Former, de plus en plus, de mieux en mieux : l’enjeu de la formation professionnelle
La formation professionnelle tout au long de la vie
Une évidence socio-économique
Mieux définir la formation « utile »
Une politique publique de rééquilibrage grâce à la loi de mars 2014
Les nouveaux outils de la loi de mars 2014
La qualité comme le défi des années à venir
LISTE DES ABRÉVIATIONS ET ACRONYMES
Résumé
La formation professionnelle est un formidable enjeu social et économique. C’est un enjeu individuel pour les milliers de salariés, dont les carrières vont connaître des changements croissants, et un enjeu collectif au cœur de la politique de ressources humaines des entreprises, pour lesquelles c’est un levier de développement incontournable. Pourtant, les situations sont très variables selon les pays, selon les types d’entreprises, selon les cycles de formation… Beaucoup dépend du bon déploiement du triangle formé entre l’actif, l’entreprise et l’organisme de formation. Les modalités de transmission des compétences sont fortement impactées par les processus de digitalisation.
La loi de mars 2014 marque une rupture, en entraînant des obligations différentes et donc une nouvellerépartition des rôles, via un renforcement de l’intervention des Régions et de l’Europe. Cette loi crée surtout de nouveaux outils comme le conseil en évolution professionnelle, pour orienter, ou le compte personnel de formation, pour capitaliser. Ces deux dispositifs deviennent les pivots du nouveau système institué, en plaçant l’actif au cœur de la demande. La formation professionnelle de demain devra désormais respecter des exigences de qualité, dues tant aux prescripteurs qu’aux apprenants. À la clé, la question centrale est bien celle d’une formation professionnelle à même de réduire les inégalités devant l’emploi, plutôt que d’accentuer les avantages des insiders.
Olivier Faron,
Administrateur général du Conservatoire national des arts et métiers.
La formation professionnelle tout au long de la vie
Formation professionnelle. Annexe au projet de loi de finances pour 2017, p. 25.
Les montants de l’Unedic pour la formation comportent essentiellement les coûts pédagogiques et les coûts annexes hors indemnisation, alors que pour les salariés une partie non négligeable des montants correspond à l’indemnisation des salaires, au moins sur les dispositifs de congés individuels de formation (CIF), une partie des droits individuels à la formation (DIF), de la professionnalisation, voire du plan de formation depuis 2016 pour les très petites entreprises (TPE).
Annexe au projet de loi de finances pour 2017, « formation . Formation professionnelle »,…, op. cit., p. 35.
Raphaël Legendre, « Philippe Aghion (Collège de France) : “En France, la formation professionnelle ne vaut rien” », interview, lopinion.fr, 4 juillet 2016.
Former de plus en plus et de mieux en mieux pourrait être considéré comme un élément central et généralement partagé de nombre de programmes économiques, sociaux ou politiques nationaux ou internationaux. La Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne a été par exemple adoptée à Lisbonne en 1997. Elle met l’accent sur l’économie de la connaissance, à travers une orientation vers l’innovation et le développement de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est d’autant plus important pour les pays développés que le rôle de la formation est de plus en plus perçu comme l’une des rares certitudes identifiées pour résoudre, au moins en partie, l’un des pires fléaux sociaux auxquels certains d’entre eux sont confrontés, à savoir le chômage de masse. Une telle réalité est d’ailleurs confortée par le fait que de plus en plus souvent une nouvelle commande industrielle nécessite un besoin de formation approprié. Un exemple récent parmi beaucoup d’autres est représenté par le contrat de vente de douze sous-marins du groupe DCNS à l’Australie en mai 2016. Un tel marché génère quasi automatiquement un besoin de formation fort pour les sociétés d’ingénierie, comme en vue de l’appréhension des spécificités des installations, notamment par les spécialistes australiens concernés, le tout avec la nécessité d’utiliser une nouvelle génération de logiciels de conception 3D. Une nouvelle commande inclut donc presque automatiquement son volet de formation.
Pourtant, derrière le libellé « formation professionnelle » se cachent des réalités, des enjeux et des défis changeants et souvent difficiles à appréhender. Et, surtout, à la clé, des montants financiers énormes et un jeu pluriel, organisé autour de nombreux acteurs. Certains chiffres sont frappants, d’autant plus qu’ils reviennent souvent dans le débat public. Selon les données du Projet de loi de finances (PLF), l’argent consacré à la formation professionnelle s’élevait en France à 31,6 milliards d’euros en 2014, répartis entre de nombreux contributeurs : les entreprises (14,3 milliards d’euros, soit 45,3%), la fonction publique (17,3%), l’État (11,8%), les Régions (14,3%), PôleEmploi (6,7%)1 … Tous ces différents contributeurs sont acteurs de jeux de pouvoir sous-tendant la dimension paritaire. Rapporté au PIB, l’effort de formation est de 1,5%, à comparer aux 1,6% de 2009.
Le panorama des bénéficiaires est plus clair puisque les actifs du privé pèsent à hauteur de 43%, devant deux autres groupes équivalents, à savoir les agents publics et les apprentis (chacun représentant 18-19%). Il est intéressant de constater que les demandeurs d’emploi reçoivent juste un peu plus que leur poids dans la population, avec 4,8 milliards et 15,1%. Ils ne sont en tout cas pas l’objet d’une évidente politique de redistribution, même si les montants ne sont pas exactement comparables2.
Cela pose une question de fond : pourquoi la formation professionnelle n’est- elle pas véritablement gérée comme un outil majeur de retour à l’emploi ? Sur ce point essentiel, deux logiques cohabitent : la formation professionnelle doit- elle s’inscrire dans une approche préventive, visant à adapter les compétences des salariés en poste, pour éviter un passage long par la case chômage, ou bien, au contraire, faut-il aller vers le curatif, en favorisant la formation des demandeurs d’emploi pour faciliter leur retour à une vie active? Les deux démarches sont-elles exclusives ? Où doit-on mettrele curseur ?
L’autre question réside dans le fait que très peu de cette manne financière est tournée vers l’avenir, puisque le volet « investissement », à savoir ce qui renvoie aux « achats d’équipement et de biens durables directement liés aux actions de formation », est estimé à 1%, c’est-à-dire presque rien face aux rémunérations ou frais de fonctionnement divers3.
La formation professionnelle représente bien un monde avec ses règles et, souvent, ses exceptions, ses acteurs et leurs contraintes. Un monde qui couvre une réalité vitale, notamment pour un pays comme la France, qui doit disposer d’une offre de formations qualifiantes adaptée à la nécessaire montée en compétence de l’ensemble de ses actifs. Un beau défi difficile à atteindre toutefois si l’on suit l’économiste Philippe Aghion qui, en juillet 2016, estimait dans L’Opinion qu’en France « la formation professionnelle ne vaut rien4 »…
Une évidence socio-économique
Nicola Brandt, «La Formation professionnelle au service de l’amélioration des compétences en France», Documents de travail du département des Affaires économiques de l’OCDE, n° 1260, Éditions OCDE, 2015.
OCDE, Regards sur l’éducation Les indicateurs de l’OCDE, Éditions OCDE, 2016, p. 390.
Éric Labaye, Charles Roxburgh, Clarisse Magnin et Jan Mischke, L’Emploi en France : cinq priorités d’action d’ici 2020, McKinsey Global Institute, mars 2012, p. 2.
Cedefop, Job-related adult learning and continuing vocational training in A statistical picture, Luxembourg Research Papern) 48, 2015.
Sondage du Financial times, repris dans Inffo Formation, n° 902, 15-30 juin 2016.
Voir Yves Barou et le Cercle des DRH européens, Patrimoine humain de l’entreprise et compétitivité, Des Îlots de résistance, 2014.
Jean Flamand, « Les transitions professionnelles révélatrices d’un marché du travail à deux vitesses », FranceStratégie, La Note d’analyse, n° 50, octobre 2016.
Thérèse Perez-Roux et André Balleux (dir.), «Transitions professionnelles désirées-contraintes : quelles dynamiques identitaires des acteurs à l’épreuve des contextes ?», L’orientation scolaire et professionnelle, numéro thématique, vol. 43, n° 47, octobre-décembre 2014, p. 391-494.
Voir « Formation professionnelle : quels facteurs limitent l’accès des salariés seniors ? », Dares analyses, n° 031, juin 2016.
Voir Yann Le Galès, « Les moins de 30 ans privilégient le bien-être au travail », Le Figaro, 26 septembre 2016.
On ne peut qu’être frappé par les contradictions inhérentes à la formation professionnelle. Chacun reconnaît que la croissance économique d’un pays développé comme la France, avec peu de matières premières et une désindustrialisation quasi inéluctable, passe par le développement du capital humain. Et pourtant, de nombreux Français ont des compétences insuffisantes5. Pire même, l’OCDE montre que seulement 40% des adultes français (de 25 à 64 ans) ont participé à des activités de formation, la France se classant en vingt-cinquième position des pays évolués6. Selon l’Institut McKinsey Global Institute, 2,3 millions d’actifs non qualifiés, n’ayant pas atteint le niveau du baccalauréat, pourraient se trouver sans emploi à l’horizon 2020, alors que 2,2 millions d’emplois exigeant au minimum un niveau bac pourraient ne pas être pourvus ou seraient occupés par des personnes n’ayant pas les compétences requises7.
Une autre contradiction renvoie à l’écart spectaculaire entre les sommes importantes versées pour la formation professionnelle évoquées ci-dessus, souvent l’objet de communications médiatiques, et l’existence persistante de métiers dits en tension, en raison de l’absence d’une main-d’œuvre formée en amont de manière adéquate.
Dernière contradiction : la formation tout au long de la vie est le maillon faible français. Les écarts sont frappants avec, par exemple, les Danois ou les Suédois, qui y ont recours presque trois fois plus, en particulier dans les très petites entreprises (TPE), le recours à la formation étant proportionnellement très inférieur en France, en particulier à cause de difficultés d’organisation avec le temps travaillé8. C’est pourtant un outil important pour favoriser les secteurs offrant de bonnes perspectives d’embauche.
Il faut donc rappeler une évidence socio-économique : la formation professionnelle est un atout transversal et longitudinal. Transversal, car la formation permet de répondre aux besoins de l’économie en un temps t. Quelque 57% des chefs d’entreprise européens estiment que la formation professionnelle améliore leurs résultats financiers9, ce qui suppose des outils de veille constamment réactualisés et largement ouverts sur l’international. Une formation réussie accroît la rentabilité circonscrite d’une entreprise mais aussi générale d’un territoire, tout en produisant des externalités positives. Un bon exemple est le départ d’un actif formé qui va rejoindre une autre réalité de création de richesses, une autre entreprise, avec son bagage de compétences. On peut ainsi passer de la notion de capital immatériel à celle de patrimoine humain. Il s’agit d’une véritable source d’énergie renouvelable pour les entreprises, coordonnée par les directeurs des ressources humaines (DRH), dans le cadre de stratégies de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) laissant une place croissante aux questions de formation10.
Cela introduit des différences entre entreprises. Les petites et moyennes entreprises (PME) forment moins dans l’ensemble, notamment dans les secteurs tels que le commerce ou l’hôtellerie-restauration où elles privilégient le recours à des ouvriers et à des employés non qualifiés. En ce sens, le rapport d’activité 2015 du Conseil national d’évaluation de la formation professionnelle (CNEFP) apporte des éléments précieux sur l’influence conjointe et croisée de la taille de l’entreprise et du secteur d’activité. Les entreprises de petite taille ou de domaines comme les transports ou la construction financent essentiellement des formations en vue de répondre aux exigences réglementaires. Celles de plus de 500 salariés ou des secteurs de l’information-communication ou de la fabrication d’équipements électroniques et informatiques visent à accompagner les changements organisationnels et technologiques. En définitive, la politique de formation est largement dépendante àla fois de spécificités sectorielles et des réalités propres à chaque entreprise. La qualité de la politique de formation menée est tributaire tant de la personne dédiée à la coordination, à commencer par le DRH, que de l’acculturation collective faisant de la formation un levier incontournable et partagé de transformation.
Mais la formation est aussi un atout longitudinal car elle facilite l’adaptation des actifs aux évolutions du marché du travail. C’est dès le premier apprentissage d’un futur métier que l’on doit déjà en mesurer et en prévoir les évolutions probables. D’où l’importance de rappeler et surtout d’agir demanière concrète pendant les années de formation pour que les apprenants disposent à la fois de compétences professionnelles gages d’employabilité immédiate et d’un socle de savoirs permettant des reconversions incontournables. La question des transitions professionnelles devient majeure : 17% des actifs sont dans une situation sur le marché du travail différente de celle qu’ils avaient un an plus tôt, cette fragilité étant supérieure pour les jeunes et les moins qualifiés mais aussi pour le secteur des services11. Les transitions peuvent être désirées dans le cadre d’une ambition individuelle en acte, qui souvent vient contre balancer une formation initiale jugée insatisfaisante, mais dans des sociétés fragilisées par des crises économiques à répétition la transition est très souvent contrainte et déterminée par des aléas. En définitive, c’est bien le parcours de vie des adultes qui est le bon indicateur de l’adéquation formation-réussite professionnelle12. Parcours professionnel à bâtir tout au long de la vie, auquel répondent, d’une part, la modularisation des parcours de formation professionnelle, étape par étape, et, d’autre part, la capitalisation des compétences, jalonnant le parcours de vie au travail. Si un métier n’est pas forcément celui de toute une vie, il peut être néanmoins le gage d’une réussite à venir, notamment si l’on valide suffisamment tous les acquis qu’il a générés.
Cela suppose aussi que l’effet de génération soit pris en considération, à travers les représentations et les pratiques. Des écueils surgissent immédiatement. Les seniors sont oubliés presque systématiquement, car l’accès à la formation décroît avec l’âge, notamment en raison du refus ou de l’absence de soutien de leur employeur13. Les attentes nécessairement différentes des générations plus récentes, baptisées X, Y ou Z, sont, elles aussi parfois mal appréhendées14. Des enquêtes, souvent empiriques, insistent sur un certain nombre de leurs aspirations partagées mais insuffisamment prises en compte : envie d’une culture de projet renouvelée, attachement à une vraie qualité de vie, goût de la flexibilité des horaires, quête d’un sens pour les actions à porter ou les initiatives à prendre… La formation tout au long de la vie renvoie bien à un mouvement de fond de transmission, à la fois à forte composante intergénérationnelle et déterminée par un effet de génération.
La formation professionnelle doit donc être structurée autour d’un projet personnel et professionnel, tant individuel que collectif, d’un plan de formation : projet de développement, de réponse à un marché mais aussi de carrière, de vie, d’épanouissement. Dans certains cas, une formation courte est la bonne réponse pour une montée en compétences ; dans d’autres, une solution plus longue, intégrant des dispositifs hors temps de travail, paraît plus opérationnelle pour la meilleure reconnaissance d’un potentiel en affirmation – c’est le cas, par exemple, pour des parcours d’ingénieur tout au long de la vie, sur dix ans, voire plus. Certaines évidences sont aussi de plus en plus prégnantes, comme le fait que le marché du travail favorise de plus en plus les actifs disposant de compétences élevées en matière analytique, cognitive et de communication, bases de l’économie du savoir.
Mieux définir la formation « utile »
Anne Jorro (dir.), Dictionnaire des concepts de la professionnalisation, De Boeck, 2014.
Jean-Marie Barbier, Étienne Bourgeois, Gaëtane Chapelle et Jean-Claude Ruano Borbalan (dir.), Encyclopédie de la formation, PUF, 2009.
Françoise Cros, Edwige Bombaron et Marie-Laure Vitali (dir.), Doctorat et monde professionnel, L’Harmattan, 2014.
Bertrand Martinot, L’Apprentissage, un vaccin contre le chômage des jeunes. Plan d’action pour la France tiré de la réussite allemande, Institut Montaigne, mai 2015, p. 16
BPI Group, L’université d’entreprise dans une économie en Quels leviers pour les entreprises face à leurs enjeux de transformation?, septembre 2016.
Avant les années 1970, la formation continue était limitée en France à quelques établissements épars, à l’instar du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), impliqués dans la promotion supérieure du travail. En clair, il s’agissait plutôt de faciliter une ascension sociale que de se soucier de professionnalisation en amont alors que les autres établissements publics, tels que les universités, dispensaient des enseignements avant tout académiques. C’est une loi de 1971, dite loi Delors, qui introduit la formation continue. À partir de ce moment, les organismes ou entreprises impliqués vont se multiplier pour nourrir un véritable marché, de plus en plus international au fil du temps. Au début de l’année 2016, la prise de contrôle de l’importante société française Demos par le groupe chinois Weidong montre bien l’ouverture des investissements dans le secteur, comme en témoignent également les succès d’acteurs du monde entier à des appels d’offres nationaux.
Mais de quelle formation parle-t-on ? Une récente encyclopédie de la professionnalisation15 ne recèle pas moins d’une quinzaine d’occurrences : autoformation ; e-formation ; engagement en formation ; évaluation des systèmes de formation, formation expérientielle, formation et formateurs, formation-intervention, groupe de formation, ingénierie de formation, innovation en formation, parcours de formation, politique de formation, référentiel de formation, situation de formation, technologie(s) de la formation… Autant de dispositifs à replacer dans une vision large de la formation des adultes, qui doit beaucoup aux intuitions de grands pionniers tels que Bertrand Schwartz16 ou Vincent Merle.
Au cours de ces dernières années, on a assisté à un brouillage accru de toutes les démarcations possibles. La première d’entre elles est celle de la professionnalisation réelle ou au moins affichée de la quasi-totalité des certifications et diplomations. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU, de 2007 est symbolique de cette rupture, en articulant, à la demande des syndicats étudiants, l’enseignement supérieur et la nécessité de l’insertion professionnelle, avec création d’une direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en lieu et place de la direction générale de l’enseignement supérieur. On peut considérer qu’aujourd’hui la plupart des reconnaissances de parcours de formation comportent, plus ou moins efficacement d’ailleurs, une préoccupation de professionnalisation.
La dimension professionnalisante a une pertinence propre à tous les niveaux de l’enseignement supérieur. C’est même le cas du doctorat, comme en témoigne la possibilité d’obtenir ce qui représente l’un des diplômes les plus élevés, voire le plus élevé, de l’enseignement supérieur par une voie originale telle que la validation des acquis de l’expérience (VAE). Selon les régions du monde, la dimension de professionnalisation est plus ou moins prégnante par niveau. Pour s’en tenir au dernier exemple abordé, il existe ainsi au Québec des doctorats professionnels. La thèse est alorsconçue comme source de développement de compétences directement professionnelles, dans un contexte de forte professionnalisation des doctorants17.
Une seconde démarcation existe entre les cycles de formation. La formation professionnelle initiale, avant le baccalauréat, renvoie essentiellement à l’apprentissage. Et, dans ce domaine et malgré des relances ponctuelles, la France est en retard. En Allemagne, en 2013, les apprentis représentaient 16% du nombre de jeunes de 15 à 24 ans, contre 5,2% en France18. Ce retard a beaucoup d’explications, comme l’efficience du modèle paritaire, les meilleures capacités de pilotage outre-Rhin, des voies d’accès au diplôme ainsi qu’une intervention des entreprises différentes entre les deux pays. Bertrand Martinot, à l’époque économiste après avoir été délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle de 2008 à 2012, en arrive à proposer un pacte national pour l’apprentissage, tandis que Gérard Mestrallet, en tant que président-directeur général d’Engie, a été nommé en juin 2015 par le ministre du Travail ambassadeur de l’apprentissage. Il est clair qu’une véritable révolution culturelle doit s’accompagner d’une politique extrêmement volontariste pour que l’apprentissage devienne en France un outil incontournable. Souvent cantonné initialement en amont du baccalauréat, l’apprentissage est devenu progressivement un levier de formation majeur pour le post-bac, avec souvent des taux de progression plus importants dans l’enseignement supérieur.
En définitive, la bonne définition pourrait être aujourd’hui celle d’une formation garante d’employabilité. Elle renvoie à un triangle majeur, dont les trois angles sont les suivants :
- l’actif, destinataire de la formation, parfois à sa demande. Il doit recevoir de sa formation des bénéfices tant personnels que pour la structure à laquelle il appartient ou pour le marché de l’emploi plus généralement, notamment dans des logiques de reconversion ou de paliers de compétences permettant de rebondir dans une nouvelle entreprise ;
- l’entreprise (ou l’institution dans le cadre de la fonction publique), maître d’œuvre d’un scénario global et cohérent de politique de formation. Elle peut surtout, à terme, proposer un ajustement ciblé de la montée induite de compétences avec sa propre organisation interne, à court ou moyen terme ;
- l’organisme de formation, opérateur de la formation. Il répond aux attentes exprimées mais peut aussi susciter de nouvelles réponses à des besoins non identifiés, dans le cadre d’une dimension plus prospective.
Là encore, les frontières peuvent être floues. Un actif peut devenir lui-même formateur ou l’entreprise « apprenante » – quand elle construit une politique d’accompagnement de ses collaborateurs et de partage interne de nouvelles compétences –, ce qui réduit d’autant la marge d’intervention d’un organisme extérieur. La formation est ainsi souvent internalisée, comme en témoignent les universités dites d’entreprise créées en France à partir du milieu des années 1950 à l’initiative de grands groupes tels que General Electric19, sans oublier la formation non formelle, qui a tendance à brouiller les lignes des processus classiques car elle se fait sans validation, en faisant prévaloir l’échange entre participants, à la suite notamment de sa reconnaissance par la conférence générale de l’Unesco de 1997.
De leur côté, les organismes de formation sont mobilisés pour offrir des encadrements plus complets de leur public, via des dispositifs d’accueil, information, orientation et accompagnement (AIOA) ou grâce à un accompagnement méthodologique et pédagogique plus cohérent. En ce sens, ils visent à proposer des contenus sans cesse renouvelés mais surtout des modalités de transmission des compétences en évolution constante. Il peut s’agir de révolutions culturelles ou techniques. Révolution culturelle quand la VAE, souvent contraignante, longue et lourde pour un individu isolé, est déclinée de manière collective pour répondre au besoin de progression d’un groupe. Mais, surtout, l’action des organismes, notamment le déploiement de dispositifs d’accompagnement, est bien sûr constamment transformée par les processus de digitalisation. Le numérique permet aujourd’hui de réaliser quasiment toutes les formes d’apprentissage à distance : de l’apprentissage du codage informatique récemment introduit enFrance, à la gestion des ressources humaines, en passant par la réflexion sur son projet (ePortfolio). De nouveaux outils surgissent à une vitesse de plus en plus élevée. Les Massive Open Online Courses (Mooc), nés en 2012 dans des établissements très prestigieux tels que le MIT, Harvard ou Stanford, sont aujourd’hui presque banalisés et déjà en partie remplacés par les Small Private Online Courses (Spoc), plus individualisés. De tels dispositifs ne sont véritablement performants que lorsque la dimension de social learning est bien prise en compte.
Même si le recul sur ce phénomène apparu à la fin des années 2000 est trop faible, quelques constats peuvent néanmoins être faits. Le premier est que ces cours à distance massifs, nés à l’origine pour répondre à des problématiques avant tout académiques, ont très rapidement pris des colorations professionnalisantes plus ou moins marquées. Aujourd’hui, dans le monde anglo-saxon, le suivi finalisé d’un Mooc autour d’un langage informatique, d’un savoir-faire numérique, voire de l’intelligence artificielle, comme l’exemple souvent repris réalisé au sein de l’université de Stanford, constitue souvent un passeport pour l’emploi. À côté de produits substitutifs d’enseignements de formation initiale sont apparus des outils de formation tout au long de la vie. Les exemples français, souvent repris des Mooc de cuisine (« Les 101 techniques de cuisine » ) de l’Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) ou celui intitulé « De manager à leader », réalisé par la professeure du Cnam Cécile Dejoux, en sont de bonnes illustrations. Le large public de ce dernier Mooc (plus de 100 000 auditeurs lors des trois dernières sessions) se distribue de façon harmonieuse entre tranches d’âge, à raison d’un tiers pour les 30-40,40-50 et 50-60 ans. Le large succès de ce cours de gestion des ressources humaines (GRH) est paradoxal : il vise à accompagner une montée en responsabilité au sein de l’entreprise et, pourtant, la très grande majorité des auditeurs disent l’avoir suivi sans en avertir leur employeur. Bel exemple d’une auto formation à l’initiative de l’actif, d’une formation à la carte voulue hors de tout cadre préétabli. Si communauté il y a, elle ne se constitue pas au sein de l’environnement de travail mais en dehors, entre moocers, fascinés par ce nouvel outil à leur disposition, et par l’enseignant qui les incarne.
Si les Mooc apportent des formules originales, ils ne constituent pas une réponse unique. Il reste ainsi encore beaucoup à faire pour que les dispositifs d’apprentissage expérimentaux comme les travaux pratiques puissent être totalement virtualisés, ce qui contribuerait à élargir ultérieurement le champ des formations à distance, notamment en direction des sciences dites de l’ingénieur.
Parallèlement, les grands cours à distance produisent de nouvelles formes d’échec. Moins de 20%,parfois même moins de 10%, des auditeurs inscrits suivent ces enseignements jusqu’à leur terme. Cela s’explique probablement par un accompagnement insuffisant des auditeurs, dû notamment à des outils pédagogiques incomplets, mais aussi par un degré de motivation très variable en fonction de l’appétence des internautes. Ce qui constitue un nouvel horizon pour des éditeurs, voire pour des diffuseurs de contenus numériques, comme le montre le projet français The Ebook Alternative(TEA), qui propose l’accès à une littérature grise, complémentaire des formations. Au-delà, on peut accepter l’idée que la phase de médiation, de transmission et d’accompagnement resteincontournable. On constate le besoin de l’intervention de formateurs, même si les modalités de leur action changent avec la généralisation des formes de pédagogie dite inversée. Si l’on étudie demanière expérimentale les résultats obtenus, on constate que les meilleurs résultats sont obtenusgrâce à ces modèles dits hybrides. Les taux de succès les plus élevés renvoient à la combinaison la plus fine du présentiel et du distanciel, plutôt qu’à une transmission reposant sur l’une seule des deux modalités.
Le « nouvel » enseignant dispose ainsi de « nouveaux » outils de communication, soitsynchrones, tels que les chats ou les classes virtuelles, soit asynchrones, comme les forums. Il devient le chef d’orchestre d’une formule mixte, articulant formation en salle et digitale. Il établit une espèce de charte tutoriale avec sesauditeurs, qui prévoit en particulier des feedbacks individuels et collectifs. La satisfaction de celui qui est aussi un client s’impose à lui.
À un niveau macro, la réussite nationale des politiques de formation professionnelle suppose la mobilisation des acteurs publics, au premier chef les enseignants. Pour les enseignants-chercheurs des universités, cela suppose par exemple de surmonter deux obstacles qui constituent autant de freins : le premier est d’aller à l’encontre de formes de reconnaissance et donc d’avancement reposant largement, voire exclusivement, sur la recherche académique ; le second est que doivent être mises en place des règles claires d’intéressement, ce qui suppose l’émergence de nouvelles structures au sein des établissements publics, comme des filiales, susceptibles d’apporter des ressources nouvelles, aujourd’hui généralement très faibles. Dans le cas contraire, il existe un risque important qu’une large partie de l’enseignement supérieur national, dont les meilleurs chercheurs, ne s’implique jamais dans les dispositifs de formation professionnelle, laissant leur place à des spécialistes exclusifs de ce type d’initiatives, à des contractuels loin des foyers d’innovation potentielle, tant technologique que pédagogique.
En définitive, les liens entre les trois côtés du triangle sont de nature différente. Le code du travail établit ainsi l’obligation pour les entreprises d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Cela pousse les DRH à définir souvent comme une priorité majeure le fait d’assurer le lien entre politique de formation et stratégie de l’entreprise. C’est en fait un enjeu économique pour l’avenir de l’entreprise et social en vue du bien-être de ses salariés. Pour réussir ce pari sans cesse renouvelé, cela suppose une sorte de contrat, transparent, efficient et évaluable. En matière de formation professionnelle, la relation contractuelle la plus fréquente est celle établie entre une entreprise et un organisme de formation, mais elle peut se bâtir entre apprenant et prestataire dans le cadre d’une convention de formation, voire prendre la forme d’un contrat de génération, dans le cadre d’une opération d’envergure destinée à soutenir l’affirmation d’une classe d’âge. C’est en partie pour mieux équilibrer l’ensemble du dispositif que le législateur intervient. Il le fait relativement souvent, et il l’a fait récemment, dans le sens de l’efficience de ce dont les pratiques témoignaient, au bénéfice de l’intervention directe de l’actif comme propre acteur de sa formation.
Une politique publique de rééquilibrage grâce à la loi de mars 2014
Les DRH et autres responsables de formation considèrent généralement qu’il s’agit d’une « bonne loi », par exemple dans les enquêtes du groupe Cegos.
Gérard Cherpion et Jean-Patrick Gille, «Rapport d’information déposé en application de l’article 145-7 du Règlement par la Commission des affaires sociales sur la mise en application de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale», rapport n° 3558, Assemblée nationale, 9 mars 2016.
Jules Simha, « Formation et territoires : les contraintes d’une construction partenariale », Formation Emploi, revue française des sciences sociales, n° 123, juillet-septembre 2013, p. 89-107.
Commission européenne, Dix actions pour contribuer à doter les personnes de meilleures compétences en Europe, communiqué de presse, 10 juin 2016.
Voir Europass Innovation Working Group, « Europass 2020 : a vision for meeting the current and future needs of modern European citizens in recording and promoting skills, qualifications and experience », Europass, printemps 2016.
La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale est d’abord un marqueur de l’importance que revêt aujourd’hui la formation professionnelle. Elle la légitime, voire elle en sacralise le rôle. C’est un texte majeur et apprécié hors de la sphère politique20, ce qui explique probablement et paradoxalement qu’il n’ait pas fait l’objet de plus de retours médiatiques ou politiques à une époque où l’attention se concentre prioritairement sur ce qui clive, voire fait polémique. La loi de 2014 fait en outre l’objet d’une politique exemplaire de suivi de sa bonne application, appuyée sur des documents d’étapes, là aussi insuffisamment relayés21.
Ce texte repose sur la volonté de passer d’une « obligation de payer » à une « obligation de former ». La formation devient un investissement pour les entreprises qui la valorisent dans des projets stratégiques de transformation des organisations. Le texte de 2014 porteaussi une volonté forte de transfert d’une mission de service public de l’État vers les Régions. Cet élan girondin part du présupposé que l’efficacité d’ensemble du dispositif suppose d’opérer au plusprès des territoires, pour répondre aux attentes et aux besoins. La loi diminue considérablement la fonction de régulation, voire de contrôle, de la tutelle publique, avec des risques non négligeables de compromis trouvés sur le terrain entre organisations participantes. L’État se prive ainsi d’un levier d’action précieux et devra se contenter d’agir désormais essentiellement indirectement à travers ses grands opérateurs que sont, à des degrés différents, Pôle Emploi ou l’Afpa, dans le cadre du service public de l’emploi (SPE).
La localisation de la construction des politiques de formation professionnelle au niveau des régions est elle-même source de nouveaux rapports de force. Les jeux d’acteurs deviennent autant de jeux territoriaux, avec en filigrane la question du périmètre pertinent et des acteurs les plus efficaces22. Territoires clés au cœur de cette politique de formation professionnelle, les Régions se révèlent lieux de partages : entre traditions et innovations, entre élus et techniciens, avec à la clé des visionsdu territoire et du pouvoir du local. Dans le champ de la formation professionnelle, les Régions sont avant tout responsables des demandeurs d’emploi, pour lesquels elles doivent élaborer un plan régional de développement des formations professionnelles (PRDFP), qui devient de fait un CPRDFP, puisqu’il est établi en lien avec l’État par l’entremise du recteur d’académie, qui retrouve à cette occasion un nouveau rôle opérationnel, notamment pour le segment – 3/+ 3 : trois ans avant le bac, l’entrée en seconde, jusqu’à la licence universitaire. Inversement, les départements et les communes ne sont légalement pas compétents, ce qui fait que, par exemple, quand des communautés d’agglomération interviennent, on est plus dans un affichage politique, qui pose en définitive la question de la construction partenariale de la territorialisation. Sans oublier d’autres acteurs, généralement du monde socio-économique tels que des pôles de compétitivité ou d’activité, des clusters ou des cités de métiers ou de l’artisanat qui rencontrent souvent la question de la formation professionnelle à un moment de leur développement.
L’action des Régions françaises s’insère en outre de plus en plus dans un cadre européen. Le 10 juin 2016, la Commission européenne a ainsi adopté une « nouvelle stratégie globale en matière de compétences pour l’Europe ». Le constat de départ est relativement classique: 70 millions d’Européens n’ont pas les compétences de base, alors que 40% des employeurs disent avoir du mal à recruter des salariés avec l’expertise recherchée. L’objectif affiché est « de veiller à ce que chacun acquière, dès le plus jeune âge, un large éventail de compétences, et de tirer le meilleur parti du capital humain de l’Europe, ce qui aboutira en définitive à favoriser l’employabilité, la compétitivité et la croissance en Europe23 ». Au niveau européen, huit compétences clés européennes (CCE) ont été ainsi définies : de la communication linguistique aux compétences scientifiques, de l’esprit d’initiative et d’entreprise à la sensibilité et à l’expression culturelles. Aboutir à cette «garantie des compétences» revient à utiliser la gamme d’outils européens tels que le Fonds social européen (FSE), le Fonds européen de développement économique et régional (Feder), voire le programme Erasmus +, et à réviser le cadre européen de certifications. La stratégie de l’Union européenne pour 2020 suppose ainsi la mise en place de passeports de qualifications, nécessaires pour faciliter les mobilités professionnelles24.
Les nouveaux outils de la loi de mars 2014
Voir Renaud Descamps, « Le DIF : la maturité modeste », Céreq Bref, n° 299-2, mai 2012.
« La formation professionnelle en Europe – Baromètre Cegos », fr, mai 2016.
Groupe de travail coprésidé par Martin Richer et Christian Pellet, Quels enseignements tirer de la mise en œuvre de la Loi de Sécurisation de l’Emploi pour orienter la réforme de notre démocratie sociale ?, Terra Nova, 5 juillet 2016.
Éric Monnet, « La théorie des “capabilités” d’Amartya Sen face au problème du relativisme », Tracés, n° 12, décembre 2007, p. 103-120.
Martine Poulin, « L’accompagnement professionnel des publics : une démarche intégrative indissociable du parcours », Éducation permanente, n° 205, décembre 2015, p. 109-120.
Didier Pezant, Il faut sauver le soldat CPF, DAJM.
Ifop, Enquête auprès des bénéficiaires du CEP, sondage réalisé pour Fongecif Île-de-France, juin 2016. Ce sondage a été réalisé à partir de CEP délivrés par le Fongecif Île de France et il faut donc prendre ces chiffres avec précaution du fait de la vocation et des priorités du Fongecif, qui se traduisent notamment dans sa communication et le positionnement de son offre.
Le texte de 2014 s’inscrit dans la volonté de l’État de simplifier l’offre de formation, dans le sillage d’autres lois comme celle sur l’enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013 qui fixait un cadre national des formations, entraînant une réduction des intitulés des diplômes. La loi de 2014 entérine d’abord des dispositifs tels que la VAE, qui est conçue comme un outil de transition professionnelle pour la sécurisation des parcours, grâce à l’acquisition de nouvelles compétences inscrites dans un projet personnel d’employabilité. Mais elle va plus loin, en renforçant l’idée d’une validation des acquis englobant la VAE, la validation des acquis professionnels (VAP85) et la validation des études supérieures (VES) dans l’optique d’une reconnaissance du parcours expérientiel du sujet et de la construction d’un parcours de formation individualisé et personnalisé. Ces dispositifs – VAE, VAP85 et VES – se sont peu à peu imposés comme des outils majeurs et complémentaires, permettant que les différentes expériences professionnelles antérieures deviennent autant de compétences validées dans des parcours de formation.
Au-delà de la légitimation définitive de la VAE, le texte de 2014 marque aussi un changement, en instaurant de nouveaux dispositifs destinés à perdurer, tels que le compte personnel de formation (CPF) et le conseil en évolution professionnelle (CEP).
Remplaçant à compter du 1er janvier 2015 le DIF, dont les résultats étaient unanimement jugés peu satisfaisants25, le CPF est un compte qui suit chaque individu dès son entrée sur le marché du travail et jusqu’à sa retraite, à partir de 16 ans, voire 15 ans pour les apprentis, le CIF étant lui maintenu. Seul ce dernier continue d’ailleurs à porter l’accès aux formations longues, pour une minorité d’élus.
Le CPF est bien un droit personnel attaché à la personne, qui la suivra lors d’un changement de poste ou durant ses périodes de chômage, et donc un outil de sécurisation des parcours professionnels. Les formations éligibles au CPF doivent être obligatoirement qualifiantes ou permettre d’acquérir le socle de connaissances et de compétences, à savoir ce qu’il est indispensable de maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire. D’autres formations sont éligibles si elles figurent sur les inventaires élaborés par les comités paritaires interprofessionnels régionaux pour l’emploi et la formation professionnelle (Coparef). Ces nouvelles instances, issues elles aussi de la loi de mars 2014, sont constituées, selon le décret du 31 octobre de la même année, de 20 membres titulaires : 10 représentants des organisations syndicales de salariés et 10 représentants des organisations professionnelles d’employeurs. L’établissement des listes d’éligibilité est précisément l’une des principales missions des Coparef, à côté du déploiement des politiques paritaires définies par les accords nationaux interprofessionnels (ANI). L’éligibilité des formations pose un certain nombre de questions. Complexe et peu lisible, elle crée parfois, au moins à ce stade, une forte insécurité quant à l’ingénierie financière des projets professionnels des actifs.
Un élément central est que la gestion des comptes ne se fait plus par l’entreprise mais par la Caisse des dépôts et consignations. Cette dernière est chargée des droits liés au CPF, qu’elle rend accessibles à travers la plateforme moncompteformation.gouv.fr, dont la consultation se veut le plus accessible possible.
Le CPF est alimenté de 24 heures par année de travail à temps complet pendant cinq ans et ne peut pas excéder 150 heures de formation sur huit ans (contre les 120 du DIF). Pour les périodes de travail à temps partiel, l’alimentation du compte est proportionnelle au temps de travail effectué, sous réserve de dispositions plus favorables prévues par des accords d’entreprise, de groupe ou de branche. Contrairement au DIF, le salarié n’a pas besoin d’obtenir l’accord de son employeur pour une formation hors temps de travail. S’il s’agit d’une mobilisation pendant le temps de travail, le salarié doit obtenir l’accord de son employeur sur le contenu – si la formation n’appartient pas aux listes évoquées ci-dessus – et le calendrier. Si les demandeurs d’emploi n’acquièrent pas de nouvelles heures de formation, ils peuvent mobiliser leurs heures cumulées et même obtenir des compléments délivrés par Pôle Emploi ; les frais inhérents étant pris en charge par le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). L’ensemble des salariés peuvent eux aussi bénéficier d’abondements de la part de leur employeur, d’un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA), de leur région ou de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) pour les personnes en situation de handicap.
En complémentarité du CPF, un accompagnement a été mis en place : le CEP. Ce dispositif s’ajoute, complète et s’articule avec les entretiens professionnels obligatoires au sein des entreprises tous les deux ans, la loi de mars 2014 posant en effet ce principe d’un entretien biennal. 65% des salariés disent avoir bénéficié d’un entretien professionnel depuis mars 2014, mais seulement 36% des ouvriers qui en ont bénéficié en ont une perception positive26. Dispositif nouveau, le CEP offre la possibilité pour chaque actif de disposer d’une prestation de conseil, favorisant l’évolution réussie de son propre parcours. Toute personne, – salarié, apprenti, stagiaire ou bénévole d’une structure associative – peut bénéficier de cette prestation gratuite.
Le CEP suppose trois temps d’accompagnement, chaque salarié rentrant au niveau le plus opportun, en fonction de sa problématique individuelle :
- un accueil individualisé ;
- un conseil personnalisé ;
- un accompagnement à la mise en œuvre du projet professionnel.
Le CEP est une forme de rationalisation et de mutualisation de dispositifs existant antérieurement, par exemple au sein des dix-neuf Cités des métiers françaises. En positif, le CEP permet d’avoir un bon accompagnement en dehors de l’entreprise, notamment quand le salarié a une stratégie d’évolution professionnelle différente de celle de l’entreprise. En négatif, la capacité d’accompagnement des opérateurs et leurs compétences sur le sujet constituent autant de freins. Hormis l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), seuls les Fonds de gestion des congés individuels de formation (Fongecif) s’en saisissent, mais avec des capacités limitées puisque la mission n’est pas financée en tant que telle.
Le CEP répond donc à une attente et suscite d’autres attentes. Un think tank comme Terra Nova en arrive ainsi à recommander la mise en place d’un CEP obligatoire à certaines étapes de la vie professionnelle, tous les dix ans… avec un suivi plus étroit pour les populations précaires, afin de diminuer les dégâts provoqués par une rupture de contrat. Il aurait ainsi vocation à rythmer l’ensemble des parcours professionnels27. En cela, le CEP pourrait être un mouvement de balancier plus que salutaire notamment pour tous les plus fragiles sur le marché de l’emploi, qui ontété avant tout orientés par défaut au sein du système éducatif. Cela renvoie à l’empowerment des individus, à leur capacité à se saisir de leurs capabilities, à savoir la possibilité pour un individu de choisir la combinaison de fonctionnement qui lui est la plus adaptée, selon l’approche d’Amartya Sen28, dans le domaine de la formation tout au long de la vie.
Pour que cela prenne sens et fasse sens pour les acteurs au travail, il faudrait maintenant envisager une mutualisation des outils d’accompagnement des adultes (VAE, VAP85, VES, CEP, bilans professionnels, bilans de compétences) pour construire une véritable démarche intégrative indissociable du parcours de l’individu29. L’expérimentation «Prisme» (bilans modulaires) menée par le Fongecif Île-de-France en est une bonne illustration. Des personnes ayant bénéficié d’un niveau 1 de CEP se tournent directement vers un centre de bilan de compétences en vue de réaliser un ou plusieurs modules en fonction du projet personnel et professionnel visé. La démarche de certification par la voie de la VAE partielle couplée à un parcours de formation en est une autre illustration. L’idée globale est de réinvestir les acquis mobilisés et construits dans chacun des dispositifs au sein d’un continuum.
Depuis janvier 2015, date du lancement de la réforme, plus de 500.000 formations – réparties entre 300.000 demandeurs d’emplois et 200.000 salariés – ont été validées grâce au CPF, dont plus d’un tiers pour des personnes d’un niveau de qualification inférieur au bac, ce qui traduit l’une des grandes avancées de la loi. Le nombre de comptes ouverts sur le portail s’élève à presque 3,5 millions.
C’est un début encourageant, qui reste toutefois à concrétiser à grande échelle. Beaucoup de demandeurs d’emploi ouvrent des CPF ; en revanche, un fort pourcentage des heures utilisées l’ont été par des salariés. Les demandeurs d’emploi privilégient la certification CléA, à savoir un socle de connaissances et de compétences professionnelles mis en place par les partenaires sociaux et lancé au niveau national en janvier 2016. Les entreprises «s’emparent donc de plus en plus du CPF30». Pourtant, les salariés les mieux informés du CPF sont bien les cadres et les plus de 45 ans. Cela contredit le sens profond de la réforme engagée, car le CPF a au contraire comme cible principale les publics les plus fragiles dans l’emploi.
Pour obtenir la réussite quantitative et qualitative de la réforme, le CPF a fait l’objet d’élargissements progressifs et d’une intégration au sein du compte personnel d’activité (CPA), qui démarrera au 1er janvier 2017. La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours entraîne un certain nombre d’avancées, telles que la majoration pour les salariés non qualifiés n’ayant validé ni une qualification dite de niveau V (la moins élevée), ni un certificat de qualification professionnelle (CQP). Ils disposeront désormais de 48 heures au lieu des 24 heures dans un cadre de 400 au lieu de 150.
De nouvelles catégories sont progressivement mieux prises en considération : les créateurs ou repreneurs d’entreprises, les travailleurs isolés … avant que demain ce soit le cas des fonctionnaires et, en 2018, des indépendants. Il reste toutefois encore à avancer pour décloisonner les statuts. Un salarié changeant de statut, travaillant d’abord comme salarié du privé puis comme entrepreneur ou contractuel de la fonction publique, n’a par exemple aucune possibilité de faire jouer son CPF. De même, suivant son statut (salarié ou demandeur d’emploi), il ne peut pas poursuivre un projet professionnel comparable car il n’a pas accès au même financement… sans parler de la problématique de la branche professionnelle d’origine qui a également de nombreux impacts. L’ajustement du champ d’application de la loi de mars 2014 est donc à la fois un processus d’application opérationnel de la loi et le portage du projet politique de meilleure prise en compte de tous ceux qui représentent des outsiders dans le champ de la formation professionnelle.
De son côté, le CEP, qui obtient un fort taux de satisfaction, semble principalement pousser à un projet de réorientation ou de reconversion et, à un degré moindre, à une progression de carrière,voire à la validation d’un projet déjà élaboré31. 40% des personnes interrogées prévoient de s’engager dans une formation ou une VAE à l’issue d’un CEP.
La qualité comme le défi des années à venir
Voir Marie-Josèphe Carrieu-Costa (dir.), « Former pour l’inconnu », numéro thématique, Réalités industrielles, mai 2016.
Dans un centre de recherche pionnier comme l’Institut Weizmann, en Israël, les scientifiques fréquentent successivement différents laboratoires pour porter des approches pluridisciplinaires.
Comme nous venons de le voir, différents textes sont déjà venus ou vont venir compléter la loi de mars 2014, à l’image du volet formation de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dont l’objectif est de mieux tenir compte de l’accès à la formation des salariés les moins qualifiés ou des jeunes, à qui est accordée une garantie nouvelle. 2017 est l’année du quinzième anniversaire de la VAE, qui devient un outil de plus en plus qualitatif à travers la sécurisation des parcours. L’acquisition de nouvelles compétences est en ce sens articulée autour d’un accompagnement socioprofessionnel.
Au-delà d’une meilleure prise en compte de tous les publics les plus éloignés de la formation, la nécessaire montée en compétences renvoie à une préoccupation de plus en plus partagée de veiller à la qualité des formations. Il s’agit de privilégierles formations certifiantes ou diplômantes par rapport aux formations courtes ou qualifiantes. C’est particulièrement vrai pour les questions liées au numérique, car les formations 100% à distance sont possibles réglementairement parlant. Un décret du 20 août 2014 est ainsi relatif aux formations ouvertes et à distance, pour lesquelles sont exigés des justificatifs de réalisation des travaux demandés, dans le cadre d’évaluations spécifiques, notamment par ceux qui dispensent les formations. La formation ouverte et/ou à distance (FOAD) est en outre désormais inscrite dans le Code du travail.
Le décret du 30 juin 2015 entend de son côté homogénéiser les principaux critères de qualité d’une action de formation. Son entrée en vigueur a été fixée au 1er janvier 2017, les vingt et un indicateurs devant être renseignés sur la future base de données Data Dock, qui a vocation à référencer les prestataires. Le décret de juin 2015 définit six critères de qualité cumulatifs :
- l’identification des objectifs de la formation et de son adaptation efficiente au public concerné ;
- l’adaptation des dispositifs d’accueil, de suivi pédagogique et d’évaluation ;
- l’adéquation des moyens pédagogiques à l’offre proposée ;
- la qualification et la formation continue des personnes chargées de la formation ;
- l’information du public susceptible d’être destinataire ;
- la prise en compte des appréciations des stagiaires pour le bon déroulement des formations en train d’être dispensées ou à déployer.
Une étape significative vers plus de qualité a été franchie quand le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle (Cnefop) a publié en juin 2016 une première version de la liste de dix certifications et labels dont les exigences sont conformes aux critères réglementaires de qualité des actions de formation : dix dossiers ont été reconnus sur vingt-sept dossiers déposés. Ce processus est la convergence de toute une réflexion en cours sur la qualité, qui part du constat d’une grande diversité des démarches existantes : diversités des référentiels, des porteurs, du périmètre de certification… En fait, trois grandes typologies de certification sont identifiables :
- des certifications normatives, spécifiques ou non à la formation, obéissant à des normes françaises ou internationales ;
- des certifications et qualifications spécifiques à la formation professionnelle ;
- des certifications ou labels spécifiques à un domaine ou à une En ce sens, le processus qualité permet d’envisager l’ensemble de la chaîne de formation : de l’adaptation des enseignements à un public cible à l’expertise déployée en ingénierie de formation. Une question apparaît majeure : est-ce que la formation envisagée est adaptée à tous les publics ? Les moyens pédagogiques sont de nature technique mais aussi humaine, car ils renvoient aux compétences des formateurs… qui ne doivent toutefois pas être les seuls évalués, alors qu’ils portent aussi le projet de leur propre organisme. En définitive et pour la première fois, une équation majeure est traitée : celle de l’adéquation du processus d’évaluation aux objectifs de formation. Cela suppose que soient envisagés trois stades complémentaires : l’information du public sur l’input et l’output, les appréciations des apprenants sur les enseignements reçus et la rigueur du processus de délivrance des certifications. Une formation professionnelle réussie est donc le fruit d’une chaîne de responsabilités, dont l’efficience peut être mesurée à travers différents indicateurs à même d’évaluer la qualité du diagnostic des besoins, des commandes, des méthodes pédagogiques… La qualité suppose une logique de co construction avec tous les acteurs concernés, les membres du triangle évoqué ci-dessus – stagiaire, entreprise, organisme de formation –, auxquels s’ajoutent les prescripteurs et autres financeurs complémentaires éventuels.
La co-construction suppose de réussir la convergence entre des objectifs en apparence contradictoires. La préoccupation croissante d’autoformation, de formation à la carte, doit cohabiter avec un souci d’initiative massive de l’État, qui a lancé récemment un plan destiné à 500.000 personnes à former, pour au contraire rendre global l’effort de formation. Il s’agit bien de réussir l’articulation entre l’individuel et le collectif. Les contraintes de temps à disposition pour les actifs, notamment au sein des TPE, et donc de mobilisation de masse salariale pour les entreprises concernées peuvent aussi apparaître orthogonales, avec la nécessité d’asseoir les formations souhaitables sur des bases solides, impliquant un investissement humain parfois lourd.
Les gains en termes de qualité se heurtent aussi à la grande fragmentation du monde des opérateurs de formation professionnelle. La Nouvelle-Aquitaine compte ainsi pas moins de 6.400 organismes de formation et, pour les plus petits d’entre eux, le renforcement de la qualité est source de difficultés. Au niveau national, moins de 13% des organismes réalisent 95% du chiffre d’affaires global de formation professionnelle. Cette balkanisation est un frein, d’autant plus que pèse la tendance à l’inertie. Une enquête de Centre Inffo de 2015 montre que 64% des entreprises gardent le même prestataire d’une année sur l’autre.
Mais, plus en profondeur, la qualité renvoie également au contenu même des formations et à leur capacité intrinsèque à maîtriser le non-maîtrisable, à former pour l’inconnu32. La formation professionnelle optimale sera celle qui proposera des contenus pour le présent, à savoir la réalité d’un métier en un temps t, et des bases pour le futur, c’est-à-dire des contenus de nature prospective, dont le benchmark international montre qu’ils seront très interdisciplinaires33, mêlant humanités et sciences exactes, ouverts sur le monde et largement formatés par les apports récents des sciences cognitives, sans oublier la nécessité d’une approche très citoyenne déterminée par la science dite participative. Beaucoup de l’innovation à transmettre naît par exemple aujourd’hui dans des lieux insolites et originaux, des fab labs ou des game labs, où la créativité artistique percole avec la préoccupation industrielle. La qualité est donc un chantier ouvert. Il faudra mieux définir les faisabilités des formations et, surtout, garantir le niveau de performance atteint en le rapportant aux prérequis incontournables. Il faut aussi aller vers des formes d’analyse comparée des formations professionnelles les plus efficientes, du type du classement dit de Shanghai. De beaux chantiers donc, difficiles certes, mais incontournables vu les défis à relever.
En définitive, la formation renvoie de plus en plus à une forme de solidarité, destinée à compenser de nombreuses formes d’inégalités face à l’emploi à travers une meilleure adéquation de l’offre de formation à la demande de compétences. Les dispositifs de digitalisation représentent souvent des moyens d’aller vers une société plus inclusive. Ouvrir des formations accessibles par des réseaux performants, avec la possibilité d’un maillage inventif de points de regroupements pour du présentiel adapté, constitue par exemple une, voire la réponse aux fractures géographiques dont souffrent des populations isolées. Un nouveau droit opposable, celui de pouvoir bénéficier de la formation professionnelle idoine et donc efficace – sur le modèle du droit à l’orientation pour tous né de la loi de novembre 2009 sur l’orientation et la formation tout au long de la vie – représente en ce sens l’un des nouveaux enjeux sociétaux à venir pour faire que formation cesse de rimer avec privilèges des insiders de tout poil, ce qui devient de moins en moins acceptable.
LISTE DES ABRÉVIATIONS ET ACRONYMES
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