort. Mais la douleur est très insuffisamment prise en charge en France. Qu’il s’agisse de la douleur cancéreuse, qui concerne jusqu’à 90% des patients dans la phase évoluée de la maladie ou plus largement des situations de douleurs chroniques, dont souffrent 12 millions de Français, le taux de réponses adéquates est très insuffisant. Selon un rapport de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) paru en 2017, le « sous-traitement », compris comme une insuffisance de prise en charge, était évalué à 61% en cancérologie, tandis que seuls 3% des douloureux chroniques sont pris en charge dans les centres spécialisés. Dans ce contexte, le projet de loi légalisant l’euthanasie a été perçu par des professionnels de santé comme particulièrement inopportun : « Alors que ce projet de loi s’invite dans toutes les conversations, nos concitoyens savent-ils que la médecine de la douleur n’est toujours pas reconnue comme spécialité à part entière ?

Que 30% des structures publiques risquent de disparaître ces prochaines années par manque de moyens financiers et humains ? Que la médecine de la douleur en libéral est moribonde avant même d’avoir vécu ?9 ».

L’inadéquation de la prise en charge face au vieillissement de la population

À cause du vieillissement de la population, le système de santé va être amené à accompagner un nombre croissant de fins de vie : l’Insee prévoit 770.000 décès par an à l’horizon 206010. Ce contexte démographique implique une augmentation parallèle des comorbidités, donc des besoins accrus en termes de santé publique.

La question de la prise en charge du vieillissement ne se pose pas que dans notre pays. Non sans cynisme, le film japonais Plan 75, de Chie Hayakawa, imagine un programme gouvernemental encourageant les personnes âgées à se faire euthanasier. Plus près de nous, Claude Mermod accuse la pratique du suicide assisté en Suisse de devenir « une formule bien éduquée pour faire “partir” les vieux11 ». De manière générale, les pays qui ont légalisé la mort provoquée ont vu le nombre de morts anticipées augmenter au fil des ans, en raison d’une extension croissante de l’éligibilité à l’acte mais aussi d’une banalisation du geste. Surtout, cette normalisation peut stigmatiser ceux qui coûtent alors qu’ils ne rapportent plus, voire leur faire intérioriser cette notion12. Nombreuses sont les personnes qui demandent une mort anticipée pour « ne pas être un fardeau » pour leurs proches13. Notre société valorise la performance, l’efficacité, ce qui a contrario place les personnes vieillissantes dans une position de plus en plus inconfortable. Ainsi lors de l’épisode de la Covid, certains intellectuels ont prôné l’abandon des vieux au bénéfice des plus jeunes. Dès lors que la possibilité d’une mort programmée existe, les personnes âgées doivent assumer le choix de vivre à rebours des valeurs dominantes. En outre le discours vantant le courage et l’héroïsme, voire la « dignité » de la mort anticipée, accentue le poids à porter pour continuer à vivre, même malade, même diminué dans ses capacités.

Par ailleurs, la dépense moyenne annuelle de santé augmente avec l’âge. La dépense moyenne remboursable par personne et par an est deux fois plus élevée chez les 60-74 ans (4.005 €) et quatre fois plus élevée chez les plus de 85 ans (8.102 €) que chez les 17-59 ans (1.757 €)14.

Une information complète exige de préciser aussi que les frais de gestion des complémentaires santé ont augmenté à un rythme deux fois plus élevé que l’inflation entre 2011 et 2022, soit 33% en valeur et dépassent désormais les frais de gestion de l’Assurance maladie obligatoire15.

Dès lors on peut être tenté de faire un rapprochement entre ces chiffres et les positions prises par les complémentaires santé en faveur d’une légalisation de la mort provoquée. Sur 14 États membres de l’Union européenne, c’est en effet en France que le reste à charge par habitant est le plus faible à ce jour (405 euros par habitant)16.

La psychiatrie, un indispensable outil d’analyse des demandes de mort, ne pouvant assurer sa mission
Le psychiatre apparaît comme un professionnel essentiel dès lors qu’il est question de mort provoquée. En effet, au cours de la phase particulière de la fin de la vie, nombre de patients vivent des périodes dépressives qu’il convient de diagnostiquer et prendre en charge. Or, le secteur de la psychiatrie est, peut-être plus que toutes les autres spécialités médicales encore, dans un état de délabrement consternant, avec des sous-effectifs majeurs17. Depuis 2010, 310 postes de psychiatre n’ont pas été pourvus à l’internat, dont 65% entre 2019 et 2023. En 2023, 67 postes sur 547 ouverts, sont restés vacants. La capacité d’accueil des hôpitaux est passée de 100.000 lits à 80.000 lits entre 1997 et 2021. Une dizaine de départements n’a même plus un seul praticien. Cette situation pourrait s’aggraver encore davantage si la mort provoquée était légalisée puisque la psychiatrie serait moins attractive. En effet, les psychiatres placés devant des patients ayant fait une tentative de suicide, potentiellement encouragés par la légalisation du suicide assisté, devront les prendre en charge tout en évaluant la différence entre les deux démarches, ce qui est absolument impossible : aucun médecin ne peut affirmer sérieusement qu’il n’y a aucun élément dépressif dans une demande de mort. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) admet lui-même, dans une annexe à son avis 139, qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre le suicide médicalement assisté et les autres formes de suicide18. Suicides d’ailleurs susceptibles de toucher plus spécifiquement la population jeune, tout particulièrement à l’heure des réseaux sociaux. Or, pour les 13% d’enfants et d’adolescents nécessitant des soins en psychiatrie (soit 1,6 million de jeunes), on compte moins de 600 pédopsychiatres sur toute la France. D’ores et déjà certains s’inquiètent de l’effet délétère d’une légalisation du suicide assisté sur la jeunesse : « La jeunesse sera peut-être heureuse d’apprendre que lorsqu’elle ne sera plus en capacité de mourir toute seule, par elle-même, comme une grande, elle pourra bientôt compter sur une aide de l’État. Elle n’aura qu’à demander ?19 »

3

Une approche palliative du soin négligée

Notes

20.

Loi n° 99-477 du 9 juin 1999, visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs.

+ -

21.

Rapport de la Cour des Comptes, 2023.

+ -

22.

Idem.

+ -

23.

Dans un échange avec Thomas de Gabory, le docteur Patrick Vinay exige l’inscription des soins palliatifs dans un temps long (deux ans au moins) pour leur accorder le statut de soins palliatifs authentiques, septembre 2024 [en ligne].

+ -

24.

Jean-Marie Gomas et Pascale Favre, Fin de vie : peut-on choisir sa mort ?, Paris, Artège, 2022.

+ -

25.

Rappelons qu’il y a plus de 600.000 décès par an en France : 638.000 décès en 2023, 675.000 en 2022 ; chiffre qui va augmenter dans les années à venir en raison du vieillissement de la population.

+ -

26.

Circulaire DHOS/O2/DGS/SD5D/2002 n° 2002/98 du 19 février 2002 relative à l’organisation des soins palliatifs et de l’accompagnement, en application de la loi 99-477 du 9 juin 1999, visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs [en ligne].

+ -

27.

Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France, CNSPFV, troisième édition, 2023.

+ -

28.

« Pallidom » est le nom d’une expérimentation qui permet d’apporter au domicile, les principes d’une démarche palliative, concertée collégialement, dans un délai court, pour des patients qui ne sont pas préalablement intégrés dans une filière de soins palliatifs à domicile (réseau, équipe mobile en soins palliatifs ou HAD). Elle s’appuie sur un binôme infirmière-médecin, qui intervient dans les heures qui suivent une instabilité chez les patients dont la volonté est de rester dans leur lieu de vie (Ehpad ou domicile). Cette intervention associe étroitement l’ensemble des professionnels de santé déjà investis auprès des patients. Engagée en septembre 2021 au départ pour 12 mois, l’expérience s’est révélée d’une grande efficacité et se poursuit. Hélas ce modèle expérimental sophistiqué et très salué pour son efficacité ne pourrait être décliné sur l’ensemble du territoire, par manque de soignants formés.

+ -

29.

« XVIe législature. Session ordinaire de 2023-2024. Première séance du lundi 27 mai 2024 », Assemblée-nationale.fr [en ligne].

+ -

30.

Fin 2021, la France comptait 171 USP (unité de soins palliatifs) totalisant 1980 lits ; 5.566 LISP (lits identifiés de soins palliatifs) répartis dans 904 établissements ; 420 EMSP (équipe mobile de soins palliatifs), in Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France, CNSPFV, troisième édition, 2023.

+ -

31.

Création en 2016 d’une sous-section « médecine palliative » au sein de la branche santé du Conseil national des universités (sous-section 46-05, initialement baptisée « épistémologie clinique » et ultérieurement renommée « médecine palliative » en 2019.

+ -

32.

« Les soins palliatifs. Une offre de soins à renforcer. Communications à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale », Cour des Comptes, juillet 2023 [en ligne].

+ -

33.

Jean-Marie Gomas, Éric Fossier et Anik Hoffman, « Les professionnels et les bénévoles connaissent-ils les textes et les recommandations cliniques qui organisent leurs exercices au quotidien ? Evaluation des connaissances palliatives de 502 professionnels et 98 bénévoles. Analyse de 10.420 réponses », Poster congrès SFAP 2023 [en ligne].

+ -

34.

Circulaire N° DHOS/O2/2008/99 du 25 mars 2008 relative à l’organisation des soins palliatifs.

+ -

35.

Valorisation mise en place dans le cadre de la T2A (tarification à l’activité).

+ -

36.

La formulation de la circulaire est intéressante puisqu’elle se défend de parler de « normes » mais simplement de « recommandations », alors que ces éléments sont indispensables à une prise en charge adéquate.

+ -

37.

Régis Aubry, « Du bon usage du concept de lits identifiés en soin palliatif, » Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2008) 7, 119—120 [en ligne].

+ -

38.

Si les lits en USP ont crû d’environ 40%, six unités ont cependant fermé depuis 2019. Quelques exemples (octobre 2024), sans faire le tour de la France : l’USP et l’EMSP du Puy en Velay sont fermées ; 12 lits sont fermés aux Diaconnesses actuellement. Deux lits sur l’USP de la Seyne sur Mer (CH intercommunal Toulon /La Seyne), l’EMSP étant également en difficulté en l’absence de médecin. L’unité de Houdan, qui avait fait l’objet d’une couverture médiatique appuyée en raison de l’engagement de réouverture par une précédente ministre de la Santé début 2024, est toujours fermée à ce jour.

+ -

39.

DAC, dispositif d’appui à la coordination, article 23 de la loi du 24 juillet 2019, décret du 18 mars 2021.

+ -

40.

« Les soins palliatifs. Une offre de soins à renforcer. Communications à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale », Cour des Comptes, juillet 2023 [en ligne].

+ -

41.

Franck Chauvin, « Vers un modèle français des soins d’accompagnement », Rapport adressé à la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, novembre 2023 [en ligne].

+ -

42.

Christine Bonfati-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier, « Rapport d’information n°866 sur les soins palliatifs », Sénat, 29 septembre 2021, p.54 [en ligne].

+ -

43.

PLFSS 2022 et 2023.

+ -

44.

Véronique Lefebvre des Noëttes et Bernard Pradines, « Grand âge et fin de vie : les ambivalences de notre société », NPG Neurologie – Psychiatrie et Gériatrie, 2023 [en ligne].

+ -

En dépit de plusieurs lois sur la fin de vie, en particulier celle de 199920, garantissant l’accès aux soins palliatifs à toutes les personnes dont l’état le requiert, l’offre de soins palliatifs reste notoirement insuffisante. 500 personnes meurent chaque jour sans avoir bénéficié des soins dont elles auraient eu besoin21. Trop peu de politiques de santé publique ont valorisé l’approche palliative dont le rôle préventif pour le confort du patient est pourtant indéniable. La médecine palliative est moins considérée que la médecine curative qui guérit, l’acte qui sauve étant plus prestigieux que l’acte qui soulage. L’efficience d’une prise en charge palliative, à la fois précoce et qualitative, est pourtant incontestable et mobilise des soins moins onéreux que ceux qui sont prodigués quand elle n’est pas sollicitée22. Sans aller jusqu’à un suivi sur deux ans exigés par certains spécialistes des soins palliatifs23 pour parler de « soins palliatifs authentiques », l’optimisation de la qualité de vie des patients exige un suivi sur de nombreux mois. Or, cette temporalité est tout à fait irréalisable actuellement, non seulement par manque de moyens financiers mais surtout du fait d’une carence considérable de ressources humaines.

Une offre de soins palliatifs qui ne répond pas aux besoins

En théorie, la plupart des services médicaux devraient être en capacité de soulager efficacement la douleur. Par ailleurs, toutes les situations de fin de vie n’exigent pas une hospitalisation en milieu spécialisé24. Chaque année, 200.000 personnes environ25 auraient besoin de soins palliatifs, à des niveaux très divers : les unités de soins palliatifs (USP) sont réservées aux patients présentant des tableaux cliniques complexes. Les lits identifiés de soins palliatifs (LISP), créés au sein des établissements hospitaliers par la circulaire de 200226 et puis progressivement déployés, sont destinés à accueillir les patients suivis dans le cadre de pathologies chroniques évoluées en l’absence d’USP. Les équipes mobiles (EMSP) quant à elles ont pour mission de soutenir les équipes soignantes, intervenant à l’intérieur des établissements ou à travers les réseaux. À ce tableau, s’ajoutent les services d’hospitalisation à domicile27, ainsi que des services de soins infirmiers à domicile et des services polyvalents d’aide et de soins à domicile (SSIAD /SPASAD).

Quelques initiatives remarquables méritent également d’être mentionnées, telles l’organisation « Pallidom28 » qui intervient à domicile dans le cadre de la fin de vie. Ces innovations restent isolées, elles ne peuvent prétendre couvrir l’ensemble des besoins du pays ; surtout, elles ne disposent pas d’un financement pérenne permettant d’assurer leur maintien et leur développement. Dans le même sens, sous la responsabilité des agences régionales de santé, 3 millions d’euros ont été délégués aux régions par la première circulaire budgétaire des établissements de santé pour 2024, « en vue de financer le déploiement d’équipes rapides d’intervention en soins palliatifs (ERI-SP) portées par des structures d’HAD ». L’objectif du dispositif « est de faciliter l’accès aux soins palliatifs de toutes les personnes qui en relèvent, quels que soit leur âge et leur situation ». Douze régions devraient initier cette mesure, avec des équipes formées a minima d’un médecin et d’un infirmier mais le déploiement de cette organisation sur tout le territoire semble être un objectif lointain.

Lors de la discussion en première lecture du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie devant l’Assemblée nationale29, la ministre chargée de la santé a annoncé que l’on passerait de 166 unités de soins palliatifs à 198 à la fin de l’année 2025, portant de 7.540 à 8.000 le nombre de lits et permettant la prise en charge des cas les plus complexes. Les prises en charge dans le cadre d’une hospitalisation à domicile passeraient de 70.000 à 120.000 personnes. Quinze équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) seraient créées dès 2024.

Si ces données chiffrées, soutenues par les promesses gouvernementales de réduire les disparités territoriales sont rassurantes30, elles ne reflètent pas cependant la réalité vécue au quotidien par les patients et les soignants. Les difficultés existent dans les différentes strates des soins proposés aux patients en fonction de leurs besoins.

Il faut préciser que depuis bien longtemps, le premier échelon du soin, le médecin généraliste – essentiel pour instaurer une relation de confiance – s’est trouvé quasiment exclu du parcours de la fin de la vie. Plusieurs éléments ont contribué à cet état de fait regrettable : un nombre déclinant de praticiens libéraux souvent surchargés, une réduction drastique des visites à domicile, une tarification dérisoire pour des actes inéluctablement longs et enfin, surtout une insuffisance de formation aux thérapeutiques spécifiques de cette phase particulière de la vie. Bientôt vingt ans après la loi Leonetti, les soins palliatifs restent un parent pauvre de la formation médicale. Ce n’est que très tardivement, en 2016, que la médecine palliative a enfin été reconnue à l’Université31. En 2024, on ne compte que quinze professeurs ayant le statut de professeurs associés et cinq maîtres de conférences (MCU) sur l’ensemble du territoire pour une discipline qui concerne pourtant la majorité d’entre nous un jour ou l’autre. En dépit de la nomination de quatre praticiens hospitalo-universitaires depuis 2023, cette situation témoigne des difficultés, voire des résistances, à reconnaître l’importance de cette médecine. 10,5 heures sont dédiées à ce champ d’études en troisième année de médecine, le domaine du curatif acceptant mal un partenariat pourtant indispensable. Plus largement, il s’avère que la médecine palliative reste mal connue de la population, certes en raison de la carence de l’offre mais aussi à cause de l’image péjorative qui y est encore trop souvent attachée.

Une offre de soins palliatifs inégalitaire, qualitativement et géographiquement

À une grande inégalité d’accès aux soins palliatifs s’ajoute une inégalité qualitative de ces soins. Malgré des promesses ministérielles réitérées, le territoire français demeure inégalement équipé. 22 départements ne disposent toujours pas d’unités de soins palliatifs (dont 3 départements et régions d’outre-mer) ; trois autres, qui en sont pourvus, restent en dessous du seuil d’un lit pour 100.000 habitants32. Plus généralement, les différentes structures palliatives fonctionnent dans nombre de lieux en flux tendu, avec des fermetures partielles de lits dès lors qu’une absence de personnel se profile pour vacances ou maladie. Sans parler de la compétence propre de chaque équipe, évidemment variable : le déficit de formation est avéré dans de nombreuses institutions responsables de patients porteurs de pathologies complexes33.

En pratique, une prise en charge palliative hospitalière exige un renforcement du personnel soignant pour une continuité des soins ainsi que des compétences spécifiques. Depuis 2008, une circulaire en précise l’organisation34. Cependant il existe un fossé entre les textes et la réalité du terrain. Les exigences réglementaires (effectifs, formation et compétence) – pourtant nécessaires pour assurer un suivi palliatif digne de ce nom – ne sont pas respectées. Le cas des LISP – dont la création donne lieu à des attributions financières ciblées pour l’institution qui les accueille35 – est particulièrement significatif de l’inapplication des recommandations36. Régulièrement sous-dotés en personnel – le budget alloué n’étant pas toujours dirigé vers le palliatif comme il le devrait – nombreux sont les lits qui ne peuvent répondre pleinement aux exigences palliatives auxquelles ils prétendent37. Or, la qualité du soin dispensé aux patients dépend directement d’un personnel dûment formé et suffisamment disponible.

En outre, par manque chronique de personnel, des unités de soins palliatifs ou des lits en unité de soins palliatifs ferment régulièrement, temporairement tout au moins38. En ville, la énième réorganisation des réseaux39, aboutissant à la création des DAC (dispositif d’appui à la coordination), imposée sans consultation des acteurs sur le terrain ni évaluation de l’articulation des structures existantes, a récemment encore abîmé un maillage déjà difficile à coordonner en raison des carences de personnel soignant.

Dans les Ehpad (qui abritent près de 600.000 personnes) – dont environ 20% des résidents décèdent chaque année – le déficit de personnel compétent en soins palliatifs s’avère particulièrement problématique. Là non plus la réalité ne correspond pas aux données officielles. Si l’hospitalisation à domicile en soins palliatifs a augmenté de 30% entre 2018 et 2021, l’offre de soins à domicile est lacunaire voire inexistante dans les établissements médico-sociaux40. 63% des Ehpad déclarent avoir des postes non pourvus depuis plus de six mois41 et seulement 9% d’entre eux peuvent compter sur la présence de personnel infirmier 24 heures sur 24, 7 jours sur 742. Si deux tiers des Ehpad ont signé en 2021 une convention avec une équipe mobile de soins palliatifs (contre la moitié en 2011), peu d’entre elles y font appel ; de fait, la médicalisation est souvent indigente, compromettant tout suivi de confort pour les résidents et la plupart sont hospitalisés dans des conditions d’urgence qui seraient évitables dès lors que leur état de santé s’altère. Et en dépit de mesures récentes43, censées permettre le financement d’infirmiers de nuit et ainsi d’assurer la continuité des soins en Ehpad, ces derniers en restent très majoritairement dépourvus. Enfin, selon la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG), 35% des unités gériatriques sont touchées par des fermetures de lits44.

4

L’effet anxiogène sur les soignants de l’annonce de la légalisation de la mort provoquée

Notes

45.

Marie-José Del Volgo, Le soin menacé, chronique d’une catastrophe humaine annoncée, Éditions du croquant, 2021.

+ -

46.

Enquête réalisée par OpinionWay pour le compte de la SFAP du 29 août au 13 septembre 2022, auprès d’un échantillon de 1335 personnes exerçant en soins palliatifs dont 1009 acteurs de soin en soins palliatifs exerçant professionnellement et 326 bénévoles. Voir : « Enquête soins palliatifs », Opinionway pour SFAP [en ligne].

+ -

47.

Depuis de très nombreuses années la question posée aux Français sur leur opinion relative à l’euthanasie évoque une situation de « maladie incurable et de souffrances extrêmes ».

+ -

48.

Avis 121 CCNE : « Il faut désamorcer l’illusion qui voudrait que l’euthanasie soit simple pour le médecin à qui il est demandé de prêter son concours » [en ligne].

+ -

L’insatisfaction des usagers des services de santé se conjugue avec une souffrance des acteurs de terrain, constamment débordés, épuisés, affichant un taux de démission croissant45.

En outre, depuis près de deux ans le sujet de la mort programmée est vécu comme une menace par une grande partie du monde des soignants ; beaucoup de soignants ne veulent pas savoir, ne veulent pas imaginer, ne peuvent pas imaginer. Parmi ceux qui sont interrogés, les soignants directement concernés par cette phase particulière de la vie se disent très majoritairement opposés à toute loi qui accorderait un permis de tuer46. Plus largement, une majorité des personnes qui travaillent auprès des plus vulnérables (personnes âgées, personnes handicapées), comme les directeurs et personnels d’Ehpad, envisagent très sérieusement de démissionner si une telle loi devait être votée. L’engagement de non-abandon qui caractérise l’accompagnement palliatif est mis à mal. Le retrait de ces soignants compétents et motivés, investis dans leur mission professionnelle serait une étape de plus vers la péjoration des prestations de soin et un motif pour proposer une solution indiscutablement « efficace » : l’injection létale47. On ne peut qu’être surpris du peu d’écoute dont bénéficient ces soignants auprès de nombre d’élus. Tout n’est pas seulement question de budget : les professions soignantes sont peu attractives, la multiplication des protocolisations démotivantes, les pressions majeures, sans parler d’une gestion administrative surdimensionnée.

Lorsque l’on prend la mesure de l’ampleur de ces insuffisances qui se sont accumulées dans le temps, on est tenté de penser que de sérieuses raisons socio-économiques, fussent-elles inavouées, plaident pour une légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté. Cette autorisation légale donnée à la provocation volontaire de la mort est cependant rejetée par une immense majorité des soignants directement concernés par les patients en fin de vie. L’acte létal – qui n’est jamais anodin48 – reste fondamentalement contraire à la mission soignante. Le financement des soins palliatifs apparait très incertain face à l’évidence des économies générées par la légalisation de la mort provoquée.

II Partie

Les certitudes des économies possibles et les incertitudes de financement des soins palliatifs

1

Le Canada, un choix assumé d’économies

Notes

49.

Si les deux formes de la mort provoquée – euthanasie et suicide assisté – sont légales au Canada, l’euthanasie est pratiquée dans 99% des cas.

+ -

50.

Preuve, s’il en est besoin, de l’impossibilité d’encadrement de la loi initiale.

+ -

51.

Govindadeva Bernier, “Cost estimate for Bill C-7 ‘Medical assistance in dying’ ”, Office of the Parliamentary Budget Officer, 20 octobre 2020 [en ligne].

+ -

52.

« Cadre sur les soins palliatifs au Canada – cinq ans plus tard », Santé Canada, décembre 2023 [en ligne].

+ -

53.

Barbara Pesut et al., “Is progress being made on Canada’s palliative care framework and action plan? A survey of stakeholder perspectives”, BMC Palliative Care, 21(182), 2022 [en ligne].

+ -

54.

Eric A. Finkelstein et al., “Cross-country comparison of expert assessments of the quality of death and dying 2021”, Journal of Pain and Symptom Management, 63(4), pp. 419–29, 2022 [en ligne].

+ -

55.

« Un nouveau rapport de la Société canadienne du cancer montre qu’il n’y a pas assez de lits dans les maisons de soins palliatifs de presque partout au pays », Index Santé, 25 octobre 2023 [en ligne].

+ -

56.

Mario Canseco, “Most Canadians Back Status Quo on Medical Assistance in Dying”, Research Co, 5 mai 2023 [en ligne].

+ -

57.

Alain Gravel, « La mort libre : 10 ans d’aide médicale à mourir », Radio-Canada Ohdio, 19 septembre 2024 [en ligne] ; Corinne Gendron, « L’aide médicale à mourir, le cas québécois », France Culture, 2 octobre 2024 [en ligne].

+ -

58.

Maria Cheng et Angie Wang, “Private forums show Canadian doctors struggle with euthanizing vulnerable patients”, apnews.com, 16 octobre 2024 [en ligne].

+ -

Le Canada n’a pas dissimulé les retombées économiques de la légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté49. Il a affiché en 2020 dans un rapport parlementaire les gains nets de l’aide médicale à mourir, en y incluant les avantages financiers de la suppression du critère prévisible de la mort. Celui-ci était requis dans la législation de 2016 et a été supprimé en 202150. Le gain financier total net de l’aide médicale à mourir a été estimé dans ce rapport à 149 millions de dollars canadiens51. La part du financement public représente 73% des dépenses de santé au Canada. Il est l’un des pays de l’OCDE où les dépenses de santé par personne comptent parmi les plus élevées, derrière l’Allemagne et les Pays-Bas. En outre la part des seniors dans la population canadienne est passée de 14,4% à 18,5% entre 2011 à 2021.

La dimension financière de la légalisation de l’euthanasie doit être rapprochée des limites de la politique menée en faveur des soins palliatifs dans ce pays. En 2021-2022, seulement 34% des résidents dans les établissements de soins de longue durée qui avaient moins de six mois pour vivre, avaient reçu des soins palliatifs52. Si des efforts en matière de formation aux soins palliatifs ont été enregistrés dans le cadre de la stratégie des soins palliatifs53, on note que, classé en 2015 au 11ème rang pour la prise en charge qualitative des décès, le Canada était tombé au 22ème rang dans le classement de 202154. Comme l’observe Andrea Seale, chef de la direction de la Société canadienne du cancer : « Il est décourageant de constater à quel point l’accès à des soins palliatifs de qualité est limité et inégal pour un grand nombre de personnes au Canada, alors que ces personnes ont besoin de tels soins et méritent de les recevoir55 ».

On relève une impressionnante banalisation de cette modalité du mourir dans ce pays. Selon un récent sondage, la moitié des Canadiens accepteraient que les adultes puissent demander l’aide médicale à mourir en raison d’une incapacité à recevoir des soins médicaux (51%) ou d’un handicap (50%). Près d’un tiers d’entre eux accepteraient d’élargir les lignes directrices pour inclure l’itinérance (28%) ou la pauvreté (27%) comme raisons pour demander l’aide médicale à mourir56. Au Québec avec une augmentation de 9% en un an, les risques et les dérives de l’aide médicale à mourir, qui représente désormais plus de 7% des décès, sont désormais dénoncés ; la société se demande si la légalisation, présentée au départ comme l’ultime recours, ne serait pas devenue une solution face aux ratés du système de santé57 ? Comme le relève Theo Boer, ancien membre d’une commission de contrôle de l’application de la législation néerlandaise, « Le Canada semble appliquer l’euthanasie pour des raisons sociales quand les gens n’ont pas les moyens financiers58 ».

2

En France, des promesses pour le développement des soins palliatifs

Notes

59.

Antoine d’Abbundo, Corinne Laurent, Laure Equy, et Nathalie Raulin « Emmanuel Macron sur la fin de vie : « Avec ce projet de loi, on regarde la mort en face », La Croix, 10 mars 2024 [en ligne].

+ -

60.

Séance de l’Assemblée Nationale du 27 mai 2024.

+ -

61.

« Amendement N° 2076 », Assemblée nationale, 23 mai 2024 [en ligne].

+ -

62.

Le nombre de patients en soins palliatifs en 2024 est estimé à 383.328 et à 432.045 en 2034, ce qui ne permettrait d’assurer qu’une couverture de 70% des besoins en 2034 dans la meilleure des hypothèses.

+ -

Comme pour la rendre plus acceptable, le discours en faveur de la promotion de la légalisation de la mort provoquée s’accompagne désormais de l’annonce d’un effort financier plus soutenu en faveur des soins palliatifs. Ainsi, avant même que la discussion du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades ne s’engage au Parlement, le chef de l’État annonçait qu’un budget d’un milliard d’euros supplémentaires serait engagé en faveur des soins palliatifs59. Ce chiffre a été repris par la ministre chargée de la santé devant l’Assemblée nationale, lors de la discussion de ce projet de loi interrompue par la dissolution de la chambre basse60. L’effort budgétaire sur dix ans représentait 10 milliards d’euros. Mais il ne s’agissait que d’une déclaration politique, sans inscription dans un projet de loi de programmation pluriannuelle. C’est à l’initiative d’un amendement de l’opposition que le principe d’une programmation pluriannuelle sur cinq ans a été finalement adopté61. Il n’en reste pas moins que cette disposition demeure insuffisante pour couvrir à 100% les besoins des soins palliatifs à l’horizon de 10 ans62.

Comme l’a relevé le Conseil d’État, l’étude d’impact jointe au projet de loi ne contenait aucune information budgétaire. Or sur un sujet aux dimensions juridiques, sociales et économiques multiples, les Français et les parlementaires étaient en droit d’en connaître les enjeux financiers. Faute d’information sur les conséquences économiques et financières d’une légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté, il convient d’établir des projections, en s’appuyant, d’une part, sur les travaux de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et, d’autre part, sur les calculs fournis par le seul pays étranger à les avoir publiés, le Canada.

3

Le coût de la fin de vie en France

Notes

63.

« XVIe législature. Session ordinaire de 2023-2024. Première séance du lundi 27 mai 2024 », assemblée-nationale.fr [en ligne].

+ -

64.

Ce chiffre tient compte du fait que cette population bénéficie de la couverture des affections de longue durée.

+ -

Les remboursements par l’Assurance maladie des dépenses de soins occasionnées pendant la dernière année de vie s’élèveraient à environ 13,5 Mds d’euros, soit environ 26.000 euros par personne63. Afin d’estimer la part de ces dépenses spécifiques à la prise en charge de fin de vie, l’IGAS en 2017 a comparé le montant des remboursements de dernière année de vie avec le montant d’une année de remboursement d’une population de « référence », non identifiée comme étant en fin de vie. Elle est arrivée à la conclusion que les dépenses de soins attribuables aux situations de fin de vie s’établissaient à 6,6 Mds d’euros, soit 12.700 euros par personne décédée64. Corrigé de l’inflation, ce montant serait de 7,6 Mds d’euros aujourd’hui. Dans ce même rapport, l’IGAS estime que les dépenses occasionnées spécifiquement par le traitement du dernier mois de vie s’élèveraient à 3,4 Mds d’euros, soit un peu plus de la moitié des dépenses attribuables à la fin de vie. Ajusté avec l’inflation, ce chiffre serait aujourd’hui de 3,9 Mds d’euros.

4

Les extrapolations à la France des chiffres de la mort provoquée à l’étranger : le Québec et l’Oregon

Notes

65.

Le Québec a délibérément choisi d’utiliser l’expression « aide médicale à mourir » pour éviter d’employer le mot « euthanasie » ; ce vocable euphémisant semble jouer un rôle non négligeable sur l’augmentation spectaculaire du nombre de décès par euthanasie dans ce pays, qui détient le record mondial sur ce sujet.

+ -

66.

Fin 2021, la pension moyenne de droit direct (y compris l’éventuelle majoration pour trois enfants ou plus) tous régimes confondus s’établit à 1.531 euros bruts mensuels parmi les retraités résidant en France. Cela correspond à 1.420 euros nets par mois [en ligne].

+ -

67.

Alain Gravel, op.cit.

+ -

68.

Pascal Dugos et al., « Revue de dépenses relatives aux affections de longue durée – Pour un dispositif plus efficient et équitable », Inspection générale des affaires sociales, juin 2024 [en ligne].

+ -

69.

Franck Chauvin, « Vers un modèle français des soins d’accompagnement », Rapport adressé à la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, novembre 2023 [en ligne].

+ -

70.

Antoine d’Abbundo et al., op. cit.

+ -

Au regard de ces données et du nombre annuel de décès par an (638.266 décès en 2023), si l’on rapportait à la France les chiffres de « l’aide à mourir65 » au Québec (7,3% des décès), on enregistrerait 46.000 euthanasies par an, soit 177 euthanasies par jour ouvrable. En appliquant à ce nombre de décès le coût annuel de 26.000 euros de la dernière année de vie estimé par l’IGAS en 2017, corrigé de l’inflation, on arriverait approximativement à terme à 1,4 Md d’euros d’économies annuelles de dépenses de santé, si l’on transposait la législation du Québec.

Ces chiffres seraient atteints en quelques années. Un examen attentif de l’évolution statistique montre en effet que quelle que soit l’option choisie – suicide assisté ou euthanasie – les chiffres, modestes au début, augmentent ensuite régulièrement.

De surcroît, ces calculs n’incluent pas les économies réalisées sur les dépenses de retraite66, ni les dépenses pour les personnes handicapées ni les autres formes de prestations susceptibles d’être allouées à ces patients. Surtout l’exemple des pays étrangers nous montre que les critères légaux initialement prévus par le législateur s’effacent les uns après les autres. Aussi, dès lors que celui de la proximité de la fin de vie (décès prévisible à six mois) disparaît, il devient possible, comme au Québec, et même souhaitable de proposer aux patients atteints d’une pathologie grave, « le choix » de l’euthanasie dès l’annonce du diagnostic. Ce n’est plus en journées ni en semaines, mais en mois voire en années qu’il faudra comptabiliser les économies ainsi réalisées. Peut-on, ne serait-ce qu’entrevoir les conséquentes économies que représente le renoncement à des années de traitement de centaines de patients atteints de cancer qui demanderaient l’euthanasie en quelques jours ? De tels cas ont été rapportés au Québec67.

Au-delà des personnes en fin de vie, la légalisation de la mort provoquée soulève la question de son application à terme aux ALD, dont le coût est estimé à 123 milliards d’euros (dont 60% prises en charge par l’Assurance maladie)68. De fait, les personnes porteuses d’ALD pourraient être concernées fort précocement dans l’histoire de leur maladie.

Au critère du projet de loi de « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » – déjà cliniquement indéterminable – la commission spéciale de l’Assemblée nationale a proposé de substituer le critère de « phase avancée ou terminale » d’une maladie incurable. Il n’est pas anodin ici de rappeler que les pathologies reconnues en ALD, par définition incurables, concernent près de 20% de la population. Certaines d’entre elles se révèlent particulièrement invalidantes, sans pour autant engager le pronostic vital ; en conséquence, ces patients peuvent vivre de très nombreuses années. La possibilité de la mort provoquée modifierait radicalement leur situation, puisque le « choix » de mourir qui désormais leur serait offert plus ou moins tôt dans l’évolution de leur maladie, par certains médecins, pourrait permettre d’économiser des sommes très substantielles.

Les gains financiers apportés par une légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté ne sont donc pas neutres, loin de là. Potentiellement considérables, ils doivent être liés à la dépense publique pour les soins palliatifs (1,453 Md d’euros en 202169 et 1,6 Md en 202470) et des crédits publics en faveur des soins palliatifs dans le plan décennal annoncé par le chef de l’État le 10 mars 2024, soit 100 millions d’euros par an, chiffre qui avait été inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2025.

Un autre aspect de cette problématique, le profil socio-économique des personnes ayant recours à la mort provoquée, mérite une attention particulière.

III Partie

L’évolution du profil socio-économique des personnes ayant recours à la mort provoquée

Notes

71.

David Raths, “Oregon Details Dramatic Cost Increases as It Sets Healthcare Expenditure Targets”, Helathcare Innovation, 11 septembre 2023 [en ligne].

+ -

72.

Impact of Health care cost on people in Oregon 2021.

+ -

73.

David Raths, op. cit.

+ -

74.

« Inquiétudes chez les vétérans sur l’aide à mourir », Le devoir, 5 décembre 2022 [en ligne].

+ -

75.

Brennan Leffier et Marianne Dimain, “How poverty, not pain, is driving Canadians with disabilities to consider medically-assisted death”, Global News, , 8 octobre 2022 [en ligne].

+ -

76.

“MAiD Death Review Committee (MDRC) Report 2024 – 2”, Ministry of the Solicitor General, 18 octobre 2024 [en ligne].

+ -

77.

James Downar et al., “Assisted dying: balancing safety with access”, British medical journal, 387, 30 octobre 2024 [en ligne].

+ -

78.

La législation canadienne n’exige plus que l’euthanasie soit appliquée à la phase terminale de la vie depuis 2021.

+ -

79.

Maria Cheng, “Committee reviewing euthanasia in Canada finds some deaths driven by homelessness fears, isolation”, apnews.com, 18 octobre 2024 [en ligne] ; Maria Cheng, “Some health care workers in Canada grappling with patients requesting euthanasia”, PBS News, 16 octobre 2024 [en ligne].

+ -

80.

Angie Wang et Maria Cheng, “AP lands exclusive on Canadian doctors struggling with euthanizing vulnerable patients”, ap.org, 25 octobre 2024 [en ligne].

+ -

81.

“MAiD Death Review Committee (MDRC) Report 2024 – 2”, op. cit.

+ -

82.

Maria Cheng, “Committee reviewing euthanasia in Canada finds some deaths driven by homelessness fears, isolation”, op. cit

+ -

83.

James Downar et al., op. cit.

+ -

84.

Le nombre de cas d’aide médicale à mourir en 2022 représente un taux de croissance de 31,2% par rapport à 2021.

+ -

85.

Frédéric Bizard, intervention au colloque « Dis-moi comment tu meurs, je te dirai dans quel monde tu vis », Paris, Hôpital Sainte Anne, GHU psychiatrie et neurosciences, 1er juin 2024.

+ -

86.

Robert Holcman, « Légaliser l’euthanasie : une ultime injustice sociale », dans Emmanuel Hirsch, Fins de vie, éthique et société, Erès, 2012, pp. 533-543 [en ligne].

+ -

En Europe, l’étude du profil socio-économique des personnes ayant recours à l’euthanasie ou au suicide assisté est encore peu développée. Les tableaux statistiques de la Commission fédérale belge de contrôle, pourtant friande de chiffres, n’abordent pas cette question. Il faut se reporter à des études nord-américaines pour appréhender cette dimension sociale et économique, laquelle reste malgré tout fort peu analysée. Or, il apparait que la variable socio-économique semble être un facteur de plus en plus important dans la démarche des patients.

En Oregon, le dernier rapport d’application de la législation autorisant le suicide assisté indique que plus de 8% des suicides assistés ont été effectués en raison des implications financières des traitements pour soigner la maladie des patients. Ce taux était de 1% en 2000. 125 personnes ont eu recours au suicide assisté en Oregon depuis 1998 pour des raisons financières. Il faut noter qu’en Oregon, les dépenses de santé représentent 22% du budget des habitants de cet État. Elles ont augmenté de 40% depuis 2013, tandis que les primes des assurances de santé ont connu une hausse de 12% pour une personne seule depuis 201971. Parmi les Orégonais n’ayant pas d’assurance privée (soit 5% de la population de l’État), 20% l’expliquent par ses coûts prohibitifs72. Ainsi, les personnes en dessous du niveau de pauvreté fédéral doivent sacrifier des dépenses de santé73.

Au Canada, qui a légalisé l’euthanasie en 2016, le gouvernement ne collecte officiellement aucune donnée sur le statut socio-économique des personnes autorisées à mourir. Longtemps, nous disposions surtout de témoignages épars mais instructifs, recueillis par divers médias, relatant une impossibilité d’accès aux aides ou aux soins. Telle l’histoire de la caporale à la retraite et paralympienne canadienne Christine Gauthier, qui a raconté au comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes canadienne qu’elle s’était vue offrir une mort assistée au cours de sa lutte de cinq ans pour obtenir une rampe d’accès pour fauteuil roulant chez elle74. La presse s’est fait l’écho de la pente glissante que pourrait représenter le recours à l’aide active à mourir pour des personnes handicapées vivant dans la précarité. Elle soulève la question du rapport prévalant entre cette précarité et les pratiques euthanasiques : « Selon un rapport de 2017 de Statistique Canada, près d’un quart des personnes handicapées vivent dans la pauvreté. Cela représente environ 1,5 million de personnes, soit une ville de la taille de Montréal. Lorsque des personnes vivent dans une telle situation de pauvreté structurelle, l’aide médicale à mourir est-elle vraiment un choix ou une coercition ?75 ».

Nous bénéficions désormais de plusieurs études menées en Ontario, province la plus peuplée du Canada76, sur des échantillons représentatifs. Il en ressort que 29% des personnes euthanasiées dans cette province l’ont été dans sa partie la plus pauvre, alors que celle-ci ne représente que 20% de la population de la province. Le problème du logement est encore plus important dans le recours à la mort provoquée pour cette population vulnérable77. Le chef médecin légiste de la province fait valoir que la pauvreté, la dépendance des patients vis-à-vis des prestations sociales et leur instabilité de résidence expliquent le recours à l’euthanasie pour ce public vulnérable, qui n’est pas en phase terminale78. Alors que l’isolement social concerne 15% des euthanasies en phase terminale, ce pourcentage monte à 39% pour les euthanasies qui ne visent pas des personnes en phase terminale79. Ces situations, observées par un comité multidisciplinaire, ont suscité des questionnements des professionnels de santé sur l’application de la législation canadienne de « l’aide à mourir ». Elles ont incité ces derniers à présenter des recommandations destinées à éviter ces dérives.

Les échanges entre ces professionnels repris par l’Associated Press80 suggèrent qu’un nombre disproportionné de personnes euthanasiées sont parmi les plus pauvres. En particulier des personnes en difficulté financière, celles qui deviennent aveugles ainsi que des personnes récemment endeuillées. Parmi les cas controversés d’euthanasies, on peut citer celui d’une personne seule au chômage, souffrant de troubles digestifs ou d’une femme seule fragile psychologiquement ayant des difficultés de logement81.

Un autre article82 rapporte plusieurs cas où les patients avaient demandé à être tués en partie pour des raisons sociales, telles que l’isolement et la peur de se retrouver sans abri, ou, plus largement encore, un « besoin social non satisfait ».

Par ailleurs, la prise de conscience de la stigmatisation des personnes handicapées dans la législation canadienne a motivé un recours contre la disposition législative ayant supprimé le critère de « phase terminale » pour l’accès à la mort provoquée83.

Ces constats dressés dans un pays où les pratiques euthanasiques connaissent une évolution très rapide84 ne peuvent être ignorés. Il faut rappeler que les inégalités sociales face aux soins perdurent. Pointant l’absence de politique de prévention sérieuse, l’économiste de la santé Frédéric Bizard rappelle que l’écart d’espérance de vie en France entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres est encore de treize ans et de huit ans entre un cadre et un ouvrier pour ce qui est de l’espérance de vie en bonne santé85. À eux seuls, ces écarts nous montrent que dans le cadre d’une loi autorisant l’euthanasie, certaines catégories de population seraient mécaniquement concernées avant les autres. En outre, cette frange de la population plus modeste pourrait plus que d’autres subir l’influence de la puissante communication des lobbys valorisant la mort provoquée. « Une éventuelle légalisation/dépénalisation de l’euthanasie risquerait donc de provoquer une régression collective, en soumettant les moins armés socialement à une pression à l’abrégement de leur existence cependant que les plus nantis s’offriraient une vie prolongée86 ».

Notes

87.

Pour l’exemple de la Suisse voir : François-Xavier Putallaz, La déroute de la raison, Éditions Ducerf, mai 2024.

+ -

Les débats autour du vote des lois relatives à la fin de vie de 2005 et 2016 avaient peu abordé la problématique financière et sociale. Il est vrai que ces débats s’inscrivaient dans une perspective médicale et non sociétale. La question actuelle d’une autorisation de la mort provoquée ouvre la porte à d’autres implications que les seules considérations éthiques, médicales, philosophiques et juridiques. Deux éléments nouveaux se sont invités dans la discussion : la part croissante des facteurs financiers et sociaux dans l’application de cette législation en Amérique du Nord, au Canada en particulier, ainsi que les prises de position des complémentaires de santé en France. Et ce, alors même que les aspects budgétaires et sociaux ne faisaient pas partie de l’étude d’impact du projet de loi de légalisation de l’euthanasie.

La tentation est forte d’invoquer un droit à l’autodétermination individuelle pour légaliser l’euthanasie et/ou le suicide assisté par défaut de moyens humains et financiers. Mais il faut en mesurer les conséquences à la lumière du laboratoire canadien. La légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté aurait pour effet à terme de marquer une rupture avec la construction d’un système social fondé sur l’assurance et la solidarité, pour s’engager sur une pente qui exclurait les plus vulnérables, les plus isolés et les plus âgés de nos concitoyens. Les expériences étrangères, et canadienne plus particulièrement, ont montré que les garde-fous présentés au départ comme robustes, les appels à la vigilance des contrôles d’application de la loi, ne résistent pas au temps.

Le champ d’application de la loi s’amplifie au fil des années. Le recours ultime, l’exception cèdent la place à la banalisation. La médecine devient une prestation de service. Ces mises en garde existent depuis longtemps ; elles se sont développées avec l’élargissement constant des pratiques, lequel apparaît comme une évolution inéluctable de la loi initiale87. Les personnes les plus fragiles en sont de plus en plus victimes au Canada.

Notre société a-t-elle pris la mesure de pratiques trop souvent minimisées, voire occultées ? A-t-elle réalisé que l’allègement de la charge des plus vulnérables pourrait demain être dissimulé sous la légalisation de la mort provoquée, sans que la carence de l’offre de soins ne soit résolue, sans que notre système de santé ne fonctionne mieux pour autant ? L’extrême dégradation de nos finances publiques comme de notre système de santé et notre impuissance à y remédier doivent-ils favoriser insidieusement une rupture de la nature du soin, rupture à la fois éthique, sociale, médicale et juridique ? Peut-on, au nom d’un droit nouveau, sans garde-fou tenable – au vu de plus de vingt années d’expériences à l’étranger – construire un projet collectif en reléguant la solidarité au rang de valeur purement incantatoire ? S’il n’esquive pas la réalité factuelle, le débat à venir devra répondre à toutes ces questions.

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