Résumé
I.

Introduction

II.

Retour aux fondamentaux de l’agronomie

1.

La France, une exception dans le monde par la quantité et la qualité exceptionnelles de ses terres, avec des climats parmi les plus favorables de la planète

2.

Une mise en valeur progressive et continue des capacités de production

III.

Réduire et maîtriser les risques de pollution des eaux par des techniques toujours plus précises de prévention et de soin

1.

Conduite de la fertilisation azotée

2.

Santé du végétal et qualité des eaux : réduire le développement des bioagresseurs et n’intervenir qu’à bon escient

3.

Réduire la pression des bio agresseurs : les méthodes «prophylactiques» pour limiter l’usage des produits et les risques de fuite dans le milieu

IV.

Qualité des eaux : des résultats tangibles à grande échelle en France et dans l’Union Européenne

V.

Conclusion

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Résumé

Les progrès de l’agriculture ont permis à la France de sortir de sa dépendance à l’égard des importations alimentaires depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale. Cependant, des préoccupations sont apparues à partir des années 1980 quant à l’impact de l’agriculture sur l’environnement et la qualité des eaux. La recherche doit désormais permettre de répondre à ces inquiétudes. En premier lieu, la France apparaît comme disposant d’une agriculture déjà compétitive, grâce à des conditions climatiques favorables et des sols fertiles; trois sources d’innovation, la génétique, les techniques de nutrition minérale (notamment la fertilisation azotée), et la protection des cultures contre les maladies, ont permis d’accroître considérablement nos capacités de production. Mais le mode d’utilisation de ces techniques doit faire l’objet d’innovations, afin de réduire et maîtriser les risques de pollution des eaux. La fertilisation azotée en particulier a des conséquences néfastes sur l’environnement, l’azote apporté en excédent aux plantes étant potentiellement polluant. Les progrès de la recherche ont permis de développer des outils de pilotage qui permettent de mieux doser les quantités d’azote à apporter et les conditions dans lesquelles la fertilisation doit avoir lieu.

En ce qui concerne la protection des végétaux contre les bioagresseurs, une meilleure prise en compte de leur impact sur les eaux a d’ores et déjà conduit à mesurer et maîtriser la présence des pesticides, en particulier des substances herbicides, dans les eaux; les progrès de la recherche permettent désormais d’employer des méthodes prophylactiques visant à limiter à la fois l’usage des produits phytosanitaires et les risques de fuite dans le milieu naturel. A l’échelle de la France et de l’Union européenne, un certain nombre de projets déjà menés montrent l’efficacité de telles méthodes. L’agriculture française est donc en mesure de relever les différents défis auxquels elle fait face, à condition de recourir sans retard à la recherche et aux nouvelles technologies pour améliorer leurs méthodes de production et construire l’agriculture « sobre et performante », respectueuse de l’environnement, dont nos sociétés ont besoin.

Gérard Morice,

Directeur général d’Arvalis - Institut du végétal.

Les progrès de l’agriculture ont permis à la France de relever le défi de l’alimentation posé à la fin de la deuxième guerre mondiale, en devenant progressivement autosuffisante puis exportatrice de produits agricoles et en particulier de céréales. Elle a ainsi répondu aux ambitions du traité de Rome de 1957 et à la mise en œuvre de la Politique Agricole Commune (PAC) en 1962.

Cinq objectifs majeurs avaient été retenus :

– accroître la productivité de l’agriculture par le progrès technique ;

– assurer un niveau de vie confortable aux agriculteurs, notamment par l’augmentation de leurs revenus ;

– stabiliser les marchés ;

– garantir la sécurité des approvisionnements ;

– assurer des prix raisonnables aux consommateurs européens.

En effet, à la fin des années 50, la production agricole ne permettait pas de nourrir les populations françaises et européennes. En matière de céréales, par exemple, l’Europe importait de grandes quantités de blé, principalement en provenance du Canada et des États-Unis. Ce n’est seulement qu’en 1971 que le solde de la balance commerciale agricole et agroalimentaire française a commencé à devenir excédentaire, pour la première fois depuis plus de 50 ans. Mais l’Europe est, elle, restée déficitaire en céréales jusqu’à la fin des années 70. En 1975, l’Europe des 6 présente enfin 97% d’autosuffisance en céréales. Dans les années 2000, l’excédent commercial agricole et agroalimentaire annuel de la France s’élève régulièrement à environ 9 milliards d’euros, dont 5 milliards correspondent aux exportations de céréales françaises. La politique agricole, avec ses mécanismes de régulation des prix, a bien atteint ses objectifs initiaux en terme d’autosuffisance alimentaire et a permis de contribuer à nourrir les pays déficitaires du Maghreb comme l’Algérie, la Tunisie, le Maroc et l’Égypte, mais aussi ceux de l’Afrique de l’Ouest et de la Côte d’Ivoire. La France est devenue ainsi le 2ème exportateur de blé au monde, derrière les États-Unis, avec un atout exceptionnel de régularité des volumes produits chaque année, contrairement à tous les autres pays exportateurs. Au début des années 1980, la conscience des impacts de l’agriculture sur l’environnement et plus particulièrement sur la qualité des eaux s’est développée. La teneur en nitrates des eaux a été une révélation, suite au rapport commandé en 1980 par le Président de la République au professeur Stéphane HENIN. Au fil des années, l’exigence du respect de la nature s’est renforcée, a progressivement été intégrée dans la Politique Agricole Commune et déclinée au niveau national (protection des sols, des eaux) sous forme d’incitations à développer de bonnes pratiques agricoles et environnementales. La Recherche française, Institut National de Recherche Agronomique, Centre d’Étude du Machinisme Agricole, du Génie Rural, des Eaux et de Forêts, et les instituts techniques, se sont mobilisés pour comprendre les phénomènes de transferts des nitrates puis des pesticides dans les eaux. Les résultats acquis ont permis de mettre au point les méthodes préventives et curatives pour garantir une bonne qualité des eaux en France. En 2010, les résultats (cf. rapports IFEN, ONEMA, DRASS de Bretagne…) sont de plus en plus positifs et significatifs. Ces conclusions sont encourageantes, pour une agriculture durable, répondant aux besoins alimentaires croissants d’une population mondiale qui atteindra 9  milliards d’habitants en 2050. Maintenir un niveau de production agricole élevé dans toutes les parties du monde est un objectif affirmé par de nombreuses études, dont notamment «AGRIMONDE» coordonnée par l’INRA. Dans cette perspective, concilier productivité, qualité des produits et environnement est un impératif partagé en premier lieu par les agriculteurs qui vivent dans leurs territoires, les entretiennent et en sont fiers.

Tableau 1 : place de la France parmi les grands pays céréaliers (source : CIC)

II Partie

Retour aux fondamentaux de l’agronomie

1

La France, une exception dans le monde par la quantité et la qualité exceptionnelles de ses terres, avec des climats parmi les plus favorables de la planète

Un climat tempéré sur la plus grande partie du territoire

Le climat de la France est tempéré à dominance océanique grâce à une façade atlantique, portant ses effets loin des côtes, en absence de tout obstacle montagneux. Les hivers et les étés sont relativement modérés par rapport à la latitude (en dehors des zones montagneuses), avec des précipitations régulières et des réserves d’eau, dont les Alpes sont le plus bel exemple, qui irriguent la zone méditerranéenne. Les températures moyennes sont douces (12,5°C), la pluviométrie atteint près de 750 mm, assez bien répartis sur l’année (entre 60 et 130 jours de pluies du Sud au Nord) et il n’y a pas de saison sèche régulière.

Ce climat contraste avec celui des pays voisins, notamment ceux du pourtour méditerranéen ou de l’Europe centrale, soumis à des climats irréguliers et moins favorables à la production de céréales :

– L’Espagne, dont la superficie agricole est voisine de celle de la France en dehors du Nord-Ouest du pays, est soumise à la fois aux climats méditerranéens et continentaux, avec seulement 600 mm d’eau en moyenne et une très grande variabilité, puisqu’il ne tombe que 430  mm à Madrid par exemple. Les températures maximales sont régulièrement élevées et peuvent atteindre 40°C l’été, avec de fortes amplitudes thermiques notamment au centre du pays.

– Les pays du Maghreb, sous influence méditerranéenne, saharienne et semi-désertique, présentent généralement deux saisons contrastées. Des hivers doux (10°C en moyenne à Casablanca, 11°C à Tunis, 5 à 10°C au Caire, 12°C à Tripoli) et humides au cours desquels se concentre l’essentiel des pluies très irrégulières. Elles ne dépassent pas 500 mm au Maroc, 400 mm en Tunisie, 200 mm en Égypte et même 100 mm en Libye. Les étés sont chauds et arides, notamment à l’intérieur des terres, avec des températures maximales dépassant 40°C en absence de pluie. Le nombre de jours pluvieux est généralement inférieur à 60-70 jours par an.

– Les pays de l’Est de l’Europe, tels que l’Ukraine, sont sous influence continentale. Leurs hivers sont longs et rigoureux : ils peuvent durer 4 à 5 mois et la température moyenne en janvier est de -5°C. Leur saison chaude connaît des températures qui avoisinent les méditerranéennes (25 à 30°C) avec une pluviométrie qui ne dépasse pas 650 mm

Des sols fertiles

Les sols de France sont pour la plupart naturellement fertiles. Ils sont profonds, retiennent bien l’eau et sont pourvus en éléments minéraux, comme les sols de limon des plateaux du bassin parisien, la Picardie, la Beauce ou la Normandie, les sols bruns forestiers ou calcaires et les sols des plaines de la Limagne ou d’Alsace. D’autres ont fait l’objet d’aménagements :

– le drainage (éliminer l’eau en excès) est réalisé depuis le xixème siècle et ce très régulièrement jusque dans les années 1980. Il se poursuit actuellement à un rythme moins soutenu, avec une réglementation plus exigeante. Il concerne environ 10% de la Surface Agricole Utile de France, dans les zones humides de l’Ouest, des Landes, de la Brie… ;

– l’irrigation, sous forme de réserves d’eau, de forages avec stations de pompage et des équipements pour permettre d’apporter l’eau nécessaire à la croissance des cultures. Avec 2,7 millions d’ha, 10% de la SAU sont potentiellement irrigables ;

– la mise en valeur des sols, après défrichement et enrichissement, a été permanente depuis le Moyen Âge. Elle a été très dynamique au XIXème siècle, avec la création de nombreuses écoles d’agriculture, et a été poursuivie encore au XXèm siècle, par exemple en Champagne Pouilleuse, qui est passée de terres incultes à des terres céréalières particulièrement productives.

Il faut se rappeler que tous ces aménagements fonciers, de type drainage ou irrigation, ont fait l’objet de vastes opérations collectives avec la mobilisation des organismes scientifiques et techniques (Ministère de l’agriculture, INRA, Instituts techniques, Chambres d’agriculture). Ils ont permis, grâce à l’agronomie, de mettre au point, tester et développer toutes les techniques de cultures.

La plus grande surface cultivée d’Europe

La Surface Agricole Utile (SAU) de la France couvre environ 50% du territoire national (27,6 millions d’ha sur un total de 55 millions), juste devant l’Espagne, avec ses 25 millions d’ha. L’hexagone possède ainsi le plus grand territoire agricole européen et son agriculture prend de ce fait, une place de premier plan au niveau mondial, face à des pays d’importance territoriale plus vaste. Toutefois, la SAU française diminue régulièrement depuis 1920. La baisse est de l’ordre de 5 millions d’ha depuis les années 50. Cette déperdition s’est accélérée ces dernières décennies, non pas par «abandon» des terres, mais sous l’effet de l’urbanisation, des infrastructures routières et de l’extension des forêts. Cette «perte» correspond à la surface française de blé en 2010.

Tableau 2 : Surface Agricole Utile

Source :

Ambassades, FAO et Eurostat. Remarque : l’Australie se distingue par une forte proportion de prairies dans la SAU, les terres «arables» représentant une très faible part de celle-ci

Une agriculture professionnelle

La recherche-développement conduite par l’INRA, les Instituts Techniques et les organismes de développement (Chambres d’agriculture, organismes économiques…), mais aussi des formations organisées et performantes, ont contribué, et ce encore, à la valorisation des atouts naturels de la France agricole et à l’essor de l’agriculture. La production agricole en général, et céréalière en particulier, est ainsi devenue le fait de techniciens, puisque le nombre d’agriculteurs représente aujourd’hui en France moins de 2% de la population active totale. Les céréales sont principalement cultivées sur des exploitations professionnelles, notamment spécialisées en grandes cultures (environ 77.000 sur un total de plus de 500000 exploitations). 40% d’entres elles sont exploitées sous forme sociétaire. La surface moyenne de ces terres n’est que de 108 ha, ce qui reste faible comparativement à de nombreux autres pays exportateurs.

Une productivité par hectare élevée et régulière, permise par la fertilité des terres et le climat tempéré

Face à une population qui a augmenté de 60% depuis 1950 (source INSEE) pour atteindre plus de 64 millions d’habitants en 2008, l’agriculture a su accroître ses capacités de production et ses rendements pour servir le marché français puis les marchés extérieurs. Avec en moyenne 35 millions de tonnes de blé et plus de 14 millions de tonnes de maïs produites régulièrement chaque année, la France représente plus de 25% du blé et du maïs européen et 20% de l’orge. Elle est le 1er producteur de blé de l’UE des 27 et le 5ème producteur mondial. L’hexagone est aussi le 1er exportateur européen de céréales (50% de la production de céréales est commercialisée hors de son territoire) et le 2ème exportateur mondial de blé (source France Agri Mer et CIC).

Graphique 1 : courbes d’évolution des rendements du blé tendre d’hiver et du maïs grain

La productivité française est très élevée : il faut seulement 13.5 ha pour produire 100 t de blé en 2008 contre 55 ha en 1950 (statistiques France Agri Mer). Les rendements en blé sont aujourd’hui de 7.2 t/ha (moyenne des 5 dernières années, source France Agri Mer) contre une moyenne mondiale de 2.9 t/ha (2.8 t/ha en Ukraine, 2.5 t/ha au Canada, 2.8 t/ha aux États-Unis). 9 tonnes /ha de blé peuvent être atteints fréquemment dans les plaines céréalières. Quant au maïs, le rendement moyen de nombreuses régions (Alsace, Landes) atteint 10 tonnes /ha. Les courbes de rendement par ha du blé et du maïs permettent d’illustrer, la valorisation des atouts de la France et l’importance du progrès technique, dans l’augmentation de la productivité. Les rendements des céréales ont progressé d’environ 1 quintal par ha et par an, entre 1950 et 2010 (source enquêtes SCEES). Pour le blé, depuis le début des années 2000, sous l’influence notamment des stress climatiques et de l’évolution des techniques culturales, cette évolution semble ralentir. Des recherches ont été initiées afin d’adapter les variétés et les techniques à ces nouvelles conditions.

Au-delà de la valeur absolue des rendements français, la régularité des productions constitue une différenciation par rapport aux grands pays exportateurs

Tableau 3 : performances de la France par rapport aux grands pays exportateurs

2

Une mise en valeur progressive et continue des capacités de production

Trois sources d’innovations et de progrès, induisant des risques variables sur la qualité des eaux

Les bonnes performances de rendement proviennent pour au moins 50% du progrès génétique, qui n’a évidemment pas d’impact direct sur les risques vis-à-vis de la qualité des eaux, et pour 50% de l’amélioration des pratiques culturales (amélioration de la nutrition, de la protection des cultures). Ce dernier volet implique le recours à des engrais de synthèse, mais aussi des fumiers, des lisiers et des produits phytosanitaires, qui, selon leur emploi, sont plus ou moins susceptibles de contaminer les eaux profondes ou superficielles. La qualité des céréales, en constante amélioration, doit aussi beaucoup à l’évolution variétale et à l’adaptation des pratiques culturales (modalités d’apports d’azote et protection sanitaire).

• Valoriser un progrès génétique constant : La génétique, ou sélection de nouvelles variétés, est très innovante en France et cela grâce aux obtenteurs privés. La création variétale est en

Graphique 2 : Évolution des surfaces par type de variété de blé cultivé

Source :

CNIGC / Enquête Répartition Variétale 2008 Qualité des blés français 2008 – Copyright © CNIGC / ARVALIS – Institut du végétal

effet le fait de 18 entreprises privées pour les céréales à paille et 11 pour le maïs. Ces dernières consacrent entre 8%, pour les céréales à paille, et 15%, pour le maïs, de leur chiffre d’affaires à la recherche (source Groupement National Interprofessionnel des Semences, GNIS). Après l’inscription des variétés, de nombreux essais sont réalisés par les instituts techniques et les organismes collecteurs, afin d’adapter à chacune d’entre elles la bonne conduite culturale et de les valoriser au mieux, dans chaque bassin de production. La procédure d’inscription permettant la mise en marché d’une nouvelle variété est rigoureuse. Elle implique des organismes officiels et des représentants de la profession (sélectionneurs, producteurs, utilisateurs et instituts techniques). Les variétés candidates à l’inscription sont soumises à des évaluations strictes par le Comité Technique Permanent de la Sélection (CTPS), créé en 1942, qui est chargé de la politique française en matière de variétés, semences et plants. L’évaluation portant sur trois séries de critères :

– la valeur agronomique  : rendement, résistance aux maladies et parasites, adaptation au milieu ;

– la valeur technologique : par exemple pour le blé, teneurs en protéines, aptitude à la panification ;

– la distinction, l’homogénéité et la stabilité de la variété permettant son identification. Les variétés de qualité sont favorisées puisque, pour l’inscription, il est exigé des performances de rendement supérieures pour celles qui ont une moins bonne qualité boulangère. Ces critères d’inscription évoluent  : la réglementation basée sur la notion de VAT (Valeur Agronomique et Technologique) introduit maintenant la notion de VATE (E pour environnement), visant à favoriser le référencement de variétés plus respectueuses de l’écologie, en priorité au regard de la qualité des eaux.

• Maîtriser la nutrition minérale pour limiter les risques de pollution des eaux :

En matière d’alimentation minérale, la production est essentiellement liée à 3 éléments majeurs : l’Azote (N), le Phosphore (P) et le Potassium (K). Les autres éléments minéraux (soufre, magnésium, oligo-éléments) sont nécessaires mais ne présentent pas un impact aussi important. Le blé et le maïs consomment environ 35% des engrais minéraux N P K utilisés en France comme en Europe. Si les premières formalisations des recherches sur la nutrition des plantes ont vu le jour principalement à partir de la 2ème moitié du XIXème siècle (travaux de Liebig, Boussingault), c’est à partir des travaux conduits depuis le début des années 50, et surtout à partir de 1970, que les concepts utilisés aujourd’hui ont vu le jour et ont été rendus progressivement opérationnels. Par ailleurs, suite à la crise pétrolière de 1973, qui a renchéri considérablement le prix des engrais de synthèse, et face à la montée des préoccupations environnementales, la profession agricole et la recherche se sont regroupées et ont créé le « Comité français de la fertilisation raisonnée ». Le COMIFER regroupe les différents spécialistes français. Son objectif est d’acquérir et de partager des modèles expérimentaux, et de développer les méthodes de raisonnement de la fertilisation, en vue de l’optimiser. Quelques points fondamentaux sur la nutrition azotée sont à la base des méthodes de fertilisation et des pratiques actuelles :

– L’azote est un élément naturel indispensable pour la vie des plantes dont il structure les cellules et les protéines. Cette forme minérale est la principale absorbée par les plantes alors que l’azote du sol est essentiellement organique (à plus de 95%)  : humus, résidus des végétaux, effluents d’élevage. Il doit être décomposé en azote minéral (minéralisation) par les micro-organismes du sol, afin de devenir disponible pour les végétaux et assurer leur croissance. C’est donc la forme minérale qui est à la base de la fertilisation.

– L’azote minéral disponible, ou apporté, peut également être entraîné loin des racines des plantes par les eaux de drainage (lessivage), notamment quand le sol est nu et que les pluies sont abondantes. Des dégagements gazeux dans l’atmosphère (N2O, NH3) peuvent être observés.

– L’azote a un effet direct sur la production, les besoins des céréales en azote étant considérables. À titre d’exemple, produire une tonne de grain nécessite en moyenne l’absorption de 30 kg d’azote pour le blé et 21 kg pour le maïs. L’absence d’apport d’azote entraîne une chute de production de 30 à 60%, quelque soit l’espèce végétale concernée.

– Mais l’azote a également un effet direct sur la qualité des grains. Pour obtenir un blé de bonne qualité boulangère, le grain doit posséder une teneur en protéines suffisante, en général plus de 11,5%. Il est nécessaire de bien choisir la variété, mais aussi d’assurer une fertilisation azotée adaptée en dose et en répartition.

– Les apports d’engrais azoté minéral ne sont réalisés que dans les phases actives de croissance des plantes et sur la base d’un raisonnement de plus en plus précis, visant à satisfaire les besoins quantitatifs et qualitatifs des céréales.

Au-delà de ces éléments fondamentaux, ce n’est que dans les années 1970/80, que l’identification et la quantification des nitrates dans les eaux sous culture de blé, maïs et prairies ont été réalisées. 

• Maladies, ravageurs et mauvaises herbes : protéger les cultures en évitant les fuites de produits dans les eaux

La protection des cultures est, avec la fertilisation azotée, un des piliers de la productivité, qu’il s’agisse de la lutte contre les mauvaises herbes, contre les maladies et contre les ravageurs.

Les mauvaises herbes, lorsqu’elles infestent une parcelle cultivée, entraînent une concurrence accrue vis-à-vis de la lumière et des éléments nutritifs, comme l’azote, et limitent considérablement le rendement. Par ailleurs, la présence de graines d’adventices dans les récoltes de céréales entraîne un risque commercial pouvant aller jusqu’au refus d’achat, selon les normes limites d’impuretés. Cela accroît également le stock de graines dans le sol et donc les infestations les années suivantes. La présence de mauvaises herbes occasionnerait au niveau mondial (source FAO août 2009) 95 milliards de dollars de pertes de production, soit l’équivalent de 380 millions de tonnes de blé, plus de 50% de la production mondiale. Les écarts constatés entre une parcelle témoin et un désherbage maîtrisé peuvent dépasser 20 q/ha sur les céréales en France (source ARVALIS). Leur maîtrise est donc indispensable. Avant l’apparition des herbicides, la lutte contre les mauvaises herbes s’effectuait de façon mécanique voire manuelle. Pour limiter leur recours, un désherbage efficace doit être raisonné durant toute la succession des cultures, et inclure les différentes techniques culturales (travail du sol, binage mécanique, technique de faux semis). Son objectif est de semer la culture sur un sol propre et de limiter très tôt la concurrence éventuelle des mauvaises herbes. Toutefois, les herbicides posent deux types de questions : leurs molécules se retrouvent très souvent dans les eaux et des mauvaises herbes deviennent résistantes à certaines substances chimiques.

L’absence de maîtrise de la protection contre les maladies des céréales en France peut entraîner des pertes variant de 10 à 30 quintaux par hectare selon les années (ARVALIS 2008). Outre l’impact sur les rendements, les maladies affectent également la qualité du grain (grains fusariés, cariés, cassés…) et peuvent être à l’origine, dans certaines situations culturales et climatiques, du développement de toxines, ou mycotoxines, pouvant rendre la récolte non commercialisable. Une parfaite maîtrise des maladies sur les céréales à paille et le maïs se révèle obligatoire. De nombreux progrès ont été accomplis dans ce domaine pour ne traiter qu’en cas de risque avéré : modélisation de l’apparition des maladies, évaluation des risques pour les cultures, mise au point des moyens combinés de lutte. L’utilisation de variétés peu sensibles est une pratique utilisée mais qui ne peut, à elle seule, régler toute la question, aucune plante n’étant résistante à toutes les maladies. L’usage raisonné de produits phytosanitaires reste donc une solution fiable. En cas de danger déclaré, leur utilisation peut permettre des gains de production importants, grâce à un bon choix des produits, de leur date et de leur dose d’application. Il faut noter que les fongicides, appliqués sur des plantes en croissance qui couvrent déjà largement le sol, sont rarement retrouvés dans les eaux.

III Partie

Réduire et maîtriser les risques de pollution des eaux par des techniques toujours plus précises de prévention et de soin

1

Conduite de la fertilisation azotée

Une fertilisation azotée précise, permettant à la plante d’exprimer tout son potentiel sans risque sur l’environnement, est basée sur des principes simples :

– l’idée n’est pas de « faire pousser » une plante grâce à une fertilisation élevée, mais de lui fournir la quantité d’azote dont elle a besoin, en fonction de son rendement accessible ;

– les sols, les engrais de ferme, comme les fumiers et lisiers, libèrent naturellement de l’azote. La fertilisation minérale doit donc viser à apporter la différence entre les besoins de la plante et cette fourniture du sol (notion de «bilan») ;

– cette fumure doit être apportée au moment où la plante en a besoin dans son cycle de production. Sinon, elle sera au mieux inefficace, au pire polluante pour les eaux ;

– seul l’azote apporté en excédent est potentiellement polluant : il faut donc éviter la «surfertilisation».

Inversement, réduire la fumure en deçà des besoins ne présente pas d’intérêt environnemental  : une plante peu ou pas alimentée en azote ne pollue pas moins qu’une autre fertilisée à l’optimum. (cf. figure ci-dessous) Toutefois, l’application concrète de ces principes simples se heurte à de réelles difficultés techniques :

Graphique 3 : Les effets de la fertilisation azotée

Source :

ARVALIS – Institut du végétal

– Ajuster les apports aux besoins suppose que l’on puisse prévoir le rendement de la culture, alors que ce dernier varie et ce, en particulier selon le climat de l’année.

– De même, les fournitures du sol dépendent des conditions atmosphériques (plus ou moins favorables à la minéralisation) et des pratiques culturales.

C’est pour surmonter ces difficultés, et éviter une surfertilisation « de sécurité  », que la recherche a mis au point des outils de pilotage. Ils ont d’abord servi à prévoir, avec une faible marge d’erreur, les « termes du bilan » (besoins des plantes, azote disponible dans le sol), et plus récemment à ajuster, chaque année en cours de campagne, les apports en fonction du déroulement de la culture. Ces efforts ont été couronnés de succès : les apports d’azote plafonnent en France sans pénaliser le rendement (cf. figure ci-dessous).

Pour cela des expérimentations spécifiques ont été menées principalement par les instituts techniques, l’INRA et le Cemagref à partir des années 1980. Ces dispositifs de plein champ étaient de deux types :

Graphique 4 : Évolution de la production de céréales et de colza en regard des livraisons d’azote minéral

Source :

Ministère de l’Agriculture et de la Pêche (Scees – Agreste) – Union des industries de la fertilisation (Unifa)

• parcelles équipées de cases lysimétriques (dimensions environ 1 m2 sur 50 cm à 2 mètres de profondeur) permettant de quantifier l’importance des infiltrations d’eau dans un sol donné et de la récupérer pour l’analyser (nitrates, produits phytosanitaires) ;

• parcelles de taille «agricole», équipées d’un réseau de drainage en profondeur et de pièges à eau de ruissellement en surface. Ces collecteurs permettent de récupérer dans une chambre de mesure souterraine, l’ensemble de l’eau percolant en profondeur ou ruisselant en surface. On peut alors en mesurer les quantités, les débits en temps réel et prélever des échantillons représentatifs en vue de relever tous les éléments chimiques contenus (nitrate, phosphore, phytosanitaires).

– C’est sur ces dispositifs que la plupart des références actuelles, concernant les nitrates, ont été établies. Elles peuvent être résumées ainsi  : une restriction azotée, par rapport aux besoins des plantes, ne limite pas les risques de pollution par les nitrates et fait courir un risque en matière de rendement mais aussi de qualité. Le Danemark l’a «testé» puisqu’une réduction des apports d’engrais azotés de 10% en dessous de l’optimum a été imposée. La conséquence en a été une réduction des rendements aussi bien en orge qu’en blé et un recul qualitatif. Ils sont passés d’une qualité meunière à des productions ne servant plus qu’à l’alimentation du bétail. Le Danemark doit importer 80 % de ses besoins pour sa production de pain.

– Le lessivage des nitrates se fait surtout en automne ou début d’hiver, si le sol est trop riche en azote, s’il n’est pas couvert par la végétation et si la pluie est abondante. Cet entraînement est plus important dans les sols filtrants et quand l’activité biologique est forte (transformation de l’azote organique en azote minéral par les bactéries du sol).

– La pollution par les nitrates peut aussi être d’origine naturelle à cause de la minéralisation de la matière organique du sol. À ce titre, l’agriculture biologique n’est pas synonyme de risque 0 puisqu’il n’est pas possible de contrôler la minéralisation de l’azote organique.

– Le temps de latence est important entre le départ de l’excès de nitrates en surface et son arrivée dans les nappes, effet variable selon le type de sol mais qui peut dépasser 10 ans. Inversement, une meilleure gestion d’azote demande des années avant de déceler son impact favorable sur la qualité des eaux.

– La présence d’une végétation couvrant le sol à l’automne et en début d’hiver permet de limiter les lessivages de nitrates. L’association entre la fertilisation azotée raisonnée et la couverture du sol à cette période, par des cultures pièges à nitrates (Cipan), permet de limiter fortement les risques de pollution tout en assurant une nutrition optimale des cultures. C’est dans cette perspective que la réglementation française exige à terme de 2012, la couverture des sols à l’automne.

Améliorer la prévision des postes du bilan entre besoins et apports

La détermination de la dose totale d’engrais azoté à apporter est réalisée juste avant que la céréale n’entre en phase intense d’absorption d’azote, généralement à la fin de l’hiver pour le blé. Elle est obtenue sur la base d’hypothèses portant sur la production présumée de la parcelle et sur la dynamique de fourniture d’azote par le sol. Afin d’améliorer la pertinence du calcul, une mesure du stock d’azote minéral déjà disponible à la fin de l’hiver (« reliquat azoté ») est réalisée dans de nombreuses régions. Il en est fait 80000 chaque année en France.

Sur ces bases techniques et avec les mêmes références, de nombreux Outils d’Aides à la Décision (OAD) ont été élaborés par des Instituts (ARVALIS, INRA, CETIOM) et des entreprises du secteur des engrais, pour permettre aux agriculteurs de calculer leur dose prévisionnelle de fertilisants. Plus de 2,5 millions d’hectares, toutes cultures confondues, font en 2010, l’objet d’une estimation de la dose prévisionnelle d’engrais azoté à l’aide de ces outils. Ce chiffre est sous-estimé dans la mesure où il ne représente pas ceux qui ont effectué leur spéculation sans faire appel à des OAD. Différentes enquêtes montrent que plus de 85% des agriculteurs interrogés déclarent utiliser la méthode du bilan prévisionnel, pour déterminer la dose d’engrais azoté sur leurs parcelles de blé tendre.

Ajuster les apports d’engrais en fonction du déroulement de la campagne : condition nécessaire pour concilier nutrition optimale des plantes et limitation des fuites de nitrate vers les eaux

Pour préciser la dose prévisionnelle d’engrais azoté calculée en début de campagne et définir les dates d’apport de l’engrais, le suivi du statut azoté de la culture a été mis au point. Il permet d’anticiper les périodes de carences et d’appliquer l’engrais uniquement si nécessaire. Sept outils sont actuellement disponibles et utilisés en France. Le premier d’entre eux (JUBIL) a été créé en 1995 par l’INRA et ARVALIS. Cette méthode repose sur la mesure de l’état de nutrition du blé, par dosage colorimétrique du nitrate contenu dans le jus prélevé au bas de la tige. Ce premier procédé exigeait de parcourir chaque parcelle, d’une moyenne de 10 hectares, en prélevant régulièrement des tiges de blé. Le principe des différents outils qui ont suivi est resté le même, mais les capteurs qui «auscultent» la plante ont changé. Son dosage de nitrate est obtenu par des mesures de radiations, par transmittance, fluorescence ou réflectance à l’aide d’un capteur portable. Il n’y a plus de manipulation de plante, mais une «simple» mesure de rayonnement, associée à un modèle donnant le statut azoté de la culture, et donc évaluant un éventuel besoin d’azote. Les instruments disponibles se différencient également par la méthode de mesure. Les outils «ponctuels» analysent une plante ou un faible nombre de plantes (Jubil, Ramses, N tester), et permettent donc peu de calculs dans chaque parcelle : c’est le principe de l’échantillonnage. Les «surfaciques» servent à réaliser un diagnostic sur la surface entière de la parcelle à l’aide de capteurs embarqués, soit sur une machine agricole (N-SENSOR© mis au point par la société YARA), soit sur un satellite. La technologie Farmstar, télédétection par satellite, présente l’avantage d’éviter tout déplacement d’un technicien ou de l’agriculteur pour échantillonner chaque partie du champ. Elle fournit des informations point à point, par une représentation cartographique de son état, permettant ainsi une modulation intra-parcellaire et des apports d’engrais (cf. fig. ci-dessous). Farmstar donne également des conseils à l’échelle d’une aire de collecte et pour plusieurs cultures de l’exploitation : blé tendre, blé dur, orge d’hiver et colza. Cette technique propose également de nombreuses approches multidiagnostics qui se traduisent par des conseils opérationnels  : risque de verse, de maladies, estimation des rendements et des critères de qualité… 650.000 ha ont fait l’objet d’un pilotage de l’azote en cours de campagne en 2010, toutes méthodes confondues. Le couplage « méthode prévisionnelle du bilan azoté » et «pilotage» permet, par des contrôles a posteriori, la trouvaille de la juste dose dans plus de 2/3 des situations.

Améliorer les techniques d’apport

L’azote épandu sur les cultures peut être soumis à des phénomènes de pertes, préjudiciables à la rentabilité des apports et pouvant avoir des conséquences environnementales (lessivage vers les eaux et libération de composés azotés dans l’air). Outre la détermination de la bonne dose à apporter, les techniques d’application des engrais ont été affinées pour maximiser l’efficacité des dépôts :

• Le fractionnement des apports Les besoins en azote des céréales progressent au cours du cycle de la culture. L’optimisation des apports implique de les fractionner en fonction des besoins. Par ailleurs, certains débouchés exigent des teneurs élevées en protéines dans les grains accessibles, et ce seulement avec des variétés adaptées et des dépôts tardifs en azote. Peu développé dans les années 1970, le fractionnement des apports a beaucoup progressé : il atteint voire dépasse trois apports sur blé d’hiver.

• La technique d’application de l’engrais La technique d’application de l’engrais peut permettre de minimiser les gaz ammoniacaux si l’on procède par enfouissement, au lieu de l’épandre en surface. Elle peut être envisagée sur le maïs. Par ailleurs, la prise en compte des conditions météorologiques pour ajuster les dates d’apports est primordiale : en période trop sèche, les apports d’engrais seront difficilement valorisés, s’ils ne sont pas suivis par un minimum de pluie.

Toutes ces techniques modernes intègrent progressivement les pratiques des agriculteurs. L’effet sur la qualité des eaux, est plus lent compte tenu de l’inertie du milieu, mais des progrès sont constatés pour les eaux de surface. Sur 1627 points de mesures des nitrates dans les eaux de rivières réalisés en 2007, seulement 13 présentaient des teneurs supérieures à 50 mg/l (Source IFEN 2010). Très probablement, les progrès obtenus dans les eaux de surface toucheront également les eaux souterraines.

2

Santé du végétal et qualité des eaux : réduire le développement des bioagresseurs et n’intervenir qu’à bon escient

Comprendre et maîtriser la présence des pesticides dans les eaux

Dès 1992, notamment sur le site de La Jaillière en Loire Atlantique, des travaux ont été engagés dans la recherche des voies de transfert des produits phytosanitaires, dans les eaux de surface et profondes. L’objectif était d’anticiper les problèmes pour comprendre les phénomènes et élaborer des techniques préventives et curatives pour une bonne qualité des eaux. À noter au préalable la difficulté de ces travaux, dès lors qu’il s’agit de détecter dans les eaux sortant de surfaces agricoles, des quantités de produits chimiques de l’ordre du centième du microgramme (µg), la norme de potabilité étant de 0,1 µg/l. Des problèmes méthodologiques considérables étaient rencontrés : échantillonnage, moyens de détection et de quantification spécifiques, interprétation des données. Les premiers résultats ont été obtenus en 1994. Depuis, d’autres sites d’étude des transferts de produits phytosanitaires ont été équipés : Sud-ouest, Charente, vallée du Rhône, Sundgau en Alsace et en Champagne. Les données acquises sur ces dispositifs ont permis de comprendre et quantifier les phénomènes de transfert par drainage, ruissellement ou infiltration des pesticides vers les eaux. Elles ont également permis de tester et de mettre au point des solutions de prévention et de correction efficaces : les bandes enherbées le long des cours d’eaux (zones couvertes en permanence de végétation entretenue), le changement de produits ou de période de traitement et la réduction des doses appliquées pour certains herbicides.

Les principales conclusions opérationnelles sont les suivantes :

• Les pollutions ponctuelles sont beaucoup plus importantes que les pollutions diffuses. Elles peuvent être définies comme de graves pollutions en un point donné facilement identifiable, soit à la ferme, soit en un point fixe au champ : vidange d’un fond de pulvérisateur, renversement d’un bidon ou débordement d’une cuve de pulvérisateur, en cours de remplissage. Une pollution diffuse au champ, lors de la pulvérisation, est plus difficile à cerner, à identifier et à maîtriser. On estime que la pollution des eaux est à plus de 70% d’origine ponctuelle, c’est-à-dire au siège de l’exploitation (études allemandes et belges, estimations anglaises et françaises). Liée principalement à des erreurs de manipulation de produits lors de la préparation des traitements, la maîtrise de ce type de pollution passe par des améliorations simples. À titre d’exemple :

– aménager un local de stockage des pesticides aux normes, avec registre des allers et venues des produits ;

– prévoir un système de remplissage des pulvérisateurs muni de système anti-retour vers le réseau d’eau, évitant une pollution accidentelle de l’eau ;

– aménager des aires de nettoyage des matériels agricoles sécurisées ;

– organiser la collecte des restes de produits non utilisés, des emballages vides (70% des emballages vides étaient collectés en 2009 en France par Adivalor).

Depuis plusieurs années, les Instituts Techniques Agricoles ont formalisé une méthode de diagnostic et de démarche préventive des risques de pollutions ponctuelles, «AQUASITE». Le CRODIP en Bretagne, par exemple, coordonne et promeut sa réalisation au siège des exploitations. Fin 2007, plus de 1.500 avaient réalisé ce diagnostic et 2000 pulvérisateurs avaient été contrôlés.

• Les transferts diffus de produits phytosanitaires sont très faibles par rapport aux doses de produits appliquées (souvent moins de 1% est entraîné). Ils peuvent se produire selon les types de milieux, soit par ruissellement de surface, soit par entraînement en profondeur par les eaux de drainage (cf. figure ci dessous).

Graphique 5 : Importance relative de transferts, ordre de grandeur des “fuites”

Source :

Résultats expérimentaux Arvalis

• Ce sont principalement les substances herbicides (souvent appliquées en début de végétation des cultures) que l’on est susceptible de retrouver dans les eaux. Mais toutes les matières actives n’ont pas le même comportement et un grand nombre d’entre elles ne sont jamais détectées dans les eaux. De plus, il n’est pas possible d’identifier les risques liés à chaque molécule selon ses caractéristiques intrinsèques.

• Le sol agit comme un filtre biologique en assurant la dégradation des produits phytosanitaires. En même temps, il est capable, grâce au complexe argilo-humique, de les immobiliser. Ces deux propriétés lui confèrent un rôle prépondérant sur le devenir des produits après leur application. Dans certains cas, les entraînements de produits sont liés à la dose appliquée, mais ce n’est pas une règle générale et des typologies de comportement sont en cours d’étude.

• Le plus souvent, les matières actives appliquées, pendant les périodes d’écoulement d’eau intenses (automne et hiver), semblent plus fréquemment transférées que celles déposées au printemps/été. Toutefois, dans les sols fissurés par les sécheresses, comme l’argile, les transferts peuvent être occasionnés par les pluies orageuses.

Le type de travail du sol peut interagir avec les phénomènes de transfert. Par exemple, les techniques simplifiées (travail du sol sans labour) qui accumulent les matières organiques en surface, peuvent contribuer à immobiliser et dégrader les matières actives. Des typologies et des conseils par milieu ont été publiés (source REAL 2008).

• Le positionnement de bandes enherbées d’au moins 6 m de large en bordure de parcelles, limite le ruissellement de l’eau de surface et les transferts de produits phytosanitaires de plus de 70%. Celles de 10 m de large les réduisent de plus de 80%. Elles permettent également de retenir les entraînements de phosphore en suspension dans l’eau de ruissellement.

3

Réduire la pression des bio agresseurs : les méthodes «prophylactiques» pour limiter l’usage des produits et les risques de fuite dans le milieu

Les connaissances acquises permettent de mettre en œuvre des solutions préventives et correctives qui limitent les risques de développement des mauvaises herbes, des maladies ou des ravageurs et donc de devoir recourir aux produits phytosanitaires.

– Pour les mauvaises herbes, il s’agit par exemple de limiter leur développement par un choix judicieux des successions de cultures (comme l’introduction de cultures de printemps dans les rotations à base de culture d’hiver), et par des choix culturaux pendant l’interculture. Le principe est de favoriser leur levée précoce par un déchaumage approprié et ensuite de les détruire mécaniquement avant le semis de la céréale. Semer dans un sol propre permet à la plante cultivée un démarrage rapide et une puissance d’étouffement des mauvaises herbes. Il faut également limiter la montée à graine des adventices en particulier dans les bords de champs, fossés mais aussi au milieu des parcelles (destruction ciblée avant mise à graine).

– Pour les parasites, la rotation peut également rompre le cycle de certains d’entre eux et limiter leur développement. Le choix de la variété peut aussi contribuer à limiter les risques.

– Pour les maladies, il est judicieux de sélectionner des plantes en tenant compte des maladies dominantes dans la région. Cela peut limiter l’usage des produits de traitement, même si les fongicides sont moins concernés dans le domaine de la qualité de l’eau. La date et la densité de semis jouent également un rôle dans la gravité des attaques fongiques, ainsi que la présence de «réservoirs» favorisant la multiplication des champignons (exemple du mildiou de la pomme de terre, favorisé par les repousses des campagnes antérieures).

Ces méthodes prophylactiques, le plus souvent, ne permettent pas de se dispenser totalement des traitements. Le traitement raisonné permet de limiter le recours aux produits phytosanitaires. Ne traiter qu’en cas de nécessité suppose des systèmes d’alerte performants à la région mais surtout à la parcelle. De tels systèmes se développent pour les maladies et parasites. Au plan collectif, des réseaux de surveillance des cultures, portant sur l’ensemble des nuisibles observables, centralisent les informations sur une base de données régionalisée et permettent d’alerter les producteurs par le biais d’un site internet d’accès gratuit. Ce « bulletin de santé du végétal » est désormais accessible dans toutes les régions françaises, sous l’égide du Ministère de l’Agriculture. Les instituts techniques, les Chambres d’agriculture, les coopératives et négoces contribuent conjointement à sa réalisation. Les instituts « grandes cultures » ont équipé la plupart de ces régions d’un outil informatique de saisie et de traitement des observations, utilisé sur plus de 10.000 parcelles, (vigicultures®).

Des moyens plus individuels, et donc plus précis « à la parcelle » sont également disponibles. Ils sont basés non plus sur des observations, mais sur des modèles épidémiologiques qui simulent le développement d’une maladie, selon la variété, la date de semis, de plantation, et du climat de l’année. Ils donnent en temps réel, à l’agriculteur, une information lui permettant de prendre une décision. «Mileos»© donne quotidiennement, par exemple, aux producteurs de pommes de terre une évaluation du risque mildiou, qu’il reçoit automatiquement par SMS et sur son ordinateur. 60000 ha de pommes de terre bénéficiaient en 2009 de cette technologie, soit un impact sur plus de 40% des surfaces de pomme de terre.

IV Partie

Qualité des eaux : des résultats tangibles à grande échelle en France et dans l’Union Européenne

Les techniques issues des travaux de recherche présentés ci-dessus ont été mises en œuvre dans un certain nombre de bassins versants au cours des dernières années et ont donné rapidement des résultats très positifs. Actuellement, une quinzaine d’opérations de ce type sont conduites dans différentes régions.

La démarche consiste à :

– faire un point zéro sur la qualité des eaux, l’hydrographie, les types de sols, les cultures, les équipements, les pratiques agricoles comme non agricoles ;

– élaborer, avec les acteurs de la région, agriculteurs, coopératives, négoces, Chambres d’agriculture, un plan d’actions adapté aux risques et aux problèmes identifiés à la fois dans et hors du monde agricole ;

– mettre en œuvre le plan d’action en formant les acteurs concernés notamment aux outils de diagnostics, formalisés : «Aquasite» pour pollutions ponctuelles, «Aquaplaine» et «Aquavallée» pour les pollutions diffuses ;

– mesurer en continu les progrès réalisés et les partager.

Deux exemples illustrent ces démarches :

• Le cas de la Fontaine Du Theil (Ille et Vilaine, Bretagne)

Ce bassin versant parcouru par un ruisseau est de taille limitée (136  ha) comportant 120  ha de SAU et 20 exploitations agricoles cultivant du maïs, des céréales et des prairies. Au début de l’action, 77% des 2000 prélèvements d’eau montraient des teneurs en pesticides et près de 5% dépassaient la norme de 0,1 µg/l. Les actions mises en place de façon volontaire pour obtenir une meilleure qualité de l’eau ont concerné :

– l’aménagement : au départ, près de 55% du linéaire de ruisseau était laissé à sa vulnérabilité. En 2005, l’ensemble des abords était protégé par l’enherbement ;

– l’équipement des pulvérisateurs a été amélioré : ajout d’une cuve de rinçage et utilisation de buses à dérive limitée pour une majorité des appareils. Cette évolution du matériel a été accompagnée par une formation sur les bonnes pratiques agricoles et de pulvérisation ;

– La réduction de plus de 50% des quantités de produits appliqués.

Au bout de 7 ans, 95% des prélèvements ne montraient plus aucune trace de produits phytosanitaires et moins de 1% des prélèvements dépassaient la norme de potabilité.

• Le cas du Bassin du Péron (Aisne, Picardie)

Il s’agit d’un projet de plus grande ampleur puisqu’il concerne 14.000  ha et 76 agriculteurs. L’objectif poursuivi était d’améliorer l’ensemble des critères de la qualité de l’eau à la fois dans la rivière « le Péron » et dans la nappe de la craie où se situaient les exploitations. Tous les acteurs de terrain (coopératives, instituts techniques, Chambres d’agriculture) se sont mobilisés dans cette opération et des financements départementaux, régionaux et européens ont soutenu le programme. Lancé en 2004, ce plan a porté ses fruits dès 2007. On a tout d’abord observé que sur les 14000 ha du bassin concerné, seulement 364 présentaient des risques de transfert vers les eaux (soit 2,7% de la SAU). C’était donc sur ces surfaces qu’il fallait se concentrer. Dès le départ, 60% des agriculteurs se sont fortement impliqués dans l’action. Une centaine d’aménagement ont été réalisés en peu de temps : 38 aires de remplissage des pulvérisateurs, 31 locaux phytosanitaires, 30 dispositifs de récupération des eaux de lavage, 7.000 mètres d’aménagement paysagers (haies, bosquets…), installation de bandes enherbées et de dizaines d’hectares de cultures pièges à nitrates. Dans le même temps, les outils de pilotage des cultures par la technologie Farmstar, pour ajuster les apports de fertilisants et identifier les risques culturaux, étaient mis en œuvre par tous les agriculteurs. Deux ans après le lancement du projet, les résultats concernant la qualité des eaux étaient très satisfaisants et en nette amélioration. La mesure globale de progrès par Indice de Biodiversité Générale Normalisé (élaboré par la DIREN) indiquait une progression de 2 à 5 points, sur une échelle de 20, selon les stations de mesures du bassin. Sur l’ensemble du pays, plus de 800.000 ha ont été diagnostiqués à ce jour sur les risques de pollution diffuse. Les efforts de déploiement de ces méthodes sont plus que jamais d’actualité. Ces démarches ont été portées et partagées au niveau européen dans le cadre du projet TOPPS qui regroupe 6 pays européens : Allemagne, Belgique, Danemark, France, Pologne et Italie. Il s’agit d’harmoniser un cadre d’action pour la prévention des risques de pollutions ponctuelles par les produits phytosanitaires. Sur cinq bassins versants, des méthodes communes de diagnostic du milieu et des pratiques culturales sont mises en œuvre, afin de déployer des actions communes de formation. Le relevé des pratiques culturales a été réalisé par enquêtes téléphoniques auprès de 847 agriculteurs. Par ailleurs, 698 diagnostics d’exploitations ont été conduits en appliquant le système «AQUASITE». Les résultats sont très encourageants et prometteurs, les situations de départs étant très variables selon les bassins versants. À l’issue de ces démarches, le taux de stockage des produits phytosanitaires dans un local sécurisé atteint 60% (Italie, Danemark, Pologne) à 90% (France, Belgique, Allemagne). Le taux d’équipement est lié d’une part à la réglementation locale et d’autre part au degré d’engagement contractuel des exploitants avec l’aval (contrats de production).

L’équipement des pulvérisateurs (cuves de rinçage, buses antidérive) varie de 20% dans les bassins polonais et italiens mais atteignent 50 à 70% dans les autres pays. Les écarts sont plus grands encore en ce qui concerne les dispositifs sécurisés de remplissage (4% en Italie, 34% en Pologne, 70% dans les autres pays). Dans l’ensemble, il reste encore des améliorations importantes à réaliser, notamment en systèmes anti-débordements qui restent, en règle générale, peu présents. Le rinçage des emballages vides est plus largement développé dans les bassins allemands, belges, français et polonais. Par contre, cette pratique est moins fréquente en Italie et au Danemark. Les emballages vides sont récupérés par une structure spécialisée dans plus de 90% des cas en Allemagne, Italie, Belgique et France, dans 70% en Pologne mais dans environ 40% des situations au Danemark. Cet état des lieux, nous indique que les agriculteurs français sont plutôt de bons élèves et qu’ils prennent en compte concrètement la maîtrise des risques de pollution ponctuelle.

La situation géographique de la France, la richesse de ses sols, l’importance de sa surface agricole utile et le niveau de la productivité en font le premier pays agricole en Europe, en particulier en ce qui concerne la production céréalière. Le dynamisme et l’organisation de la recherchedéveloppement permettent l’émergence d’un bon nombre d’innovations, leur évolution et leur déploiement de plus en plus significatif dans les exploitations françaises (choix variétal, méthodes de fertilisation, de protection des cultures et d’irrigation).

Encadré 1 : une production agricole réglementairement très encadrée

La production de céréales a permis de relever les défis de l’autosuffisance alimentaire. En 2010, la France exporte une tonne sur deux des blés produits La moitié de ces blés exportés, partent vers des pays de l’Union Européenne (Europe du Nord pour l’alimentation animale et vers l’Italie et l’Europe du Sud pour l’alimentation humaine). L’autre moitié des exportations de blés partent vers le Maghreb et les pays de l’Afrique de l’ouest, où les besoins en céréales sont structurels et à un niveau très élevé, à cause des sols et des climats. L’agriculture est aujourd’hui confrontée à un quadruple défi :

– Produire plus, pour satisfaire des marchés de proximité en croissance, pour créer des emplois et contribuer à l’équilibre de la balance commerciale. Les exportations actuelles de céréales françaises représentent 5 milliards d’euros dans la balance des paiements ;

– contribuer positivement aux enjeux environnementaux, en réduisant les impacts négatifs de la production (pollution de l’eau, de l’air, des sols) et en valorisant la capacité des plantes à fixer le gaz carbonique, réduisant ainsi les gaz à effet de serre (énergie renouvelable, biomatériaux) ;

– conserver une forte compétitivité, pour résister à une concurrence internationale accrue ;

– garantir aux consommateurs une irréprochable qualité sanitaire des produits.

Les quelques éléments présentés ici montrent que ces objectifs sont atteignables. Pour cela, l’agriculture doit avoir la capacité de mobiliser de plus en plus de technologies et de savoir identifier, comme elle l’a fait depuis 1970, les questions à résoudre en mobilisant les technologies émergentes. Des progrès considérables ont ainsi été accomplis. D’autres sont encore possibles. Il s’agit de donner aux agriculteurs des informations en temps réel, opérationnelles, pour les aider à gérer les risques auxquels ils sont confrontés en permanence : climat, parasitisme, besoins d’azote dans l’eau. Déjà téléphones portables, Smartphones et Internet sont des receveurs quotidiens. Ils seront demain toujours plus performants et utiles. Ces outils d’aide à la décision combineront aussi des techniques variées et complémentaires :

– les biotechnologies, pour développer des variétés plus adaptées aux changements climatiques, plus faibles en azote et plus robustes vis-à-vis des parasites. Elles aideront aussi à appréhender plus finement les caractéristiques du matériel végétal et des bioagresseurs ;

– la modélisation, pour s’adapter en temps réel à la situation de chaque parcelle, de chaque sol et de chaque climat; – une météorologie de précision, dans le temps et dans l’espace (climatologie de la parcelle) ;

– des capteurs permettant de caractériser en continu l’état des cultures, leur niveau de stress lié à la nutrition (eau, éléments minéraux) ou aux bioagresseurs (maladies, insectes) ;

– des produits de protection aux modes d’action différents, stimulant les défenses naturelles des plantes. C’est cette alliance raisonnée entre l’agronomie, science qui a vu son essor au XVIIIème siècle et les techniques de demain, qui permettra de construire l’agriculture « sobre et performante » dont nos sociétés ont besoin. Cette dernière permettra de réussir un double défi : satisfaire des besoins alimentaires mondiaux en croissance et respecter l’environnement.

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