Libertés : l’épreuve du siècle
Une enquête planétaire sur la démocratie dans 55 paysLibertés : l’épreuve du siècle
Fruit de la démocratie triomphante, la globalisation renforce les régimes autoritaires
Une nouvelle crise historique de la liberté
Les libertés au XXIe siècle : les défendre et les propager
Méthodologie de l’enquête
55 pays, 45 langues, 47.408 personnes interviewées
39 questions
De qui les démocraties ont peur
La Chine inquiète le monde démocratique
La Russie, jugée peu influente, reste redoutée par ses voisins
La Turquie désoriente les Européens
Les États-Unis demeurent la puissance prédominante
L’opinion appréhende le retour de la guerre
De quoi les démocraties ont peur
La diversité culturelle est vue comme une source d’insécurité
Pourra-t-on encore « résoudre pacifiquement les désaccords » ?
L’inquiétude face au risque du déclassement économique
Les manipulations de l’information et les ingérences étrangères
Dans un monde démocratique fragilisé, l’attachement à l’Union européenne se renforce
L’opinion publique et l’idée européenne
Les Balkans occidentaux : entre aspirations européennes et lassitude
Le souhait d’une armée européenne est conforté
Brexit : le jugement contrasté d’une décision historique
L’idéal démocratique résiste
Une approbation massive de la démocratie représentative
Une critique démocratique du fonctionnement de la démocratie
L’efficacité du vote est interrogée
Politique et médias : la double crise de la représentation
Liberté d’opinion et pluralisme au cœur de la démocratie
Confrontés à la Covid-19, les citoyens revendiquent leur attachement aux libertés
FONDATION POUR L’INNOVATION POLITIQUE
INTERNATIONAL REPUBLICAN INSTITUTE
COMMUNITY OF DEMOCRACIES
KONRAD-ADENAUER-STIFTUNG
GENRON NPO
FUNDACIÓN NUEVAS GENERACIONES
REPÚBLICA DO AMANHÃ
Résumé
Les démocraties se retrouvent dans une situation périlleuse trente ans après la chute du mur de Berlin qui marquait pourtant leur triomphe. À l’extérieur, les tensions avec les régimes autoritaires, en particulier la Chine, la Russie et la Turquie, ne sont pas sans rappeler la guerre froide. À l’intérieur, le conflit des identités et des religions, le populisme, l’autoritarisme, le racisme et l’antisémitisme n’ont jamais été aussi présents dans les sociétés libérales que depuis les années 1930. Pour le monde démocratique, la combinaison de menaces extérieures et intérieures marque l’évidente dangerosité du moment.
Les démocraties conservent néanmoins un atout majeur, dont les résultats de notre étude se font l’écho : les citoyens interrogés affirment leur attachement aux libertés. Quand ils expriment un jugement négatif, nos données montrent que, le plus souvent, c’est la manière dont fonctionne la démocratie dans leur pays qui est l’objet de leurs critiques et non l’idée démocratique elle-même.
Tel est le contexte trouble dans lequel nous avons conçu l’enquête planétaire Libertés : l’épreuve du siècle. Ce travail est le fruit d’une étroite coopération entre la Fondation pour l’innovation politique (France), l’International Republican Institute (États-Unis), Community of Democracies (organisation intergouvernementale), la Konrad-Adenauer-Stiftung (Allemagne), la Genron NPO (Japon), la Fundación Nuevas Generaciones (Argentine) et República do Amanhã (Brésil).
L’enquête est inédite par son ampleur. Le questionnaire a été administré auprès de 47.408 personnes, dans chacune des langues nationales, soit 45 langues pour 55 pays : Albanie, Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Biélorussie, Bosnie-Herzégovine, Brésil, Bulgarie, Canada, Chypre, Corée du Sud, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Inde, Indonésie, Irlande, Israël, Italie, Japon, Kosovo, Lettonie, Liban, Lituanie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Malte, Mexique, Moldavie, Monténégro, Nigeria, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Philippines, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Tunisie, Ukraine.
Après notre enquête Où va la démocratie ?, menée dans 26 pays, publiée en 2017, et après Démocraties sous tension, enquête menée dans 42 pays, publiée en 2019, voici donc notre nouvelle étude Libertés : l’épreuve du siècle.
Dominique Reynié (dir.),
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé les ouvrages Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tension (Fondation pour l’innovation politique, 2019), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Fondation pour l'innovation politique,
Think tank libéral, progressiste et européen.
Dominique REYNIÉ, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique
Victor DELAGE
Abdellah BOUHEND, Margot COCQUET, Victor DELAGE, Léa GHILINI, Katherine HAMILTON, Camille JAFFIOL, Dominique REYNIÉ, Mathilde TCHOUNIKINE
Fondation pour l’innovation politique :
Abdellah BOUHEND, Margot COCQUET, Victor DELAGE, Anne FLAMBERT, Léa GHILINI, Élisa GRANDJEAN, Madeleine HAMEL, Katherine HAMILTON, Camille JAFFIOL, Léo MAJOR, Dominique REYNIÉ, Mathilde TCHOUNIKINE
International Republican Institute :
Thibault MUZERGUES, Jan SUROTCHAK
Community of Democracies :
Patricia GALDAMEZ, Thomas GARRETT, Joanna
ŁOZIŃSKA
Konrad-Adenauer-Stiftung :
Hedwige HARDION, Caroline KANTER, Clara KUBLER, Dimitri MAUCHIEN, Nele WISSMANN
Genron NPO :
Yasushi KUDO, Yuho NISHIMURA, Seiko WATANABE
Fundación Nuevas Generaciones :
Lorenzo AGÜERO, Julián OBIGLIO, María Anne QUIROGA
República do Amanhã :
Octavio de BARROS, Thomás de BARROS, Vasco CALDEIRA, Anthony TAÏEB, Renée ZICMAN
Francys GRAMET, Claude SADAJ
Julien RÉMY
Brice TEINTURIER (directeur général délégué)
Federico VACAS (directeur adjoint du département), Alice TÉTAZ (directrice d’études), Salomé QUÉTIER-PARENT (chargée d’études senior)
GALAXY Imprimeurs
Janvier 2022
Libertés : l’épreuve du siècle
« Je crois que tout est toujours en question, que tout est toujours à sauver,
que rien n’est définitivement acquis, et qu’il n’y aura jamais de repos
sur la terre pour les hommes de bonne volonté. »
Raymond Aron, entretien avec Georges Suffert,
émission Un certain regard, ORTF, 7 décembre 1969
« Today, democracy is under more pressure than at any time since the 1930s. Freedom House has reported that of the 41 countries consistently ranked “free” from 1985 to 2005, 22 have registered net declines in freedom over the last five years » (Joseph R. Biden, Jr., « Why America Must Lead Again. Rescuing U.S. Foreign Policy After Trump », foreignaffairs.com, mars-avril 2020).
Voir Yves Bertoncini et Dominique Reynié, « The illiberal challenge in the European Union », in András Sajó, Renáta Uitz et Stephen Holmes (dir.), Routledge Handbook of Illiberalism, Routledge, 2021, p. 822-839.
Les démocraties se retrouvent dans une situation périlleuse trente ans après la chute du mur de Berlin qui marquait pourtant leur triomphe. Dans un entretien accordé au printemps 2020, celui qui allait devenir président des États-Unis, Joe Biden, rappelle que non seulement la démocratie a cessé de se déployer, mais qu’elle est même en recul : « Aujourd’hui, la démocratie est sous pression plus qu’elle ne l’a jamais été depuis les années 1930. D’après Freedom House, sur les 41 pays régulièrement classés “libres” de 1985 à 2005, 22 ont enregistré des baisses sensibles de la liberté au cours des cinq dernières années1. » Ce processus de régression n’épargne pas les ensembles démocratiques qui paraissent plus solides. Ainsi, dans l’Union européenne, des gouvernements élus remettent en cause l’État de droit en se revendiquant d’une « démocratie illibérale2 ».
Significativement, l’année 2021 s’est achevée sur un « sommet des démocraties », que le président Joe Biden avait annoncé dans son entretien. Lors de son discours introductif, prononcé le 9 décembre 2021 devant les représentants de 110 pays, Biden a estimé que « la démocratie est confrontée à des défis compliqués et préoccupants ». Particulièrement inquiet, il a évoqué les tendances à l’œuvre qui « semblent s’orienter dans une mauvaise direction », considérant que « nous sommes aujourd’hui à un point d’inflexion ». Il ajoutait : « Allons-nous permettre à cette tendance de continuer au détriment des droits humains et de la démocratie ? La démocratie n’est pas le fruit du hasard. Nous devons la renouveler à chaque génération. De mon point de vue, voici le véritable défi de notre époque. » Prenant la parole dans le cadre de ce sommet, le président français Emmanuel Macron a rejoint le président des États-Unis dans cette inquiétude : « Vous nous avez rassemblés pour évoquer le seul modèle politique qui permette de défendre ces droits et libertés : la démocratie », jugeant le combat « plus nécessaire que jamais ».
Fruit de la démocratie triomphante, la globalisation renforce les régimes autoritaires
« Autocrats are attacking open systems in part to stymie their own people’s natural attraction to freedom. Great-power authoritarians in China and Russia view subverting democratic practice as central to their geopolitical ambitions; should not free nations see protecting and promoting democracy as part of ours? » (Daniel Twining, « How Biden can beat the great-power authoritarians in China and Russia », thehill.com, 8 décembre 2021).
Les tensions actuelles entre le monde démocratique et les régimes autoritaires ne sont pas sans rappeler la guerre froide. La Chine revendique la supériorité de son modèle comme naguère l’Union soviétique. La Russie de Staline présentait la « démocratie populaire » comme la véritable démocratie, en contrepoint de la démocratie représentative. La Chine de Xi Jin Ping prétend accomplir la démocratie authentique dans la construction d’une « démocratie socialiste aux caractéristiques chinoises » que Pékin oppose à la « démocratie à l’américaine ». Enfin, en qualifiant son modèle de « démocratie globale », la Chine n’en vante pas seulement l’efficacité pour les Chinois, elle dit aussi y voir un modèle pour le monde.
Cependant, il existe au moins une différence majeure entre notre époque et celle de la guerre froide. Elle réside dans le fait que la plupart des régimes autoritaires ne rejettent pas l’économie capitaliste ni même la globalisation. La nouvelle économie et les innovations qui l’accompagnent non seulement ne déstabilisent plus les régimes hostiles aux libertés, mais elles les enrichissent et renforcent leur puissance. Le meilleur exemple nous est fourni par la Chine dont la montée en puissance a été accélérée par son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le 11 décembre 2001.
La globalisation apporte aux régimes autoritaires d’importantes ressources économiques, mais elle leur fournit aussi de nouveaux moyens d’influencer le monde et de déstabiliser les sociétés libérales. Pour la Chine, la Russie ou la Turquie, il est plus facile que jamais de s’immiscer dans les affaires intérieures des pays, en particulier des pays à régime démocratique – qui sont, par nature, plus ouverts puisque fondés sur le principe de la publicité, voire de la transparence –, de les espionner, de perturber le fonctionnement de leurs services publics par le piratage informatique, de troubler le débat public par la production massive de fausses informations, en soutenant des mouvements protestataires, en appuyant les revendications séparatistes, en parasitant les campagnes électorales, dans le but de peser sur le résultat mais aussi, plus sûrement, d’affaiblir la démocratie au regard de ses propres citoyens. Et de la discréditer aux yeux du reste du monde, pour indiquer qu’une page se tourne, que le temps désormais est celui d’un monde à la main des puissances autoritaires, que le cycle historique de la liberté est arrivé à son terme.
Ainsi, bien que la globalisation soit née de l’effondrement du communisme et alors qu’elle marque le triomphe de la démocratie, son déploiement n’a pas entraîné une expansion continue du libéralisme politique. A contrario, la globalisation paraît menacer le monde démocratique après l’avoir consacré. Par nombre de ses effets sur les sociétés développées – désindustrialisation, métropolisation, dématérialisation de l’activité professionnelle, déclassement social, constitution de fortunes gigantesques… –, la globalisation favorise les mouvements populistes et les discours autoritaires.
Pour les dictatures, l’enjeu du siècle est double : d’une part, il s’agit de remettre en question le rôle des États démocratiques et de leurs principes dans la régulation de l’ordre mondial ; d’autre part, il s’agit de réduire la place des régimes fondés sur les droits et les libertés des individus, qui suscitent partout ailleurs des idées d’émancipation. Comme le fait remarquer Daniel Twining, le président de l’International Republican Institute (IRI) : « Les autocrates attaquent les systèmes ouverts en partie pour contrecarrer l’attirance naturelle de leur propre peuple pour la liberté. Les autocrates des grandes puissances chinoise et russe considèrent la subversion de la pratique démocratique comme un élément central de leurs ambitions géopolitiques ; les nations libres ne devraient-elles pas considérer la protection et la promotion de la démocratie comme une part d’elles-mêmes ?3 »
Une nouvelle crise historique de la liberté
Voir Dominique Reynié (dir.), Les Attentats islamistes dans le monde 1979-2021, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2021.
Au fur et à mesure qu’il se déploie, le XXIe siècle semble pris dans des jeux de force multiples mais qui tous agissent dans le sens d’une réduction des libertés acquises. Ainsi, dans le domaine de la santé, l’apparition d’une pandémie, provoquée par la Covid-19, venue de Wuhan à la fin de l’année 2019, impose au monde entier une épreuve douloureuse et coûteuse. Elle oblige nos pays à instaurer des mesures contraignantes, jusqu’au confinement, et des stratégies sanitaires reposant sur une obligation vaccinale, de droit ou de fait, qui alimentent dans une partie de la société, minoritaire mais hyperactive, le thème de la « dictature sanitaire ».
Dans le domaine de la sécurité, pour faire face au terrorisme, en particulier au terrorisme islamiste qui n’a pas quitté la scène mondiale depuis la tragédie du 11 septembre 20014, les sociétés démocratiques se sont transformées. Ce terrorisme engendre une culture de la suspicion et de la surveillance. La peur de l’attentat fait accepter des règles d’exception adoptées dans l’urgence et fait approuver leur inscription dans le droit commun. La peur du terrorisme et de l’islamisme abonde les populistes en contingents électoraux.
Dans le même temps, la liberté d’opinion est mise au défi dans des sociétés démocratiques de plus en plus multiculturelles. L’incompréhension réciproque, la défiance, voire l’hostilité, corrodent le lien social. Les rivalités interculturelles se transforment en conflits de valeurs lorsque le différend porte sur des libertés fondamentales, telles que la liberté d’opinion et la liberté de la presse. En témoignent les tragédies provoquées par les réactions violentes à la publication des Versets sataniques de Salman Rushdie, en 1988, des caricatures danoises, en 2008, ou encore le drame de l’attentat contre Charlie Hebdo, en 2015. Ce terrorisme prend la forme d’une guerre intérieure contre les valeurs de la société libérale, avec par exemple les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et en région parisienne, ou celui de Nice, le 14 juillet 2016. Le conflit des identités et des religions, le populisme, l’autoritarisme, le racisme et l’antisémitisme n’ont jamais autant porté atteinte aux sociétés démocratiques que depuis les années 1930.
Sans la liberté de débattre et de publier, il ne reste rien du modèle démocratique. Elle en conditionne la possibilité, la légitimité, mais aussi l’efficacité, car c’est la liberté qui permet au génie humain d’atteindre sa pleine dimension. Or notre siècle est aussi celui du surgissement d’un nouvel espace public, transnational et numérique. Cette fois, la cause du bouleversement n’est ni extérieure aux démocraties, ni étrangère, ni même hostile aux valeurs libérales. Il s’agit d’innovations technologiques remarquables développées par des entreprises dont les performances résultent de l’usage des libertés. Pourtant, si elles font progresser extraordinairement l’inclusion du plus grand nombre dans l’espace public médiatique, les plateformes numériques, les Big Tech, acquièrent un pouvoir problématique. Que deviennent les démocraties si les législations émanant d’assemblées élues sont impuissantes à réguler les libertés ? Que deviennent les démocraties si le pouvoir de garantir ces libertés passe furtivement des parlements aux mains d’entreprises jouissant d’une position monopolistique ?
Enfin, il faut prendre conscience de ce qu’implique pour les sociétés libérales le fait que la liberté d’opinion ne soit même plus épargnée là où elle doit être sanctuarisée, c’est- à-dire à l’université. L’école et l’université ont la charge de préparer les générations qui feront le monde de demain. Dès lors, le déclin de la liberté académique contribue fortement à assombrir le futur des libertés. L’université perdra sa raison d’être si elle ne réagit pas contre la spirale mortifère de l’intolérance, de la censure et de la violence. Tout aussi inévitablement, le déclin de la liberté au sein de l’université entraînera un dépérissement de l’université, de ses savoirs et de ses moyens. Ce qui est en jeu, c’est aussi notre capacité à former des élites compétentes, responsables, inventives et libérales, sans lesquelles les États démocratiques perdront l’avantage de puissance qu’ils ont toujours eu jusqu’à présent sur les États autoritaires.
Les libertés au XXIe siècle : les défendre et les propager
« Responsive and accountable democratic institutions will be essential to solving the world’s toughest challenges – from climate change to social justice to inclusive prosperity. Authoritarians who usurp their people’s most basic rights to life and liberty are not going to be trustworthy partners in attending to the common good of humankind » (ibid.).
Dans ce contexte déjà très difficile, le monde est aussi confronté au réchauffement climatique, l’un des plus grands enjeux du siècle. On fera ici l’hypothèse que l’efficacité de la mobilisation contre le réchauffement climatique dépend beaucoup du modèle démocratique, par l’action qu’il exerce sur les gouvernants. Et, comme le souligne encore Daniel Twining : « Des institutions démocratiques réactives et responsables seront essentielles pour résoudre les grands défis de ce monde, du changement climatique à la justice sociale en passant par la prospérité inclusive. Les autocrates qui usurpent les droits les plus élémentaires de leur peuple à la vie et à la liberté ne seront pas des partenaires dignes de confiance pour veiller au bien commun de l’humanité5. » Le succès de la lutte contre le réchauffement climatique sera donc non seulement fonction de la solidité du modèle démocratique mais aussi de sa diffusion planétaire. Le monde démocratique semble vouloir s’illustrer aussi par son engagement résolu contre le réchauffement climatique. Sa détermination est telle qu’il paraît nécessaire d’inviter à la prudence et de veiller à mener ce combat avec discernement, c’est-à-dire en intégrant ses effets psychologiques, politiques, économiques et sociaux. Mal conduite, dogmatique ou autoritaire, la lutte contre le réchauffement climatique contribuera à fragiliser le régime démocratique et le soutien de la société, en particulier celui des catégories populaires et des classes moyennes.
S’il faut défendre le climat, il faut aussi défendre nos libertés. Cela suppose de mobiliser d’importants moyens pour mener la lutte contre l’ignorance et la lutte contre la désinformation. Il n’y aura pas de régime démocratique si nous ne sommes plus capables d’assurer au plus grand nombre une éducation et une information de qualité. La liberté disparaîtra si nous n’arrivons plus à contenir les inégalités et à combattre la corruption qui préoccupe tant nos concitoyens, comme le soulignent les résultats de notre étude.
Enfin, la liberté disparaîtra si nous renonçons à la prospérité et à la puissance. Défendre les libertés, c’est aussi défendre les conditions de la croissance économique et de l’innovation scientifique et technique. Le monde démocratique doit entretenir les ressources nécessaires au maintien du progrès social et humain qui est sa raison d’être et renforce sa légitimité. Mais le monde démocratique doit aussi veiller au développement de sa puissance, y compris de sa puissance militaire. En ce XXIe siècle, il peut être préoccupant de comparer les gigantesques efforts financiers programmés pour la transition écologique avec la faiblesse des investissements assurant la prospérité et la capacité des sociétés démocratiques à garantir leur sécurité dans un monde à l’évidence plus dangereux, à l’heure où la Chine menace Taiwan, où la Russie menace l’Ukraine, où la Turquie pousse l’Azerbaïdjan à la guerre contre l’Arménie, menace Chypre et fait pression sur la Grèce, un monde où la théocratie iranienne s’apprête à posséder l’arme atomique.
Face à ces grands défis, les sociétés démocratiques conservent un atout majeur dont les résultats de notre étude se font l’écho. Les citoyens interrogés affirment leur attachement aux libertés et à la démocratie. Quand ils expriment un jugement négatif, nos données montrent que, le plus souvent, c’est la manière dont la démocratie fonctionne dans leur pays qui est l’objet de leurs critiques et non l’idée démocratique elle-même. La liberté n’est pas culturelle. Elle est une aspiration humaine. En nous réside la force la plus capable d’assurer le déploiement de la démocratie au XXIe siècle.
Ce travail est le fruit d’une étroite coopération entre la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), l’International Republican Institute (IRI), Community of Democracies (CoD), la Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS), la Genron NPO, la Fundación Nuevas Generaciones (NG) et República do Amanhã.
Après notre enquête Où va la démocratie ?, menée en 2017 dans 26 pays, et après Démocraties sous tension (2018, 42 pays), voici donc Libertés : l’épreuve du siècle, notre nouvelle enquête menée dans 55 pays. |
Par Dominique Reynié, professeur des universités à Sciences Po,
directeur général de la Fondation pour l’innovation politique
Méthodologie de l’enquête
fondapol.org, iri.org, community-democracies.org, kas.de, genron-npo.net, nuevasgeneraciones.com.ar/sitio/ et republicadoamanha.org.
Cette publication est une analyse rédigée par la Fondation pour l’innovation politique. L’International Republican Institute, la Community of Democracies, la Konrad-Adenauer-Stiftung, la Genron NPO, la Fundación Nuevas Generaciones et República do Amanhã l’ont aidée à déterminer le questionnaire, mais le texte qui suit est le résultat de son propre travail. Toutes les opinions exprimées doivent être considérées comme celles de l’équipe de la Fondation pour l’innovation politique et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les points de vue des organisations partenaires.
La Fondation pour l’innovation politique (France), l’International Republican Institute (États-Unis), Community of Democracies (organisation intergouvernementale), la Konrad-Adenauer-Stiftung (Allemagne), la Genron NPO (Japon), la Fundación Nuevas Generaciones (Argentine) et República do Amanhã (Brésil) se sont associées pour concevoir une vaste enquête internationale, conduite dans 55 pays et dont les résultats sont publiés ci-après sous le titre : Libertés : l’épreuve du siècle. L’analyse des résultats est à la disposition du public, en libre accès sur les sites Internet respectifs des sept think tanks partenaires1. Six versions sont disponibles : en français, en anglais, en espagnol, en arabe, en portugais et en japonais.
Ce travail2 repose sur un questionnaire conçu par les équipes des think tanks engagés dans le partenariat.Il a été administré par Ipsos, un des principaux instituts de sondage, auprès d’un échantillon constitué au plan national pour chacun des 55 pays étudiés. L’ampleur de l’enquête est inédite. Elle a permis d’intégrer, outre les 27 États membres de l’Union européenne, les Balkans occidentaux (Albanie, Bosnie- Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie), d’autres pays européens qui ne sont pas membres de l’Union européenne (Biélorussie, Géorgie, Moldavie, Norvège, Suisse, Ukraine), ou qui l’ont quittée (Royaume-Uni), et enfin l’Australie, le Brésil, le Canada, la Corée du Sud, les États-Unis, l’Inde, l’Indonésie, Israël, le Japon, le Liban, le Mexique, le Nigeria, la Nouvelle-Zélande, les Philippines et la Tunisie.
55 pays, 45 langues, 47.408 personnes interviewées
Albanais (Albanie), albanais (Macédoine du Nord), allemand, anglais, arabe (Liban), arabe (Tunisie), biélorusse, bosniaque, bulgare, coréen, croate, danois, espagnol, estonien, finnois, français, géorgien, grec (Chypre), grec, hébreu, hindi, hongrois, indonésien, italien, japonais, letton, lituanien, luxembourgeois, macédonien, maltais, monténégrin, néerlandais, norvégien, philippin, polonais, portugais brésilien, portugais, roumain, russe, serbe, slovaque, slovène, suédois, tchèque, ukrainien.
Pour la Bosnie-Herzégovine, la moitié des interviews ont été réalisées en ligne et l’autre moitié en face-à-face.
Au total, 47.408 personnes ont été interrogées. L’étude a été menée sur la base d’échantillons nationaux représentatifs de la population âgée de 18 ans et plus. La méthode des quotas de sexe, d’âge, de profession, de région ainsi que de catégorie d’agglomération a été utilisée pour assurer une bonne représentativité des échantillons. Les résultats obtenus prennent en compte le poids démographique de chaque pays. La taille des échantillons était d’environ 1.000 personnes dans les pays de plus de 8 millions d’habitants, de 600 personnes environ pour ceux de 5 à 8 millions d’habitants et de 500 personnes environ pour les pays de moins de 5 millions d’habitants. Pour certains pays (Albanie, Bulgarie, Croatie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Macédoine du Nord, Serbie, Slovaquie et Slovénie), la taille des échantillons a été portée à 800 personnes malgré une population inférieure à 8 millions d’habitants afin d’assurer une meilleure représentativité des résultats.
Les 39 questions auxquelles ont été invités à répondre les participants à notre enquête Libertés : l’épreuve du siècle, est accessible sur les sites Internet des partenaires. Il a été administré dans chacune des langues nationales, soit 45 langues3 pour les 55 pays. La collecte des données a été effectuée au cours d’un intervalle de cinq semaines (entre le 9 juillet et le 10 août 2021, soit avant la chute de Kaboul), à l’exception de l’Indonésie et des Philippines où les questionnaires ont été administrés entre le 23 et le 30 juin 2021. Cette collecte est survenue à un moment où la crise de la Covid-19 était toujours présente, mais à des degrés différents selon les pays.
Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne, à l’exception de 10 pays où le face-à-face a été préféré, dans le strict respect des règles sanitaires en vigueur : Albanie, Bosnie-Herzégovine4, Chypre, Géorgie, Inde, Kosovo, Malte, Moldavie, Monténégro et Macédoine du Nord.
39 questions
Le sous-ensemble « Union européenne de l’Est » comprend la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie.
Le sous-ensemble « Union européenne de l’Ouest » comprend l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, Chypre, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal et la Suède.
Cette désignation est sans préjudice des positions sur le statut du Kosovo et est conforme à la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies et à l’avis de la Cour internationale de justice sur la déclaration d’indépendance du Kosovo.
Pour la plupart des questions, nous avons demandé aux personnes interrogées de répondre en choisissant une intensité sur une échelle comportant quatre degrés, de type « tout à fait », « plutôt », « plutôt pas » et « pas du tout », pour évaluer, par exemple, un niveau de satisfaction, de confiance ou d’optimisme. Dans ce document, pour des raisons de commodité et de lisibilité, nous présentons et commentons généralement les résultats en totalisant, d’un côté, les réponses « tout à fait » et « plutôt » et, en vis-à-vis, les réponses « plutôt pas » et « pas du tout ».
Dans certains cas, les personnes interrogées ont été invitées à choisir entre deux options. Ainsi, à titre d’exemple, à la question : « Laquelle des deux propositions suivantes se rapproche le plus de ce que vous pensez ? », les réponses proposées au choix de la personne interrogée étaient « la mondialisation est une opportunité » ou « la mondialisation est une menace ».
Certaines questions offraient aussi trois possibilités de réponse. Par exemple, à la question relative au bénéfice pour son pays d’appartenir à l’OTAN, les personnes interrogées pouvaient répondre « une bonne chose », « une mauvaise chose » ou « ni une bonne chose, ni une mauvaise chose ».
Pour chaque question, les répondants ont été relancés une fois en cas de non-réponse, avec le message suivant : « S’il vous plaît, essayez de répondre à la question. Toutefois, si vous n’avez aucun avis sur cette question, vous pouvez passer à la suivante en cliquant sur le bouton “question suivante” » (entre 0% et 2% de non-réponses en on-line et face-à-face).
Enfin, les résultats sont présentés soit par pays, soit par sous-ensembles. Les résultats d’ensemble sont présentés sous la catégorie « Global ». La valeur de chacun des pays a été pondérée pour tenir compte de leur poids démographique dans l’ensemble. Avec la pondération, l’Inde occupe dans les résultats 38,1% de l’échantillon. En raison de ce poids démographique, la moyenne globale (« Global »), si ce n’est pas spécifié dans le document, n’intègre pas l’Inde. Pour une question donnée, la moyenne « Global » correspond donc au résultat des 54 pays étudiés (sans l’Inde). Pour une question donnée, la moyenne « UE » correspond au résultat des pays membres de l’Union européenne, soit vingt-sept pays, dont la valeur a été pondérée en fonction de leur poids démographique respectif. Nous avons également intégré un sous-ensemble « Union européenne de l’Est5 » et un autre sous-ensemble « Union européenne de l’Ouest6 ». Nous utilisons une moyenne intitulée « Balkans occidentaux », qui comprend les pays des Balkans qui ne font pas partie de l’Union européenne : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo7, Macédoine du Nord, Monténégro et Serbie.
Les sept organisations ont fait le choix collectif d’utiliser, dans la mesure du possible, la méthode en ligne pour administrer ce sondage. Dans certains pays, en particulier dans les endroits où la liberté d’expression est limitée, la méthodologie en ligne était même la seule solution pour arriver à des résultats fiables.
La méthodologie en ligne a également permis de couvrir davantage de pays, y compris certains qui n’apparaissent généralement pas dans les enquêtes d’opinion portant sur la perception des démocraties par les citoyens. Nous estimons que ces pays méritent d’être inclus dans les résultats finaux, même si, pour certains, les échantillons peuvent faire l’objet de réserves spécifiques que, dans un souci de transparence, nous souhaitons porter à l’attention du lecteur.
Les échantillons interrogés en ligne en Biélorussie, en Indonésie, au Mexique, au Nigeria et aux Philippines représentent des populations plus urbaines, plus éduquées ou plus aisées que la population générale. Les résultats de l’enquête dans ces pays doivent donc être considérés comme reflétant davantage l’opinion des segments les plus « connectés » de ces populations, même si la pondération appliquée aux données permet de corriger une partie de ce biais d’échantillonnage.
En outre, nous aimerions souligner certaines situations spécifiques dans lesquelles la sous-représentation ou la surreprésentation de certains groupes étaient inévitables dans l’état actuel des capacités de sondage en ligne :
– Nigeria : sous-représentation des musulmans (15% dans l’échantillon, contre 54% dans la population réelle selon les dernières estimations) ;
– Biélorussie : sous-représentation des répondants âgés (l’échantillon compte 41% de personnes âgées de 18 à 34 ans, 40% de personnes âgées de 35 à 49 ans et 7% de personnes âgées de 60 ans et plus, contre respectivement 28%, 27% et 28% dans la population générale), biais partiellement corrigé par la pondération des données ;
– Indonésie : surreprésentation des chrétiens dans l’échantillon, à savoir 17% de chrétiens et 77% de musulmans, contre des estimations officielles respectivement de 9% et 87% ;
– Liban : surreprésentation des jeunes (53% des répondants appartiennent à la tranche d’âge 18-34 ans, contre 38% dans la population réelle), biais partiellement corrigé par la pondération des données ;
– Israël : l’enquête n’a été administrée qu’aux personnes qui parlaient hébreu ;
– Tunisie : surreprésentation de la tranche d’âge des 18-34 ans (60% contre 35% dans la population réelle) et sous-représentation de la population plus âgée (6% des 50-59 ans et 3% des 60 ans et plus dans l’échantillon, contre respectivement 16% et 19% dans la population réelle), biais partiellement corrigé par la pondération des données.
Nous espérons que l’expérience tirée de l’administration de cette enquête dans ces pays sera utilisée pour corriger les problèmes de représentativité que nous avons rencontrés dans nos échantillons afin que les enquêtes futures puissent établir des normes plus élevées encore pour les méthodologies de sondage en ligne et hors ligne au niveau mondial.
Enfin, nous espérons que notre enquête contribuera à aider ces pays où la liberté est bridée à progresser sur la voie de la démocratisation.
De qui les démocraties ont peur
Les tensions actuelles entre le monde démocratique et les régimes autoritaires ne sont pas sans rappeler la guerre froide. La Chine revendique la supériorité de son modèle comme naguère l’Union soviétique. La Russie de Staline présentait la « démocratie populaire » comme la véritable démocratie, en contrepoint de la démocratie représentative. La Chine de Xi Jin Ping prétend accomplir la démocratie authentique dans la construction d’une « démocratie socialiste aux caractéristiques chinoises » que Pékin oppose à la « démocratie à l’américaine ». Enfin, en qualifiant son modèle de « démocratie globale », la Chine n’en vante pas seulement l’efficacité pour les Chinois, elle dit aussi y voir un modèle pour le monde.
Cependant, il existe au moins une différence majeure entre notre époque et celle de la guerre froide. Elle réside dans le fait que la plupart des régimes autoritaires ne rejettent pas l’économie capitaliste ni même la globalisation. La nouvelle économie et les innovations qui l’accompagnent non seulement ne déstabilisent plus les régimes hostiles aux libertés, mais elles les enrichissent et renforcent leur puissance. Le meilleur exemple nous est fourni par la Chine dont la montée en puissance a été accélérée par son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le 11 décembre 2001.
La globalisation apporte aux régimes autoritaires d’importantes ressources économiques, mais elle leur fournit aussi de nouveaux moyens d’influencer le monde et de déstabiliser les sociétés libérales. Pour la Chine, la Russie ou la Turquie, il est plus facile que jamais de s’immiscer dans les affaires intérieures des pays, en particulier des pays à régime démocratique – qui sont, par nature, plus ouverts puisque fondés sur le principe de la publicité, voire de la transparence –, de les espionner, de perturber le fonctionnement de leurs services publics par le piratage informatique, de troubler le débat public par la production massive de fausses informations, en soutenant des mouvements protestataires, en appuyant les revendications séparatistes, en parasitant les campagnes électorales, dans le but de peser sur le résultat mais aussi, plus sûrement, d’affaiblir la démocratie au regard de ses propres citoyens. Et de la discréditer aux yeux du reste du monde, pour indiquer qu’une page se tourne, que le temps désormais est celui d’un monde à la main des puissances autoritaires, que le cycle historique de la liberté est arrivé à son terme.
La Chine inquiète le monde démocratique
En 2018, les 42 pays de l’étude Démocraties sous tension étaient les suivants : Albanie, Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Brésil, Bulgarie, Canada, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Israël, Italie, Japon, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Malte, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Ukraine.
Si l’Union européenne est la puissance considérée comme la moins inquiétante par les personnes interrogées, ce n’est cependant pas une entité comparable à un État-nation traditionnel.
Dans le cadre de notre enquête, nous avons cherché à connaître le jugement porté sur les pays autoritaires. Nous avons posé la question suivante : « Pour [la Chine ; la Russie ; la Turquie], dites si son attitude sur la scène internationale vous inquiète, vous rassure, ou ni l’un ni l’autre. » On voit ainsi que 60% des personnes interrogées estiment l’attitude de la Chine sur la scène internationale « inquiétante », que 52% éprouvent ce même sentiment à l’égard de la Russie et 37% à l’égard de la Turquie. Près d’un quart des répondants (22%) considèrent que l’attitude de la Chine n’est « ni inquiétante, ni rassurante » et 18% la considèrent « rassurante ». En Inde, dont les résultats ne sont pas compris dans le calcul de la moyenne globale des pays en raison de son poids démographique, la préoccupation que suscite l’attitude de la Chine est partagée par 43% des Indiens interrogés (12% sont rassurés, 17% répondent « ni l’un ni l’autre » et 28% ne se prononcent pas). Lors de notre enquête de 2018, réalisée dans 42 pays1, la réputation de la Chine était moins visée. Aux yeux de l’opinion, elle apparaissait la moins préoccupante, derrière la Russie et les États-Unis2.
Une forte majorité des citoyens craint la puissance chinoise (en %)
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Sur cet aspect, voir Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Les Opérations d’influence chinoises. Un moment machiavélien, Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), 2e édition, octobre 2021.
Voir Jean-Pierre Cabestan et Laurence Daziano, Hongkong : la seconde rétrocession, Fondation pour l’innovation politique, juillet 2020. Cette note est également disponible en anglais, Hong Kong: The Second Handover ; en chinois traditionnel, 香港: 二次回歸 ; en chinois simplifié, 香港: 二次回归 .
La Chine assume, et même affirme de façon ostentatoire, son modèle combinant une organisation totalitaire de l’État, une économie capitaliste et une société de contrôle high-tech. Face à l’extérieur, sa stratégie du soft power mobilisant l’image d’une grande civilisation revenant brillamment parmi les puissances de ce monde, a permis d’accroître son influence sans susciter immédiatement de vives inquiétudes. Mais, désormais, la politique de puissance de Pékin n’est plus dissimulable3. La volonté chinoise de redéfinir à son avantage les règles de la mondialisation, ses projets d’expansion géopolitique, dont témoignent la répression brutale de Hongkong4, la multiplication des comportements agressifs contre Taiwan et, plus généralement dans tout l’Asie-Pacifique, sont désormais perçus par l’opinion comme une menace. De plus, si la crise sanitaire de la Covid-19 a pu favoriser les intérêts de Pékin en déstabilisant le monde occidental, en général, et les États-Unis, en particulier, la Chine se voit désormais soupçonnée d’avoir entravé les missions d’enquête sur l’origine du virus. Elle est également accusée d’avoir dissimulé une partie de l’information aussi bien sur la gravité de la pandémie à l’intérieur de ses frontières que sur sa vitesse de diffusion vers le monde entier.
La peur de la Chine a fortement augmenté entre 2018 et 2021 En 2018, parmi les répondants des 42 pays de l’enquête Démocraties sous tension, la moitié (49%) se disaient inquiets de l’attitude de la Chine sur la scène internationale. En 2021, cette crainte a fortement augmenté parmi ces 42 pays, passant à 65% des personnes interrogées. |
La volonté d’approfondissement des relations avec la Chine est en tension avec la crainte qu’elle inspire (en %)
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Voir Emilie Sweigart et Gabriel Cohen, « Brazil’s Evolving Relationship with China », americasquaterly.org, 19 octobre 2021.
Voir Amb. Martha Bárcena Coqui, « Why Mexico’s Relationship with China Is So Complicated », americasquaterly.org, 28 septembre 2021.
Le continent américain face à l’ambition chinoise
L’inquiétude suscitée par la Chine atteint des niveaux sans précédent au sein des populations canadienne (78%), américaine (72%) et brésilienne (55%), tandis que la perspective d’un approfondissement des relations provoque des discordances entre les opinions publiques du continent américain. Si la majorité des Canadiens (56%) et des Américains (54%) sont opposés à l’approfondissement de ces relations, il en va différemment des Brésiliens. Au contraire, on y enregistre un large soutien à cet approfondissement (73%). Au Mexique, l’inquiétude est moins répandue (42%) et la plupart des Mexicains (80%) souhaitent voir leur pays approfondir ses relations avec la Chine. Rappelons que Pékin, de Hu Jintao à Xi Jinping, a multiplié les accords de partenariats stratégiques, devenant ainsi le premier partenaire économique du Brésil5 et le deuxième du Mexique, derrière les États-Unis, et que la part des échanges avec la Chine dans le commerce mexicain augmente alors qu’elle recule avec les États-Unis6.
Sur le continent américain, la Chine inquiète de plus en plus (en %)
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* Le Mexique ne faisait pas partie de notre panel en 2018.
Voir Anchal Vohra, « China Wants to Be Lebanon’s Savior », foreignpolicy.com, 9 juillet 2020.
David Sacks, « Countries in China’s Belt and Road Initiative: Who’s In and Who’s Out », Council on Foreign Relations, 24 mars 2021.
Voir Oluwatosin Adeshokan, « Why Is China Looking to Establish Banks in Nigeria? », thediplomat.com, 13 octobre 2021.
Liban, Tunisie, Nigeria : des régimes fragiles favorables à l’approfondissement de leurs relations avec la Chine
L’influence grandissante de la Chine se mesure notamment au nombre de gouvernements qui acceptent de nouer des partenariats économiques. Au Liban, Pékin s’active pour construire les infrastructures du pays et, surtout, pour déployer l’« autoroute arabe » reliant Beyrouth à Damas1. De son côté, la Tunisie, en pleine crise économique et politique, a rejoint en 2018 l’initiative des « Nouvelles Routes de la soie », offrant à la Chine des opportunités de coopération2 et des perspectives d’influence sur le continent africain. Enfin, le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, est devenu un nouvel eldorado pour les entreprises chinoises, dans un mouvement d’augmentation des investissements parallèlement à la baisse des investissements occidentaux3. |
Voir Muhammad Zulfikar Rakhmat, « Indonesia and China inked a deal to promote the use of the Yuan and Rupiah. The political and economic implications are huge », theconversation.com, 14 octobre 2020.
Voir « North Korean nuclear issue and US-China conflict greatest risks to peace in Northeast Asia in 2021 », The Genron NPO, 2 mars 2021.
En Asie-Pacifique, le regard porté sur la Chine est négatif
Dans la région Asie-Pacifique, l’inquiétude est forte chez les Philippins (65%) et les Indonésiens (52%). Cependant, les Philippins (59%) comme les Indonésiens (65%) souhaitent l’approfondissement des relations de leur pays avec la Chine. L’Indonésie et la Chine ont d’ailleurs signé un accord, en septembre 2020, afin de régler leurs transactions commerciales dans leur monnaie nationale respective, en s’émancipant du dollar ou de tout autre devise7.
La Chine préoccupe plus encore les Néo-Zélandais (71%), les Australiens (77%) et les Sud-Coréens (81%). Il en va de même au Japon où, en 2021, la crainte, presque unanime (88%), se maintient au niveau de 2018 (91%). L’intensification de la présence militaire de Pékin en mer de Chine méridionale agite l’ensemble de la zone, entraînant un durcissement des perceptions8. Les Néo-Zélandais (51%), les Sud-Coréens (54%), les Australiens (56%) et les Japonais (60%) sont désormais hostiles à un approfondissement des relations avec la Chine.
Enfin, si la crainte est relativement moins répandue en Inde (43%), les trois quarts des Indiens (72%) se disent opposés à un approfondissement des relations avec leur voisin, alors que des conflits territoriaux persistent entre les deux géants asiatiques.
Les populations d’Asie-Pacifique préfèrent des investissements en provenance de pays démocratiques plutôt que de Chine (en %)
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Voir A World Safe for the Party. China’s Authotitarian Influence and the Democratic Response. Country Case Studies from Nepal, Kenya, Montenegro, Panama, Georgia and Greece, International Republican Institute, 2021, p. 54-60.
« We want to strengthen Piraeus’ transshipment role and further boost the throughput capacity of China’s fast sea-land link with Europe » (cité in Silvia Amaro, « China bought most of Greece’s main port and now it wants to make it the biggest in Europe », cnbc.com, 15 novembre 2019.
La Chine divise le continent européen
Chez les Européens (UE), l’inquiétude suscitée par l’attitude de la Chine est en forte progression et concerne 60% des personnes interrogées, soit 20 points de plus qu’en 2018 (40%). Les Grecs sont parmi les moins inquiets (39%), même si ce sentiment augmente par rapport à 2018 (29%). Les deux pays n’ont cessé de se rapprocher depuis la crise financière de 2008.
La Chine a notamment l’ambition de faire du port grec du Pirée l’un des plus grands d’Europe mais aussi l’une des interfaces logistiques essentielles des « Nouvelles Routes de la soie9 ». Le président chinois Xi Jinping déclarait déjà à ce sujet en 2019 : « Nous voulons renforcer le rôle de transbordement du port du Pirée et accroître davantage la capacité de débit de liaison rapide mer-terre entre la Chine et l’Europe10. »
La perception est plus contrastée en Europe de l’Est. Ceux que la Chine inquiète le moins sont les Bulgares, les Lettons, les Slovaques et les Croates. Mais la crainte domine en Lituanie, Slovénie, République tchèque, Hongrie et Pologne.
En Europe, l’attitude chinoise préoccupe (en %)
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Le « 17 + 1 » ou « 16 + 1 » est un forum initié par Pékin pour étendre son influence économique et politique en Europe en dehors du cadre institutionnel et formel de l’Union européenne, et poursuivre son projet d’investissement emblématique, connu sous le nom « Nouvelle Route de la soie » (Belt and Road Initiative). L’initiative « 17 + 1 » comprend l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la République tchèque, l’Estonie, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, le Monténégro, la Macédoine du Nord, la Pologne, la Roumanie, la Serbie, la Slovaquie et la Slovénie. La Lituanie a quitté l’initiative « 17 + 1 » en mars 2021.
Dans les Balkans occidentaux, un tiers (33%) des personnes interrogées disent craindre l’attitude de la Chine, soit une proportion équivalente à celle qui la trouve rassurante (34%). Les Kosovars font figure d’exception (65% considèrent la Chine inquiétante). L’initiative « 17 + 1 », créée en 2012, a porté ses fruits11. L’Europe de l’Est est une zone clé pour le projet des « Nouvelles Routes de la soie » lancé en 2013. Les investissements chinois, comme ceux engagés pour la construction d’un chemin de fer reliant Belgrade à Budapest, semblent convaincre ces populations : en effet, dans les pays de l’Est de l’Union européenne, l’opinion publique est plus favorable (64%) à un approfondissement des relations avec la Chine que dans les pays de l’Ouest (59%). Dans les Balkans occidentaux, l’attente d’un renforcement des liens commerciaux avec Pékin est encore plus largement partagée (70%).
La Russie, jugée peu influente, reste redoutée par ses voisins
Au sein du monde démocratique, c’est l’Europe qui craint le plus la Russie (en %)
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Voir « Russia cyber-plots: US, UK and Netherlands allege hacking », bbc.com, 4 octobre 2018.
Voir Simone Tagliapietra et Georg Zachmann, « Will natural gas cooperation with Russia save the Greek economy? », bruegel.org, 20 avril 2015.
La Russie est devenue un pays économiquement faible et elle souffre d’un rapide vieillissement démographique. Parmi les personnes interrogées, seule une petite minorité (4%) désigne la Russie comme la puissance la plus influente. Mais cela n’empêche pas une majorité (52%) de redouter son attitude sur la scène internationale. La crainte est bien entendu particulièrement répandue chez les Géorgiens et les Ukrainiens, mais aussi parmi les Néerlandais, les Britanniques, les Finlandais, les Danois et les Suédois. L’ingérence russe dans les affaires nationales est l’un des facteurs d’explication : les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont été victimes de cyberattaques lancées par Moscou, en particulier lors des campagnes électorales, et qu’ils ont officiellement dénoncées12.
Cependant, le niveau d’inquiétude n’a pas augmenté entre 2018 et 2021. Il a même sensiblement reculé, demeurant à un niveau élevé, dans des pays particulièrement sensibles à la pression russe. Ainsi, l’inquiétude suscitée par la Russie est partagée par 61% des Estoniens, ce qui correspond à un recul de 19 points par rapport à notre mesure de 2018, par 53% des Lettons, en recul de 13 points, et par 70% des Lituaniens, soit un recul de 4 points.
En Europe, la Grèce fait exception, puisqu’un tiers seulement des personnes interrogées se disent inquiètes. En 2015, les deux pays ont signé un accord dans le cadre du Turkish Stream, un pipeline majeur traversant la Grèce et la Turquie pour relier la Russie à l’Europe13. Lancée en 2017, la construction a donné lieu à une inauguration en 2020.
Dans les pays de l’OTAN, l’attitude de la Russie inquiète l’opinion (66%), en particulier au Royaume-Uni, au Canada et aux États-Unis. Les répondants qui voient comme « une bonne chose » que leur pays soit membre de l’OTAN sont d’ailleurs plus nombreux à dire leur inquiétude face à la Russie (73%) que ceux qui voient cette appartenance comme « une mauvaise chose » (54%).
En Asie-Pacifique, la Russie inquiète une majorité des Sud-Coréens, des Australiens, des Néo-Zélandais, et les trois quarts des Japonais.
La Turquie désoriente les Européens
Voir Tuvan Gumrukcu, « Turkey says sent Cypriot vessel away from its continental shelf », reuters.com, 4 octobre 2021.
Voir Humeyra Pamuk, « Erdogan says Turkey plans to buy more Russian defense systems », reuters.com, 27 septembre 2021.
Voir Steven Erlanger, « Turkish Aggression Is NATO’s ‘Elephant in the Room’ », nytimes.com, 3 août 2020.
Dans le monde démocratique, la Turquie est la puissance autoritaire qui inquiète le moins l’opinion : 37% des personnes interrogées se disent inquiètes de l’attitude de la Turquie sur la scène internationale. Seuls 19% la jugent rassurante. Le jugement public semble suspendu : près de la moitié (44%) la trouvent « ni inquiétante, ni rassurante ».
En revanche, au sein de l’Union européenne, c’est la Turquie (63%) qui inquiète le plus, devant la Russie (61%) et la Chine (60%). Dans certains États membres, l’opinion publique se montre particulièrement préoccupée : les Néerlandais (78%), les Luxembourgeois (76%), les Allemands (74%), les Autrichiens (73%), les Belges (72%), les Français (71%) et les Italiens (70%). On remarquera que ces pays sont situés en Europe de l’Ouest et ils comprennent le plus souvent de fortes communautés turques. Au cœur de l’Europe méditerranéenne, les conflits territoriaux opposant Chypre et la Grèce à Ankara, à propos de la partition de Chypre depuis 1974 et, plus récemment, des droits d’exploration pétrolière et gazière en Méditerranée14, expliquent que les Chypriotes (95%) et les Grecs (85%) sont les plus nombreux à trouver la Turquie inquiétante.
En dehors de cet espace euro-méditerranéen, l’inquiétude que suscite la Turquie est moindre. Ce sentiment concerne 38% des Américains, 36% des Australiens et des Canadiens, 34% des Japonais, 32% des Sud-Coréens et des Néo-Zélandais.
En moyenne, la moitié de l’opinion publique des pays membres de l’OTAN (50%) craint l’attitude de la Turquie. La proportion s’élève à 58% quand nous regardons la moyenne de l’OTAN sans les États-Unis et cela confirme que ce sont principalement les Européens qui s’inquiètent de la position de la Turquie sur la scène internationale. Le pays, qui fête en 2022 les 70 ans de son appartenance à l’Alliance atlantique, attise les tensions depuis plusieurs années, notamment quand elle achète à la Russie un système de défense incompatible avec ceux de l’Alliance atlantique15, lorsqu’elle lance des offensives dans le nord de la Syrie ou quand ses bateaux sont confrontés à des navires grecs, en Méditerranée orientale, ou français, au large des côtes libyennes16.
La Turquie, ce pays membre de l’OTAN qui inquiète les Européens et la région méditerranéenne (en %)
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On note que la question de l’immigration influe sur la perception de la Turquie, alors même que le président Recep Tayyip Erdoğan maintient la pression sur les frontières de l’Union européenne : près des trois quarts (70%) des répondants au sein de l’Union européenne estimant que l’immigration est l’une des plus grandes menaces pesant sur leur démocratie jugent inquiétante l’attitude de la Turquie (contre 50% globalement).
Voir Richard Allen Greene et Oren Liebermann, « Tensions between Israel and Palestinians are sky-high. Here’s what you need to know », cnn.com, 16 mai 2021.
Voir « President Erdoğan, President Putin of Russia talk over phone », Presidency of the Republic of Türkiye, Directorate of Communications, iletisim.gov.tr, 12 mai 2021.
Voir Omar Babakhouya, La Diplomatie turque au Moyen-Orient à l’ère AKP. Quel arbitrage entre idéologie et pragmatisme ?, L’Harmattan, 2020.
L’opinion israélienne et la Turquie
Les deux tiers (67%) des Israéliens jugent l’attitude de la Turquie inquiétante. Le président Erdoğan a multiplié les prises de positions agressives envers l’État hébreu à la suite des tensions survenues entre Israël et la Palestine au mois de mai 20211, soit peu de temps avant l’administration de notre enquête. Dans une déclaration du 12 mai 2021, Erdoğan annonçait que « la communauté internationale devait donner une leçon forte et dissuasive à l’État d’Israël2 ». Les liens avec l’État hébreu n’ont pas toujours été aussi tendus. En 1949, la Turquie fut d’ailleurs le premier pays à majorité musulmane à reconnaître l’État d’Israël, avant de couper les liens en 2010. Le parti AKP défend aujourd’hui un projet islamo-nationaliste en rupture avec la doctrine kémaliste3. |
Les jeunes générations craignent moins les puissances autoritaires (en %)
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L’inquiétude face aux régimes autoritaires est d’autant plus marquée que le niveau social est plus élevé (en %)
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L’inquiétude face aux puissances autoritaires varie en fonction des préoccupations des répondants (en %)
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* Pour cette question, la base est constituée des populations des pays membres de l’OTAN.
Grille de lecture : 72% des répondants qui trouvent que leur appartenance à l’OTAN est une bonne chose sont inquiets de l’attitude de la Chine sur la scène internationale.
Les États-Unis demeurent la puissance prédominante
Les États-Unis sont perçus, et de loin, comme la puissance la plus influente
Le jugement que les personnes interrogées portent sur la puissance américaine est affecté par l’évaluation qu’elles font de leur démocratie. Cette évaluation repose sur l’appréciation de son fonctionnement et sur celle de l’utilité du vote. Ainsi, les répondants estimant que leur démocratie fonctionne mal dans leur pays sont plus nombreux à juger inquiétante l’attitude des États-Unis sur la scène internationale. À l’inverse, ceux qui pensent que leur démocratie fonctionne bien sont plus préoccupés par la Chine, la Russie ou la Turquie. Le même lien apparaît chez les personnes qui considèrent que « voter ne sert pas à grand-chose, les hommes et femmes politiques ne tiennent pas compte de la volonté du peuple ».
Pour l’opinion, les États-Unis sont la puissance la plus influente (en %)
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Les répondants qui critiquent le fonctionnement de la démocratie dans leur pays redoutent moins les régimes autoritaires (en %)
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Grille de lecture : parmi les répondants qui considèrent que « voter ne sert pas à grand-chose, les hommes et femmes politiques ne tiennent pas compte de la volonté du peuple », 38% se disent inquiets de l’attitude des États-Unis sur la scène internationale.
Si l’on compare les données de 2018 et de 2021 avec les mêmes 42 pays (sans la Biélorussie, la Corée du Sud, la Géorgie, l’Inde, l’Indonésie, le Kosovo, le Liban, le Mexique, la Moldavie, le Monténégro, le Nigeria, les Philippines, la Tunisie), l’amélioration de l’image des États-Unis est encore plus importante : 56% des personnes interrogées étaient inquiètes en 2018, contre un tiers (33%) en 2021.
Voir John Glaser, Christopher A. Preble et A. Trevor Thrall, Fuel to Fire. How Trump Made America’s Broken Foreign Policy Even Worse (and How We Can Recover), Cato Institute, 2019.
Par rapport à notre précédente enquête internationale, l’image des États-Unis s’est nettement améliorée : en 2018, la puissance américaine préoccupait plus de la moitié des répondants (56%)17. Certains discours et décisions de l’administration Trump en matière de politique étrangère et commerciale ont pu alimenter le sentiment d’une perturbation de trop dans un monde déjà incertain, et ce d’autant plus qu’elle venait du leader du monde démocratique18. Ces évolutions se perçoivent au sein même de la société américaine : si près d’un tiers des Américains (30%) jugent toujours inquiétante l’attitude de leur pays sur le plan mondial, ce résultat est en recul de 13 points par rapport à 2018 (43%). On note une même évolution dans les autres pays du continent américain : 41% des Canadiens et 39% des Brésiliens estiment inquiétante l’attitude des États-Unis, contre respectivement 76% et 53% en 2018. Sur ce continent, les Mexicains sont les plus nombreux (46%) à porter un regard inquiet sur les États-Unis, mais ce pays figurant pour la première fois dans notre enquête, nous n’avons pas d’élément de comparaison avec 2018.
La relation particulière qu’entretient Israël avec les États-Unis se retrouve dans les résultats : en 2021, plus de la moitié (56%) des Israéliens se disent rassurés par les Américains. Il en va de même pour d’autres pays amis des États-Unis, notamment les Philippines, alliés historiques, avec lesquels ils ont signé un traité d’assistance militaire en 1951. Là encore, une majorité de Philippins (59%) disent être rassurés par l’attitude des Américains sur la scène internationale, alors qu’ils font face à la politique agressive de Pékin en mer de Chine.
Au sein de l’Union européenne, la dégradation de l’image des États-Unis constatée en 2018 s’inverse en 2021. Alors que les Européens étaient 63% à trouver la puissance américaine inquiétante en 2018, ils sont 31% en 2021.
Au tournant du XXe et du XXIe siècle, l’intervention de l’OTAN dans les Balkans occidentaux a marqué les esprits. L’intervention en faveur du Kosovo lors de la guerre en 1999 se retrouve dans l’opinion : les Kosovars (87%) et les Albanais (65%) sont les plus nombreux à juger les États-Unis rassurants. À l’inverse, les Serbes (61%) et une partie significative des Bosniens (37%) trouvent inquiétante l’attitude américaine. Les bombardements de l’OTAN menés par les Américains contre des cibles serbes lors des guerres yougoslaves expliquent peut-être la méfiance de la Serbie, mais aussi de la Bosnie qui compte une importante population serbe.
Special Relationship : les Britanniques plus rassurés en 2021
En 2017 et en 2018, 16% des Britanniques se disaient rassurés par l’attitude des États-Unis sur la scène internationale. En 2021, le chiffre a plus que doublé (36%). Cette réassurance ressentie par les Britanniques ne sera probablement que plus évidente maintenant qu’ils ont conclu une alliance militaire avec l’Australie et les États-Unis pour contrer la Chine (AUKUS). |
Voir Steve Scherer, Dave Graham, «Tensions over cars, protectionism loom at North American leaders summit», reuters.com, 18 novembre 2021.
La sphère anglophone voit les États-Unis comme une puissance rassurante, à l’exception du Canada
Dans les pays membres de l’AUKUS (Australia, United Kingdom and United States), alliance militaire tripartite rendue publique en septembre 2021 et formée pour contrer la puissance chinoise, l’attitude des États-Unis est jugée plus rassurante en 2021 (36% pour les Britanniques et 39% pour les Australiens) qu’elle ne l’était en 2018 (16% pour les Britanniques, contre 20% pour les Australiens). C’est également le cas pour les Néo-Zélandais, qui faisaient partie de l’ANZUS (Australia, New Zealand and United States), ancêtre de l’AUKUS : 15% en 2018, contre 29% aujourd’hui. Pékin devient une préoccupation pour ces pays anglophones. Cependant, les voisins Canadiens semblent en retrait : 41% sont inquiets de l’attitude des États-Unis sur la scène internationale, ce que peuvent expliquer en partie les tensions commerciales. L’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), qui remplace l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) depuis juillet 2020, est à l’origine d’un bras de fer commercial. Si l’ALENA proposait un modèle d’intégration et d’uniformisation d’un marché nord-américain commun inspiré de l’Union européenne, l’ACEUM repose davantage sur la coopération et provoque de vives tensions quant à la protection de certains pans stratégiques des pays signataires (on peut évoquer les véhicules électriques) que ces derniers sont prêts à défendre bec et ongles19.
Voir Andrew Moravcsik, « Why Europe Wins », foreignpolicy.com, 24 septembre 2020.
L’Union européenne, une influence relevant du soft power L’Union européenne ne peut être considérée comme une « puissance » comparable à la Chine, à la Russie ou aux États-Unis car il ne s’agit pas d’un État. Organisant une coopération étroite entre 27 pays qui demeurent souverains, l’Union européenne exerce une influence relevant davantage du soft power, avec son marché intérieur, son modèle juridique et son normativisme. L’Union européenne ne parvient pas à concevoir le recours au hard power1. C’est cette Union européenne si particulière qui est jugée « rassurante » par près de la moitié de l’opinion (44 %), tandis que 20 % des répondants la jugent inquiétante et un tiers (36 %) « ni rassurante, ni inquiétante ». |
En 2021, la puissance américaine inquiète moins qu’en 2018 (en %)
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En 2021, la puissance américaine inquiète moins qu’en 2018 (en %) – suite
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L’appartenance à l’OTAN ne suffit pas à rassurer sur les États-Unis
Les deux tiers des Américains (65%) voient dans l’OTAN « une bonne chose ». Mais dans les pays membres de cette alliance, ici sans tenir compte de l’opinion américaine, seul un tiers des personnes interrogées (32%) trouvent « rassurante » l’attitude des États-Unis. C’est d’autant plus modeste qu’une même proportion (32%) la juge au contraire « inquiétante », tandis que 36% l’estiment « ni rassurante ni inquiétante ». En Europe de l’Est, l’attachement à l’Alliance est plus marqué (63%) que dans l’Europe de l’Ouest (53%). Le soutien à l’OTAN est plus élevé encore dans les pays des Balkans occidentaux (67%) membres de l’organisation internationale : l’Albanie, la Macédoine du Nord et le Monténégro.
Au sein de l’Union européenne, les pays de l’Est soutiennent davantage leur appartenance à l’OTAN que les pays de l’Ouest (en %)
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Peur des puissances autoritaires et jugement sur l’appartenance à l’OTAN (en %)
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Grille de lecture : parmi les personnes qui déclarent être inquiètes de l’attitude de la Chine sur la scène internationale, les deux tiers (66%) trouvent que l’appartenance de leur pays à l’OTAN est « une bonne chose ».
Federal Election Commission, « Official 2020 Presidential General Election Results », 11 mars 2020, p. 8.
Federal Election Commission, Washington, « Federal Elections 2016. Election results for the U.S. President, the U.S. Senate and the U.S. House of Representatives », décembre 2017, p. 10.
Première démocratie du monde, les États-Unis sont fragilisés
Après la présidence de Donald Trump et à la suite de l’accession de Joe Biden à la Maison-Blanche, les deux tiers des Américains (67%) considèrent que leur démocratie fonctionne bien. Ce chiffre, relativement élevé, ressemble à un signe de convalescence, après que la légitimité de l’élection de Biden a été fortement contestée par une partie des sympathisants du président battu, au point de prendre d’assaut le Capitole, le 6 janvier 2021. La participation record au scrutin du 3 novembre 2020, avec plus de 158 millions de votants1 (contre un peu plus de 136 millions en 2016)2, peut aussi être perçue comme la marque d’une démocratie en bonne santé. Mais les résultats de notre enquête montrent la persistance d’importants clivages au sein de la société et qui sont parmi les plus marqués des pays étudiés. |
Aux États-Unis, les femmes, les habitants des petites agglomérations et les catégories populaires et intermédiaires sont les plus critiques avec leur démocratie (en %)
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L’opinion appréhende le retour de la guerre
Voir Thibault Muzergues, Europe champ de Bataille. De la guerre impossible à une paix improbable, Le Bord de l’eau, 2021. 32
Face aux bouleversements géopolitiques actuels, notamment la rivalité sino-américaine, une partie significative de l’opinion redoute le retour de la guerre20. Ainsi, la possibilité « qu’une nouvelle guerre mondiale éclate dans les prochaines années » est considérée comme « probable » par la moitié des personnes interrogées (50%). Les populations qui croient le plus à un nouveau conflit planétaire sont les Indonésiens (66%), les Mexicains (60%), les Américains (59%), les Libanais (58%), les Australiens (57%), les Ukrainiens (55%), les Chypriotes et les Croates (54%).
Malgré les tumultes du monde, l’irénisme des Européens (UE) se confirme : seuls 38% des personnes interrogées estiment probable une nouvelle guerre mondiale dans les prochaines années. Étrangement, certains pays pourtant exposés par leur proximité géographique avec une puissance dont l’histoire a montré combien elle pouvait être belliqueuse semblent moins inquiets encore. C’est le cas de l’Estonie et de la Finlande, de l’Allemagne et des Pays-Bas. En revanche, la crainte d’une guerre mondiale concerne la moitié des Grecs et des Hongrois, ainsi qu’une majorité des Roumains et des Slovènes. L’irénisme des Européens se retrouve aussi, plus largement, chez les Occidentaux. Ainsi, dans les pays membres de l’OTAN, la moitié des personnes interrogées (46%) estiment probable une nouvelle guerre mondiale dans les prochaines années si l’on inclut dans le calcul de cette moyenne l’opinion américaine (59%). Mais le chiffre tombe à 38% hors États-Unis.
Il ne s’agissait pas encore des attentats du 11 septembre 2001.
La guerre au XXIe siècle
« L’attaque terroriste contre les États-Unis par Oussama Ben Laden1, l’attentat au gaz dans le métro de Tokyo par les disciples de la secte Aum et le chaos créé par Morris Jr. et ses pareils sur Internet, où le degré de destruction n’est en rien inférieur à celui d’une guerre, représentent une demi-guerre, une quasi-guerre, une sous-guerre, bref la forme embryonnaire d’un nouveau type de guerre. Quel que soit le nom que l’on donne à ces nouvelles formes d’affrontement, elles ne peuvent pas nous rendre plus optimistes que par le passé, car nous n’avons aucune raison d’être optimistes. Cela tient au fait que la diminution des fonctions de la guerre au sens strict ne signifie absolument pas que la guerre n’existe plus, car elle ne sera pas totalement abolie, même à l’époque soi-disant postmoderne, postindustrielle. Elle aura seulement réinvesti la société humaine d’une manière plus complexe, plus étendue, plus cachée et plus subtile. Comme disait lord Byron dans le poème où il pleure la mort de Shelley : “Il ne s’est rien passé, une fois l’eau de la mer a changé et c’est tout.” La guerre, qui a subi la transformation de la technologie moderne et du système du marché, sera faite sous des formes encore plus atypiques. Autrement dit, alors que nous observons une diminution relative de la violence militaire, nous observons en même temps un accroissement de la violence politique, économique et technique. En outre, quelle que soit la forme que revêt la violence, la guerre, c’est la guerre, et quand bien même son apparence se serait modifiée, elle obéira toujours aux mêmes principes. » Qiao Liang et Wang Xiangsui, écrit le 17 janvier 1999, |
Les sociétés démocratiques se bercent-elles d’illusion ?
La perspective d’une nouvelle guerre mondiale (en %)
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Ceux qui pensent qu’une nouvelle guerre mondiale est probable (en %)
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Les sociétés démocratiques se bercent-elles d’illusion ?
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De quoi les démocraties ont peur
La liberté d’opinion est mise au défi dans des sociétés démocratiques de plus en plus multiculturelles. L’incompréhension réciproque, la défiance, voire l’hostilité, corrodent le lien social. Les rivalités interculturelles se transforment en conflits de valeurs lorsque le différend porte sur des libertés fondamentales, telles que la liberté d’opinion et la liberté de la presse. En témoignent les tragédies provoquées par les réactions violentes à la publication des Versets sataniques de Salman Rushdie, en 1988, des caricatures danoises, en 2008, ou encore le drame de l’attentat contre Charlie Hebdo, en 2015. Ce terrorisme prend la forme d’une guerre intérieure contre les valeurs de la société libérale, avec par exemple les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et en région parisienne, ou celui de Nice, le 14 juillet 2016. Le conflit des identités et des religions, le populisme, l’autoritarisme, le racisme et l’antisémitisme n’ont jamais autant porté atteinte aux sociétés démocratiques que depuis les années 1930.
Sans la liberté de débattre et de publier, il ne reste rien du modèle démocratique. Elle en conditionne la possibilité, la légitimité, mais aussi l’efficacité, car c’est la liberté qui permet au génie humain d’atteindre sa pleine dimension. Or notre siècle est aussi celui du surgissement d’un nouvel espace public, transnational et numérique. Cette fois, la cause du bouleversement n’est ni extérieure aux démocraties, ni étrangère, ni même hostile aux valeurs libérales. Il s’agit d’innovations technologiques remarquables développées par des entreprises dont les performances résultent de l’usage des libertés. Pourtant, si elles font progresser extraordinairement l’inclusion du plus grand nombre dans l’espace public médiatique, les plateformes numériques, les Big Tech, acquièrent un pouvoir problématique. Que deviennent les démocraties si les législations émanant d’assemblées élues sont impuissantes à réguler les libertés ? Que deviennent les démocraties si le pouvoir de garantir ces libertés passe furtivement des parlements aux mains d’entreprises jouissant d’une position monopolistique ?
La diversité culturelle est vue comme une source d’insécurité
Le changement climatique, le chômage, la crise économique, les déficits publics et la dette, la délinquance, l’extrémisme politique, la guerre, l’immigration, les inégalités sociales, l’islamisme, ne plus pouvoir assurer le financement de la protection sociale (retraite, santé…), la perte du pouvoir d’achat, le terrorisme.
Voir Dominique Reynié (dir.), Les Attentats islamistes dans le monde 1979-2021, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2021. Pour mener à bien cette recherche, nous avons utilisé trois types de sources : le recueil d’informations sur les attentats via les moteurs de recherche, le croisement des bases de données existantes, particulièrement la Global Terrorism Database (GTD) et l’Armed Conflict and Event Data Project (ACLED) et, enfin, les recherches académiques.
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Optimisme et pessimisme sont dans un rapport de forces équilibré. À la question : « S’agissant de votre pays, comment pensez-vous qu’il sera demain ? », plus d’un tiers des personnes interrogées (35%) estiment que leur pays sera « moins bien qu’aujourd’hui ». Ils sont 36% à déclarer que leur pays sera « mieux que ce qu’il est actuellement » et 29% qu’il sera « aussi bien qu’aujourd’hui ». Les Français sont parmi les moins optimistes : ils ne sont que 9% à dire que leur pays ira mieux demain, de même que les Libanais (10%), les Belges (10%), les Finlandais (12%) et les Japonais (12%).
La délinquance et le terrorisme en tête des craintes sécuritaires
Parmi les principales préoccupations étudiées1, l’inquiétude suscitée par les enjeux sécuritaires est très largement partagée. La plupart des répondants disent craindre la délinquance (89%), et plus encore en Indonésie (96%), en Albanie, au Liban et au Mexique (97%), au Nigeria et en Tunisie (98%).
De même, la crainte du terrorisme est globalement très élevée (83%). Des scores plus importants encore sont enregistrés chez les Moldaves et les Ukrainiens (87%), les Bulgares, les Français et les Israéliens (89%), les Indiens, les Libanais et les Tunisiens (92%), les Indonésiens (93%), les Philippins (95%), les Géorgiens et les Nigérians (96%).
Les conflits interculturels
La crainte de l’immigration (63%) concerne d’importants segments de l’opinion. L’immigration est sans doute l’une des figures de la globalisation. C’est aussi à ce titre qu’elle oriente certaines réponses. Ainsi, parmi ceux qui jugent que la mondialisation est une menace, la préoccupation pour l’immigration est plus forte, atteignant 73%. Le niveau de préoccupation pour l’immigration est moins élevé parmi ceux qui, au contraire, perçoivent la mondialisation comme une opportunité, mais il demeure majoritaire (58%). De même, si l’inquiétude provoquée par l’immigration reste plus répandue dans les villes de moins de 15.000 habitants (67%), la préoccupation pour l’immigration reste élevée dans les villes de plus de 500.000 habitants (60%), plus étroitement liées à la globalisation.
L’islamisme et la menace terroriste
L’islamisme est une autre des préoccupations répandues (59%). L’islamisme est associé à une menace pesant sur les valeurs fondamentales des sociétés démocratiques : la liberté de la presse, la liberté de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté de l’orientation sexuelle, la tolérance… Bien sûr, l’islamisme est également associé à la menace terroriste. Au moins 48.035 attentats islamistes ont eu lieu lors des quarante dernières années, provoquant la mort d’au moins 210.138 personnes2. Entre 1979 et 2000, ce sont 2.194 attentats et 6.817 morts qui ont été recensés (soit 4,6% des attentats islamistes sur la période 1979-2021). Après le 11-Septembre, tournant du terrorisme, on dénombre 8.265 attentats et 38.186 morts entre 2001 et 2012 (soit 17,2% des attentats islamistes sur la période 1979-2021). Enfin, entre 2013 et 2021, avec l’avènement de l’État islamique et de Boko Haram, on dénombre 37.576 attentats et 165.135 morts (soit 78,2% des attentats islamistes sur la période 1979-2021).
Cette montée en puissance du terrorisme islamiste contribue certainement à susciter la crainte de l’islamisme au sein des démocraties. Cette crainte est au plus haut en Israël (86%), à Chypre et en France (84%), mais aussi en Bulgarie et en République tchèque (82%), en Belgique (78%), en Allemagne, en Autriche et en Slovaquie (76%). Dans les pays à majorité musulmane, la peur de l’islamisme domine dans l’opinion au Nigeria (69%), en Tunisie (63%), en Indonésie (60%) et en Bosnie-Herzégovine (55%). Le Liban (37%) fait exception.
Les démocraties confrontées à la violence du terrorisme islamiste
« La violence terroriste atteint principalement des civils. La mort due au terrorisme installe dans les esprits un sentiment insupportable de vulnérabilité permanente. Les populations du monde démocratique sont plus traumatisées par la violence terroriste parce qu’elles ont hérité d’une culture irénique, conséquence logique du déclin de la violence interétatique. Mais les démocraties sont aussi plus désemparées parce qu’elles représentent un ordre politique doux, fondé sur la liberté et les droits humains. Immanquablement les démocraties se sentent désarmées. Une envie de répression, de contrôle, de surveillance, d’expulsion, de fermeture des frontières s’exprime au grand jour. Elle engendre une culture sécuritaire, voire paranoïaque, que pérennisent les inévitables mesures destinées à rassurer autant sinon plus qu’à prévenir. Par la violence des djihadistes, l’islam et les musulmans suscitent des craintes irrépressibles et grandissantes. La peur de l’autre fissure les sociétés, elles finissent par s’opposer à elles-mêmes : désir d’en découdre, xénophobie, conflit des identités, autoritarisme. » « Islamisme et populisme : une dialectique implacable », in Dominique Reynié (dir.), |
De quoi ont peur les démocraties ? (en %)
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De quoi ont peur les démocraties ? (en %) – suite
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Pourra-t-on encore « résoudre pacifiquement les désaccords » ?
Des sociétés démocratiques minées par la défiance…
En moyenne, pour les deux tiers (64%) des répondants, « on n’est jamais trop prudent quand on a affaire aux autres », tandis que 36% estiment que l’« on peut faire confiance à la plupart des gens ». La défiance à l’égard d’autrui est plus répandue chez les femmes (68%) que chez les hommes (61%), mais elle est aussi plus forte chez les moins de 35 ans (67%) que chez les 65 ans et plus (59%), ou encore au sein des couches populaires (71% parmi les personnels de services, employés de commerces et ouvriers peu qualifiés) que dans les catégories supérieures (53% parmi les cadres dirigeants d’entreprise).
Seuls les Indonésiens (63%) et les Européens du Nord disent faire confiance aux autres (57% des Finlandais, 56% des Danois, 55% des Néerlandais et 52% des Norvégiens), à l’exception des Suédois (45%).
… et la crainte de ne plus « pouvoir résoudre pacifiquement les désaccords »
Si une majorité (56%) des répondants pensent que, dans les prochaines années, les citoyens « parviendront à résoudre leurs désaccords de manière pacifique sans recourir à la violence », une forte minorité (44%) choisissent l’item opposé (« les citoyens n’arriveront plus à résoudre leurs désaccords de manière pacifique dans leur pays et auront plus souvent recours à la violence »). Notons que les Libanais (76%), les Français (71%) et les Belges (61%), qui sont parmi les plus pessimistes sur l’avenir de leur pays, sont aussi les plus nombreux à penser que leurs désaccords conduiront à la violence. À l’inverse, là où la confiance interpersonnelle est la plus répandue, l’idée que les citoyens n’arriveront plus à résoudre leurs désaccords de manière pacifique est minoritaire : 29% des Norvégiens et des Danois, 33% des Finlandais et des Indonésiens.
Le 6 janvier 2021, l’assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump, qui a gravement perturbé le processus de certification des résultats de l’élection présidentielle, a témoigné de la fragilité de la plus grande démocratie du monde. L’idée de recourir à la violence pour promouvoir ses opinions n’est pas absente dans les sociétés démocratiques : une personne sur cinq (19%) estime que « le recours à la violence pour défendre ses opinions politiques peut être justifié ». Au sein de l’Union européenne, 17% des répondants sont d’accord avec cette idée. Dans les 55 pays de l’enquête, les proportions les plus importantes se trouvent au Kosovo (43%), en Hongrie (42%), en Inde (33%), au Liban (31%) et en Moldavie (30%).
La défiance interpersonnelle est plus répandue parmi ceux qui pensent que « les citoyens n’arriveront plus à résoudre leurs désaccords de manière pacifique et auront plus souvent recours à la violence » (en %)
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Grille de lecture : 70% des répondants qui pensent que les « citoyens n’arriveront plus à résoudre leurs désaccords de manière pacifique et auront plus souvent recours à la violence » estiment qu’« on n’est jamais trop prudent quand on a affaire aux autres ».
Voir « Banned weapons stoke deadly violence in Nigeria », france24.com, 9 juin 2018.
Voir Nemanja Rujevic, « Serbia: The land of guns », Deutsche Welle, 29 décembre 2016.
Voir Ondřej Plevák, « Firearm ownership rights embedded into Czech constitution », euractiv.com, le 23 juillet 2021.
U.S Government Accountability Office, « Firearms Trafficking. U.S. Efforts to Combat Firearms Trafficking to Mexico Have Improved, but Some Collaboration Challenges Remain », janvier 2016.
Katy Watson, « Jair Bolsonaro and guns: A US culture war raging in Brazil », bbc.com, 15 novembre 2021.
La moitié des répondants (47%) souhaitent avoir le droit de posséder une arme à feu pour se défendre
La moitié des personnes interrogées (47%) sont favorables au droit d’« avoir une arme à feu chez soi pour se défendre ». Cette idée est plus répandue chez les hommes (52%) que chez les femmes (43%), mais on la rencontre aussi davantage chez les moins de 35 ans (52%) que chez leurs aînés, les 60 ans et plus (40%). Bien sûr, les fortes disparités entre les pays ou les ensembles de pays reflètent aussi un état du droit différent : ainsi, alors qu’un tiers (32%) des personnes interrogées au sein de l’Union européenne souhaitent avoir le droit de posséder une arme à feu, la proportion monte à 84% aux États-Unis, où ce droit est garanti par le deuxième amendement de la Constitution.
Malgré une législation qui interdit la délivrance de permis de port d’arme, le droit de posséder une arme à feu est largement approuvé au Nigeria (76%). Mais cette opinion ne peut pas revêtir le même sens dans un pays régulé par un État de droit et dans un pays aux prises avec une violence armée endémique. État fragile, le Nigeria souffre particulièrement de la circulation d’armes dans le pays, notamment en raison de l’action insurrectionnelle de Boko Haram depuis les années 2009, avec des armes en provenance du Tchad et de la Libye. En 2018, le Centre régional des Nations unies pour la paix et le désarmement estimait que « plus de 350 millions d’armes légères et de petit calibre (pistolets, fusils d’assaut, armes semi-automatiques…) » circulaient au Nigeria3.
En Serbie, plus des deux tiers (68%) des personnes interrogées sont favorables au droit d’avoir une arme à feu chez soi pour se défendre. Après la chute de la Yougoslavie, la plupart des armes utilisées lors des guerres des années 1990 sont restées en circulation, principalement en Serbie, deuxième pays avec le plus d’armes à feu par habitant derrière les États-Unis4.
En République tchèque, le Sénat a approuvé, en juillet 2021, l’inscription dans la Constitution du droit d’utiliser des armes pour se défendre et défendre autrui dans des conditions légales, en réaction à la volonté de l’Union européenne de réglementer l’acquisition et la possession d’armes à feu5. Les deux tiers (64%) des Tchèques sont favorables au droit de posséder une arme à feu.
En proie à de multiples violences internes, le gouvernement mexicain lutte contre la prolifération d’armes à feu. Ce pays souffre beaucoup des armes introduites illégalement par les cartels de drogue, notamment en provenance des États-Unis6. Une large majorité des Mexicains (61%) souhaitent avoir le droit de posséder une arme à feu.
Enfin, la société brésilienne est partagée sur ce point : 48% des Brésiliens interrogés y sont favorables, 52% y sont opposés. Pendant son mandat, le président Jair Bolsonaro a mis en place plusieurs mesures facilitant le port d’arme à feu, en accord avec sa promesse électorale. En 2020, le pays a connu une hausse de 70% du nombre d’armes en circulation7.
Les nouvelles générations semblent se préparer à un monde plus violent (en %)
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Faut-il avoir le droit de posséder une arme à feu chez soi pour se défendre ? (en %)
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L’inquiétude face au risque du déclassement économique
Les sociétés démocratiques redoutent davantage les malheurs privés et immédiats qu’une troisième guerre mondiale. Peut-être faut-il y voir l’une des conséquences de la pandémie de Covid-19 qui semble capable de menacer les progrès accomplis en matière de développement et qui a pu révéler une fragilité insoupçonnée des systèmes de santé. De plus, pour la première fois depuis la fin des années 1990, la pauvreté dans le monde est repartie à la hausse. Inévitablement, de telles perspectives inquiètent l’opinion. En tête des préoccupations, la baisse du pouvoir d’achat (90%) voisine avec la crise économique (89%) et la délinquance (89%). À des niveaux proches, les répondants redoutent les inégalités sociales (85%) et le chômage (84%).
Économie : les pays les plus inquiets… (en %)
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… les pays les moins inquiets (en %)
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Pandémies et bouleversements historiques
« Outre son potentiel en tant qu’agent sélectif agissant sur des facteurs biologiques intrinsèques, la Peste noire pourrait également avoir façonné les modèles de population en modifiant fortement les facteurs exogènes qui affectaient la santé et la démographie. Les documents historiques de la période suivant la Peste noire indiquent que le niveau de vie s’est amélioré après l’épidémie, au moins dans certaines régions d’Europe, comme l’Angleterre. Ces changements de niveau de vie résultent en grande partie de la dépopulation massive provoquée par la Peste noire, qui a inversé les conditions pré-épidémiques d’une population excédentaire par rapport aux ressources. Après la Peste noire, il y a eu une grave pénurie de main-d’œuvre, ce qui a mis fin au système médiéval de servage. Par conséquent, les salaires ont augmenté de façon spectaculaire tandis que les prix de la nourriture, des biens et du logement ont chuté. Ces changements ont accompli une redistribution majeure des richesses. Les salaires réels ont atteint des niveaux qui n’ont pas été dépassés avant le XIXe siècle, ce qui a permis d’améliorer le logement et l’alimentation des personnes de tous les niveaux sociaux. En Angleterre par exemple, les prix des céréales ont fortement chuté après 1375 et sont généralement restés bas pendant près d’un siècle et demi. Bien qu’il ait fallu plusieurs années pour que les salaires réels augmentent en Angleterre à la suite de la Peste noire, à la fin du XIVe siècle, ils avaient fortement augmenté pour atteindre leur pic sur la période médiévale. À la fin du XVe siècle, les salaires réels étaient au moins trois fois supérieurs à ce qu’ils étaient au début du XIVe siècle. » Sharon N. DeWitte, « Mortality Risk and Survival in the Aftermath of the Medieval Black Death », |
Globalement, la perte du pouvoir d’achat préoccupe davantage que le changement climatique (en %)
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Les manipulations de l’information et les ingérences étrangères
Voir Gregory Winger, « China’s Disinformation Campaign in the Philippines », thediplomat.com, 6 octobre 2020.
La naïveté des sociétés démocratiques peut être relativisée si l’on observe que la plupart des personnes interrogées (88%) s’accordent à dénoncer la perturbation des campagnes électorales par des puissances étrangères utilisant Internet et les réseaux sociaux. Ces dernières années, les cas se sont multipliés. Outre la Russie, la Turquie ou l’Iran, la Chine s’emploie également à peser sur les scrutins. Les Philippines ont été la cible d’une campagne de désinformation et d’influence menée par Pékin sur Facebook, en soutien à la candidature à l’élection présidentielle de Rodrigo Duterte, en 2016. La Chine a continué à manipuler la politique philippine jusqu’à ce qu’en septembre 2020 Facebook supprime les réseaux menant cette campagne de désinformation sur son site8. De toutes les populations interrogées dans notre enquête, les Philippins sont d’ailleurs ceux que l’ingérence de puissances étrangères dans les campagnes électorales inquiète le plus (96%).
L’apparition d’un espace public transnational et numérique est à la fois une ressource et un défi pour le monde démocratique. Notre enquête montre que le déclin de l’espace médiatique traditionnel (presse, télévision et radios) trouve sa source dans une attente frustrée de services et de capacités en matière d’informations et de communication : accessibilité, socialité, étendue de l’offre, permanence de l’information, prix, etc. C’est la raison du succès des réseaux sociaux. Ils ont su répondre et satisfaire cette attente. C’est pourquoi ils font l’objet d’une évaluation ambivalente dans l’opinion. Ils rendent possible les ingérences étrangères dans les campagnes électorales, mais ils permettent aussi une forme d’émancipation du public. Ainsi, d’un côté, les réseaux sociaux sont perçus défavorablement par une très large majorité qui y voit « une mauvaise chose car ils favorisent la diffusion de fausses informations » (73%) ; de l’autre, ils sont perçus comme « une bonne chose car ils offrent la possibilité de s’informer soi-même » (83%).
L’ambivalence de l’opinion face aux réseaux sociaux (en %)
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Grille de lecture : à la question « à propos d’Internet et des réseaux sociaux, de manière générale, que pensez-vous des opinions suivantes : Internet et les réseaux sociaux… », 61% des personnes interrogées sont « plutôt d’accord » avec l’idée qu’ils « sont une mauvaise chose car ils donnent à d’autres (entreprises, gouvernements, entourage) trop d’informations sur notre vie privée ».
La peur de l’ingérence de puissances étrangères dans les campagnes électorales est massive (en %)
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Dans l’ensemble, les trois quarts des répondants (73%) estiment que les Big Tech, ou GAFAM, ont un pouvoir trop important en matière d’information et de débat public, et qu’ainsi leur gouvernement devrait les contrôler davantage. Alors que l’Union européenne ne possède pas de géant du Web, la plupart de ses citoyens (79%) partagent également cette opinion. C’est en particulier le cas des Néerlandais, des Luxembourgeois, des Belges, des Irlandais, des Espagnols, des Finlandais, des Allemands, des Autrichiens ou encore des Français.
Mais la demande d’une plus grande régulation est aussi très largement répandue aux États-Unis (70 %), patrie des Big Tech, ou dans les pays anglo-saxons, comme en Australie (83%), au Royaume-Uni (83%), en Nouvelle-Zélande (81%) ou au Canada (74%), soit des résultats proches ou supérieurs à la moyenne globale (73%). Les sociétés démocratiques ne veulent renoncer ni aux nouveaux bénéfices qu’autorise l’avènement des réseaux sociaux, ni à l’impératif de régulation publique.
Attachés aux réseaux sociaux, les Européens demandent plus de régulation (en %)
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Les Irlandais et les Luxembourgeois sont également favorables à une régulation publique des GAFAM
C’est en Irlande que Facebook et Google se sont installés et c’est au Luxembourg qu’Amazon a son siège européen. Pourtant, la plupart des Luxembourgeois (87%) et des Irlandais (85%) considèrent que les Big Tech ont « un pouvoir trop important dans l’information et le débat public et que leur gouvernement devrait pouvoir les contrôler davantage », soit un niveau très supérieur à la moyenne globale (73%) et même à la moyenne des pays de l’Union européenne (79%). |
Dans un monde démocratique fragilisé, l’attachement à l’Union européenne se renforce
Les démocraties se retrouvent dans une situation périlleuse trente ans après la chute du mur de Berlin qui marquait pourtant leur triomphe. D’après Freedom House, sur les 41 pays régulièrement classés “libres” de 1985 à 2005, 22 ont enregistré des baisses sensibles de la liberté au cours des cinq dernières années. Ce processus de régression n’épargne pas les ensembles démocratiques qui paraissent plus solides. Ainsi, dans l’Union européenne, des gouvernements élus remettent en cause l’État de droit en se revendiquant d’une « démocratie illibérale ». La disparition de l’Union européenne est l’un des principaux points programmatiques du discours protestataire. Or, dans son principe, l’Union européenne, comme idée et comme institution, est l’une des réponses les plus élaborées que les nations ont su mettre en place afin de redimensionner leur puissance. Le procès fait à l’Union européenne de n’être pas démocratique est paradoxal puisque le projet de cette « union toujours plus étroite » est précisément de dimensionner la puissance des nations démocratiques à l’échelle du monde. Ainsi, l’élection au suffrage universel du Parlement européen, depuis 1979, ou encore l’invention d’une citoyenneté européenne, en 1992, esquissent une politique démocratique postnationale. Dans l’histoire de la démocratie, l’Union européenne est ainsi devenue la première organisation politique transnationale impliquant une assemblée élue au suffrage universel, et elle est encore la seule. Comment ne pas voir dans cette entreprise la seule tentative sérieuse de régénérer l’idée démocratique et d’inscrire son modèle de gouvernement par le consentement des gouvernés dans un cadre compatible avec la globalisation ?
L’opinion publique et l’idée européenne
Voir Dominique Reynié (dir). Démocraties sous tension, vol. I : « Les enjeux » et vol. II : « Les pays », Fondation pour l’innovation politique/ International Republican Institute, 2019 (les deux volumes sont téléchargeables sur le site fondapol.org), et Id., Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique, Plon, 2017. À la différence des deux dernières mesures en 2018 et en 2021, la moyenne de l’Union européenne en 2017 ne contenait pas les données de Chypre, de l’Irlande, du Luxembourg, de Malte et de la Slovénie, le poids démographique de ces pays restant mineur sur l’ensemble de l’Union européenne. De plus, les moyennes de l’Union européenne en 2017, 2018 et 2021 n’incluent pas le Royaume-Uni en raison du référendum sur le Brexit intervenu juin 2016.
Une majorité d’Européens (UE) interrogés (52%) considèrent que l’appartenance de leur pays à l’Union européenne est « une bonne chose ». C’est 3 points de plus par rapport à notre enquête de 2018 (49%) et 7 points de plus par rapport à celle de 20171 (45%). Seule une minorité (18%) estiment que leur appartenance est « une mauvaise chose ». Un tiers (30%) répondent que ce n’est « ni une bonne chose, ni une mauvaise chose ». Initialement mise au défi de l’efficacité, l’invention d’une politique vaccinale commune pendant la crise du coronavirus a sans doute non seulement préservé mais aussi renforcé l’attachement à l’Union européenne, de même que le plan de relance historique. Si l’UE paraît parfois abstraite ou désincarnée, la crise sanitaire a permis de la voir sous un jour différent et, finalement, avec un jugement plus favorable.
L’attachement à l’Union européenne en 2017, 2018 et 2021 (en %)
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Ibid.
Le soutien à l’euro contient la poussée populiste
L’attachement à l’Union européenne doit également se mesurer au regard du rapport que les habitants entretiennent avec la monnaie européenne. Les citoyens voient dans l’euro une protection de leur patrimoine que le retour aux monnaies nationales mettrait en péril. Le soutien à l’euro repose donc sur un intérêt bien compris. Le discours anti-euro, longtemps adopté par les populistes, est désormais perçu comme une menace pour le patrimoine matériel des Européens… aussi longtemps que l’euro demeurera solide. C’est ainsi que les deux tiers des citoyens de la zone euro (64%) déclarent vouloir conserver la monnaie européenne. Un quart (28%) préféreraient revenir à la monnaie nationale mais estiment que cela n’est pas possible. Seule une petite minorité (8%) considèrent que l’abandon de l’euro est à la fois souhaitable et possible. Comme nous l’avions déjà observé au cours de nos deux précédentes enquêtes de 2017 et 2018, le soutien à la monnaie européenne est plus fort que le soutien à l’Union européenne dans la plupart des pays de la zone euro2. En 2021, seuls Chypre, la Lituanie et le Portugal présentent un schéma d’opinion inverse.
Si le soutien à l’euro est plus fort chez les personnes qui estiment que leur niveau de vie s’est amélioré (72%), il reste cependant important chez celles qui jugent que leur niveau de vie s’est dégradé (51%).
Le soutien à l’euro est plus marqué que le soutien à l’Union européenne (en %)
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L’attachement à l’euro reste élevé dans les différents groupes sociodémographiques (en %)
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Les Européens font davantage confiance aux institutions européennes que nationales
Au sein de l’Union européenne, la confiance dans la Com- mission européenne (47%) et le Parlement européen (47%) est relativement élevée compte tenu du discrédit qui frappe les institutions politiques. Ce résultat est d’autant plus frappant si l’on compare avec les institutions nationales des États membres : en moyenne, 41% des Européens (UE) disent avoir confiance dans leur gouvernement national et 44% dans leur parlement national. Dans chaque pays, nous enregistrons des niveaux de confiance comparables à l’égard de la Commission européenne et du Parlement européen. En France, l’un des pays où la confiance à l’égard des institutions européennes est la plus basse, on observe le même constat : 41% des répondants font confiance à la Commission européenne et au Parlement européen.
La confiance dans la Commission européenne dépasse la confiance dans les gouvernements nationaux… (en %)
… tout comme la confiance dans le Parlement européen dépasse la confiance dans les parlements nationaux (en %)
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Au sein de l’Union européenne, si les populations des pays de l’Est sont celles qui font le plus confiance aux institutions européennes, elles sont aussi les plus méfiantes à l’égard de leurs institutions nationales. Cette défiance se manifeste en particulier lorsqu’on interroge sur les principales menaces pour la démocratie dans le pays. En effet, à l’Ouest, un cinquième (18%) des répondants citent leur propre gouvernement ; ce chiffre monte à 44% dans les pays de l’Est. La confiance dans les institutions européennes laisse à penser que l’Union européenne est perçue par une partie de l’opinion comme un moyen de protéger la démocratie face à la dérive autoritaire du gouvernement national.
En Europe de l’Est, le gouvernement national est plus souvent perçu comme une menace pour la démocratie (en %)
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L’idée européenne et l’idée démocratique demeurent en tension (en %)
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Les Balkans occidentaux : entre aspirations européennes et lassitude
La volonté d’adhésion à l’Union européenne est contrastée
Dans les Balkans occidentaux, l’adhésion à l’Union européenne est considérée comme une bonne chose par une majorité de répondants (54%). Ils sont 29% à penser que ce ne serait « ni une bonne ni une mauvaise chose », 17% y voient « une mauvaise chose ». Les résultats par pays sont très contrastés. Si la plupart des Albanais et des Kosovars voient d’un bon œil leur adhésion à l’Union européenne, seul un Macédonien sur deux et un Serbe sur trois partagent cet avis. En Bosnie-Herzégovine, la partition ethnique du pays peut jouer un rôle important, les habitants des régions serbes, comme la Republika Srpska, jugeant plus négativement leur potentielle adhésion à l’Union européenne : 40% d’entre eux pensent que ce serait « une bonne chose », 18% « une mauvaise chose » et 42% « ni l’un ni l’autre ».
L’aspiration à l’Union européenne dans les Balkans occidentaux (en %)
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Les effets attendus d’une adhésion sur la démocratie dans les Balkans occidentaux (en %)
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Une région convoitée par les puissances autoritaires
La Serbie est le pays qui voit le plus négativement son adhésion à l’Union européenne, alors même qu’elle fait partie des États des Balkans occidentaux les plus avancés dans les négociations d’adhésion : 39% des Serbes disent être inquiets de l’attitude de l’Union européenne sur la scène internationale, tout en réaffirmant leur affinité culturelle et historique avec la Russie qu’ils jugent majoritairement rassurante (56%).
La Turquie est jugée rassurante par 40% des Albanais, 45% des Monténégrins, 48 % des Bosniens, 54% des Macédoniens et 69% des Kosovars. Les Serbes sont les seuls à se dire plus inquiets (42%) que rassurés (9%). Ce sentiment d’inquiétude n’est partagé que par une minorité de Kosovars (10%), de Macédoniens (15%), de Monténégrins (17%), de Bosniens (18%) et d’Albanais (23%). Enfin, la plupart des Bosniens et des Monténégrins (74%), des Macédoniens (75%) et des Serbes (76%), et dans une moindre mesure, des Albanais (63%) souhaitent l’approfondissement des relations de leur pays avec la Chine, dont l’influence dans les Balkans occidentaux s’est renforcée au cours de ces dernières années : les Balkans occidentaux font partie de l’initiative « 17 + 1 », lancée par Pékin en 2012, et marquant la volonté d’établir une étroite collaboration avec les pays de l’Est. Notons qu’étant donné que la Chine exclut de ces projets le Kosovo dont elle ne reconnaît pas l’indépendance, les personnes interrogées dans ce pays se montrent hostiles (55%) à l’approfondissement des relations de leur pays avec Pékin.
Les rapports des Balkans occidentaux avec les États-Unis sont à nuancer : la plupart des Kosovars (87%) et la majorité les Albanais (65%) trouvent rassurante leur position sur la scène internationale. Cette appréciation est moins partagée au Monténégro (46%) et en Macédoine du Nord (43%), ainsi qu’en Bosnie-Herzégovine (35%). En revanche, seuls 11% des Serbes disent être rassurés par la puissance américaine.
Le souhait d’une armée européenne est conforté
Le soutien à la création d’une armée européenne en Europe (en %)
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Voir Guy Chazan et Jim Brunsden, « Merkel backs Macron’s call for creation of European army », ft.com, 13 novembre 2018.
Voir Daniel Boffey, « Von der Leyen: EU must acquire ‘political will’ to build own military », theguardian.com, 15 septembre 2021.
« Décision (PESC) 2017/2315 du Conseil du 11 décembre 2017 établissant une coopération structurée permanente (CSP) et fixant la liste des États membres participants », Journal officiel de l’Union européenne, n° L331, 14 décembre 2017.
La moyenne de Union européenne de 2017 ne contenait pas les données de Chypre, de l’Irlande, du Luxembourg, de Malte et de la Slovénie. Les moyennes de Union européenne de 2017, 2018 et 2021 n’incluent pas le Royaume-Uni en raison du référendum sur le Brexit intervenu en juin 2016.
Voir Stanley R. Sloan, « NATO’s ‘neutral’ European partners: valuable contributors or free riders? », nato.int, 23 avril 2013.
Voir « Denmark and NATO », nato.int.
Voir « A row between Turkey and Greece over gas is raising tension in the eastern Mediterranean », economist.com, 20 août 2020 (en accès réservé).
Plus de la moitié des Européens (55%) sont favorables à la création d’une armée commune
L’idée d’une armée européenne remonte au projet de Communauté européenne de défense (CED), au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Cette idée échoua à se concrétiser en 1954. Depuis, le projet d’une défense commune revient régulièrement sur le devant de la scène. En 2017, le président français Emmanuel Macron a annoncé vouloir lancer un projet militaire commun, suivi, en 2018, par la chancelière Angela Merkel3. Établir une union de la sécurité et de la défense est également l’une des priorités déclarée de la Commission européenne d’Ursula von der Leyen4. Récemment, plusieurs initiatives ont été mises en œuvre, telles que le lancement en 2017 de la coopération structurée permanente (PESCO)5, permettant à certains États membres de développer leur collaboration dans le domaine de la défense, ou le Fonds européen de défense (FED), voté par le Parlement européen pour la première fois en avril 2021.
Selon les données de notre enquête, plus de la moitié (55%) des Européens (UE) interrogés sont favorables à la création d’une armée commune en plus des armées nationales, malgré une baisse, en 2021, de 4 points par rapport au niveau enregistré en 2018 (59%) et de 2 points par rapport à 2017 (57%)6.
Au sein de l’Union européenne, les résultats sont incertains parmi les pays fondateurs : les Luxembourgeois (62%), les Belges (60%), les Italiens (58%) et les Français (57%) y sont favorables, l’opinion néerlandaise est divisée (50%) et les Allemands y sont hostiles (53%). En 2018, seuls 6 des 27 États membres étaient majoritairement opposés à la création d’une armée européenne, ils sont 11 en 2021.
Au nord de l’Europe, les populations y sont plus souvent hostiles, tels les Finlandais (43%), les Danois (45%), les Suédois (46%) et les Irlandais (47%). Nous remarquons que parmi ces pays, la Finlande, l’Irlande et la Suède ont inscrit le principe de neutralité dans leur Constitution et que leur statut d’État neutre est reconnu par la communauté internationale7. Le Danemark est quant à lui un pays anciennement neutre8.
En moyenne, dans l’Union européenne, l’opinion publique dans les pays de l’Est est plus favorable à une armée européenne (60%) que dans les pays d’Europe de l’Ouest (54%). Les pays qui ont adhéré à l’Union depuis 2004 se montrent favorables, notamment la Roumanie (66%) et la Bulgarie (61%). A contrario, les personnes interrogées y sont beaucoup moins favorables en République tchèque et en Slovaquie (41%), en Estonie (45%) et en Croatie (47%).
Après leur sortie effective de l’Union européenne, les Britanniques réaffirment leur désapprobation d’une armée européenne (62% en 2021, ils étaient 65% en 2018). Les Américains y sont, quant à eux, favorables (52%). De même, la moyenne des personnes interrogées dans les pays membres de l’OTAN (53% en 2021 et 52% en 2018) soutient l’idée d’une armée européenne. On note que parmi les pays de l’Union européenne membres de l’OTAN, le souhait de la création d’une armée européenne s’élève à 56%.
Les populations les plus favorables à une armée européenne habitent les régions traversées par des tensions géopolitiques
Le soutien à l’armée européenne rassemble près des trois quarts des Chypriotes (72%) et des Grecs (71%). En 2018, ils étaient respectivement 54% et 68% à approuver cette idée. L’évolution du conflit avec la Turquie au sujet des droits d’exploration pétrolière et gazière en Méditerranée pèse évidemment pour beaucoup dans ce résultat9 : la plupart des Chypriotes (95%) et des Grecs (85%) jugent inquiétante la position de la Turquie sur la scène internationale (contre 37% pour l’ensemble des pays).
Les relations des États de l’Union européenne avec la Russie sont également un facteur déterminant le souhait d’une armée européenne. En effet, plus des deux tiers des Lituaniens et des Polonais (68%) soutiennent le projet d’une armée européenne, quand 70% des Lituaniens et 75% des Polonais s’inquiètent de la position de la Russie sur la scène internationale. Ces deux pays se trouvent de part et d’autre de l’enclave russe de Kaliningrad, devenue une importante base militaire.
Dans l’opinion, la perception d’une menace russe ne s’arrête pas aux frontières de l’Union européenne. Les pays impliqués dans des conflits territoriaux avec la Russie sont majoritairement favorables à la création d’une armée européenne. La Russie est jugée inquiétante par la majorité des Géorgiens (82%), également favorables à une armée européenne (58%). De même, l’attitude de la Russie inquiète les Ukrainiens (69%), qui soutiennent la création d’une armée européenne (68%). Dans les Balkans occidentaux, les Albanais (58%) et les Kosovars (77%) qui sont particulièrement nombreux à trouver la Russie inquiétante sont également les plus favorables à une armée européenne (75% des Albanais et 82% des Kosovars).
Brexit : le jugement contrasté d’une décision historique
Depuis le vote historique de juin 2016 en faveur de sa sortie de l’Union européenne et la mise en œuvre de cette décision le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni est devenu un pays tiers de l’Union européenne. L’âpre divorce consommé, les Britanniques, les Européens et, plus globalement, l’ensemble des populations interrogées, peuvent porter un regard rétrospectif sur ce référendum qui a changé le visage du Royaume-Uni et de l’Union européenne. S’agissant du jugement des Britanniques sur l’avenir de leur pays, la moitié des répondants (48%) estiment que le pays s’en sortira moins bien en dehors de l’Union européenne ; seul un tiers (33%) pense qu’il s’en sortira mieux, 19% considérant que cela n’aura pas d’effets. Rappelons qu’en 2016, le Brexit l’a emporté avec 51,9 % des suffrages (17.410.742 voix pour, 16.141.241 voix contre), avec un taux de participation de 72,2%.
À l’échelle de l’Union européenne, la moitié des citoyens (47%) pensent que le Royaume-Uni s’en sortira moins bien en dehors de l’Union européenne. On observe que 61% des personnes favorables à l’euro sont de cet avis. De même, 66% des citoyens qui considèrent que l’Union européenne renforce la démocratie dans leur pays disent que le Royaume-Uni s’en sortira moins bien sans l’Union européenne.
Le Brexit : un vote protestataire de droite (en %)
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Grille de lecture : au Royaume-Uni, les deux tiers des personnes (66%) qui s’autopositionnent à droite estiment que leur pays « s’en sortira mieux hors de l’Union européenne ».
Le Royaume-Uni hors de l’Union européenne : les jeunes Britanniques sont les plus inquiets (en %)
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Grille de lecture : au Royaume-Uni, 51 % des 18-34 ans estiment que leur pays « s’en sortira moins bien hors de l’Union européenne ».
Seuls 47 % des Européens considèrent que le Royaume-Uni
« s’en sortira moins bien hors de l’Union européenne » (en %)
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Que pense l’opinion du Brexit ? (en %)
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Note : la différence entre les totaux et 100% représente les non-réponses.
L’idéal démocratique résiste
Sans oublier la longue généalogie des idées et des expériences qui fondent la démocratie, il est admis que celle-ci s’est mise en place comme régime parlementaire autour des années 1880. Les principes et les institutions sur lesquels repose la politique démocratique se sont ensuite déployés au cours du XXe siècle – extension du droit de vote, multiplication des libertés, diversification des élections, etc. –, pour atteindre la forme que nous lui connaissons de nos jours. Les démocraties ont permis aux peuples concernés d’accéder à une richesse matérielle, à un progrès humain et à une condition existentielle d’une qualité et d’une valeur sans précédent et sans équivalent. Il existe un lien étroit entre ce progrès et l’enracinement du régime, entre l’attachement au régime et les performances pratiques dont il s’est montré capable. Sa légitimation politique est aussi, et peut-être même principalement, le résultat de ces prouesses économiques et sociales. La question se pose donc de savoir à quelles conditions les démocraties actuelles sont en mesure de maintenir un tel niveau de confort matériel et, a fortiori, de poursuivre le rythme du progrès que connaissent depuis cent ans les peuples démocratiques. Face à ces grands défis, les sociétés démocratiques conservent néanmoins un atout majeur dont les résultats de notre étude se font l’écho. Les citoyens interrogés affirment leur attachement aux libertés et à la démocratie. Quand ils expriment un jugement négatif, nos données montrent que, le plus souvent, c’est la manière dont la démocratie fonctionne dans leur pays qui est l’objet de leurs critiques et non l’idée démocratique elle-même. Ceci révèle la réalité d’une aspiration anthropologique à la liberté, c’est la force la plus capable d’assurer la pérennisation de la démocratie au XXIe siècle.
Une approbation massive de la démocratie représentative
« Avoir à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections », « Que ce soit des experts et non un gouvernement qui décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays », « Que l’armée dirige le pays », « Avoir un système politique démocratique avec un Parlement élu qui contrôle le gouvernement », « Que ce soit les citoyens et non un gouvernement qui décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays », « Que seuls les citoyens qui ont un niveau de connaissance suffisant puissent voter ».
Dans notre étude, six formes différentes de régime1 ont été présentées aux personnes interrogées. Les répondants ont été invités à dire, pour chacune d’entre elles, si elles leur paraissaient être une bonne ou une mauvaise façon de gouverner. Parmi ces six options, le modèle de la démocratie représentative (« avoir un système politique démocratique avec un Parlement élu qui contrôle le gouvernement ») réunit le plus large soutien (81%), suivi par le modèle de la démocratie directe (70%), formulé en ces termes : « Que ce soit les citoyens et non un gouvernement qui décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays. »
Un système politique reposant sur des experts recueille aussi un soutien significatif (62%). La pandémie de la Covid-19 a remis sur le devant de la scène l’idée de technocratie, forme de gouvernement dans laquelle des experts prennent les décisions. Nous remarquons cependant que le souhait d’avoir « des experts et non un gouvernement qui décident de ce qui leur semble le meilleur pour le pays » n’a pas augmenté avec la pandémie. En 2018, dans les 42 pays de l’enquête, ils étaient 57% des répondants à considérer cette forme de gouvernement comme une bonne façon de gouverner ; en 2021, la moyenne de ces mêmes 42 États atteint 58%.
Le soutien aux différents systèmes politiques (en %)
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Dans le même ordre d’idée, les répondants qui choisissent soit l’option « avoir à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du parlement ni des élections », soit l’option « que l’armée dirige le pays » sont plus nombreux que la moyenne à se dire rassurés par les régimes autoritaires. Ainsi, les répondants qui soutiennent l’option d’un leader fort sont 25% à estimer rassurante l’attitude de la Chine sur la scène internationale (contre 18% en moyenne), 28% à juger de la même manière l’attitude de la Russie (contre 20%) et 28% à estimer rassurante l’attitude de la Turquie (contre 19%). En outre, parmi ceux qui considèrent qu’il serait une bonne chose que l’armée dirige le pays, 28% sont rassurés par la Chine, 32% par la Russie et 34% par la Turquie.
L’idée d’un système politique reposant sur « un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du parlement
ni des élections » réunit une majorité dans 14 pays (en %)
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L’idée d’un système politique où « l’armée dirige le pays » réunit au moins un tiers des répondants dans 8 pays (en %)
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Peur de la guerre et tentation autoritaire (en %)
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En arabe, le mot thawra signifie « révolution » et fait référence au mouvement d’opposition au gouvernement libanais initié en octobre 2019.
Voir The World Bank, « Lebanon Sinking into One of the Most Severe Global Crises Episodes, amidst Deliberate Inaction », worldbank.org,
1er juin 2021.
Voir « Lebanon protests erupt over proposed Government tax on WhatsApp », abc.net.au, 18 octobre 2019.
Indignation, colère et pessimisme des Libanais
Depuis la thawra1 initiée en octobre 2019, le Liban est en proie à l’une des pires crises socio-économiques du XXIe siècle2. À la suite de la démission du gouvernement Hariri, en 2019, l’instabilité politique s’est renforcée, atteignant son paroxysme en 2020, après la tragique explosion du port de Beyrouth en août, qui a fait plusieurs centaines de victimes et entraîné la chute du gouvernement Diab. L’indignation, la colère et la défiance se reflètent dans les résultats de l’enquête, très au-dessus de la moyenne. Mais ces résultats indiquent également un désir vif de changement pour les Libanais. Du point de vue politique d’abord : la presque totalité juge que leur démocratie fonctionne mal (90%), soit le chiffre le plus élevé de notre enquête. La corruption est perçue comme omniprésente : pour 95% des répondants, « la plupart » ou « toutes les personnes qui nous gouvernent » sont corrompues. La défiance à l’égard des institutions démocratiques est sans commune mesure : 93% expriment une défiance envers le gouvernement (contre 57% en moyenne), 90% à l’égard du parlement (contre 58%), 91% vis-à-vis des partis politiques (contre 73%) et 93% envers les autorités religieuses, essentielles au fonctionnement politique du régime confessionnel du pays (contre 50%). Pour les Libanais, les deux plus grandes menaces à la démocratie dans leur pays sont la corruption (75%) et le gouvernement actuel (35%). Cette crise politique et cette défiance sont également le corollaire d’une crise de la représentation : 81% des Libanais disent qu’ils ne se sentent représentés « par aucun parti politique » (contre 44% en moyenne) et presque la moitié des répondants (44%) jugent que « voter ne sert pas à grand-chose, les hommes et les femmes politiques ne tiennent pas compte de la volonté du peuple » (contre 29% en moyenne). Il est à noter que dans ce pays attaché à ses libertés mais gangrené par la corruption, 86% des répondants se disent en faveur d’un gouvernement dirigé par des experts. D’un point de vue économique, la crise fracassante, la dévaluation de la livre libanaise et la montée vertigineuse du taux du niveau d’endettement du pays entraînent une grande inquiétude chez les répondants. La dégringolade du niveau de vie et l’inflation se retrouvent nettement dans les réponses : seuls 1% des Libanais déclarent que « leur niveau de vie s’est amélioré au cours des dernières années » et 2% qu’il est resté au même niveau. La quasi-totalité des répondants se disent inquiets au sujet de la crise économique (97%), du chômage (97%), de la perte du pouvoir d’achat (96%) et des déficits publics et de la dette (94%). Ces peurs liées à la situation économique du pays se mêlent à d’autres inquiétudes découlant de la forte instabilité, comme les inégalités sociales (qui inquiètent 95% des répondants), mais aussi le terrorisme (92%) dans un pays marqué par les séquelles de la guerre civile. Cette situation explique certainement pourquoi les Libanais sont parmi les plus pessimistes. À la question : « S’agissant de votre pays, comment pensez-vous qu’il sera demain ? », seulement 10% répondent que leur pays sera « mieux que ce qu’il est actuellement ». Pour 76% des personnes interrogées, « les citoyens ne parviendront plus à résoudre leur problème de manière pacifique et auront plus souvent recours à la violence » (contre 44% en moyenne). Plus de la moitié des Libanais (53%) se disent également favorables au droit d’avoir une arme à feu chez soi (47% en moyenne). Enfin, notons qu’une majorité de Libanais (68%) se sentent libres de critiquer leur gouvernement sur les réseaux sociaux (18 points de plus que la moyenne). Pour rappel, la thawra d’octobre 2019 fut initiée par l’opposition à la mise en place d’une taxe WhatsApp3. Les réseaux sociaux, vecteur et outil révolutionnaire par excellence au Liban depuis le printemps arabe, sont perçus positivement : 93% pensent que les réseaux numériques sont utiles car ils permettent aux gens de s’informer et 88% des Libanais jugent qu’ils sont utiles car ils permettent aux gens de s’exprimer librement (contre respectivement 83% et 79% en moyenne). |
Une critique démocratique du fonctionnement de la démocratie
Voir Yves Bertoncini et Dominique Reynié, « The illiberal challenge in the European Union », in András Sajó, Renáta Uitz, et Stephen Holmes (dir.), Routledge Handbook of Illiberalism, 2021, p. 822-839.
Les personnes interrogées ont été invitées à choisir parmi les items suivants : la guerre civile, le terrorisme, l’immigration, le racisme, le sexisme, les inégalités sociales et économiques, les pays autoritaires, comme la Chine, la Russie, la Turquie ou l’Iran, les réseaux sociaux, le désintérêt des citoyens pour la politique, le gouvernement actuel et, enfin, la corruption.
Pour la moitié des répondants, la démocratie fonctionne mal dans leur pays
En moyenne, sans l’Inde, la moitié des citoyens (50%) estiment que la démocratie fonctionne mal dans leur pays. La situation est évidemment très contrastée selon les cas. Dans quelques pays, la plupart des répondants estiment que leur démocratie fonctionne bien, comme les Suisses, les Norvégiens, les Danois, les Luxembourgeois, les Canadiens, les Néo-Zélandais et les Australiens.
D’une manière générale, au sein de l’Union européenne, les jugements sur le fonctionnement de la démocratie sont l’écho d’une fragilisation : en moyenne, 49% des Européens interrogés ne trouvent pas satisfaisant le fonctionnement de la démocratie dans leur pays. Dans les États de l’Est, le mauvais fonctionnement est pointé par plus des deux tiers (66%) des répondants. Dans les démocraties « illibérales2 », où les citoyens voient l’État de droit remis en question par des dirigeants élus, ceux qui estiment que la démocratie fonctionne mal dans leur pays sont une majorité en Hongrie, en Slovénie et en Pologne. Si l’on pose la question de savoir « ce qui menace le plus la démocratie dans votre pays », « le gouvernement actuel3 » est la menace la plus citée par les Slovènes (57%), les Polonais (55%) et les Hongrois (53%).
Mais ce jugement négatif sur le fonctionnement de la démocratie dans son pays est également très partagé en France, en Espagne et en Italie.
Au Royaume-Uni, pays tiers de l’Union européenne depuis le 31 décembre 2020, 41% des personnes interrogées considèrent que la démocratie fonctionne mal. Cette proportion est d’autant plus importante que le référendum du 23 juin 2016 pouvait amener les Britanniques à considérer que les décisions fondamentales pour leur avenir leur revenaient bel et bien.
Dans les Balkans occidentaux, plus des deux tiers (67%) des répondants jugent que la démocratie fonctionne mal dans leur pays. Il en va de même là où la démocratie est non seulement fragile mais gravement menacée, voire foulée au pied : la démocratie fonctionne mal pour une importante majorité des Moldaves, Biélorusses, Ukrainiens et Géorgiens.
Lorsque le pays est dirigé par des leaders populistes, l’évaluation du fonctionnement de la démocratie est variable. Aux Philippines, où la présidence de Rodrigo Duterte cristallise la récente montée de l’autoritarisme en Asie du Sud-Est, 70% des personnes interrogées estiment que la démocratie « fonctionne bien » dans leur pays. Il en va de même pour les deux tiers des Indiens. À l’inverse, les Brésiliens se montrent sévères en condamnant largement le fonctionnement de leur démocratie, de même que les Tunisiens, pris dans une profonde crise politique.
La moitié des répondants estiment que leur démocratie fonctionne mal (en %)
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Les femmes et les catégories populaires et intermédiaires sont les plus critiques sur le fonctionnement de la démocratie (en %)
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La moitié des répondants estiment que leur démocratie fonctionne mal (en %) – suite
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Les jeunes générations jugent plus sévèrement leur démocratie (en %)
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La guerre civile, le terrorisme, l’immigration, le racisme, le sexisme, les inégalités sociales et économiques, les pays autoritaires, comme la Chine, la Russie, la Turquie ou l’Iran, les réseaux sociaux, le désintérêt des citoyens pour la politique, le gouvernement actuel et, enfin, la corruption.
Le questionnaire de cette enquête a été administré entre juin et août 2021, autrement dit avant la publication des Pandora Papers qui, au début du mois d’octobre 2021, ont révélé les comptes bancaires secrets de nombreux dirigeants du monde entier.
La corruption est vue comme la principale menace pesant sur la démocratie
Nous avons invité les personnes interrogées à répondre à la question : « Selon vous, qu’est-ce qui menace le plus la démocratie dans votre pays ? ». Il s’agissait ensuite de classer « en premier » ou « en deuxième » deux enjeux parmi les onze proposés4. Dans l’analyse des résultats, nous avons retenu ici le total des réponses « en premier » ou « en deuxième ». Parmi les onze items, la corruption arrive en tête pour près d’un répondant sur deux (47%)5. Les moins de 35 ans (53%) sont plus sensibles au danger que la corruption fait courir aux démocraties que les 60 ans et plus (36%). Les classes populaires (52%) et les classes moyennes (51%) sont plus préoccupées par la corruption que les classes supérieures (43%), de même que les personnes indiquant avoir des difficultés financières (57%), par comparaison avec celles déclarant ne pas en avoir (43%). Notons, enfin, que les personnes se situant à droite sont plus nombreuses à citer la corruption comme première ou deuxième menace à leur démocratie (48%) que les personnes qui se situent à gauche (42%).
Fléau à maints égards, la corruption produit des effets particulièrement pernicieux dans les régimes démocratiques puisque ceux-ci ne peuvent fonctionner sans la confiance des citoyens. Les crises liées à la corruption minent les démocraties. Elles nourrissent la défiance et finissent par engendrer une suspicion généralisée : 16% des répondants pensent que « toutes les personnes qui gouvernent dans notre pays sont corrompues » et la moitié (50%) que « la plupart des personnes qui gouvernent dans notre pays sont corrompues ». Seul un tiers (33%) estiment qu’il ne s’agit que d’« une minorité ».
Corruption et perception du fonctionnement de la démocratie (en %)
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Grille de lecture : parmi les répondants qui considèrent que la démocratie fonctionne bien dans leur pays, 40% estiment que « la corruption » est l’une des menaces les plus importantes à leur démocratie.
La lutte contre la corruption, un enjeu majeur (en %)
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L’efficacité du vote est interrogée
Un tiers des répondants mettent en cause l’utilité du vote
Si l’attachement au vote est massif, son utilité est discutée par une forte minorité (29%) qui considère que « voter ne sert pas à grand-chose, les hommes et femmes politiques ne tiennent pas compte de la volonté du peuple » (contre 71% qui estiment qu’il est « utile de voter car c’est par les élections que l’on peut faire évoluer les choses »). Cette vision dépréciative de l’utilité du vote, et non du vote comme principe et mécanisme, n’est pas absente de certains pays de l’UE et est partagée par la plupart des Lettons, des Belges et des Roumains, mais aussi une proportion importante de Croates, de Bulgares, de Français et d’Espagnols.
Sur l’ensemble des pays étudiés, ce sont les Sud-Coréens qui répondent le plus massivement qu’il est « utile de voter car c’est par les élections que l’on peut faire évoluer les choses ». Il faut rappeler que, le 15 avril 2020, des élections législatives se sont tenues en Corée du Sud, malgré l’expansion de la crise sanitaire. Si le président sud-coréen Moon Jae-in a, un temps, envisagé de les reporter, il a finalement tenu à montrer que l’épidémie ne devait pas empêcher le bon fonctionnement de la démocratie. La participation a été de 66,2%, soit le taux le plus élevé depuis 1992.
Ceux qui regardent la mondialisation comme une menace sont plus nombreux (36%) à considérer que voter ne sert à rien que ceux qui voient la mondialisation comme une opportunité (25%). De même, l’idée de l’inutilité du vote est paradoxalement plus répandue dans les villes de moins de 15.000 habitants (33%), qui sont celles où l’on vote le plus, que dans les villes de plus de 500.000 habitants (26%), qui sont celles où l’on vote le moins.
La transparence du processus électoral suscite le doute
Globalement, 43% des personnes interrogées estiment que le processus électoral n’est pas transparent dans leur pays. Il existe de grandes disparités entre les pays. Dans les pays du nord de l’Europe, la plupart des Norvégiens (87%), des Finlandais (86%), des Danois (84%) et des Suédois (83%) considèrent que le fonctionnement des élections dans leur pays est transparent. On retrouve des résultats élevés en Suisse (85%), en Nouvelle-Zélande (82%), à Chypre et au Canada (81%) mais aussi en Australie (79%), en Israël (77%), en Corée du Sud (75%), aux Philippines et au Royaume-Uni (72%). C’est au Nigeria que l’on enregistre la moyenne la plus basse (21%) de tous les pays étudiés.
Près d’un tiers des répondants (29%) considèrent que « voter ne sert pas à grand-chose, les hommes et femmes politiques ne tiennent pas compte de la volonté du peuple » (en %)
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Voir Daniel Braun et Granit J. Tërnava, « Parliamentary Election in Kosovo : Will the Victor also Become Prime Minister? », Konrad-Adenauer-Stiftung, février 2021.
Dans l’Union européenne, le sentiment que les élections se déroulent de manière non transparente est majoritaire chez les Hongrois (65%) et les Bulgares (54%) ; il en est de même pour la moitié des Italiens interrogés (51%).
Les jugements sont encore plus répandus dans les Balkans occidentaux, notamment en Bosnie-Herzégovine (69%) et en Serbie (65%), à l’exception du Kosovo, où 85% des répondants estiment le processus électoral transparent. Les élections législatives en février 2021, puis l’élection présidentielle les 3 et 4 avril 2021, ont amené un vent de changement, puisque pour la première fois depuis la fin de la guerre de 1999, les anciens commandants de l’Armée de libération (UÇK) ne dirigent plus le pays6.
Voir Mary Ilyushina, Helen Regan et Tara John, « Protests in Belarus as disputed early election results give President Lukashenko an overwhelming victory », cnn.com, 10 août 2020.
Voir « Belarus plane: What we know and what we don’t », bbc.com, 25 juin 2021.
La révolte des Biélorusses contre un processus électoral bafoué
L’élection présidentielle d’août 2020 a été marquée par l’emprisonnement des candidats d’opposition, des urnes opaques, des isoloirs sans rideaux, des scrutateurs frappés et arrêtés, et des journalistes étrangers interdits. Résultat : moins d’un tiers des répondants (28%) estiment le processus électoral transparent1. L’instrumentalisation d’une crise migratoire par le régime de Loukachenko à la frontière polonaise depuis l’été 2021 est un nouveau jalon dans la crise séparant la Biélorussie de l’Union européenne. Les Biélorusses sont 72% à estimer que la démocratie fonctionne mal dans leur pays. Les données récoltées dans notre enquête montrent cependant une forte aspiration démocratique de la part de la population biélorusse. En témoigne l’attachement aux idéaux démocratiques : ils sont 95% à considérer comme important le fait de « pouvoir voter pour un candidat de son choix » et 94% favorables au « droit de dire ce que l’on pense ». Les Biélorusses sont 87% à soutenir la liberté de la presse, alors même qu’en juin 2021 leur gouvernement forçait l’atterrissage du vol commercial Ryanair 4978 (Athènes-Vilnius) sur son sol pour arrêter le journaliste biélorusse et opposant au régime Roman Protassevitch2. L’option « Avoir un système politique démocratique avec un Parlement élu qui contrôle le gouvernement » est plébiscitée par 85% des Biélorusses, tandis que 63% se disent opposés à « avoir à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections ». Nous observons que la moitié des Biélorusses (49%) considèrent l’attitude de la Russie sur la scène internationale rassurante (contre 20 % en moyenne). Ils sont 32% à la considérer inquiétante (contre 52%). La population biélorusse semble confiante en son avenir : une majorité (52%) pensent que leur pays sera « mieux demain qu’il ne l’est aujourd’hui » (contre 36% pour la moyenne globale). |
Près d’un tiers des répondants (29%) considèrent que « voter ne sert pas à grand-chose, les hommes et femmes politiques ne tiennent pas compte de la volonté du peuple » (en %) – suite
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L’idée de conditionner le droit de vote à des compétences recueille un soutien significatif
L’idée de conditionner l’accès au vote à certaines compétences intellectuelles, en d’autres termes instituer un vote capacitaire, implique de ne plus l’accorder à tout le monde. Cette idée recueille pourtant un soutien important dans l’opinion : 43% des personnes interrogées dans l’ensemble des pays répondent que cela serait une bonne façon de gouverner « que seuls les citoyens qui ont un niveau de connaissance suffisant puissent voter ». Au sein de l’Union européenne, cette idée est partagée par plus d’un tiers des répondants (36%).
Plus significatif encore, ce sont les jeunes qui sont les plus favorables à l’idée d’un vote conditionné par la compétence. Ainsi, la moitié des moins de 35 ans (52%) approuvent cette idée, contre 31% chez les 60 ans et plus. Cette conception élitiste de la participation électorale est encore plus répandue au sein des catégories socioprofessionnelles supérieures ; ce sont les cadres dirigeants d’entreprise (63%) qui adhèrent le plus à cette sorte de suffrage capacitaire, devant les personnels de service et les employés de commerce (39%).
Les individus favorables au vote capacitaire sont plus tentés par « l’homme fort », le gouvernement « des experts » et « l’armée » (en %)
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Grille de lecture: parmi les personnes interrogées favorables au vote capacitaire,52% estiment qu’«avoir à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du parlement ni des élections » est/serait une bonne façon de gouverner.
Voir « The Role of Youth in Democratic Resilience. Summary Report. Side-event held in the margins of the 73rd UNGA organized by the CoD and hosted by Romania », Community of Democracies, octobre 2018.
Près de la moitié des moins de 35 ans (46%) estiment que le processus électoral dans leur pays n’est pas transparent
Les nouvelles générations sont attachées aux libertés collectives7 : 93% des 18-34 ans répondent que c’est important de pouvoir participer soi-même à la prise de décision, 95% de pouvoir voter pour les candidats de son choix et 95% d’avoir le droit de dire ce que l’on pense. Mais, fait nouveau, l’expression de cet attachement trouve son fondement dans le sentiment de menaces et de pertes de ces mêmes libertés. En effet, 44% des 18-34 ans disent qu’ils ne se sentent pas libres de s’exprimer, contre 31% des 60 ans et plus. De même, plus de la moitié des 18-34 ans (54%) considèrent que la démocratie fonctionne mal dans leur pays, contre 44% chez les 60 ans et plus. À la question : « Diriez-vous que le processus électoral de votre pays est transparent ? », 46% des moins de 35 ans répondent par la négative, contre 37% chez les 60 ans et plus.
La sensibilité manifestée pour l’ordre et l’autorité procède aussi d’une interrogation sur l’efficacité du régime démocratique. Ainsi, plus d’un tiers (35%) des moins de 35 ans choisissent l’option « ça ne me dérangerait pas qu’on réduise un peu mes libertés si cela permettait au gouvernement d’être plus efficace », contre 28% pour les 60 ans et plus.
Pour 43% des citoyens, le vote devrait être réservé à ceux qui ont « un niveau de connaissance suffisant » (en %)
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Convaincus par la démocratie représentative, les plus jeunes sont aussi les plus sensibles
à d’autres systèmes politiques (en %)
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Grille de lecture : les 18-34 ans sont 82% à penser qu’« avoir un système politique démocratique avec un Parlement élu qui contrôle le gouvernement » est/serait une bonne façon de gouverner.
Politique et médias : la double crise de la représentation
Voir Dominique Reynié (dir.), 2022, le risque populiste en France, vagues 1 à 6, Fondation pour l’innovation politique, 2019-2022 (études téléchargeables sur www.fondapol.org).
Les personnes interrogées expriment une forte défiance vis-à-vis des institutions politiques, particulièrement à l’égard des partis, du Parlement, du gouvernement et des syndicats. Par comparaison, la confiance est majoritaire pour les hôpitaux, les professions médicales, l’école, l’armée et la police.
Le mécontentement suscité par l’action publique n’est pas la seule cause de cette défiance. La parole politique est aussi prise en défaut. À la question : « Diriez-vous que vos idées sont représentées par les partis politiques dans votre pays ? », plus de quatre personnes sur dix (44%) répondent qu’elles ne se sentent représentées par aucun parti, tandis que moins d’un tiers (29%) estiment être représentées par un parti et un quart (27%) par plusieurs partis. La majorité (60%) des personnes interrogées choisissent la réponse : « La plupart du temps, quand les responsables politiques s’expriment, j’ai l’impression qu’ils parlent de sujets qui ne me concernent pas. »
Mais cette crise de la parole politique doit être mise en relation avec une crise de même type et de même ampleur : celle de la parole médiatique. Si une majorité de citoyens (56%) expriment leur défiance à l’égard des médias, la moitié (50%) choisissent également la réponse : « La plupart du temps, quand je regarde l’actualité dans les médias, j’ai l’impression qu’ils parlent de sujets qui ne me concernent pas. »
Cette double crise de la représentation contribue aux troubles du monde démocratique. Ce sentiment de distance entre les citoyens et leurs représentants peut expliquer, au moins en partie, pourquoi nombre d’électeurs se détournent des scrutins ou votent en faveur de populistes8. Le niveau élevé d’insatisfaction en matière de représentation politique coïncide souvent avec un niveau important d’insatisfaction en matière de représentation médiatique.
La crise de la représentation politique se double d’une crise de la représentation médiatique (en %)
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« J’ai l’impression qu’ils parlent de sujets qui ne me concernent pas » (en %)
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Note : la différence entre les totaux et 100% représente les non-réponses.
Indispensables à la démocratie, les partis sont pourtant rejetés (en %)
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Note : la différence entre les totaux et 100% représente les non-réponses.
Liberté d’opinion et pluralisme au cœur de la démocratie
En septembre 2021, la situation était la suivante : « 106 États ont aboli la peine de mort pour tous les crimes, 8 l’ont abolie pour les crimes de droit commun, 50 respectent un moratoire sur les exécutions en droit ou de fait, soit 164 États au total. En revanche, la peine de mort est toujours appliquée dans 54 États et territoires » (France Diplomatie, « Abolition de la peine de mort », mise à jour septembre 2021).
Le 2 mars 2021, la Chambre des représentants des Philippines a adopté la loi n° 7814 pour la réintroduction de la peine du mort en vertu de la Loi générale sur les drogues dangereuses de 2002. Ce projet de loi est l’aboutissement des pressions du président Rodrigo Duterte pour rétablir la peine capitale abolie en 2006. Voir « Statement of Commissioner Karen Gomez-Dumpit on the Passage of House Bill No. 7814, providing for the “Presumption of Guilt” and Reintroduction of the Death Penalty as amendments to the Comprehensive Dangerous Drugs Act of 2002 », 3 mars 2021.
Plus de la moitié des personnes interrogées (57%) sont favorables à la peine de mort
Année après année, on observe une baisse tendancielle dans le monde du nombre de condamnations à mort et d’exécutions. Début 2022, plus des deux tiers des pays ne recouraient plus à la peine capitale, en droit ou en pratique9. Parmi les pays de notre enquête, la Biélorussie, les États-Unis, l’Inde, l’Indonésie, le Japon et le Nigeria font partie des pays qui la pratiquent encore. La Corée du Sud, le Liban et la Tunisie respectent un moratoire sur les exécutions, tandis que le Brésil et Israël ont aboli la peine capitale pour les crimes de droit commun.
Pourtant, une majorité des personnes interrogées (57% tous pays confondus) restent favorables à la peine de mort. Dans les pays qui ne l’ont pas abolie, le soutien est puissant : 74% des Sud-Coréens et des Japonais, 73% des Tunisiens, 70% des Indonésiens, 67% des Américains, 58% des Indiens et des Libanais. Notons, a contrario, que la proportion de Nigérians (50%) et de Biélorusses (51%) soutenant la peine de mort est inférieure à la moyenne (57%) bien qu’elle y soit toujours pratiquée. Il en va de même pour les États devenus abolitionnistes, en dehors des crimes dits exceptionnels (50% des Brésiliens et des Israéliens). Dans les pays de la région Asie-Pacifique compris dans notre enquête, la peine capitale est soutenue par l’opinion (Australie, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Japon, Nouvelle-Zélande et Philippines10). Dans l’Union européenne, la situation est différente et les positions de l’opinion publique le sont également. La lutte contre la peine de mort étant qualifiée de « grande priorité de la politique des droits de l’homme de l’Union européenne », elle n’a plus cours sur son territoire, son abolition constituant l’une des conditions d’entrée pour les pays candidats. Dans le cadre de la présidence du Conseil de l’Union européenne du 1er janvier au 30 juin 2022, le président français Emmanuel Macron a annoncé vouloir convaincre les dirigeants des pays pratiquant encore la peine capitale de l’abolir. Pour autant, dans 10 pays de l’Union européenne, l’opinion reste favorable à la peine de mort ; c’est le cas des Tchèques (59%), des Bulgares et des Hongrois (54%), des Lituaniens (52%), des Français et des Polonais (51%), des Estoniens (50%), des Lettons (49%), des Belges et des Croates (48%). Dans les Balkans occidentaux, le soutien à la peine de mort atteint 68% en Serbie et 53% en Albanie, mais il est minoritaire en Bosnie-Herzégovine et au Monténégro (47%), ainsi qu’en Macédoine du Nord (38%) et au Kosovo (25%).
Pays de l’enquête où la peine de mort a été abolie : Albanie, Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Canada, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Kosovo, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Malte, Mexique, Moldavie, Monténégro, Norvège, Nouvelle- Zélande, Pays-Bas, Philippines, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse et Ukraine. Pays de l’enquête où la peine de mort n’a pas été abolie : Biélorussie, Brésil, Corée du Sud, États-Unis, Inde, Indonésie, Israël, Japon, Liban, Nigeria, et Tunisie. |
Opinion et législation sur la peine de mort sont en accord (en %)
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La peine de mort, qui est pour, qui est contre ? (en %)
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Le droit à l’avortement, qui est pour, qui est contre ? (en %)
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Voir Center for Reproductive Rights, « The World’s Abortion Laws », repoductiverights.org, 2021.
Le droit à l’avortement est contesté
La tolérance de l’opinion à l’égard de l’avortement varie en fonction des contextes politiques, sociaux et culturels des pays. De même, selon leurs croyances, les personnes interrogées adoptent des positions plus ou moins progressistes ou conservatrices sur la question de l’avortement, alors que les religions monothéistes s’y opposent.
Dans l’ensemble, 45% des personnes interrogées déclarent être opposées au droit à l’avortement. Si une majorité (55%) y est favorable, la transmission générationnelle de ce droit ne paraît pas garantie : en effet, la moitié des 18-34 ans (50%) sont hostiles à l’avortement, contre 33% chez les 60 ans et plus. Les écarts selon le genre sont trop faibles pour être significatifs, mais nous observons que les hommes semblent légèrement plus nombreux à y être opposés (46%) que les femmes (44%). On note par ailleurs qu’au sein des catégories populaires (51%) et intermédiaires (50%), l’hostilité au droit à l’avortement est très supérieure à celle que l’on enregistre parmi les catégories supérieures (38%). Le statut matrimonial est un autre indicateur : les personnes mariées s’opposent plus nettement (47%) au droit à l’avortement que les personnes divorcées ou séparées (33%). De même, une majorité (56%) des répondants qui ont trois enfants ou plus n’y sont pas favorables, contre 41% pour ceux qui n’ont pas d’enfants. La perception de l’avenir offre une autre grille de lecture : les individus qui pensent que leur pays sera moins bien demain qu’aujourd’hui sont moins nombreux (41%) à être contre l’avortement que ceux qui estiment que leur pays sera mieux demain qu’aujourd’hui (55%).
On sait que les législations diffèrent fortement selon les États : dans certains pays, l’avortement est autorisé sans réserve, à la demande de la femme ; dans d’autres, il est strictement interdit et puni. Entre ces deux cas, de nombreux pays autorisent l’avortement sous certaines conditions, plus ou moins restrictives, par exemple lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol ou d’un inceste, dans le cas de malformation du fœtus, de risque pour la santé physique ou mentale de la femme enceinte, etc. Parmi les pays étudiés dans notre enquête, seuls Malte et les Philippines interdisent tout type d’avortement, à la satisfaction de leur population : 87% des Maltais et les trois quarts des Philippins (76%) sont hostiles au droit à l’avortement. Malte, dont la quasi-totalité des citoyens sont catholiques, reste le seul pays au sein de l’Union européenne où l’avortement est strictement interdit : les femmes qui procèdent à une interruption volontaire de grossesse et leur praticien encourent jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
Dans d’autres pays, l’avortement n’est pas autorisé sauf si le pronostic vital de la femme enceinte est engagé. C’est le cas au Brésil, en Indonésie, au Liban, au Mexique et au Nigeria. Dans ces pays, les populations sont fortement opposées au droit à l’avortement. Depuis janvier 2021, la Pologne, à la suite d’une décision de son tribunal constitutionnel, a durci les conditions légales donnant accès à l’avortement. Désormais, l’avortement n’est n’autorisé qu’en cas de viol, d’inceste ou de mise en danger de la vie des femmes enceintes. Cette législation a engendré de nombreuses manifestations. Plus de la moitié des Polonais sont favorables au droit à l’avortement.
On note que dans les pays de notre étude où l’avortement est accessible sur décision de la femme enceinte, l’hostilité au droit à l’avortement est majoritaire chez les Géorgiens (74%), les Albanais (70%), les Monténégrins (69%), les Kosovars (66%), les Moldaves (61%), les Tunisiens (58%) et les Chypriotes (51%)11.
Aux États-Unis, les deux tiers des répondants (67%) soutiennent le droit à l’avortement, soit un niveau comparable à celui enregistré en 2018 (68%) et en 2017 (64%). Dans ce pays, le droit à l’avortement a toujours opposé démocrates et républicains, et nos données montrent que les Américains qui se situent à gauche sur l’échelle politique ne sont que 9% à être contre le droit à l’avortement, contre 49% de ceux qui se situent à droite.
Si l’Union européenne se distingue du reste du monde à propos de la peine de mort et du droit à l’avortement… (en %)
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… des divergences perdurent en son sein entre les États membres de l’Ouest et ceux de l’Est (en %)
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Niveau de soutien au droit à l’avortement (en %)
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Niveau de soutien à la peine de mort (en %)
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L’État doit laisser plus de liberté aux entreprises
Le monde démocratique porte un regard positif sur la globalisation. Près des deux tiers des personnes interrogées y voient « une opportunité » (65%) plutôt qu’une menace (35%). De même, on relève un attachement au libéralisme économique défini ici comme la limitation du rôle de l’État dans l’économie et le renforcement de la liberté des entreprises : 58% pensent qu’« il faut limiter le rôle de l’État en matière de politique économique afin de renforcer les libertés des entreprises », tandis que les 42% restants souhaitent un rôle plus fort de l’État et un contrôle accru des entreprises.
La liberté des entreprises est souhaitée par l’ensemble des catégories socioprofessionnelles (en %)
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Note : la différence entre les totaux et 100% représente les non-réponses.
L’État doit-il laisser plus de liberté aux entreprises ? (en %)
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Libéralisme économique et libéralisme politique en Europe centrale
« Parallèlement à cette recomposition du champ intellectuel et politique favorable à une redécouverte du libéralisme politique, la décomposition de l’économie socialiste et l’échec des réformes ont favorisé la redécouverte du libéralisme économique. Ainsi, surtout en Pologne et en Hongrie, puis en Tchécoslovaquie, la pensée économique libérale s’affichait comme une alternative à l’échec de l’étatisme. Les auteurs connaissaient fort bien les blocages de l’économie administrée, mais fort peu le fonctionnement du “capitalisme réel” en Occident. Après quarante ans d’étatisme, l’État minimal paraissait être la réponse adéquate à la crise et dans le contexte des années 1980, marqué par l’influence du “néo-libéralisme” en Occident, les libéraux du socialisme finissant se tournèrent volontiers vers les théoriciens du marché libre de l’École de Chicago qui – juste retour des choses – se trouvaient être… originaires d’Europe centrale ! L’historien Tony Judt parle, à propos du néolibéralisme des années Reagan-Thatcher, de “la revanche des Autrichiens” : Hayek, von Mises, Schumpeter, Popper, Drucker, nés aux quatre coins de l’Empire austro-hongrois, tous marqués par la catastrophe autrichienne et la question : pourquoi et comment une démocratie libérale avait-elle succombé, entre février 1934 et l’Anschluss de 1938, à la tentation totalitaire. La meilleure garantie pour préserver une “société ouverte”, avaient-ils conclu, consistait à minimiser l’ingérence de l’État dans l’économie et la société. Un message retenu par les économistes libéraux qui élaborèrent les réformes économiques pour la sortie du communisme après 1989. » Jacques Rupnik, « La crise du libéralisme en Europe centrale », |
Dans un monde de défiance, les entreprises suscitent encore la confiance (en %)
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Confrontés à la Covid-19, les citoyens revendiquent leur attachement aux libertés
Seule une minorité d’individus est disposée à réduire ses libertés en contrepartie d’une plus grande efficacité
Dans le monde démocratique, les deux tiers (67%) des personnes interrogées choisissent la réponse « même si cela rendait le gouvernement plus efficace, je n’accepterais pas qu’on réduise un peu mes libertés ». Dans une partie de l’opinion, il existe cependant une disponibilité à la réduction des libertés, admise au nom d’une plus grande efficacité supposée. La gestion de la pandémie de la Covid-19 par la Chine a pu renforcer auprès d’une partie de l’opinion l’acceptabilité d’un pouvoir autoritaire. La moitié des personnes interrogées dans notre enquête (51%) est d’accord avec l’idée que « les gouvernements autoritaires sont plus efficaces que les gouvernements démocratiques pour vaincre les pandémies, comme celle de la Covid-19 », l’autre moitié (49%) n’étant pas d’accord avec cette affirmation.
Un tiers des personnes interrogées (33%) optent pour la réponse « ça ne me dérangerait pas qu’on réduise un peu mes libertés si cela permettait au gouvernement d’être plus efficace ». Si l’on considère l’âge des répondants, cette opinion pourrait avoir un certain avenir : 35% des 18-34 ans, 34% des 35-59 ans, et 28% des 60 ans et plus accepteraient de réduire leurs libertés. Les moins de 35 ans (61%) sont également plus enclins à penser que les régimes autoritaires sont plus efficaces pour faire face aux pandémies (36% chez les 60 ans et plus).
Parmi les personnes interrogées estimant qu’« avoir un homme fort à la tête de l’État » est une bonne chose, les deux tiers (66%) pensent que les gouvernements autoritaires sont les plus efficaces pour faire face à une pandémie. Cette idée est également largement partagée (71%) chez ceux qui sont favorables à ce que l’armée dirige le pays.
Parmi les personnes qui accepteraient de réduire « un peu leurs libertés si cela permettait au gouvernement d’être plus efficace », 62% disent être d’accord avec le fait que « les gouvernements autoritaires sont plus efficaces que les gouvernements démocratiques pour vaincre les pandémies comme celle de la Covid-19 » (en %)
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Parmi les personnes qui pensent que « les gouvernements autoritaires sont plus efficaces que
les gouvernements démocratiques pour vaincre les pandémies comme celle de la Covid-19 », 60% déclarent qu’elles n’accepteraient pas qu’on réduise « un peu leurs libertés même si cela permettait au gouvernement d’être plus efficace » (en %)
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Réduction des libertés, efficacité des gouvernements et pandémies (en %)
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L’attachement aux libertés est presque unanime
Les répondants considèrent comme important de pouvoir manifester (83%), de pouvoir participer soi-même à la prise de décision (95%), de pouvoir voter pour les candidats de son choix (96%), d’avoir le droit de dire ce que l’on pense (96%) et de jouir de la liberté de la presse (94%).
Des régimes hybrides et autoritaires en quête de démocratie et de libertés (en %)
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Fondation pour l’innovation politique – janvier 2022
Democracy Index 2020: In sickness and in health?, The Economist Intelligence Unit, 2021, p. 3.
« Régimes hybrides : les élections comportent des irrégularités substantielles qui les empêchent souvent d’être à la fois libres et équitables. Les pressions du gouvernement sur les partis d’opposition et les candidats peuvent être courantes. Les graves faiblesses sont plus répandues que dans les démocraties imparfaites – dans la culture politique, le fonctionnement du gouvernement et la participation politique. La corruption a tendance à être généralisée et l’état de droit est faible. La société civile est faible. En règle générale, les journalistes sont harcelés et soumis à des pressions, et le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant » (« Hybrid regimes: Elections have substantial irregularities that often prevent them from being both free and fair. Government pressure on opposition parties and candidates may be common. Serious weaknesses are more prevalent than in flawed democracies—in political culture, functioning of government and political participation. Corruption tends to be widespread and the rule of law is weak. Civil society is weak. Typically, there is harassment of and pressure on journalists, and the judiciary is not independent », ibid., p. 57).
« Régimes autoritaires : le pluralisme politique de l’État est absent ou fortement circonscrit. […] Certaines institutions formelles de la démocratie peuvent exister, mais elles ont peu de substance. Les élections, si elles ont lieu, ne sont ni libres ni équitables. Il y a un mépris pour les abus et atteintes aux libertés civiles. Les médias appartiennent généralement à l’État ou sont contrôlés par des groupes liés au régime en place. Il y a une répression des critiques du gouvernement et une censure généralisée. Il n’y a pas de justice indépendante » (« Authoritarian regimes: In these states, state political pluralism is absent or heavily circumscribed. […] Some formal institutions of democracy may exist, but these have little substance. Elections, if they do occur, are not free and fair. There is disregard for abuses and infringements of civil liberties. Media are typically state-owned or controlled by groups connected to the ruling regime. There is repression of criticism of the government and pervasive ensorship. There is no independent judiciary », ibid.).
Le Kosovo n’est pas étudié dans le Democracy Index 2020 et n’est donc pas inclus ici.
Il est frappant de constater que, dans les pays dont les régimes sont moins démocratiques ou peinent à se démocratiser, les personnes interrogées aspirent à plus de libertés. Le Democracy Index 2020 classe l’état des régimes dans le monde en quatre catégories12 : les démocraties pleines, les démocraties imparfaites, les « régimes hybrides13 » et les « régimes autoritaires14 ». Pour ce faire, il s’appuie sur plusieurs critères relatifs à la qualité du processus électoral, au pluralisme, au fonctionnement du gouvernement, à la participation politique, à la culture politique, aux libertés civiles, etc. Parmi les pays étudiés dans notre enquête15, huit sont considérés comme des régimes « hybrides » (Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Liban, Macédoine du Nord, Moldavie, Monténégro, Nigeria et Ukraine), tandis que la Biélorussie est classée dans les régimes autoritaires. Dans ces neuf pays, nos données montrent qu’une évaluation négative du fonctionnement de la démocratie et de l’État de droit s’accompagne d’une aspiration à davantage de libertés et de démocratie.
FONDATION POUR L’INNOVATION POLITIQUE
Née en 2004, la Fondation pour l’innovation politique s’inscrit dans une perspective libérale, progressiste et européenne. Par ses travaux, elle vise deux objectifs : contribuer à un débat pluraliste et documenté, et inspirer la décision publique.
Reconnue d’utilité publique, la Fondation met gratuitement à la disposition de tous la totalité de ses travaux sur le site fondapol.org. De plus, sa plateforme data.fondapol permet à chacun de consulter l’ensemble des données collectées dans le cadre des enquêtes. Ses bases de données sont utilisables, dans le prolongement de la politique d’ouverture et de partage des données publiques voulue par le gouvernement. Enfin, lorsqu’il s’agit d’enquêtes internationales, les données sont proposées dans les différentes langues du questionnaire, soit par exemple 45 langues pour l’enquête Libertés : l’épreuve du siècle, menée dans 55 pays.
La Fondation peut dédier une partie de son activité à des enjeux qu’elle juge stratégiques. Ainsi, le groupe de travail « Anthropotechnie » examine et initie des travaux explorant les nouveaux territoires ouverts par l’amélioration humaine, le clonage reproductif, l’hybridation homme-machine, l’ingénierie génétique et les manipulations germinales. Il contribue à la réflexion et au débat sur le transhumanisme. « Anthropotechnie » propose des articles traitant des enjeux éthiques, philosophiques et politiques que pose l’expansion des innovations technologiques dans le domaine de l’amélioration du corps et des capacités humaines.
La Fondation pour l’innovation politique est indépendante et n’est subventionnée par aucun parti politique. Ses ressources sont publiques et privées.
INTERNATIONAL REPUBLICAN INSTITUTE
L’International Republican Institute (IRI) se donne pour mission de faire progresser la démocratie dans le monde. L’IRI associe les peuples et leurs gouvernements, aide les dirigeants politiques dans leurs actions envers les citoyens et encourage les peuples à s’engager dans le processus politique.
L’IRI coopère avec des organisations et des peuples du monde entier pour aider les citoyens à construire des sociétés démocratiques, ouvertes et responsables, transparentes et solides. La coopération est essentielle pour réussir sa mission consistant à changer rapidement le paysage international. En tant qu’organisation, l’IRI s’adapte et peut répondre rapidement à des situations critiques et souvent dangereuses.
Depuis plus de trente ans, l’International Republican Institute contribue à renforcer la démocratie grâce à des ateliers tenus par des experts volontaires du monde entier sur le pluralisme politique, les pratiques de gouvernance démocratique, l’émancipation des femmes, le développement de la société civile, la responsabilisation des jeunes, le renforcement des processus électoraux et les sondages d’opinion. La recherche et les données qualitatives et quantitatives sur l’opinion publique sont les pierres angulaires de l’approche de l’IRI. Ses données garantissent que les besoins des citoyens soient placés au coeur du débat politique et guident les objectifs de ses projets.
L’IRI est un institut apolitique et non gouvernemental financé par des subventions du département d’État américain, de l’Agence américaine pour le développement international, de la Fondation américaine nationale pour la démocratie, de fondations européennes et d’agences humanitaires de pays occidentaux. Moins de 1 % du financement de l’IRI provient de donateurs privés. L’IRI ne reçoit pas de dons de la part du Parti républicain ou de toute autre entité politique américaine.
COMMUNITY OF DEMOCRACIES
La Community of Democracies est une coalition intergouvernementale active au niveau mondial, composée des États membres du Conseil des gouverneurs et qui défend l’adhésion aux normes et aux valeurs démocratiques communes décrites dans la déclaration de Varsovie. La Community of Democracies s’engage à prendre des mesures concertées pour faire progresser et pour protéger les libertés démocratiques, renforcer les institutions démocratiques et élargir la participation politique.
Par le biais de la déclaration de Varsovie et des déclarations ministérielles ultérieures, les États membres ont constamment réaffirmé leur engagement envers les valeurs démocratiques fondamentales, notamment le partenariat avec la société civile, le dialogue et l’apprentissage par les pairs, la défense des normes démocratiques, la collaboration internationale, le pluralisme, l’éducation civique, le soutien aux démocraties émergentes et la prospérité économique comme fondement de la démocratie.
KONRAD-ADENAUER-STIFTUNG
La Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS), fondation politique proche de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU), s’engage au niveau national et international pour la paix, la liberté et la justice. La consolidation de la démocratie, la promotion de l’unification européenne, l’intensification des relations transatlantiques et la coopération en matière de politique de développement sont au centre de ses préoccupations.
Chaque année, la KAS diffuse son expertise à travers une centaine de publications qui paraissent en plusieurs langues et soutient 3 000 boursiers. Basée à Berlin et Sankt Augustin, la KAS est également représentée dans plus de 120 pays. En 2020, elle a organisé plus de 4 000 événements à travers le monde, qui ont rassemblé près de 800 000 personnes.
La KAS a ouvert une représentation en France en 1980. Son objectif principal est de contribuer à l’intensification du dialogue entre la France et l’Allemagne, et ce faisant d’encourager l’approfondissement du processus d’intégration européenne. À cet effet, la KAS France rédige différentes notes et lettres d’information sur la situation politique, économique et sociale à destination des publics des deux pays. De plus, la KAS organise régulièrement des événements pour un public choisi de spécialistes, en France comme en Allemagne.
GENRON NPO
La Genron NPO est un groupe de réflexion indépendant et à but non lucratif basé au Japon. Fondé en 2001 par Yasushi Kudo, ancien rédacteur en chef du journal politique japonais Ronso Toyo Keizai, c’est le seul organisme du pays à proposer un débat politique responsable. Son objectif est de renforcer la démocratie japonaise. C’est la seule organisation à avoir analysé plusieurs politiques mises en place et à avoir évalué les manifestes des partis lors de chaque élection générale. Elle a également accueilli de nombreux débats politiques de haut niveau, en partageant toujours publiquement les informations discutées, permettant ainsi aux citoyens de porter leur propre jugement sur le gouvernement et les politiques mises en oeuvre.
En Asie, la Genron NPO a organisé toute une série d’initiatives diplomatiques de type « Track II » ayant exercé une certaine influence sur la situation en Asie du Nord-Est, notamment l’Asia Peace Conference, un dialogue multilatéral entre le Japon, les États-Unis, la Chine et la Corée du Sud sur les programmes de sécurité dans la région. En dehors de l’Asie du Nord-Est, la Genron NPO s’efforce de faciliter les actions collectives responsables pour relever les défis transfrontaliers et a notamment créé la Tokyo Conference, première plateforme de discussion au Japon abordant l’agenda mondial avec des partenaires de groupes de réflexion de pays démocratiques partageant les mêmes idées.
FUNDACIÓN NUEVAS GENERACIONES
La Fundación Nuevas Generaciones est un think tank politique non partisan dédié à l’étude et à la conception de politiques publiques, et qui travaille avec une vision globale de la réalité. Elle combine des connaissances techniques et académiques avec l’expérience des acteurs de terrain, travailleurs et employeurs. Ses membres sont issus du secteur privé, du monde politique ou occupent des fonctions publiques, législatives ou exécutives. Nombre d’entre eux jouent également un rôle important dans des partis ou des groupes politiques.
Par le biais de ses programmes, la Fundación Nuevas Generaciones cherche à développer et à promouvoir des propositions politiques qui engendrent et favorisent une croissance durable. À cette fin, elle travaille avec les différents niveaux de gouvernement et étudie les expériences locales et internationales les plus réussies. Dans le même temps, elle accorde une attention particulière aux relations humaines et au développement des liens personnels, lesquels permettent de garantir la continuité des projets entrepris. C’est également pourquoi l’un de ses principaux objectifs est de veiller à ce que ses initiatives et ses actions aient des conséquences politiques réelles et mesurables.
REPÚBLICA DO AMANHÃ
República do Amanhã est une association à but non-lucratif qui promeut le débat sur les grands défis de la société face au changement de paradigme technologique engendré par la révolution digitale et cognitive. República do Amanhã agit en soutenant, en organisant et en participant à des débats, des séminaires, des publications et des études, ainsi que par le biais d’une production audiovisuelle visant à diffuser les connaissances et la réflexion. Le think tank, fondé et dirigé par l’économiste brésilien Octavio de Barros, comporte actuellement près de 150 membres-associés, majoritairement des intellectuels, des artistes, dirigeants d’entreprise, économistes, scientifiques, politologues et enseignants qui croient en l’approche systémique et interdisciplinaire. Face à l’importante sous-estimation des impacts positifs et négatifs des transformations en cours, República do Amanhã entend qu’il est crucial d’identifier les valeurs qui animent et animeront les sociétés contemporaines. L’un des principaux défis associés à cette initiative réside dans l’innovation institutionnelle à plusieurs niveaux, visant à éviter les risques de rupture du tissu social dans un monde où l’innovation technologique est constante et omniprésente.
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