La lutte contre les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi
La lutte contre les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi : enjeux et perspectives en france*
Diffusion et usages de la notion de discrimination sur l’âge en France**
Les logiques de la diffusion et des usages de la notion de discrimination sur l’âge
La dynamique anti-discriminatoire de diffusion de la notion de discrimination sur l’âge
La HALDE et la lutte contre les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi
Les délibérations, instrument de la lutte contre les discriminations liées à l’âge
Réflexion sur les moyens de promouvoir l’égalité des âges en matière d’emploi
L’interdiction des discrimination sur critère d’âge en matière d’emploi : «une révolution culturelle ?»
La spécificité des distinctions fondées sur l’âge
Les nuances du droit portant interdiction de discriminer sur critère d’âge
La tentation d’une mise en oeuvre trop rigide de l’interdiction ?
Résumé
En France, depuis longtemps, entreprises et autorités publiques se réfèrent à l’âge pour définir leur politique en matière d’emploi, en faisant appel à des catégories telles que les jeunes ou les seniors, par exemple.
Or, depuis 2001, l’utilisation de critères liés à l’âge est susceptible de constituer une discrimination. Quelles sont les dynamiques qui soustendent la lutte contre ce type de discrimination en matière d’emploi ?
Qui en sont les acteurs et de quels moyens disposent-ils pour promouvoir l’égalité dans ce domaine ? Quelle est l’ampleur du chemin à parcourir pour éliminer les préjugés liés à l’âge dans le monde du travail ? Ces questions sont d’une importance particulière à l’heure où il s’agit de favoriser l’accès des jeunes actifs à un premier emploi tout en maintenant plus longtemps les seniors dans la vie professionnelle.
Elise Muir,
Chargée de recherche à la Fondation pour l’innovation politique, doctorante en droit social communautaire à l’université de Londres (Queen Mary).
La lutte contre les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi : enjeux et perspectives en france*
Élise Muir, chargée de recherche à la Fondation pour l’innovation politique,
doctorante en droit social communautaire à l’université de Londres (Queen Mary)
Cette publication s’inscrit dans la continuité d’une réflexion sur la lutte contre les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi en France, amorcée par la Fondation pour l’innovation politique dans le cadre de la table ronde du 19 novembre 2008, à laquelle ont activement participé les présents Nous sommes particulièrement reconnaissants à ceux et à celles qui, par les questions soulevées lors de cet événement, nous ont conduits à préciser et à améliorer certains aspects de la présente étude.
Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), le taux d’emploi d’une classe d’individus désigne le nombre d’individus de la classe étudiée ayant un emploi par rapport au nombre total d’individus de ladite classe.
Commission européenne, « Older worker employment rates for Member States, 2000 and 2007 » (schéma), in Employment in Europe 2008, octobre 2008, p. 32.
Voir notamment les conclusions de la présidence du Conseil européen de Stockholm des 23 et 24 mars 2001, point 9.
Eurostat, base de données « Emploi – Séries EFT ajustées/emploi (caractéristiques et taux principaux) – Moyennes annuelles ».
Si tout le monde semble s’accorder sur le principe d’égalité de tous à tout âge, la discrimination liée à l’âge en matière d’emploi est un sujet remarquablement complexe, qui soulève des questions de société d’une importance majeure, puisqu’il s’agit en particulier de repenser la position des jeunes et des seniors sur le marché de l’emploi.
Le contexte dans lequel ce débat s’inscrit est avant tout celui d’un taux d’emploi3 des 55-64 ans situé à 38,3% dans l’Union européenne en 2007, et particulièrement faible en France par rapport à cette moyenne européenne, comme l’illustre le schéma 1 (voir p. 8)4. Ce taux est donc un des plus éloignés de l’objectif de 50% pour 2010 que les pays européens – dont la France – se sont fixé dans le cadre de la stratégie de Lisbonne5. De même, le taux d’emploi des 15-24 ans en France – soit 31,5% – est-il remarquablement peu élevé par rapport à une moyenne européenne de 37,4% en 20076. La France se distingue donc par un faible taux d’emploi des jeunes et des seniors.
Schéma 1 : taux d’emploi des travailleurs âgés (55-64 ans) dans les États membres de la Communauté européenne en 2000 et en 2007

Source :
Commission européenne, « Older worker employment rates for Member States, 2000 and 2007 », in Employment in Europe 2008, p. 32
Eurobaromètre, « Discrimination in the European Union: perceptions, experiences and attitudes », juillet 2008, p. 59.
Ainsi, il n’est pas étonnant de constater que 46% des Français interrogés sur leur perception de l’étendue des discriminations liées à l’âge en France répondaient qu’ils considéraient celle-ci comme très étendue ou assez étendue7. Cela place la France parmi les pays européens dont les ressortissants se sentent le plus affectés par ce type de discrimination, comme il ressort du schéma 2 (voir p. 9).
Schéma 2 : perception de l’étendue des discriminations liées à l’âge par État membre de la Communauté européenne en 2008

Source :
Eurobaromètre, « Discrimination in the European Union: perceptions, experiences and attitudes », op. cit., p. 59
« Baromètre Adia-Observatoire des discriminations », p. 2, novembre 2006.
Ibid.
Les modalités de testing sont définies par -F. Amadieu dans « Seniors et discriminations. Extraits du “Baromètre Adia-Observatoire des discriminations” réalisé en novembre 2006 », Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), avril 2007, p. 9.
HALDE, « Présentation des tests de discrimination », juin 2008, p. 7 ; voir tableau p. 36.
Selon une étude plus spécifiquement axée sur les discriminations en France en matière d’emploi, l’âge serait en réalité le « premier facteur de discrimination » en matière d’embauche8. Un candidat de 48-50 ans recevrait ainsi trois fois moins de réponses positives qu’un candidat de référence de 28-30 ans9. Le schéma 3 (voir p. 10) illustre cela avec force, car il met en évidence l’impact négatif que différents critères de discrimination peuvent avoir au stade de l’embauche et le poids particulièrement négatif de l’âge10. Une étude réalisée par la HALDE met aussi en évidence le faible taux de réponses positives auquel des candidats susceptibles d’être discriminés en raison de leur âge doivent faire face11. Ces données permettent donc d’identifier tant la spécificité de l’organisation du marché de l’emploi français en raison de l’âge que le rôle de ce facteur comme déclencheur de vives réticences de la part des employeurs.
Schéma 3 : premier baromètre sur les discriminations à l’embauche. Les résultats d’ensemble par type de discrimination : réponses positives à la suite de l’envoi de CV en réponse à une offre

Source :
J.-F. Amadieu, « Seniors et discriminations… », op. cit., p. 10.
Comme le soulignent Vincent Caradec et Alexandra Poli dans leur étude de la diffusion et des usages de la notion de discrimination sur l’âge, qui fait l’objet de la première contribution à cette publication, ces analyses récentes ont permis de quantifier les discriminations liées à l’âge et ainsi, en quelque sorte, de légitimer la lutte contre ce type de comportement. Or, l’utilisation du critère d’âge a considérablement évolué ces dernières années. L’âge a été utilisé comme une variable parfaitement naturelle d’ajustement du marché de l’emploi pendant de nombreuses années, par le biais de mécanismes de retraites anticipées à partir d’un âge donné, par exemple. Et cette utilisation du critère d’âge a résulté de l’action tant des autorités publiques, des employeurs (privés comme publics) que de celle des salariés. Ces derniers considéraient – et pour certains considèrent toujours – qu’il est normal de bénéficier, à partir d’un âge donné, d’une dispense d’emploi ou de recherche d’emploi, ou d’une possibilité de départ précoce à la retraite.
L’interdiction de discriminer sur critère d’âge traduit donc un important changement d’approche. Cette évolution s’inscrit dans un nouveau contexte démographique, caractérisé par le vieillissement de la population active, qui conduit à s’interroger sur le maintien de toutes les classes d’âge sur le marché de l’emploi. Cela doit aussi être mis en parallèle avec l’évolution de la relation entre âge et capacité de travail, ainsi que celle de la nature même du travail. Enfin, une impulsion forte, dont Vincent Caradec et Alexandra Poli analysent les nuances, a été donnée par la Communauté européenne pour lutter contre les discriminations – dont les discriminations liées à l’âge – dès la fin des années 1990. Cela s’est traduit par l’adoption d’une série d’instruments qui ont donné une dimension juridique importante à la lutte contre les discriminations sur critère d’âge en France (voir schéma 4, p. 12).
Schéma 4 : chronologie des principaux instruments juridiques de mise en œuvre de la lutte contre les discriminations en France sous impulsion communautaire*

Copyright :
* Les discriminations liées au sexe et à la nationalité sont pour l’essentiel laissées de côté dans ce schéma, car elles relèvent d’une dynamique distincte qui trouve sa source, à l’échelle de la Communauté européenne, dans le traité de Rome, signé en 1957.
Loi n° 2004-1486 du ç0 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (JORF n° 304, 31 décembre 2004, p. 22.567, texte n°3).
De cet élan politique et législatif résulte l’un des instruments phares de la lutte contre les discriminations en France : la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE ou Haute Autorité). Créée en 200413, elle est composée d’un collège de onze membres – actuellement présidé par Louis Schweitzer –, qui délibèrent pour la mise en œuvre des fonctions attribuées à la HALDE. Or, ces fonctions sont variées : la Haute Autorité est non seulement chargée d’assurer les victimes de discriminations de son soutien en contribuant à la résolution de conflits en la matière, mais elle peut aussi s’adresser aux autorités publiques pour attirer leur attention sur des problèmes spécifiques. Elle est par ailleurs responsable de la promotion de l’égalité par le biais d’études, d’actions de sensibilisation, de formations, etc. La HALDE est un organe public sans autorité de gouvernement – en particulier elle n’est pas une autorité judiciaire – et elle agit en toute indépendance.
Comme le montre la contribution de Stéphanie Seydoux à cette publication, la HALDE est déjà un acteur clé de la lutte contre les discriminations en France, bien que son entrée en fonctions ne date que de 2005. Ce rôle est d’autant plus important en matière de lutte contre les discriminations liées à l’âge que ce n’est un critère dit « suspect » que depuis très récemment et que sa « mise hors la loi » exige une réflexion profonde sur son ancrage dans notre société. Or, l’identification des moyens adéquats pour parvenir à cette fin est une tâche de grande ampleur et doit aller au-delà du seul travail a posteriori.
La diffusion récente de la notion de discrimination sur l’âge et la difficulté des acteurs clés à accélérer la lutte contre ce type de discrimination renvoie à la nécessité de bien cerner les contours de l’objet juridique qu’est l’interdiction de discriminer sur critère d’âge, qui est au centre de cette dynamique. Cela sera l’objet de la troisième et dernière contribution à la présente publication. Est susceptible d’être constitutif d’une discrimination une différence de traitement liée à un critère prohibé dans un domaine saisi par le droit. Tel est le cas notamment des différences de traitement liées à l’âge en matière d’emploi. Tout âge peut être concerné, qu’il s’agisse par exemple de discriminations à l’encontre des jeunes ou des seniors, bien que, comme les contributions de Vincent Caradec et Alexandra Poli, d’une part, et de Stéphanie Seydoux, d’autre part, le soulignent, le débat ait tendance à porter essentiellement sur la question des seniors.
La notion de discrimination peut en outre couvrir différents types d’inégalité de traitement. Les discriminations directes, telles que les offres d’emploi faisant état d’un âge minimal ou maximal pour le recrutement, sont particulièrement évidentes ; mais sont aussi interdites les discriminations indirectes, qui sont plus délicates à identifier. Une procédure de recrutement qui conduit à la mise à l’écart systématique de tout postulant « trop expérimenté » peut ainsi avoir des conséquences négatives particulièrement marquées pour les candidats âgés, indépendamment de leurs compétences réelles. Il s’agit donc d’interdire non seulement les discriminations évidentes, mais aussi celles qui résultent d’attitudes qui véhiculent des préjugés sur l’âge. Toute la difficulté est alors de démontrer l’effet discriminatoire qui peut découler de l’utilisation d’un critère apparemment neutre. Stéphanie Seydoux souligne ainsi les efforts de la HALDE pour faciliter la preuve de ce type de discrimination.
Tout traitement différencié lié directement ou indirectement à l’âge en matière d’emploi n’est pas nécessairement illicite. En d’autres termes, il est possible de déroger à l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge ou de justifier le recours à une pratique ayant un effet discriminatoire, sous réserve toutefois que la raison invoquée pour pouvoir bénéficier d’une exception soit légitime et que l’atteinte portée au droit de l’individu de ne pas être discriminé soit proportionnée – ou nécessaire – pour poursuivre cet objectif légitime. Or, cette dernière condition exige de mettre en balance les intérêts en cause et suppose un arbitrage délicat, en particulier lorsqu’il s’agit d’utiliser des critères d’âge comme déclencheurs de l’action publique. La dernière contribution à cette publication analysera le défi que cet exercice représente pour le droit et le judiciaire français afin de mettre en évidence, au-delà de l’importance des enjeux, la complexité de la lutte contre les discriminations liées à l’âge.
Diffusion et usages de la notion de discrimination sur l’âge en France**
Vincent Caradec, professeur de sociologie à l’université Lille-III,
chercheur au Groupe de recherche sur les actions et les croyances collectives (GRACC)
Alexandra Poli, chargée de recherche au CNRS, membre du Centre d’analyse
et d’intervention sociologiques de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
Cette contribution, mise en forme par Élise Muir, présente certains résultats du rapport de Vincent Caradec (dir.), Claire Lefrançois et Alexandra Poli, intitulé « Diffusion et appropriations de la “discrimination sur l’âge” en France », réalisé dans le cadre du Groupe de recherche sur les actions et les croyances collectives (GRACC) de l’université Lille-III, en collaboration avec Marion Dalibert. Ce rapport constitue la seconde partie d’une recherche plus large, dirigée par
Milena Doytcheva et Vincent Caradec, intitulée « Inégalités, discriminations, reconnaissance. Une recherche sur les usages sociaux des catégories de la discrimination » et réalisée pour la Mission de la recherche (MiRe) de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (rapport remis en novembre 2008 et disponible auprès de la MiRe).
B. Puijalon et J. Trincaz, Le Droit de vieillir, Paris, Fayard, 2000.
N. Burnay, « Les stéréotypes sociaux à l’égard des travailleurs âgés. Panorama de 50 ans de recherche », Fondation nationale de gérontologie, Gérontologie et société, n° 111, 2004/4, p. 157.
M. Mercat-Bruns, Vieillissement et droit à la lumière du droit français et du droit amé- ricain, Paris, LGDJ, coll. « Thèses », 2001 ; J. Macnicol, Age Discrimination. An historical and contemporary analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, chapitre VIII.
Id. , ibid., chapitre III.
La notion de discrimination sur l’âge est récente en France – elle était auparavant quasi inexistante. Était d’ailleurs aussi presque inexistant le terme d’âgisme, pourtant retenu dans l’arrêté ministériel du 13 mars 1985 afin de permettre d’enrichir le vocabulaire concernant les personnes âgées, la retraite et le vieillissement2. La situation française est donc très distincte de celle d’autres pays, tels les États-Unis, où l’idée que l’âge peut constituer – au même titre que la « race » ou le genre – un facteur de discrimination s’est imposée dès les années 1960. Aux États- Unis, cette évolution a été soutenue notamment par des études qui soulignaient le rôle des stéréotypes négatifs dans les difficultés rencontrées par les travailleurs âgés pour se maintenir sur le marché du travail3 et a trouvé une traduction législative en 1967 dans le Age Discrimination in Employment Act4. En Grande-Bretagne, la notion de discrimination sur l’âge est aussi beaucoup plus ancienne et répandue qu’en France. Bien qu’elle ait été plus ou moins utilisée suivant les époques, elle a fait l’objet de discussions depuis plusieurs décennies et revient au cœur des débats depuis le début des années 19905.
Il convient donc d’étudier comment s’est opérée, en France, la « rencontre » récente entre âge et discrimination, comment l’âge en est venu à être considéré comme un critère possible de discrimination – et comme l’une des dimensions de la diversité. Nous nous sommes spécifiquement interrogés sur la place du critère d’âge dans la question des discriminations.
À cette fin, il est possible, d’une part, de retracer les étapes de la diffusion de cette thématique en France, de prendre la mesure de la place accordée à l’âge par rapport aux autres critères de discrimination, de repérer les acteurs institutionnels et les personnes qui ont joué un rôle dans cette diffusion, de dégager les domaines à propos desquels la question de la discrimination sur l’âge se trouve posée ainsi que les stratégies prônées pour lutter contre ce phénomène (politiques ciblées sur une catégorie d’âge ou, à l’inverse, neutres du point de vue de l’âge ; accent mis sur l’intergénération, etc.). Il est aussi possible, d’autre part, de clarifier les enjeux associés à l’émergence de la notion de discrimination fondée sur l’âge : le critère d’âge est en effet ambivalent puisqu’il peut non seulement être facteur éventuel de discrimination, mais aussi critère légal de protection et présente donc, de ce fait, des différences avec les autres facteurs de discrimination.
Notre analyse a permis de dégager les principales logiques (1) de la diffusion et des usages de la notion de discrimination sur l’âge dans l’espace national. Dans cette contribution, nous nous arrêterons sur l’une de ces logiques : la dynamique antidiscriminatoire (II).
Les logiques de la diffusion et des usages de la notion de discrimination sur l’âge
La méthode retenue a porté sur deux aspects. D’une part, une étude réalisée par Marion Dalibert a permis l’analyse des occurrences de la notion de discrimination sur l’âge (qui présente des variantes, comme « discrimination par l’âge » ou « discrimination fondée sur l’âge ») dans cinq quotidiens français – Le Monde, Libération, Le Figaro, La Tribune et Les Échos – entre 1997 et 2007 (A). D’autre part, nous avons procédé à une étude de la production institutionnelle – textes de loi, rapports publics et accords interprofessionnels – afin d’identifier la logique de diffusion de la notion de discrimination sur l’âge au sein de ces instruments (B).
Pour un compte rendu détaillé de la méthode retenue ainsi que des résultats obtenus, voir Caradec (dir.), C. Lefrançois et A. Poli, « Diffusion et appropriations de la “discrimination sur l’âge” en France », op. cit., p. 10.
Loi n° 2004-1486 du ç0 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (JORF n°304, ç1 décembre 2004, P. 22.567, texte n°3).
Pour plus de précisions, voir Caradec (dir.), C. Lefrançois et A. Poli, « Diffusion et appropriations de la “discrimination sur l’âge” en France », op. cit., p. 13.
A) La notion de discrimination sur l’âge dans la presse quotidienne nationale
L’analyse de la presse quotidienne nationale6 a mis en évidence deux types d’enseignement.
Premièrement, l’hypothèse d’une présence croissante de cette notion a bien été confirmée. Le nombre d’articles qui font référence à la notion de discrimination sur l’âge a régulièrement augmenté entre 1998 (4 articles) et 2006 (45 articles). On observe cependant une baisse en 2007 (28 articles), dont il est difficile de dire si elle est conjoncturelle ou plus profonde. On note également que, le plus souvent, la discrimination sur l’âge est médiatisée seule, indépendamment des autres facteurs de discrimination; elle tend cependant à leur être plus fréquemment associée à partir de 2004. Il est aisé de faire le lien entre ce constat et la création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE, ou Haute Autorité), qui a une compétence relativement horizontale en matière de discriminations et a été créée cette même année7.
Il apparaît, deuxièmement, que la notion de discrimination sur l’âge, telle qu’elle a été diffusée en France à partir de la fin des années 1990, a reçu une acception très particulière, à travers une double réduction du champ de pertinence potentiel de la notion. D’une part, elle se focalise, pour l’essentiel, sur les seniors : les jeunes sont rarement désignés comme relevant de ce type de discrimination8 – à l’exception des débats qui ont entouré la création du contrat première embauche. D’autre part, les discours sur la discrimination sur l’âge concernent surtout l’emploi et abordent rarement d’autres domaines comme celui de la santé et de l’accès aux soins.
En résumé, lorsque la presse quotidienne nationale parle de discrimination sur l’âge, elle traite, le plus souvent, de la question de l’emploi des seniors.
Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JOUE L303, 2 décembre 2000, p. 16).
Loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations (JORF n°267, 17 novembre 2001, p. 18.311, texte n°1).
A.-M. Guillemard, « Pourquoi l’âge est-il en France le premier facteur de discrimination dans l’emploi ? », Retraite et société, n°51, 2007, p. 19.
Langlois, « Que faire de l’interdiction de la discrimination selon l’âge ? », Droit social, n°646-2, février 2006, p. 156.
A. Jolivet, « La politique européenne en faveur du vieillissement actif », Retraite et société, n°36, 2002, p. 137.
Guiraudon, « Construire une politique européenne de lutte contre les discriminations : l’histoire de la directive “race” », Sociétés contemporaines, n°53, 2004, p. 17.
Décision du Conseil 2001/63/CE du 19 janvier 2001 sur les lignes directrices pour les poli- tiques de l’emploi des États membres en 2001 (JOCE L 22, 24 janvier 2001, p. 18).
Réseau conseil en développement territorial, « Évaluation du PIC EQUAL en France pour la période 2001-2003 », rapport d’évaluation à mi-parcours, ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité et Commission Européenne-Fonds social européen, septembre 2003.
Il concerne le « maintien en activité et/ou [le] développement de l’employabilité des travailleurs fragilisés dans leur emploi malgré une longue expérience professionnelle » (F. Mora-Canzani, « L’expérience est capital(e). EQUAL France : de la gestion des âges à la promotion de la diversité », Réseau d’appui et de capitalisation des innovations européennes, Paris, Racine, « Les cahiers », 2005, p. 21).
Les projets eux-mêmes se présentent bien plus souvent en termes de « gestion des âges ». Mais, dans le même temps, l’ouvrage qui en fait la synthèse souligne que « la priorité donnée aux problèmes des travailleurs vieillissants et le fait que celle-ci soit traitée dans un programme de lutte contre les discriminations étaient en soi une forte innovation dans le paysage français. En effet, il n’était pas courant en France, au début des années 2000, de traiter l’âge comme un vecteur implicite ou explicite de discrimination » (F. Mora-Canzani, « L’expérience est capita(e)… », op. cit., p. 22).
B) La notion de discrimination sur l’âge dans la production institutionnelle
L’étude de la production institutionnelle permet de considérer que la notion de discrimination sur l’âge s’est diffusée, en France, selon deux grandes dynamiques, qui toutes deux résultent d’impulsions européennes.
La première peut être qualifiée de dynamique antidiscriminatoire et trouve sa source dans l’article 13 du traité instituant la Communauté européenne tel que modifié par le traité d’Amsterdam signé en 1997. Elle est illustrée par la directive dite « emploi » du Conseil de l’Union européenne, qui interdit la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle en matière d’emploi et de travail9. Cette directive a été transposée en France à partir de 2001, notamment par le biais de la loi relative à la lutte contre les discriminations du 16 novembre 200110.
La seconde dynamique résulte de la préoccupation pour le niveau d’emploi des seniors, qui émerge au niveau européen à la fin des années 1990 dans le cadre de la stratégie européenne pour l’emploi (SEE) et, notamment, de l’objectif d’un taux d’emploi de 50% pour les 55-64 ans d’ici à 2010, décidé lors du sommet de Stockholm en mars 2001. Dans le même temps, toutefois, la France, qui s’est enfoncée dans ce qu’Anne-Marie Guillemard appelle une « culture de la sortie précoce11 » du marché du travail, était bien loin d’atteindre cet objectif. Le taux d’emploi des 55-64 ans était alors – et est toujours – inférieur à 40%.
Ces deux dynamiques ne sont pourtant pas parfaitement étanches, et il arrive qu’elles s’entrecroisent. Il est ainsi possible de soutenir que l’inclusion de l’âge dans la liste des discriminations interdites par la directive emploi relève du seul registre économique, rejoignant ainsi les préoccupations qui sont au cœur de la SEE. En effet, comme l’observe Philippe Langlois, « le seul considérant de la directive justifiant l’inter- diction de cette discrimination est le suivant : “Les lignes directrices pour l’emploi en 2000, approuvées par le Conseil européen d’Helsinki les 10 et 11 décembre 1999, soulignent la nécessité […] d’accorder une attention particulière à l’aide aux travailleurs âgés pour qu’ils participent davantage à la vie professionnelle”12. » La lutte contre la discrimination sur l’âge s’inscrit donc dans le cadre plus général de la « politique européenne en faveur du vieillissement actif13 ». On peut d’ailleurs faire remarquer que l’engagement de l’Union européenne dans le combat contre les discriminations est en partie lié à des considérations économiques de nature libérale et à l’objectif de construction d’un marché unique, qui suppose la circulation des personnes. La campagne en faveur de l’article 13 du traité instituant la Communauté européenne résultant du traité d’Amsterdam a été fondée sur ce type d’argument. L’idée étant que, « pour que la libre circulation des personnes soit effective, il fallait des mesures pour que les personnes d’origine immigrée ne craignent pas de faire l’objet de discrimination ethnique ou raciale. Le racisme était en quelque sorte l’ennemi du marché14 ».
De même, le programme d’initiative communautaire EQUAL, parfois présenté comme un instrument de lutte contre les discriminations, constitue avant tout un outil du Fonds social européen (FSE) pour la mise en œuvre de la SEE, dont l’objectif principal consiste à « créer plus d’emplois et de meilleurs emplois ». Aussi le programme EQUAL s’organise-t-il autour des quatre lignes directrices pour l’emploi définies en 200115 :
1) l’employabilité, qui vise à améliorer les capacités d’insertion professionnelle ;
2) le développement de l’esprit d’entreprise ;
3) la capacité d’adaptation des entreprises et de leurs travailleurs ;
4) l’égalité des chances, notamment entre hommes et femmes.
C’est dans ce cadre général que s’inscrit la vocation d’EQUAL, qui est de soutenir des initiatives partenariales de lutte contre les discriminations et contre les inégalités dans le monde du travail16. Ainsi, le premier axe sur l’« employabilité », qui se propose d’améliorer les capacités d’insertion professionnelle, se décline en plusieurs thèmes, l’un portant sur « la lutte contre le racisme et la xénophobie ». Et le troisième axe, centré sur la « capacité d’adaptation », se trouve associé à un thème intitulé « formation tout au long de la vie », qui, en France, a été orienté sur la question de l’emploi des seniors17 et qui rassemble des projets qui peuvent être présentés à la fois comme à la fois portant sur la « gestion des âges » et visant à lutter contre la discrimination sur l’âge18.
On peut cependant faire l’hypothèse que ces deux dynamiques sont en partie indépendantes et que l’on peut suivre la manière dont l’une et l’autre se diffusent et se déploient dans l’espace national français. Nous présenterons ici la première, autrement dit la déclinaison nationale de la dynamique antidiscriminatoire, et la place qu’elle accorde au critère d’âge.
La dynamique anti-discriminatoire de diffusion de la notion de discrimination sur l’âge
Plusieurs grandes étapes peuvent être identifiées dans la diffusion de la notion de discrimination sur l’âge sous l’impulsion de la dynamique antidiscriminatoire européenne. Cette thématique a tout d’abord émergé d’un débat focalisé sur les discriminations « raciales » (A) ; puis un mouvement s’est dessiné, marqué par une reconnaissance progressive de la discrimination sur l’âge comme discrimination à part entière (B) ; enfin, au fur et à mesure que s’est déployé le thème de la promotion de la diversité, la notion de diversité, tout en demeurant ambivalente, s’est étendue, passant d’une acception restreinte à une acception élargie qui intègre l’âge (C).
De nombreux observateurs ont souligné la prééminence de cette approche dans l’émergence de la thématique discriminatoire dans l’espace français, comme dans celui d’autres pays. Voir notamment D. Fassin, « L’invention française de la discrimination », Revue française de science politique, vol. 52, n°4, août 2002, p. 403 ; et V. Guiraudon, « Construire une politique européenne de lutte contre les discriminations… », Sociétés contemporaines, op. cit.
La Ligue des droits de l’homme a par exemple organisé le 24 septembre 1999, lors du Ier Festival international de la ville, à Créteil, une table ronde sur le thème « Tous égaux ? Les discriminations aujourd’hui ». Les sujets abordés furent alors : les discriminations au travail (le rapport à la loi, les situations de surexploitation, la question des jeunes, des femmes, des étrangers) ; les relations entre les jeunes et les institutions (accès à l’éducation, aux loisirs, mécanismes de ségrégation urbaine, relations avec la police, la justice) ; la citoyenneté et les contre-pouvoirs dans la ville (le droit de vote des étrangers aux élections locales, l’exercice de la citoyenneté participative).
Numéro de téléphone mis à disposition des témoins et des victimes de discriminations raciales à partir du 16 mai 2000.
Fassin, « L’invention française de la discrimination », Revue française de science politique, op. cit.
A) L’émergence de la thématique antidiscriminatoire
Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que la thématique discriminatoire voit le jour dans le débat et dans les politiques publiques, l’attention se focalisant tout d’abord presque exclusivement sur le motif « racial19 ». L’usage du terme discrimination renvoyait alors systématiquement aux discriminations « raciales », associées à l’expérience des jeunes d’origine étrangère ou issus de l’immigration, habitant les quartiers populaires, bien souvent désignés par le mot jeunes20. Ainsi, le premier dispositif institutionnel de lutte contre les discriminations – celui des commissions départementales d’accès à la citoyenneté (CODAC) – ou le numéro téléphonique gratuit 11421 ont été pensés pour répondre aux difficultés propres à cette population.
À la fin des années 1990, au moment où l’on commence à parler, en France, de discrimination, il n’est nullement question de l’âge : « l’invention française de la discrimination », pour reprendre l’expression de Didier Fassin22, constitue avant tout un changement de perspective par rapport aux approches en termes de racisme ou de xénophobie, qui amène à reconnaître l’existence de discriminations « ethniques », même si elle vise plus généralement tout critère illégitime conduisant à un traitement inégal.
Article ç de la loi n°2001-1066 du 16 novembre 2001, op. cit.
Lettre de mission sur la laïcité adressée à Bernard Stasi par le Premier ministre, 3 juillet 2003.
Discours du président de la République, Jacques Chirac, à Troyes, 14 octobre 2002.
Van Eeckhout, Le Monde, 13 avril 2007.
S. Zappi, Le Monde, 21 mai 2004.
B) La discrimination sur l’âge comme discrimination à part entière
Trois moments marquent la reconnaissance progressive de l’âge dans la dynamique antidiscriminatoire : l’inscription – tardive – du critère d’âge dans la loi relative à la lutte contre les discriminations de 2001 ; le rôle essentiel de la HALDE ; l’importance de la quantification des discriminations dans la légitimation de la lutte contre celles qui sont liées à l’âge.
Si, dans un premier temps, la loi relative à la lutte contre les discriminations du 16 novembre 2001 interdit les discriminations dans l’emploi fondées sur un ensemble de critères, il faut bien admettre que la présence de l’âge dans cette liste n’avait, à l’époque, rien d’évident. D’une part, au début des années 2000, alors que la directive emploi venait à peine d’être adoptée, l’âge était encore très périphérique dans la lutte contre les discriminations – focalisée sur le critère « ethnique » et sur celui du sexe. D’autre part, l’idée que l’âge constituait, dans le domaine de l’emploi, un critère spécifique était très présente : avant d’être un facteur de discrimination, il constituait un critère de protection (de discrimination positive afin de préserver l’emploi ou l’intégrité physique du travailleur âgé, selon les dispositifs). Ce n’est que lorsque le texte a été transmis au Sénat que la notion d’âge a été discutée pour être ensuite intégrée au texte de loi, tout en étant encadrée par des dispositions particulières23. Ces précisions donnent ainsi un statut particulier au critère d’âge, qui est le seul à se trouver ainsi encadré.
Deuxième étape majeure dans la reconnaissance du critère d’âge en tant que motif de discrimination : la création de la HALDE. La lettre de mission que le Premier ministre a adressée à Bernard Stasi fait une présentation duelle de la future Haute Autorité. D’un côté, ce texte définit de manière très générale son mandat, indiquant qu’elle sera chargée de « lutter contre l’ensemble des discriminations dont peuvent être victimes les personnes résidant en France24 ». De l’autre, elle s’arrête de manière privilégiée sur certaines formes de discrimination, en faisant référence à deux discours du président de la République – dont l’un, prononcé à Troyes, dans lequel il a déclaré qu’il convenait de « lutter contre toutes les formes de discriminations – qu’elles proviennent du racisme, de l’intolérance religieuse, du sexisme ou de l’homophobie 25 ». Ces deux manières de présenter la Haute Autorité ne sont pas contradictoires. Mais, pour ce qui est de l’âge, elles ne sont pas équivalentes : d’un côté, il se trouve pris en compte – au même titre que les autres motifs de discrimination ; de l’autre, il est laissé au second plan, au profit d’autres critères qui apparaissent plus centraux dans la lutte contre les discriminations. Tout au long du processus de création de la HALDE, l’âge va ainsi bénéficier d’un traitement paradoxal : il se trouve pleinement reconnu tout en restant peu visible.
De ces deux aspects, le plus important est sans doute que l’âge se trouve désormais considéré comme un critère de discrimination à part entière, énoncé systématiquement avec les autres critères en cas d’énumération des motifs de discrimination, et donc mis en équivalence avec eux. Si le processus qui a conduit à la création de la Haute Autorité a contribué à la classification de l’âge parmi les motifs de discrimination – mais en le laissant au second plan –, la HALDE a, depuis sa création, cherché à assurer à l’âge une plus forte visibilité en tant que critère suspect, comme il ressort de la contribution de Stéphanie Seydoux (voir infra, p. 29 sqq.).
Troisième temps dans la diffusion de la notion de discrimination sur l’âge sous l’impulsion de la dynamique antidiscriminatoire européenne : sa quantification. On connaît le pouvoir de légitimation du chiffre. Quantifier un phénomène social donne à voir son ampleur et rend sa « réalité» indiscutable – alors même qu’elle pouvait passer inaperçue quelque temps auparavant. On peut dire que la notion de discrimination sur l’âge a « bénéficié» de ce procédé. En effet, l’étape qui a suivi la mise en équivalence des différents motifs de discrimination a été la mesure de leur importance respective et, même si les classements produits ont été assez variables, l’idée qui s’en dégage est que l’âge constitue un critère important de discrimination, voire l’un des plus importants.
La HALDE, en publiant la répartition des réclamations par critère de discrimination invoqué, constitue l’une des sources de l’individualisation des différents critères de discrimination. Certes, la Haute Autorité ne cherche pas à opérer un « classement » des discriminations. Mais le pas est vite franchi par les commentateurs, comme dans cet article paru dans Le Monde – à l’occasion de la publication du rapport 2006 de la HALDE –, intitulé « L’origine reste le premier critère discriminant en matière d’emploi 26 ». Cependant, plus que les rapports de la HALDE, ce sont les testings réalisés par l’entreprise de travail temporaire et de recrutement Adia, en collaboration avec le sociologue Jean-François Amadieu, directeur de l’Observatoire des discriminations, qui, en mesurant la probabilité de recevoir une réponse positive à des curriculum vitae ne différant que sur un seul critère d’un CV « de référence », ont conduit à un véritable classement des discriminations.
En effet, la méthode invite à hiérarchiser les différentes discriminations, et les rapports d’enquête ne se privent pas d’opérer une telle classification : « L’âge est la première forme de discrimination. Un candidat de 48-50 ans reçoit en effet trois fois moins de réponses positives que notre candidat de référence âgé de 28-30 ans », lit-on ainsi dans le « Baromètre Adia-Observatoire des discriminations » de novembre 2006 27. Les recensions dans les médias de ces testings, très nombreuses, retiennent également l’idée d’une hiérarchisation des critères de discrimination : « Les handicapés et les Maghrébins sont les premières victimes des discriminations à l’embauche », titre Le Monde après la publication du premier testing, en 200428 ; « L’âge et l’origine, principales discriminations à l’embauche », lit-on en tête de l’article qui, dans le même quotidien, présente les résultats de l’enquête de 200629.
Voir, à titre d’exemple, le label diversité AFNOR. Pour une analyse sociologique, voir M. Doytcheva (dir.) et Hachimi Alaoui, « De la lutte contre les discriminations ethno-raciales à la “promotion de la diversité”. Une enquête sur le monde de l’entreprise », rapport pour la DRESS-MiRe, novembre 2008.
M. Kohli, « The world we forgot : a historical review of the life course », in V. W. Marshall (dir.), Later Life. The social psychology of aging, Beverly Hills, Sage, 1986.
A.-M. Guillemard, L’Âge de l’emploi. Les sociétés à l’épreuve du vieillissement, Paris, Armand Colin, 2003 ; S. Cavalli, « Modèle du parcours de vie et individualisation. Un état du débat », Gérontologie et société, n° 123, 2007, p. 55.
Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (JOUE L 180, 19 juillet 2000, p. 22).
Proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d’âge ou d’orientation sexuelle (COM(2008)426, 2 juillet 2008, point 1.
Ibid., article 3(1).
C) L’intégration de l’âge dans une acception élargie de la notion de diversité
La dynamique antidiscriminatoire ayant tendance, aujourd’hui, à prendre la forme de la « promotion de la diversité », il nous faut maintenant étudier dans quelle mesure l’âge est partie prenante du thème de la diversité.
En fait, deux acceptions de la notion de diversité peuvent être distinguées : l’une est centrée sur le critère « ethno-racial », l’autre est plus large et intègre l’âge. De même que la notion de discrimination est passée d’une définition focalisée sur le critère ethnique à une définition prenant en compte l’ensemble des critères susceptibles de donner lieu à une discrimination et inscrits dans la loi, la notion de diversité a acquis une dimension élargie – englobant en particulier l’âge. De ce point de vue, il semble exister, dans le monde économique et dans les entreprises, une dynamique de la diversité qui a conduit de la diversité spécifique, focalisée sur le seul critère « ethno-racial », à la diversité générique, qui concerne tout un ensemble de critères (non seulement l’« ethno-racial », mais aussi le sexe, le handicap, l’âge, parfois d’autres critères encore).
Par ailleurs, on peut considérer que si la diversité a été le vecteur particulier à travers lequel des préoccupations portant sur les inégalités « ethno-raciales » ont pénétré dans l’entreprise (au même titre que l’« égalité professionnelle » ou la « mixité » pour le critère de genre, ou l’« insertion » pour le handicap), elle tend de plus en plus à s’émanciper de ses origines et à constituer aujourd’hui une catégorie générique qui ne renvoie plus seulement à l’engagement à ne pas discriminer, mais qui tend aussi à fédérer toute une série d’actions visant à diversifier le recrutement sur un ensemble varié de critères. On peut mettre en évidence cette évolution en comparant la démarche de la Charte de la diversité dans l’entreprise et son rapport étroit avec les discriminations liées à l’origine30 à celle du récent label diversité, qui prend en compte tout un ensemble de critères31. Ainsi, certaines manifestations en faveur de la diversité intègrent l’âge – voire se focalisent désormais dessus. Pour les entreprises, l’intérêt de l’approche de la question de l’âge sous l’angle de la diversité consiste en un déplacement du débat, de la question des contraintes juridiques vers celle du management. Il s’agit alors pour les entreprises de chercher à recruter « diversifié ».
La question de la place de l’âge parmi les autres motifs de discrimination se pose aujourd’hui de manière très différente d’il y a dix ans. C’est là le signe du succès de la diffusion de la notion de discrimination sur l’âge : la mise en équivalence des critères a progressé, elle est aujourd’hui une réalité juridique et institutionnelle, et l’âge s’est imposé comme constituant un motif de discrimination parmi les autres. Il n’en demeure pas moins que la question de savoir quelle place l’âge doit occuper dans le champ des discriminations demeure un enjeu social, tant dans les pratiques que dans les usages discursifs de la notion de discrimination. Les pratiques hésitent entre trois logiques concurrentes : une prise en compte de l’ensemble des discriminations ; un traitement spécifique de l’âge ; une prise en charge d’autres motifs de discrimination sans considération de l’âge. Au niveau discursif, les usages de la catégorie de discrimination demeurent fluctuants, comme le sont ceux de la catégorie de diversité : ces notions peuvent aussi bien être utilisées dans un sens élargi que dans un sens plus restreint, qui renvoie alors aux seules discriminations liées aux origines.
Reste que la discrimination sur l’âge peut avoir partie liée avec des acquis sociaux et, surtout, être partie prenante du système de protection sociale. On peut ainsi se demander si on n’assiste pas aujourd’hui à un tournant en ce qui concerne le recours au critère d’âge dans les politiques sociales et dans la régulation des existences. C’est sans doute parce que ce recours apparaît aujourd’hui moins légitime qu’il peut être considéré comme relevant d’une discrimination. Alors que, longtemps, l’utilisation du critère d’âge dans les politiques sociales était considérée avant tout comme une protection, c’est désormais son possible caractère discriminatoire qui se trouve mis en cause. Ce renversement constitue une manifestation du processus d’individualisation, qui s’approfondit dans la « seconde modernité ». En effet, si l’avènement de la modernité avait été marqué par une institutionnalisation du cours de la vie et une standardisation des âges32, on peut considérer que la période contemporaine se caractérise par une déstandardisation des trajectoires individuelles33 : les critères d’encadrement généraux et uniformes tels que l’âge paraissent désormais trop rigides et trop impersonnels pour pouvoir prendre en compte les singularités des individus et de leurs parcours individuels.
Portée par une lame de fond, cette évolution vers une moindre prégnance de l’âge dans les politiques sociales et vers une plus grande marge dans les choix individuels est cependant loin de faire consensus et n’est pas neutre socialement. Les réactions au vote par les députés, dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale de 2008, d’un recul de l’âge de retraite obligatoire (le seuil en deçà duquel les entre- prises ne peuvent mettre leurs salariés à la retraite d’office) à 70 ans en témoignent. Alors que les uns y voient un élargissement de leurs choix de vie – la possibilité de continuer à travailler s’ils le souhaitent plutôt que de devoir se soumettre au couperet de l’âge –, d’autres craignent qu’on puisse leur imposer de prolonger leur vie professionnelle – ce qui n’était pas possible jusqu’alors. Pour les premiers, les seuils d’âge sont des carcans ; pour les seconds, une protection.
Une autre question concerne la différence de traitement qui existe, au niveau européen, entre les critères de discrimination. Le domaine d’application de l’interdiction de discriminer sur critère de « race » ou d’origine ethnique34 est en effet plus étendu que celui de la directive emploi. Cette différence d’approche a été contestée par les associations qui représentent les populations à l’encontre desquelles la discrimination est condamnée dans le seul domaine de l’emploi : associations de personnes handicapées, de minorités sexuelles ou encore de personnes âgées. Ces dernières, regroupées au sein de la plate-forme AGE, ont ainsi demandé que soit adoptée une nouvelle directive interdisant les discriminations sur l’âge dans l’accès aux biens, aux équipements et aux services, qui, par exemple, protégerait les personnes âgées contre des refus de soin, d’assurance ou de prêt bancaire du fait de leur âge. Début juillet 2008, la Commission a adopté une proposition de directive dans ce sens, afin d’assurer « une protection contre la discrimination fondée sur l’âge, un handicap, l’orientation sexuelle et la religion ou les convictions, exercée en dehors du lieu de travail 35 », qui vise à garantir l’égalité de traitement dans les domaines suivants : la protection sociale (y compris la Sécurité sociale et les soins de santé), les avantages sociaux, l’éducation et l’accès aux biens et aux services et la fourniture de biens et de services mis à la disposition du public (y compris en matière de logement) 36. Il est donc probable que la lutte contre la discrimination sur l’âge reçoive prochainement, venue de l’Europe, une nouvelle impulsion.
La HALDE et la lutte contre les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi
Stéphanie Seydoux, directrice de la promotion de l’égalité au sein
de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE)
Voir les données apportées sur ce point dans l’introduction de la présente publication.
Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (JOUE L 180, 19 juillet 2000, 22).
Le service juridique de la HALDE est le plus important par le nombre de ses employés – soit une soixantaine, contre une douzaine au sein de la direction de la promotion pour l’égalité des chances.
Mais aussi dans d’autres domaines, tels que le logement.
La HALDE est compétente pour traiter des discriminations fondées sur une liste de dix-huit critères, ce qui va donc bien au-delà des exigences communautaires, en particulier des six articles listés à l’article 13 du traité instituant la Communauté européenne. Cela permet ainsi une approche transversale de la discrimination ; sont inclus, par exemple, les critères d’activité syndicale, de mœurs et de caractéristiques génétiques.
La lutte contre les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi en France s’inscrit dans le cadre d’un effort européen d’augmentation du taux d’emploi des travailleurs âgés, en lien avec le processus de Lisbonne1. Cette mobilisation en faveur d’une plus grande égalité des âges en matière d’emploi illustre l’ampleur de l’enjeu de cohésion sociale que la question soulève. Les équilibres démographiques en France sont notamment étroitement liés au délicat problème de la stabilité de notre système de protection sociale, fondé sur la retraite par répartition, qui fait jouer la solidarité intergénérationnelle. La question des discriminations liées à l’âge ne concerne toutefois pas que les travailleurs âgés, car les jeunes connaissent aussi des difficultés d’insertion dans le monde du travail.
Il convient donc de repenser le rôle de l’âge en matière d’emploi. Or, cela implique une profonde remise en question des pratiques fondées sur un consensus social autour du lien entre l’âge et le retrait du marché du travail. En effet, il est communément admis que, passé un certain âge, il est en quelque sorte légitime de quitter le marché du travail. La possibilité de retrait est même parfois perçue comme l’expression d’un certain progrès social. Cette approche comporte toutefois le risque de stigmatiser – voire de discriminer – une partie complète du corps social en fonction de son âge.
Les fortes volontés nationale et européenne de lutter contre les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi se heurtent donc à des pratiques anciennes, et même à des conceptions sociales de l’âge susceptibles de véhiculer des préjugés – à l’encontre des seniors en particulier. La tâche de la HALDE (ou Haute Autorité) dans ce contexte est donc particulièrement délicate et importante.
Il s’agit en premier lieu d’utiliser le droit pour assurer une protection effective des individus contre les discriminations fondées sur l’âge, à travers notamment le traitement des réclamations qui sont adressées à la HALDE. En deuxième lieu, l’action des partenaires sociaux doit être soutenue, car ils ont un rôle clé à jouer en matière d’emploi et de maintien dans l’emploi des salariés âgés. Enfin, la HALDE s’intéresse plus globalement aux pratiques discriminatoires qui mettent en jeu des systèmes de représentation biaisés en fonction de l’âge. Dans ce cadre, cet organisme a la volonté de conduire les acteurs à remettre en cause les habitudes et les réflexes liés à l’âge pour en tester la pertinence. Ce besoin de remettre à plat des modes de fonctionnement profondément ancrés dans le monde du travail laisse entendre que les progrès dans la mise en œuvre effective des droits des individus à ne pas être discriminés en raison de leur âge seront lents.
Face à ces défis, la HALDE dispose d’une batterie d’instruments qui la placent parmi les autorités nationales de lutte contre les discriminations dont les attributs sont allés au-delà des exigences contenues dans la directive européenne exigeant sa création2. Outre le traitement a posteriori de la réclamation individuelle par le service juridique3, la direction de la promotion de l’égalité met en place des actions de prévention des discriminations en matière d’emploi4. Ces deux approches sont donc complémentaires et destinées à assurer une plus grande efficacité de la lutte contre les discriminations5. Enfin, les pouvoirs de la Haute Autorité sont importants : cela va d’une capacité d’autosaisine, d’enquête sur pièces et sur place pour aider à établir la preuve, à la possibilité d’utiliser des tests de discrimination – ou testings –, qui contribuent à l’établissement de la preuve – y compris pénale. La HALDE dispose en outre du pouvoir d’émettre des avis et des recommandations non seulement aux mis en cause, mais aussi aux pouvoirs publics – ainsi que d’un arsenal de mesures non contentieuses (médiation) ou contentieuses (transaction, transmission au procureur) pour résoudre des litiges. Sans compter la possibilité de rendre publiques ses décisions, bien qu’elle ne l’utilise qu’avec mesure.
La contribution de la HALDE en matière de lutte contre les discriminations liées à l’âge est donc avant tout juridique, puisque la notion de discrimination est en premier lieu un objet de droit. L’approche de la Haute Autorité est à cet égard très pragmatique : elle est fondée sur le traitement de réclamations. C’est ainsi que se précise au cas par cas le cadre juridique dans lequel les acteurs – et notamment les entreprises – peuvent inscrire leurs pratiques. Le traitement des réclamations et les délibérations auxquelles elles donnent lieu sont un moyen de lutte contre les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi (I). Il se voit complété par un effort de réflexion sur les moyens de promotion de l’égalité pour permettre une meilleure appropriation de ce thème par la société (II).
Les délibérations, instrument de la lutte contre les discriminations liées à l’âge
Actuel article L 1132-1 du Code du travail.
Article 1 de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (JORF n°123, 28 mai 2008, p. 8801, texte n° 1).
Ibid.
Ibid.
Amende pouvant aller jusqu’à 3.000 euros pour une personne physique et 15.000 euros pour une personne morale – plus dommages et intérêts –, amende qui doit être soumise pour homologation au procureur de la République.
Ce type d’action peut conduire à des dommages et intérêts, à une restitution de carrière, à une réintégration dans l’entreprise.
Dans cette hypothèse, les peines encourues peuvent aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende pour une personne physique (article 225-2 du Code pénal) ainsi que des dommages et intérêts.
Ces chiffres ont été recueillis dans la perspective de la table ronde qui s’est tenue à la Fondation pour l’innovation politique le 19 novembre 2008.
Les autres délibérations ont concerné le logement (délibération de la HALDE n°2007-110 du 23 avril 2007, et l’accès aux soins.
Cette notion est subjective et ne connaît pas une définition juridique précise. Pour une illustration de réclamation relative au traitement spécifique accordé à des travailleurs jugés trop jeunes, voir la délibération de la HALDE n°2006-55 du 9 mai 2006, dont il est fait état dans le rapport annuel 2006 de la HALDE, p. 89.
Opération de sensibilisation des jeunes ; la HALDE s’interroge aussi actuellement sur les modalités d’application du droit de la non-discrimination aux stages.
A) Le traitement des réclamations relatives à l’âge en matière d’emploi
Les outils juridiques clés à disposition de la HALDE dans le traitement des réclamations sont définis par le droit. En effet, une discrimination est une inégalité de traitement fondée sur un critère prohibé par la loi – ce qui est le cas de l’âge –, dans un domaine visé par la loi – ce qui est aussi le cas du domaine de l’emploi, qui nous concerne ici6. On distingue alors la discrimination directe, traitement moins favorable dans une situation comparable, de la discrimination indirecte, qui résulte d’une disposition, d’un critère, d’une pratique apparemment neutre, mais qui est susceptible d’avoir le même impact qu’une discrimination directe et d’entraîner un effet défavorable pour une personne ou un groupe de personnes en raison d’un critère prohibé par la loi7. Il est à noter que la notion de discrimination liée à l’âge inclut des faits qui relèvent du harcèlement moral, définis comme tous les agissements liés à un critère de discrimination, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant8. Le fait d’enjoindre quelqu’un de discriminer est également sanctionné9.
Si une personne estime être victime d’une discrimination dans les termes définis ci-dessus, elle peut saisir la HALDE par courrier, en ligne ou par le biais d’un correspondant local. La Haute Autorité procédera alors à un contrôle de sa compétence pour aborder les questions soulevées, à l’identification des attentes de la victime, à la recherche éventuelle de preuves et enfin à une délibération – laquelle pourra donner lieu à une recommandation, une médiation, une proposition de transaction pénale10 ou, dans le cadre d’une procédure contentieuse, conduire à la transmission d’observations devant le tribunal administratif, civil11 ou pénal12. Il est aussi possible pour le collège de la HALDE de décider de transmettre l’affaire au procureur, qui décider par exemple d’une médiation pénale, d’un rappel à la loi ou d’un classement sans suite.
On observe que 50% des réclamations portées devant la HALDE sont relatives au domaine de l’emploi et que l’âge, qui concerne 6% des affaires, est le troisième critère de discrimination visé par les saisines (après l’origine – 30% – et le handicap – 20%). À ce jour, sur plus de 600 délibérations de la HALDE depuis sa création, une trentaine concernait l’âge13 – ce qui est donc faible –, et, dans la très grande majorité des cas, ces délibérations étaient relatives au domaine de l’emploi14.
La proportion des affaires relatives à l’âge portant sur le domaine de l’emploi dans le secteur privé est d’environ deux tiers ; et dans le secteur public, d’environ un tiers. On constate aussi qu’environ deux tiers des affaires sont relatives au recrutement, contre un tiers pour le déroulement de carrière, qui concerne notamment les mises à la retraite forcée, l’accès à la retraite, la promotion et la formation. Bien que le droit interdise les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi – quel que soit l’âge –, une très large majorité des affaires porte sur les travailleurs âgés15. Si l’on peut regretter cette disproportion, il est à espérer que les efforts de la HALDE, notamment dans le cadre d’une campagne d’information amorcée en juillet 200816, porteront leurs fruits. Il convient donc de se pencher sur la substance de ces délibérations.
La Haute Autorité a considéré qu’il s’agissait de la subordination d’une offre à une condition fondée sur l’âge, discrimination prohibée par les articles 225-1 et 225-2 du Code pénal. Les affaires ont été transmises aux parquets compétents (voir la délibération de la HALDE n°2005- 14 du 20 juin 2005). Depuis la loi n° 2006-396 du ç1 mars 2006 pour l’égalité des chances (JORF n° 79, 2 avril 2006, p. 4950, texte n°1), la Haute Autorité fait usage de ses pouvoirs de transaction pénale dans les cas où est mis en évidence ce type de pratique (voir la délibération de la HALDE du 27 novembre 2006, dont il est fait état dans le rapport annuel 2006, op. cit., p. 84.
Délibération de la HALDE n°2006-20 du 6 février 2006, disponible sur le site de la Des associations ont aussi contacté la HALDE pour l’interroger sur la possibilité pour les employeurs de signaler aux demandeurs d’emploi qui ont dépassé un certain âge que l’offre qu’ils mettent sur le marché peut leur être destinée. Les services juridiques de la HALDE ont toutefois invité à la prudence.
Délibération de la HALDE n°2007-49 du 5 mars 2007, dont il est fait état dans le rapport annuel 2007, p. 29.
Article 10 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JOUE L 303, 2 décembre 2000, 16); et article 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, (JORF n°123, 28 mai 2008, p. 8.801, texte n°1).
Voir en particulier le point 2 de la circulaire de la Direction des affaires criminelles du 26 juin 2006 relative à la présentation des dispositions de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances relatives à la lutte contre les discriminations et du décret n°2006-641 du 1er juin 2006 relatif aux transactions proposées par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Bulletin officiel du ministère de la Justice, n°102, 1er avril-30 juin 2006).
B) Les délibérations relatives aux discriminations liées à l’âge en matière d’emploi
Si l’objet de cette contribution n’est pas de fournir une liste exhaustive des délibérations sur ce sujet, il est intéressant d’en observer les principales dynamiques. La HALDE a comme principe directeur que l’âge d’une personne ne doit pas être pris en compte dans les choix des employeurs, qu’il s’agisse de recrutement, d’évolution de carrière ou encore de sortie d’emploi. À l’inverse, c’est autour des compétences que doivent s’articuler les décisions des employeurs.
À cet égard, l’une des premières affaires résultait d’une saisine collective de chômeurs qui souhaitaient attirer l’attention de la HALDE sur les situations de discriminations liées à l’âge dont ils faisaient l’objet dans l’accès à l’emploi, et en particulier dans les procédures de recrutement. Cela peut résulter non seulement de l’action des employeurs (du secteur public ou privé), mais aussi de celle des intermédiaires de l’emploi. Un exemple particulièrement flagrant : les offres d’emploi dont le libellé mentionne un critère d’âge. Ce type de pratique a pour effet de contribuer à l’exclusion des seniors du marché du travail et de renforcer l’idée selon laquelle ils ne sont plus employables – c’est donc illégal et pénalement répréhensible17.
La Haute Autorité a également été saisie de réclamations portant sur des situations où une personne voit sa candidature écartée en raison de son profil surdimensionné, surqualifié, de sa trop grande expérience ou de son faible potentiel d’évolution18. Dans la mesure où le comportement en cause n’est ici pas explicitement discriminatoire, comme c’était le cas des offres d’emploi mentionnées dans le paragraphe précédent, la HALDE a procédé à une enquête approfondie. Il s’agissait de retracer toute la procédure de recrutement mise en œuvre par l’employeur afin de déceler si l’âge n’était pas en réalité le critère essentiel sur lequel l’employeur s’était fondé pour écarter certains candidats.
Dans ces dossiers complexes, la Haute Autorité est attentive au recours à des notions de « substitution » au critère d’âge explicite telles que, par exemple, « senior », « junior », « expérience confirmée », « dimensionné », « surqualifié », « absence de potentiel d’évolution » – si elles ne sont pas mises en relation avec une expérience réelle. Il est acceptable, par exemple, qu’une offre précise « aucune expérience préalable exigée », mais, dans ce cas, le fait qu’un candidat témoigne d’une expérience pertinente ne devra pas être utilisé à son encontre.
De la même façon, la HALDE est vigilante lorsqu’un employeur cherche à justifier une décision négative relative au déroulement ou à la fin d’une carrière. Elle cherche à s’assurer que l’individu n’est pas poussé vers la sortie, par le biais d’un licenciement ou d’une mise en retraite ou préretraite forcée, par exemple, en raison de son âge et en dépit de son souhait de continuer à travailler. Il peut alors s’agir, notamment, de situations de harcèlement, de suppression d’activité ou encore de refus d’aménagement de poste. La HALDE a par exemple conclu à l’existence d’un traitement illégitime dans le cas où un salarié, qui avait une vingtaine d’années de présence dans l’entreprise, s’est vu retirer la possibilité de faire des gardes à la suite d’une faute tech- nique, alors qu’aucune proposition de formation au cours des dernières années de son contrat19 ne lui avait été faite pour maintenir son niveau de qualification.
Qu’il s’agisse d’allégations de discriminations liées à l’âge au stade du recrutement, dans le déroulement ou en fin de carrière, l’une des grandes difficultés dans ces affaires est de faire la preuve de la discrimination. Il faut donc en premier lieu qu’il puisse être demandé à l’employeur et/ou au directeur des ressources humaines de rendre compte de ses procédures et de ses politiques de recrutement. La Haute Autorité a dans ce sens recommandé aux cabinets de recrutement de veiller à ce que toute référence à l’expérience professionnelle soit définie en termes de niveaux de compétence et de responsabilité. Cela permet ensuite de vérifier que l’exigence d’expérience est strictement justifiée par rapport au poste à pourvoir, et que la procédure de recrutement vise effectivement à mettre en œuvre une recherche légitime d’expérience.
Afin de faciliter la mise en évidence d’une discrimination, les directives communautaires relatives à la non-discrimination dans l’emploi ont introduit le principe de l’aménagement de la charge de la preuve, qui a été repris en droit français20. Ainsi suffit-il d’établir les faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte pour qu’il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement.
Pour profiter de cet aménagement de la charge de la preuve, la HALDE cherche actuellement à élaborer une méthode qui permette de recueillir des indices ou des faits susceptibles de faire naître une présomption de discrimination à travers la mobilisation de données statistiques21, comme cela est fait dans d’autres pays. On peut ainsi comparer la structure d’âge du personnel d’une entreprise Y à celle d’un « ensemble de référence », tels les bassins d’emploi local, régional ou même national pour ce type de personnel, en fonction de ce qui est le plus pertinent par rapport à son degré de spécialisation.
Il est à noter que des tests de discrimination, ou testings, peuvent aussi être utilisés, au-delà du traitement d’une réclamation, pour mettre en évidence de grandes tendances dans les comportements discriminants. Ces tests permettent alors de comparer le traitement réservé à une « personne de référence » à celui réservé à des personnes susceptibles d’être discriminées en raison d’un critère prohibé par la loi. En 2008, la HALDE a établi, comme il ressort du tableau en page suivante, qu’au stade de l’embauche en entreprise le critère de l’âge est le plus pénalisant, puisque les candidats susceptibles d’être discriminés en raison de ce critère ont 42,17% de chances en moins d’être invités à un entretien qu’un candidat de référence (contre un taux de 22,77% pour une étude équivalente concernant le critère de l’origine).
Nombre de réponses positives comportant une offre d’entretien par type de candidat

Source :
HALDE*
* Dossier de presse de la HALDE, « Présentation des tests de discrimination », 10 juin 2008, p. 7. Voir par exemple la délibération de la HALDE n°2006-55 du 9 mai 2006, dont il est fait état dans le rapport annuel 2006 de la HALDE, p. 89
Voir par exemple la délibération de la HALDE n°2006-55 du 9 mai 2006, dont il est fait état dans le rapport annuel 2006 de la HALDE, p. 89.
Délibération n° 2007-49.
Voir la délibération de la HALDE n°2008-51 du 31 mars 2008, disponible sur le site de la HALDE.
Une fois établie la présomption ou la preuve d’une discrimination, il est possible à l’employeur de justifier son comportement. Il est légitime, par exemple, pour l’inspection académique de l’Éducation nationale de chercher à favoriser l’embauche des moins de 26 ans, cet objectif faisant l’objet de politiques nationales d’emploi spécifiques. La question suivante est toutefois celle de la proportionnalité du comportement mis en cause à l’objectif poursuivi. La HALDE veillera, dans ce cas, à ce que l’objectif légitime de favoriser l’embauche des jeunes ne permette pas, à lui seul, d’écarter systématiquement toutes les candidatures de personnes n’appartenant pas à cette catégorie d’âge23. De même, comme nous l’avons vu, l’employeur ne peut pas procéder au licenciement pour faute technique d’un travailleur senior s’il ne lui a pas proposé de formation d’adaptation au cours des dernières années24.
Les efforts de lutte contre les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi ont surtout eu pour le moment un effet très net sur les offres d’emploi faisant ouvertement référence à l’âge, ainsi que sur quelques droits génériques tels que le rachat d’années pour la retraite25. De même, dans la fonction publique, les limites d’âge pour les concours sont en voie de disparition.
Réflexion sur les moyens de promouvoir l’égalité des âges en matière d’emploi
Article 87 de la loi n°2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (JORF n° 294, 18 décembre 2008, 19291, texte n° 1), futur article L 1ç8-24 du Code de la Sécurité sociale.
Actuel article L 2242-19 du Code du travail.
Voir notamment : HALDE, « Prévention des discriminations dans l’emploi. Guide pour les PME, les TPE et l’artisanat ».
Florence Chappert et Nathalie Martinet ont passé en revue le contenu de 55 accords d’entreprise et de groupe relatifs à la GPEC et ont ainsi mis en évidence le décalage entre le contexte d’allongement de la vie professionnelle et le maintien de mesures d’encouragement au retrait d’activité. Bien que soient affichées des velléités en matière d’accès à – et de maintien dans – l’emploi des seniors, il existe toujours peu de dispositifs qui permettent de tenir compte du vieillissement du salarié et de la pénibilité du travail et qui cherchent à garantir une meilleure gestion des parcours tout au long de la vie. Voir F. Chappert et N. Martinet, « Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Que nous disent les accords signés ? », Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), novembre 2008, p. 77 sqq. (en particulier p. 87).
A) Les partenariats avec les acteurs clés
Au-delà du traitement des réclamations, la HALDE conduit une mission de promotion de l’égalité avec les partenaires clés.
Il s’agit en premier lieu du gouvernement. Ce dernier a fait adopter, par exemple, un système de sanctions qui devrait entrer en vigueur dès le 1er janvier 2010, et qui vise les employeurs qui ne seraient pas couverts par un accord ou par un plan d’action relatif à l’emploi des salariés âgés – et ce à hauteur de 1% de la masse salariale pendant la période de non-couverture26. Le gouvernement encourage actuellement le recensement de bonnes pratiques, la dénonciation des mauvaises, la mise en place d’indicateurs, etc., autant d’efforts qui vont dans le sens de ceux de la Haute Autorité.
En deuxième lieu, les partenaires sociaux ont un rôle clé à jouer. La loi impose aujourd’hui aux organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels de se réunir au moins une fois tous les trois ans pour négocier notamment la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et l’emploi des salariés âgés27. En outre, dans les entreprises de 300 salariés et plus, il existe une obligation triennale de négocier sur les conditions de retour à – et de maintien dans – l’emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle, même en l’absence d’accord de branche28.
En troisième lieu, la HALDE s’adresse directement aux entreprises pour les conseiller sur la marche à suivre afin d’éviter d’adopter des comportements discriminants, via la création de guides, par exemple29. Au stade du recrutement, il est suggéré que l’employeur ouvre les postes tant en interne qu’en externe et qu’il diffuse l’information le plus largement possible. Cela doit permettre d’éviter de projeter un candidat sur un poste avec d’éventuelles cibles d’âge «rémanentes» et de se concentrer sur le profil recherché indépendamment de l’âge. Le choix doit alors se faire à compétences égales. Ensuite, au stade du suivi de la carrière, l’employeur se doit d’être vigilant afin de maintenir les salariés dans l’emploi, quel que soit leur âge. Il s’agit alors d’assurer une bonne gestion prévisionnelle des carrières et des compétences en ayant recours à des bilans à mi-carrière, à des sessions de formation, ainsi qu’à l’aménagement des postes de travail, par exemple. Bien entendu, cet effort de dialogue s’adresse aussi aux employeurs du secteur public. La HALDE a signé en décembre 2008 une charte pour l’égalité avec le ministère de la Fonction publique, qui devrait ensuite permettre d’assurer un suivi et d’obtenir des engagements effectifs sur les questions d’âge ainsi que sur d’autres critères.
Les échanges entre la HALDE et les entreprises sont cruciaux – même si en pratique ils ont lieu avec les grandes entreprises plus facilement et plus souvent qu’avec les petites et les moyennes. Dans le cadre de ces échanges, une réflexion doit porter sur la sensibilisation des directeurs des ressources humaines à la gestion des âges en matière d’emploi. Ils sont par exemple accoutumés à penser qu’une « bonne gestion » consiste à rajeunir la pyramide des âges dans l’entreprise. Il faut donc inverser cette façon de penser. Cela est d’autant plus important qu’il peut y avoir un problème de cohérence de la politique menée par une entreprise si plusieurs types de mesures cohabitent, telles que les encouragements au retrait d’activité (rachat de trimestres manquants, préretraite d’entreprise, indemnités de départ) et les actions de maintien dans l’emploi (formation, aménagement des horaires et du temps de travail, temps partiel, tutorat, ergonomie des postes, entretiens de carrière réguliers)30. Ce travail de fond doit être fait non seulement avec les entreprises privées, mais aussi avec le secteur public.
Direction générale Humanisation du travail, « Réponses aux stéréotypes concernant le travailleur plus âgé », 30 octobre 2006.
Id., ibid., p. 135.
P. Tisserant et A.-L. Wagner (dir.), « Place des stéréotypes et des discriminations dans les manuels scolaires », rapport final réalisé pour le compte de la HALDE, 2008, p. 176 sqq.
B) Un travail en profondeur sur les stéréotypes liés à l’âge en matière d’emploi
Le travail de la HALDE dans le sens d’une plus grande égalité entre les tranches d’âge en matière d’emploi passe aussi, bien entendu, par un travail de fond sur les stéréotypes et sur l’identification des motivations des employeurs. Le fil rouge de l’analyse doit être la compétence et le profil des candidats.
Les réticences à l’adoption d’approches basées sur les compétences doivent être abordées ouvertement. Certaines questions sont communément soulevées : qu’en est-il de l’évolution de la productivité (obsolescence des compétences) ou de la motivation en fonction de l’âge ? D’autres sont plus taboues, notamment dès qu’il s’agit de remettre en cause le management ou les salaires – qui constituent de réelles pistes de travail : certains modes de management hiérarchique ne rendent-ils pas difficile l’intégration de collaborateurs plus âgés? Comment justifier l’embauche d’un travailleur plus âgé, dont les exigences salariales sont plus élevées ?
Il est nécessaire d’aborder ces questions de front afin d’éviter que la façon la plus simple de les résoudre soit, pour l’employeur, tout simplement d’écarter le candidat. Cela est d’autant plus souhaitable et urgent qu’il existe déjà des instruments intéressants qui permettent de déconstruire des préjugés dans ces domaines. Une étude belge31 démontre en particulier que l’avancée en âge ne constitue pas en soi un frein à une activité professionnelle productive, que ce soit pour des raisons physiologiques, de capacités cognitives ou sociales. Placé dans un environnement de travail sain, le travailleur âgé met « consciemment, mais souvent inconsciemment, en place des stratégies d’adaptation individuelles32 ».
Enfin, l’action de la HALDE doit aller de la lutte contre les préjugés liés à l’âge dans le simple domaine de l’emploi à la remise en cause de ces derniers, tels qu’ils sont véhiculés dans le quotidien des individus. À titre d’exemple, la Haute Autorité a fait réaliser une étude sur les stéréotypes dans les manuels scolaires, qui a permis de constater que les seniors étaient très rarement représentés dans des situations d’emploi, mais assez souvent dans des contextes de nécessité de soins, par exemple33.
Le nombre de réclamations dont est saisie la Haute Autorité confirme que la lutte contre les discriminations et pour la promotion de l’égalité relative au critère d’âge en matière d’emploi sera un enjeu considérable dans les années à venir. Cela situe l’ampleur de la tâche. Il convient donc de s’attacher à faire connaître aux individus leurs droits et les moyens de les faire valoir, et, au-delà, de continuer à améliorer la méthodologie pour l’établissement de la preuve, de poursuivre les actions de testing, d’encourager le travail sur les stéréotypes et d’y contribuer.
L’interdiction des discrimination sur critère d’âge en matière d’emploi : «une révolution culturelle ?»
Élise Muir, chargée de recherche à la Fondation pour l’innovation politique,
doctorante en droit social communautaire à l’université de Londres (Queen Mary)
Alors que se réunissaient, le 19 novembre 2008, Alexandra Poli et Stéphanie Seydoux pour la table ronde sur les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi, qui a constitué le point de départ de cette publication, la grève des pilotes d’Air France contre la modification de la limite d’âge pour exercer leurs fonctions mettait en évidence le caractère sensible de la question de l’âge en matière d’emploi en France2. Or, la France fait toujours figure de mauvais élève au niveau européen par son faible taux d’emploi des seniors, en dépit des initiatives visant à promouvoir une meilleure répartition des classes d’âge sur le marché du travail.
Parmi les instruments clés de cet effort : l’interdiction de discriminer sur critère d’âge en matière d’emploi (IDA). Insérée en droit français sous l’impulsion de la Communauté européenne (voir l’encadré ci-dessous), l’IDA représente une véritable « révolution culturelle3 » pour la société française. Tant l’approche par les discriminations que l’application de cette dernière au critère d’âge constituent des innovations majeures.

Ce terme est repris du texte même du traité instituant la Communauté européenne ; le législateur communautaire précise que « l’Union européenne rejette toutes théories tendant à déterminer l’existence de races humaines L’emploi du mot race dans la présente directive n’implique nullement l’acceptation de telles théories », directive 2000/4ç/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (JOUE L 180, 19 juillet 2000, p. 22), préambule point 6.
Article 13(1) du traité instituant la Communauté européenne (JOUE C 321E, 29 décembre 2006).
Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JOUE L 303, 2 décembre 2000, 16).
Loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations (JORF 267, 17 novembre 2001, 18.311) ; voir aussi la loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, titre II, chapitre IV (JORF, 18 janvier 2002, p. 1.008) et la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (JORF 123, 28 mai 2008, p. 8.801).
V. Guiraudon, « Construire une politique européenne de lutte contre les discriminations : l’histoire de la directive “race” », Sociétés contemporaines, 2004, n°53, p. 19.
Conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro, S. Coleman c. Attridge Law et Steve Law, C-303/06, 31 janvier 2008, point 8.
D. Lochak, « Réflexions sur la notion de discrimination », Droit social, 1987, p. 789.
Expression reprise du droit constitutionnel des États-Unis : , ibid., p. 782 et Conclusions de l’avocat général M. M. Poiares Maduro, op. cit., point 7.
S. Latraverse, « Tradition française et politique européenne de lutte contre les discriminations – à la lumière de trois directives européennes récentes », Caisse nationale des allocations familiales – Informations sociales, 2005, 5/125, p. 95.
Inspection générale des affaires sociales (IGAS), « Égalité de traitement et lutte contre les discriminations », in Rapport annuel 2006 relatif à la dimension européenne des politiques sociales, Rapport thématique 6, 2006, p. 415.
S. Latraverse, « Tradition française et politique européenne de lutte contre les discriminations », Caisse nationale des allocations familiales – Informations sociales, op. cit., p. 95.
F. Favennec-Héry, « Non-discrimination, égalité, diversité, la France au milieu du gué », Droit social, 2007, 1, p. 1.
IGAS, « Égalité de traitement et lutte contre les discriminations », in Rapport annuel 2006 relatif à la dimension européenne des politiques sociales, cit., p. 416. Ce document précise aussi les autres références à la non-discrimination antérieures à la loi de 2001, dans le Code du travail notamment.
S. Latraverse, « Le droit français en matière de discriminations », in Pour une société plus juste. Le droit international, communautaire et français en matière de discriminations, Organisation internationale pour les migrations, 2004, p. 126.
IGAS, « Égalité de traitement et lutte contre les discriminations », in Rapport annuel 2006 relatif à la dimension européenne des politiques sociales, cit., p. 415.
S. Latraverse, « Le droit français en matière de discriminations », in Pour une société plus juste. Le droit international, communautaire et français en matière de discriminations, op. cit., p. 126.
Id., ibid., p. 109.
Id., ibid., p. 127.
D. Lochak, « Réflexions sur la notion de discrimination », Droit social, op. cit., p. 779. 23. Eurobaromètre, « Discrimination in the European Union: perceptions, experiences and attitudes », juillet 2008 ; « Baromètre Adia-Observatoire des discriminations », novembre 2006 ; HALDE, « Présentation des tests de discrimination », 10 juin 2008.
Prohiber l’utilisation de critères de distinction arbitraires semble au premier abord faire l’objet d’un large consensus au sein de la société française8. Si l’on rejette toute distinction fondée sur l’origine ethnique, par exemple, c’est que l’on considère que cette caractéristique n’affecte pas les qualités intrinsèques de chaque individu. L’interdiction de discriminer permet en ce sens d’éviter que l’intéressé ne soit privé d’une chance ou d’un choix simplement en raison d’une caractéristique étrangère à sa valeur. La lutte contre les différences de traitement illégitimes, ou discriminations, vise ainsi à assurer la protection de « la dignité humaine et de l’autonomie personnelle9 ».
Une analyse plus poussée de l’interdiction des discriminations en matière d’emploi révèle toutefois des enjeux d’une complexité remarquable. Cette interdiction a tout d’abord comme corollaire la limitation de la liberté du chef d’entreprise de choisir ses collaborateurs10 ainsi que celle des autorités d’utiliser certains critères comme leviers de mise en œuvre de leurs politiques. L’IDA rend ainsi « suspecte11 » l’utilisation de l’âge comme critère de classification tant par les employeurs que par les autorités publiques, ces derniers doivent donc chercher à légitimer leurs décisions soit par référence à d’autres critères, soit en expliquant la nécessité du recours au critère d’âge. En outre, identifier une liste de critères de classification illégitimes, tels que la « race » ou l’origine ethnique, équivaut à définir les conditions de déclenchement d’un certain mode d’action publique : la protection contre les discriminations. Cela est en décalage avec la notion d’égalité résultant du droit public français, qui « renvoie à l’idée de citoyen abstrait12 » et est caractérisée par le refus de reconnaître des groupes intermédiaires, « minorités » ou « communautés13 ». L’approche française de l’égalité favorise l’articulation de l’action publique selon des critères socio-économiques14. C’est pourquoi l’introduction en France d’une approche en termes de discrimination, initialement pensée par rapport aux critères de « race » ou d’origine ethnique, a été tardive, et ses conséquences sont ainsi encore mal connues15.
En particulier, la question des discriminations était, jusqu’à récemment, abordée à titre principal à travers le droit pénal16. Il s’agissait ainsi de réprimer des différences de traitement exprimant une atteinte particulièrement grave à une valeur commune, le droit pénal permettant d’assurer une sanction symbolique17 des actes délictuels caractérisés par une intention de discriminer18. La lutte contre les discriminations, à l’inverse, implique « la construction d’un régime juridique comme régulateur social et outil de réparation19 ». Cela se traduit le plus souvent par le recours au droit civil et au droit du travail20. Dans ce cadre, qui résulte pour l’essentiel en droit français de la loi de 2001, la preuve de l’intention de discriminer n’est plus nécessaire pour déclencher un régime protecteur, et les modalités de preuve sont simplifiées21. Cela étant dit, en réalité, c’est précisément parce que l’application abstraite de la loi à tous est insuffisante pour assurer une égalité de fait entre les individus que la lutte contre les discriminations permet de contribuer à améliorer le fonctionnement de la société française22.
C’est donc en ayant à l’esprit le caractère novateur de l’approche par les discriminations impulsée par le droit européen, et le changement dans la culture juridique française qu’elle implique, que doit être analysée plus spécifiquement la lutte contre les discriminations fondées sur l’âge. Celle-ci est susceptible de modifier l’organisation actuelle du marché du travail en France de façon non négligeable. Comme il ressort des études chiffrées déjà citées dans la présente publication, les préjugés liés à l’âge et la discrimination qui en résulte sont particulièrement prégnants en France23.
L’IDA présente donc la double particularité de poser en des termes nouveaux, spécifiques à l’approche par les discriminations, le problème sensible du caractère illégitime du critère d’âge, longtemps considéré comme naturel en France. Au-delà du simple constat de la révolution culturelle que cette démarche représente, nous tenterons d’ébaucher les grands axes des développements à venir. Nous analyserons dans un premier temps la spécificité des distinctions fondées sur l’âge (I). Le caractère singulier de ce critère suspect permettra dans un deuxième temps de mieux cerner les nuances du droit portant interdiction de discriminer sur critère d’âge (II). Enfin, nous nous interrogerons sur le degré de contrôle qu’il convient d’exercer pour mettre en œuvre cette prohibition. Tant la spécificité du critère d’âge que les nuances du dispositif législatif pertinent conduisent en effet à insister sur les dangers d’une mise en œuvre trop rigide de l’interdiction (III), en particulier lorsque le critère d’âge est un outil de politique publique. Remettre en question tout critère d’âge peut conduire à un arbitraire tout aussi condamnable que celui qui fait l’objet même de la lutte contre les discriminations.
La spécificité des distinctions fondées sur l’âge
Conclusions de l’avocat général Mme Sharpston, Birgit Bartsch c. Bosch und Siemens Hausgeräte (BSH) Altersfürsorge GmbH, C-427/06, 22 mai 2008, points 44-46 et 56.
Selon le « Baromètre Adia-Observatoire des discriminations », cit., 8% des offres d’emploi de commerciaux précisent un critère d’âge en France.
H. Garner-Moyer, « Discrimination et emploi : revue de la littérature », Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES), 2003, p. 4 ; V. Caradec et A. Poli, « Diffusion et usages de la notion de discrimination sur l’âge en France », p. 15 sqq. de cette étude.
Les critères jugés illégitimes pour justifier une différence de traitement varient en fonction de la perception sociale du critère en cause. Le droit devrait refléter, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, un compromis social24. S’il existe désormais un vaste consensus sur l’illégitimité de distinctions fondées sur l’origine ethnique en matière de rémunération, par exemple, la prise en compte de l’âge d’un candidat au stade du recrutement est en revanche encore répandue25. De la même façon, il était encore fréquent, jusqu’à très récemment, de voir des politiques de l’emploi structurées selon des critères d’âge, comme le contrat première embauche ou la contribution Delalande. La perception sociale de ces différences de traitement a toutefois sensiblement évolué depuis le début des années 199026, aboutissant finalement à faire de l’âge un critère de classification suspect. Cette remise en cause récente de la légitimité du critère d’âge (A) rend nécessaire un rappel de la complexité de ce critère (B).
A.-M. Guillemard, « Pourquoi l’âge est-il en France le premier facteur de discrimination dans l’emploi ? », Retraite et société, 2007, 1/51, p. 17.
P. Langlois, « Que faire de l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge ? », Droit social, 2006, 12, p. 156.
Ces deux derniers États ont, comme la France, fait usage de l’âge comme variable d’ajustement du marché du travail pendant de nombreuses années : voir Morel, B. Joly et G. Maigne, « Rapport sur la gestion des âges et les politiques de l’emploi dans l’Union européenne », IGAS, mai 2004, 2004-53, p. 11.
Voir A.-M. Guillemard, « Les quinquagénaires sur le marché du travail en Europe : entre fragilisation et relégation », Retraite et société, 2002, 3/37, p. 37-ç8.
M.-C. Amauger-Lattes, « La discrimination fondée sur l’âge : une notion circonstancielle sous haute surveillance », Retraite et société, 2007, 1/51.
Voir G. Lyon-Caen, « Différence de traitement ou discrimination selon l’âge », Droit social, 200ç, 12, p. 1.048.
A.-M. Guillemard, « Pourquoi l’âge est-il en France le premier facteur de discrimination dans l’emploi ? », Retraite et société, op. cit., p. 18-19.
Plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors 2006-2010, op. cit., p. 2.
A.-M. Guillemard, « Pourquoi l’âge est-il en France le premier facteur de discrimination dans l’emploi ? », Retraite et société, op. cit., p. 21, et « Les quinquagénaires sur le marché du travail en Europe : entre fragilisation et relégation », Retraite et société, op. cit., p. 15.
G. Huyez-Levrat, « Le faux consensus sur l’emploi des seniors », rapport de recherche du Centre d’études de l’emploi, mai 2008, p. 37.
Sur les stéréotypes à l’encontre des travailleurs âgés, voir H. Garner-Moyer « Discrimination et emploi : revue de la littérature », op. cit., p. 78-79, et, pour une illustration de la multiplicité des types de recours au critère d’âge, voir J.-J. Dupeyroux, « L’âge en droit social », Droit social, 2003, 12, p. 1.041-1.042.
Mercat-Bruns, « Discrimination fondée sur l’âge et fin de carrière », Retraite et société, 2002, 2/36, p. 122-123 ; A. Jolivet, « Employment and labour market policies for an ageing workforce and initiatives at the workplace. National overview report: France », Observatoire européen des relations industrielles, avril 2007, p. 6.
V. Caradec et A. Poli, « Diffusion et usages de la notion de discrimination sur l’âge en France », p. 15 sqq. de cette étude.
M. Mercat-Bruns, « Discrimination fondée sur l’âge et fin de carrière », Retraite et société, op. cit., p. 116.
P. Langlois, « Que faire de l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge ? », Droit social, op. cit., p. 156-157.
IGAS, « Égalité de traitement et lutte contre les discriminations », in Rapport annuel 2006 relatif à la dimension européenne des politiques sociales, cit., p. 419.
V. Guiraudon, « Construire une politique européenne de lutte contre les discriminations », Sociétés contemporaines, op. cit., p. 18.
Id., ibid., p. 2ç-24.
IGAS, « Égalité de traitement et lutte contre les discriminations », in Rapport annuel 2006 relatif à la dimension européenne des politiques sociales, cit., p. 423.
Age Discrimination in Employment Act of 1967 (United States Code, Title 29, Chapter 14) ; H. C. Eglit, « L’âge dans le monde du travail aux États-Unis », Retraite et société, 2007, 1/51.
H. C. Eglit, « L’âge dans le monde du travail aux États-Unis », Retraite et société, op. cit., p. 43.
IGAS, « Égalité de traitement et lutte contre les discriminations », in Rapport annuel 2006 relatif à la dimension européenne des politiques sociales, cit., p. 424-431.
A) La mise en cause récente de la légitimité du critère d’âge
La mise en cause de la légitimité des classifications fondées sur l’âge en France vient bouleverser l’approche classique selon laquelle l’âge est un « critère fondateur de l’État social27 », sous une impulsion européenne enthousiaste mais qui a probablement sous-estimé certains enjeux pour des États membres comme la France28, la Belgique ou encore l’Allemagne29.
La définition du critère d’âge comme suspect et potentiellement constitutif d’une discrimination cristallise tout d’abord une nouvelle approche de la gestion des âges en matière d’emploi, puisque le recours à ce critère a pendant de nombreuses années fait partie intégrante, et dans une certaine mesure « naturelle »30, des politiques d’emploi31. En France, de multiples dispositifs publics datant des années 1980 et du début des années 1990, structurés en fonction des âges32 tels les préretraites et les dispenses de recherche d’emploi, ont nourri ce que A.-M. Guillemard qualifie de « culture de la sortie précoce [du marché du travail] 33 », et ce aussi bien chez les employeurs que chez les salariés 34. Cette tendance, en conjonction avec l’allongement de la durée des études et les difficultés d’insertion des jeunes sur le marché du travail, a conduit à la concentration de l’emploi sur la tranche d’âge médiane35. La France connaît ainsi aujourd’hui un taux de chômage élevé chez les jeunes et un taux d’emploi faible chez les seniors, pour lesquels cela est couplé avec un chômage de longue durée 36. Les différences de traitement fondées sur l’âge sont donc particulièrement notables en France parce qu’elles ont, pendant de nombreuses années, été perçues comme parfaitement légitimes37. Mettre un terme à l’utilisation de l’âge comme variable d’ajustement du marché du travail suppose donc un changement complet d’approche. Or, une telle évolution, illustrée par l’adoption de la loi de 2001 relative à la lutte contre les discriminations, n’a pas fait l’unanimité parmi les partenaires sociaux en France ni ne s’est imposée comme une évidence dans les travaux préparatoires de ladite loi. M. Mercat-Bruns observe qu’aucun des travaux initiaux du Sénat et de l’Assemblée nationale n’évoquait le critère d’âge, et A. Jolivet rappelle qu’il a par la suite été inséré contre l’avis du gouvernement dans la loi de 200138. Le vieillissement de la population active ainsi qu’un large effort européen de lutte contre les discriminations39 ont certainement été les principaux catalyseurs de cette évolution40.
Au niveau européen même, la « mise hors la loi » du critère d’âge dans la directive 2000/78 peut sembler avoir été insuffisamment réfléchie41. Selon une étude de l’IGAS, l’insertion du critère d’âge dans ce texte communautaire a résulté de l’élan politique qui a conduit à l’adoption exceptionnellement rapide des dispositions contre les discriminations liées à la « race » ou à l’origine ethnique, à la religion ou aux convictions, au handicap et à l’orientation sexuelle, dans l’année et demie suivant l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam42. V. Guiraudon a même suggéré que la création de la base juridique permettant l’adoption d’instruments de lutte contre les discriminations au niveau communautaire était considérée par les États membres « comme une façon peu coûteuse de paraître “politiquement correct”43 ». Un travail considérable de préparation et de pression accompli en amont par le secteur non gouvernemental, l’émoi suscité par l’arrivée au pouvoir du parti de Jörg Haider, en Autriche, ainsi qu’une volonté affichée de contribuer à la création d’une identité européenne sont donc certainement les facteurs clés qui ont contribué à l’adoption exceptionnellement rapide de ces instruments de lutte contre les discriminations44. Nous pourrions ajouter à cela l’influence du modèle nord-américain, selon lequel l’âge est un critère « suspect » de classification depuis de nombreuses années45; cela résulte en particulier, aux États-Unis, de l’Age Discrimination in Employment Act (ADEA)46. Sur ce point, toutefois, la comparaison est d’une portée relative puisque l’ADEA a résulté précisément des réticences à prohiber les classifications fondées sur l’âge dans le même instrument juridique que les autres critères de discrimination47, à la différence de ce que fait la directive 2000/78.
Les conséquences de l’affirmation récente du caractère suspect du critère d’âge ont fait l’objet d’une attention insuffisante. On peut d’ailleurs regretter que la France ne se soit pas davantage impliquée dans les négociations qui ont abouti à l’adoption de la directive visant à la prohibition, entre autres, des discriminations fondées sur l’âge48. Quelles sont donc les interrogations qui auraient dû être plus clairement analysées ?
M. Brisse, « La jurisprudence européenne sur les discriminations fondées sur l’âge », Retraite et société, 2007, 2/51, p. 286.
T. Burke, « Un éclairage du droit québécois », Retraite et société, 2007, 2/51, p. 77.
L. M. Friedman, « ADEA and ADA Assessed », in J. J. Donohue III, Foundations of Employment Discrimination Law, New York, Foundation Press, seconde édition, 2003, p. 494.
M.-C. Amauger-Lattes, « La discrimination fondée sur l’âge : une notion circonstancielle sous haute surveillance », Retraite et société, op. cit., p. 27.
Conclusions de l’avocat général Mme E. Sharpston, op. cit., points 96-99.
M. Mercat-Bruns, « Discrimination fondée sur l’âge et fin de carrière », Retraite et société, op. cit., p. 127.
G. Huyez-Levrat, « Le faux consensus sur l’emploi des seniors », op. cit., p. 5.
A.-M. Guillemard, « Pourquoi l’âge est-il en France le premier facteur de discrimination dans l’emploi ? », Retraite et société, op. cit., p. 16.
M.-C. Amauger-Lattes, « La discrimination fondée sur l’âge : une notion circonstancielle sous haute surveillance », Retraite et société, op. cit., introduction.
Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, « La lutte contre les barrières de l’âge dans l’emploi », Office des publications officielles des Communautés européennes, 1997, p. 27.
Morel, B. Joly et G. Maigne, « Rapport sur la gestion des âges et les politiques de l’emploi dans l’Union européenne », op. cit., p. 31.
Voir M.-C. Amauger-Lattes, « La discrimination fondée sur l’âge : une notion circonstancielle sous haute surveillance », Retraite et société, op. cit., p. 27.
V. Caradec et A. Poli, « Diffusion et usages de la notion de discrimination sur l’âge en France », p. 15 sqq. de cette étude.
G. Huyez-Levrat, « Le faux consensus sur l’emploi des seniors », op. cit., p. 40.
M.-C. Amauger-Lattes, « La discrimination fondée sur l’âge : une notion circonstancielle sous haute surveillance », Retraite et société, op. cit., introduction.
H. Garner-Moyer, « Discrimination et emploi : revue de la littérature », op. cit., p. 17.
B) La complexité du critère d’âge
Ces interrogations sont multiples et tiennent à la nature complexe du critère d’âge. Il est possible d’en résumer les grands axes comme suit.
Premièrement, à la différence des autres critères de distinction qualifiés de « suspects », tels l’origine ethnique ou le sexe, l’âge est un critère évolutif49. Les effets de l’âge ont des conséquences différentes selon les individus50 et s’inscrivent dans un cycle de vie51. Or, l’analyse des discriminations exige, pour mettre en évidence une différence de traitement illégitime, que l’on compare la situation de l’intéressé avec celle d’une personne de référence dans une situation comparable. Les questions qui se posent alors sont multiples : quels groupes d’âges comparer et comment définir ces groupes52 ? Qu’entend-on par jeune ou par senior ? Ceux-ci sont-ils toujours dans des situations réellement comparables? Les classifications fondées sur l’âge « relatif53 » doivent-elles aussi être considérées comme suspectes (par exemple l’exclusion du droit à pension de survie des conjoints jeunes de plus de quinze ans que le travailleur défunt) ? Tous les groupes d’âges méritent-ils le même degré de protection ?
Deuxièmement, au sein de l’entreprise, rendre suspecte l’utilisation du critère d’âge revient à exiger de l’employeur que, au lieu de faire référence à l’âge, il motive ses décisions en référence à des critères légitimes de distinction, tels que les qualifications ou les compétences. Se pose alors la question du caractère acceptable, au regard de la loi, de justifications liées à l’ancienneté dans l’entreprise, aux perspectives de carrière ou aux craintes relatives aux capacités physiques et à l’adaptabilité, qui, bien que renvoyant indirectement à l’âge, peuvent sembler tout à fait légitimes à nombre d’employeurs54. La réponse à cette interrogation a des conséquences importantes sur l’effort de lutte contre les discriminations, fourni, d’une part, au niveau national – en particulier par rapport aux seniors –, et, d’autre part, par les acteurs locaux. Entreprises, service public de l’emploi, mais aussi salariés et syndicats, qui continuent d’avoir recours à l’âge comme critère de classification en matière d’emploi55, peuvent en effet être réticents à remettre en question l’ensemble de leurs pratiques qui font appel directement ou indirectement à l’âge.
Troisièmement, il semble délicat, sinon inapproprié, de remettre en question tout recours aux classifications par l’âge en matière d’emploi pour structurer les politiques publiques. Le recours direct à l’âge pour interdire le travail des enfants ou pour déterminer l’âge du départ à la retraite, par exemple, semble difficilement contestable56. Plus délicate est la question des politiques ayant comme objectif spécifique de pallier les difficultés d’accès à l’emploi de certaines classes d’âge : alors que le critère d’âge a longtemps été déclencheur de la sortie du marché du travail des seniors, on peut par exemple s’interroger aujourd’hui sur la nécessité du recours au critère d’âge pour structurer des mesures
de maintien et de retour à l’emploi. Dans cette hypothèse, le recours aux différences de traitement fondées sur l’âge peut sembler légitime, voire indispensable, du point de vue de l’objectif socio-économique d’augmentation du taux d’emploi des classes d’âge défavorisées57. Avec le risque, néanmoins, de laisser perdurer les préjugés et la stigmatisation à l’encontre des travailleurs selon leur âge58. Réconcilier le principe de non-discrimination et la nécessité d’adopter des politiques actives au profit de certaines classes d’âge est une tâche difficile et constitue un problème central en France comme en Europe 59. On pourrait s’interroger sur l’assimilation de ces situations à la notion de discrimination ou d’action positive, utilisée en particulier en matière d’égalité des sexes. Ce parallèle connaît toutefois des limites dès lors que les mesures publiques visent à favoriser l’insertion d’une certaine classe d’âge sur le marché de l’emploi en diminuant le niveau de protection accordé par le droit du travail à cette dernière60, comme c’était le cas du contrat première embauche.
Ces incertitudes soulèvent un quatrième point délicat, relatif à la finalité précise de la lutte contre les discriminations sur critère d’âge. V. Caradec et A. Poli mettent en évidence la double dynamique, d’une part antidiscriminatoire et d’autre part économique ou démographique, qui sous-tend la diffusion de la notion de discrimination liée à l’âge61. Alors que, comme souligné ci-dessus, la lutte contre les discriminations est traditionnellement mise au service de la dignité et de l’autonomie personnelle, la question de l’accès à – et du maintien dans – l’emploi de toutes les classes d’âge constitue un enjeu économique majeur. L’augmentation du taux d’emploi des seniors est d’ailleurs l’un des objectifs de la stratégie de Lisbonne, qui vise à faire de l’économie européenne la plus compétitive du monde. Cela se traduit en particulier par l’insertion du thème de la lutte contre les discriminations dans le cadre plus large de l’« activation62 » des populations en marge du marché du travail. L’enjeu est ainsi à la fois d’accompagner le vieillissement de la population active63 et de promouvoir la compétitivité des entreprises, en les invitant à prendre en compte les compétences réelles des candidats quel que soit leur âge64. Or, les perspectives sont différentes si l’on part du principe que les seniors souhaitent être maintenus dans l’emploi, auquel cas il convient de protéger leur autonomie décisionnelle, ou si l’on estime que cela est nécessaire pour des raisons de politique publique. D’où la difficulté de définir un dispositif juridique adéquat.
Les nuances du droit portant interdiction de discriminer sur critère d’âge
P. Schuck, « The Graying of Civil Rights Law », Yale Law Journal, 1979, 89, p. 38.
Comme le souligne P. Schuck, si l’âge est radicalement différent des autres critères dits « suspects », le dispositif mis en place pour lutter contre les discriminations fondées sur l’âge devrait tenir compte de ses spécificités65. Or, le cadre législatif existant, qui résulte tant d’instruments de droit communautaire que d’instruments de droit français, présente une surprenante combinaison de techniques juridiques. D’une part, au niveau tant européen que français, le législateur affiche sa volonté de traiter l’âge comme un critère suspect parmi d’autres en faisant usage des mécanismes communs à toute lutte contre les discriminations (A). D’autre part, l’IDA est assortie de nombreuses limites (B), de telle sorte que le dispositif législatif relatif aux discriminations fondées sur l’âge est en réalité très singulier.
M.-C. Amauger-Lattes, « La discrimination fondée sur l’âge : une notion circonstancielle sous haute surveillance », Retraite et société, op. cit., p. 27.
H. Garner-Moyer, « Discrimination et emploi : revue de la littérature », op. cit., p. 85.
Mercat-Bruns, « Discrimination fondée sur l’âge et fin de carrière », Retraite et société, op. cit., p. 129-130.
Articles 225-1 et suivants et article 4ç2-7 du Code pénal.
Loi n°2004-1486 du ç0 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (JORF 304, 31 décembre 2004, 22567) ; décret n°2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (JORF 55, 6 mars 2005, p. 3.862) ; loi n°2006-396 du ç1 mars 2006 pour l’égalité des chances (JORF 79, 2 avril 2006, p. 4.950), titre II, section 2.
Voir en particulier M. Bell, I. Chopin et Palmer, « Le développement de la législation contre les discriminations en Europe. Une comparaison entre les 25 États membres de l’Union », juillet 2007, , p. 108-113.
Seydoux, « La HALDE dans la lutte contre les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi », p. 29 sqq. de cette étude.
A) Les mécanismes communs à toutes les luttes contre les discriminations
À l’échelle européenne, l’âge est en premier lieu présenté comme un critère de distinction suspect, au même titre que la religion ou les convictions, le handicap et l’orientation sexuelle. Ces critères sont en effet couverts par le même texte législatif, à savoir la directive 2000/78. L’ensemble des techniques juridiques propres à la lutte contre les discriminations s’applique donc à l’âge comme aux autres critères suspects.
Est prohibé l’usage de critères qui ont pour effet direct ou indirect d’établir une différence de traitement en fonction de l’âge. Doivent en effet disparaître non seulement les discriminations directes, mais aussi les discriminations indirectes, c’est-à-dire les dispositions, critères ou pratiques apparemment neutres mais susceptibles d’entraîner un désavantage particulier pour une ou des personnes d’un âge donné. Cette interdiction de discrimination porte sur le domaine de l’emploi et du travail entendu comme couvrant le secteur tant public que privé et comprenant un ensemble d’actes allant de l’embauche à l’affiliation à une organisation de travailleurs. Précisons que, la directive étant adressée aux États, les législateurs et administrations nationaux doivent aussi respecter l’interdiction de discriminer. Comme pour l’ensemble des critères suspects, la directive 2000/78 permet toutefois à la législation des États membres de déroger à l’interdiction pour des raisons de sécurité publique, de défense de l’ordre et de prévention des infractions pénales, de protection de la santé et de protection des droits et libertés d’autrui. Les différences de traitement susceptibles de constituer des discriminations indirectes peuvent aussi être justifiées par la poursuite d’un autre objectif légitime. En outre, les États membres peuvent permettre qu’une différence de traitement fondée sur l’un des critères suspects soit légitime si elle constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante (ce qui sera probablement rare dans le cas du critère d’âge66). Cela étant, même s’il existe la possibilité de déroger à l’interdiction ou de justifier la différence de traitement fondée sur l’âge, l’utilisation de ce critère devra se révéler nécessaire et appropriée. Enfin, la directive prévoit un ensemble de dispositions permettant sa mise en œuvre. Le mécanisme central étant l’aménagement de la charge de la preuve au profit de la personne qui s’estime lésée.
En France, à l’exception de l’interdiction de l’utilisation exclusive de l’âge comme une cause illégitime de licenciement67, la première interdiction de portée générale des discriminations fondées sur l’âge résulte de la loi de 2001. Cette loi est l’instrument principal de transposition des prescriptions minimales de la directive 2000/78. Elle fait donc écho aux dispositions décrites ci-dessus et aborde aussi l’âge comme un critère suspect au même titre que les autres. L’interdiction des discriminations à la fois directes et indirectes constitue une évolution notable pour le droit français. Ce dernier n’est en effet pas accoutumé, on l’a dit, à aborder les discriminations non intentionnelles, ni à simplifier les modalités de preuve68, puisque, traditionnellement, il abordait la question à titre principal sous l’angle du droit pénal, qui requiert une plus grande rigueur en la matière.
Pourtant, le législateur français est allé au-delà des exigences de la directive 2000/78, et ce à deux égards. En effet, le droit français pousse plus loin encore que la directive l’assimilation du critère d’âge aux autres critères suspects. En premier lieu, la discrimination sur critère d’âge, comme les discriminations qui sont fondées sur d’autres critères suspects, est en droit français susceptible de constituer un délit pénal69. En d’autres termes, une discrimination fondée sur l’âge peut être considérée comme néfaste non seulement pour la victime, mais aussi pour la société dans son ensemble. En second lieu, le droit français70, comme celui de plusieurs autres États européens71, a donné compétence à un organisme indépendant – la HALDE – pour lutter contre les discriminations et promouvoir l’égalité en matière de discriminations liées à l’âge comme à d’autres critères. Stéphanie Seydoux souligne dans cet ouvrage l’importance du rôle européen de cet organe en France72.
Tant les États membres de l’Union européenne que les législateurs communautaires et français ont donc a priori affiché une volonté ferme d’aborder la question de la lutte contre les discriminations sur critère d’âge de la même façon que la lutte contre les discriminations fondées sur d’autres critères suspects. Pourtant, une analyse plus détaillée du dispositif mis en place révèle une prudence singulière de la part du législateur dans la façon d’aborder l’IDA.
M.-A. Moreau, « Les justifications des discriminations », Droit social, 2002, 12, p. 1.118-9.
B) Les nombreuses limites à l’interdiction de discriminer sur critère d’âge
Plusieurs dispositions au niveau tant communautaire que national précisent les limites de l’IDA et font ainsi de l’âge un critère soumis à un régime particulièrement flexible en comparaison avec les autres critères suspects.
La directive 2000/78, tout d’abord, envisage la possibilité de doubler la période accordée aux États membres pour procéder à la transposition de ses dispositions afin de tenir compte des difficultés spécifiques que leur mise en œuvre peut poser dans certains États. Le législateur communautaire a en outre été prudent, insistant, dans l’article 6 de la directive, sur la possibilité de justifier l’utilisation du critère d’âge73 (voir l’encadré ci-dessous). Or, et ceci n’existe que concernant le critère d’âge, la possibilité d’avoir recours à une liste ouverte de justifications permet de légitimer non seulement une différence de traitement ayant un effet indirect sur une classe d’âge, mais aussi une différence de traitement fondée directement sur l’âge. L’article 6 fournit des exemples de justifications et indique des différences de traitement fondées sur l’âge considérées comme légitimes. Enfin, le champ de l’IDA est limité à plusieurs égards. Elle ne s’applique pas aux versements effectués par les régimes publics ou assimilés (par exemple, les régimes de Sécurité sociale ou de protection sociale). Les États peuvent aussi exclure du champ de l’IDA les limites d’âge en matière d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite ou d’invalidité pour les régimes professionnels de Sécurité sociale, ou d’intégration au sein des forces armées.

ADEA, op. cit. ; H. C. Eglit, « L’âge dans le monde du travail aux États-Unis », Retraite et société, op. cit., p. 43.
Id., ibid., loc. cit.
La Cour de justice des Communautés européennes a affirmé qu’il n’était pas nécessaire que le droit national prévoie une liste spécifique des différences de traitement pouvant être justifiées par un objectif légitime : CJCE, The Incorporated Trustees of the National Council for Ageing (Age Concern England), C-388/07, 5 mars 2009 (non encore publié au recueil), point 43.
Code du travail, article 1133-2(1).
La distinction entre « conditions spéciales d’accès à l’emploi » au sens du droit communautaire et « interdiction de l’accès à l’emploi » au sens du droit français pourrait conduire à des interrogations sur la conformité de la loi française avec la directive.
M. Mercat-Bruns, « Discrimination fondée sur l’âge et fin de carrière », Retraite et société, op. cit., p. 119-122.
Id., ibid., p. 120.
Le contenu de la directive 2000/78 trahit donc une certaine inquiétude quant à une interdiction trop générale du recours au critère d’âge. Mais, même ainsi, le cadre défini est à certains égards plus contraignant que ceux qui sont en vigueur en Amérique du Nord. Aux États-Unis, par exemple, au niveau fédéral, l’IDA ne bénéficie qu’aux personnes de 40 ans ou plus et ne pèse que sur les moyens et gros employeurs74. En outre, à la différence de ce qui existe dans la Communauté européenne, aux États-Unis ne sont soumis à l’IDA que les employeurs et autres intermédiaires de l’emploi, et non les législateurs des entités fédérées. En effet, l’ADEA est adressé aux employeurs et autres intermédiaires de l’emploi, et il n’existe pas de protection constitutionnelle contre les discriminations liées à l’âge aux États-Unis75 ; la directive 2000/78, en revanche, vise à l’élimination de toutes les discriminations non seulement de la part des employeurs, mais aussi de la part des autorités publiques dans la définition de leurs politiques. La solution retenue dans la Communauté européenne se révèle donc en ce sens comparativement ambitieuse.
En France, État membre de l’Union qui n’a pas souhaité bénéficier des délais de transposition supplémentaires permis par la directive, le Code du travail prévoit aussi un article L. 1133-2, consacré à l’âge (voir l’encadré ci-dessous). Il donne des illustrations plus précises que la directive de l’objet des politiques de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle qui permettront en France de légitimer l’utilisation du critère d’âge76. En outre, le droit français reprend deux des exemples concrets de mesures dont la raison d’être est jugée légitime, cités dans la directive – dont « l’interdiction de l’accès à l’emploi ou la mise en place de conditions de travail spéciales en vue d’assurer la protection des jeunes et des travailleurs âgés77 », qui est toutefois formulée dans des termes différents de ceux de la directive. Cela pourra nécessiter des éclaircissements si la disposition est interprétée de sorte à aller au-delà de ce que la directive permet78. Selon M. Mercat-Bruns, cette liste n’a pas fait l’objet de discussions spécifiques au Parlement, mais vise à « accorder des droits ou [à] répartir des avantages selon des tranches d’âge au gré des orientations des politiques sociales qui peuvent vouloir privilégier l’une ou l’autre cohorte d’âge79 ». Il s’agit donc de laisser une certaine marge de manœuvre aux autorités chargées de la gestion du marché du travail lorsqu’elles structurent des politiques de l’emploi en fonction de l’âge. Cela étant, bien que ces justifications soient légitimes, l’utilisation du critère d’âge devra tout de même être appropriée et nécessaire pour atteindre ces objectifs. Si une mesure est articulée en fonction d’un critère d’âge, c’est donc au juge, au stade de l’analyse de la proportionnalité de l’utilisation du critère d’âge, qu’il reviendra de décider de la compatibilité de la mesure avec l’IDA80.

Ainsi, tant le législateur communautaire que le législateur français ont-ils souhaité combiner une affirmation du principe de l’IDA avec une possibilité particulièrement étendue de justifier le recours au critère d’âge. Le dispositif juridique qui résulte de ce processus législatif est donc remarquablement flexible, ce qui renvoie vers le juge et les autorités chargées de résoudre des litiges le rôle de délimiter en pratique l’IDA.
La tentation d’une mise en oeuvre trop rigide de l’interdiction ?
C’est au stade de la mise en œuvre de l’IDA que se cristallisent les incertitudes liées à la spécificité de ce critère suspect et aux nuances du cadre juridique pertinent. Se pose la question de savoir s’il convient de s’attaquer de front à toutes les distinctions fondées sur l’âge en matière d’emploi ou si une certaine marge de manœuvre doit être accordée aux décideurs. Si une certaine marge de manœuvre doit en effet être accordée aux décideurs pour l’utilisation de critères d’âge, celle-là doit-elle uniquement bénéficier aux autorités responsables des politiques de l’emploi ou aussi aux employeurs ? Or, la flexibilité du cadre juridique exposé ci-dessus rend la tâche particulièrement difficile pour les organes chargés de la mise en œuvre de l’interdiction, à savoir le judiciaire et la HALDE, en France. À ce jour, alors que le dispositif législatif est encore balbutiant, on observe un effort louable en vue d’éliminer les distinctions arbitrairement fondées sur l’âge dans les relations de travail (A) ainsi qu’une hésitation sur la possibilité d’avoir recours à l’âge pour articuler l’action publique. Face à ces hésitations, rappelons que, dès lors que les autorités publiques jugent utile le recours à l’âge, il semble que le judiciaire doive leur reconnaître une grande marge de manœuvre (B).
Loi n° 83-634 du 1ç juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, article 6, al. 2 (JORF, 14 juillet 1983, 2174).
HALDE, délibérations n° 2006-60 à 66, ç avril 2006 ; HALDE, « Rapport annuel 2007 », p. 19.
Conclu le 13 octobre 2005 et signé le 9 mars 2006.
Plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors 2006-2010, cit., action 18.
« Première condamnation pour discrimination à l’embauche sur critère d’âge », L’Expansion.com, 13 février 2007 ; HALDE, rapport annuel 2006, 83-84.
HALDE, délibération n°2006-53, 27 mars 2006 (et HALDE, rapport annuel 2007), point 2.2, ainsi que la délibération n°2007-199, 2 juillet 2007.
HALDE, délibération n°2008-39, 3 mars 2008.
HALDE, rapport annuel 2006, p. 84.
HALDE, délibération n°2005-14, 20 juin 2005; HALDE, communiqué de presse, 19 septembre 2006.
HALDE, délibération n°2008-53, 31 mars 2008.
A.-M. Guillemard, « Pourquoi l’âge est-il en France le premier facteur de discrimination dans l’emploi ? », Retraite et société, op. cit., p. 13.
Conseil d’État, 4e sous-section jugeant seule, n° 310.768, 25 juin 2008 (inédit au recueil Lebon).
Voir aussi Conseil d’État statuant au contentieux n°270.811, 8 juin 2005 (inédit au recueil Lebon).
HALDE, rapport annuel 2006, p. 84.
S. Seydoux, « La HALDE dans la lutte contre les discriminations liées à l’âge en matière d’emploi », p. 33 sqq. de cette étude.
HALDE, délibération n° 2007-306, 26 novembre 2007.
HALDE, rapport annuel 2006, p. 82.
A) Éliminer les distinctions arbitrairement fondées sur l’âge dans les relations de travail
L’insertion en droit français de l’IDA en matière d’emploi a abouti à plusieurs initiatives visant à la suppression de toute une série de distinctions arbitrairement fondées sur l’âge.
Dans le secteur public, la loi de 2001 modifie la loi dite Le Pors portant droits et obligations des fonctionnaires81 afin d’affirmer le principe de l’interdiction de discriminer entre fonctionnaires sur critère d’âge. De la même façon, les statuts des entreprises publiques doivent être épurés d’une multitude de classifications fondées sur l’âge. Tel a été le cas des limites d’âge pour le recrutement d’agents statutaires au sein d’EDF, de GDF, de la RATP et de la SNCF, par exemple82. Dans le secteur privé, les partenaires sociaux se sont notamment emparés de la question dans le cadre de l’Accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 relatif à l’emploi des seniors en vue de promouvoir leur maintien et leur retour à l’emploi (ANI relatif à l’emploi des seniors)83. Cet accord a conduit à l’adoption d’un plan national d’action concerté dans lequel les signataires s’engagent à éliminer la discrimination à l’emploi lors du recrutement, affirment la mobilisation des branches et des entreprises et demandent spécifiquement à l’ANPE, à l’APEC, aux cabinets de recrutement et aux entreprises d’intérim de ne pas discriminer sur critère d’âge84.
Cette dynamique à l’échelle nationale a été accompagnée de l’émergence de litiges dans lesquels une partie s’estimait victime d’une discrimination fondée sur l’âge. Les cas les plus manifestes sont relatifs à des exigences d’âge à l’embauche85. Les cabinets de recrutement et le secteur public se sont ainsi vu adresser des recommandations86, et des indemnités ont été préconisées pour les victimes87 à la suite des premières délibérations de la HALDE. Bien que cette autorité ne soit pas un organe judiciaire, son rôle dans la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité nécessite que l’on se penche sur la façon dont elle aborde l’IDA. Les offres d’emploi faisant mention de critères d’âge ont fait l’objet d’une attention particulière de la HALDE, selon laquelle ce type d’annonce tomberait en droit français dans le champ du droit pénal88. La HALDE a donc choisi soit d’informer le procureur de la République des faits constitutifs selon elle de délit89, soit de donner mandat à son président pour engager une transaction pénale90. La HALDE a donc dans ces situations retenu une approche très ferme, bien que peu de suites aient été données à ces démarches devant le judiciaire91.
Au-delà des mentions d’âge explicites qui sont facilement identifiables et dans une large mesure injustifiées, il existe une multitude de pratiques susceptibles de constituer des discriminations indirectes fondées sur l’âge. Tel est le cas des références à l’expérience, au potentiel de développement de carrière ou encore à l’ancienneté et à l’adaptabilité. L’autorité chargée de résoudre un conflit sur ce point se doit donc de mettre en balance la liberté de décision de l’employeur en matière économique et le droit fondamental de l’individu à ne pas être victime de différences de traitement arbitrairement fondées sur son âge.
Dans une affaire relative au refus d’une mutation sur un poste spécifique de professeur des universités, le Conseil d’État a considéré qu’une politique d’embauche selon laquelle « il apparaît particulièrement souhaitable de recruter quelqu’un en état de garantir un temps d’investissement suffisamment long » n’est pas de nature à établir que la décision en cause serait fondée sur un critère d’âge92. On observe ainsi la nécessité pour la personne qui se dit victime de démontrer le caractère suspect du critère de sélection utilisé par l’employeur, afin d’établir une présomption de discrimination93.
Dans son rapport de 2006, la HALDE indique son intention de donner au principe de non-discrimination en fonction de l’âge toute la portée qui lui revient et fait référence à une méthode d’enquête spécifique permettant d’établir une présomption de discrimination : « Cette méthode s’appuie systématiquement sur l’analyse statistique de l’âge moyen des salariés de la société mise en cause (ou de certains de ses services) et l’étude exhaustive des recrutements antérieurs94. » Stéphanie Seydoux, dans la présente étude, confirme ces efforts et en précise la nature95. Certaines délibérations de la HALDE font d’ailleurs déjà état d’une analyse détaillée de la situation en cause96.
La HALDE souhaite ainsi contribuer à la création d’« un corps de doctrine qui a vocation à inspirer non seulement les acteurs du droit, mais aussi les acteurs du monde social et économique97 ». L’approche retenue par la HALDE pour s’engager activement dans la lutte contre les discriminations sur critère d’âge ne doit cependant pas être confondue avec l’état du droit et de la jurisprudence, laquelle est encore hésitante sur le degré de fermeté avec lequel contrôler la mise en œuvre de l’IDA98.
Ordonnance n°2005-901 du 2 août 2005 relative aux conditions d’âge dans la fonction publique et instituant un nouveau parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale, de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique de l’État (JORF 179, 3 août 2005, p. 12.720).
A.-M. Guillemard, « Pourquoi l’âge est-il en France le premier facteur de discrimination dans l’emploi ? », Retraite et société, op. cit., p. 21.
Pour des lignes directrices concernant l’identification de ce qui est susceptible de constituer un objectif légitime, voir CJCE, The Incorporated Trustees of the National Council for Ageing (Age Concern England), C-388/07, 5 mars 2009 (non encore publié au recueil), points 46 et 79.
CJCE, Werner Mangold c. Rüdiger Helm, C-144/04, 22 novembre 2005 (Rec. 2005 I-09981).
À moins qu’il n’existe un lien étroit avec un contrat de travail à durée indéterminée antérieur conclu avec le même employeur.
M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats et C. Vicens, « Étude sur l’évolution des dispositions concernant les seniors ainsi que les critères d’âge et d’ancienneté dans quelques accords de branche », Conseil d’orientation des retraites, octobre 2007, p. 106-108.
HALDE, rapport annuel 2006, p. 83.
HALDE, délibération n° 2008-26, 11 février 2008, point 50.
Conclusions de l’avocat général M. L. A. Geelhoed, Sonia Chacón Navas c. Eurest Colectividades SA, C-1ç/05, 16 mars 2006, points 46-56 ; conclusions de l’avocat général J. Mazák, F. Palacios de la Villa c. Cortefiel Servicios SA, C-411/05, 15 février 2007, points 73-77 ; R. Herzog, et L. Gerken, « Stop the European Court of Justice », EU Observer, 10 septembre 2008.
CJCE, Lindorfer Conseil, C-227/04 P, 11 septembre 2008 (Rec. 2007 p. I-6.767) ; CJCE, Bartsch c. Bosch und Siemens Hausgeräte (BSH) Altersfürsorge GmbH, C-427/06, 23 septembre 2008 (non encore publié au recueil).
CJCE, Palacios de la Villa c. Cortefield Servicios SA, C-411/05, 16 octobre 2007 (Rec. 2007 p. I-8.531).
CJCE, Palacios de la Villa c. Cortefield Servicios SA, C-411/05, 16 octobre 2007 (Rec. 2007 p. I-8.531), point 72
Conclusions de l’avocat général J. Mazák, The Incorporated Trustees of the National Council for Ageing (Age Concern England), C-ç88/07, 23 septembre 2008, point 87.
CJCE, The Incorporated Trustees of the National Council for Ageing (Age Concern England), C-ç88/07, 5 mars 2009 (non encore publié au recueil). Notons qu’il s’agissait là aussi d’une référence à l’âge de la retraite permettant de mettre fin prématurément à un contrat de travail.
Ce type de renvoi illustre la complémentarité de l’interprétation du droit communautaire donnée par la CJCE et de son application dans le cadre d’un litige national par le juge national, qui est caractéristique de la procédure préjudicielle prévue à l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne.
CJCE, The Incorporated Trustees of the National Council for Ageing (Age Concern England), op. cit, points 50-51.
Conseil constitutionnel, décision n°2006-535, ç0 mars 2006 (NOR : CSCL0609210S) ; P. Rodière, « Âge et discriminations dans l’accès à l’emploi », Semaine sociale Lamy, 26 décembre 2006, au n°1266, p. 9-10.
Conseil d’État, n°278105, 25 avril 2006 (publié au recueil Lebon). Voir aussi Conseil d’État statuant au contentieux n°268130, 1er mars 2006 (publié au recueil Lebon) ; Cour d’appel de Paris, 18e Chambre A, numéro de RG 05/09146, 7 octobre 2008.
Commission européenne, « 24e rapport annuel sur le contrôle de l’application du droit communautaire » (COM(2007)398, 17 juillet 2007), 1-12 ; CJCE, « Informations rapides sur les développements juridiques présentant un intérêt communautaire », Reflets, 2007, 1, p. 15-16.
Suggérant le contraire : Vincent, « La cessation des fonctions de pilote du transport aérien public en raison de l’âge et la mise à la retraite », Droit social, 2007, 6, p. 761.
Conclusions de la commissaire du gouvernement Mme Prada-Bordenave, Association Avenir Navigants et autres, n°278.105, 29 mars 2006.
Article 234, dernier alinéa du traité instituant la Communauté européenne ; voir Mehdi, Institutions européennes, Hachette supérieur, HU Droit, 2007, p. 288.
Conclusions de l’avocat général L. A. Geelhoed, S. Chacón Navas c. Eurest Colectividades SA, C-13/05, 16 mars 2006, point 55.
Lyon-Caen, « Différence de traitement ou discrimination selon l’âge », Droit social, op. cit., p. 1.049.
B) Permettre l’articulation de l’action publique en fonction de l’âge ?
Ces évolutions louables vers l’élimination des distinctions arbitrairement fondées sur l’âge et plus ou moins facilement identifiables n’empêchent pas que l’âge demeure un critère important dans le déclenchement et l’articulation de l’action publique.
L’ordonnance 2005-901 relative aux conditions d’âge dans la fonction publique99, par exemple, vise notamment à faciliter l’accès à celle-ci aux jeunes de 16 à 25 ans révolus sans diplômes ni qualifications et crée à cet effet des conditions d’accès spécifiques à la fonction publique pour eux. De la même façon, les partenaires sociaux ont prévu d’adapter le recours aux contrats à durée déterminée pour les personnes âgées de 57 ans ou plus (CDD senior) au sein même de l’ANI relatif à l’emploi des seniors. Ces types de contrat ont donc pour objet de favoriser l’insertion d’une certaine classe d’âge sur le marché du travail. Parmi les instruments visant à éliminer les discriminations fondées sur l’âge, tant les autorités publiques que les partenaires sociaux continuent donc d’utiliser l’âge comme un critère de déclenchement de l’action publique100. Or, cela n’est possible au regard de l’IDA que si la mesure est justifiée par un objectif légitime et si elle est appropriée et nécessaire pour atteindre cet objectif.
Si le dispositif juridique exposé ci-dessus illustre le type d’objectifs susceptibles d’être considérés comme légitimes101, il laisse planer un grand doute sur l’analyse du caractère approprié et nécessaire de la mesure. Ce doute apparaît clairement si l’on compare les solutions retenues par les différentes autorités chargées de contrôler la mise en œuvre de l’IDA au niveau tant européen que national.
Dans son premier arrêt sur les discriminations fondées sur l’âge, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) s’est prononcée contre le critère d’âge qui était en cause dans l’arrêt Mangold102. Il s’agissait d’une disposition du droit allemand autorisant la conclusion d’un nombre illimité de contrats de travail à durée déterminée103 avec les travailleurs ayant atteint l’âge de 52 ans. La mesure avait certes comme objectif légitime de chercher à favoriser l’insertion professionnelle des travailleurs âgés au chômage, mais l’usage du critère d’âge comme déclencheur exclusif du mécanisme était considéré comme non nécessaire et inapproprié. Selon la CJCE, cela avait pour effet de faire peser un risque d’exclusion du bénéfice des contrats à durée indéterminée sur toute personne âgée de 52 ans ou plus, quelle que soit sa situation réelle sur le marché du travail.
C’est donc sur le caractère nécessaire et approprié du recours au critère d’âge que la Cour a porté son attention. Sans préciser la nature des amendements que devra adopter le législateur national pour rendre la mesure compatible avec le droit communautaire, la CJCE a laissé entendre que le critère d’âge utilisé comme déclencheur d’un instrument de politique d’emploi doit être combiné avec un critère lié aux difficultés réelles de l’intéressé sur le marché du travail. Or, l’exigence de coupler le critère d’âge avec d’autres conditions relatives à la situation de l’individu sur le marché du travail a pour double effet de relativiser le poids du critère d’âge comme déclencheur de conditions de travail moins protectrices et de réduire le champ d’application du dispositif104 – donc d’en rendre l’utilisation plus difficile. L’approche retenue par la CJCE dans l’arrêt Mangold pousse donc le législateur national à rendre plus complexe l’utilisation du mécanisme de soutien à l’emploi de certaines tranches d’âge.
La HALDE a indiqué dans son rapport annuel de 2006 qu’elle souhaitait s’inscrire dans la continuité de l’approche retenue par la CJCE dans l’affaire Mangold105. Ainsi la HALDE a-t-elle par exemple recommandé la modification du dispositif instaurant le contrat de professionnalisation, qui, bien qu’ouvert à tous, autorise, dans le cas des jeunes de moins de 26 ans et sous certaines conditions, une rémunération inférieure au salaire minimum de croissance (SMIC). La HALDE a souhaité attirer l’attention des ministres concernés sur la nécessité que « les conditions de mise en œuvre du contrat de professionnalisation soient fondées sur des critères liés à leur niveau de qualification et à leur expérience professionnelle, en tenant compte de leurs difficultés d’intégration sur le marché du travail, permettant ainsi une définition claire du public cible, de manière à cesser le recours systématique au contrat de professionnalisation, en fonction du seul critère de l’âge106 ».
La solution retenue par la CJCE dans l’arrêt Mangold peut faire craindre une mise en œuvre trop rigide de l’IDA. Le législateur ou les partenaires sociaux sont bien souvent mieux placés que le judiciaire pour décider de la nécessité du recours au critère d’âge. Les critiques ainsi soulevées à l’encontre de l’arrêt Mangold107 laissent aujourd’hui planer un certain doute sur le degré de contrôle que le judiciaire opérera, à l’avenir, à l’encontre de critères d’âge jugés non seulement justifiés, mais aussi appropriés et nécessaires par les autorités publiques chargées de la gestion du marché du travail.
Dans les arrêts ultérieurs de la CJCE mettant en jeu des critères d’âge, hormis les situations pour lesquelles la question a pu être éludée108, deux types d’approche peuvent être identifiés. Dans une première affaire Palacios de la Villa109, la CJCE a alloué aux autorités en cause une grande marge de manœuvre pour l’utilisation de critères d’âge.
Il s’agissait alors d’une loi nationale autorisant l’insertion de clauses de mise à la retraite d’office dans des conventions collectives à partir d’un certain âge. La Cour a considéré qu’en l’espèce il n’« apparaît pas déraisonnable pour les autorités d’un État membre d’estimer qu’une mesure telle que celle en cause au principal puisse être appropriée et nécessaire110 ». Cela peut être interprété comme le signe que les États et les partenaires sociaux disposent, en dépit de la solution retenue dans l’arrêt Mangold, « d’un pouvoir discrétionnaire relativement étendu111 » quant aux méthodes à retenir, dont l’utilisation de critères d’âge, pour atteindre des objectifs légitimes de politique sociale et d’emploi. Dans une seconde affaire112, la CJCE a laissé au juge national le soin de se prononcer sur le caractère nécessaire et approprié du recours au critère d’âge en cause113. La Cour a toutefois encadré la liberté d’appréciation du juge national en rappelant, certes, la « large marge d’appréciation » dont dispose l’État pour réaliser ses objectifs de politique sociale, mais aussi la nécessité que l’État démontre avec précision l’intérêt du recours au critère d’âge114.
Les hautes juridictions françaises ont, quant à elles, à ce jour adopté une approche plus nuancée que celle retenue par la CJCE dans l’arrêt Mangold. Le Conseil constitutionnel, dans un arrêt relatif au contrat première embauche, dont on sait qu’il ne s’appliquait qu’aux jeunes en deçà de l’âge de 26 ans, a semblé désireux d’accorder au législateur une grande marge de manœuvre dans l’évaluation de la nécessité du recours au critère d’âge115. Le Conseil d’État a de son côté conclu à la compatibilité d’une limite d’âge avec le principe de non-discrimination, dans un arrêt116 qui a attiré l’attention des autorités communautaires117. Il s’agissait de se prononcer sur la conformité des dispositions du Code de l’aviation civile qui prévoient qu’une partie du personnel navigant de l’aéronautique ne peut exercer aucune activité en qualité de personnel de cabine dans le transport aérien public au-delà de 55 ans avec l’IDA. Le Conseil d’État a considéré que cette limite d’âge était justifiée par l’objectif légitime de vouloir assurer le bon fonctionnement de la navigation aérienne ainsi que la protection des travailleurs. En outre, le recours au critère d’âge a été jugé nécessaire et approprié pour poursuivre cet objectif. Le Conseil d’État a précisé que cette limite d’âge s’appliquait à la plus grande partie du personnel avant même d’être inscrite dans le code, faisant écho à celle qui est retenue dans d’autres États membres, et que le seul fait que, à la différence du personnel navigant commercial, les pilotes puissent rester en activité jusqu’à 60 ans ne suffisait pas à démontrer le caractère disproportionné de la limite d’âge retenue en l’espèce118. Or, le Conseil d’État a conclu à la compatibilité de cette limite d’âge avec l’IDA sans demander conseil à la CJCE sur l’interprétation à retenir de la directive communautaire. Le commissaire du gouvernement lui suggérait pourtant de le faire en raison des incertitudes soulevées par l’affaire Mangold119. En outre, le droit communautaire exige, en principe, que de telles questions d’interprétation soient portées devant la CJCE120.
On voit donc la complexité de l’analyse du caractère nécessaire et approprié du recours au critère d’âge pour structurer des politiques de l’emploi. Si dans un premier temps la CJCE a adopté une approche visant à l’élimination aussi large que possible de toutes les distinctions fondées sur l’âge, son arrêt Palacios de la Villa ainsi que les solutions retenues par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État pourraient suggérer que le judiciaire n’exercera qu’un contrôle restreint de l’évaluation faite par les autorités responsables du caractère nécessaire et approprié du critère d’âge.
Or, cela est souhaitable non seulement parce que l’interdiction de discriminer est accompagnée d’exceptions en ce sens, mais encore – et peut-être surtout – parce que cette souplesse juridique reflète la singularité du critère d’âge. Comme l’a rappelé l’avocat général Geelhoed, le législateur et les autres forces politiques et sociales ont la charge de faire des « choix pénibles […] dans l’arbitrage des intérêts en présence comme le droit des travailleurs […] âgés face à la souplesse de fonctionnement du marché du travail ou à l’augmentation du taux de participation des classes d’âge plus âgées121 ». Le judiciaire doit donc faire preuve de la plus grande prudence lorsqu’il contrôle ce type de choix. S’il n’est pas aisé de définir les limites de l’IDA de façon abstraite, le législateur et les autres forces politiques et sociales doivent dans une large mesure se voir reconnaître la responsabilité d’y répondre122.
L’interdiction de discriminer sur critère d’âge pose un principe clair, dont l’objet louable est d’éliminer les différences de traitement arbitrairement fondées sur l’âge. La lutte contre ces discriminations est ainsi devenue un thème populaire. Sa traduction en termes juridiques et sa mise en œuvre concrète révèlent toutefois une grande complexité.
Le débat soulève des questions de nature économique, tout d’abord, propres à la gestion d’entreprise et à celle du marché du travail. Il s’inscrit ensuite dans un contexte d’évolution de la nature du travail, en particulier du travail manuel et physiquement pénible vers le travail de bureau. Le débat, enfin, traduit une modification de la relation entre âge et capacité de travail, qui explique aussi le changement d’attitude par rapport à la participation de différentes classes d’âge au marché du travail.
L’âge est donc un critère de distinction dont les dimensions économiques, sociologiques mais aussi physiologiques sont multiples. D’où le constat d’un droit et d’une jurisprudence « à tiroirs » et en constante évolution. Si cette complexité peut donner un sentiment d’insécurité, il faut, plus que jamais, se référer à l’esprit d’origine de l’IDA, qui est de garantir que l’âge ne soit pas un facteur d’injustice.
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