Résumé
I.

Synthèse des propositions

L’hépatite C, une épidémie étendue, silencieuse et grave

Des traitements traditionnels chers et sous-optimaux

Vers une éradication de l’hépatite C en France

Une éradication du VHC en France : quel coût pour la société ?

La prise en charge de l’hépatite C en France : une organisation performante mais perfectible

Propositions pour améliorer la prise en charge et accélérer l’éradication du VHC en France

Bibliographie indicative

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Résumé

Une révolution thérapeutique radicale est en cours et ouvre la voie à une éradication du virus de l’hépatite C (VHC) en France en seulement quelques années : quinze, dix ou seulement cinq ans si des politiques publiques efficaces sont adoptées.

Une éradication rapide du virus suppose deux prérequis : le coût des traitements innovants doit être compatible avec  leur  généralisation et les stratégies de dépistage doivent permettre d’identifier rapidement les personnes ignorant leur infection, qu’elles appartiennent à des groupes vulnérables, comme les usagers de drogues, ou à la population générale.

Le premier prérequis pose la question du « juste prix » des médicaments innovants. Un prix «juste» peut se révéler légitimement élevé et satisfaire à la fois les besoins de la collectivité – accès large pour un coût complet et intertemporel supportable – et ceux des laboratoires – réalisation d’un profit permettant de pérenniser leurs efforts de R&D.

Le second prérequis suppose de s’intéresser au système français de dépistage et de prise encharge des hépatites virales. Celui-ci s’avère assez performant, bien qu’encore largement perfectible (rationalisation de la médecine de ville, meilleure coordination ville-hôpital, amélioration du parcours de soin hospitalier et de la coordination intra-hospitalière…).

Afin d’assurer une éradication rapide du VHC en France, nous formulons dans cette note six propositions concrètes et opérationnelles à destination des décideurs politiques, nationaux comme locaux.

Christophe Marques,

Économiste chez Asterès, chargé des questions de santé.

Nicolas Bouzou,

Économiste, directeur-fondateur d’Asterès.

L’hépatite C est une maladie grave et silencieuse qu’il est aujourd’hui possible d’éradiquer. On estime à 200.000 le nombre de Français infectés de manière chronique par le virus de l’hépatite C (VHC). Bien qu’il s’agisse en grande partie d’usagers de drogues, la population générale n’est pas épargnée. À l’origine d’une inflammation chronique du foie susceptible d’évoluer vers une cirrhose, puis un cancer, ce virus serait directement responsable de plus de 2.600 décès chaque année en France.

Jusqu’à présent, les thérapies traditionnelles pour soigner cette maladie étaient modérément efficaces et entraînaient des effets indésirables importants. Une révolution thérapeutique radicale est en cours et ouvre la voie à une éradication de la maladie en quelques années seulement : cinq, dix ou quinze ans selon les stratégies publiques qui seront adoptées. La révolution repose sur des antiviraux à action directe qui permettent une guérison dans plus de 90% des cas, avec moins d’effets indésirables que les traitements classiques associés à l’interféron, et en quelques mois seulement (contre dix-huit mois auparavant).

Pour l’heure, le coût de ces nouvelles thérapies constitue un frein à leur généralisation, et donc à l’éradication du VHC en France. La recherche du «juste prix», actuellement au centre des préoccupations de l’assurance maladie et des laboratoires, devra assurer un accès large aux traitements tout en garantissant aux industriels un retour sur investissement cohérent avec leurs efforts de R&D.

Le système français de dépistage et de prise en charge des hépatites virales est assez performant, bien qu’encore largement perfectible. Aussi, au-delà de la question de l’accessibilité financière, l’éradication rapide du virus repose sur les stratégies de politique publique qui seront adoptées. Nous formulons à cet égard six propositions réparties en trois objectifs.

 

I Partie

Synthèse des propositions

Objectif 1 : Accroître les moyens humains et financiers alloués à la lutte contre les hépatites.

  • Proposition 1 : Financer des actions communes « VIH-VHC ».
  • Proposition 2 : Procéder à une mutualisation accrue de moyens des programmes « VIH » et « VHC ».

 Objectif 2 : Améliorer l’organisation de la prise en charge par la coordination des professionnels médico-sociaux.

  • Proposition 3 : Renforcer le rôle de coordination des services experts de lutte contre les hépatites virales (SELHV).
  • Proposition 4 : Promouvoir le statut d’infirmière
  • Proposition 5 : Promouvoir les centres de ville médico-sociaux et pluridisciplinaires.

 Objectif 3 : Améliorer la communication autour des hépatites.

  • Proposition 6 : Renforcer les actions des collectivités dans la communication. 

 

L’hépatite C, une épidémie étendue, silencieuse et grave

Notes

1.

Voir. [consulté le 26 novembre 2014].

+ -

2.

Voir. [consulté le 26 novembre 2014].

+ -

Un virus porté par 2% de la population mondiale

Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’hépatite C est une bombe virale à retardement qu’il est urgent de désamorcer. Entre 130 et 150 millions de personnes seraient chroniquement infectées par le virus de l’hépatite C, soit 2% de la population mondiale. À l’origine d’une inflammation chronique du foie susceptible d’évoluer lentement vers une cirrhose, puis un cancer hépatique, ce virus serait responsable de 350.000 à 500.000 décès par an dans le monde. L’Asie et l’Afrique sont les régions avec les taux de prévalence les plus élevés1. Un pic est relevé en Égypte, avec plus d’un dixième de la population présumée contaminée2.

Carte 1 : La prévalence de l’hépatite C dans le monde

Source :

Lavanchy, « Evolving epidemiology of hepatitis C virus », Clinical Microbiology and Infection, vol. 17, no 2, février 2011, p. 108.

Notes

3.

Daniel Dhumeaux (dir.), Prise en charge des personnes infectées par les virus de l’hépatite B ou de l’hépatite Rapport de recommandations 2014, sous l’égide de l’ANRS et de l’AFEF, ministère des Affaires sociales et de la Santé, 2014, p. 1(désormais appelé « rapport Dhumeaux » dans la suite de cette note).

+ -

4.

Ibid., p. 4. Intervalle de confiance (IC) à 95% : 269 361-464 750.

+ -

5.

Ibid. IC 95% : 167 869-296 523.

+ -

6.

Ibid., p. 13. IC 95% : 2 499-4 735.

+ -

7.

Ibid. IC 95% : 1 641-3 650.

+ -

8.

Observatoire interministériel de la sécurité routière (ONISR), L’Accidentalité routière en Bilan sommaire, 22 septembre 2014.

+ -

200.000 Français sont porteurs chroniques du VHC

Avec une prévalence inférieure à 1%, la France figure parmi les pays à faible endémicité. Pour autant, l’hépatite C reste un réel problème de santé publique dans notre pays3. La dernière enquête nationale sur le sujet, conduite par l’Institut de veille  sanitaire (InVS), remonte à 2004.  Pour la France métropolitaine, cette enquête avait estimé à près de 37.0000 le nombre de personnes ayant été en contact avec le virus au cours de leur vie, soit 0,84% de la population4. Parmi elles, plus de 230.000 étaient porteuses du virus au moment de l’enquête (0,53% de la population)5. Signe de sa gravité, l’hépatite C a été associée, en 2001, à 3.600 décès en France6, dont 2.600 lui sont directement imputables7. Pour comparaison, le nombre de tués sur les routes du pays a été de 3.268 en 20138.

 

Graphique 1 : Estimation du nombre de personnes infectées par le VHC en France métropolitaine en 2004

Source :

Rapport Dhumeaux, p. 24.

Notes

9.

Rapport Dhumeaux, p. 13.

+ -

10.

Estimation pour l’année Prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH. Recommandations du groupe d’experts. Rapport 2013, sous la direction du Pr Philippe Morlat, La Documentation française, 2013, p. 43.

+ -

11.

La fibrose hépatique correspond à un durcissement du foie résultant d’une inflammation chronique de cet Plus la fibrose est importante, plus la situation est critique. Le niveau de fibrose est mesuré sur une échelle allant de F0 (foie normal) à F4 (cirrhose).

+ -

12.

Rapport Dhumeaux, p. 13.

+ -

13.

Ibid., p. 343.

+ -

14.

Ibid., p. 5 ; enquête InVS, 2004 ; Enquête Coquelicot, 2011.

+ -

15.

Rapport Dhumeaux, 5 ; Enquête Coquelicot, 2011.

+ -

L’emploi d’un modèle prédictif s’appuyant sur l’ensemble des connaissances disponibles et sur des hypothèses crédibles a permis d’estimer l’évolution de l’épidémie en France au cours des dix dernières années. Suivant cette approche, 200.000 Français seraient actuellement porteurs chroniques du virus, dont 70.000 ignorant leur infection9. L’épidémie  de  l’hépatique  C se révèle ainsi plus étendue que celle  du VIH, dont  on estime à 150.000 le nombre de porteurs en France (29.000 sans le savoir)10. Au vu de cette épidémiologie, ilest fortement regrettable que la lutte contre l’hépatite C ne bénéficie pas d’une portée médiatique plus forte.

Suivant le modèle prédictif, parmi les 200.000 Français porteurs chroniques du VHC :

  • 43% seraient à un stade précoce de la maladie (fibrose F0-F1)11 ;
  • 49% au stade F2 à F4 ;
  • 8%, soit 16.000 patients, souffriraient déjà d’une cirrhose décompensée et/ou d’un cancer hépatique12.

Les usagers de drogues sont les premières victimes du VHC, lapopulation générale n’est pas épargnée

Le virus de l’hépatite C se transmet par le sang. Le contact infectieux peut être direct ouindirect, via des ustensiles eux-mêmes contaminés. Les usagers de drogues en sont ainsi les premières victimes, avec 80% des nouvelles contaminations13. Néanmoins, le manque desécurité transfusionnelle avant 1992 et les précautions d’asepsie aléatoires en milieu médicaljusqu’à la fin des années 1990 ont contribué à diffuser la maladie au sein de la population générale. La typologie des personnes contaminées en France s’appréhende donc à la lumière des modes de contamination et de leur évolution.

Les usagers de drogues : première population à risque

La consommation de drogues par voie intraveineuse, avec partage de seringues et de petits matériels (cotons, cuillères…) est de loin le principal vecteur de contamination. Parmi les usagers de drogues, la prévalence du VHC est très élevée : près de la moitié des personnes ayant déjà consommé des drogues par voie intraveineuse et près d’une personne sur dix en ayant consommé par voie nasale ont déjà été en contact avec le virus au cours  de leur vie14 (rappelons que cette prévalence est inférieure à 1% dans la population générale).

La prévalence parmi les usagers de drogues varie du simple au double entre les grandes agglomérations françaises, avec des taux allant de 24% à Bordeaux à 56% à Marseille15. De telles disparités géographiques appellent logiquement des stratégies de dépistage et de prise en charge différenciées selon les territoires.

 

 

 

Carte 2 : Une prévalence plus importante en Île-de-France et dans le Sud-Est

Source :

InVS (C. Brouard et al., « Dépistage des hépatites B et C en France en 2010, enquête LaboHep2010 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 21 mai 2013, p.207).

Notes

16.

Rapport Dhumeaux, p. 5 ; Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé-Direction générale de la santé, Enquête Prévacar 2010. Résultats de l’enquête nationale, 2012, p. 9.

+ -

17.

Rapport Dhumeaux, p. 5.

+ -

18.

Ibid., p. 4.

+ -

19.

Ibid., p. 8.

+ -

20.

« Rapports du Haut Comité », Actualité et dossier en santé publique, no 2, mars 1993, 38.

+ -

21.

Rapport Dhumeaux, 36. Les femmes, qui consultent plus, ont, elles, davantage d’opportunités de dépistage.

+ -

22.

Ibid., p. 8.

+ -

23.

Ibid.

+ -

24.

Ibid.

+ -
Les autres populations à haut risque : les détenus, les migrants issus de pays àforte endémicité et les populations en situation de précarité

Les détenus

Les populations incarcérées sont cinq fois plus susceptibles de se retrouver en contact avec le VHC que la population générale, avec une prévalence des anticorps anti-VHC de 4,8%.Lorsque les détenus sont originaires d’Europe de l’Est ou d’Asie, cette prévalence atteint même 12%16.

Les migrants issus de pays à forte endémicité

Les résidents français originaires de pays à forte endémicité présentent logiquement une prévalence supérieure à la moyenne nationale. La prévalence des anticorps anti-VHC  a été estimée, en 2004, à 1,7% chez  les migrants nés en zone de moyenne endémicité (Afrique, Asie, Pacifique et sous-continent indien) et à 10,2% chez ceux nés au Moyen-Orient, zone de forte endémicité. Le risque s’accroît sensiblement lorsque ces personnes se révèlent être en situation de précarité (2 à 5%)17.

Les populations en situation de précarité

Les inégalités sociales de santé restent prégnantes en France et la diffusion de l’hépatite C chez les populations les plus modestes en est une illustration. En 2004, la prévalence des anticorps anti-VHC était en effet trois fois plus élevée chez les bénéficiaires de la Couverture maladie universelle complémentaire (2,5%) que chez les non-bénéficiaires (0,7%)18. On comprend ainsi la nécessité d’une implication forte des collectivités locales qui comptent parmi leurs compétences l’assistance sociale.

Les sources de contamination antérieures aux années 1990 ont diffusé la maladiedans la population générale

L’« affaire du sang contaminé »

Jusqu’en 1992, la transfusion de sang contaminé a été le principal  levier de diffusion du VHC en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord. Le virus n’a en effet été formellement identifié qu’en 1989 et n’impliquait donc pas auparavant de test sérologique spécifique desdons sanguins. Le dépistage des anticorps anti-VHC est devenu obligatoire quelques mois seulement après l’identification virus. En 2001, le dépistage du virus lui- même est devenu obligatoire pour tous les dons. Ces mesures de sécurité sanitaire élémentaires ont permis d’annihiler presque totalement le risque d’une contamination transfusionnelle en France.Dans le pays, on ne compte à présent plus qu’un don affecté tous les trois à quatre ans19. Le bilan des infections transfusionnelles d’avant 1992 est lourd : le rapport du professeur Micoud de 1993 sur l’état de l’hépatite C en France avance une estimation basse de 100.000 victimes et une estimation haute de 500.00020.

Les défaillances d’asepsie en milieu médical jusqu’en 1997

Jusqu’à la fin des années 1990, certains actes médicaux (endoscopies, acupunctures, mésothérapies, soins dentaires, chirurgies…), réalisés dans des conditions d’asepsie sous optimales, ont constitué un vecteur de transmission du virus aux patients, mais également aux professionnels médicaux. Les précautions universelles d’asepsie ont depuis été fortement renforcées et le risque de contracter le VHC en milieu médical a ainsi été diminué.

Monsieur et Madame Tout-le-Monde, porteurs potentiels du VHC

Bien que l’hépatite C soit socialement associée à l’usage de drogues, Monsieur et Madame Tout-le-Monde, sujets d’une transfusion avant 1992 ou de soins dans un établissement desanté avant 2000, sont bel et bien des porteurs potentiels du VHC. La question des dépistages parmi la population générale, et non uniquement auprès des personnes aujourd’hui les plus exposées (usagers de drogues, détenus, migrants), est donc cruciale. Pour cette raison, lerapport Dhumeaux préconise un dépistage systématique des hommes entre 18 et 60 ans, aumoins une fois dans leur vie, et des femmes enceintes dès la première consultation prénatale21.

Les modes de contamination résiduels

La contamination ayant lieu par le sang, le simple partage d’une brosse à dent, une relation sexuelle, un accouchement, un nouveau tatouage ou un piercing peuvent constituer une occasion de contracter le virus. Ces risques sont néanmoins à relativiser :

  • le risque de transmission lors d’une relation sexuelle est extrêmement faible chez les couples hétérosexuels stables : il y aurait moins d’un cas de transmission pour dix millions de contacts sexuels. La multiplication des partenaires accroît cependant le risque, ainsi que la co-infection avec le VIH22 ;
  • la contamination de la mère à l’enfant est possible mais rare. Une mère contaminée n’a en effet « que » 5% de chance de transmettre le virus à son enfant, mais ce risque passe à 20% en cas de co-infection avec le VIH23 ;
  • un risque existe vraisemblablement pour les actes de tatouage et de piercing, surtout lorsqu’ils sont réalisés dans des conditions d’asepsie non Néanmoins, ce risque n’apas été formellement détecté dans toutes les études24. Les normes sanitaires strictes qui s’appliquent aux tatoueurs et aux perceurs français se révèlent donc efficaces pour limiter les risques d’infection.

Graphique 2 : Estimation du nombre de personnes infectées par le VHC en France métropolitaine en 2004

Source :

InVS, enquête de prévalence 2004.

Des traitements traditionnels chers et sous-optimaux

Notes

26.

Les premiers symptômes d’une fibrose sévère sont divers et handicapants au quotidien : fièvre, fatigue, perte d’appétit, nausées, vomissements, douleurs abdominales, urine foncée, selles grises, douleurs articulaires et jaunisse

+ -

27.

AbbVie, « La progression de l’infection de l’hépatite C ».

+ -

28.

Ibid. 

+ -

29.

Pour la période 2002-2007. Rapport Dhumeaux, p. 263.

+ -

30.

Michel Rotily et al., « How did chronic hepatitis C impact costs related to hospital health care in France in 2009? », Clinics and Research in Hepatology and Gastroenterology, vol. 37, no 4, septembre 2013, p. 365-372.

+ -

Une infection chronique chez 80% des individus infectés

Une personne infectée par le virus de l’hépatite C déclenche une réponse immunitaire qui parvient dans 15 à 25% des cas à éliminer le virus en moins de six mois, sans traitement. Passé ce délai, le virus échappe aux défenses naturelles et l’hépatite devient chronique. Asymptomatique, l’infection conduit silencieusement, année après année, au développement d’une fibrose hépatique qui peut rester bénigne ou évoluer vers une cirrhose26, puis potentiellement vers un cancer27. Suite à une infection de vingt à trente années, une cirrhose se déclare chez 10 à 20% des patients. Le foie est alors endommagé de manière irréversible et le risque de cancer hépatique est augmenté. Un cancer du foie sur quatre dépisté en France est ainsi lié à une hépatite C. Une fois le cancer déclaré, et malgré un programme d’hospitalisation lourd, le taux de survie à un an des patients n’est plus que de 67%28.

La bithérapie des années 2000

Jusqu’en 2010, le meilleur traitement pour guérir d’une hépatite C chronique reposait sur la combinaison de deux médicaments : l’interféron, qui stimule les défenses naturelles de l’organisme, et la ribavirine, un antiviral. D’une durée de 6 à 12 mois et efficace seulement à 50-75% (selon le génotype du virus), ce traitement s’accompagne d’effets psychiatriques indésirables fréquents : dépression, troubles du sommeil ou encore irritabilité et anxiété. L’observance du traitement est en conséquence médiocre et les échecs thérapeutiques pour cause d’abandon sont nombreux.

L’hépatite C figurant parmi les affections de longue durée (dont la liste est fixée par décret), la bithérapie est financée à 100% par l’assurance maladie, pour un prix compris entre 7.500 et 15.000 euros la cure (selon le génotype du virus).

Les transplantations pour les stades les plus critiques de la maladie

La transplantation hépatique a pris une place majeure dans le traitement des hépatites sévères et tend à devenir de plus en plus courante avec l’augmentation du nombre de cirrhoses et de carcinomes hépatocellulaires. La transplantation n’élimine cependant pas le virus de l’hépatite C. Aussi, le greffon se retrouve infecté dans 9 cas sur 10 et l’évolution versune nouvelle cirrhose s’en trouve accélérée. Les taux de survie des patients après une transplantation hépatique sont en conséquence médiocres : 95% à un mois, 82% à un an et 65% à cinq ans29.

Comme pour les bithérapies, les transplantations sont entièrement financées par l’assurance maladie, pour un coût de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Suivant une étude de 2012, portant sur des données de 2009, le coût moyen annuel pour un patient transplanté est de 46.000 euros30.

Tableau 1 : Tarifs hospitaliers relatifs à la transplantation hépatique (secteur public)

Source :

Agence de la biomédecine, Modalités de financement 2013 des activités de prélèvement et de greffe d’organes, de tissus et de cellules souches hématopoïétiques, mai 2013.

Vers une éradication de l’hépatite C en France

De nouveaux traitements fortement efficaces

Le traitement médical de l’hépatite C a récemment connu une révolution radicale : de nouvelles molécules permettent de guérir les patients dans plus de 90% des cas, sans effet indésirable notable et en quelques mois seulement. Cette avancée thérapeutique majeure repose sur des antiviraux à action directe (AAD) qui ne nécessitent pas l’association de l’interféron

  • une grande partie de l’intérêt de l’innovation se situe dans cette absence d’association – et grâce auxquels l’éradication du VHC devient en théorie techniquement possible en France en seulement cinq ans (contrainte économique temporairement mise de côté !).

D’après un modèle de prévision épidémiologique, la délivrance de nouveaux AAD aux patients souffrant d’une fibrose modérée ou avancée en 2014 et 2015, puis à tous les patients à compter de 2016, quelle que soit leur fibrose, permettrait de réduire la population infectée parle virus de 68.000 individus à horizon 2030, par rapport aux traitements actuels.

Graphique 3 : Prévision épidémiologique de l’infection du VHC en France, de 2012 à 2030

Source :

Leuleu et al., 2013 ; rapport Dhumeaux, p. 219.

Notes

31.

Cette notion de coût efficient intègre la question du prix mais également celle de l’efficacité à travers les années de vie gagnées pondérées par leur qualité. Pour plus de précision, voir Nicolas Bouzou, Un accès équi- tableaux thérapies contre le cancer, Fondation pour l’innovation politique, 2014, 29.

+ -

La guérison améliore la qualité de vie des patients : leur fibrose hépatique se stabilise, voire régresse, et l’évolution vers une cirrhose s’interrompt. Une guérison, même tardive, permet de réduire le risque de cancer hépatique. Suivant le modèle de prévision épidémiologique et les hypothèses retenues, 8.200 cirrhoses et 8.100 décès associés au VHC seraient ainsi évités à horizon 2030. À moyen et long terme, la nouvelle génération d’AAD va donc permettre d’éviter de nombreux traitements, à la fois éprouvants pour les patients et coûteux pour l’assurance maladie. Ce faisant, les AAD peuvent se révéler coût efficient même pour desniveaux de prix en apparence élevés31.

De nouveaux outils pour une stratégie de dépistage plus efficiente

En parallèle des nouveaux traitements, de nouveaux outils permettent d’améliorer le dépistage. Il s’agit des tests d’orientation diagnostique et du FibroScan®.

Les tests d’orientation diagnostique (Trod)

Actuellement en expérimentation, les tests salivaires d’orientation diagnostique présentent trois avantages majeurs comparativement aux tests en laboratoire :

  • ils sont simples d’utilisation et ne requièrent aucun prélèvement veineux, ce qui les rend plus acceptables auprès des populations et adaptés à une utilisation par des non-professionnels médicaux ;
  • ils peuvent être employés hors structures médicales, au plus près des populations ciblées ;
  • ils sont rapides, aussi bien dans leur utilisation que dans l’obtention des résultats (environ 20 minutes).La fiabilité des Trod n’atteint cependant pas 100% et tout résultat positif doit être confirmépar un test sanguin. Le recours à un Trod coûte 15 euros, contre 40 euros pour un test enlaboratoire. Cet écart favorable de prix va permettre d’étendre la stratégie de dépistage àmoindre coût pour l’assurance maladie (le test en laboratoire étant remboursé à 100%).
    Le FibroScan®

    Également en expérimentation, le FibroScan® permet d’améliorer sensiblement la stratégie de dépistage des hépatites virales, et plus largement des maladies du foie. Par un système d’ultrasons, ce dispositif mesure la fibrose hépatique de manière instantanée, non invasive etsans douleur.

Une éradication du VHC en France : quel coût pour la société ?

Notes

32.

Suivant un modèle épidémiologique (rapport Dhumeaux, 13), il y aurait en France 200 000 personnes atteintes d’une hépatite C chronique, dont 49% sont à un stade de fibrose modérée ou avancée, soit 98.000 patients à traiter. Néanmoins, tous ces patients ne sont pas dépistés à ce jour.

+ -

33.

Sylvie Deuffic-Burban et al., « Should we await IFN-free regimens to treat HCV genotype 1 treatment-naive patient? A cost-effectiveness analysis (ANRS 95141) », Journal ofHepatology, 61, no 1, juillet 2014, p. 7-14. À noter que parmi les financeurs de l’étude figurent des laboratoires pharmaceutiques.

+ -

34.

Le temps de vie gagné grâce aux thérapies ciblées, à ce jour de quelques mois seulement, peut néanmoins représenter un doublement de la durée de vie médiane des patients atteints d’un cancer en phase terminale, relativement aux traitements traditionnels.

+ -

35.

Médicaments vendus en très grande quantité et générant un important chiffre d’affaires. Le Doliprane® est le blockbuster par excellence.

+ -

36.

Loi de financement de la sécurité sociale 2014.

+ -
Un coût apparent élevé

Le premier traitement de nouvelle génération contre le VHC (intégrant des AAD) à avoir obtenu une autorisation de mise sur le marché est délivré en France au coût facial de 41.000 euros la cure. En réalité, le coût total est supérieur car ce traitement implique une associationavec d’autres molécules qui remplacent l’interféron. Dans ces conditions, l’assurance maladie devrait débourser plusieurs milliards d’euros pour guérir les patients souffrant d’une fibrose modérée ou avancée, et évidemment beaucoup plus pour traiter l’ensemble des patients, quelle que soit leur fibrose32. Il s’agit de montants colossaux, même rapportés à la masse de ladépense publique de médicament (27 milliards d’euros en 2012).

Les nouveaux traitements modifient la structure temporelle des coûts médicaux ainsi que la probabilité d’une aggravation de l’état conduisant à une inflation de ces coûts. Une thérapie en apparence coûteuse mais efficace peut donc se révéler coût efficiente si on incorpore dans une évaluation de long terme l’ensemble des aspects socio-économiques de la maladie. L’épidémiologiste Sylvie Deuffic-Burban a ainsi calculé que l’emploi des nouveaux AAD était coût efficient à 60.000 euros pour les patients ayant une fibrose modérée ou avancée (≥ F2), mais non pour les autres (F0 et F1)33. Il n’en reste pas moins que le prix concédé constitue un frein à une diffusion large du traitement, condition pourtant nécessaire à une éradication rapide du virus en France.

Accepter qu’un prix « juste » puisse être élevé

S’il est essentiel d’aboutir à un « juste prix », la société civile doit comprendre que ce prix puisse se révéler légitimement élevé. En France, les prix des médicaments remboursés sont déterminés par le Comité économique des produits de santé (CEPS), une instance placée sous l’autorité conjointe des ministres en charge de la Santé, de la Sécurité sociale et del’Économie. À elle de s’assurer que l’assurance maladie finance les traitements aux meilleurs prix et dans le respect des industriels de la santé.

Le CEPS déclare s’appuyer sur quatre grands critères pour définir un tarif :

  • l’amélioration du service médical rendu (ASMR). Cette notion prend en considération l’efficacité clinique et la valeur ajoutée thérapeutique des traitements (soit leurs apportsrelativement aux alternatives existantes) ;
  • les prix des médicaments à même visée thérapeutique, qui constituent une base de référence ;
  • le volume des ventes prévues. Plus une molécule s’adresse à un marché restreint, plus son prix sera élevé afin de garantir à son concepteur un retour sur investissement suffisant ;
  • les conditions d’utilisation, prévisibles et réelles.

En vertu du principe de l’ASMR, qui rémunère les efforts d’innovation des industriels, les prix des produits à la fois innovants et performants ont connu une escalade au fil des ans. Des thérapies ciblées contre les cancers reviennent ainsi à 50.000 euros par an et par patient.Pourtant, à ce prix, la durée de vie médiane des patients n’est repoussée que de quelques mois34. Il est toutefois fondamental de comprendre que les prix des traitements innovants, même s’ils peuvent paraître élevés, ont été convenus par le CEPS suite à des études approfondies et indépendantes sur leurs avantages thérapeutiques, et en toute conscience des contraintesfinancières de l’assurance maladie et de la nécessité de soutenir la recherche pharmaceutique.

Des innovations financées par des économies sur les médicaments de ville

Il est impératif de conserver une vision d’ensemble du marché pharmaceutique pour mieux appréhender les prix de certains médicaments innovants.

Depuis vingt ans, trois mutations majeures obligent les laboratoires à redéfinir leur modèle économique :

  • les brevets des blockbusters35 sont pour la plupart tombés dans le domaine public. Les génériques ont fortement tiré les prix vers le bas et gagnent en parts de marché, notamment grâce à l’appui des pouvoirs publics ;
  • les contraintes financières rencontrées par les systèmes sociaux ont conduit les États à comprimer sensiblement les prix des médicaments remboursés. En France, la réduction des prix des produits de santé opérée en 2014 représente 1 milliard d’euros d’économie, sur les 2,2 milliards intégrés à l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam)36 ;
  • le coût marginal des progrès dans le domaine des sciences du vivant s’accroît tendanciellement, autrement dit la R&D pharmaceutique est de plus en plus sophistiquée et coûteuse.

Graphique 4 : Taux de croissance annuelle de la consommation pharmaceutique en France

Source :

Comptes de la santé, Drees.

En réaction à la tombée des brevets, aux baisses tarifaires et à l’inflation des frais de R&D, les laboratoires innovants ont adopté deux stratégies :

  • ils se concentrent pour bénéficier d’économies d’échelle ;
  • alors que les blockbusters reposaient sur le modèle de la consommation de masse, les laboratoires innovants orientent à présent leurs efforts de recherche sur des traitements depointe, destinés à des marchés restreints, voire individualisés.

Les laboratoires innovants cherchent ainsi à compenser la baisse des recettes sur les gammes « grand public » avec des produits de niche, onéreux, mais à forte valeur ajoutée thérapeutique. Côté assurance maladie, tout se passe comme si les économies dégagées sur les médicaments de ville étaient employées à soutenir l’introduction de thérapies innovantes, plus efficaces et porteuses d’espoir.

La prise en charge de l’hépatite C en France : une organisation performante mais perfectible

Notes

37.

Association Ville Hôpital Hépatite C (AVHEC) de Lyon.

+ -

38.

L’alcoolisme génère des maladies hépatiques, dont la cirrhose, et accélère la dégradation du foie en cas d’infection par le VHC, d’où la nécessité d’un sevrage.

+ -

39.

Sylvie Deuffic-Burban, lors des 2es Rencontres parlementaires sur l’hépatite C, 27 mai 2014.

+ -

La prise  en  charge  des  personnes  atteintes  d’une  hépatite C  repose  sur l’intervention de nombreux acteurs aux compétences diverses et complémentaires : médecins généralistes et spécialistes, infirmières, pharmaciens d’officine et hospitaliers, assistantes sociales, psychologues, associations… Améliorer l’efficacité du système repose donc avant tout sur une meilleure coordination de ces professionnels médicaux et sociaux.

Dépistage et suivi des patients : une multitude d’acteurs

Les acteurs de dépistage sont nombreux. Il s’agit :

  • des cabinets de médecins généralistes ;
  • des centres de dépistage anonymes et gratuits (CDAG) ;
  • des centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles (Ciddist) ;
  • des centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) ;
  • des associations

Lorsque l’un de ces acteurs identifie une personne infectée par le virus, il la renseigne sur la maladie et les traitements et l’oriente vers un hépatologue pour une consultation avancée, à l’hôpital dans 9 cas sur 10. Ces acteurs assurent ensuite un suivi des patients qui se doit d’être particulièrement attentif, car :

  • il s’agit souvent de populations précaires qui nécessitent un accompagnement psychologique et social dans la durée ;
  • le traitement par interféron induit des effets indésirables importants, ce qui nécessite parfoisun soutien psychologique, notamment pour les familles ;
  • l’éducation thérapeutique qui maximise l’observance est une clé de régulation des coûts et d’efficience, surtout pour les nouveaux traitements onéreux.

La Maison du patient de Lyon : un modèle de suivi

À Lyon, la Maison du patient constitue un modèle unique en France en matière de suivi. Il s’agit d’une structure associative, paramédicale et pluridisciplinaire, spécialisée dans l’accompagnement personnalisé des patients atteints d’une hépatite virale. Elle a par ailleurs diversifié son activité en intégrant un pôle dans le champ de l’addiction et en mutualisant, avec le réseau Virages Santé, ressources et moyens dans le domaine du VIH. Cette «Maison», intégrée à un réseau ville-hôpital actif37, compte neuf professionnels impliqués, dont deux infirmières pour l’éducation thérapeutique, un infirmier de coordination et un médecin référent pour le sevrage de l’alcool38, deux psychologues, une assistante sociale, une chargée de projets et une coordinatrice. Les missions du centre sont plurielles :

  • la Maison informe et rassure les patients suite à un test de dépistage positif, dans l’attente, parfois longue, d’une consultation auprès d’un hépatologue ; elle oriente vers un spécialiste, action clé dans la mesure où l’expérience montre que de nombreux patients ne savent pas avec qui prendre rendez- vous après un dépistage positif ;
  • elle facilite les liens entre les patients et les médecins, notamment en échangeant avec lesspécialistes des patients et en effectuant des débriefings des consultations médicales avec les patients ;
  • elle assure une éducation thérapeutique individualisée ;
  • elle assure un accompagnement social individualisé ;
  • enfin, elle est un lieu de ressources pour les professionnels de santé dans les domaines des hépatites, de l’addictologie et du VIH.

Des pôles hospitaliers dédiés aux hépatites virales

Chaque région dispose au moins d’un pôle hospitalier dédié aux hépatites. Au nombre de 33 en France, ces services experts de lutte contre les hépatites virales (SELHV) remplissent un rôle structurant dans la prise en charge des patients sur un territoire donné. Leurs missions sont :

  • la recherche sur les hépatites virales ;
  • l’évaluation clinique des patients complexes ;
  • le suivi de cohortes ;
  • la formation théorique et pratique des professionnels médicaux et sociaux ;
  • l’élaboration de protocoles de soins ;
  • la surveillance de l’épidémiologie régionale.

En outre, certains de ces services experts assurent une coordination locale des structures et des professionnels engagés dans la lutte contre les hépatites virales.

Un système plutôt performant…

Le modèle français de dépistage et de prise en charge de l’hépatite C est plutôt performant si l’on se réfère aux statistiques épidémiologiques :

  • la France a en effet un taux de prévalence faible, inférieur à 1% ;
  • son taux de dépistage est le plus élevé d’Europe, avec 64% des patients au fait de leur statut sérologique fin 2011 ;
  • le taux d’accès aux traitements, notamment les plus innovants, est également le plus élevé d’Europe (15% fin 2005)39.

… mais des temps d’attente longs et un déficit de communication

Des faiblesses sont néanmoins saillantes :

  • des ruptures dans les parcours de soins surviennent pour deux raisons : une fraction de la population infectée se sent stigmatisée et/ou est marginalisée, ce qui complexifie le suivimédico-social, et les effets indésirables de l’interféron engendrent des abandons thérapeutiques ;
  • la durée d’attente pour une consultation d’hépatologue peut excéder  six mois dans certains territoires. Cette situation résulte d’un manque de médecins dans certaines localités.  L’attente est  en  outre  indépendante de la situation clinique des Les rendez-vous sont généralement convenus auprès de standardistes hospitaliers qui ne sont évidemment pas en mesure d’évaluer la sévérité des cas pour adapter la date de rencontre avec l’hépatologue ;
  • les efforts de communication sont très insuffisants, tant à l’égard du grand public que des populations exposées. Résultat : 8 Français sur 10 se jugent mal informés sur les hépatites.Une Journée nationale et une Journée mondiale de lutte contre les hépatites B et C existent, mais leur portée est fortement limitée. En dehors de ces journées, peu d’actions desensibilisation sur les hépatites sont menées.Avec des durées de traitement courtes et sans effet indésirable, les nouveaux AAD vont permettre de sensiblement réduire les cas de ruptures de soins. Sans mesures adaptées, les problèmes du temps d’attente et du manque de communication resteront cependant entiers.

Propositions pour améliorer la prise en charge et accélérer l’éradication du VHC en France

Notes

40.

La proposition du rapport Dhumeaux de promouvoir des dépistages conjoints VHC-VHB-VIH s’inscrit dans une logiquement similaire.

+ -

41.

Rapport Dhumeaux, p.311.

+ -

42.

Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, Synthèse des rapports d’activité 2011 des comités de coordination de la lutte contre l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (Corevih).

+ -

43.

Entretien avec Anne Degraix, coordinatrice de la Maison du patient de Lyon.

+ -

Il est désormais possible d’éradiquer l’hépatite C dans notre pays en moins de dix ans grâce aux nouvelles thérapies. Pour cela, encore faut-il :

  • renforcer les efforts de communication et de dépistage auprès du grand public et des populations les plus exposées ;
  • améliorer la prise en charge médicale en réduisant les durées d’attente pour les consultations avancées ;
  • améliorer le suivi social en diversifiant les possibilités d’accompagnement des patients en situation de précarité.

Nous présentons ci-dessous plusieurs pistes à étudier pour relever avec succès le défi d’une éradication rapide du virus en France et, plus globalement, pour améliorer la prise en charge médicale en ville.

Objectif 1 : Accroître les moyens humains et financiers alloués à la luttecontre les hépatites

Une éradication rapide du virus en France suppose que davantage de ressources soient allouées aux centres experts (SELHV) et aux associations. Les budgets publics étant sous tension, l’État et les collectivités locales  ne peuvent recourir à l’emprunt pour dégager ces ressources. À budget public constant, un arbitrage favorable aux programmes de lutte contre l’hépatite C peut néanmoins être opéré. Pour cela, les deux possibilités suivantes pourraient être étudiées :

  • financer des actions communes de lutte contre le VIH-VHC lorsque cela est pertinent40 ;
  • procéder à une mutualisation accrue de moyens entre programmes «VIH» et programmes «VHC».
Proposition 1 : Financer des actions communes « VIH-VHC »

Les populations ciblées par les associations de lutte contre le VIH et de lutte contre les hépatites se recoupent en partie. On estime en effet que près de 30% des personnes vivant avec le VIH sont chroniquement atteintes d’une hépatite B et/ou C41. Ces personnes requièrent un suivi d’autant plus attentif qu’elles souffrent d’une morbidité et d’une mortalitésupérieures aux malades mono-infectés et qu’elles endurent des thérapies plus lourdes. Pour cette raison, les associations de lutte contre le VIH ont étendu leur champ d’action aux hépatites virales. Dans un contexte de finances publiques sous tension, cette diversification leur confère un argument au maintien de leurs subventions. Ce faisant, les associations spécialisées sur les hépatites se retrouvent toutefois implicitement concurrencées dans leurslevées de fonds. Des partenariats entre les associations « VIH » et « VHC » permettraient dedépasser cette concurrence implicite. Leurs collaborations prendraient la forme de projets communs, d’envergure et pluriannuels, dans les domaines de la communication, du dépistage et du suivi des patients. Pour promouvoir ces partenariats, les principaux financeurs que sont lesAgences régionales de santé (ARS), les collectivités locales et les fondations pourraient émettre des appels à projets codirigés. Cette stratégie serait gagnante à la fois pour lesassociations, les patients et les administrations :

  • les associations spécialisées sur les hépatites profiteraient des moyens d’action considérables dont disposent les associations de lutte contre le VIH (logistique, volontaires, implication de people…) ;
  • les associations de lutte contre le VIH accéderaient au savoir-faire des associations spécialisées sur les hépatites, ainsi qu’à leur base de patients (point fondamental pour asseoir leur légitimité dans le domaine des hépatites) ;
  • la coordination des associations avec les réseaux ville-hôpital serait facilitée. Les patients souffrant d’une co-infection bénéficieraient d’une meilleure prise en charge et des stratégies dedépistage et de suivi plus efficaces seraient établies ;
  • les budgets publics qui financent les associations gagneraient en efficience. Cette stratégie de partenariats pourrait également être étudiée pour les pôles hospitaliers spécialisés (Corevih-SELHV).
    Proposition 2 : Procéder à une mutualisation accrue de moyens entreprogrammes « VIH » et programmes « VHC »

    La lutte contre le VIH bénéficie d’importants moyens

La lutte contre le VIH parvient à drainer d’importants montants grâce à  un travail de lobbying et des campagnes de communication efficaces. Les comités de coordination de la lutte contre l’infection par le VIH (Corevih)

  • équivalents des SELHV – sont au nombre de 28 en Les Corevih ont perçu en 2011 une enveloppe globale de 18,6 millions d’euros au titre des Missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation (Migac), soit un budget moyen de 665.000 euros par structure et une hausse de 45 % en quatre ans42. Une instruction du ministère de la Santé et des Sports, du 23 avril 2009 avait pourtant estimé le financement forfaitaire minimal de chaque Corevih à 265.000 euros pour 2008. Bien que ce montant soit à réévaluer en fonctiondu territoire couvert et du nombre de patients suivis, il n’apparaît pas que ces structures soienten situation de tension financière. Comparativement aux Corevih, les SELHV présentent des frais de fonctionnement modestes. Leur enveloppe moyenne a été de 70.000 euros en 2010 (au titre des Migac), ce qui est insuffisant pour leur permettre de mener à bien leurs missions et assurer une éradication rapide de l’hépatite C en France.

Côté associations, la première organisation de lutte contre le VIH, Aides, emploie près de 400 salariés en France, contre moins de 10 pour la première organisation de lutte contre les hépatites virales, SOS Hépatites.

Une mutualisation de moyens mesurée et temporaire

La mutualisation des moyens que nous proposons repose sur une logique de solidarité inter-pathologies, justifiée par la possibilité nouvelle d’éradiquer rapidement l’hépatite C du pays.

En cas de transfert de moyens, ces derniers doivent être :

  • mesurés, pour ne pas affaiblir les actions de lutte contre le VIH ;
  • temporaires, le temps d’informer les populations sur les hépatites virales et d’amorcer une dynamique favorable à l’éradication du VIH

Ces transferts renforceront par ailleurs l’incitation aux partenariats entre les acteurs de la lutte contre le VIH et ceux de la lutte contre le VHC. Le principe étant que ce qui serait « perdu » pour les premiers dans le cadre d’un transfert puisse être « retrouvé » dans le cadre d’un partenariat.

Lorsque cela est pertinent et pour préserver l’emploi, ces transferts pourront notamment prendre la forme de détachements temporaires de salariés des Corevih vers les SELHV et des associations de lutte contre le VIH vers les associations spécialisées sur les hépatites.

Les financeurs devront évaluer la pertinence et la faisabilité des transferts de moyens, enconcertation avec les pôles hospitaliers et les associations.

Objectif 2 : Améliorer l’organisation de la prise en charge par la coordination des professionnels médico-sociaux

Proposition 3 : Renforcer le rôle de coordination des services experts de luttecontre les hépatites virales (SELHV)

L’organisation du système de santé français repose sur une toile complexe de structures publiques, centrales et locales, et de structures privées et associatives. L’optimisation du système repose ainsi sur deux objectifs fondamentaux :

  • une répartition optimale des actions entre les acteurs ;
  • une coordination efficace des acteurs.

Il revient aux SELHV, dans le cadre des réseaux ville-hôpital, de s’assurer que ces objectifs sont poursuivis et atteints. À ce jour, tous les SELHV ne sont cependant pas pleinementimpliqués dans la coordination des professionnels médico-sociaux. La hausse des moyens qui leur seront conférés devrait donc s’accompagner d’objectifs en matière de coordination, définis conjointement avec les ARS.

Proposition 4 : Promouvoir le statut d’infirmière clinicienne

Les délais d’attente, qui excèdent parfois  plus  de  six  mois, s’expliquent en partie par un manque d’hépato-gastroentérologues relativement aux besoins43. Pour résoudre ce problème, le Centre hospitalier de Montélimar a expérimenté avec succès la consultation infirmière autonome pour les patients atteints d’hépatite C. Cette délégation de tâches, qui repose sur un protocole défini avec les médecins, permet une prise en charge rapide des patients. Les infirmières, dûment formées, évaluent l’état des patients, leur prescrivent si besoin des examens et sont en mesure de les orienter rapidement vers un médecin spécialiste en cas de fibrose sévère. Les médecins, eux, sont plus libres dans la gestion de leur temps.

Cette organisation, qui a fait ses preuves, pourrait être améliorée en délocalisant les consultations infirmières dans des centres médico-sociaux de ville, plus proches des populations, notamment des usagers de drogues parfois réticents à se rendre à l’hôpital.

Proposition 5 : Promouvoir les centres de ville médico-sociaux et pluridisciplinaires

La Maison du patient de  Lyon  est  une  structure de ville  pertinente pour le suivi des patients atteints d’Hépatite C car leur prise en charge requiert l’intervention de différents acteurs aux compétences diverses et complémentaires (infirmières, psychologues, assistantes sociales…). Plus généralement, le modèle de la médecine de ville d’exercice collectif, associée à un service d’assistance sociale, se révèle être un schéma pertinent pour toutes les maladies.

Nous proposons donc une généralisation des centres médico-sociaux de ville dans lesquels les médecins, libéraux ou salariés, généralistes et spécialistes, travailleraient en étroite collaboration avec des infirmières cliniciennes, des psychologues, des assistantes sociales et des chargés de projets et de coordination :

  • les infirmières cliniciennes seraient formées de manière à assurer des délégations de tâches jusqu’alors assurées par les médecins généralistes. Un pouvoir borné de prescription leur serait conféré et leur champ de compétences serait strictement délimité. En cas de maladie « hors compétences », ces infirmières redirigeraient les patients vers les médecins du centre, leur assurant ainsi un accès rapide à des soins à plus haute valeur ajoutée ;
  • à tout moment, un ratio médecins/infirmières devra être respecté dans ces centres. Dans le respect de ce ratio, les médecins seront individuellement libres de gérer leur temps (complet ou partiel avec une activité extérieure en milieu hospitalier et/ou en cabinet libéral). Ce mode d’organisation présente l’avantage de répondre aux aspirations des nouvelles générations de médecins : privilégier le travail en équipe et la vie de famille. Les consultations « avancées » des médecins (dont les compétences requises dépassent celles des infirmières) pourraient être tarifées à un prix supérieur aux consultations habituelles. Suivant ce schéma, un équilibre peut être trouvé pour l’assurance maladie selon le prix de la consultation infirmière, le prix de la consultation «avancée» des médecins et le taux de transfert des infirmières vers les médecins ;
  • le service d’assistance sociale du centre serait assuré par des salariés communaux, départementaux ou régionaux détachés à temps complet ou partiel (selon les besoins locaux);
  • les chargés de projets et coordinations assureraient la gestion administrative des centres etpiloteraient des projets dans le cadre d’un réseau ville-hôpital. Pour favoriser le développementde ce type de centre, les Régions pourraient acquérir des compétences exclusives en matière de santé. La réforme territoriale devrait faire passer le nombre de régions métropolitaines de 22 à 13. De cette réforme résultera des régions plus grandes, plus puissantes et plus à même d’assurer de nouvelles compétences suivant une logique de décentralisation Unegestion administrative et budgétaire rigoureuse permettrait à ces centres médico-sociaux d’être financièrement autosuffisants (comme le sont des cabinets libéraux collectifs). Au-delàde l’investissement initial, l’impact sur le budget des collectivités pourrait donc être modéré, voire neutre.

Objectif 3 : Améliorer la communication autour des hépatites

Proposition 6 : Renforcer les actions des collectivités dans la communication

Il est impératif de sensibiliser davantage  la population sur la question  des hépatites virales afin de favoriser leur dépistage et leur éradication. Les Journées nationales dédiées à la lutte contre les hépatites souffrent cependant d’un manque d’engagement de la part des pouvoirspublics. Aussi il est impératif que les élus locaux prennent conscience des enjeux liés aux hépatites et engagent des actions efficaces de communication.

À cet égard, nous préconisons que soit laissé à la discrétion de chaque région le choix de la date des journées « Hépatites » (qui ne seraient dès lors plus nationales mais régionales). Un tel choix permettrait notamment aux régions de faire coïncider ces journées avec d’autres événements locaux.

Ainsi liées à des événements rassembleurs, les actions régionales de communication sur les hépatites, conduites aussi bien par les conseils régionaux que par les communes, seront :

  • simples à organiser, car s’inscrivant dans des programmes plus larges ;
  • moins coûteuses, car bénéficiant d’un effet d’économies d’échelle ;
  • plus efficaces, car il y aura une proximité avec la population dans un moment propice à l’écoute de messages de santé publique.

À cela devra s’ajouter un soutien financier plus important aux campagnes d’information conduites par les associations de patients.

Graphique 5 : Modèle de structure médico-sociale pluridisciplinaire de ville

Source :

Asterès.

Bibliographie indicative

BOUZOU (Nicolas), Un accès équitable aux thérapies contre le cancer, Fondation pourl’innovation politique, février 2014.

BRUGUIÈRE  (Marie-Thérèse),  Santé et territoire : à la recherche de l’équilibre, rapportd’information du Sénat, no 600, juin 2011.

COFFIN  (Phillip  O.)  et  al.,  « Cost-effectiveness  and  population  outcomes  of general population  screening  for  hepatitis  C »,  Clinical  Infectious  Diseases, vol. 54, no 9, mai2012, p. 1259-1271.

DEUFFIC-BURBAN  (Sylvie)  et  al.,  « Should  we  await  IFN-free  regimens  to treat HCVgenotype 1 treatment-naive patients? A cost-effectiveness analysis (ANRS 95141) »,Journal of Hepatology, vol. 61, no 1, juillet 2014, p. 7-14.

— « Predicted effects of treatment for HCV infection vary among European countries », Gastroenterology, vol. 143, no 4, octobre 2012, p. 974-985.

DHUMEAUX (Daniel), dir., Prise en charge des personnes infectées par les virus de l’hépatite B oude l’hépatite C. Rapport de recommandations 2014, sous l’égide de l’ANRS et de l’AFEF,ministère des Affaires sociales et de la Santé, 2014.

HAUT CONSEIL DE LA SANTÉ PUBLIQUE (HCSP), Évaluation du plan national de lutte contre les hépatites B et C, 2009-2012, avril 2013.

HAUTE AUTORITÉ DE SANTÉ (HAS), Prise en charge de l’hépatite C par les médicaments anti-viraux à action directe (AAD), juin 2014.

  • Place des tests rapides d’orientation diagnostique dans la stratégie de dépistage de l’hépatite C, mai 2014.
  • Stratégies de dépistage biologique des hépatites virales B et C, mars 2011.
  • Dépistage de l’infection par le VIH en France, octobre 2009.

MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SPORTS-DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ, Plan national de lutte contre les hépatites B et C, 2009-2012.

MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES, DE LA SANTÉ ET DES DROITS DES FEMMES, Journée de lutte contre les hépatites virales, compte rendu du colloque du 19 mai 2014.

  • Synthèse des rapports d’activité 2011 des comités de coordination de la lutte contre l’infectionpar le virus de l’immunodéficience humaine (Corevih).
Nos dernières études
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