Paiements, monnaie et finance à l'ère numérique (1)
État des lieux et perspectives à court-moyen termeUne situation en évolution rapide mais qui reste insatisfaisante
Des paiements qui restent lents au regard de ce que permet la numérisation
L’état de la confiance dans le système bancaire et financier
Des initiatives de marché diverses mais pas toujours convaincantes, à partir d’un substrat technologique commun
Un substrat technologique commun10
Bitcoin et altcoins de première génération : le mythe de monnaies privées décentralisées
Les stablecoins : le meilleur des mondes ?16
Les initial coin offerings (ICO) : la fièvre de 2016-2018
La finance décentralisée (DeFi), ensemble de services financiers autour des cryptoactifs
Les NFT : Eldorado ou nouvelle fièvre spéculative ?
Des réponses du secteur public complémentaires mais aussi parfois concurrentes des initiatives privées
Des éléments de sécurisation de l’environnement juridique facilitant la création et le développement d’infrastructures privées de type centralisé
Des alternatives publiques à la production privée : les monnaies numériques de banque centrale (MNBC)
Glossaire
Résumé
La société se numérise et ce mouvement s’accompagne, de la part du public, d’une attente de simplicité, d’accessibilité et de rapidité dans la fourniture de services. Toutefois, les possibilités offertes par la numérisation ne semblent pas à ce jour pleinement exploitées par les acteurs traditionnels, que ce soit en matière de paiements en temps réel, de paiements internationaux ou de bancarisation dans les économies émergentes ou en développement. Avec les Fintech, les Big Tech et, plus récemment, les cryptoactifs (parfois également dénommés « cryptomonnaies »), ce sont d’ailleurs des produits et des acteurs nouveaux, ou dont ce n’était pas la spécialité, qui sont venus bousculer des intermédiaires financiers souvent installés dans des situations d’oligopole. Même si ces initiatives ne doivent pas forcément emporter une adhésion sans réserve, leur dernière vague comporte une caractéristique commune : il s’agit de l’utilisation d’un substrat technologique fourni par la blockchain et de la création et circulation d’actifs sous forme de jetons ou « tokens » (en fait, des lignes de code), aspects sur lesquels se concentre la présente note.
Les autorités publiques mettent progressivement en place un cadre réglementaire pour faciliter le développement de ces nouveaux acteurs et produits, en sécurisant leur environnement juridique tout en préservant la sécurité publique, les droits du consommateur et de l’investisseur, la stabilité financière ainsi que l’égalité de concurrence. D’autres initiatives publiques, comme l’émission éventuelle de monnaies numériques de banques centrales (MNBC) sont ambiguës car elles pourraient donner lieu à une substitution du secteur public à une offre de nos jours très largement privée, notamment dans le domaine monétaire, avec aussi de potentiels effets déstabilisateurs.
Christian Pfister,
Sciences Po et université Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Paiements, monnaie et finance à l'ère numérique (2)
Qui paie ses dettes s'enrichit
La concurrence au défi du numérique
Les géants du numérique (1) : magnats de la finance
Les géants du numérique (2) : un frein à l'innovation ?
La blockchain, ou la confiance distribuée
Que peut-on demander à la politique monétaire ?
Libérer le financement de l’économie
La transformation numérique au service de la croissance
L’auteur s’exprime ici en son nom personnel. Ses propos n’engagent pas Sciences Po ou l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Il remercie Thomas Argente, Françoise Drumetz, Jean-Michel Godeffroy, Andrès Lopez-Vernaza, Pierre-Dominique Renard et Nicolas de Sèze pour l’aide qu’ils lui ont apportée, mais qui ne sont en rien responsables des erreurs qui pourraient se trouver dans cette note. |
Grâce à Internet, la numérisation prend une place croissante dans nos vies, au point qu’avec les projets de métavers où s’investissent de nos jours des sommes considérables, il nous est proposé de vivre dans un monde de « réalité augmentée ». Les paiements, la monnaie et la finance ne peuvent échapper à ce mouvement, comme l’ont bien compris les promoteurs des cryptoactifs. À partir d’un état des lieux des secteurs concernés et d’une analyse des perspectives à court-moyen terme, cette note passe en revue les questions à plus long terme soulevées par les évolutions en cours et celles prévisibles. Sur cette base, des recommandations sont formulées.
Le secteur des paiements a connu une évolution rapide au cours des vingt-cinq dernières années, sans que cela conduise pourtant à surmonter certaines insuffisances ou à opérer des modifications de fond dans le domaine monétaire et financier. Des initiatives privées, utilisant un substrat technologique commun, sont venues le signaler, sans toutefois emporter l’adhésion dans la mesure où elles n’étaient pas capables de répondre par elles-mêmes à toutes les attentes qu’elles suscitaient et pouvaient même entraîner d’autres difficultés. Une réponse des autorités publiques s’est ainsi imposée, qui pourrait cependant à certains égards se révéler ambiguë.
Une situation en évolution rapide mais qui reste insatisfaisante
Les évolutions rapides survenues dans les années récentes en matière de paiements, essentiellement en raison des changements de comportement des consommateurs et d’innovations du secteur public, n’empêchent pas que la situation dans ce secteur reste insatisfaisante, avec des paiements qui restent lents au regard de ce que permet la numérisation. Par ailleurs, l’accès au système bancaire et financier est perfectible et son fonctionnement a souvent été mis en question à la suite de la crise financière, bien que le public, semble-t-il, lui fasse plus confiance qu’à d’autres secteurs pour protéger la confidentialité des données personnelles.
Des paiements qui restent lents au regard de ce que permet la numérisation
Voir Morten Bech et Jerry Hancock, « Innovations in payments », BIS Quarterly Review, mars 2020, p. 21-36.
Pour plus de précisions, voir Christian Pfister, « Le temps (réel), c’est de l’argent », Revue française d’économie, vol. XXXII, n° 4, avril 2017, p. 195-212.
Voir European Central Bank, Study on the payment attitudes of consumers in the euro area (SPACE),
décembre 2020.
Dans une économie, les paiements (paiements internes, par opposition aux paiements transfrontières) sont organisés en systèmes, en un ensemble d’instruments, de procédures et de règles permettant la circulation de fonds entre les participants au système. On distingue les systèmes de paiements selon que les paiements à traiter sont de gros ou de détail1. Les paiements de gros s’effectuent entre institutions financières, principalement les banques, et sont peu nombreux et de gros montant, bien qu’il ne soit en général pas fixé de montant minimum. Ainsi, dans la zone euro, en 2020, le système Target a traité quotidiennement 345 000 paiements, d’une valeur individuelle moyenne de 5,3 millions d’euros. À l’opposé, les paiements de détail, qui mettent en jeu des transactions entre particuliers et commerçants ou entre particuliers, sont très nombreux (on parle aussi de paiements de masse) et de faible montant unitaire, mais d’un montant total sur une période donnée très inférieur à celui des paiements de gros.
À l’intérieur de ces deux catégories de systèmes, une autre distinction importante doit être faite entre « extrémité frontale » et « extrémité d’arrière-plan » au sein d’une infrastructure de paiement. L’extrémité frontale (front-end) implique le payeur, qui prend l’initiative du paiement – source des fonds (par exemple un compte bancaire), un canal de transmission de l’ordre de paiement (par exemple, une application mobile) ou un instrument de paiement (par exemple un virement) – et que voit donc l’utilisateur du service de paiement. L’extrémité d’arrière-plan (back-end) est celle que l’utilisateur ne voit pas et qui recouvre deux types d’opérations : le clearing et le règlement. Le clearing inclut la transmission, le rapprochement (entre les informations reçues par les teneurs de comptes du payeur et du bénéficiaire du paiement) et, parfois aussi, la confirmation des transactions, et s’effectue le plus souvent de manière multilatérale par l’intermédiaire de chambres de compensation. Le règlement correspond au transfert de fonds permettant aux débiteurs (l’initiateur du paiement et les intermédiaires auxquels il a recours) de se décharger de leurs obligations monétaires. Les paiements peuvent être réglés en brut sur une base individuelle, au sein de systèmes de règlement brut en temps réel (Real Time Gross Settlement System-RTGS), gérés par les banques centrales, le secteur privé ou en net par lots (batch) dans des systèmes de règlement net différé (Differed Net Settlement-DNS). Les deux organisations se trouvent aux États-Unis et dans la zone euro.
Au cours des quelque vingt-cinq dernières années, la principale innovation dans les paiements internes de gros a consisté en l’adoption de RTGS, dont sont dotées de nos jours la plupart des économies. L’avantage de ces systèmes est double : d’une part, ils sont plus rapides, puisque chaque instruction de paiement est réglée dès qu’elle est entrée dans le système ; d’autre part, ils sont plus sûrs, puisque la durée de l’exposition au risque de contrepartie est réduite et que, en cas de défaut de l’un des participants, il n’y a pas à défaire l’écheveau des transactions par lots, comme dans le cas d’un DNS, ce qui évite le risque d’un effet domino où le défaut d’un participant est susceptible d’entraîner une cascade de défauts parmi les autres participants. Toutefois, en l’absence de compensation préalable à l’entrée des ordres de paiement dans les RTGS, ces systèmes sont également beaucoup plus consommateurs de liquidité. Cela a conduit à une double évolution, déplaçant à l’extérieur des systèmes une partie des risques qu’ils avaient vocation à éliminer. Tout d’abord, des participants s’efforcent de repousser dans la journée l’entrée des ordres de paiement dans les RTGS, de façon à éviter d’avoir à déposer des sûretés pour garantir des découverts intrajournaliers ; ensuite, les RTGS ont évolué vers des systèmes permettant de mettre des paiements « en file » dans l’attente que les comptes à débiter soient suffisamment provisionnés.
Un remède à cette situation pourrait être l’adoption de politiques monétaires en temps réel qui, en reconnaissant une valeur à des durées de temps inférieures à la journée, fourniraient une incitation à des paiements plus rapides2 . Par ailleurs, il n’y a pas eu d’évolutions notables dans le clearing et le front-end au cours de cette période. Ainsi, par exemple, les opérations de post-marché continuent de se régler communément à J + 2 (il est certes possible d’effectuer des opérations valeur-jour mais elles restent rares, en raison notamment de la multiplicité d’acteurs impliqués dans la chaîne de traitement).
Les évolutions les plus visibles par le public ont bien sûr concerné les paiements internes de détail, avec notamment la généralisation du paiement à distance, sans contact et par smartphone, ainsi que le lancement d’applications (ApplePay, GooglePay, PayPal, SamsungPay…) s’appuyant pour le règlement sur les systèmes existants. Une enquête de la Banque centrale européenne (BCE) permet de faire le point des évolutions récentes des paiements des consommateurs tout en fournissant un éclairage européen3. Les principaux résultats de cette enquête, complétés pour la France par la publication annuelle de la Banque de France sur les seuls paiements scripturaux, donc ne couvrant pas les paiements en monnaie fiduciaire, à l’inverse de l’enquête de la BCE, sont résumés dans l’encadré ci-dessous.
Les paiements de détail en France et dans la zone euro
À la différence de ce que l’on peut constater dans certains pays comme la Suède ou la Chine, les paiements des consommateurs dans la zone euro continuent à s’effectuer pour la plus grande part en monnaie fiduciaire (« en liquide »). En 2019, celle-ci servait à effectuer 73% des paiements en point de vente ou entre particuliers dans la zone euro, mais seulement 59% en France. Notre pays est, avec les Pays-Bas, le moins utilisateur de monnaie fiduciaire de la zone euro, en raison notamment de l’inflation qui a longtemps affecté notre économie*. La part des paiements en monnaie fiduciaire baisse rapidement (elle était encore de 79% dans la zone euro en 2016) et, selon certaines enquêtes, cette chute s’accélère encore depuis la crise sanitaire. Par ailleurs, la monnaie fiduciaire est utilisée surtout dans les paiements de faible montant, qui représentent 48% du total des transactions des consommateurs de la zone euro et seulement 27% en France. Ce moindre usage de la monnaie fiduciaire, moyen de paiement d’utilisation coûteuse pour l’économie, en particulier pour les commerçants, et qui expose à des risques de perte ou de vol, n’est pas surprenant. Toutefois, confronté à un encours croissant tel que retracé dans le bilan des banques centrales de l’Eurosystème, il a pu faire parler de « paradoxe du cash**». Ce paradoxe tient en partie à ce qu’une grande partie de l’émission de billets, en particulier celle des plus grosses coupures, circule à l’étranger ; on estime que ce serait le cas de plus de la moitié des coupures de 100 euros et plus, soit au moins la moitié de l’émission fiduciaire. En outre, depuis 2008, le contexte économique a soutenu la demande de monnaie fiduciaire en raison du très bas niveau des taux d’intérêt (les intermédiaires financiers ont notamment stocké des billets pour éviter de payer des intérêts sur leurs dépôts à la BCE ou sur leurs prêts sur le marché monétaire où les taux étaient dans S’agissant des paiements dématérialisés, en 2019 ils s’effectuaient essentiellement par cartes de débit ou de crédit, représentant 24% du volume des paiements des consommateurs en point de vente ou entre particuliers (35% en France) et 41% de leur valeur (57% en France). Parmi les paiements par carte, 38% en volume avaient lieu sans contact, dans la zone euro comme en France. Les paiements dématérialisés effectués autrement que par cartes s’effectuaient par virements, avis de prélèvement et chèques pour 3% du volume des paiements en point de vente ou entre particuliers en zone euro mais pour 11% de la valeur, les paiements les plus élevés utilisant le plus souvent ces instruments. Avec un pourcentage dans le total des chèques émis dans l’Union européenne de 85% en 2020, la France détenait le triste privilège de rester quasiment le seul utilisateur de ce moyen de paiement coûteux. Cette situation est le fruit d’une réglementation qui a imposé la « gratuité » des chèques aux établissements bancaires près d’un demi-siècle plus tôt, en contrepartie du paiement obligatoire des salaires par compte bancaire et de la non-rémunération des dépôts. Enfin, de manière générale, les consommateurs interrogés dans l’enquête de la BCE se déclaraient satisfaits de leur accès aux différents moyens de paiements, en particulier la monnaie fiduciaire et les cartes, et souhaitaient avoir la possibilité de payer en liquide tout en déclarant trouver les paiements dématérialisés plus commodes. Quelque 34% d’entre eux indiquaient aussi épargner en liquide (25% en France), principalement en grosses coupures. *Voir Sanvi Avouyi-Dovi, Christian Pfister et Franck Sédillot, « French Households’ Portfolio: The Financial Almost Ideal Demand System Appraisal », Working Paper n° 728, Banque de France, septembre 2019. ** Voir notamment Marc Schwartz et Yannick Messaoui, Le Grand Paradoxe – ou pourquoi le règne du cash est loin de s’achever, Terra Nova, 8 janvier 2021, ainsi que Alejandro Zamora-Pérez, « The paradox of banknotes: understanding the demand for cash beyond transactional use », ECB Economic Bulletin, vol. 2, 2021, p. 121-137. |
Un paiement peut être transfrontière sans être multidevise. C’est le cas dans le projet Single Euro
Payments Area (Sepa) qui a permis de rendre les transferts d’euros entre banques européennes aussi bon marché et rapides que les transferts internes à chacun des pays.
Voir Committee on Payments and Market Infrastructures (CPMI), « SWIFT gpi data indicate drivers of fast cross-border payments », Bank for International Settlements (BIS), 8 février 2022.
Dans l’ensemble, au-delà de certains anachronismes tel l’usage persistant du chèque en France, les paiements de détail internes ne font pas apparaître d’anomalies flagrantes ou d’attentes manifestement déçues de la part des consommateurs. Si toutefois on élargit la perspective à l’échelle internationale, il est manifeste que la France et la zone euro sont en retard dans l’adoption des paiements instantanés, permettant en quelques secondes, 24 heures sur 24 et 365 jours par an, le débit du compte du payeur et le crédit sur celui du bénéficiaire. Ces paiements y sont quasi inexistants en front-end, en raison notamment d’une facturation élevée, souvent proche de 1 euro par transaction en France. Cette situation est d’autant plus surprenante que l’infrastructure de back-end a été mise en place il y a plusieurs années – novembre 2018 pour Target Instant Payment Settlement (TIPS), créé par l’Eurosystème et qui facture 0,2 centime d’euro par transaction. Par comparaison, au Brésil, la banque centrale a lancé en novembre 2020 le système Pïx de paiement en temps réel, et quinze mois plus tard, les deux tiers de la population avaient effectué ou reçu une transaction via ce système. En fait, les systèmes de paiement instantanés, apparus dès le début des années 2000, ont d’abord été principalement adoptés dans les pays émergents, en particulier ceux d’Asie : Corée du Sud en 2001, Taïwan et Islande en 2003, Malaisie et Afrique du Sud en 2006, Chili et Royaume-Uni en 2008, Chine et Inde en 2010. En Chine et aussi dans les pays scandinaves qui les ont adoptés plus tardivement (Danemark et Suède), la diffusion de ce mode de paiement a été particulièrement rapide, au point que le paiement instantané par Alipay et WeChat Pay en Chine, ou par Swish en Suède, est devenu dans ces pays le mode de paiement le plus répandu auprès des commerçants. Ces derniers y refusent même de plus en plus le paiement en monnaie fiduciaire, le paiement instantané leur offrant le même avantage de règlement immédiat, avec un moindre risque de perte ou de vol et un moindre temps à consacrer à la gestion de leur trésorerie.
S’agissant des paiements transfrontières, ceux initiés en France en 2020 ne représentaient que 7% des paiements scripturaux en volume (11% en valeur) et s’effectuaient très généralement par virement. Établir des liens entre des systèmes internes est une entreprise longue, complexe et coûteuse, donc potentiellement rentable seulement pour un nombre limité de « corridors » liant deux devises entre elles. Alternatives potentielles à l’établissement de tels liens, moins d’une dizaine de systèmes de paiement dans le monde sont à la fois transfrontières et multidevises4 . En outre, ces systèmes ne traitent pas des volumes importants, à l’exception notable du système Continuous Linked Settlement (CLS), utilisé par les plus grands établissements financiers du monde (les 72 participants directs, membres et actionnaires du groupe). Toutefois, CLS compte seulement 18 devises éligibles car, pour être efficace, sûr et rapide, son fonctionnement doit reposer sur des marchés monétaires et de change profonds et liquides. Comme cela se faisait dès l’époque médiévale, la grande majorité des paiements transfrontières en volume, qu’il s’agisse de paiements de gros ou de détail, continuent donc à s’effectuer selon le modèle des « banques correspondantes » (correspondent banking). Dans ce modèle, une banque dite « correspondante » gère des comptes ouverts par d’autres banques dites « répondantes » et leur fournit des services de back-end et de change, leur évitant d’être représentées dans le pays de la monnaie du bénéficiaire. Cependant, pour des raisons qui tiennent essentiellement au respect de procédures de connaissance du client et d’application des réglementations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB/FT), ce modèle est en fort recul sur la période récente. Ainsi, le nombre de banques correspondantes a diminué de 20% entre 2011 et 2018, alors même que la valeur des paiements a augmenté au cours de cette période. Cette évolution est inquiétante car elle pourrait inciter les utilisateurs à se détourner vers des systèmes parallèles, moins sécurisés, et renforcer les insuffisances bien connues du correspondent banking. Ces insuffisances, particulièrement manifestes dans l’acheminement de paiements de faible montant tels que les envois de fonds des travailleurs immigrés dans leur pays d’origine, sont pour l’essentiel les suivantes :
– lenteur : les paiements transfrontières sont sensiblement plus longs que les paiements internes ;
– opacité : il est difficile au payeur de suivre étape par étape l’avancée de son ordre de paiement et la rémunération de chaque intermédiaire ;
– coût élevé : en juin 2021, selon la mesure effectuée par la Banque mondiale sur la base des informations recueillies auprès de 48 pays émetteurs d’envois de fonds auprès de 105 pays destinataires et pour quatre catégories de prestataires de services (banques, opérateurs de virements monétaires tels que Western Union ou Wise, opérateurs mobiles et services postaux), le coût moyen d’un envoi de fonds s’établissait à 6,30%. Ce coût était encore supérieur de 1,3 point à celui fixé comme objectif par le G20 en 2014, mais en baisse régulière depuis 2013 où il s’établissait aux alentours de 8%. Les envois de fonds les plus coûteux s’effectuaient via les banques, depuis l’Afrique du Sud et vers l’Afrique subsaharienne, les moins coûteux via les opérateurs entièrement numériques (3,41%) et entre pays du G8, à l’exception du Japon comme pays émetteur ;
– accessibilité limitée : notamment dans les pays de destination, pour des raisons liées à la fois à une culture numérique moins répandue et à une moindre inclusion financière (voir infra).
Afin de prendre en compte les demandes de la communauté internationale, notamment du G20, pour remédier en partie à ces handicaps, le service de messagerie internationale Swift a lancé Global Payment Innovation (gpi), recueillant au début de 2022 l’adhésion de plus de 4.200 banques de 141 pays. Cette initiative, qui visait au départ avant tout les paiements d’entreprises, a pour objectifs de régler un paiement à l’intérieur de la journée, de permettre de superviser le statut du paiement en temps réel et de facturer chaque maillon de la chaîne de paiement de manière transparente, en fournissant toute information nécessaire pour mettre en œuvre les réglementations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB/FT). Il apparaît que les paiements utilisant gpi sont généralement rapides, avec une durée médiane de traitement de moins de deux heures. Néanmoins, il existe une forte hétérogénéité, certains routages, notamment vers l’Afrique, pouvant prendre jusqu’à deux jours, en raison notamment de lourds contrôles de capitaux et du temps mis par l’établissement destinataire pour mettre les fonds à la disposition du bénéficiaire5.
Dans l’ensemble, le tableau qui se dégage dans le domaine des paiements est celui d’une exploitation insuffisante des possibilités offertes par la numérisation, notamment en matière d’instantanéité :
– malgré la généralisation des RTGS, les paiements de gros continuent de s’effectuer lentement ;
– s’agissant des paiements de détail, à quelques exceptions près comme les pays nordiques, les paiements instantanés restent d’une utilisation marginale dans les économies développées (le constat effectué pour la zone euro est également valable pour le continent nord-américain).
Ce constat met en relief un double contraste entre, d’une part, paiement et reste de la société, et, d’autre part, entre économies développées et émergentes. En effet, comme indiqué en introduction, la numérisation gagne une part croissante dans la société, tandis qu’elle marque le pas dans les paiements où les possibilités qu’elle offre ne sont pas pleinement exploitées. Cette situation peut d’autant plus surprendre que, dans le secteur des paiements, les économies développées ont pendant longtemps été leaders de la numérisation, comme on pouvait s’y attendre, que ce soit avec l’adoption de RTGS ou, dans les paiements de détail, avec l’informatisation des traitements de masse pour les chèques, les virements et avis de prélèvement, et la généralisation des cartes.
L’état de la confiance dans le système bancaire et financier
Voir Olivier Armantier, Sebastian Doerr, Jon Frost, Andreas Fuster et Kelly Shue, « Whom do consumers trust with their data? US survey evidence », BIS Bulletin, n° 42, 27 mai 2021.
Voir Kantar Public, Study on New Digital Payment Methods, mars 2022.
Voir « Inclusion financière », lafinancepourtous.com, 14 décembre 2021.
Le système bancaire bénéficie d’un degré de confiance qui n’est pas toujours et partout élevé, mais il est jugé généralement mieux capable que d’autres secteurs de protéger la vie privée. En revanche, y accéder reste difficile dans de nombreux pays.
Grâce aux sondages effectués par Gallup depuis 1973, les États-Unis sont un des rares pays pour lesquels on dispose, sur une assez longue période, de données sur la confiance du public envers les institutions du pays, notamment envers le système bancaire. Ces sondages montrent une confiance qui fluctue largement au gré des crises financières, avec des minima atteints à la suite de la crise des caisses d’épargne (savings and loan banks) de la fin des années 1980 et de la crise financière mondiale (global financial crisis, GFC) de 2008-2009. Toutefois, cette confiance ne s’est pas rétablie depuis et le pourcentage d’Américains déclarant avoir « tout à fait » (quite a lot) confiance dans les banques a oscillé entre 32 et 36% de 2007 à 2021, dans un contexte, il est vrai, où la confiance dans les institutions du pays a très généralement eu tendance à s’éroder. De manière plus étroitement liée à la numérisation, et dans un domaine auquel il déclare être très sensible, le public semble toutefois accorder sa confiance aux banques pour la protection de la vie privée. Selon une enquête menée en septembre 2020 par la Banque de réserve fédérale de New York, les ménages américains déclaraient avoir plus confiance dans les institutions financières traditionnelles que dans les pouvoirs publics ou les Fintech, celles-ci placées en dernier, pour préserver la confidentialité de leurs données personnelles, notamment au regard du risque de vol d’identité6.
Plus généralement, dans le monde, la disposition à partager ses données apparaît plus forte vis-à-vis des entreprises du secteur financier que des Fintech ou du secteur non financier, ce dernier incluant les Big Tech. Cette disposition se retrouve en zone euro où, d’après une étude récente, presque tous les participants interrogés pour connaître leur choix quant à l’adoption d’un nouveau moyen de paiement numérique préféreraient que celui-ci soit émis par une banque, une banque centrale ou une institution européenne, plutôt que par une Big Tech7. La défiance vis-à-vis des Big Tech ainsi mise en évidence est d’ailleurs un des facteurs qui incitent à douter fortement de la capacité de stablecoins mondiaux ou d’une autre unité émise par une Big Tech ou avec son appui à se substituer à une monnaie légale et ainsi à mettre en cause la souveraineté monétaire, particulièrement dans les économies développées (voir volume 2). Par ailleurs, dans le cas de la France, le manque de confiance dans le système bancaire ne joue pas un rôle significatif dans la décision des particuliers de détenir des cryptoactifs (voir « La détention de cryptoactifs en France et dans le monde »).
Selon la définition qu’en donne la Banque mondiale, l’inclusion financière signifie que les personnes physiques et les entreprises ont accès à des produits et services utiles, et à leur portée qui répondent à leurs besoins en matière de transactions, d’épargne, de crédit et d’assurance. L’accès à ces produits et services est important car il facilite la vie quotidienne et permet aux familles et aux entreprises aussi bien de planifier leurs projets à long terme que de faire face à des urgences imprévues. Le premier pas vers l’inclusion financière est généralement la détention d’un compte de transaction, qui peut être ouvert auprès d’une banque ou d’autres intermédiaires comme les opérateurs postaux, les opérateurs mobiles – ces derniers très présents en Afrique – ou des institutions de microfinance. D’après les données publiées par la Banque mondiale en 2018, 69% des adultes dans le monde avaient un compte mais près d’un tiers des adultes – soit 1,7 milliard de personnes – n’étaient pas « bancarisés », certains disposant donc d’un compte de transaction mais pas auprès d’une banque, et n’utilisant ainsi pas leur compte pour épargner ou accéder à une gamme plus large de produits et de services financiers.
C’est bien entendu dans les économies en développement que la situation est la plus difficile. Des progrès sensibles ont certes été effectués dans les pays qui ont activement poursuivi des politiques relevant de la numérisation, comme celles visant à l’identité digitale universelle (le programme Aadhaar en Inde en est un exemple), ou qui ont facilité l’implantation de services financiers mobiles, comme le Kenya avec M-Pesa. Toutefois, il semble qu’un peu moins de la moitié de la population vivant dans les pays en développement n’a pas de compte en banque8. En revanche, l’inclusion bancaire n’est pas un problème dans la plupart des pays riches : en France, le taux de bancarisation de la population adulte est de 99%, et l’on peut donc considérer que tous les Français adultes qui le souhaitent disposent d’un compte en banque. Ceci résulte notamment d’une réglementation qui a assuré un service bancaire de base et un droit d’accès au compte.
Compte tenu des difficultés signalées plus haut en matière de paiements, les économies en développement paraissent ainsi doublement pénalisées puisque l’inclusion financière reste insuffisamment développée dans des économies fortement dépendantes des envois de fonds. Dans ce cas encore, les avantages de la numérisation ne semblent pas pleinement exploités.
Des initiatives de marché diverses mais pas toujours convaincantes, à partir d’un substrat technologique commun
En privilégiant l’utilisation de la blockchain, je laisse de côté une autre évolution qui affecte la finance, le recours de plus en plus fréquent à l’intelligence artificielle (IA). En effet, l’IA a des conséquences pour la société qui vont bien au-delà des seuls secteurs des paiements, de la monnaie et de la finance, et parmi ces secteurs, l’IA crée à ce jour une interrelation, plus qu’une unité, en exploitant notamment les données de paiements à des fins d’évaluation des emprunteurs potentiels, au point que certains ont pu dire que, de nos jours, les données remplaçaient les sûretés. À cet égard, une conséquence potentiellement très importante d’un point de vue industriel est que ces spécialistes de l’IA que sont les Big Tech ne peuvent que chercher à exploiter leur avantage comparatif en investissant d’abord le domaine des paiements, moins protégé par la réglementation, puis éventuellement ceux de la monnaie et de la finance.
Des initiatives de marché sont venues souligner une utilisation insuffisante par les acteurs traditionnels du système bancaire et financier des possibilités offertes par la numérisation. Ces initiatives s’appuient sur un socle technologique commun, la technologie de registre distribué – Distributed Ledger Technology (DLT) ou dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP) dans la terminologie réglementaire française – et sur la blockchain9. Ces initiatives de marché ont pris différentes formes.
Sont d’abord apparus les cryptoactifs à vocation monétaire, principalement Bitcoin au début de l’année 2009, qui n’ont pas tenu leurs promesses dans la mesure où ils ne servent pas, sauf exception imposée par les pouvoirs publics, de monnaie. Les stablecoins, tentatives de concilier les DLT et la fourniture d’un actif de valeur stable, sont venus après. Les levées de fonds par émission de jetons (initial coin offering ou ICO) semblent n’avoir été qu’un feu de paille durant les années 2016-2018. La finance décentralisée (decentralized finance ou DeFi) a depuis proposé un certain nombre de services financiers de pair-à-pair autour des cryptoactifs. Enfin, les tokens non fongibles (non-fungible tokens ou NFT) se sont développés à partir de 2020 et il est trop tôt pour dire s’ils seront un Eldorado ou bien s’ils donneront lieu, après les ICO, à un nouvel accès de fièvre spéculative.
Un substrat technologique commun10
Les définitions proposées dans cette section reprennent pour l’essentiel celles du France Payments Forum, « Naissance du 1er glossaire des cryptopaiements », francepaymentsforum.eu, s.d.
Un registre électronique est un fichier électronique qui peut être simultanément consulté, enregistré et synchronisé par des acteurs autorisés et qui évolue par l’addition chronologique des informations préalablement validées par la totalité des acteurs. Ces informations sont immuables, donc destinées à ne jamais être modifiées ou supprimées. La DLT permet elle-même de créer et faire fonctionner un registre distribué grâce à un réseau d’ordinateurs (« nœuds ») qui synchronisent, opèrent et sécurisent des blocs de transactions ajoutés grâce à un mécanisme de validation, appelé aussi « mécanisme de consensus ». Ce dernier permet aux nœuds valideurs d’entériner un nouveau bloc d’opérations. Différents mécanismes de validation existent, dont les plus connus sont de nos jours la preuve de travail (proof of work, PoW) et la preuve d’enjeu (proof of stake, PoS). La preuve de travail est le premier mécanisme de consensus apparu sur blockchain, utilisé d’abord par Bitcoin. Les nœuds valideurs y sont engagés dans une compétition pour résoudre un problème cryptographique nécessitant beaucoup de « force brute » (dépense en matériel spécialisé et, surtout, en énergie) et ainsi ajouter un nouveau bloc d’opérations à celles précédemment validées. La preuve d’enjeu se base sur l’immobilisation de cryptoactifs auprès des nœuds valideurs d’une blockchain publique ; elle introduit donc un élément de centralisation dans une organisation a priori décentralisée (voir infra). Enfin, la DLT permet de recourir à des « contrats intelligents » (smart contracts ou contrats programmables ou auto-exécutants), qui sont des programmes informatiques capables d’exécuter automatiquement les termes d’un contrat, rendant potentiellement la monnaie « programmable ».
Une chaîne de blocs (ou blockchain) est une des formes de la DLT qui permet le stockage et l’échange de cryptoactifs par un système distribué sans intervention d’un tiers de confiance. Une blockchain recourt à la place d’un tiers de confiance à un système de cryptage rendant extrêmement difficile de la falsifier, résolvant ainsi le problème de la « double dépense », soit l’acte frauduleux où le même cryptoactif est utilisé simultanément dans plusieurs transactions (l’exception est l’« attaque des 51% » où un attaquant ou un groupe d’attaquants parvient à s’emparer de la majorité des nœuds participant au mécanisme de validation, ce qui est très coûteux). Un cryptoactif est un élément de patrimoine immatériel dont le principal est porté par la DLT. Il existe deux grandes formes de blockchains : publiques et privées. Dans une blockchain publique, l’accès des participants au mécanisme de validation n’est pas réglementé, tous les nœuds possédant a priori le même rôle, les mêmes droits de lecture (consultation) et d’écriture (entrée de nouvelles transactions, donc participation au mécanisme de validation et éligibilité à autoriser l’ajout d’un nouveau bloc), sans aucun nœud dominant. Dans une blockchain privée, tous les nœuds appartiennent à une entité ou à un groupe d’entités (consortium) qui contrôle accès, écriture et consensus. Une blockchain permissionnée est une chaîne de blocs privée où l’accès est réservé à des participants autorisés.
Un cryptoactif dont la vocation se veut monétaire comme Bitcoin, qui repose sur sa propre technologie blockchain, est dénommé coin. On parle aussi de altcoin pour désigner un coin autre que Bitcoin. S’il est associé à une blockchain existante (comme Ethereum), un cryptoactif est dénommé token. Cela n’empêche pas que, sur une blockchain, contrairement à l’usage habituel du terme, un jeton ne représente le plus souvent que lui-même (c’est toujours le cas d’un coin). Les exceptions à cette absence de valeur extrinsèque des coins et jetons sont en principe les jetons émis lors d’ICO et, par nature, la représentation cryptographique d’actifs relevant de catégories existantes, comme des titres ou de la monnaie (voir infra), qui sont alors « tokénisés ».
Les avantages de la blockchain sont de permettre de partager sans délai, en permanence et au niveau mondial, une information qui possède les propriétés suivantes :
– elle est sûre grâce au recours à la cryptographie, au recours au mécanisme de consensus et à la résilience apportée par son caractère distribué, la mettant à l’abri d’une défaillance dans un point unique (single point of failure) comme cela peut se produire dans les organisations centralisées qui prévalent de nos jours ;
– elle est transparente, tous les nœuds ayant accès à la même information, bien que, dans des blockchains privées ou même publiques, l’accès à certaines informations puisse aussi être partitionné afin de préserver la confidentialité ;
– elle est inaltérable.
Une conséquence est que la blockchain permet de se dispenser de certaines opérations, comme les opérations de réconciliation, et de tiers de confiance. Sur une blockchain, la distinction entre les notions de front-end et de back-end, de clearing et de règlement s’efface, l’infrastructure offrant la possibilité de mener l’ensemble de ces opérations, qui plus est de manière très rapide, sous réserve toutefois de certains arbitrages (voir volume 2). En outre, l’introduction de cette technologie permet l’apparition de nouveaux produits et acteurs, favorisant la concurrence et l’innovation.
Bitcoin et altcoins de première génération : le mythe de monnaies privées décentralisées
Source : CoinMarketCap.
Voir Satoshi Nakamoto, « Bitcoin : un système de paiement électronique pair-à-pair », bitcoin.org, 2008.
Pour rappel, les trois fonctions d’une monnaie sont de servir d’unité de compte, d’instrument de transaction et de réserve de valeur.
Voir Sean Foley, Jonathan R. Karlsen et Tālis J. Putniņš, « Sex, Drugs, and Bitcoin: How Much Illegal Activity Is Financed through Cryptocurrencies? », The Review of Financial Studies, vol. 32, n° 5, mai 2019,
p. 1798-1853.
Voir The 2022 Crypto Crime Report, chainanalysis.com, février 2022.
Le terme bitcoin désigne à la fois un système de transfert d’un cryptoactif (on l’écrit alors avec une majuscule et sans article) et une unité de compte (on l’écrit alors sans majuscule et il peut prendre le pluriel). Au 28 juin 2022, il existait plus de 20 000 cryptoactifs pour un encours total d’environ 950 milliards de dollars11. Bien que sa part ait sensiblement décliné au cours des dix années précédentes, avant lesquelles elle s’établissait à 100%, Bitcoin représentait alors encore 42% de cet encours, contre 16% pour Ethereum, 7% pour Tether, 6% pour USD Coin, 4% pour Binance Coin et 2% pour Binance USD, Ripple, Cardano et Solana (Tether, USD Coin et Binance USD sont des stablecoins, voir infra). Pour cette raison, parce que c’est en quelque sorte l’« ancêtre » des cryptoactifs et aussi parce que Bitcoin prétendait dès son lancement jouer un rôle monétaire12, l’analyse est centrée ici sur ce cryptoactif plutôt que sur les altcoins.
Outre l’utilisation de la blockchain, Bitcoin se caractérise comme les altcoins par l’association d’une clef publique et d’une clef privée, qui définit l’actif en l’absence d’un émetteur et permet à l’utilisateur d’être anonyme, ou plus exactement de se protéger par l’utilisation d’un pseudonyme. L’absence d’émetteur est certainement la caractéristique qui différencie le plus Bitcoin et les altcoins des monnaies légales, qu’il s’agisse de la monnaie fiduciaire ou des dépôts bancaires : les cryptoactifs de première génération ne sont donc pas adossés à des actifs, tandis que la monnaie fiduciaire et les dépôts bancaires le sont à travers les bilans de leurs émetteurs respectifs (banque centrale et banques dites « commerciales »). Cette absence d’adossement permet à Bitcoin d’être pour l’essentiel décentralisé, encore que l’on puisse trouver des éléments de centralisation dans sa détention, difficile à apprécier en raison du pseudonymat qui permet à un même détenteur d’utiliser différentes clés privées ou, au contraire, à de multiples détenteurs d’être regroupés par un échange sous une même clé, et surtout dans son minage, concentré sur des « fermes » disposant d’une grande puissance de calcul. Surtout, elle rend le cours de Bitcoin extrêmement volatil, ce qui est l’un des obstacles, sans doute le plus important, à l’utilisation monétaire prévue par son promoteur. Deux autres handicaps frappent Bitcoin dans l’exercice de l’emploi auquel il était destiné :
– l’inélasticité de son offre : le rythme de création des bitcoins est programmé pour se réduire de moitié tous les quatre ans (procédure dite du halving), avec une convergence progressive vers le nombre de 21 millions en 2140 (il y avait, en mars 2022, environ 19 millions d’unités). En outre, les unités ne sont créées qu’en récompenses accordées aux « mineurs » qui parviennent les premiers à résoudre le problème cryptographique leur permettant de chaîner un nouveau bloc de transactions (en cas de conflit pour l’attribution de la récompense, la longueur de la chaîne obtenue vaut preuve), et non en fonction de la valeur des transactions. Modifier l’algorithme de création serait à la fois difficile et risqué : en laissant augurer de nouvelles augmentations d’un plafond jusque-là présenté comme intangible, cette modification pourrait entraîner l’effondrement de la valeur d’actifs – les bitcoins – dont le prix repose essentiellement sur la rareté ;
– la lenteur des transactions : Bitcoin traite sept transactions par seconde et on considère qu’il faut une heure, soit le minage de six blocs de transactions, pour qu’une transaction soit irréversible (la dépense en énergie nécessaire pour présenter une fausse blockchain plus longue que les autres serait alors pharamineuse).
Ces deux difficultés créent un problème de « passage à l’échelle » (ou « scalabilité », scalability), avec des phénomènes de congestion, accompagnés d’une fluctuation erratique des coûts de transactions, les mineurs demandant alors des commissions plus élevées pour traiter certaines transactions avant les autres. Elles peuvent certes être surmontées en accélérant la vitesse des transactions par l’addition à Bitcoin de chaînes de blocs latérales (sidechain), comme le réseau Lightning, permettant de ne procéder à des règlements sur la blockchain que pour le solde des transactions effectuées entre deux participants reliés par un « canal » qu’ils ont créé dans le réseau. Toutefois, en conformité avec le « triangle de Buterin » (voir volume 2), ces solutions entraînent à leur tour des difficultés, notamment en introduisant une centralisation et une perte de sécurité, dans la mesure où elles recourent à la compensation des positions bilatérales, ce qui introduit un risque de crédit, aggravé par la spécialisation de certains nœuds dans la redistribution de liquidité, à l’analogue de chambres de compensation greffées sur le système de règlement brut constitué par Bitcoin.
De fait, malgré le développement de services de règlement en cryptoactifs par des acteurs majeurs du secteur des paiements (par exemple PayPal, Visa, Mastercard, Worldline), on utilise très peu Bitcoin et les altcoins directement dans les transactions quotidiennes. En outre, leurs cours sont trop volatils pour en faire des réserves de valeur. Au total, ils sont impropres à un usage monétaire13. En fait, ils servent essentiellement à quatre actions :
– tout d’abord, principalement, pour des placements spéculatifs (voir « La détention de cryptoactifs en France et dans le monde », p. 44) ;
– pour des opérations de règlement sous pseudonymes, de nature à protéger la vie privée mais aussi finançant parfois des transactions illicites. On a ainsi pu estimer qu’environ un quart du volume des transactions en bitcoins et près de la moitié de leur montant seraient associés à des activités illégales14. Toutefois, cette estimation est déjà un peu ancienne et les services de police ont depuis effectué des progrès dans le traçage des transactions sur la blockchain, comme l’a montré en mai 2021 l’exemple du « rançongiciel » Colonial Pipeline. Les transactions impliquant des adresses illicites représenteraient seulement 0,15% des transactions en cryptoactifs en 2021, les montants reçus par ces adresses s’élevant à 14 milliards de dollars15. S’agissant de ce ratio, il faut toutefois faire attention au fait que la plus grande partie des transactions en cryptoactifs ont lieu entre ces derniers ; prendre en compte les seules transactions contre biens, services et actifs autres que les cryptoactifs, dont les monnaies légales, aurait plus de sens. Par ailleurs, des adresses licites peuvent elles aussi participer à des transactions illicites, ce qui donne à penser que le montant de 14 milliards de dollars constitue probablement une évaluation minimale ;
– pour des contournements des contrôles des mouvements de capitaux. Toutefois, ces contournements, qui constituent eux aussi des opérations illicites, sont efficaces seulement à condition d’acheter et de revendre les cryptoactifs de manière inaperçue des contrôleurs. Ils sont aussi ambigus car, utiles pour discipliner les politiques économiques, ils peuvent contribuer à l’amélioration du bien-être social (voir volume 2) ;
– pour des paiements transfrontières, préférablement pour des montants élevés de façon à ce que les transactions ne soient pas exagérément grevées en pourcentage par des frais eux-mêmes élevés (achat de cryptoactifs contre monnaies légales, défraiement des mineurs, revente des cryptoactifs contre monnaies légales).
Les stablecoins : le meilleur des mondes ?16
Cette section se fonde largement sur l’article d’Anastasia Melachrinos et Christian Pfister, « Stablecoins : le meilleur des mondes ? », Revue française d’économie, vol. XXXV, n° 4, avril 2021, p. 23-57.
Voir Christian Catalini, Alonso de Gortari et Nihar Shah, « Some Simple Economics of Stablecoins », MIT
Sloan Research Papers n° 6610-21, 15 décembre 2021.
Sur les modèles de 100 % réserves, leur actualité et en particulier l’analogie avec USC et les MNBC, voir
Christian Pfister, « La réforme du 100 % réserves : calamité ou opportunité ? », Revue d’économie financière, n° 141, 1er trimestre 2021, p. 293-316.
Voir G7 Working Group on Stablecoins, Investigating the impact of global stablecoins, G7-FMI-BIS,
octobre 2019.
Apparus avec Tether en 2014, les stablecoins sont des cryptoactifs qui visent une valeur stable vis-à-vis d’une référence, en pratique la parité avec le dollar américain dans la quasi-totalité des cas. Ainsi, sur le plan conceptuel, les stablecoins diffèrent nettement de la première génération de cryptoactifs. Grâce à la stabilité qu’ils procurent, ils permettent aux utilisateurs de rester dans l’« univers numérique », leur évitant d’avoir à payer des coûts de transaction élevés à l’occasion d’achats et de vente contre monnaies légales motivés, par exemple, par des arbitrages entre cryptoactifs – il existe des marchés entre cryptoactifs hors stablecoins mais leur liquidité laisse souvent à désirer. En outre, certains échanges de cryptoactifs refusent les paiements en monnaies légales, s’affranchissant ainsi du respect de certaines contraintes réglementaires, tandis que les stablecoins permettent au contraire de passer généralement facilement d’un échange à l’autre.
Au 28 juin 2022, la capitalisation totale de marché des stablecoins référencés sur le dollar s’élevait à environ 150 milliards de dollars, soit 16% de la capitalisation de marché de l’ensemble des cryptoactifs. Tether, qui vise la parité avec le dollar et est resté le seul stablecoin jusqu’en 2018, représentait plus de 40% des montants émis, suivi de USD Coin (un tiers), Binance Coin (un dixième) et DAI (environ 5%), quatre stablecoins fournissant donc la quasi-totalité de l’encours.
Après la disparition de Terra, qui représentait une capitalisation d’une trentaine de milliards de dollars, en mai 2022 presque tous les stablecoins sont adossés à une réserve off-chain, au sens où les actifs qui la constituent ne sont pas des cryptoactifs et ne peuvent donc pas être conservés sur la blockchain. DAI est le seul exemple d’un stablecoin on-chain, dont les unités sont créées par adossement à des cryptoactifs. Par nature, les stablecoins off-chain présentent un caractère plus centralisé (les usagers n’ont pas de visibilité sur la réserve) et les stablecoins on-chain ont davantage de transparence (les usagers peuvent vérifier sur la blockchain que les garanties sont bien là). Cependant, en raison de la volatilité des cours des cryptoactifs, les stablecoins off-chain ont l’inconvénient du point de vue des utilisateurs de reposer sur des taux de sûreté supérieurs à l’unité (150% pour DAI), les positions étant liquidées si le taux de sûreté n’est pas respecté, ce qui peut provoquer ou accentuer une déstabilisation du marché de la sûreté. En tout état de cause, les émetteurs de stablecoins se reposent essentiellement sur l’arbitrage de marché pour stabiliser le cours des unités qu’ils émettent. Il est ainsi attendu que les participants de marché achètent un stablecoin s’il cote en dessous du pair et qu’ils le vendent dans le cas contraire, dans les deux cas sans que l’émetteur ait à intervenir, un dispositif qui ne peut évidemment fonctionner que si l’engagement de parité est crédible, donc la réserve gérée de manière prudente et transparente, ce qui n’est pas toujours le cas.
Les stablecoins sont présentés comme offrant quatre avantages potentiels17 :
– réaliser des paiements à faible coût et en temps réel, un avantage certainement plus réaliste dans leur cas que dans celui des cryptoactifs de première génération, en raison de la forte volatilité des cours de ces derniers ;
– rendre la monnaie programmable. En fait, il serait plus correct de dire « rendre des moyens de paiement programmables », dans la mesure où les stablecoins ne sont pas à proprement parler de la monnaie, et ce pour deux raisons : d’une part, ils ne sont pas autonomes, comme le sont les monnaies légales, puisqu’ils sont référencés sur des monnaies légales et gagés sur des actifs libellés dans ces monnaies ; d’autre part, ils sont imparfaitement stables vis-à-vis de leur référence. Cependant, s’il était remédié à cette dernière limite et que se développait l’utilisation des stablecoins dans les transactions, l’encours détenu par les résidents dans les différentes références pourrait être inclus dans les agrégats monétaires correspondants, conformément à la définition de ces derniers (par exemple, les stablecoins en euros détenus par les résidents de la zone euro seraient inclus dans les agrégats monétaires de la zone euro M1, M2 et M3, comme le sont de nos jours les dépôts en euros) ;
– favoriser l’inclusion financière, en particulier dans les économies émergentes et en développement, ce qui pourrait être le cas s’ils étaient distribués à vaste échelle et à bas coût mais ce qui n’a pas encore été démontré ;
– servir d’instrument privilégié dans la DeFi (voir infra). C’est certainement actuellement l’usage des stablecoins le plus répandu. En effet, les stablecoins jouent dans la DeFi un rôle analogue à celui des « actifs sûrs », comme les bons du Trésor ou la monnaie centrale, dans la finance traditionnelle (ou « centralisée », CeFi) : ils peuvent être utilisés comme sûretés, et y servent de réserve de liquidité et d’actif refuge. Les stablecoins on-chain sont d’ailleurs eux-mêmes un exemple d’utilisation de la DeFi.
Les stablecoins peuvent donc être vus actuellement comme un appendice des marchés des autres cryptoactifs. Cette situation pourrait néanmoins changer si, malgré l’abandon du projet Diem (anciennement Libra) de Meta (anciennement Facebook) en raison de l’hostilité des régulateurs, d’autres projets de stablecoins mondiaux voyaient le jour. Cela pourrait notamment être le cas dans le domaine des paiements de gros où deux projets sont connus : Utility Settlement Coin (USC), porté par un groupement de banques et investisseurs institutionnels (Fnality), et JPMCoin, porté par la banque JPMorgan. L’apport premier du projet de Fnality serait d’offrir aux utilisateurs la possibilité d’effectuer des règlements quasiment instantanés au niveau mondial tous les jours de l’année, à toute heure, permettant de faire des économies de liquidité en ne détenant qu’un seul pool de liquidités au niveau mondial dans chacune des monnaies représentées, au lieu de plusieurs pools auprès de différents correspondants bancaires en fonction des contraintes de fuseaux horaires. En outre, USC serait presque parfaitement protégé contre le risque de crédit puisqu’en principe adossé en totalité à des réserves détenues auprès de chaque banque centrale émettrice de la monnaie de référence ; ce serait donc un stablecoin de type 100% réserves18. À la suite de la décision de la Banque d’Angleterre en avril 2021 d’autoriser l’ouverture de comptes collectifs permettant aux participants au projet Fnality d’y mêler leurs avoirs, la version sterling d’USC devrait être lancée en octobre 2022.
Le projet de JPMorgan est semblable dans la technologie employée (blockchain « permissionnée ») et dans l’objet (transfert d’argent en temps réel au niveau institutionnel, 24 heures sur 24 tous les jours de l’année). Il comporte toutefois deux différences importantes avec celui d’USC : en l’état actuel du projet, la seule monnaie de référence serait le dollar américain et, surtout, les sûretés seraient constituées par des dépôts auprès de la banque JPMorgan et non par des réserves de banque centrale, laissant subsister des risques de liquidité et de crédit. JPM Coin vise à réduire les frictions sur le marché monétaire du dollar en facilitant le règlement des transactions entre les différents clients.
Si les stablecoins peuvent présenter des avantages, ils peuvent aussi présenter des risques. C’est particulièrement le cas des stablecoins mondiaux. En effet, comme le relevait le rapport du groupe de travail du G7 sur les stablecoins19, les stablecoins mondiaux combinent deux types de risques :
– les risques propres à tout dispositif de stablecoin, souvent communs à d’autres dispositifs d’émission de cryptoactifs : tentation pour accroître la rentabilité d’investir dans des actifs risqués et de pratiquer de la « transformation d’échéance », où les actifs ont une échéance plus éloignée que les ressources dont les détenteurs peuvent demander la liquidation à tout moment ; absence de sécurité juridique, s’agissant notamment des droits dont disposent les utilisateurs ; failles dans la gouvernance, notamment la revue et le contrôle des risques ; risque pour l’intégrité financière en l’absence fréquente de contrôles LCB/FT ; protection des données sur les transactions des utilisateurs… ;
– les risques que les stablecoins mondiaux sont susceptibles de créer par leur taille : non seulement les risques inhérents à tout stablecoin peuvent être amplifiés dans le cas des stablecoins mondiaux, mais ceux-ci créent trois catégories de risques spécifiques, dont les deux dernières sont discutées en deuxième partie. La première catégorie se rapporte aux conditions de la concurrence (l’absence de concurrence empêcherait les consommateurs de bénéficier pleinement de l’innovation que les stablecoins représentent ; obvier à ce risque nécessiterait d’imposer aux stablecoins mondiaux une interopérabilité totale). La deuxième catégorie de risques a trait aux implications de stabilité financière, la troisième aux implications de politique monétaire.
Les initial coin offerings (ICO) : la fièvre de 2016-2018
Voir Antonio Fatás et Beatrice Weder di Mauro, « Initial coin offerings: Fundamentally different but highly correlated », in Antonio Fatás (dir.), The Economics of Fintech and Digital Currencies, CEPR Press, 2019, p. 75-82.
Ibid.
Dans une ICO, des tokens émis sur blockchains contre apport de cryptoactifs permettent de financer un projet, relevant lui-même assez souvent du domaine des cryptoactifs. Ces tokens donnent à leurs détenteurs accès soit, cas le plus fréquent, à des services offerts sur la blockchain émettrice (jetons utilitaires ou utility tokens), soit à une participation à la gouvernance du projet et une rémunération qui en fait des actifs proches des actions (jetons financiers ou security tokens). Les ICO visent à réduire les coûts d’intermédiation en utilisant les capacités de la blockchain (voir supra). Les jetons utilitaires visent aussi à échapper plus facilement que les jetons-titres à la réglementation des émissions de titres et, dans une logique rappelant celle du financement participatif, à soutenir une demande de la part des investisseurs leur permettant d’atteindre plus rapidement une masse critique grâce à des effets de réseau (voir volume 2).
En nombre très limité jusqu’à la fin de 2016, les ICO se sont ensuite multipliées et, en 2018, plus de 1 000 ont eu lieu, permettant de lever plus de 21 milliards d’euros20. La forte corrélation entre le prix des ICO et celui des deux principaux cryptoactifs, Bitcoin et Ethereum, amène toutefois certains analystes à penser que les ICO « surfent sur la vague » de la bulle spéculative entourant les cryptoactifs plus qu’ils ne répondent à des besoins de financement spécifiques21. Le nombre d’ICO a d’ailleurs fortement chuté depuis le deuxième trimestre de l’année 2018. Que plus d’un projet financé par ICO ait échoué au cours des quelques mois suivant son lancement et qu’une proportion non négligeable, de l’ordre du cinquième selon certaines sources, soit de l’ordre de l’escroquerie sont des éléments qui ont aussi très probablement joué un rôle dans le repli et incité les pouvoirs publics à mettre en place une réglementation (voir infra pour la France dans le cadre de la loi Pacte).
La finance décentralisée (DeFi), ensemble de services financiers autour des cryptoactifs
Source : www.defipulse.com. Ces chiffres, déclarés par la profession comportent néanmoins des doubles comptes.
Pour plus de précisions, voir Fabian Schär, « Decentralized Finance: On Blockchain- and Smart Contract-Based Financial Markets », Federal Reserve Bank of Saint-Louis Review, vol. 103, n° 2, 2e trimestre 2021, p. 153-174.
Voir OECD, Why Decentralised Finance (DeFi) Matters and the Policy Implications, 19 janvier 2022.
Voir Igor Makarov et Antoinette Schoar, « Cryptocurrencies and Decentralized Finance (DeFi) », NBER Working Papers, n° 30006, avril 2022
La DeFi vise à fournir certaines des fonctions du système financier traditionnel, de manière décentralisée (les transactions s’effectuent de pair à pair, sans recours à des tiers de confiance) et non permissionnée (la gouvernance y appartient potentiellement aux utilisateurs) et en s’appuyant sur la blockchain – plus particulièrement Ethereum – et les smart contracts. Il en résulte deux conséquences importantes :
– contrairement à une présentation courante, la DeFi ne « réplique » pas à proprement parler la finance traditionnelle, puisque les actifs qui s’y négocient ne sont pas les mêmes. Dans le cas de la DeFi, il s’agit exclusivement de cryptoactifs, lesquels ne représentent encore qu’une part infime de l’ensemble des actifs disponibles dans le monde. Comme le marché des stablecoins avec qui il entretient des relations étroites, la DeFi est un appendice de celui des cryptoactifs ;
– outre les risques créés par la DeFi, explicités plus bas, ceux propres aux cryptoactifs, comme l’absence de contrôles LCB/FT, ou plus généralement de réglementation ou de supervision, se retrouvent dans la plupart des applications de DeFi.
Des projets de DeFi sont apparus dès 2017 mais l’industrie n’a vraiment commencé à se développer qu’à partir de l’été 2020. Le montant des actifs immobilisés (total value locked) dans les applications de DeFi est passé de 2 milliards de dollars au début de juillet 2020 à plus de 100 milliards de dollars au début de l’année 2022, pour ensuite chuter, avec la baisse des cours des deux principaux cryptoactifs (Bitcoin et Ether), à moins de 80 milliards de dollars en mars 202222. L’industrie est très concentrée, une dizaine d’applications recueillant l’essentiel des actifs immobilisés.
L’architecture de la DeFi repose sur un empilement de « couches » (layers) donnant à l’ensemble trois de ses caractéristiques fondamentales : la « composabilité » (différentes « briques » appartenant à des couches différentes peuvent être réunies pour former un produit ou un service, faisant de la DeFi une sorte de Lego financier pour cryptoactifs), l’interopérabilité, facilitée par la domination du protocole Ethereum, mais aussi l’opacité pour l’investisseur néophyte, malgré l’usage de la blockchain23.
Les marchés couverts par la DeFi sont essentiellement de deux sortes, recueillant plus de 85% des actifs immobilisés à la mi-202124 :
– les échanges décentralisés : par rapport aux échanges centralisés, qui restent les plus utilisés dans les transactions en cryptoactifs mais qui supposent la confiance et impliquent des frais de conservation, ils présentent l’avantage pour les utilisateurs de ne pas avoir à déposer leurs actifs avant de les négocier. En outre, un autre avantage est que les transactions s’effectuent de manière atomique (les deux « pattes » de la négociation ont lieu de manière indivisible et ne forment qu’une transaction, l’équivalent sur la blockchain du paiement contre paiement – payment-versus-payment ou PVP – dans la finance traditionnelle) ;
– les plateformes de prêts décentralisées : elles permettent d’effectuer des transactions de manière anonyme et de tirer un revenu de la détention de stablecoins. Pour se garantir, le prêteur peut avoir recours à deux solutions. Dans la première, comme lors de transactions au travers d’échanges décentralisés, il contracte de manière atomique. Il s’agit alors d’un prêt instantané (flash loan), encore peu développés et utilisés surtout à des fins d’arbitrage entre plateformes. À cet égard, les taux mirifiques de ces prêts, du point de vue du prêteur, ne doivent pas faire illusion : il s’agit d’opérations qui sont presque toutes « débouclées » en quelques secondes. La seconde solution consiste à prêter sur garantie, cette dernière (souvent des stablecoins mais aussi des cryptoactifs, notamment Ether) étant enfermée dans un smart contract et libérée seulement lors du remboursement du prêt.
D’autres marchés sont encore peu développés :
– les marchés de dérivés décentralisés, où se négocient des jetons dont la valeur dépend soit de la performance d’un actif sous-jacent, ce qui permet notamment de prendre des positions spéculatives, soit de la réalisation d’un événement (marchés prédictifs). Ces marchés sont usuellement dépendants d’« oracles », c’est-à-dire d’une source d’information permettant à des smarts contacts d’intégrer une information du monde extérieur, ce qui introduit un élément de centralisation mais aussi de fragilité, la source d’information pouvant être manipulée ;
– la gestion d’actifs on-chain, qui permet d’effectuer une diversification de manière automatisée.
La DeFi a fait l’objet de deux types de mise en garde :
– elle n’est pas toujours décentralisée : conçues sur le modèle d’organisations autonomes décentralisées (decentralized autonomous organisation, DAO), les applications de la DeFi disposent d’organismes de gouvernance où les détenteurs de jetons de gouvernance, initiateurs du projet mais aussi gros utilisateurs fidélisés, jouent un rôle comparable aux administrateurs de société, ce qui implique un certain degré de centralisation. Les mécanismes de validation introduisent aussi des éléments de centralisation, les participants à la preuve de travail se voyant récompensés par l’attribution de jetons de gouvernance tandis que la preuve d’enjeu conduit mécaniquement à des regroupements. Comme indiqué plus haut, le recours aux « oracles » est aussi facteur de centralisation ;
– elle crée de nouveaux risques. Certains d’entre eux rappellent ceux que l’on trouve sur les marchés centralisés, comme la réutilisation des garanties (les fonds empruntés sur une plateforme peuvent être déposés sur une autre plateforme et ainsi de suite), le recours au levier grâce aux marchés dérivés ou le caractère procyclique de la liquidation des positions lorsque les niveaux de garantie des prêts ne sont plus observés à la suite d’une baisse des cours. Cependant, la DeFi crée aussi des interdépendances entre les marchés des cryptoactifs, comme ceux des stablecoins (c’est particulièrement le cas lorsque les stablecoins sont on-chain, voir supra) ainsi qu’avec certains acteurs de la finance traditionnelle qui y investissent, comme les hedge funds et les family offices. En outre, la construction de la plupart des applications de la DeFi sur des blockchains non permissionnées dont l’accès et où les transactions s’effectuent sous pseudonymes ouvre des possibilités à la fraude fiscale et à d’autres pratiques illicites25. Ce dernier point est d’autant plus inquiétant que la DeFi pourrait donner lieu à une double forme d’arbitrage réglementaire. Dans une première forme, si la DeFi n’est pas réglementée, des activités financières traditionnelles pourraient se trouver transférées vers la Defi, grâce à la « tokénisation » des actifs concernés. Comme toutefois ces activités perdraient alors la crédibilité et la protection associées à la réglementation, ce scénario est peu probable. Dans la deuxième forme d’arbitrage réglementaire, comme dans les autres activités associées aux cryptoactifs, le caractère mondial de la DeFi permettrait à ses promoteurs de délocaliser leurs activités dans les juridictions qui leur imposeraient le moins de contraintes, quitte éventuellement à moins bien protéger les utilisateurs ou à rejeter les coûts de dysfonctionnements vers le système financier mondial. Ce risque fait ressortir le besoin de coordination internationale (voir volume 2).
Si la « tokénisation » des actifs devait progresser, les rendant couramment disponibles sur la blockchain, et s’étendre notamment aux dépôts bancaires (on parle parfois à ce sujet de « bankcoins »), les stablecoins étant réglementés et le règlement final des transactions s’effectuant en monnaie numérique de banque centrale (MNBC) de gros (voir infra), la DeFi pourrait néanmoins jouer un rôle important dans le financement de l’économie.
Les NFT : Eldorado ou nouvelle fièvre spéculative ?
« Les non-fungible tokens (NFT) : la rareté numérique », adan.eu, 15 novembre 2021.
Ibid.
Alors que les jetons sont en principe interchangeables, les jetons non fongibles (non-fungible tokens, NFT) existent au contraire en exemplaire unique. Ainsi, selon l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan) : « De manière générale, un NFT peut être défini comme un jeton unique, certifiant la propriété d’un bien – matériel (œuvre d’art, bien immobilier et autres) ou numérique (objets de collection ou collectibles, avatars numériques, œuvres d’art numériques et autres) – à son détenteur et enregistré sur le registre public de la blockchain. À ce jour, la plupart des NFT sont émis via le réseau Ethereum. Le NFT est généralement accompagné d’informations relatives à l’auteur de l’œuvre, l’ancien propriétaire et d’autres modalités plus techniques inhérentes à l’actif sous-jacent26. » Les NFT se servent ainsi des propriétés d’immuabilité et de non-falsifiabilité de la blockchain.
Les NFT sont apparus en 2017, avec notamment la série des CryptoPunks, collection d’images pixellisées générées par un algorithme dont le nombre est limité à 10 000, et des CryptoKitties, jeu virtuel permettant d’acheter, d’élever et de vendre des chats virtuels. Même si ces jetons se négocient depuis à des prix très élevés, exprimés en Ether, le marché des NFT n’a vraiment pris son essor qu’en 2020, alors que les cours de Bitcoin et des altcoins progressaient fortement et que les mesures de confinement incitaient artistes et collectionneurs à trouver de nouvelles formes de diffusion. Selon NonFungible.com, la capitalisation totale du marché des NFT est ainsi passée de 124 millions de dollars en 2019 à 372 millions de dollars en 2020 et 16,9 milliards de dollars en 2021.
À la fin de 2021, les trois quarts de l’offre de NFT correspondaient à des objets de collection (collectibles), similaires dans leur conception aux cartes de Pokémon. Les autres cas d’usage relevaient principalement du domaine culturel (art, musique) et des jeux. Deux points potentiellement importants pour l’avenir du marché sont que les avatars virtuels représentant les utilisateurs au sein de métavers sont fournis par des NFT et que le statut juridique des NFT est incertain27. La disparition ou l’atténuation de deux facteurs qui ont contribué au développement du marché en 2020-2021 (progression des cours des cryptoactifs de première génération et crise du Covid-19) pourraient aussi peser négativement sur le développement futur du marché.
Des réponses du secteur public complémentaires mais aussi parfois concurrentes des initiatives privées
Les autorités publiques ont mis ou s’apprêtent à mettre en place un cadre juridique qui, en sécurisant l’environnement dans lequel opèrent les entreprises, devrait faciliter leur développement, au moins pour celles existantes ou disposant de ressources suffisantes, éventuellement dès leur création. En effet, toute réglementation comporte un coût qui crée des barrières à l’entrée, protégeant les acteurs installés, ce qui la rend ambiguë du point de vue de la concurrence. Une autre forme d’intervention publique, beaucoup plus forte que la réglementation, vise à fournir une alternative à la production privée, comme avec l’émission de MNBC. De ce fait, avant d’intervenir, l’autorité publique doit en principe s’assurer que deux conditions soient satisfaites : que l’initiative privée soit incapable de répondre à un besoin clairement exprimé (en d’autres termes, il doit y avoir une « défaillance de marché ») et que les avantages de la production publique l’emportent sur les inconvénients éventuels qu’elle suscite. Les deux formes d’intervention publique, celle de nature réglementaire et celle reposant sur une production, sont ici examinées successivement.
Des éléments de sécurisation de l’environnement juridique facilitant la création et le développement d’infrastructures privées de type centralisé
La réglementation des activités liées aux cryptoactifs se fonde à juste titre sur le rejet de deux approches extrêmes :
– la première consiste à ne rien faire, voire à promouvoir les cryptoactifs comme le Salvador et la République centrafricaine l’ont fait en donnant le statut de monnaie légale à Bitcoin (voir « Bitcoin comme monnaie légale : le cas du Salvador »). Cette approche est incompatible avec les risques que présentent les cryptoactifs à ce stade (voir supra) et ceux qu’ils pourraient présenter à l’avenir, notamment pour la stabilité financière ;
– la seconde approche consiste au contraire à interdire les activités liées aux cryptoactifs, une interdiction de leur existence elle-même ne pouvant raisonnablement pas être envisagée compte tenu de l’accessibilité au niveau mondial et de l’absence d’émetteur qui les caractérisent. L’interdiction peut alors être implicite (les échanges, banques et autres institutions financières se voient interdire d’offrir des services aux personnes physiques et morales négociant des cryptoactifs) ou explicite (effectuer des transactions en cryptoactifs ou en détenir est passible de sanctions pénales). Selon la Bibliothèque du Congrès américain, le nombre de pays imposant une forme ou l’autre d’interdiction est passé, entre 2018 et 2021, de huit à neuf (Algérie, Bangladesh, Chine, Égypte, Iraq, Maroc, Oman, Qatar, Tunisie) pour l’interdiction explicite, et de quinze à quarante-deux pour l’interdiction implicite. Cette approche très administrative est défavorable à la concurrence et à l’innovation.
Bitcoin comme monnaie légale : le cas du Salvador
Le 7 septembre 2021, le Salvador a adopté Bitcoin comme monnaie légale, le dollar américain continuant de jouer le rôle d’unité de compte qui est le sien dans ce pays depuis 2001, avec notamment pour objectifs de promouvoir l’inclusion financière, une des plus faibles au monde, et de faciliter les envois de fonds dont l’économie salvadorienne est très dépendante. Généralement mal perçue dans le pays comme à l’étranger par des institutions comme le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale ainsi que par les agences de notation, qui ont en conséquence abaissé leur notation, la mesure a au contraire suscité l’enthousiasme dans la « communauté crypto ». Cette dernière réaction est apparemment paradoxale au regard de la doctrine libertarienne dont la communauté se réclame souvent et des contraintes imposées à la population. Afin de soutenir l’utilisation de Bitcoin et d’en assurer la convertibilité, un fonds public doté de 150 millions de dollars a été créé, sans que ses responsabilités vis-à-vis des détenteurs salvadoriens de bitcoins, en cas de forte baisse des cours, soient clairement établies. Des standards techniques imposent aux institutions autorisées à opérer des conversions entre Bitcoin et dollar américain de sauvegarder les intérêts du consommateur et l’intégrité du système financier*. Un portefeuille électronique officiel, le Chivo (« sympa » en argot salvadorien), téléchargeable gratuitement, permet d’effectuer des transactions et de recevoir des fonds envoyés, sans frais pour les utilisateurs et en temps réel grâce au recours au réseau Lightning. Les Salvadoriens qui ouvrent un Chivo reçoivent 30 dollars du fonds public mentionné plus haut. Des portefeuilles fournis par des opérateurs privés, faisant payer leurs services, assurent les mêmes fonctions et permettent aussi d’établir un lien avec un compte bancaire ou une carte. Le FMI s’est inquiété des conséquences potentiellement redistributrices que la mesure |
Ces deux approches extrêmes mises de côté, trois autres approches sont concevables, par degrés de contrainte et de coûts croissants :
– un régime « à la carte », laissant la possibilité aux initiateurs de projet de demander leur assujettissement à un statut réglementaire, avec ce que cela comporte comme obligations mais aussi comme gain en réputation auprès du public. Ce régime serait plus à même de protéger une « industrie naissante » mais ne pourrait être un régime « de croisière » si les activités en cause se développaient, créant des risques pour l’ensemble du secteur financier ;
– un régime fondé sur la seule prise en compte du risque, se fondant sur l’assimilation avec les activités correspondantes déjà réglementées, assez facile à mettre en œuvre mais susceptible de n’être pas toujours adapté aux activités en cryptoactifs, qui laisserait subsister des poches de risque et conduirait à une hétérogénéité au plan international favorisant l’arbitrage réglementaire ;
– un régime ad hoc couvrant l’ensemble des cryptoactifs, qui pourrait être long à mettre en œuvre, en raison à la fois du caractère évolutif du secteur et de la nécessité de coordination internationale (voir volume 2).
Avec la loi Pacte du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, la France a précocement encadré la prestation de services sur les actifs numériques (PSAN) et les ICO. La loi prévoit pour les PSAN qui le souhaitent la possibilité d’être agréés et placés sous la supervision de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Il en résulte pour ceux qui sont agréés la soumission à un socle de règles communes à tous les services couverts (assurance ou fonds propres, procédures de contrôle interne, système informatique résilient, politique tarifaire transparente, etc.), ainsi qu’à un certain nombre de règles spécifiques propres au service proposé. En outre, qu’ils choisissent ou non d’obtenir l’agrément optionnel, les prestataires souhaitant exercer deux activités, celle de conservation d’actifs numériques pour le compte de tiers ou celle d’achat/vente d’actifs numériques contre une monnaie ayant cours légal, ont l’obligation de s’enregistrer auprès de l’AMF. S’agissant des ICO, la loi prévoit, pour les porteurs de projets qui le souhaitent, la possibilité de soumettre leur document d’information à un visa optionnel délivré par l’Autorité des marchés financiers à la condition qu’ils satisfassent à certaines exigences. Enfin, la loi comporte des dispositions autorisant deux types de fonds à investir en actifs numériques – les fonds professionnels spécialisés (FPS) et les fonds professionnels de capital investissement (FPCI), ces derniers dans la limite de 20% de leurs actifs – et des mesures de protection des investisseurs. La loi a incontestablement favorisé l’acclimatation des cryptoactifs en France (voir « La détention de cryptoactifs en France et dans le monde »).
Par ailleurs, le « paquet réglementaire » de la Commission européenne sur la finance numérique, comprend notamment les projets de règlement sur les marchés de cryptoactifs (Markets in Cryptoassets, dit MiCA), pour un régime pilote pour les infrastructures de marché sur blockchain et pour un cadre réglementaire sur la résilience opérationnelle numérique (Digital Operational Resilience Act, dit Dora). Le recours à l’instrument du règlement communautaire plutôt qu’à celui de la directive est significatif de la volonté européenne de fournir un cadre harmonisé à l’exercice des activités liées aux cryptoactifs. MiCA ne vise pas les jetons financiers, assujettis au régime prévu pour l’émission et l’échange de titres financiers, notamment MiFID2. Il inclut trois types de cryptoactifs : les jetons de paiement (jetons de monnaie électronique), stablecoins se référant à une monnaie légale ; les jetons d’investissement, stablecoins se référant à un ou à des actifs (asset reference tokens, ART) ; et les jetons utilitaires (utility tokens). Les ICO seraient soumises à la publication d’un livre blanc après notification à l’autorité compétente, permettant l’offre de jetons dans l’ensemble de l’Union européenne sans procédure de passeport. Un statut de prestataire de service sur cryptoactifs (PSCA) serait créé, avec un agrément obligatoire, donc avec un champ d’application de l’obligation beaucoup plus large que celui prévu en France par la loi Pacte. S’agissant des jetons de monnaie électronique, l’émetteur devrait être agréé en tant qu’établissement de crédit ou qu’émetteur de monnaie électronique, serait soumis à l’obligation de rembourser les utilisateurs à la valeur nominale à tout moment, pourrait faire référence à une monnaie légale autre que l’euro et devrait investir les fonds reçus dans la monnaie de référence. De plus, un régime spécifique, avec des obligations complémentaires et l’intervention d’un échelon européen de supervision, s’appliquerait aux jetons de monnaie électronique considérés comme significatifs. Bien que ces dispositions aillent, dans l’ensemble, dans le bon sens, celui d’une sécurisation de l’environnement juridique, elles soulèvent un certain nombre de questions. Pour certaines d’entre elles, il est prévu de répondre dans la réglementation dérivée. Mais pourquoi ne pas laisser les émetteurs de stablecoins mono-références choisir aussi le statut de fonds mutuel ? Que veut dire « remboursement à la valeur nominale » ?
La détention de cryptoactifs en France et dans le monde
D’après crypto.com, il y avait, à la fin de 2021, 295 millions d’utilisateurs de cryptoactifs dans le monde, soit trois fois plus qu’en début d’année. La plate-forme d’échanges et de services de cryptoactifs Coinbase, introduite en Bourse en avril 2021, a vite dépassé en capitalisation toutes les banques européennes et, en septembre 2021, le Salvador donnait cours légal à Bitcoin (voir « Bitcoin comme monnaie légale : le cas du Salvador », p. 41). Selon une enquête réalisée en décembre 2021*, 77% des Français avaient déjà entendu parler des cryptoactifs ou des NFT et 14% avaient entendu parler des deux. En parallèle, les personnes interrogées répondaient avoir entendu parler de MNBC, de finance décentralisée et de stablecoins avec des taux de réponse respestifs de 24, 21 et 19%. Par ailleurs, 8% des Français avaient déjà investi dans des cryptoactifs, dont près de la moitié en bitcoins et 29% en Ether, avec une surreprésentation des hommes (60%) et des jeunes (46% de moins de 35 ans), ainsi qu’une forte concentration de leur épargne sur les cryptoactifs (16% déclaraient avoir entre un quart et la moitié et 7% plus de la moitié de leur épargne investie en cryptoactifs). Les deux principales motivations pour ceux qui décidaient d’investir en cryptoactifs étaient la recherche d’un rendement élevé (citée par 60% des personnes interrogées) et la réalisation d’un placement de long terme (38%). L’absence de confiance dans les banques n’était mentionnée que par 12% des sondés, reflétant l’assez bonne image de celles-ci auprès du public, en quatrième position, et le choix idéologique (voir volume 2) par seulement 7% en sixième position. Enfin, une proportion très faible (2%) des répondants indiquait détenir des cryptoactifs à des fins de transfert à l’étranger, ce qui tend à confirmer leur faible usage dans ce but. Ces résultats, notamment la détention de cryptoactifs à des fins d’épargne plutôt que de transaction, sont confirmés par d’autres enquêtes menées à l’étranger. Ainsi, les enquêtes menées annuellement depuis 2016 par la Banque du Canada font ressortir un taux de connaissance des cryptoactifs dans la population canadienne élevé (90%) et un taux de détention faible (5%). Deux résultats intéressants sont aussi apportés par l’exploitation la plus récente de l’enquête** : ces taux sont stables entre 2016 et 2020, et la population détentrice, dont la composition est proche de celle constatée en France (jeune et masculine), possède un niveau d’éducation financière inférieur à celui de la population non détentrice. Selon l’enquête de décembre 2021, 43% des Français interrogés pensaient que cryptoactifs et monnaies légales allaient à l’avenir coexister et que les premiers seraient aussi utilisés comme moyens de paiement ; 19% estimaient même possible que les premiers remplacent les deuxièmes. À l’inverse, 25% étaient d’avis que les cryptoactifs allaient disparaître, en raison d’une adoption encore trop marginale. Enfin, les répondants pensaient pour 47% d’entre eux que les banques viendraient à proposer des services associés aux cryptoactifs***. |
Cette dernière peut-elle être différente du pair ? Les émetteurs de stablecoins pourraient-ils rémunérer les détenteurs puisque les banques peuvent rémunérer les dépôts et les fonds mutuels les détenteurs de part ? Quels seront les seuils qui détermineront le caractère « significatif » d’une émission de jetons de monnaie électronique ? Pour sa part, le régime pilote prévoit, pour une durée de trois ans suivant sa mise en application, reconductible trois années supplémentaires, un statut de « bac à sable » (sandbox) pour les activités financières utilisant la DLT : en dessous de certains seuils, variables selon l’activité et l’instrument financier (fourniture d’une infrastructure de marché, actions, obligations et fonds), les acteurs seraient exemptés de certaines obligations notamment celle, pour des titres cotés, de dépôt auprès d’un conservateur. Enfin, prenant acte de la dépendance croissante du secteur financier vis-à-vis des technologies de l’information et de la communication (TIC) ainsi que de l’interdépendance au sein du secteur financier, Dora concerne l’ensemble des agents financiers et prévoit qu’ils devront mettre en place un programme de tests de résilience opérationnelle numérique solide et complet, comprenant des outils, des systèmes et des méthodologies de test.
Des alternatives publiques à la production privée : les monnaies numériques de banque centrale (MNBC)
Voir Christian Pfister, « La monnaie digitale de banque centrale », Banque de France, 8 janvier 2020, ainsi que, du même auteur, « Monnaie digitale de banque centrale : une, deux ou aucune ? », Revue d’économie financière, n° 135, p. 115-129, 3e trimestre 2019. Le terme « monnaie numérique » a depuis supplanté celui de « monnaie digitale » alors utilisé.
Ce point de vue est notamment celui de Fabio Panetta, « The ECB’s case for central bank digital
currencies », ecb.europa.eu, 19 novembre 2021.
Dans la zone euro, le système TIPS offre déjà l’exemple d’un précédent où, dans le domaine des paiements, une offre publique a tenté de soutenir une offre privée insuffisamment dynamique, d’ailleurs sans grand succès jusqu’à présent (voir supra). Toutefois, TIPS fonctionne en monnaie centrale dématérialisée et seules les banques ont à ce jour accès à cette dernière (l’infrastructure fournie par l’Eurosystème n’empêche pas le payeur et le bénéficiaire d’effectuer leur transaction en monnaie bancaire). Il pourrait en aller différemment en cas d’émission d’une MNBC.
La MNBC peut se définir comme un élément de la base monétaire (ou monnaie centrale) qui s’échange au pair contre la monnaie fiduciaire et les réserves, que la banque centrale peut seule créer ou détruire, qui est accessible 24 heures sur 24 tous les jours de l’année et qui circule sur une infrastructure numérique différente de celle actuellement utilisée par la monnaie centrale pour un public donné28. Comme pour les stablecoins, il est utile de distinguer s’il s’agit d’une MNBC de gros, accessible aux seules institutions financières ou à certains types d’opérateurs dûment accrédités, ou d’une MNBC de détail, destinée au public mais que les institutions financières pourraient également détenir. Les deux types d’émission étant dissociables, il peut y avoir une ou deux formes de MNBC, voire aucune si la possibilité d’émission de MNBC est écartée. En effet, les motifs, les modalités et les conséquences potentielles de l’émission d’une MNBC varient d’une forme à l’autre.
Les motifs sont discutés ci-après, les modalités et les conséquences, qui relèvent davantage du moyen terme puisqu’il n’existe encore que très peu de MNBC, dont aucune de gros ou émise dans une économie développée, pour l’essentiel notre second volume. À ce stade, il faut toutefois noter qu’une MNBC de détail fournit un substitut à la monnaie fiduciaire mais aussi aux dépôts, puisqu’elle peut aussi bien que ces deux derniers être utilisée dans les transactions ou comme support d’épargne. Or si la substitution à la monnaie fiduciaire est interne au bilan de la banque centrale, n’en changeant pas le montant et laissant le bilan des banques inchangé, il n’en va pas de même pour la substitution aux dépôts. Cette dernière conduit à la perte d’une ressource pour les banques (« désintermédiation ») au profit de la banque centrale (il n’en résulte pas forcément un accroissement du bilan de la banque centrale ou une diminution de celui des banques, voir volume 2).
Parmi les motifs d’émission de MNBC, quel que soit son type, il s’agit toujours de fournir un instrument de paiement ne comportant ni risque de crédit (la banque centrale ne peut pas faire défaut), ni risque de liquidité (elle peut toujours fournir davantage de sa monnaie s’il existe une demande pour elle).
En ce qui concerne la MNBC de gros, son émission est parfois considérée comme inutile dans la mesure où, avec les réserves, la banque centrale fournirait déjà un instrument pour le règlement de transactions entre banques en monnaie centrale29. Or la MNBC est précisément un instrument qui circule sur une infrastructure numérique différente de celle actuellement utilisée par la monnaie centrale et les réserves ne peuvent pas être mises sur la blockchain : de nos jours, on n’a pas de cash on the ledger. À l’inverse, une MNBC de gros permettrait aux institutions financières de réaliser de bout en bout sur la blockchain des transactions en actifs représentés sous forme de tokens, y compris le règlement, sans avoir recours à des stablecoins qui présentent des risques résiduels. En conséquence, le recours à la blockchain deviendrait plus attrayant pour les institutions financières et plus sûr pour le système dans son ensemble car l’usage de la monnaie centrale renforce la stabilité financière. Un motif d’émission d’une MNBC de gros pourrait donc être la promotion de l’innovation financière et l’abaissement des coûts de transaction par l’usage de la blockchain. L’émission d’une MNBC de gros pourrait aussi améliorer la « contestabilité » du marché des services financiers en favorisant la concurrence par l’entrée d’un nouveau prestataire, permettant aux utilisateurs de services financiers de bénéficier plus rapidement des gains d’efficacité suscités par cette technologie.
En ce qui concerne la MNBC de détail, il s’agirait d’adapter la fourniture d’argent liquide au contexte technologique de la numérisation, permettant aux banques centrales de conserver un lien avec le public là où, comme en Suède, la demande de monnaie fiduciaire diminue fortement. La banque centrale suédoise étudie d’ailleurs depuis 2016 le projet d’émettre de la MNBC de détail, sous la dénomination d’e-krona. Toutefois, il n’est pas sûr qu’il existe une demande du public dans ce sens, l’essentiel pour lui étant d’avoir accès au progrès technologique. Il est vrai que cet accès n’est pas toujours assuré mais, là où notamment les utilisateurs de services de paiement sont frustrés des avantages du temps réel, il est possible de s’inspirer des expériences réussies ailleurs. L’émission d’une MNBC de détail pourrait aussi contribuer à la réduction des coûts sociaux des services de paiement de détail. Ces coûts ont été évalués à près de 1 % du PIB dans la zone euro, dont la moitié au titre des paiements en liquide, que ce soit au niveau de la banque centrale, des banques, des commerçants ou du public. Toutefois, la diminution de la part du liquide dans les échanges montre que cette réduction de coûts a déjà spontanément lieu. Dans les économies émergentes et en développement, la MNBC de détail peut aussi servir un objectif d’inclusion financière. Cependant, l’expérience montre, avec des exemples aussi différents que M-Pesa au Kenya ou Pix au Brésil, que d’autres moyens sont disponibles à cette fin. Finalement, c’est dans le secteur identifié plus haut comme celui le plus à la traîne, les paiements transfrontières, particulièrement pour les envois de fonds, que les MNBC pourraient le plus apporter, sans pour autant que cela implique l’émission d’une MNBC de détail. Enfin, des raisons fiscales peuvent motiver l’émission d’une MNBC de détail, particulièrement là où l’usage de la monnaie fiduciaire reste très répandu, c’est-à-dire ici encore dans les économies émergentes ou en développement.
Glossaire
Source : Comité sur les systèmes de paiement et de règlement-Comité technique de l’Organisation internationale des commissions de valeurs, «Principes pour les infrastructures de marchés financiers», Banque des règlements internationaux-OICV-IOSCO, avril 2012 et France Payments Forum, «Naissance du 1er glossaire des cryptopaiements», francepaymentsforum.eu, s.d. |
Actif numérique / Virtual asset. Un actif numérique peut être dématérialisé, électronique ou numérique au sens étroit. Un actif dématérialisé est conçu pour être stocké et échangé manuellement, puis transposé en une donnée électronique. Un actif électronique est conçu dès l’origine sous forme électronique pour être stocké et échangé sous cette forme. Un actif numérique au sens étroit est un actif électronique dont l’émission et le transfert sont généralement contrôlés par la technologie de registre distribué. Dans cette note, les termes «actif numérique» (au sens étroit) et «cryptoactif» sont confondus.
Algorithme de consensus / Consensus algorithm. Mécanisme par lequel les nœuds valideurs d’un registre distribué entérinent un nouveau bloc d’opérations.
Altcoin / Altcoin. Cryptoactif différent de bitcoin. Dans cette note, le terme est compris comme excluant aussi les stablecoins.
Bitcoin / Bitcoin. De l’anglais coin (monnaie) et bit (unité), le terme bitcoin désigne à la fois un système de transfert d’un cryptoactif (on l’écrit alors avec une majuscule et sans article) et une unité de compte (on l’écrit alors sans majuscule et il peut prendre le pluriel). Bitcoin est un système de transfert d’un cryptoactif, le bitcoin reposant sur une blockchain publique.
Chaîne de blocs / Blockchain. Une chaîne de blocs est une des formes de la technologie de registre distribué qui permet le stockage et l’échange de cryptoactifs par un système distribué sans un tiers de confiance central.
Chaîne de blocs latérale ou adjacente / Sidechain. Une chaîne de blocs latérale est une méthode de séparation des blockchains en deux groupes, l’un primaire, l’autre secondaire, permettant à un utilisateur de transférer des actifs numériques dans un premier groupe avec des services spécifiques et séparés mais reliés au second pour des services supplémentaires.
Chaîne de blocs permissionnée / Permissioned blockchain. Chaîne de blocs privée avec participation et accès réglementés, et réservés aux participants autorisés.
Chaîne de blocs privée / Private blockchain. Blockchain dans laquelle tous les nœuds appartiennent à une entité ou à un groupe d’entités (consortium) qui contrôle accès, écriture et consensus.
Chaîne de blocs publique / Public blockchain. Blockchain totalement distribuée, à accès non réglementé (permissionless) et dans laquelle tous les nœuds possèdent le même rôle sans aucun nœud dominant.
Compensation / Clearing. Processus de transmission, de vérification et, dans certains cas, de confirmation des opérations préalables au règlement, pouvant comporter le calcul des positions nettes et la détermination des positions définitives en vue du règlement.
Compensation / Netting. Fait de ramener à un solde unique les obligations entre participants au dispositif de compensation, réduisant ainsi le nombre et le montant des paiements ou livraisons nécessaires pour régler un ensemble de transactions.
Compte collectif / Omnibus account. Compte unique rassemblant des titres ou sûretés appartenant en totalité ou en partie aux clients d’un participant donné, distinct du compte de ce dernier.
Confirmation / Confirmation. Processus visant à vérifier les conditions d’une transaction soit par les participants directement concernés, soit par une entité centrale.
Conservateur / Custodian. Agent (établissement bancaire, en général) qui garde et administre des titres pour le compte de sa clientèle.
Contrat intelligent / Smart contract. Également dit «contrat programmable» ou «contrat auto-exécutant», il s’agit d’un programme informatique autonome s’appuyant sur la technologie de registre distribué (DLT) pour exécuter les termes d’un contrat, sans avoir nécessairement recours à une autorité centrale pour être déclenché.
Contrepartie / Counterparty. Partie à une transaction.
Contrepartie centrale / Central counterparty. Entité qui s’interpose entre les contreparties à des contrats négociés sur un ou plusieurs marchés financiers, devenant l’acheteur vis-à-vis de tout vendeur et le vendeur vis-à-vis de tout acheteur, et assurant ainsi la réalisation de positions ouvertes.
Cours légal / Legal tender. Privilège accordé par la loi à un moyen de paiement. Il s’applique couramment uniquement à la monnaie fiduciaire (pièces et billets).
Cryptoactif / Cryptoasset. Actif immatériel dont le principal de la structure ou de la composition est porté par la technologie de registre distribué.
Cryptoactif stable / Stablecoin. Cryptoactif visant à maintenir la parité avec un autre actif de référence, le plus souvent une monnaie légale, parfois une quantité donnée d’un métal précieux.
Cryptographie / Cryptography. Technique s’attachant à protéger des messages et assurant cinq fonctions : identification, authentification, intégrité, confidentialité et non-répudiation.
Décote / Haircut. Mesure de contrôle des risques appliquée aux actifs sous-jacents aux termes de laquelle la valeur des actifs sous-jacents correspond à la valeur de marché des actifs diminuée d’un certain pourcentage («décote»). Les décotes sont appliquées par le détenteur d’une sûreté afin de se protéger au cas où elle devrait liquider cette sûreté.
Défaut / Default. Événement stipulé dans un contrat comme constituant un défaut. Généralement, les cas de défaut ont trait à l’incapacité d’exécuter un transfert de fonds ou de titres suivant les conditions et règles du système en question.
Dématérialisation / Dematerialisation. Élimination du support physique ou du document représentatif d’un droit de propriété sur des actifs, ceux-ci n’existant plus alors que sous forme d’écritures comptables.
Dépositaire central de titres / Central securities depository. Entité qui tient des comptes de titres, fournit des services centralisés de garde et des services de gestion d’actifs pouvant inclure l’administration d’opérations sur titres et de rachats.
Dérivé / Derivative. Contrat financier dont la valeur est fonction de celle d’un ou de plusieurs actifs, taux ou indices sous-jacents de référence, d’une mesure de la valeur économique ou d’événements factuels.
Double dépense / Double spending. Acte frauduleux où le même cryptoactif ou jeton est dépensé plus d’une fois.
Évaluation aux prix de marché / Mark to market. Pratique de réévaluation des titres et des instruments financiers sur la base des prix courants de marché.
Finance décentralisée / Decentralized finance (DeFi). Notion faisant référence aux applications financières traditionnelles comme les prêts, utilisant la blockchain et les cryptoactifs et incluant aussi certains services, comme la tenue de marché automatisée (automated market making), dont l’équivalent strict n’existe pas dans la finance traditionnelle.
Fongibilité / Fungibility. Caractère interchangeable d’actifs.
Fork / Fork. De l’anglais fork, qui signifie embranchement ou fourche. Dans le cas d’une blockchain, il s’agit de la divergence du registre en deux versions qui continuent à avancer séparément. Un fork a pour but de faire évoluer ou réparer la blockchain dans une nouvelle copie ou bien de lancer une nouvelle blockchain avec de nouveaux services se basant sur l’état de la première. Un hardfork ne garde pas de compatibilité avec la version antérieure, alors qu’un softfork la garde.
Gouvernance / Governance. Ensemble des mesures qui visent à assurer le bon fonctionnement d’une institution.
Infrastructure de marché financier / Financial market infrastructure. Système multilatéral entre établissements participants, y compris l’opérateur du système, utilisé aux fins de l’échange, du règlement ou de l’enregistrement de paiements, titres, dérivés ou autres transactions financières.
Jeton financier / Security token. Cryptoactif émis lors d’une ICO représentant une valeur et pouvant donner accès à une rémunération sous forme pécuniaire.
Jeton utilitaire / Utility token. Cryptoactif émis lors d’une ICO donnant accès à un droit d’usage sous forme de services financés par le projet.
Levée de fonds par émission de jetons / Initial coin offering (ICO). Mécanisme permettant le financement de projet se basant sur la blockchain par l’émission de cryptoactifs pendant la phase de démarrage. Deux types de cryptoactifs (également appelés tokens ou jetons) peuvent être émis : utility
tokens et security tokens.
Livraison contre livraison / Delivery versus delivery. Mécanisme de règlement de titres qui lie deux transferts de titres de façon à garantir que la livraison d’un titre intervienne si et seulement si la livraison correspondante de l’autre titre a lieu.
Livraison contre paiement / Delivery versus payment. Mécanisme de règlement de titres qui lie un transfert de titres et un transfert de fonds de façon à garantir que la livraison intervienne si et seulement si le paiement correspondant a lieu.
Mécanisme de validation / Consensus mechanism. Appelé aussi «mécanisme de consensus», il s’agit du mécanisme par lequel tous les nœuds valideurs d’un registre distribué entérinent un nouveau bloc d’opérations. Différents mécanismes existent (voir aussi «Preuve de travail / Proof of work (PoW)» et «Preuve d’enjeu / Proof of stake (PoS)»).
Minage / Mining. Étape du mécanisme de validation de type preuve de travail (PoW) qui récompense le nœud valideur ayant réussi à confirmer la validité d’un bloc de transaction sur une blockchain.
Monnaie / Currency. Actif, matériel ou immatériel ayant trois fonctions : unité de compte, moyen d’échange et réserve de valeur.
Monnaie de banque centrale / Central bank money. Passif d’une banque centrale, prenant ici la forme de l’inscription d’une somme sur un compte courant ouvert à la banque centrale, qui peut être utilisé à des fins de règlement.
Monnaie de banque commerciale / Commercial bank money. Passif d’une banque commerciale, sous la forme de l’inscription d’une somme sur un compte courant ouvert à la banque commerciale, pouvant être utilisée à des fins de règlement.
Monnaie électronique / Electronic money. Valeur monétaire stockée sous une forme électronique représentant une créance sur l’émetteur, émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de monnaie électronique.
Monnaie fiduciaire / Cash. Historiquement, moyen de paiement fondé sur la confiance que son émetteur pourra l’échanger contre du métal, d’où le terme «espèces» encore utilisé pour le désigner. De nos jours, il s’agit des billets et des pièces émis par des autorités publiques (banques centrales ou Trésors nationaux) et bénéficiant du cours légal.
Monnaie légale / Fiat money. Monnaie définie par la loi. Ainsi, selon le Code monétaire et financier, la monnaie de la France est l’euro. Au Royaume-Uni, en Angleterre, un fiat est un décret signé par le souverain.
Monnaie numérique de banque centrale (MNBC) / Central bank digital currency (CBDC). Monnaie numérique émise par la banque centrale. Elle peut prendre la forme d’une MDBC de détail (retail CBDC ou general purpose CBDC), accessible au public, ou d’une MNBC de gros réservée aux échanges de gros montants entre professionnels (wholesale CBDC).
Moyen de paiement / Payment instrument. Tout instrument permettant de transférer des fonds entre un débiteur et un créancier.
Paiement / Payment. Extinction d’une créance.
Paiement contre paiement / Payment versus payment. Mécanisme de règlement permettant de s’assurer que le transfert définitif d’un paiement dans une devise intervient si et seulement si le transfert définitif d’un paiement dans une autre devise a lieu.
Portefeuille électronique / E-wallet. Dispositif permettant de stocker d’une façon digitale des moyens de paiement électroniques, en utilisant par exemple des cartes de paiement ou un smartphone.
Prestataire de services sur actifs numériques / Digital/virtual asset services provider. Selon la loi Pacte, entreprise pouvant bénéficier d’un enregistrement de l’Autorité des marchés financiers (AMF), utilisant la blockchain pour la conservation de cryptoactifs et offrant certains services aux utilisateurs.
Preuve d’enjeu / Proof of stake (PoS). Mécanisme de consensus se basant sur la mise en séquestre de cryptoactifs par les nœuds valideurs d’une blockchain publique.
Preuve de travail / Proof of work (PoW). Mécanisme de consensus faisant appel à des mineurs (voir «Minage / Mining») pour vérifier les données entrantes sur le registre, valider l’authenticité des transactions et créer de nouveaux blocs. La preuve de travail consiste à demander aux mineurs de résoudre un problème mathématique nécessitant une puissance de calcul informatique importante. Le premier à résoudre ce problème est également le prochain à créer un bloc sur la blockchain.
Rapprochement / Reconciliation. Procédure visant à vérifier que deux ensembles d’écritures émis par deux entités différentes concordent.
Référentiel central / Trade repository. Entité qui tient une base de données électronique centralisée où sont enregistrées les transactions.
Registre distribué / Distributed ledger. Registre électronique nativement privé, simultanément consulté, enregistré et synchronisé par des acteurs autorisés et qui évolue par l’addition chronologique de nouvelles informations préalablement validées par la totalité des acteurs. Ces informations sont immuables.
Règlement brut en temps réel / Real-time gross settlement (RTGS). Règlement immédiat des paiements, opération par opération. En français, le sigle RTGS désigne également les systèmes fonctionnant selon ce mode opératoire.
Règlement définitif / Final settlement. Transfert irrévocable et inconditionnel d’un actif ou instrument financier ou extinction d’une obligation par le Fonds monétaire international (FMI) ou ses participants conformément aux dispositions du contrat sous-jacent. Le règlement définitif correspond à un moment défini juridiquement.
Règlement net différé / Deferred net settlement. Mécanisme de règlement net qui effectue le règlement d’obligations sur une base nette à la fin d’un cycle de règlement prédéfini.
Règlement par lot / Batch settlement. Règlement de groupes de paiements, d’instructions de transfert ou autres obligations le jour de traitement, à un ou plusieurs moments distincts, souvent fixés à l’avance.
Responsable de registre de titres / Securities registrar. Entité qui tient des registres de titres exacts, actuels et complets pour le compte des émetteurs.
Risque de crédit / Credit risk. Risque qu’une contrepartie, participant ou autre entité, ne soit pas en mesure de s’acquitter intégralement de ses obligations financières à la date d’échéance ou ultérieurement.
Risque de liquidité / Liquidity risk. Risque qu’une contrepartie, participant ou autre entité, ne dispose pas de fonds suffisants pour s’acquitter de ses obligations financières en temps voulu, même si elle peut être en mesure de le faire ultérieurement.
Risque de règlement / Settlement risk. Terme générique qui désigne le risque, dans un système de transfert de fonds ou de titres, que le règlement ne s’effectue pas comme prévu. Ce risque peut englober à la fois le risque de crédit et le risque de liquidité.
Risque moral / Moral hazard. Risque lié au fait que le «principal» (par exemple, le régulateur) ne peut pas observer les efforts réalisés par l’«agent» (par exemple, l’agent régulé). Il en résulte que l’agent peut utiliser à son bénéfice un dispositif destiné à protéger la société contre une action non conforme aux intérêts de celle-ci.
Risque opérationnel / Operational risk. Risque que des dysfonctionnements des systèmes d’information ou de processus internes, des erreurs humaines ou de gestion ou des perturbations découlant d’événements extérieurs aboutissent à la réduction, à la détérioration ou à l’interruption des
services fournis par une infrastructure de marché financier. Les risques de cybersécurité sont une des dimensions du risque opérationnel.
Risque systémique / Systemic risk. Risque que l’incapacité d’un ou plusieurs participants à respecter ses engagements entraîne l’impossibilité, pour d’autres participants, à s’acquitter de leurs obligations à échéance.
Ruée / Run. Demande de conversion massive d’actifs intermédiés, comme les dépôts bancaires, en monnaie centrale. De nos jours, les ruées se produisent sur le marché interbancaire, très rarement aux guichets des banques.
Sûreté / Collateral. Actif ou engagement d’un tiers remis en garantie de l’exécution d’une obligation. On parle aussi de garanties.
Système de paiement / Payment system. Ensemble d’instruments, de procédures et de règles afférents au transfert de fonds entre participants. Le système inclut les participants et l’entité opérationnelle. Un système de paiement de faible montant gère le plus souvent un important volume de paiements de valeur relativement faible sous forme de chèques, virements, prélèvements automatiques et cartes de paiement, tandis qu’un système de paiement de montant élevé gère généralement des paiements hautement prioritaires de gros montant.
Système de règlement de titres / Securities settlement system. Entité qui permet de transférer et de régler des titres par passation d’écritures comptables selon un ensemble de règles multilatérales prédéfinies. Un tel système permet les transferts de titres franco de paiement ou contre paiement.
Technologie de registre distribué / Distributed ledger technology (DLT). Technologie permettant de créer et d’utiliser, à l’aide de smart contracts, un registre distribué grâce à un réseau d’ordinateurs qui synchronisent, opèrent et sécurisent des blocs de transactions ajoutés par les nœuds valideurs grâce à un mécanisme de validation.
Traçabilité / Taceability. Dans le contexte des paiements, caractéristique d’un dispositif qui permet d’établir une piste d’audit pour conserver chacune des étapes d’un paiement.
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