L'énergie nucléaire après Fukushima : incident mineur ou nouvelle donne ?
Introduction
Ce que veulent les citoyens en matière d’électricité
Comment le nucléaire s’inscrit-il dans ce paysage ?
Un environnement en pleine évolution
Des sentiments changeants au XXIième siècle
Les conséquences de Fukushima
Conclusion
Introduction
Entre 2000 et 2010, les revirements dans les politiques nucléaires de nombreux pays sont l’un des aspects les plus surprenants de l’importance croissante de la question de l’énergie dans le débat politique. Au Royaume-Uni, par exemple, le Livre blanc sur l’énergie de 2003 1 affirmait : « L’économie du nucléaire ne fait pas de cette dernière un choix pertinent pour développer une nouvelle capacité de production rejetant peu de dioxyde de carbone. En outre, les problèmes liés aux déchets nucléaires n’ont toujours pas été résolus. Ce document ne contient pas de propositions spécifiques concernant la construction de nouvelles centrales nucléaires. » Cinq années plus tard, en 2008, un Livre blanc sur l’énergie nucléaire déclarait : « Le gouvernement a conclu que le nucléaire avait un rôle à jouer dans la production d’électricité. L’énergie nucléaire est une technologie testée et éprouvée. Depuis 50 ans, elle fournit au Royaume-Uni une électricité sûre produisant peu de gaz à effet de serre. L’énergie nucléaire est plus que jamais essentielle dans le bilan énergétique britannique2. »
Ce changement radical fait suite au déclin vertigineux qu’a connu le nucléaire au niveau mondial entre la fin des années 1970 et le milieu des années 2000. La question principale est de savoir si la « renaissance nucléaire » qui semble poindre doucement, connaîtra un véritable essor ou si elle s’essoufflera à l’instar de celle créée par la vague d’investissements des années 1960 et 1970. La catastrophe de Fukushima n’a pas fondamentalement modifié la situation : l’énergie nucléaire reste attrayante car elle est sûre et peut produire de grandes quantités d’énergie sans aggraver le phénomène potentiellement dramatique qu’est le changement climatique.
Ce que veulent les citoyens en matière d’électricité
Quatre aspects relatifs à l’approvisionnement en électricité sont impor- tants aux yeux des citoyens : la sécurité et la fiabilité ; la compétitivité économique ; la sensibilité écologique ; et enfin l’acceptabilité sociale et politique. La gestion de ces critères, qui se retrouvent souvent en opposi- tion ou en tension, est un enjeu majeur pour les responsables politiques dans le domaine de l’énergie. Ainsi, les énergies renouvelables sont oné- reuses et peu fiables dans un grand nombre de cas car elles dépendent de la présence de vent ou de soleil. En revanche, elles n’émettent pas de gaz à effet de serre et bénéficient d’un soutien politique considérable. Le charbon est sûr (puisque de nombreux pays possèdent leurs propres réserves) mais des préoccupations existent quant au pouvoir des syndi- cats miniers et aux grandes quantités de gaz à effet de serre produites lors de sa combustion. L’approvisionnement en gaz est tributaire des importations venant d’un nombre limité de pays dans le monde (le Moyen-Orient et les pays de l’ancienne Union soviétique) mais est peu coûteux et rencontre rarement une opposition massive du public.
L’énergie nucléaire, tout comme les autres énergies, présente des avantages et des inconvénients. Les réserves en uranium, son principal combustible, sont abondantes, sans toutefois être infinies, et sont répar- ties sur une grande partie du globe. Les investissements nécessaires à la construction de centrales nucléaires sont élevés mais le coût d’exploita- tion de ces dernières est assez faible (et il résiste assez bien à la flambée des prix des combustibles). Les quantités de gaz à effet de serre émis et la superficie nécessaire à l’exploitation, que ce soit sur terre ou sur l’eau, sont limitées. Cependant, l’énergie nucléaire produit des déchets radioactifs qui doivent être confinés pendant l’exploitation et éliminés par la suite. Bien que l’énergie nucléaire soit largement soutenue par l’opinion publique dans plusieurs pays, elle est, dans d’autres, la cible d’une forte opposition des citoyens et de la classe politique.
En outre, la perception des enjeux relatifs à ces quatre critères varie en fonction des circonstances. Dans les années 1970, dans le sillage du choc pétrolier et des menaces de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) de réduire les exportations de pétrole, la sécurité de l’approvisionnement était certainement le volet le plus important de la politique énergétique. Dans les années 1990, le monde ayant découvert de vastes gisements de gaz naturel, la priorité devint la réduction des coûts de production de l’énergie et, de façon croissante, la question du changement climatique à la suite de la Convention de Rio adoptée en 1992.
Comment le nucléaire s’inscrit-il dans ce paysage ?
Au cours des années 1960 puis plus particulièrement des années 1970, les avantages de l’énergie nucléaire sont devenus de plus en plus évi- dents pour de nombreux pays. L’augmentation des prix du pétrole et les inquiétudes concernant sa disponibilité après 1973 ont laissé apparaître la fragilité de la sécurité de l’approvisionnement en énergies alternatives. L’on supposait alors que l’économie du nucléaire s’améliorerait au fil des ans tandis que celles du pétrole et du charbon – le gaz n’étant qu’un enjeu mineur à ce moment là – se dégraderaient. Concernant le volet écologique, la lutte contre le changement climatique n’était pas une prio- rité des stratégies mises en œuvre. Néanmoins, le nucléaire était apprécié en raison de son faible impact sur la qualité de l’air et de la quantité limitée de ses rejets dans l’atmosphère, rejets qui sont associés aux pluies acides. L’opinion publique et les dirigeants politiques de nombreux pays, à quelques exceptions près, affichaient une certaine neutralité, voire un enthousiasme mesuré vis-à-vis de l’énergie nucléaire. Par conséquent, dans plus de trente pays, de très vastes programmes de construction de centrales nucléaires ont vu le jour. Au cours des années 1980, 200 cen- trales ont été mises en service, la plupart étant toujours en exploitation à ce jour, d’où l’ancienneté du parc nucléaire actuel3.
Graphique 1 : Capacité mondiale de production d’électricité nucléaire en fonction de l’âge de la centrale (en mégawatts) décembre 2010
Un environnement en pleine évolution
Depuis la fin des années 1980, de grands changements dans le secteur énergétique, et notamment dans celui du nucléaire, ont eu pour conséquence le ralentissement brutal des investissements dans les centrales nucléaires. Ainsi, le déclin de l’OPEP, l’affaiblissement des syndicats des mines de charbon dans de nombreux pays et la découverte de vastes réserves de gaz naturel ont atténué les inquiétudes vis-à-vis de la sécurité de l’approvisionnement en combustibles fossiles. Les réserves de gaz mondiales, ont, en effet, triplé entre 1980 et 20104.
Graphique 2 : Réserves de gaz dans le monde (en trillions de mètres cubes), 1980-2010
Alors que les prix du pétrole, du gaz et du charbon ont chuté, le coût du nucléaire a augmenté notamment à la suite de l’accident de Three Mile Island, en 1979, dans l’État de Pennsylvanie (États-Unis). L’accident s’est produit dans le réacteur à eau pressurisée, pourtant neuf, à une époque où la construction de nombreuses centrales était en cours. Les coûts furent énormes. Ainsi, il devint nécessaire de repenser les réac- teurs en cours de construction, une modification beaucoup plus coû- teuse que si elle avait été faite pendant leur conception. De plus, il fallut rembourser le capital alors que la centrale ne produisait aucun revenu.
Bernard Cohen, The nuclear energy option, Plenum, New York, 1990.
Enfin, de nouvelles procédures d’évacuation et des réglementations plus strictes ont dû être mises en place. Le coût de construction de nouvelles centrales nucléaires aux États-Unis a été multiplié par cinq en termes réels entre 1967 et la fin des années 19805.
Malgré la priorité accordée au changement climatique sur la scène internationale depuis le début des années 1990, la question des radiations a suscité une inquiétude grandissante. Après l’accident de Tchernobyl en 1986, l’image du nucléaire a été, une fois de plus, fortement écornée auprès de la société et de la classe politique.
Graphique 3 : Coût instantané des centrales nucléaires ayant une capacité d’1 GW aux États-Unis (en millions de dollars), 1967-1987 (données de 1988)
Dans un certain nombre de pays, le passage du charbon au gaz est devenu une évidence et n’a suscité aucune contestation majeure de la part de l’opinion publique, et ce pour diverses raisons : l’augmentation des réserves de gaz ; le faible coût et la fiabilité des nouvelles turbines à gaz à cycle combiné (TGCC) et enfin la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La politique énergétique de nombreux pays est passée d’une approche autoritaire à une approche de marché, favorisant la concurrence dans le secteur de la production et de l’approvisionnement en électricité afin de réduire les coûts. Le nucléaire étant un secteur où les besoins en capitaux sont très lourds, il a été davantage affaibli par cette nouvelle orientation politique. Sous le modèle autoritaire et mono- polistique, les coûts engendrés par la construction de centrales nucléaires pouvaient être reportés sur les consommateurs captifs, diminuant ainsi les risques liés à l’investissement. Dans un système fondé sur l’économie de marché, le nucléaire est plus risqué que d’autres types de production d’électricité provenant de sources moins onéreuses et plus rapides, mais plus chères à exploiter, comme notamment le gaz.
Des sentiments changeants au XXIième siècle
À partir de 2005, le secteur de l’énergie a subi un nouveau revers de situation. En effet, la géopolitique du pétrole et du gaz a été profondé- ment modifiée, notamment en raison des révoltes et des conflits mili- taires au Moyen-Orient et de l’interruption de l’approvisionnement en pétrole et en gaz depuis la Russie vers l’Ukraine et le Belarus en 2005 et 2006. Cette situation a ravivé la peur d’être trop dépendant des importa- tions venant de ces régions. Un grand nombre de pays qui avaient ouvert leur marché à la concurrence, sans construire de centrales nucléaires, a été contraint de renforcer leur capacité de production. Cette période également été marquée par une croissance significative de la demande6.
Graphique 4 : Consommation d’énergie dans le monde (en milliards de tonnes de pétrole), 1965-2010
BP, BP Statistical Review of World Energy 2010, 2011.
Les prix des combustibles fossiles ont enregistré une forte augmenta- tion. Le prix du baril de pétrole, tombé à moins de dix dollars à la fin de 1998, a atteint 147 dollars en 2007 et malgré une baisse, est resté au-dessus de la barre des 100 dollars pendant quasiment toute l’année 20117. La hausse inexorable des émissions mondiales de dioxyde de carbone8 n’a fait que renforcer les préoccupations liées au changement climatique.
Graphique 5 : Évolution du prix du baril de pétrole (en dollars), fin août 2010 – début août 2011
La confiance des citoyens dans l’énergie nucléaire a connu un fort regain après 25 années sans aucun accident nucléaire majeur. Quelques militants écologistes anti-nucléaire bien connus ont également changé leur fusil d’épaule. Un sondage mené par Gallup au niveau international a révélé que sur les 34.000 personnes originaires de 47 pays, 57% sou- tenaient la construction de nouvelles centrales nucléaires et 32% s’y opposaient9.
Les conséquences de Fukushima
Ibid.
L’accident de Fukushima au Japon provoqué par le grand séisme de l’Est du Japon et le tsunami qui s’en est suivi le 11 mars 2011 a certes marqué le début d’une longue réflexion à ce sujet, sans toutefois entraîner de changement majeur dans les politiques énergétiques amé- ricaine, russe, chinoise, sud-coréenne, britannique et celle de nombreux autres pays comme la Pologne et l’Indonésie qui n’avaient encore installé aucune centrale nucléaire sur leur territoire. En revanche, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse et bien sûr le Japon ont pris des décisions opposées. La confiance de l’opinion publique a été ébranlée mais reste plutôt bonne d’après un sondage Gallup, avec un écart entre partisans et opposants de 6% après le séisme contre 25% avant l’accident (49% pour et 43% contre après le séisme)10.
Graphique 6 : Émissions de dioxyde de carbone dans le monde provenant du pétrole, du charbon et du gaz (en millions de tonnes de CO2), 1990-2010
En apparence, l’accident de Fukushima présente des similitudes avec celui de Three Mile Island et celui de Tchernobyl, qui ont contribué à ternir l’image de l’énergie nucléaire dans les années 1980 et plus tard. Cependant, des différences fondamentales existent.
Contrairement à Three Mile Island, la centrale de Fukushima était obsolète, avec des équipements datant des années 1960, et a été soumise à des événements extrêmes que sont le séisme et le tsunami. Il faut noter que sur les quatorze réacteurs se trouvant dans la zone touchée, les dix plus récents ont été amenés à l’état « d’arrêt à froid » dans la semaine qui a suivi la catastrophe. Il est possible d’appliquer certains enseignements avant la construction d’une centrale mais les réacteurs plus récents, tels que le Toshiba-Westinghouse AP1000, reposent déjà sur un système dit de « sécurité passive » en opposition à ceux dits « sécurité active». À Fukushima, les générateurs de secours submergés par le raz-de-marée ont été conçus pour alimenter les pompes qui envoient de l’eau dans le cœur des réacteurs afin d’éliminer la chaleur résiduelle. La destruction de ces pompes a entraîné la fusion du combustible, le rejet de matières radioactives et d’hydrogène, ce qui a provoqué les explosions observées par tous. Les AP1000 comportent un gigantesque réservoir d’eau situé au-dessus de l’enceinte du réacteur. En cas de panne totale d’électricité dans la centrale, la pression à l’intérieur de l’enceinte augmente, ce qui ouvre des valves et permet de libérer l’eau du réservoir qui, grâce à un système d’écoulement gravitaire, inonde la cuve du réacteur. Ce processus ne requiert pas d’électricité et aurait donc été efficace pendant le tsunami.
La lutte contre le changement climatique est aujourd’hui un élément bien plus important des politiques qu’il ne l’était dans les années 1980 et 1990. Dans de nombreux pays, il y a une nécessité impérieuse à construire des capacités de production importantes (contrairement aux années 1980 où il y avait une surcapacité en raison de la récession due aux chocs pétroliers de 1973 et de 1979).
Conclusion
Si elle veut réaliser son objectif, à savoir fournir de l’électricité tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre et en diminuant la dépen- dance du monde vis-à-vis du charbon et du gaz, la filière nucléaire devra faire preuve de sa capacité à construire des centrales en maintenant des délais et des coûts raisonnables. Une tâche d’autant plus complexe à l’heure où les marchés de l’électricité sont concurrentiels et où les dépas- sements de coûts ne peuvent être imputés aux consommateurs captifs.
Elle devra aussi revoir la façon dont elle communique et promouvoir un débat avec les partisans et les opposants au nucléaire. La culture du secret et, parfois même, l’arrogance des acteurs du secteur ont nourri la méfiance des citoyens vis-à-vis de cette technologie.
Les besoins croissants de posséder de nouvelles capacités fiables, de trouver une alternative à l’importation de combustible fossile, de pro- duire à partir de sources qui rejettent peu de dioxyde de carbone et de favoriser la compétitivité économique ne laissent que peu de possibilités. Les énergies renouvelables, telles que l’énergie éolienne, marémotrice ou solaire, sont par nature intermittentes. Elles ne sont donc pas en mesure de fournir une puissance de base pour répondre à la demande en électri- cité au moment où elle est survient et ainsi permettre à l’eau de couler, aux transports en commun de fonctionner, etc.
Fluctuations de la puissance éolienne dans la zone de contrôle (en mégawatts), E.On Netz (Allemagne), novembre 2003 (note 11)
De fait, chaque centrale nucléaire non construite représente une cen- trale fonctionnant au charbon ou au gaz supplémentaire, laissant le monde continuer à émettre des gaz à effet à serre pendant des décennies et renforçant la dépendance aux combustibles fossiles. De fait, chaque centrale nucléaire non construite représente une cen- trale fonctionnant au charbon ou au gaz supplémentaire, laissant le monde continuer à émettre des gaz à effet à serre pendant des décennies et renforçant la dépendance aux combustibles fossiles.
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