Autriche : Virage à droite
Solidité de la poussée populiste en autriche
Les antécédents électoraux : les élections au Conseil national de 2013 et la présidentielle de 2016.
Premier coup de force de Kurz : convocation d’élections législatives anticipées
Entre optimisme individuel et angoisse collective sur l’avenir
Cartographie des partis politiques
Les partis traditionnels.
Les outsiders.
Analyse des résultats des élections législatives autrichiennes
Rupture entre villes et campagnes.
Les transferts électoraux.
Sociographie des électeurs.
Droite conservatrice et extrême droite aux marches du pouvoir
Vers le retour d’une coalition droite et extrême droite.
L’Autriche, future alliée de Visegrád ?
Conclusion
Résumé
Les élections législatives du 15 octobre 2017 apparaissent comme un tournant majeur dans l’histoire du système politique autrichien. Sebastian Kurz est appelé à devenir le plus jeune dirigeant au monde à la suite de la victoire de son parti, la Liste Kurz, avec 31,5% des voix. L’annonce par le dirigeant conservateur et le FPÖ de l’ouverture de négociations pour la formation d’une coalition de gouvernement signifie un retour possible de l’extrême droite à la cogestion du pouvoir, une première depuis dix-sept ans. Les sociaux- démocrates du chancelier sortant, Christian Kern, sont arrivés en deuxième position avec 26,9% des voix et l’extrême droite du FPÖ troisième avec 25,9%. Cette dernière, qui souhaitait devenir la seconde force politique du pays, a certes connu une désillusion relative, mais compensée par l’annonce des négociations pour participer au prochain gouvernement.
En quelques mois seulement, Sebastian Kurz, surnommé Wunderwuzzi («l’enfant prodige»), a donc pris la tête d’un parti à bout de souffle, l’ÖVP, a repeint sa façade – exit le noir, ancienne couleur du parti, remplacé par du bleu turquoise – et lui a donné un nouveau nom. Il a également été à l’initiative des élections législatives anticipées avant de les remporter.
La présente note a pour objectif d’analyser les résultats de l’élection au Conseil national du 15 octobre 2017, tout en s’interrogeant sur les raisons ayant abouti à cette redistribution des cartes dans le paysage politique autrichien.
Patrick Moreau,
Docteur en histoire et docteur d’État en sciences politiques (FNSP), chercheur au CNRS au laboratoire Dynamiques Européennes de l’Université de Strasbourg.
Solidité de la poussée populiste en autriche
Les antécédents électoraux : les élections au Conseil national de 2013 et la présidentielle de 2016.
Armel Le Divellec, « Le parlementarisme en Enseignements pour une approche renouvelée du régime parlementaire », Revue du droit public, n° 1, 1998, p. 168.
Voir Patrick Moreau, L’Autriche des populistes, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2016
Historiquement, le système politique autrichien se base sur une culture politique de consensus. Ce «parlementarisme de compromis1», apparu en 1947, résulte de la prise de conscience collective de la part des partis politiques d’être à l’origine de l’échec de la Première république et de la mémoire commune des souffrances sous la période nazie et l’occupation du territoire par les Alliés. Cette forme de vie politique très originale déboucha sur la naissance d’une grande coalition qui, pendant des décennies, a dominé la scène politique autrichienne, avec le Parti populaire (Österreichische Volkspartei, ÖVP), héritier du Parti chrétien-social, et le Parti social-démocrate (Sozialdemokratische Partei Österreichs, SPÖ), successeur du Parti ouvrier social-démocrate.
Néanmoins, cette polarisation politique, basée essentiellement sur les clivages de la religion et des classes sociales, s’est progressivement essoufflée : le SPÖ et l’ÖVP rassemblaient presque 94% des suffrages en 1975, 66,4% en 1995 et 50,8% en 2013. La coalition de 2013-2017, dirigée par les chanceliers SPÖ Werner Fayman puis Christian Kern dans un second temps, a rapidement perdu de son crédit au sein de l’opinion publique. Si le bilan reste globalement positif sur le plan économique, cette coalition a souffert d’une image d’immobilisme, voire de confusions et de tensions à la suite de la crise des réfugiés débutée en 2015.
Cette crise du système politique autrichien s’est confirmée le 24 avril 2016, lors du premier tour de l’élection présidentielle, où les candidats du FPÖ (Norbert Hofer) et des Verts (Alexander Van der Bellen) ont relégué le Parti social- démocrate et le Parti populaire respectivement aux quatrième et cinquième places (voir tableau 1)2. Une première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Tableau 1 : Les résultats du 1er tour de l’élection présidentielle de 2016.
Source :
wahl16.bmi.gv.at/1604-0.html
Mais, à la suite d’un recours déposé par le parti populiste, le second tour du scrutin entre Norbert Hofer et Alexander Van der Bellen est annulé par la Cour constitutionnelle en raison d’une série de négligences et d’irrégularités lors du dépouillement. Le nouveau second tour, organisé le 4 décembre 2016, voit finalement la victoire du candidat des Verts, néanmoins le FPÖ sort de cette élection conforté, puisqu’il se retrouve potentiellement premier parti politique d’Autriche avec les quelque 35% de voix de son candidat au premier tour.
Premier coup de force de Kurz : convocation d’élections législatives anticipées
Voir « L’Autriche convoque des législatives anticipées le 15 octobre », france24.com, 16 mai 2017
La nature du régime de la République d’Autriche est parlementaire, avec un parlement bicaméral : d’un côté, le Nationalrat, la Chambre basse, qui regroupe 183 députés élus pour cinq ans ; de l’autre, le Bundesrat, la Chambre haute, qui rassemble les 64 représentants des neuf Länder du pays, compétents pour l’aménagement du territoire, la préservation de l’environnement, les transports, etc… Le 16 mai 2017, les différents partis politiques autrichiens ont annoncé s’être entendus pour fixer au 15 octobre 2017 la date de législatives anticipées, réclamées par Sebastian Kurz, nouveau dirigeant du parti conservateur ÖVP. Souhaitant mettre fin à dix ans de «grande coalition» (große Koalition) avec les sociaux-démocrates, Kurz estimait que «les grandes décisions sur la direction que doit prendre ce pays doivent être confiées aux électeurs3».
Ces élections anticipées ont donc permis d’élire les députés du Nationalrat et, in fine, Sebastian Kurz comme nouveau chancelier autrichien, ce dernier étant traditionnellement nommé par le président fédéral en fonction de la composition de la Chambre basse du Parlement.
Entre optimisme individuel et angoisse collective sur l’avenir
Voir Institut für Hörere Studien, Prognose der österreichischen Wirtschaft 2017-2018, 28 juin 2017
« Umfrage: Zwei Drittel beurteilen ihre wirtschaftliche Situation als gut », profil.at, 1er juin 2017
a) Une économie prospère.
En 2017, l’Autriche est un pays économiquement prospère et ne connaît qu’un chômage limité comme le montrent les statistiques de l’emploi. Le taux de chômage est aujourd’hui de 8,6% et s’expliquent notamment en raison de l’industrie extrêmement performante du pays, du dynamisme de ses PME, fortement orientées vers l’exportation, ou encore de son système reconnu de formation et d’apprentissage. Enfin, l’innovation et la compétitivité sont placées au cœur de sa stratégie économique. De même, les perspectives de croissance pour 2018 sont très positives4.
Ces indicateurs économiques positifs se traduisent par un fort optimisme individuel au sein de l’opinion publique : 64% des Autrichiens estiment comme «bonne» leur situation économique personnelle et 8% seulement la perçoivent comme «mauvaise5». En conséquence, l’économie et le chômage n’ont joué qu’un rôle secondaire pour les dernières élections. Le fort pessimisme sur l’avenir de l’Autriche au sein de l’opinion publique s’explique plutôt par l’insatisfaction à l’égard d’une République perçue comme bloquée et par la peur de l’immigration.
b) Peur de l’immigration : captation du débat public.
Les électeurs sont remarquablement critiques sur l’évolution du pays : 17% seulement la jugent positive, 45% négative et 37% ne voient pas de changement. Les abstentionnistes sont encore plus sceptiques que les votants. Ce qui surprend particulièrement est l’intensité des critiques des électeurs ÖVP et FPÖ, qui signalent par leur choix une volonté de changer les choses (voir tableau 2).
Tableau 2 : Les choix électoraux en 2017 en fonction de l’appréciation de l’évolution du pays ces quatre dernières années.
Source :
SORA exit poll, 2017 pour l’ORF.
Pour les statistiques, voir « Bevölkerung 2001-2017 nach Staatsangehörigkeit und Geburtsland », statistik.at, 2017
Dominique Reynié (dir.), Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique, Plon,
Ibid, p. 223
Un des facteurs essentiels pour comprendre cette perception négative est liée à l’immigration. Cette dernière a toujours été importante en Autriche, mais plus contrôlée à partir de 2015. Deux ans plus tard, le groupe d’immigrés le plus important est celui des Turcs (677.201) et des Africains (116.838)6. L’arrivée massive de réfugiés et de migrants en 2015 et 2016 a fait que le pourcentage des étrangers serait passé de 13,3% en 2015 à environ à 15,3% début 2017. Selon une récente enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique7, si les Autrichiens sont plus favorables (69%) au principe de l’accueil de réfugiés «qui fuient la misère et la guerre» que la moyenne européenne (64%), ils approuvent davantage que la moyenne des habitants de l’Union européenne les raisons de ne pas les accueillir, en raison du risque terroriste (61% contre 57% en moyenne), de l’augmentation de la délinquance (66% contre 60%) et des différences de valeurs (63,5% contre 53%).
Ces migrants, qui pour la plupart souhaitent rester en Autriche, ont placé le pays devant une situation inédite. Mal préparées, les institutions autrichiennes n’ont pas eu de stratégie claire jusqu’en 2016, si ce n’est que de faire partir un maximum des nouveaux venus vers l’Allemagne et le nord de l’Europe. Cette hostilité reflète les craintes de la population autrichienne, avec un grand nombre de salariés s’attendant à des répercussions négatives sur l’emploi et les bas salaires, une concurrence entre les travailleurs nationaux et les réfugiés, et une remise en cause des acquis sociaux. Ainsi, l’immigration préoccupe les deux tiers des Autrichiens (65%) et ses effets sont jugés négatifs par 62% d’entre eux8.
Le FPÖ, qui a fait du problème des réfugiés son cheval de bataille, nourrit avec efficacité ces craintes, ce qui a amené la grande coalition ÖVP-SPÖ à fermer les frontières, à y déployer l’armée à la frontière et à s’opposer à la politique Merkel du «Welcome». La crise migratoire de 2015 est donc perçue collectivement comme toujours en cours, la «menace» d’une «invasion» africaine venue d’Italie et passant par le col du Brenner hantant les Autrichiens. L’Autriche connaît également une montée de la défiance vis-à-vis des institutions politiques nationales et européennes, et des médias (voir tableau 3). La confiance des Autrichiens est notamment très faible envers les partis politiques, les Églises, le gouvernement et les grands acteurs économiques. L’image des partis s’est dégradée entre 2013 et 2017, surtout chez les électeurs FPÖ, mais aussi plus marginalement chez ceux du SPÖ et de l’ÖVP.
Tableau 3 : La confiance dans les institutions en Autriche (2013-2017)
Source :
GfK, Global Trust Report 2017.
C’est dans la préférence pour un gouvernement dirigé par un homme fort «qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections», exprimée par 41% des Autrichiens interrogés, que se manifeste une singularité, alors qu’en moyenne cette forme de gouvernement n’a la préférence que d’un tiers des Européens. De même, seulement 36% des Autrichiens affirment avoir confiance dans les médias9. Enfin, si l’euro est de plus en plus accepté, une partie des Autrichiens (28%) voient l’appartenance de leur pays à l’Union européenne comme «une mauvaise chose», soit 6 points de plus que la moyenne européenne10.
Néanmoins, ces différentes thématiques ont été peu abordées pendant la campagne, aussi bien par les partis politiques que par les médias, l’attention étant essentiellement focalisée sur la crise des migrants. Les thèmes asile- intégration (58%), prestations sociales (49%) et sécurité (40%) dominent nettement le débat dans l’ensemble de la population.
Cartographie des partis politiques
Il existe aujourd’hui en Autriche environ un millier de partis plus ou moins actifs (1.074 en juin 2016)11. Seize partis étaient candidats aux élections du mois d’octobre, au niveau national ou régional, représentant un record historique et un signal de la liquéfaction du système politique.
Les dernières élections législatives anticipées ont redistribué les cartes du système politique autrichien (voir tableau 4). Le succès de Sebastian Kurz, à la tête de la Liste Kurz, est incontestable, avec 31,5% des voix (+ 7,5% par rapport aux résultats de l’ÖVP en 2013). Le SPÖ du chancelier Kern (26,9% des suffrages, + 0,1%), termine deuxième et se maintient à son niveau de 2013, suivi par le FPÖ de Heinz-Christian Strache (26%, + 5,5%). Parmi les nouveautés politiques, l’effondrement des Grüne (3,8%, – 8,6%), victimes de la scission de la Liste Pilz, de leurs querelles internes et d’une campagne très terne. Les libéraux de Neos (5,3%, + 0,3%) se maintiennent à leur niveau de 2013, mais restent trop faibles pour être des alliés possibles de l’ÖVP dans un gouvernement conservateur-libéral. Enfin, la Liste Pilz remporte un succès limité (4,41%) et les divers reculent nettement (2,2%, – 9,1%).
Tableau 4 : Résultats des élections législatives du 15 octobre 2017.
Source :
Bundesinnenmisnisterium (BMI).
Les partis traditionnels.
Voir Peter Temel et Raffaela Lindorfer, « Kurz mit 98,7 Prozent zum Parteiobmann gewählt », kurier.at, 1er juillet 2017
Voir la page web de Sebastian Kurz : sebastian-kurz.at/splash
Voir Ida Metzger, « Ex-FPÖ-Justizminister Krüger spendet für Kurz 5000 Euro », kurier.at, 23 juillet 2017
Voir Reinhard Neebe, Weichenstellung für die Deutsche Weltmarktpolitik, Europa und Amerika in der Ära Ludwig Erhard. Böhlau, 2004.
Voir Robert Misik, Christian Kern. Ein politisches Porträt, Residenz Verlag, 2017, ainsi que la fiche de présentation
« Nach 30 Jahren: Ende für SPÖ-“Vranitzky-Doktrin” », krine.at, 13 juin 2017
Voir Katharina Mittelstaedt et Peter Mayr, « Wahlstrategen: Die Köpfe hinter den Kampagnen », derstandard.at, 23 juin 2017
Voir Katharina Mittelstaedt et Peter Mayr, « Wahlstrategen: Die Köpfe hinter den Kampagnen », derstandard.at, 23 juin 2017
Voir« Schrittfür Schrittdurchdie Dirty-Campaigning-Affäre », diepresse.com, 11 octobre 2017
Voir Patrick Moreau, De Jörg Haider à Heinz-Christian L’extrême droite autrichienne à l’assaut du pouvoir, Cerf, 2012.
L’Autriche des populistes, op. cit.
Karin Riss et Maria Sterkl, « Noch nie hatten die Deutschnationalen so viel Macht in der FPÖ », derstandard.at, 25 octobre 2017
Fondée en juillet 2017, la Liste Kurz, le nouveau parti populaire qui remplace l’ÖVP (Liste Sebastian Kurz-Die neue Volkspartei-ÖVP), a à sa tête une personnalité brillante, servie par sa jeunesse et son talent oratoire. Sans qu’ils se ressemblent politiquement, Sebastian Kurz n’est pas sans rappeler le Haider de 1980, celui qui a accédé à la tête du FPÖ, a transformé ce parti et en a fait une machine à gagner les élections, puis un parti de gouvernement en alliance avec l’ÖVP en 2000.
Le 1er juillet 2017, Kurz a été élu à la tête du parti par 98,7% des délégués ÖVP, au terme d’un discours particulièrement brillant12. Au lendemain de sa victoire, il a imposé à la direction nationale des femmes et des hommes qui lui sont fidèles. L’ÖVP continue à exister au niveau national et dans les Bundesländer. Pour le premier échelon, la majorité de ses anciens cadres nationaux dirigeants se sont ralliés ou ont été remplacés par des personnalités désignées par Kurz. En échange, dans les Bundesländer, Kurz n’a pas touché aux appareils régionaux et a proposé un deal : les «éléphants» régionaux (ministres-présidents et présidents de fédérations) pouvaient garder le contrôle sur leurs appareils régionaux mais, en échange, ils devaient le soutenir inconditionnellement. Au-delà de quelques rares résistances locales restées sans effets, Kurz a parfaitement réussi son pari.
Pour marquer sa différence, Sebastian Kurz a abandonné la couleur noire traditionnelle de l’ÖVP et fait le choix d’une nouvelle couleur turquoise. Son site Web est indépendant et n’évoque nullement l’ÖVP 13. L’un des signes les plus marquants est la liste des 100 candidats de la liste Kurz, qui ne comptait que peu de cadres ÖVP historiques (seulement 9 des 51 députés actuels de l’ÖVP) et laissait la place à 50% de femmes et 50% d’hommes (âge moyen : 49,5 ans), présentés comme des «experts», souvent sans passé politique ou venus d’autres partis comme le FPÖ ou le SPÖ.
Si l’on se penche sur les premiers candidats de la liste, on trouve en deuxième position Elisabeth Köstinger, secrétaire générale de l’ÖVP depuis mai 2017 ; en troisième, l’ancien président de la Cour des comptes et transfuge du FPÖ, Josef Moser ; en quatrième, une ancienne et populaire présentatrice de l’ORF, Gaby Schwarz ; en cinquième, le transfuge des Verts Efgani Dönmez ; en sixième, l’organisatrice du célèbre bal de l’Opéra, Maria Großbauer ; et, enfin, à la septième place, le mathématicien Rudolf Taschner. En clair, une majorité absolue de nouveaux venus jusqu’à la centième position. Bien que les contours politiques de la Liste Kurz restent encore diffus, il est aujourd’hui évident que cette mutation organisationnelle attire toute une frange de personnalités politiques en rupture avec leurs partis, en particulier du FPÖ de la période Haider-BZÖ, mais aussi des Verts14.
Sur le plan politique, Kurz est un néoconservateur, un «conservateur du point de vue des valeurs» (Wertkonservativ), attaché au patriotisme culturel (Heimat) et à la nation autrichienne, aux valeurs familiales et chrétiennes, critique de la construction européenne, hostile à l’immigration. Il n’est cependant ni réactionnaire ni homophobe. C’est un défenseur actif des droits des femmes. Il est économiquement un partisan de l’économie de marché social à la Ludwig Erhard15. Soucieux des inégalités croissantes existant en Autriche, il souhaite une politique de redistribution devant passer avant tout par la prospérité économique, dont les bénéfices sont à distribuer d’abord aux seuls Autrichiens.
Kurz est persuadé de l’échec des politiques d’intégration des coalitions précédentes et craint un effondrement des systèmes sociaux, de santé et de retraite en cas de poursuite des migrations économiques. Il ne conteste pas le droit d’asile mais veut des critères stricts d’application. Il souhaite aussi une limitation des migrations économiques d’origine européenne et se heurte à la Commission de Bruxelles, dont il trouve les pouvoirs trop larges.
Critique de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, Kurz ne remet pas en cause la construction européenne, ni l’euro, mais il plaide pour un ralentissement du processus d’extension et rejette catégoriquement l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Son discours sécuritaire et anti-islamisation entend répondre aux craintes des Autrichiens, inquiets devant les risques terroristes, la petite et grande criminalité transnationale, et l’islamisation (crainte du communautarisme). Sur le plan intérieur, il exprime un scepticisme vis-à-vis du modèle «grande coalition» et souhaite une modernisation du système politique, avec un recours à la démocratie directe.
b) Le SPO, retour sur une defaite annoncée.
Le SPÖ a connu en 2016 une grave crise politique, qui a amené le chancelier Werner Faymann à démissionner le 9 mai de cette même année. Il a été remplacé par Christian Kern, un homme d’appareil, venu du milieu syndical16. À l’exception de la fédération de Vienne, les adhérents SPÖ, y compris l’aile gauche du parti, soutenaient le nouveau chancelier, et ceci malgré un profil voulu «centriste». Cette nomination a été pour le parti un moment d’espoir, Kern devant redonner une identité forte à un SPÖ dont la politique trop terne et consensuelle l’avait conduit à perdre plus de deux tiers de ses membres et la moitié de ses électeurs au cours des trois dernières décennies.
Kern, comme l’ensemble des dirigeants sociaux-démocrates, était au printemps 2017 persuadé que la grande coalition était à bout de souffle et que le système politique devait évoluer. Le nouveau chancelier, qui avait perçu les dangers de la dynamique Kurz, envisagea tout d’abord une nouvelle constellation politique SPÖ-Verts-Neos, rapidement remise en cause par l’apparition de la Liste Pilz. Une option quadripartite était jugée par le SPÖ comme trop instable. En juin 2017, une autre option est apparue : celle d’une alliance avec le FPÖ, mais à la seule condition que le SPÖ le devance en octobre. L’option de n’être que le partenaire «junior» du FPÖ était fermement rejetée par l’aile gauche du parti et par une majorité des adhérents. Cette alliance, qui aurait été un coup de tonnerre politique en Europe, a néanmoins fait l’objet de débats internes. S’il existe des lignes rouges dans le SPÖ (les tendances antisémites et les pratiques autoritaires du FPÖ…), il est évident que la ligne «pas de coopération au niveau national» (dite ligne Franz Vranisky17) a été abandonnée. Selon les propres confessions du chancelier Kern 18, le SPÖ se trouvait donc, à quelques mois des élections, dans une situation particulièrement difficile, menant une campagne sans nouvelle offre politique et hésitante sur le plan médiatique. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer : le SPÖ était endetté nationalement et régionalement de 14 millions d’euros (5 millions pour l’ÖVP, 2,5 à 4,5 millions pour le FPÖ) et se retrouvait financièrement en difficulté à la suite d’une baisse des dons. Plus grave encore, le parti a perdu ses deux concepteurs de campagne en peu de temps. En juin 2017, Stefan Sengl, un spin doctor ayant par exemple animé dans le passé la campagne du futur président de la République Heinz Fischer, quittait le navire «pour des raisons personnelles». Il était remplacé par l’Israélien Tal Silberstein, arrêté et mis en prison en Israël peu de temps après sa nomination. Son successeur, Paul Pöchhacker, faisait lui aussi scandale pour s’être dans le passé moqué dans une chanson de l’invalidité d’Hofer. À juste titre, on a pu parler de «chaos technique 19», une situation qui allait encore se dégrader après la découverte d’une «dirty-campaigning,» voulue par le chancelier Kern et dirigée contre Sebastian Kurz20. L’objectif était de recueillir des informations compromettantes sur Kurz (fortune, mœurs, implication dans des cas de corruption…). En cas de besoin, il s’agissait de diffuser des fake news nuisibles à la crédibilité de Kurz à partir de sites d’information sur Internet.
La liste des candidats SPÖ, sans surprise, rassemblait des cadres du parti et des élus à la chambre ayant de longues carrières derrière eux. Les «jeunes» du SPÖ, la présidente du groupe Jeune Génération Katharina Kucharowits ainsi que la présidente des Jeunesses socialistes Julia Herr étaient certes éligibles, respectivement aux quatorzième et seizième places, mais on ne trouvait aucune personnalité vraiment nouvelle.
Pendant la campagne, le SPÖ a décidé de suivre la stratégie de la rhétorique anti-immigrée qui dominait dans les discours de l’ÖVP et du FPÖ afin de rester audible. Kern, pour éviter de laisser à Kurz le monopole de la critique de la construction européenne, affirmait que d’importantes réformes étaient nécessaires au sein de l’Union européenne, après avoir vu les partis populistes enregistrer des résultats historiques lors des élections en France, aux Pays-Bas et en Allemagne. Fin septembre, il annonçait le projet d’une «convention publique» sur le rôle de l’Autriche dans l’Union européenne, où «de grandes questions futures» seraient posées à Bruxelles. Il s’est enfin déclaré préoccupé par les projets de mise en œuvre du budget de la zone euro et a affirmé que l’Union européenne devait aller au-delà d’une focalisation constante sur «la sécurité et la fermeture des frontières», et chercher une solution globale aux questions migratoires.
Si la première place semblait inatteignable pour ces élections, force est de constater que le parti SPÖ s’est malgré tout hissé à la deuxième place avec ses 26,9% et a donc échappé à la déroute politique qui aurait pu fragiliser encore plus la structure de ce parti.
c) Le FPÖ, possible retour de l’extrême droite à la cogestion du pouvoir.
La grande coalition et le système de la Proporz (scrutin proportionnel) a eu un effet corrosif sur la démocratie autrichienne, conduisant progressivement les électeurs vers les extrêmes politiques. Le FPÖ a été le premier à en bénéficier, sous la direction de Jörg Haider, son leader charismatique, qui a contribué à définir le populisme européen contemporain21.
Heinz-Christian Strache, l’actuel leader arrêté par la police allemande à l’âge de 20 ans pour avoir participé à une marche organisée par un mouvement néonazi, a tiré des leçons de la période Haider. Il a professionnalisé le FPÖ et fait évoluer sa ligne idéologique depuis 2006, passant d’un sentiment anti- étranger à une rhétorique anti-islam.
Le score de Norbert Hofer lors du second tour la dernière élection présidentielle (46,2%) en 2016 a été un triomphe à la Pyrrhus. Sa victoire aurait permis un «coup d’État à froid», mais cette constellation ne semble plus en mesure de se répéter22. Au lendemain de l’élection, fort de ses 35% d’intentions de vote dans les sondages, Strache entendait réclamer le poste de chancelier après les élections nationales. Mais le FPÖ ne réussit pas à maintenir sa position dominante, les sondages montrant un déclin relatif de celui-ci à 25% environ. Divers facteurs sont intervenus. En premier lieu, Heinz-Christian Strache a changé physiquement depuis son mariage en 2016. Il a pris du poids et fait le choix de porter des lunettes, cachant ses étonnants yeux bleus. Certes, il a renoncé à cet accessoire pendant la campagne mais a perdu la bataille de la modernité et du renouveau, incarnés par Sebastian Kurz, surnommé Milchbubi, le «petit jeune». Plus généralement, le FPÖ lui-même apparaît désormais comme un «vieux parti». Il existe de fait depuis 1949, face à la Liste Kurz, un parti-mouvement âgé de trois mois. Enfin, la campagne du FPÖ fut terne, le parti ne réussissant pas à se réinventer, alors que les questions sécuritaire et migratoire étaient récupérées par Kurz. La campagne du parti a aussi souffert de dérapages antisémites, qui certes ne correspondent pas à ligne officielle pro-israélienne du FPÖ mais qui l’ont considérablement gêné. La liste des candidats et des élus FPÖ à la Chambre basse montre une domination du courant national-allemand et des anciens membres des corporations d’étudiants duellistes23. Il s’agit de l’aile dure du FPÖ, très antieuropéenne et xénophobe.
La deuxième place a donc échappé au FPÖ, qui a quand même réussi à obtenir 26% des votes. Au lendemain de l’élection, la possibilité d’être associé au pouvoir politique dans le cadre d’une alliance avec la Liste Kurz est devenue l’option la plus probable. S’il entre dans le gouvernement, le Parti de la liberté veut refuser aux migrants l’accès aux prestations sociales, introduire des référendums du type suisse et pousser l’Autriche à rejoindre le groupe de Visegrád des pays d’Europe centrale qui s’opposent aux quotas de migration imposés par l’Union européenne.
Tableau 5 : Élections 2017 : Les programmes des trois principaux partis.
Les outsiders.
Voir fiche biographique
Voir Neos, Wir Erneuern Österreich. Pläne für Ein Neues Österreich, 26 novembre 2014
Hans Rauscher, « Griss bei Neos auf Platz zwei der Bundesliste », derstandard.at, 7 juillet 2017
« Nationalratswahl: Facebook-Rebell Schrems berät Neos », derstandard.at, 21 juillet 2017
Grüne, Grundsatzprogramm der Grünen, 2017
Voir Guido Tartarotti, « Die Bobo-Partei », Kurier, kurier.at, 27 janvier 2014
De toute évidence, les Verts ont surestimé la victoire de Van der Bellen à la présidentielle. Certes, le nouveau président était l’une des principales personnalités des Verts, mais en marge du parti depuis Sa victoire a été un choix de société fait par les électeurs : pour ou contre un État autoritaire avec ou sans Hofer. Il ne s’agissait en rien d’un plébiscite écologique.
Voir Walter Müller, «Die Pilz’sche Abrechnung mit den Grünen», derstandard.at, 1er septembre 2017
Thomas Prior, « „Liste Pilz“: Feldversuch mit Einzelkämpfern », diepresse.com, 25 juillet 2017
a) Les Neos et le facteur Griss
Une des spécificités du système politique autrichien est la faiblesse du courant libéral. En 2012, le parti Neos (connu d’abord sous le nom Das Neue Österreich, puis, à partir d’avril 2013, sous l’intitulé Neos–Das Neue Österreich und Liberales Forum) a été fondé pour participer aux élections nationales de 2013. Dirigé par Matthias Strolz24, il a effectué une percée à l’occasion de ces élections : 5% des suffrages et 9 élus au Conseil national. Aux élections européennes de 2014, les Neos ont recueilli 8,1% des voix et 1 élu sur 18 députés autrichiens au Parlement européen. Les consultations régionales et communales de 2015 et de 2016 ont cependant été décevantes. En 2017, avec 2.700 membres et une aide financière publique de 8,3 millions d’euros, le parti était en mesure de mener une campagne solide.
Le programme des Neos de 2014 et les prises de positions des dirigeants du parti affichent leur ancrage dans un libéralisme ordonné25. Sur le plan économique, les Neos plaident pour un temps de travail flexible et la suppression de l’impôt sur les sociétés. Les impôts doivent être diminués pour tous, l’adhésion aux chambres économiques deviendrait volontaire, les salaires doivent augmenter sans mettre en péril la santé des entreprises, lesquelles doivent être transparentes sur leurs gains et sur les dépenses qui ont une influence sur le salaire distribué. Les résidents de l’Union européenne doivent avoir le droit de vote à toutes les élections. L’objectif est de créer une nationalité européenne, et de réserver à l’Union européenne les moyens de sa sécurité et de sa défense.
La campagne des Neos, plutôt poussive au début de l’année 2017, a gagné en qualité avec la coopération de la candidate très populaire aux présidentielles Imgard Griss, ancienne présidente du tribunal constitutionnel26. Les Neos ont d’ailleurs trouvé le soutien de personnalités venues de tous les camps politiques27 et sont ouverts à une collaboration avec Kurz, dans le cadre de la constitution d’un gouvernement minoritaire technique en cas d’échec des négociations entre Kurz et le FPÖ.
b) Le déclin des Verts.
Les Verts (Die Grünen–Die Grüne Alternative–Grüne), fondés en 1986, connaissent depuis 2016 une crise politique profonde28. Les raisons de cet affaiblissement sont notamment la conséquence de deux scissions organisationnelles, d’une absorption du discours écologique par la quasi- totalité des partis politiques et enfin d’une sociologie électorale déséquilibrée. Néanmoins, sur le papier, les Verts représentent début 2017 un puissant parti, avec 21 mandats sur 183 au Conseil national, 4 élus sur 61 au Sénat (Bundesrat), 48 députés sur 440 dans les Landtag régionaux. Le programme du parti se résume par la formule suivante : «Démocratie de base, refus de toute violence, écologie, solidarité, féminisme et autodétermination29». Il ne compte toutefois qu’environ 7.000 membres, en clair un parti sans cadres ni base large.
Depuis leur percée de 2013 (12,4%), l’image des Verts s’est dégradée. La direction du parti et les dirigeants régionaux ont acquis l’image de cadres missionnaires et coupés des réalités. On parle de «bourgeois rebelles, de matérialistes idéalistes, d’amoureux des arbres en Porsche Cayenne30». Les Verts n’ont pas su conserver leur hégémonie thématique sur l’écologie politique et ont trop ignoré la question sociale et celle des inégalités31. De plus, la nouvelle présidente (Bundessprecherin) du parti a déçu et les candidats verts, pour une grande part d’entre eux inexpérimentés, ne sont pas parvenus à corriger l’image chaotique du parti. Ulrike Lunacek, tête de liste des Verts, a mené une campagne sans grandes idées, dans un climat interne délétère. Le parti en a payé le prix et a perdu sa représentation à la Chambre basse.
c) La Liste Pilz
Peter Pilz32 a créé sa propre liste en juillet 201733 à la suite de sa mise à l’écart lors du congrès national des Verts. Figure emblématique de ce parti, il siégeait depuis vingt-trois ans au parlement. Sociologue très apprécié pour ses qualités humaines et son sens politique, sa disqualification a choqué une partie de la base verte. Dès la fondation du nouveau parti, les sondeurs ont vu dans ce mouvement un acteur capable d’affaiblir les Verts et de constituer un nouveau pôle de gauche susceptible d’attirer des abstentionnistes et des électeurs de gauche en mal de représentation.
Le programme de Pilz est centré sur l’écologie et la justice sociale. Il réclame une semaine de travail de 35 heures, un alourdissement des impôts sur les héritages et veut faire payer les plus riches. Pilz souhaite rejeter les «fausses tolérances» : son programme a des connotations politiques anti-islam très nettes, la culture de bienvenue étant pour lui devenue une « culture de l’installation» incontrôlée 34.
La Liste Pilz n’a cependant pas de programme officiel, les candidats du parti étant, selon la formule de Pilz, le programme lui-même 35. De fait, la Liste Pilz, financée par le crowdfunding et les dons, a su attirer des personnalités venues d’horizons très divers (recherche, droit, culture…). Pilz, dont l’objectif proclamé était de dépasser les Verts et les Neos, est très hostile à Kurz.
Analyse des résultats des élections législatives autrichiennes
Rupture entre villes et campagnes.
L’Autriche connaît depuis 1975 un déclin quasi continu de la participation électorale à l’occasion des législatives. En 2017, on enregistre cependant une augmentation de cette dernière due aux votes par correspondance.
Tableau 6 : Participation aux élections législatives : 1975 à aujourd’hui.
Source :
Bundesinnenmisnisterium (BMI).
Pour les élections au Conseil national de 2017, les électeurs ont voté, de façon très différente selon les Länder. La Liste Kurz est arrivée en tête dans six Bundesländer (Basse-Autriche, Haute-Autriche, Salzbourg, Steiermark, Tyrol et Vorarlberg), tandis que le SPÖ a gagné de justesse le Burgenland et, surtout, Vienne, grâce à l’effondrement des Grünen, mais aussi à une campagne très musclée anti-coalition Kurz-Strache voulue par le maire de Vienne Michael Häupl, appuyé par les organisations syndicales du Land. Le FPÖ, lui, a gagné en Carinthie et s’est retrouvé en deuxième position dans cinq Länder (Basse- Autriche, Salzbourg, Steiermark, Tyrol, Vorarlberg).
Carte 1 : Répartitions régionales des votes.
Source : Le Monde.
Tableau 7 : Résultats des élections législatives 2017 par région.
Source :
Bundesinnenmisnisterium (BMI).
Gerald Gartner et Markus Hametner, « So haben die Menschen in Wien und Graz gewählt », derstandard.at, 17 octobre 2017
Carte du parti arrivé en tête dans les communes autrichiennes aux élections de 2017.
Source : derstandart.at
Dans le détail, on voit que la Liste Kurz l’emporte dans les campagnes et que le SPÖ a ses bastions dans les villes (voir carte 2). Pour l’ÖVP, il s’agit d’un héritage des milieux conservateurs (Église, paysannerie, villages…), certes en dissolution depuis les années 1960 mais encore présent dans certains Bundesländer. Les communes rurales ont voté à 38% pour Kurz et à 29% pour le FPÖ, soit une confortable majorité. Dans les villes moyennes et les centres urbains, le SPÖ absorbe l’électorat Grünen et garde sa position dominante. Ceci vaut particulièrement à Vienne (34,6%)36. La Liste Pilz, héritière des Grünen, trouve également dans les villes l’essentiel de ses soutiens.
Tableau 8 : Le choix partisan en fonction de l’urbanisation.
Source :
derstandard.at/2000066105435/Schwarz-Blau-holt-Zwei-Drittel-Mehrheit-am-Land
* Centres urbains : régions fortement peuplées avec plus de 1 500 hab./km2 et plus de 50 000 habitants au total.
** Régions urbanisées : régions moyennement peuplées avec plus de 300 hab./ et plus de 3 000 habitants au total.
*** Régions agraires : communes avec une densité de population inférieure à la catégorie précédente.
Les transferts électoraux.
Pour les élections de 2017, les transferts électoraux permettent de mesurer combien les électeurs ont modifié leurs préférences partisanes.
Tableau 9 : Les transferts partisans entre 2013 et 2017 (nombre de voix).
Source :
Nationalratswahl SORA 2017.
Exemple de lecture : parmi les électeurs SPÖ à l’élection au Conseil national de 2013, 43.000 ont voté ÖVP en 2017, 155.000 sont passés au FPÖ, 2 000 aux Grünen.
La Liste Kurz conserve 84% des électeurs ÖVP de 2013. Elle prend 168 000 voix au FPÖ, 114.000 au Team Stronach (un parti national-populiste), 84.000 aux Grünen et 44.000 au BZÖ (le parti de Jörg Haider). Ces chiffres montrent que le FPÖ n’a donc pas réussi à récupérer l’essentiel du courant national-populiste de 2013. Kurz profite aussi des nouveaux électeurs et des abstentionnistes 2013 (121.000 voix).
Le SPÖ rassemble 73% de ses électeurs 2013, gagne 161.000 voix venues des Grünen, mais perd 155.000 électeurs au profit du FPÖ.
Le FPÖ retrouve 73% de son électorat 2013. Il gagne plus de 95.000 voix des partis ÖVP, Stronach et BZÖ. Il profite des abstentionnistes et nouveaux votants (122.000 voix) et perd au profit de l’ÖVP 155.000 suffrages.
Enfin, les Grünen subissent une très lourde défaite électorale, avec une perte d’électeurs au profit de toutes les autres formations, mais surtout du (SPÖ) et de la Liste Pilz.
Sociographie des électeurs.
Les choix électoraux par âge et par sexe rappellent ceux de 2013. Les hommes votent plus fréquemment FPÖ, qui connaît depuis des décennies un gender gap. Les femmes préfèrent le SPÖ et la Liste Kurz.
Concernant les tranches d’âge, le FPÖ est fort chez les moins de 30 ans alors que la Liste Kurz domine chez les 60 ans et plus. Ce groupe d’électeurs est depuis longtemps résistant au vote FPÖ.
Tableau 10 : Les choix électoraux (partie 1).
Source :
SORA 2017.
Le FPÖ rassemble 59% des votes ouvriers et 16% seulement des retraités. De son côté, l’ÖVP recueille 41% des votes des indépendants, ce qui reflète bien son implantation dans le monde agraire. Le vote SPÖ est quant à lui fort chez les retraités.
Tableau 11: Les choix électoraux (partie 2)
Source :
SORA 2017.
Les choix électoraux en fonction du niveau éducatif sont très clairs : plus le niveau de formation est élevé, moins le FPÖ trouve d’électeurs. De même, une synthèse «sans ou avec le bac» souligne les déficits de la formation d’une «élite» pour le parti du FPÖ, alors que les résultats sont beaucoup plus homogènes pour le SPÖ et l’ÖVP.
Tableau 12 : Les choix électoraux (partie 3).
Source :
SORA 2017
Droite conservatrice et extrême droite aux marches du pouvoir
Vers le retour d’une coalition droite et extrême droite.
« Autriche : l’extrême droite saisit la main tendue par Sebastian Kurz », lefigaro.fr, 24 octobre 2017
« Sebastian Kurz : “Nous nous devrons d’être proeuropéens” » propos recueillis par Blaise Gauquelin, lemonde. fr, 9 novembre 2017
Au lendemain des élections, Sebastian Kurz s’est vu confronté à un nouveau défi : trouver un partenaire de coalition qui ne puisse pas causer de tort à l’Autriche sur le plan international mais qui lui permette de concrétiser le changement promis.
Les premiers sondages d’opinion ont montré une préférence des électeurs pour une coalition Kurz-Strache (35%), Kurz-Kern (17%) et Kern-Strache (12%). Cette tendance a rapidement pris du poids et il est aujourd’hui fort probable que le futur gouvernement sera composé de l’ÖVP et du FPÖ.
Le 24 octobre 2017, Sebastian Kurz et Heinz-Christian Strache ont annoncé l’ouverture de négociations dans le but de former une coalition de gouvernement. Ce rapprochement a déjà été surnommé la «coalition sushi37», du nom des plats que le second a offerts au premier lors d’un long dîner privé, quelques jours après les résultats des élections législatives. Un mois et demi après les législatives, les négociations pour la formation d’une coalition gouvernementale se poursuivent toujours, exclusivement avec le FPÖ. À ce stade, les deux partis affichent de fortes convergences sur les principales questions en discussion, notamment sur les plans sécuritaire, social et économique.
Au sein du FPÖ, il existe une minorité d’opposants à la cogestion du pouvoir. Il s’agit de fédérations devant, en 2018, livrer une bataille régionale (Carinthie, Basse-Autriche, Salzbourg). Ils craignent qu’un gouvernement de coalition Kurz-FPÖ ne puisse atteindre ses objectifs migratoires et perde rapidement son aura de «changement». Cependant, la ligne Hofer et une majorité d’adhérents et de cadres du parti souhaitent que le FPÖ imprime ses marques politiques et idéologiques dans le prochain gouvernement.
Les dimensions programmatiques communes entre la liste Kurz et le FPÖ, notamment sur les thématiques de l’économie et de l’immigration, rendent les deux formations compatibles. La question de l’Union européenne est quant à elle devenue presque secondaire pour le FPÖ. Ce dernier reste très critique vis- à-vis de la construction européenne mais a discrètement laissé de côté les casus belli sur l’abandon de l’euro et sur la sortie de l’Autriche de l’Union européenne. Ce revirement est principalement dû à la position de force du président de la République Alexander Van Der Bellen, qui a annoncé qu’il n’introniserait pas de gouvernement ou de ministres ouvertement anti-européens. De son côté, Kurz, pro-européen38, est néanmoins fortement critique vis-à-vis du rôle de la Banque centrale européenne et de l’action de la Commission européenne, principalement sur sa politique de gestion de l’immigration. Il souhaite la réorganisation d’un certain nombre de compétences entre les États et les institutions européennes. Un terrain d’entente est donc là encore envisageable entre le FPÖ et l’ÖVP.
Si des désaccords existent entre ces deux partis, en particulier sur le montant du salaire minimal, fixé à 1.700 euros pour le FPÖ et à 1.500 euros pour Kurz, ils ne représentent pas des obstacles sérieux, d’autant plus que, concernant cette mesure précise, personne ne sait comment la financer.
S’il est certain que l’objectif de Kurz est de disloquer à long terme le FPÖ, ce que montre sa récupération de tous les thèmes porteurs du FPÖ (immigration, sécurité, lutte contre l’islam, etc.), il ne peut ignorer que les Freiheitlichen ont tiré des leçons de la période d’alliance entre l’ÖVP et le FPÖ de Haider (2000-2005). La méfiance de Strache est d’autant plus grande que l’«assassin de Haider», le chancelier Schüssel, est l’un des plus proches conseillers de Kurz, même si les dernières rencontres entre les deux hommes semblent avoir fortement réduit les tensions.
L’Autriche, future alliée de Visegrád ?
Quelques semaines après l’entrée historique de députés d’Alternativ für Deutschland (AfD) au Bundestag allemand, les élections anticipées autrichiennes ont illustré la vague de la droite anti-immigration nationaliste qui se propage actuellement en Europe. La probable coalition de l’ÖVP et du FPÖ interpelle sur la place de l’Autriche au sein de l’Union européenne.
Si Kurz, ancien ministre fédéral de l’Intégration, des Affaires européennes et internationales, âgé à l’époque de 27 ans, se déclare officiellement prêt à travailler main dans la main avec l’Union européenne, il soutiendra probablement le groupe de Visegrád (République tchèque, Hongrie, Pologne et Slovaquie) lorsque certaines questions comme l’immigration seront à l’ordre du jour. En calquant une partie de son programme sur celui du FPÖ (zéro immigration, réduction des aides sociales pour les étrangers, pressions sur Bruxelles), le jeune politicien de 31 ans suit la ligne de certains dirigeants d’Europe centrale pour s’ériger en défenseur d’une vision nationale de son pays. Il a déjà fait l’éloge du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, qui a érigé une barrière frontalière dans le but d’empêcher les migrants d’entrer dans l’Union européenne.
Les négociations qui ont actuellement lieu en Autriche pour former le prochain gouvernement sont donc essentielles afin de savoir si Kurz sera l’incarnation du renouveau d’un grand parti traditionnel ou la rampe de lancement d’un virage très à droite destiné à durer.
Conclusion
Si les questions de l’immigration et de la crise des réfugiés constituent des facteurs cruciaux, ils témoignent avant tout de l’existence d’une tentation autoritaire dans de nombreux groupes sociaux. De la combinaison de ces deux dimensions, auxquelles s’ajoute un fort ressentiment envers l’Europe de Bruxelles, renaît une puissante droite électorale national-populiste.
La convergence et la perte en contenus idéologiques des partis établis depuis des décennies expliquent également cette montée en puissance populiste. Depuis les années 1950, l’Autriche a presque toujours été dirigée par une grande coalition unissant tant bien que mal sociaux-démocrates du SPÖ et chrétiens conservateurs de l’ÖVP. Lors des législatives, le FPÖ attirait quant à lui des électeurs de différents types : antisystèmes, protestataires, perdants de la modernisation, etc… S’y ajoutaient des gagnants de la mondialisation ayant peur de perdre soit leurs acquis du passé (retraite, système de santé, économies et placements, biens-fonds), soit leur identité autrichienne (peur de l’acculturation, de l’immigration, de l’islam).
Cette fois-ci, près de 60% des Autrichiens ont voté pour le parti du très jeune et très conservateur Sebastian Kurz ou pour le parti d’extrême droite, le FPÖ de Heinz-Christian Strache. Si les programmes de la Liste Kurz et du FPÖ sont très proches, ce qui constitue une base solide pour gouverner pour la prochaine probable coalition, il ne faut pas oublier que l’élection de 2017 est autre chose qu’un simple virement idéologique à droite. Il s’agit de l’expression d’une volonté de changements profonds souhaités par la population. Si le futur chancelier Kurz parvient à répondre à cette demande collective, sa popularité devrait grandir. Si le contexte international ne lui permet pas de tenir ces promesses, les élections régionales de 2018 risquent d’aboutir à une nouvelle réorientation des électorats.
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