Où en est la droite? L’Espagne
Histoire de la droite espagnole : de la réaction au conservatisme
De la réaction absolutiste à la dictature franquiste
La transition politique vers la démocratie
La droite espagnole au tournant des années 2000
La droite dans l’opposition
Les structures de la droite espagnole : électorat, réseaux, organisation interne
L’assise électorale du Parti populaire
Sociologie électorale du Parti populaire
Les relais médiatiques et intellectuels du Parti populaire
L’organisation interne du Parti populaire
Le positionnement idéologique de la droite espagnole et son rapport au libéralisme
Le Parti populaire : une force politique qui se revendique davantage du libéralisme que de la droite
Un rapport ambigu au libéralisme économique
Le conservatisme du Parti populaire en matière sociétale
Le refus de l’autonomie territoriale
Conclusion
Résumé
La droite espagnole se distingue des autres droites européennes par son histoire. Jusqu’aux années 1920, ses deux branches conservatrice et progressiste dominent la vie politique et opposent le même refus aux revendications démocratiques et républicaines. Ce régime bipartite et monarchiste décline lentement jusqu’au coup d’Etat du général Primo de Rivera en 1923, auquel succède l’avènement de la République en 1931, suivi de près par le putsch du général Franco en 1936 et la guerre civile espagnole. L’immense majorité de la droite, regroupée au sein du Movimiento Nacional, s’oppose à la République et soutient le pouvoir franquiste, de son installation au pouvoir en 1939 à la mort du Caudillo en 1975. Lors de la transition démocratique, de 1976 à 1982, l’UDC, parti de centre-droit joue le rôle d’intermédiaire entre le nouveau régime et les anciens franquistes, dont la majorité finit par s’intégrer à la monarchie parlementaire, sous la bannière de l’Alliance populaire. L’AP, s’élargissant, finit par rassembler l’ensemble de la droite espagnole et devient le Parti populaire (PP) en 1989. Il faut attendre 1996 pour que ce dernier accède au pouvoir, qu’il occupe jusqu’à l’élection du socialiste José Manuel Zapatero en 2004.
Aujourd’hui, le parti peut compter sur un électorat relativement stable, réparti de manière homogène sur le territoire, au sein des différentes catégories socioprofessionnelles et des différentes tranches d’âge. Le PP bénéficie également de l’appui de nombreux médias, dans la presse écrite, à la radio et à la télévision et du travail de réflexion d’intellectuels drainés par la FAES, la fondation du parti. En termes de structures, le parti est à la fois très important par le nombre (il affiche 700.000 militants) et très centralisé dans son organisation, la majorité des pouvoirs appartenant à son président. Les positions de la droite espagnole en matière économique sont paradoxales. S’il affiche un libéralisme sans failles, le Parti populaire se révèle en réalité plutôt interventionniste. En matière de mœurs et de politique territoriale, ses choix sont plus clairs : il défend la famille traditionnelle et le centralisme étatique et s’oppose systématiquement aux réformes libérales et régionalistes du gouvernement socialiste. Il se montre en revanche assez ouvert à l’égard de l’immigration et compte parmi les partis de droite les plus favorables à la construction européenne du continent.
Joan Marcet,
Professeur à l’Université autonome de Barcelone, directeur de l’Institut de Ciències Polítiques i Socials (ICPS).
La droite espagnole tient une place particulière en Europe. Son histoire et la singularité de ses formations politiques la distinguent des autres droites du continent. Au cours du xixe siècle et de la plus grande partie du xxe siècle, la droite espagnole s’est ainsi montrée incapable d’accepter l’existence d’un régime démocratique et d’un État de droite, tel qu’il a surgi des révolutions bourgeoises qui se succédèrent dans le reste de l’Europe moderne et contemporaine. Depuis le rétablissement de la démocratie et jusqu’à aujourd’hui, les partis de droite ont connu une évolution politique, organisationnelle, électorale et programmatique. Quels sont aujourd’hui leurs points de ressemblance et de différence avec les autres partis de droite européens ? Nous tenterons de répondre à cette question dans la note qui suit.
Histoire de la droite espagnole : de la réaction au conservatisme
De la réaction absolutiste à la dictature franquiste
La meilleure analyse historique sur l’Espagne contemporaine demeure l’ouvrage de Raymond Carr, Spain 1808-1939, Oxford University Press, 1966 (version espagnole : Ediciones Ariel, 1969). Une deuxième ver- sion, publiée en 1982, couvre la période 1808-1975, sans oublier la troisième version, réalisée avec la collaboration Juan Pablo Fusi sur la période 1808-2008 (Ediciones Ariel, 2009). Pour une information plus complète, il est possible de consulter les volumes 6 à 12 de l’Historia de España en 12 volumes codirigé par J.Fontana et R. Villares, Barcelone, Crítica/ Marcial Pons, 2007-2008.
J.A. González Casanova, La derecha contra el Estado. El liberalismo autoritario en España (1833-2008), Lerida, Milenio, 2009.
Voir J. Linz, «The party System of Spain: Past and Future», in S.M. Lipset y S. Rokkan (dir.), Party System and Voter Alignments, New York, Free Press, 1967.
La Lliga Regionalista puis la Lliga Catalana sont les partis hégémoniques de droite en Catalogne jusqu’à la fin de la IIe République. Voir Molas, Lliga Catalana, Barcelone, Ed. 62, 1972.
Voir Corcuera, Orígenes, ideología y organización del nacionalismo vasco, Madrid, Siglo XXI, 1980 .
Lettre personnelle du pape Pie XII à Franco, citée par A. González Casanova, op. cit. p. 55.
Il existe une abondante bibliographie sur le régime de On peut citer : Guy Hermet, L’Espagne de Franco, Paris, A. Colin, 1974 ; S.G. Payne, El régimen de Franco, Madrid, Alianza, 1987 ; E. Diaz, Pensamiento español 1939-1975, Madrid, Edicusa, 1978.
Sur la transition politique en Espagne, voir Carcassonne et P. Subra, L’Espagne ou la démocratie retrouvée, Paris, Enaj, 1978 ; J.M. Maravall, La política de la transición, Madrid, Taurus, 1981 ; R. Morodo, La transición política, Madrid, Tecnos, 1984 ; M. Caciagli, Elecciones y partidos en la transición española, Madrid, CIS, 1986 ; R. Cotarelo (éd.), Transición política y consolidación democrática en España 1975-1986, Madrid, CIS, 1992.
Parcouru de guerres civiles, de mutineries et de soulèvements militaires, marqué par la perte progressive du vieil empire colonial, le xixe siècle espagnol ne verra pas l’avènement d’un véritable État dans le sens moderne du terme1. La guerre contre l’occupant français et l’établissement d’une monarchie constitutionnelle conservatrice qui perdurera jusqu’à la dictature de Primo de Rivera, au début du xxe siècle, sont les deux périodes structurantes de ce siècle. Sans discontinuer, le discours politique de la droite de gouvernement s’est limité au soutien aux institutions qui lui servaient à maintenir son hégémonie, qu’il s’agisse du roi, de l’armée, de l’Église ou même de la presse. Dans un contexte politique marqué par la fragilité constitutionnelle, ces institutions apparaissent comme les véritables responsables de l’incapacité de l’Espagne à se moderniser.
Comme le signale José A. González Casanova dans une étude récente2, les deux mouvements de droite qui se partagent le pouvoir se rejoignent dans leur méfiance envers la démocratie qui, selon eux, conduirait au chaos social. Les représentants conservateurs de la bourgeoisie opposent ainsi catégoriquement démocratie et liberté. Si les représentants des classes moyennes incarnent un libéralisme plus progressiste, ils n’acceptent pas davantage l’avènement du suffrage universel. Dans le dernier quart du xixe siècle, ces deux courants s’orienteront vers un conservatisme farouchement opposé aux idéologies démocratiques, républicaines et socialistes. Ces dernières seront d’ailleurs longtemps discréditées, à la suite de l’échec de l’épisode révolutionnaire de 1868-1874, marqué par plusieurs tentatives d’instauration d’un régime républicain, et clos par l’installation d’une monarchie constitutionnelle stable. Pendant une longue période, les partis espagnols demeurent peu structurés. Il faut attendre la loi sur les associations de 1887 pour que les organisations politiques se voient accorder une existence légale. Comme le montre l’étude pionnière de Juan J. Linz3, les partis espagnols, à cette époque, ont un simple statut d’association, et ne développent aucun système efficace d’organisation et d’affiliation de leurs membres. À tel point que les structures partisanes de droite se désintégreront quand leurs principaux leaders, Antonio Cánovas del Castillo et Práxedes Mateo Sagasta, disparaîtront de la vie politique. En dépit de cette faiblesse structurale, le système bipartisan, d’inspiration britannique, dominera longtemps le Parlement et le champ électoral. L’Espagne connaît ainsi l’alternance continue des libéraux conservateurs et des libéraux progressistes.
Selon Linz, ce partage du pouvoir entre deux partis idéologiquement proches, découle de facteurs multiples. Il s’explique par le caciquisme (ou clientélisme) et la corruption, mais également par une certaine lassitude des électeurs après un demi-siècle d’affrontements civils armés, par la structure socio-économique de l’Espagne, et enfin par le rôle de l’Église et sa relation avec les deux partis dominants.
La perte des colonies espagnoles à la fin du xixe siècle constitue un tournant dans la vie politique du pays, mettant en lumière le déclin de la puissance espagnole. Les dirigeants de la droite conservatrice au pouvoir sont mis en cause pour leur manque de préparation militaire et diplomatique dans les conflits impliquant l’Espagne en Amérique du Sud et dans le nord de l’Afrique. Au début du xxème siècle, de nouveaux leaders conservateurs, Francisco Silvela et Antonio Maura, accèdent au pouvoir. Dans le but de «régénérer» l’Espagne, ils lancent un mouvement de modernisation de la vie politique, visant à «révolutionner le système par le haut» et à s’attirer un plus large soutien des classes moyennes. En parallèle, les partis de droite régionaliste ne cessent de progresser, portés par le développement des bourgeoisies catalane et basque. La Lliga Regionalista, parti régionaliste catalan dirigé par Enric Prat de la Riba et Francesc Cambó, supplante progressivement les partis dynastiques, en se présentant comme le défenseur des intérêts conservateurs de la bourgeoisie catalane4. L’orientation suivie par la bourgeoisie basque n’est pas très éloignée : plus proche de la bourgeoisie espagnole sur le plan économique, elle développe progressivement un sentiment identitaire particulier, de caractère nationaliste, pour finalement donner le jour à un parti politique d’orientation catholique, le Partido Nacional Vasco (EAJ-PNV)5. Les partis régionalistes sont progressivement associés au pouvoir. Cependant, du fait des divisions constantes des conservateurs et de la fraude électorale, la modernisation de la monarchie constitutionnelle espagnole se solde par un échec. Ses dernières années sont marquées par une lente décomposition, jusqu’au coup d’Etat de Primo de Rivera en 1923 et à l’avènement d’une dictature militaire.
La prise de distance progressive du roi Alphonse XIII, des militaires eux-mêmes ainsi que d’une grande partie des politiciens conservateurs envers le régime de Primo de Rivera (1923-1930) ne peut empêcher ni l’effondrement de la monarchie (à partir des élections municipales d’avril 1931), ni l’avènement de la IIe République, qui instaurera en 1931 la première Constitution véritablement démocratique de l’histoire espagnole. Sous la République, considérant qu’il n’est plus possible pour elle de récupérer et de conserver le pouvoir par la voie politique traditionnelle, la droite espagnole se lance dans une guerre politique ouverte à l’égard du nouveau régime.
Elle finit par inspirer et par rendre possible le soulèvement militaire de juillet 1936, conduit par le général Franco à l’origine de la guerre civile qui s’ensuit et dans laquelle s’affrontent les deux Espagnes chantées par le poète Antonio Machado : celle de droite, catholique intégriste et centralisatrice, et celle de gauche, anticléricale, autonomiste ou régionaliste. À la fin de la guerre, Franco s’empare de tous les pouvoirs du nouveau régime dictatorial, et détruit les fondations du bref État démocratique que la République avait commencé à instaurer. L’ensemble de la droite et l’Église catholique elle-même célèbrent en chœur la victoire des insurgés : «En élevant notre cœur vers Dieu, nous remercions sincèrement Votre Excellence pour la victoire de l’Espagne catholique6.»
Sous le régime de Franco, les partis politiques sont interdits (non seulement ceux de gauche mais aussi les partis démocratiques) ou dissous (Confederación Española de Derechas Autónomas, Lliga Catalana…). Dès lors, les membres des partis de droite qui avaient collaboré au soulèvement militaire s’unissent dans une organisation présentant peu de similitudes avec un parti politique traditionnel. Le Movimiento Nacional, présidé par Franco lui-même, réunit phalangistes (les militants du parti d’inspiration fasciste, la Phalange espagnole, créé par José A. Primo de Rivera, fils du dictateur), carlistes (conservateurs et traditionalistes, opposés aux libéraux au xixe siècle), monarchistes et anciens partisans de la Confederación Española de Derechas Autónomas (CEDA), d’inspiration catholique. Les représentants de la droite espagnole sont ainsi rassemblés sous l’égide de Franco et neutralisés.
Malgré quelques différences idéologiques, des luttes d’influence et des disputes mineures sur les sujets économiques, les familles politiques qui cohabitent au sein du Movimiento Nacional partagent les principes classiques de la droite espagnole : catholicisme traditionnel, nationalisme espagnol, recherche de l’ordre et de la paix sociale, élitisme, défense de la famille traditionnelle, refus des évolutions démocratiques (libertés publiques, parlementarisme, pluralisme politique…), charité et bienfaisance à la place de la «justice sociale»7.
A la mort de Franco et à l’accession au trône de Juan Carlos Ier, s’ouvre une période de transition politique, qui permet de passer progressivement d’une monarchie autoritaire, héritée du franquisme, à un autre type de monarchie, démocratique et constitutionnelle. Cette phase transitoire débute avec la nomination d’Adolfo Suárez comme président du gouvernement en juillet 1976 et s’achève par l’accession au pouvoir des socialistes conduits par Felipe Gonzalez, à l’automne 19828.
La transition politique vers la démocratie
Sur l’extrême droite en Espagne, voir Casals, « Spain: the long journey from neo-francoism to national- populism (1975-2005) », in X. Casals (éd.), Political Survival on the Extreme Right, Barcelona, ICPS, 2005.
Sur ce parti, voir López Nieto, Alianza Popular: estructura y evolución electoral de un partido conservador (1976-1982), Madrid, CIS, 1988 ; N. Lagares, Génesis y desarrollo del Partido Popular de Galicia, Madrid, Tecnos, 1999 ; pour une histoire plus détaillée et prolongée dans le temps, voir R. Baón, Historia del Partido Popular. Del franquismo a la refundación, Madrid, Ibersaf editores, 2001.
L’évolution et la crise de l’UCD ont été étudiées par Huneeus, La Unión de Centro Democrático y la transición a la democracia en España, Madrid, CIS, 1985, et par M. Caciagli, op. cit.
Sur CDC, voir Marcet, Convergència Democràtica de Catalunya, Madrid, CIS, 1987, et aussi J.B. Culla et al., El pal de paller, Barcelone, Pòrtic, 2001.
Sur le PNV, en plus de l’ouvrage déjà cité de Corcuera, on peut consulter J.L. de la Granja, El nacionalismo vasco: un siglo de historia, Madrid, Tecnos, 1995 ; F.J. Llera, Los vascos y la política, Bilbao, UPV, 1994 ; S. Pérez-Nieva, « The PNV: Redefining political goals at the turn of de century », in L. de Winter and P. Lynch (dir.), Autonomist Parties in Europe, vol. I, Barcelone, ICPS, 2006.
Durant la période 1976-1982, on distingue quatre grandes orientations au sein de la droite espagnole.
La droite nostalgique, qui a soutenu jusqu’au bout la dictature franquiste, s’oppose à toute évolution du régime et souhaite le maintien du statu quo. On y retrouve une grande partie des hauts dirigeants de l’armée, des militants de groupuscules d’extrême-droite parmi les plus activistes (successeurs de l’ancien phalangisme, du carlisme ou tout simplement franquistes) ou encore des intégristes catholiques. Les membres de cette droite conspireront à diverses reprises contre la réforme démocratique, jusqu’au coup d’État avorté du 23 février 1981, conduit par un groupe de hauts gradés de l’armée et de la gendarmerie espagnole, la Guardia civil9. La majeure partie de cette extrême-droite finira par se fondre au sein du Partido Popular (PP). Cette fusion explique l’absence de visibilité partisane et électorale de cette frange de la droite. Seuls se maintiennent de petits groupuscules, représentant une force électorale négligeable et ayant une très faible capacité de mobilisation. C’est donc le PP qui finit par recueillir cet électorat à partir des années 1980.
Les néofranquistes représentent un deuxième pôle de la droite espagnole. Disposés à accepter une évolution du régime vers une démocratie contrôlée, ils continuent toutefois à défendre une certaine continuité avec le passé. Cette tendance regroupe un nombre important d’anciens ministres et d’anciens hauts dirigeants de l’ère Franco. Elle s’organise, sous le nom d’Alianza Popular (AP), en une fédération de sept partis ou associations politiques – tous créés dans les mois qui suivirent la mort de Franco – sous la direction de Manual Fraga Iribarne. Du fait de son origine franquiste, ce mouvement bénéficie dès sa création d’importants apports financiers et du soutien des structures encore intactes de l’État franquiste. Il semble donc appelé à devenir le grand parti conservateur de la nouvelle étape démocratique espagnole10.
Le troisième pôle de droite se construit sous l’impulsion d’Adolfo Suárez. Principal artisan de la transition et de la réforme démocratique, il crée un nouveau parti : l’Unión del Centro Democrático (UCD) – à ses débuts, une fédération de douze partis d’inspirations diverses. Cette organisation de centre-droit jouera un rôle charnière dans la vie politique espagnole durant la période de transition. Composé des courants les plus ouverts du franquisme et de petits groupes de l’ancienne opposition démocratique modérée, ce parti s’est immédiatement inscrit dans la mouvance conservatrice-modérée. Il constitue le principal soutien du gouvernement et de la classe politique au pouvoir et joue un rôle consociacional en aidant à la négociation d’accords entre les soutiens du régime antérieur et l’ancienne opposition démocratique. L’UCD joue un rôle déterminant jusqu’à l’avènement de la démocratie au début des années 1980. Il favorise ainsi la transition électorale et politique opérée par l’Alianza Popular de Manuel Fraga11. L’autodissolution officielle de l’UCD se produit au début de l’année 1983, à la suite de l’échec électoral de 1982, lors duquel le parti n’obtient que 6,7% des voix et seulement 11 députés.
La quatrième composante de la droite espagnole est régionale. Dans les deux nations à tradition politique, la Catalogne et le Pays basque, les partis de droite régionaliste se réorganisent. Leurs orientations idéologiques sont quelque peu différentes de celles de la droite nationale.
À la fin du franquisme, la Catalogne voit la naissance d’un parti de centre droit, Convergència Democràtica de Catalunya (CDC), où se rassemblent différents secteurs d’opposition au franquisme d’orientation modérée et catalaniste. Présidé depuis sa fondation par Jordi Pujol, CDC se présentera aux premières élections de 1977 à la tête d’une coalition, Pacte Democràtic per Catalunya. Depuis 1979, CDC s’est allié de façon stable avec Unió Democràtica de Catalunya, petit parti d’inspiration démocrate chrétienne fondé à la fin de la IIe République12.
Au Pays basque, le nationalisme modéré de centre droit du vieux Partido Nacionalista Vasco (EAJ-PNV) retrouve rapidement une place centrale sur la scène politique. Ce parti établi dans les territoires forales traditionnels basques, se considère lui-même comme un «parti-communauté» et s’inscrit dans une orientation démocrate chrétienne13.
Tableau 1 : résultats électoraux des principales forces politiques du Congrès des députés lors des différentes élections législatives (pourcentage du suffrage exprimé et nombre de sièges obtenus).
Source :
Tableau réalisé par l’auteur à partir des données du ministère de l’Intérieur
Comme le montre le tableau 1, aux premières élections de juin 1977, l’ensemble de la droite (UCD, AP, PDC, PNV) obtient 47% des voix et 200 sièges sur les 350 que compte le Congrès des députés, contre 38,6% et 137 sièges pour les partis de la gauche traditionnelle (socialistes et communistes). Lors des élections suivantes, en 1979, les résultats connaissent une légère évolution, avec une avancée de la gauche (41,2% des voix, 144 sièges) et un petit recul de l’ensemble de la droite (45,3% des voix, 144 sièges).
Mais le grand changement se produit aux élections de 1982. Grâce à l’avancée des socialistes, la gauche est largement majoritaire (52,2% des suffrages, 206 sièges), face à une droite en net recul (38,8% des suffrages, 138 sièges), où Alianza Popular occupe à présent la première place, devant l’UCD en pleine décadence. Désormais, la droite est dans l’opposition. Pour retrouver le pouvoir, elle choisit la stratégie de la «majorité naturelle», qui consiste à réunir autour de l’Alianza Popular l’ensemble de la droite espagnole, considérée alors comme majoritaire dans le pays. L’espoir d’alternance est conditionné à l’avancée politique, électorale et stratégique de l’Alianza Popular.
La droite espagnole au tournant des années 2000
Sur ce point, on peut consulter l’ouvrage de Baón, op. cit., ainsi que l’étude de P. del Castillo, La financiación de partidos y candidatos en las democracias occidentales, Madrid, CIS, 1985.
Les résultats obtenus par le nouveau PP aux élections de 1989 peuvent être qualifiées d’ «honorables» (voir tableau 1), si l’on tient compte du fait que la candidature de José Aznar a été rendue officielle à peine deux mois avant la tenue de ces mêmes élections.
Sur le rôle du PP pendant les périodes 1993-1996 et 2004-2008, voir M. Maravall, La confrontación política, Madrid, Taurus, 2008.
Voir Lago et J.R. Montero, The 2004 Election in Spain: Terrorism, Accountability and Voting, Barcelone, ICPS- WP 235, 2006.
La stratégie de l’Alianza Popular, initiée en 1982 lorsque la formation se positionne comme seule alternative conservatrice aux socialistes, ne semble pas couronnée de succès aux élections de 1986. Le mouvement connaît la stagnation voire un certain recul aux élections législatives et un véritable revers lors des élections régionales basques de la même année. Ces résultats provoqueront une crise interne profonde au sein du mouvement. Le président du parti, Manuel Fraga Iribarne, démissionne de ses fonctions et son entourage abandonne la direction du parti.
Le nouveau leader de l’AP, le dirigeant andalou Antonio Hernández Mancha, élu au VIIIe Congrès, en février 1987, s’efforce d’élargir la base électorale du parti en conduisant une stratégie ouvertement populiste. Mais l’AP demeure sujette aux divisions, accentuées par les dettes financières accumulées14. Les échecs électoraux subis aux élections européennes, municipales et régionales de l’année 1987 – les trois élections ayant eu lieu le même jour – mettent en lumière la faiblesse du leadership du nouveau président et accentuent la crise du parti. La liste européenne, conduite par l’ancien leader Manuel Fraga, obtient 24,7% des suffrages (soit 1,3% de moins qu’aux élections législatives de l’année précédente), tandis qu’aux élections municipales, l’AP recueille 20,3% des votes, ce qui représente un recul de plus de 6 points par rapport au précédent scrutin local de 1983. Seuls les résultats aux élections régionales atténuent l’importance de ces défaites : grâce à des pactes postélectoraux, l’AP parvient ainsi à arracher aux socialistes les gouvernements de l’Aragon, des îles Canaries et surtout de Castilla-León – dont le jeune José M. Aznar obtient la présidence. Ces résultats furent célébrés par la droite comme une grande victoire.
La faiblesse du leadership de Hernández Mancha continue cependant à accentuer la crise interne qui mine le parti, lequel connaît un nouveau revers électoral aux élections régionales de Catalogne en 1988, lors desquelles l’AP recule de 2,5 points par rapport au précédent scrutin et perd 5 sièges.
Le IXe Congrès, en janvier 1989, est considéré comme celui de la refonte du parti. Afin d’entamer la reconquête politique du pays, la présidence de l’AP est de nouveau confiée à Manuel Fraga, chargé de mettre en œuvre la réorientation stratégique du mouvement. Au lieu de réunir en une seule formation politique l’ensemble de la droite espagnole, il s’agit désormais de s’allier avec ce qui reste des autres formations, depuis le centre jusqu’à l’extrême droite, tout en offrant une image rénovée et centriste. A cette fin, des transformations significatives sont conduites dans le fonctionnement interne et externe du parti, qui adopte le nouveau nom de Partido Popular (PP). Sur la proposition de Fraga, José María Aznar est nommé tête de liste pour la candidature à la présidence du gouvernement aux élections d’octobre 198915 et président temporaire du parti jusqu’à la tenue du Xe Congrès, prévu en avril 1990. A cette date, il est officiellement élu président du PP, et s’entoure d’une équipe renouvelée et plus jeune, Manuel Fraga prenant le titre de président fondateur.
Le nouveau Partido Popular se définit dans sa communication politique comme «un parti dont les larges bases regroupent et permettent de faire cohabiter aisément les idées libérales, conservatrices et démocrates chrétiennes». La nouvelle équipe dote le PP de structures fortes, chargées de renforcer sa présence sur l’ensemble du territoire espagnol. Grâce à cette consolidation interne, la nouvelle direction espère institutionnaliser le parti et lui permettre d’opérer une progression électorale.
Les élections municipales et régionales de 1991 constituent le premier succès de la stratégie du PP. Aux municipales, il parvient à accroître son score de près de 5 points dans l’ensemble du pays et à réduire de 3 points la distance qui le sépare du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Lors des élections législatives de 1993, le PP forme autour de lui une large coalition qui, malgré la victoire des socialistes, permet de réduire à 4 points la distance qui le sépare du PSOE (voir tableau 1). La nouvelle stratégie d’élargissement de la base électorale, du centre à l’extrême droite, semble favorable au Partido Popular. Le PP connaît son premier succès lors des élections européennes de 1994, en dépassant de presque 10 points le PSOE. Les élections municipales et régionales de 1995 consolident cette progression. Aux élections municipales, le parti dépasse le PSOE de presque 5 points dans l’ensemble de l’Espagne (lors des précédentes élections de 1991, l’avantage du PSOE sur l’AP était de plus de 13 points) et lui reprend la plupart des capitales provinciales. Aux élections régionales, qui coïncident avec les municipales, le PP remporte la majorité des sièges dans 11 des 13 parlements régionaux concernés par ces élections, dont 5 avec la majorité absolue.
Une nouvelle étape commence pour le PP, qui doit consolider et élargir la base électorale acquise, en vue de triompher aux élections législatives. L’opposition du PP au gouvernement socialiste se montre alors implacable. Tous les moyens parlementaires, politiques, médiatiques et sociaux sont utilisés pour déstabiliser le PSOE, qui occupe le pouvoir depuis treize ans, et voit son quatrième mandat entaché par une série de scandales16. Le XIIe Congrès du Partido Popular se tient en janvier 1996, en vue des élections législatives convoquées pour le mois de mars. Le parti s’y donne pour objectif de «gagner le centre», considérant que sa base électorale est solide à droite.
Les élections de mars 1996 donnent la victoire, avec une faible marge de 1,2%, au PP de José M. Aznar, qui gouvernera pendant quatre ans avec le soutien parlementaire de la droite catalane (CiU) et basque (PNV).
Ce mandat sera renouvelé aux élections de 2000, lors desquelles le PP obtient la majorité absolue. S’il conserve le soutien de CiU – qui a besoin du PP pour maintenir son gouvernement en Catalogne –, il perd celui du PNV, en raison de la stratégie antiterroriste du gouvernement Aznar.
La période de gouvernement du Partido Popular et de José María Aznar se décompose en deux étapes assez bien différenciées. De 1996 à 2000, lors de sa première législature, la nécessité de soutiens parlementaires amène le PP à conduire une politique modérée, malgré de vifs affrontements avec la presse et une personnalisation croissante du pouvoir par José María Aznar, marquée par de nombreuses nominations politiques. Lors de la seconde législature (2000-2004), du fait de sa majorité absolue au parlement, le PP peut agir beaucoup plus librement. Sa politique est marquée par une orientation économique ostensiblement libérale et un autoritarisme croissant. A partir de 2002, l’autorité du PP est mise à mal. Le gouvernement pâtit ainsi de la mauvaise gestion de certains événements importants – notamment le naufrage du pétrolier Prestige, en novembre 2002, et l’accident de l’avion dans lequel 62 militaires de retour d’Afghanistan perdent la vie, en mai 2003. Sa politique sociale et territoriale est également controversée. La réforme du marché du travail et la loi concernant le plan hydrologique national, qui conduit à un affrontement entre territoires, mettent en doute la compétence gouvernementale du PP.
Deux évènements majeurs achèvent de consommer le divorce entre le Parti populaire et son électorat modéré : la participation de l’Espagne à la guerre d’Irak, qui provoque d’importantes manifestations à travers tout le pays, et la gestion calamiteuse, aussi bien sur le plan politique que sur celui de la communication, de l’attentat islamiste qui frappe Madrid quatre jours avant les élections de 200417.
Aznar s’était engagé à ne pas rester plus de huit ans au gouvernement et avait désigné Mariano Rajoy comme successeur à la tête du parti et candidat à la présidence du gouvernement. Mais celui-ci, après son passage par différents ministères au cours des gouvernements successifs du PP, ne parvient pas à apparaître comme un candidat détaché de l’entourage proche de J.M. Aznar.
La droite dans l’opposition
Le Parti socialiste (34,9%) et le Parti populaire (35,6%) font jeu égal aux élections municipales, ce qui conduit les deux formations à se déclarer vainqueurs du Le Parti socialiste obtient un plus grand nombre de conseillers municipaux, que son rival (24.029, contre 23.349), qui remporte cependant un pourcentage plus grand de mairies : 35,66%, contre 28,82% pour le PSOE.
Sur le parcours politique et électoral de l’Espagne démocratique, voir Carles Castro, Relato Electoral de España (1977-2007), Barcelone, ICPS, 2008 ; un autre ouvrage qui, bien que plus centré sur les élections de 2004, contient des analyses plus générales : R. Montero, I. Lago et M. Torcal (dir.), Elecciones generales 2004, Madrid, CIS, 2007. Il en va de même pour le livre de J. Molins et P. Oñate (dir.), Elecciones y comportamiento electoral en la España multinivel, Madrid, CIS, 2006.
Le revers électoral du PP en mars 2004, qu’aucun sondage n’avait prévu, renvoie la droite dans l’opposition. Au XVe Congrès du PP, en octobre 2004, J.M. Aznar est proclamé président d’honneur. Mariano Rajoy, élu président, conserve une équipe étroitement liée à l’aznarisme, ce choix conduisant à une série de confrontations et de crispations internes tout au long de la législature 2004-2008.
La faible victoire du PP sur le PSOE aux élections municipales de 2007, avec un demi-point de différence18, est suivie d’une nouvelle déroute aux élections législatives de mars 2008, semblant remettre en question le leadership de Rajoy. Après plusieurs mois d’incertitude et d’affrontements internes, le XVIe Congrès du PP, en juin 2008, confirme cependant Mariano Rajoy à son poste. Le président du parti s’entoure d’une équipe renouvelée, chargée d’élaborer une politique plus centriste et d’affranchir quelque peu le parti de la tutelle de J.M. Aznar19.
Depuis l’avènement de la démocratie en Espagne, les partis régionaux et autonomistes de droite ont joué un rôle important aux côtés de la droite nationale espagnole, tant au niveau régional que national. La coalition, puis fédération de partis de Convergència Democràtica et Unió Democràtica de Catalunya (CiU) a ainsi gouverné de manière ininterrompue la Communauté autonome de Catalogne jusqu’en 2003, date à laquelle elle est écartée du gouvernement par une coalition dirigée par le Partit dels Socialistes de Catalunya (PSC) allié à des postcommunistes (ICV-EUiA) et des nationalistes de gauche (ERC). Au niveau national, CiU a joué un rôle déterminant, accordant tour à tour son soutien parlementaire au gouvernement socialiste de Felipe González dans ses dernières années (1993-1996), puis au gouvernement du PP. Inspirées d’un nationalisme catalan très pragmatique, ses orientations de centre droit, libérale (CDC) et démocrate chrétienne (UDC) lui ont permis de basculer aisément de droite à gauche. Le mouvement est conduit par Jordi Pujol, président du gouvernement catalan de 1980 à 2003 et encore aujourd’hui président de CDC. Ce rapprochement politique entre CiU et le PP et la sympathie affichée par Pujol à l’égard du gouvernement Aznar semble compter parmi les causes de sa défaite en Catalogne en 2003. Après l’arrivée au pouvoir des socialistes en 2004, CiU refusera de soutenir le nouveau gouvernement. Malgré des positions et un style très différents de ceux du PP, le parti de Pujol demeurera à ses côtés, dans l’opposition.
Durant la même période, l’Eusko Alderdi Jeltzalea-Partido Nacionalista Vasco (EAJ-PNV), qui conserve le gouvernement autonome basque jusqu’aux élections régionales d’avril 2009, a lui aussi accordé tour à tour son soutien à des gouvernements socialistes et à des gouvernements du PP. Mais la radicalisation de sa stratégie nationaliste et le rapprochement de ses positions de celles de l’entourage de l’ETA conduisent le mouvement à la confrontation directe avec le Partido Popular au cours de la législature 2000-2004. Depuis 2004, le PNV mène une politique de soutien ponctuel au gouvernement socialiste de J.L. Rodríguez Zapatero, et ce malgré la reprise du gouvernement autonome basque par le PSE-PSOE suite aux élections de 2009. Ce soutien a été favorisé par une direction plus modérée et pragmatique, qui fait passer la consolidation du gouvernement autonome basque avant la confrontation idéologique.
Les structures de la droite espagnole : électorat, réseaux, organisation interne
L’assise électorale du Parti populaire
Le graphique 1 met en évidence deux grandes tendances dans l’évolution électorale de la droite espagnole depuis le début de l’ère démocratique en 1977 : la progression du mouvement populaire (AP puis PP) et son maintien comme alternative possible après son départ du gouvernement d’une part, le rôle moindre mais souvent décisif des droites catalane et basque d’autre part.
Après les élections de 1977 et 1979, lors desquelles l’espace de la droite est majoritairement occupé par l’Unión de Centro Democrático (UCD), Alianza Popular réussit en 1982 une grande poussée et s’installe comme représentant principal de la droite, malgré des résultats décevants aux deux élections suivantes. En 1993, le PP dirigé par Aznar réalise une avancée importante, qu’il consolidera en 1996 et en 2000, années où il obtiendra ses meilleurs résultats. Lors des deux derniers combats électoraux, le PP devient la deuxième force politique mais maintient une assise électorale solide, qui le positionne comme le grand parti de la droite espagnole et comme seule alternative crédible au gouvernement socialiste.
En Galice, le gouvernement populaire a été interrompu à deux reprises : la première entre septembre 1987 et les élections régionales de décembre 1989, quand une motion de censure contre le gouvernement populaire conduisit à un gouvernement La seconde interruption eut lieu entre 2005 et 2009 après que Manuel Fraga ait obtenu quatre majorités absolues consécutives à la tête du PP galicien, une coalition entre le Partido Socialista et le Bloque Nacionalista Galego s’est emparée du pouvoir, de nouveau récupéré par le PP en avril 2009.
Graphique 1 : évolution électorale des partis de la droite. Évolution du vote validé au Congrès des Députés (1977- 2008).
Source : ICPS à partir des données du ministère de l’Intérieur.
Au niveau territorial, l’implantation électorale du PP est assez homogène, à l’exception des Communautés autonomes de Catalogne et du Pays basque, où la présence des deux partis nationalistes de centre droit, respectivement CiU et le PNV, le relègue en troisième ou quatrième position électorale. Les principaux bastions électoraux du PP sont Madrid, la Communauté valencienne, la Murcie, la Galice et la Castille-León, où il a exercé le pouvoir de façon plus continue20. La carte électorale de 2008 reflète assez fidèlement cette implantation, bien répartie sur l’ensemble du territoire.
Aux élections européennes de juin 2009, le Partido Popular consolide ses positions dans les régions précitées et récupère la première place aux îles Baléares et aux îles Canaries. Dans presque toutes les Communautés autonomes, le combat politique est structuré par l’affrontement entre le PSOE et le PP, dupliquant la configuration nationale. La Catalogne et le Pays basque font naturellement figure d’exceptions : les forces politiques en présence sont plus diverses, en raison de l’existence de la question régionale. Les partis nationalistes catalan et basque sont, dans ces communautés, la principale force politique de centre-droit. D’autre part, en Catalogne, les socialistes ont leur propre organisation, le PSC, juridiquement et formellement différenciée et autonome du PSOE.
Carte 1 : carte des Elections au Congrès des Députés – mars 2008. Parti gagnant pour chaque Communauté Autonome.
Source : ICPS à partir des données du ministère de l’Intérieur
Le PP n’en gouverne pas moins la majorité des Communautés autonomes, où il bénéficie traditionnellement d’une forte implantation électorale. Il connaît cependant des difficultés dans la Communauté de Castille-La Mancha, où le PSOE a remporté toutes les élections régionales depuis 1983, et dans les îles Baléares où, lors des dernières élections régionales (2007), le PP a perdu la majorité et le gouvernement au profit d’une large coalition dirigée par le PSOE. En Andalousie, fief électoral socialiste, une poussée du vote en faveur du PP a été constatée lors des dernières confrontations électorales de 2008 et 2009, qui laissent présager une remise en cause du maintien du PSOE à la tête du gouvernement régional, où il est installé depuis 1982.
Sociologie électorale du Parti populaire
Voir en ce sens Torcal et L. Medina, « La competencia electoral entre PSOE y PP: el peso de los anclajes de ideología, religión y clase », in J.R. Montero, I. Lago y M. Torcal (dir.), op. cit.
Étude no 2757 de la base de données du CIS
Voir Molas et O. Bartomeus, Estructura de la competencia política en España: 1986-2000, Barcelone, ICPS- WP, no 196, 2001..
Étude no 2701 de la base de données du CIS
Le PP a vu son implantation urbaine progresser depuis les années 1990. Il domine ainsi les élections municipales, notamment dans les capitales provinciales. De même, lors des élections législatives et européennes, il recueille la majorité des scrutins dans les grandes villes. Les exceptions à cette règle sont la Catalogne, où les socialistes régionaux maintiennent jusqu’à présent leur hégémonie, et le Pays basque, où nationalistes et socialistes sont majoritaires au sein de l’électorat urbain.
La sociologie de l’électorat du Partido Popular a évolué entre les années 1980 et aujourd’hui. C’est à partir du début des années 1990 que commerçants, petits entrepreneurs, agriculteurs, employés de la distribution, de l’administration et des services commencent à voter pour le PP, rejoignant un électorat plus ancien, composé essentiellement d’entrepreneurs, de hauts fonctionnaires et de professions libérales. On constate au même moment une forte augmentation du vote en faveur du PP dans l’électorat religieux et conservateur21.
Selon l’étude postélectorale du CIS concernant les élections de 200822, le PP est majoritaire parmi les cadres supérieurs, les professions libérales, les entrepreneurs et les agriculteurs, et réalise son meilleur résultat dans les anciennes classes moyennes traditionnelles (entrepreneurs, travailleurs indépendants et agriculteurs), ainsi que dans la moyenne et la haute bourgeoisie. Son électorat se répartit de façon assez homogène entre les différentes tranches d’âge, les différents niveaux d’études et tailles de commune. Certaines catégories de la population sont toutefois plus promptes à voter pour le PP que les autres. Il obtient ainsi ses meilleurs résultats chez les 35-44 ans, et les plus de 65 ans, parmi les électeurs de niveaux d’études supérieur et primaire, ainsi que dans les zones urbaines de grande taille (de 400.000 à 1 million d’habitants) et de taille moyenne (de 50.000 à 100.000 habitants). Les soutiens les plus fidèles sont toutefois les Espagnols ayant fait des études supérieures, les propriétaires, ceux qui ont un niveau de revenu supérieur à 4.000 euros par mois et ceux qui se situent entre le haut de la classe moyenne et la classe plus élevée.
En matière de positionnement partisan, on constate que le PP est le parti préféré des électeurs qui se déclarent d’extrême droite (positions 9-10) et de droite (positions 7-8). Une étude sur la situation politique et électorale en Espagne23 précise qu’en élargissant sa base électorale entre 1996 et 2000, le PP a attiré davantage de centristes, sans perdre néanmoins les électeurs qui se situent franchement à droite. Le PP est aussi largement majoritaire chez ceux qui se déclarent catholiques et pratiquants. L’étude postélectorale du CIS révèle enfin que le PP, avec une fidélité de vote de 91,1% par rapport aux élections de 2004, est le parti dont l’assise électorale est la plus solide.
Le PP, s’il est identifié comme un parti conservateur, bénéficie d’une implantation homogène dans l’ensemble de la population espagnole. Une étude du CIS sur la qualité de la démocratie, réalisée en mai 200724, confirme que les sympathisants du Partido Popular se situent majoritairement à droite idéologiquement, mais qu’ils se répartissent de manière assez équilibrée selon les tranches d’âge, les niveaux d’études et la taille de l’habitat urbain. Dans la confrontation avec le PSOE, le Partido Popular a clairement l’avantage parmi les anciennes classes moyennes. La ventilation de son électorat parmi les catégories socioprofessionnelles révèle que le PP est majoritaire chez les agriculteurs et qu’il est presque à égalité avec le PSOE chez les étudiants, les travailleurs à domicile non rémunérés et les directeurs de petites entreprises. Ces données confirment la solidité électorale du PP.
Les relais médiatiques et intellectuels du Parti populaire
Le parti de droite a bénéficié et bénéficie encore du soutien d’un large réseau médiatique et d’un nombre croissant d’intellectuels. A l’appui historique du journal ABC, il faut ajouter l’ensemble du groupe Vocentro, qui comprend le groupe Correo (d’origine basque), la chaîne de télévision Telecinco (liée à Berlusconi) et la station de radio COPE (propriété de la Conferencia Episcopal Española). Depuis leur apparition en 1998, le journal d’information générale El Mundo et le journal d’information économique Expansión ont choisi de s’aligner sur les positions du PP. En Catalogne, le journal le plus traditionnel, La Vanguardia, oscille entre CiU et le PP. La maison d’édition Planeta, dont le siège se trouve aussi à Barcelone et qui contrôle la chaîne de télévision Antena 3, la station radio-phonique Onda Cero et le journal La Razón, édité à Madrid depuis 1998, apportent aussi un soutien manifeste aux positions politiques du PP.
Depuis qu’il a accédé aux responsabilités, le PP a étendu son influence sur les medias. Ainsi, il n’a pas hésité à utiliser son ascendant sur la radio et la télévision publiques dans les communautés autonomes qu’il gouverne, notamment à Madrid, dans la Communauté valencienne et en Galice. De la même manière, au cours de sa première législature, J.M. Aznar a favorisé la création d’une entreprise de télévision numérique réunissant la Compañía Telefónica de España, alors dirigée par un ami personnel d’Aznar, l’entreprise mexicaine Televisa et quelques télévisions autonomes de communautés gouvernées par le PP.
Au-delà de ce maillage médiatique, le Partido Popular a modernisé ses structures de réflexion stratégique, afin d’attirer les milieux intellectuels, réticents à l’adhésion déclarée au parti. La Fundación para el Análisis y los Estudios Sociales (FAES), créée en 1989, et présidée par J.M. Aznar, est ainsi devenue la principale plate-forme de réflexion du parti. Rejointe en 2003 par l’ancienne Fondation Cánovas del Castillo, et par trois autres cercles de pensée liés au PP, elle est associée à divers réseaux ou think tanks américains, européens et latino-américains. La FAES est un important réservoir d’idées pour le Partido Popular. Elle sert de lieu d’accueil et de débat aux intellectuels modérés, dont certains viennent de la gauche. Au cours de ses vingt années d’existence, la FAES a vu intervenir les principaux dirigeants de la droite européenne et américaine, ainsi qu’un certain nombre d’universitaires espagnols ou étrangers nourrissant des affinités avec la pensée politique libérale-conservatrice qui oriente la Fondation. Parallèlement à la FAES, le PP peut compter sur la Fundación Humanismo y Democracia pour favoriser la coopération en Amérique latine selon une orientation démocrate et chrétienne, ainsi que la Confederación Nacional de Mujeres en Igualdad, fondation spécialisée dans la promotion de la participation politique, économique et sociale de la femme.
En marge de ces structures organiquement liées au Partido Popular, le PP a bénéficié, au gouvernement comme dans l’opposition, du soutien et de la complicité de la Conferencia Episcopal Española, ainsi que de la majorité de la hiérarchie de l’Église catholique. Lors de la législature 2004-2008, la plupart des mobilisations contre la législation favorable à l’élargissement des droits civils mise en place par le gouvernement socialiste (simplification du divorce, mariage homosexuel, législation éducative…) ont été organisées conjointement par le PP et la hiérarchie ecclésiastique. Cette action commune s’est prolongée au cours de la présente législature, à l’occasion de la réforme de la loi sur l’avortement. En cette occasion toutefois, une distinction a été opérée entre l’opposition politico-parlementaire et l’opposition sociale patronnée par l’Église catholique.
L’organisation interne du Parti populaire
Sur ces questions, voir Chadel, Penser le changement dans les partis politiques. Le processus d’institutionnalisation au Partido Popular, Barcelone, ICPS-WP, no 192, 2001 ; voir aussi l’étude de N. Lagares, Génesis y desarrollo del Partido Popular de Galicia, Madrid, Tecnos, 1999 ; de caractère comparatif, Tània Verge, « Representación política y modelos de partido en España: los casos de IU, PSOE y PP », in J.R. Montero R. Guhther et J.J. Linz (dir.), Partidos Políticos: viejos conceptos y nuevos retos, Madrid, Trotta, 2007.
Selon ses propres données, le Partido Popular est passé de 50.000 adhérents en 1979 à plus de 700.000 adhérents en 2008. Ses instances sont fortement centralisées autour de la personne du président depuis la fondation du parti par Manuel Fraga, bien qu’il existe officiellement depuis 2004 un président fondateur (Manuel Fraga) et un président d’honneur (José M. Aznar) aux côtés du président du parti, Mariano Rajoy.
Le comité exécutif national est placé sous le contrôle étroit du Président. Afin de maintenir la cohésion du parti, ses principaux dirigeants (secrétaire général, vice-secrétaire et présidents des différents comités) sont recrutés dans tous les courants d’influence. L’appareil central se caractérise par ailleurs par sa spécialisation, sa professionnalisation et sa bureaucratisation25.
En dépit de cette structure très centralisée, les organisations territoriales du PP ont eu l’occasion de prendre la défense d’intérêts régionaux spécifiques. Si les représentants du PP dans les Communautés autonomes s’en tiennent le plus souvent à la stratégie nationale du parti, il arrive que des divergences apparaissent entre instances locales et nationales, lors de certains débats. Une confrontation s’est ainsi ouverte lors de la discussion sur la politique de l’eau entre les communautés déficitaires, telles Valence et Murcia, et les communautés excédentaires, comme Aragon et Castille-La Mancha. Ces débats sont en général tranchés par l’organisation centrale du PP en fonction d’objectifs nationaux, qu’il s’agisse de favoriser le gouvernement central lorsqu’il est dirigé par le PP, ou de contribuer à son affaiblissement lorsqu’il est dirigé par le PSOE.
Le positionnement idéologique de la droite espagnole et son rapport au libéralisme
Le Parti populaire : une force politique qui se revendique davantage du libéralisme que de la droite
Pour connaître en détail les propositions tactiques et stratégiques du PP, on peut consulter le site pp.es, où l’on trouve également les différents textes d’orientation politique du dernier congrès national de juin 2008.
Voir A. Quintanilla Navarro, « Tras el 9-M: perder o perderse », Cuadernos de Pensamiento Político, no 20, FAES, octobre 2008. Contrairement, J.I. Wert, « Elecciones del 9-M: entre el centro y los extremos », Cuadernos de Pensamiento Político, no 20, FAES, octobre 2008, qui utilise en toute logique les catégories de l’échelle dans son analyse postélectorale.
Parmi les derniers livres publiés par la FAES, on trouve celui de F.J. de Vicente Algueró, ¡Viva la Pepa! Los frutos del liberalismo español en el siglo XIX, Madrid, FAES, 2009, et J.M. Aznar et al., Antonio Maura, en el aniversario del Gobierno Largo, Madrid, FAES, 2009
Voir Porta Perales, « El segundo mandato de Zapatero. Un ensayo de prospectiva », Cuadernos de Pensamiento Político, no 19, FAES, juillet 2008. Déjà, en 1995, la FAES a publié un essai de Michael Portillo, leader conservateur britannique émergent de l’époque, sous le titre Estado, libertad y responsabilidad.
Voir M. Lassalle (coord.), Isaiah Berlin: una reflexión liberal sobre el otro, Madrid, FAES, 2001 ; J.M. Aznar et al., Isaiah Berlin: un liberal en perspectiva, Madrid, FAES, 2008 ; ibid., Milton Friedman: un economista liberal, Madrid, FAES, 2008 ; J.L. Feito, Causas y remedios de las crisis económicas. El debate económico Hayek-Keynes 70 años después, Madrid, FAES, 2008.
Voir Haegel, « Les droites en France et en Europe », in P. Perrineau et L. Rouban (dir.), La Politique en France et en Europe, Paris, Les Presses de Science Po, 2007.
En 1977, le manifeste électoral de l’Alianza Popular souligne que l’organisation partage la philosophie des partis populaires, centristes et conservateurs d’Europe, dont il affirme se sentir proche, loin de toute attitude extrême et radicale. Le texte énumère ensuite un ensemble de propositions clairement inscrites dans l’idéologie de la droite la plus traditionnelle, qu’elle soit espagnole ou européenne : unité de la patrie, monarchisme, sécurité et ordre face aux menaces internes et externes, économie de marché et régime de libre entreprise, avec une attention particulière portée aux classes moyennes, aux agriculteurs, aux petites et moyennes entreprises, aux retraités et à la défense de la famille.
Trente ans plus tard, le Partido Popular se définit comme un parti de centre réformiste, héritier de la tradition du libéralisme espagnol, défendant le projet d’une économie libre et socialement avancée26. Ce discours de rassemblement s’explique par le fait qu’en Espagne, notamment après la longue dictature franquiste, aucune formation politique n’a voulu se définir et se situer à droite. Une étude récente27, commandée et publiée par la FAES à la suite des élections législatives de mars 2008, se montre critique à l’égard de la «fausse échelle» gauche- droite utilisée par certains politologues et sociologues. Les valeurs, le programme et les propositions du PP y sont présentés comme obéissant à des présupposés idéologiques échappant à une classification gauche- droite. Dans ce texte, le PP est appelé à ne pas s’assimiler à la droite ni à essayer de s’en revendiquer en vue d’obtenir de meilleurs résultats électoraux. Cette étude est une bonne illustration de la réticence espagnole à adopter l’étiquette «de droite».
En s’inscrivant dans la tradition du libéralisme espagnol, qu’il fait remonter au mouvement constitutionnel de 1812 et au libéralisme conservateur d’Antonio Maura28, le PP défend l’énergie créatrice de la liberté et exalte le désir de se dépasser, le mérite et le travail, stimulés par l’éducation et la formation. Le parti affirme vouloir donner un rôle le plus important possible à la «société civile» face à un État – assimilé au gouvernement lorsque ce dernier est dirigé par le PSOE – qui doit limiter son intervention dans la vie économique, sociale et personnelle des citoyens29. Certains dirigeants, comme José M. Aznar, en sont arrivés à critiquer ouvertement et à tourner en dérision l’augmentation des contrôles ou des interdictions réglementaires sur le tabac, la consommation d’alcool ou les habitudes alimentaires.
La doctrine libérale actuellement affichée par le Partido Popular s’appuie notamment sur l’œuvre d’Isaiah Berlin, sur les théories économiques de Milton Friedman et sur les grands classiques du libéralisme, de F.A. Hayek à Karl Popper, en passant par John Rawls et Raymond Aron, dont la FAES travaille à diffuser les idées. Le premier livre qui analyse la pensée d’Isaiah Berlin fut ainsi publié par la Fondation en 2001. Le retour à l’opposition intensifia des travaux consacrés à la philosophie et à la doctrine libérales30.
Néanmoins, malgré ces déclarations de principe, sa pratique de gouvernement et l’orientation de son programme situent le Partido Popular parmi les partis européens les moins libéraux, que ce soit dans le domaine économique, culturel ou sociétal. Comme le montre Florence Haegel dans son analyse des droites européennes, la droite espagnole est la plus interventionniste dans le domaine économique et la moins libérale en ce qui concerne les habitudes morales ou sociales31.
Un rapport ambigu au libéralisme économique
Dans le domaine économique, malgré l’ardeur à privatiser montrée par les différents gouvernements Aznar, ni le PP ni son électorat ne sont enclins à renoncer à l’intervention de l’État ou à favoriser des politiques de libéralisation du marché ou de concurrence ouverte. L’analyse du programme du PP révèle un contraste saisissant entre un discours officiellement libéral et des propositions présentant un caractère interventionniste marqué. Dans les textes d’orientation politique ou le programme de gouvernement approuvés au dernier Congrès du PP, en juin 2008, on peut lire : «Le secteur public doit être un acteur important dans un monde globalisé ; il doit favoriser la croissance et garantir, grâce à la meilleure forme de protection possible, que l’État-providence bénéficie à tous les citoyens», ou encore : «Pour être à l’avant-garde de l’économie mondiale et profiter des opportunités de la globalisation, nous avons besoin d’Etats solides, de gouvernements ayant la capacité d’inspirer la confiance et de garantir un environnement macroéconomique stable, ainsi qu’un cadre de contrôle transparent.» Immédiatement après ces passages figure l’appel à la réduction des impôts, à la maîtrise des dépenses courantes dans le secteur public et à la reconnaissance des valeurs de l’effort, du mérite et du talent dans le cadre d’une économie libre et ouverte. Le programme économique du parti, qui s’intitule : «Protéger notre modèle social» l’éloigne de positions franchement libérales.
De même, sur le terrain de l’environnement, le parti a oscillé entre un certain «négationnisme», revendiqué en certaines occasions par Mariano Rajoy lui-même, et l’adoption d’un programme politique environnemental complet, allant de la lutte contre le changement climatique à la fiscalité verte.
Comme le montrent les textes et les programmes de gouvernement approuvés par le dernier congrès du parti, la défaite aux deux dernières élections législatives n’a pas modifié l’orientation économique du PP. Si le gouvernement socialiste de Rodriguez Zapatero a conduit une politique économique fondée sur l’orthodoxie libérale, elle a été modérée par des mesures sociales auxquelles le PP ne s’est jamais opposé. Ce n’est qu’après le déclenchement de la crise économique, apparue en Espagne juste après les élections du 2008, que la position du PP a évolué. Suite à la réaction un peu lente et désordonnée du gouvernement socialiste face à l’effondrement de l’économie espagnole (un taux de chômage supérieur à 18% et une récession particulièrement forte), le PP propose un autre modèle économique. Affichant des principes néolibéraux dans son énoncé, ce programme s’avère peu concret dans la pratique. Ainsi le PP s’est-il opposé formellement à la proposition de réforme des retraites du gouvernement (relèvement de deux ans de l’âge de retraite, nouvelle forme de calcul, etc.), sans cependant offrir une vraie alternative ou des propositions viables. Plus récemment, le 9 avril 2010, le PP a approuvé un ensemble de mesures ponctuelles adoptées par le gouvernement, tout en les qualifiant d’insuffisantes. Il a ainsi réclamé des réformes profondes, notamment en matière de marché du travail, mais a omis de préciser leur contenu. Malgré l’importance de la crise des finances publiques, il a enfin demandé de limiter la hausse de la TVA, en accord avec ses propositions réitérées de diminution des impôts. En définitive, dans l’opinion publique, le PP ne profite pas du jugement que portent les Espagnols depuis la fin 2008 sur la gestion gouvernementale du PSOE et de l’impopularité de Rodriguez Zapatero.
Tableau 2 : évaluation du gouvernement et de l’opposition après les élections de 2008 (en pourcentage).
Source :
Tableau élaboré par l’auteur à partir des baromètres du CIS, nos 2761, 2798 et 2834
Tableau 3 : Indice de popularité (selon calculs du CIS).
Source :
Tableau élaboré par l’auteur à partir des baromètres du CIS, nos 2761, 2798 et 2834
Comme le montrent les tableaux 2 et 3, le regard de plus en plus négatif que les citoyens espagnols portent sur la politique gouvernementale ne s’accompagne d’aucune progression des opinions favorables au PP. Son leader Mariano Rajoy apparaît ainsi incapable de présenter une alternative de changement crédible. Les affrontements entre l’opposition et le gouvernement qui rythment la publication des données macroéconomiques n’ont pas permis de renforcer la crédibilité du PP. S’il était au gouvernement, il n’apporterait pas, selon les électeurs, de meilleures solutions à la crise. Au parlement, le PP n’a présenté qu’un faible nombre de propositions auxquelles les autres partis d’opposition se sont ralliés. Seules quelques-unes d’entre elles, portant notamment sur la baisse des dépenses publiques (suppression de postes de hauts fonctionnaires, de quelques ministères…), ont été appuyées par d’autres groupes. Cette stagnation du PP a été aggravée par les accusations de corruption qu’il doit affronter. Durant ces deux dernières années, des malversations ont entaché la gestion des différentes Communautés autonomes qu’il gouverne (Communauté valencienne, Madrid, Castilla-León) ou a récemment gouverné (îles Baléares) et la direction financière du parti elle-même. La réaction de Mariano Rajoy et de son entourage face à ces problèmes est apparue comme insuffisante, entamant davantage son crédit dans l’opinion.
Le conservatisme du Parti populaire en matière sociétale
Si le libéralisme économique du PP peut être qualifié de modéré, voire de fluctuant, ses positions dans le domaine de la morale et des questions de société n’ont rien de libérales. Le parti a ainsi réactivé son programme le plus conservateur, se réclamant des valeurs d’inspiration chrétienne et affichant une posture de fermeture face l’apparition de nouveaux droits individuels. Le PP s’est ainsi distingué par son opposition au divorce (qui existait déjà à l’époque du gouvernement centriste de l’UCD) et à la réglementation plus ouverte mise en œuvre par le gouvernement socialiste de Zapatero. Il a affiché une farouche hostilité face à la dépénalisation puis à la nouvelle réglementation de l’avortement. Plus récemment, la reconnaissance du mariage homosexuel a rencontré l’opposition radicale du Parti populaire. En matière d’enseignement, il a combattu avec énergie la réforme éducative entreprise par le gouvernement Zapatero, qui entend soutenir et améliorer l’enseignement public ou encore introduire une nouvelle matière intitulée «Éducation à la citoyenneté» dans le cursus scolaire obligatoire. Sur tous ces fronts, la hiérarchie ecclésiastique a appuyé les positions du PP et a soutenu ses efforts de mobilisation. En définitive, le parti prend la défense de la famille traditionnelle, préconisant notamment dans son programme la création d’un ministère du Bien-être social et de la Famille, une loi intégrale de soutien à la famille ou des politiques de promotion de l’associationnisme familial.
Sa position concernant l’immigration, phénomène relativement récent en Espagne, est plus modérée. Bien que le PP n’ait pas résisté, en certaines occasions, à la tentation d’assimiler immigration et insécurité et malgré une attitude très critique envers les régularisations réalisées par le premier gouvernement Zapatero, les positions du parti concernant l’immigration sont nuancées et exemptes de contenu xénophobe. Dans le programme politique du PP figure toujours un appel à l’intégration des immigrants, accompagné de mesures de contrôle des frontières et de révision des modes de régulation. Durant la campagne électorale du 2008, le PP avait formulé la proposition d’un «contrat d’intégration» que les immigrés voulant résider en Espagne pour plus d’un an seraient obligés de signer. Loin d’être innovante, cette proposition s’inspire de celles présentées par CiU lors des élections régionales de Catalogne de 2006, en France par Nicolas Sarkozy en 2004, des mesures adoptées par la loi autrichienne sur l’immigration de 2002 ou encore des cours et examens d’intégration récemment mis en œuvre en Belgique, en Hollande, au Danemark ou au Royaume-Uni. Néanmoins, en dépit de ces références à d’autres pays européens, la proposition fut retirée du programme et n’a jamais été présentée au Parlement, malgré le débat sur la modification de la loi espagnole concernant les droits des immigrés en juin 2009. Les problèmes d’immigration, s’ils font l’objet de maints débats théoriques et pratiques, relèvent pour le PP de la politique européenne. De même, dans la plupart des questions sociétales qui ont été mentionnées, l’appel à l’Europe et à ses politiques intégrées est constant. Le PP se définit en effet, à l’image de l’ensemble des forces politiques espagnoles, comme un parti européen. Il appartient au Parti populaire européen, et compte parmi les «euro-optimistes», qui sont les plus favorables au processus d’intégration. Il rejoint en ce sens l’opinion espagnole qui, lors du référendum de 2005, a largement approuvé la ratification du traité qui instituait une Constitution européenne.
Le refus de l’autonomie territoriale
A l’égard de la structure territoriale de l‘Espagne, le PP affiche également des positions très conservatrices, fondées sur la réaffirmation de la nation espagnole comme sujet historique. A l’époque du processus d’élaboration de la Constitution qui suivit l’ère franquiste, l’aspect qui souleva le plus de réticences au sein de l’Alianza Popular fut la reconnaissance du droit à l’autonomie de certaines nationalités et régions. Par la suite, malgré son implantation dans différentes Communautés autonomes, le PP a toujours gardé une vision restrictive de l’autonomie régionale, réclamant régulièrement la réforme de la Constitution de 1978. Pour le PP, toute proposition d’avancée du modèle autonome, tout projet d’orientation fédéraliste et toute mesure d’amélioration de la gouvernance régionale, constituent une menace contre l’Etat. À partir d’une lecture très restrictive du modèle régional, le PP s’est érigé en défenseur de la lettre de la Constitution, de l’égalité et de l’uniformité territoriale d’un pays pourtant historiquement et culturellement pluriel. La multiplication, ces dernières années, de mesures de plus en plus favorables à l’autonomie de la Catalogne ou du Pays basque. À tel point que la moitié de l’introduction de son texte d’orientation politique, approuvé lors du dernier congrès du parti, est consacrée au développement et à la défense du modèle historique de gouvernement contre tout projet autonomiste. Dans le corps même de ce texte d’orientation, il est exigé que soit mis un terme au développement du modèle autonome. Le parti affiche clairement sa volonté d’entraver les réformes statutaires des Communautés entamées lors des deux dernières années. La réforme statutaire catalane approuvée par référendum régional en juin 2006 a ainsi fait l’objet d’un recours en constitutionalité de la part du PP. Dans ce combat, la défense de la langue espagnole (la langue castillane) est devenue un thème d’opposition. Le parti dénonce ainsi les pratiques scolaires développées en Catalogne, au Pays basque et, dans une moindre mesure, en Galice, qui consistent à enseigner en priorité dans la langue propre à chacune de ces Communautés. Le PP en est arrivé à proposer une loi garantissant l’enseignement et l’usage scolaire de la langue espagnole sur tout le territoire espagnol.
La question de l’autonomie est le principal point de divergence entre le parti populaire et les organisations de droite catalanes et basques. Car si l’on excepte la question territoriale, les positions idéologiques de CiU et le PNV sont proches de celles du PP, même si ces partis présentent un profil plus modéré en matière d’économie et de modernisation de l’Etat.
Conclusion
Cette rapide analyse des principales idées et du programme du Parti populaire permet de penser que la droite espagnole se rattache davantage au conservatisme qu’au libéralisme. S’il se réclame du centre et du réformisme, le PP paraît davantage tourné vers la droite que vers le centre. Les contradictions et les ambiguïtés mises en lumière ici trouvent probablement leur cause dans l’histoire complexe de la droite espagnole, qui a dû s’adapter, sans l’intégrer à son corpus idéologique, à la modernisation démocratique et institutionnelle de l’Espagne.
Ce positionnement a également pour objectif le rassemblement d’une large base électorale allant de la droite au centre. Par ses options stratégiques, par ses aspects idéologiques ou programmatiques, la droite espagnole diffère peu de ses homologues européennes. Le PP entretient d’ailleurs avec les autres partis de droite d’excellentes relations, qu’elles soient bilatérales ou qu’elles s’inscrivent au sein des institutions européennes.
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