L'Autriche des populistes
Les partis politiques autrichiens
Introduction
Le FPÖ dans le système politique autrichien : des racines profondes
Le populisme et ses variations : caractériser le FPÖ
De l’extrême droite au populisme
Le FPÖ est devenu le parti des ouvriers
Un syncrétisme idéologique
Une culture des corporations de la droite nationaliste
L’organisation du FPÖ
Les structures
Les adhérents
Les organisations liées, la presse et les médias
Les finances
À la conquête de l’opinion : euphémisation, gramscisme de droite et guerre sémantique
Des succès électoraux aux responsabilités gouvernementales et à son corollaire : la scission !
La refondation du FPÖ
Le discours antimusulman prend le pas sur l’antisémitisme
Comme ailleurs en Europe, une stratégie de dédiabolisaton
Heinz-Christian Strache : leadership charismatique et télépopulisme
La rhétorique disruptive du FPÖ
Les déterminants économiques et sociaux du vote FPÖ
L’installation d’une opinion protestataire
La poussée du vote protestataire se réalise au profit du FPÖ (2013-2015)
L’élection présidentielle de 2016 et l’hypothèse d’un coup d’état froid
L’hypothèse d’une victoire du FPÖ à l’élection présidentielle du 4 décembre 2016 : La problématique constitutionnelle
L’épuisement des grandes coalitions
Les sociaux-démocrates réfléchissent à une coalition avec les populistes
Résumé
Le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) est la variante d’un phénomène européen qualifié de « national-populiste » et englobant de nombreuses formations : les Partis de la liberté, la Ligue du Nord, les Vrais Finlandais, le Vlaams Belang, le Front national… Cependant, du fait de son histoire et de son idéologie, le FPÖ est enraciné dans la vie politique autrichienne depuis les années 1950. Le 22 mai 2016, au second tour de l’élection présidentielle, le candidat du FPÖ, Norbert Hofer, a obtenu 49,65% des suffrages exprimés. Fait sans précédent, à la suite d’un recours déposé par le parti populiste, le scrutin a été annulé par la Cour constitutionnelle en raison d’une série de négligences et d’irrégularités lors du dépouillement. Le nouveau second tour, prévu le 4 décembre 2016, sera l’occasion de mesurer la solidité de la poussée populiste extraordinaire enregistrée en Autriche depuis 2013.
Les succès du FPÖ sont la conséquence de la mutation du système politique depuis 1990 ainsi que des profondes transformations économiques, sociales et culturelles nées de l’effondrement du communisme, de la globalisation, des crises financières et du défi migratoire en cours. L’épuisement des grandes coalitions a produit un « désalignement » électoral, c’est-à-dire un rejet des partis de gouvernement au profit du FPÖ. À ces facteurs s’ajoute la montée d’une demande d’affirmation d’un pouvoir présidentiel jusqu’ici largement symbolique. La combinaison de ces forces, à laquelle s’ajoute un fort ressentiment envers les institutions européennes, engendre une puissante droite électorale national-populiste.
Patrick Moreau,
Docteur en histoire et docteur d’État en sciences politiques (FNSP), chercheur au CNRS au laboratoire Dynamiques Européennes de l’Université de Strasbourg.
Docteur en histoire et docteur d’État en sciences politiques (FNSP),
chercheur au CNRS au laboratoire Dynamiques Européennes de l’université de Strasbourg.
Les partis politiques autrichiens
BZÖ (Bündnis Zukunft Österreich) : Alliance pour l’avenir de l’Autriche (parti d’extrême droite fondé en 2005 suite à une scission du FPÖ).
Die Grünen – Die Grüne Alternative : Les Verts – L’Alternative Verte (parti écologiste fondé en 1986).
FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs) : Parti de la liberté d’Autriche (parti d’extrême droite fondé en 1955).
ÖVP (Österreichische Volkspartei) : Parti populaire autrichien (parti conservateur fondé en 1945).
NEOS (Das Neue Österreich und Liberales Forum) : La nouvelle Autriche et le Forum libéral (parti libéral fondé en 2012).
SPÖ (Sozialdemokratische Partei Österreichs) : Parti social-démocrate d’Autriche (fondé en 1889).
Team Stronach für Österreich : Team Stronach pour l’Autriche (parti eurosceptique et libéral fondé en 2012).
Introduction
Sur ce sujet, voir Hans-Henning Scharsach (dir.), Österreich und die rechte Versuchung, Rowohlt, Reinbek, 2000.
Le FPÖ est la variante d’un phénomène européen qualifié de « national- populiste » et englobant de nombreuses formations : les Partis de la Liberté, la Ligue du Nord, les Vrais Finlandais, le Vlaams Belang, le Front national… Néanmoins, le FPÖ est enraciné, tant du fait de son histoire qu’idéologiquement, dans le passé autrichien depuis le XIXe siècle (insider party). Il est un héritier du courant « national-allemand » et de son histoire, et à travers lui du national-socialisme (autrichien et hitlérien)1.
Au second tour de l’élection présidentielle, le 22 mai 2016, le candidat du FPÖ, Norbert Hofer, a obtenu 49,65% des suffrages. L’écart le séparant du vainqueur, l’écologiste Van der Bellen, n’a été alors que de 30.863 suffrages. Fait sans précédent, à la suite d’un recours déposé par le parti populiste, le second tour de l’élection présidentielle a été annulé le 1er juillet par la Cour constitutionnelle. La Cour n’a pas relevé de fraude mais une série de négligences et d’irrégularités dans le dépouillement et la comptabilisation des votes par correspondance.
Un nouveau second tour est organisé le 4 décembre 2016. Ce sera l’occasion de mesurer la solidité de la poussée populiste spectaculaire en Autriche. Plus encore, si Norbert Hofer devait être élu à l’occasion de ce qui apparaît comme un troisième tour, grâce aux pouvoirs que lui donne la Constitution, il pourrait nommer le chef du FPÖ Heinz-Christian Strache chancelier d’Autriche. Une possibilité lourde de conséquences pour le pays mais aussi pour l’Union européenne.
Le FPÖ dans le système politique autrichien : des racines profondes
Sur le FPÖ, voir Oliver Minich, Die Freiheitliche Partei Österreichs als Oppositionspartei in der Ära Haider – Strategie, Programmatik, innere Struktur, Gollenstein Verlag, Sarrebrück, 2003 ; Reinhard Heinisch, « Die FPÖ – Ein Phänomen im internationalen Vergleich. Erfolg und Misserfolg des identitären Rechtspopulismus », in Österreichische Zeitschrift für Politikwissenschaft, vol. 33, n° 3, 2004, p. 247-261 ; Kurt Richard Luther, « Die Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ) und das Bündnis Zukunft Österreichs (BZÖ) », in Herbert Dachs et al., Politik in Österreich. Das Handbuch, Manz, Vienne, 2006, p. 364-388.
Voir Gerhard Lehmbruch, Politisches System und politische Kultur in der Schweiz und in Österreich. Mohr, Tübingen 1967.
Voir Lothar Höbelt, Von der vierten Partei zur dritten Die Geschichte des VdU, Leopold Stocker Verlag, Graz, 1999 ; Kurt Piringer, Die Geschichte der Freiheitlichen. Beitrag der Dritten Kraft zur österreichischen Politik, Orac, Vienne, 1982 ; Ruth Wodak et Anton Pelinka (dir.) The Haider Phenomenon, Transaction, New Brunswick (NJ), 2001.
En Italie, le Mouvement social italien (Movimento sociale italiano-MSI) de Almirante se voulait un parti fasciste dans la tradition Son héritier, l´Alliance Nationale (Alliance nationale (Alleanza nazionale-AN), a rompu avec cette ligne politique. En Hongrie, le Jobbik est proche du modèle FPÖ.
Voir Hubertus Czernin (dir.), Wofür ich mich meinetwegen entschuldige. Haider, beim Wort genommen, Czernin Verlag, Vienne, 2000.
Sur l’histoire du « troisième camp » et du FPÖ jusqu’en 2012, voir Patrick Moreau, De Jörg Haider à Heinz- Christian L’extrême droite autrichienne à l’assaut du pouvoir, Cerf politique, Paris, 2012.
Le système politique autrichien présente un certain nombre de spécificités. Nous trouvons de puissants partis populaires (Volksparteien) de gauche – les sociaux-démocrates du Sozialdemokratische Partei Österreichs (SPÖ) – et de droite – les conservateurs de l’Österreichische Volkspartei (ÖVP) –, ainsi qu’un parti Vert (Grünen). Le courant libéral est cependant marginal – échec du Liberales Forum (LIF) dans les années 1990 et faible courant Das Neue Österreich und Liberales Forum (NEOS) actuellement. La montée en puissance du Parti de la liberté d’Autriche, le FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs), à partir de 1986 est un effet de l’évolution du système politique autrichien et de ses blocages2.
La Seconde République autrichienne, fondée en 1945, est caractérisée par une hypertrophie des partis politiques, en particulier l’ÖVP et le SPÖ. Au-delà de leur fonction de recrutement strictement politique (élus et gouvernement), ces partis ont choisi les personnels de direction des branches économiques et du système éducatif. L’Autriche est devenue alors l’incarnation de la « démocratie de concordance3 ». Les élites sociale-démocrates et conservatrices ont mis en place un système de garantie réciproque de participation au pouvoir, qui avait comme objectif – atteint jusqu’en 1986 – de neutraliser tout risque de remise en cause électorale. Dans ce contexte de grande stabilité politique, la culture politique d’opposition était très faible et se heurtait au cartel des partis dominants, appuyés par les associations économiques et les syndicats. On parle ainsi d’« austro-corporatisme ». Le FPÖ était pour ces raisons en marge du système politique (outsider party) et a pu faire de la démocratie de concordance et du système de la Proporz son premier ennemi. Les succès de Jörg Haider à partir de 1986 sont donc à comprendre comme un phénomène de « déconcentration » d’un système politique ayant atteint son plus fort degré d’intégration vers 1975.
La fondation du FPÖ, en 1955, sur ce qu’il restait de la Fédération des indépendants (Verband der Unabhängigen-VdU), créée en 1949, était dictée par la volonté de donner aux anciens national-socialistes un parti d’accueil, leur assurant un retour en politique. Le premier chef du parti, Anton Reinthaller, était sous-secrétaire d’État du gouvernement national-socialiste allemand et avait le rang de brigadier général de la SS. Son successeur, Friedrich Peter, était également officier SS. Tous les cadres du parti étaient d’anciens membres du NSDAP 4.
Rapidement, le FPÖ s’est vu accepté comme un acteur du système politique autrichien des années 1950 et 1960. Dès 1957, le FPÖ et l’ÖVP ont proposé un candidat commun à la présidence de l’Autriche, Wolfgang Denk, qui n’a cependant pas été élu. À partir de 1963, des contacts ont été établis entre un FPÖ alors sur une ligne nationale-libérale et le SPÖ, qui ont abouti, en 1983, à une coalition qui durera jusqu’à l’arrivée à la direction du parti de Jörg Haider en 1986. Au lendemain des élections générales de 1999, le FPÖ, alors premier parti d’Autriche, puis sa scission de 2005, l’Alliance pour l’avenir de l’Autriche (Bündnis Zukunft Österreich-BZÖ), sont restés six ans aux gouvernements Schüssel I et Schüssel II, dirigés par le chancelier ÖVP Wolfgang Schüssel. Au niveau des Länder et des communes, le FPÖ fut dans les années 1990 une force politique incontournable et, en Carinthie, il nomma (avec la tolérance du SPÖ et de l’ÖVP) le ministre-président Jörg Haider. En ce sens, on ne peut guère parler de réel isolement politique du FPÖ.
Si l’on se penche sur la situation européenne, la « normalité » politique du FPÖ est sans équivalent. Nulle part un parti aussi clairement enraciné dans le passé national-socialiste et ses crimes n’a trouvé une telle audience politique5. La distanciation du FPÖ haiderien (son successeur Strache suit depuis 2005 une tout autre politique) vis-à-vis du nazisme a été inexistante et les dérapages de Haider à ce sujet ont fait la une des journaux nationaux et internationaux avec régularité6. Depuis la fin des années 1980, le FPÖ a joué un rôle important dans le système politique autrichien7.
Le FPÖ aux élections législatives
Le FPÖ est donc depuis des décennies accepté comme un concurrent légitime dans le système politique autrichien. Il y a certes eu des tentatives d’établissement d’un cordon sanitaire par le SPÖ – entre 1986 et 1997 par le chancelier Franz Vranitzkys et, de manière moins nette, entre 1991 et 1995 par le chancelier ÖVP Erhard Buseks –, mais elles n’ont eu aucune efficacité. La raison profonde en est que les deux partis jouaient en permanence avec l’idée d’utiliser le FPÖ comme « faiseur de majorité » et que les contacts interpartis donnaient au FPÖ une légitimité renouvelée, ce que percevaient clairement les électeurs.
Les scores du FPÖ aux élections régionales (2013, 2014 et 2015) et à l’élection présidentielle (24 avril et du 22 mai 2016)
Mais depuis 2013, la centralité du FPÖ dans le jeu politique autrichien a été confirmée lors des élections régionales et nationales. La poussée populiste est incontestable. Ce n’est pas un feu de paille ou une poussée de fièvre mais bien l’expression d’un mouvement de fond.
Le populisme et ses variations : caractériser le FPÖ
Voir Anton Pelinka, « Die FPÖ in der vergleichenden Zur typologischen Einordnung der Freiheitlichen Partei Österreichs », Österreichische Zeitschrift für Politikwissenschaft, vol. 31, n° 3, 2002, p. 281-290.
La question de la nature du FPÖ – parti extrémiste de droite et/ou parti national-populiste – est fort complexe et varie dans le temps. Il faut distinguer la période haiderienne (1986-2005) de la période Strache (2005-2016), même si des éléments de continuité existent8.
De l’extrême droite au populisme
Les publications sur l’extrémisme de droite sont très nombreuses. On peut trouver un bibliographie de référence pour l’extrémisme de droite en Europe de l’Ouest sur le site www.kai-arzheimer.com
Voir Peter J. Pulzer, Die Entstehung des politischen Antisemitismus in Deutschland und Österreich, 1867-1914, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen 2004 ; Lothar Höbelt, Kornblume und Kaiseradler. Die deutschfreiheitlichen Parteien Altösterreichs, 1882-1918, Verlag für Geschichte und Politik-Oldenbourg, Vienne, 1993.
À ce propos, voir notamment Christian Ultsch et Thomas Prior, « Reise nach Jerusalem: Warum FPÖ-Chef Strache um Israel buhlt », diepresse.com, 11 avril 2016, et la vidéo « HC Strache on Israel », youtube, 8 novembre 2015.
La bibliographie sur le populisme est aussi très Parmi les livres utiles : Catherine Colliot-Thélène, Florent Guénard (dir.), Peuples et populisme, PUF, Paris, 2014 ; Annie Collovald, Le « Populisme du FN », un dangereux contresens, Éditions du Croquant, 2004 ; Frank Decker (dir.), Populismus. Gefahr für die Demokratie oder nützliches Korrektiv?, VS Verlag für Sozialwissenschaften, Wiesbaden, 2006 ; Richard Faber et Frank Unger (dir.), Populismus in Geschichte und Gegenwart, Königshausen & Neumann, Würzburg, 2008 ; Susanne Frölich-Steffen et Lars Rensmann (dir.), Populisten an der Macht. Populistische Regierungsparteien in West- und Osteuropa, Braumüller, Vienne, 2005 ; Florian Hartleb, Internationaler Populismus als Konzept. Zwischen Kommunikationsstil und fester Ideologie, Nomos, Baden-Baden, 2014 ; Guy Hermet, Les Populismes dans le monde, Fayard, Paris, 2001 ; Alexander Kirchner, « Populismus », in Gert Ueding (dir.), Historisches Wörterbuch der Rhetorik, Band 11, WBG, Darmstadt, 2011, p. 933-946 ; Yves Mény et Yves Surel (dir.), Democracies and the Populist Challenge, Palgrave, New York, 2002 ; Cas Mudde et Cristóbal Rovira Kaltwasser (dir.), Populism in Europe and the Americas. Threat or Corrective for Democracy?, Cambridge University Press, New York, 2012 ; Jan-Werner Müller, Was ist Populismus? Ein Essay, Suhrkamp, Berlin, 2016 ; Karin Priester, Populismus. Historische und aktuelle Erscheinungsformen, Campus, Francfort-sur-le-Main/New York, 2007 ; Karin Priester, Rechter und linker Populismus. Annäherung an ein Chamäleon. Campus, Francfort-sur-le-Main, 2012 ; Dominique Reynié, Populismes : la pente fatale, Plon, Paris 2011 et Les Nouveaux populismes, Fayard/ Pluriel, Paris, 2013 ; Jean-Pierre Rioux (dir.), Les Populismes, Perrin, Paris, 2007 ; Sir Peter Ustinov Institut (dir.), Populismus. Herausforderung oder Gefahr für die Demokratie?, New Academic Press, Vienne, 2013 ; Paul Taggart, Populism, Open University Press, Philadelphie, 2000 ; Pierre-André Taguieff, L’Illusion populiste. Essai sur les démagogies de l’âge démocratique, Flammarion, Paris, 2007 ; Carlos de la Torre (dir.), The Promise and Perils of Populism. Global Perspectives, University Press of Kentucky, Lexington, 2015.
De ce point de vue, voir Max Preglau et Rudolf Richter (dir.), Postmodernes Österreich? Konturen des Wandels in Wirtschaft, Gesellschaft, Politik und Kultur, Signum, Vienne, 1998, et Max Preglau, « Rechtsextrem oder postmodern? Über Rhetorik, Programmatik, Interaktionsformen und ein Jahr Regierungspolitik der (Haider- ) FPÖ », in SWS-Rundschau, Heft 2/2001, p. 193-213.
À ce sujet, voir Maria Rösslhumer, Die FPÖ und die Frauen, Döcker, Vienne, 1999.
Voir Fritz Plasser, Peter Ulram et Franz Sommer (dir.), Das österreichische Wahlverhalten, Signum, Vienne, 2000.
Sur cette problématique, voir Carina Klammer, Imaginationen des Zur Konstruktion antimuslimischer Fremdbilder im Rahmen der Identitätspolitik der FPÖ, LIT-Verlag, Berlin, 2013, et Farid Hafez, « Von der „Verjudung“ zur „Islamistenpartei“. Neue islamophobe Diskursstrategien der FPÖ im Rahmen des Wiener Wahlkampfs », in Farid Hafez (dir.), Jahrbuch für Islamophobieforschung 2011. Deutschland, Österreich, Schweiz, Studien Verlag, Innsbruck, p. 83-98.
Le FPÖ de Haider est un parti extrémiste de droite parce qu’il n’a jamais rompu de manière claire et convaincante avec son passé national-socialiste, ni avec l’antisémitisme9. Ce dernier quitte le champ du religieux pour le politique, avec la formulation racialiste en Autriche par le courant Alldeutsche (Allgemeiner Deutscher Verband jusqu’à 1884, puis Alldeutscher Verband jusqu’à 193910). L’antisémitisme de Jörg Haider était certes dissimulé sous les oripeaux de sa ligne pro-arabe (amitié avec Kadhafi et rapprochement avec Saddam Hussein et les pays arabes antisionistes), mais transparaissait dans sa dénonciation des « banquiers de la côte Ouest des États-Unis » et autres métaphores antisémites. Haider n’a jamais condamné la « guerre raciale » d’Hitler mais a reconnu, au contraire, le fait soldatique (les odes aux anciens combattants Wehrmacht et SS). Enfin, le FPÖ – Haider et ses proches du parti – a entretenu un révisionnisme historique, mais non ouvertement négationniste, rampant. Pour toutes ces raisons, le FPÖ haiderien était donc un parti extrémiste de droite, stratégie abandonnée par le FPÖ actuel de Strache, qui a voulu et a totalement dédiabolisé le parti, ce qui l’a conduit à adopter une ligne pro-israélienne11 et à faire taire toute apologie du national-socialisme dans les rangs du parti. L’« authenticité » de ce virage et sa durabilité restent à prouver, mais elle est incontestable.
Depuis la montée en puissance électorale à partir de 1986, le FPÖ est aussi un parti populiste de droite, ou national-populiste12. Il a réussi à jouer au mieux sur son double rôle – relatif – de parti hors système et de parti organique de ce même système (à travers son enracinement dans le courant national-allemand). À juste titre, on peut interpréter l’efficacité de ce double positionnement, c’est-à-dire l’arrivée au pouvoir en 2000, comme le début d’une évolution postmoderne de la société autrichienne13. Le FPÖ de Haider, mais aussi celui de Strache, est devenu un parti qui a su dépasser les clivages traditionnels, notamment de classe, des autres partis et, si l’on excepte celui des sexes – le FPÖ exerce une faible attractivité pour les femmes14 –, se greffe à d’autres clivages, comme celui des générations – préférences des jeunes. Le FPÖ est ainsi devenu en quinze ans un parti ouvrier passant de 10% des suffrages auprès de cette population en 1986 à 47% en 1999, cette tendance se poursuivant en 201615. En revanche, le FPÖ surinvestit le clivage identitaire, à travers une xénophobie sous-tendue par le rejet des « étrangers » et de l’usage de référentiels racistes, nationalistes et antimusulmans16.
Le FPÖ est devenu le parti des ouvriers
Oliver Geden, Männlichkeitskonstruktionen in der Freiheitlichen Partei Österreichs. Eine qualitativ- empirische Untersuchung, Leske + Budrich, Opladen, 2004.
Jusqu’en 1999, le FPÖ de Haider attirait surtout des hommes17, souvent jeunes, des électeurs à faible niveau d’éducation et sans liens syndicaux, des ouvriers et des votants à faible lien religieux, le parti de Strache disposant des mêmes bases électorales (voir infra). Ces électeurs se considèrent comme les « oubliés » de la démocratie de concordance. Leur choix politique – le vote FPÖ – n’est en rien l’expression d’une volonté de se fondre dans la mobilité sociale, mais plutôt d’un rejet de cette mobilité. On parle de « société hérisson » comme référence à ces électeurs. Cette partie de la société a le sentiment que la sécurité – jadis offerte par la Proporz – n’est plus garantie pour tous et que l’économie de marché et ses crises ont sonné le glas de la distribution des « profits ». Les élites politiques des grandes coalitions ont ainsi échoué, amenant les électeurs FPÖ à se vivre comme « anti-élitistes » ou comme adhérents d’une nouvelle élite de remplacement – freiheitlich – dont la fonction est voulue « redistributrice ». Le succès du FPÖ s’articule donc sur la ligne de conflit de la modernisation de la société autrichienne et agglomère, au moins dans sa première phase, les perdants de cette modernisation. Les sondages confirment : le FPÖ est surtout performant dans les secteurs économiques non protégés.
Le FPÖ de Haider comme celui de Strache est un parti situé au-delà des référentiels de classe, de nation et de religion, mais se développe néanmoins autour de ces clivages. Les perdants de la modernisation – on peut parler de prolétariat – sont un avatar de la société de classe.
Un syncrétisme idéologique
Programme du FPÖ disponible sur le lien fpoe.at/themen/parteiprogramm/.
Voir Sebastian Reinfeldt, Nicht-wir und Die-da. Studien zum rechten Populismus, Braumüller, Vienne, 2000.
Un autre marqueur populiste est que le FPÖ a su sacrifier sa consistance idéologique aux mouvements de l’opinion, ce qu’illustre la mutation du FPÖ de parti proeuropéen dans les années 1980 en parti antieuropéen en 2016. La mobilisation de sentiments de rejet vis-à-vis de groupes sociaux (migrants et réfugiés, Roms et Tsiganes, intellectuels décadents…) est également emblématique du populisme. Ceci vaut aussi pour le programme du FPÖ en 201618, de nature sécuritaire (il articule les craintes des populations à propos du terrorisme avec la petite criminalité, le trafic de drogue et les cambriolages, etc.). Tout aussi typique du populisme de droite est la combinaison – au prix de l’incohérence – d’une adhésion au libéralisme économique, à l’économie de marché et de velléités interventionnistes en la matière (préférence nationale, non-intégration des étrangers dans les systèmes de santé et de retraite, contrôle des banques, sortie de l’euro et de l’Union européenne, politique de subvention à de nombreuses catégories sociales). Une autre dimension de ce discours autorise la qualification du FPÖ en parti national-populiste : il s’agit du recours permanent – un classique du populisme – entre le « nous » et les « autres » dans un cadre national19.
Pour autant, tous les partis national-populistes en Europe se ressemblent-ils ? Faut-il faire du FPÖ une simple variante du phénomène ? La réponse pour la période Haider est incontestable. Alors que toutes les formations comme le Schweizerische Volkspartei (SVP), la Ligue du Nord, les Partis de la Liberté du nord de l’Europe se distancient clairement du passé fasciste ou national-socialiste, le FPÖ de Haider restait « révisionniste » et demeurait typologiquement plus proche de partis comme le Jobbik en Hongrie. Le FPÖ de Strache, lui, s’éloigne de ce modèle et se rapproche typologiquement des autres formations national-populistes. Ce qui explique que le FPÖ, longtemps isolé au Parlement européen, joue aujourd’hui un rôle central au sein du parti européen Mouvement pour l’Europe des nations et des libertés (MENL) et de la fraction Europe des nations et des libertés (ENL).
Une culture des corporations de la droite nationaliste
Voir Bundesministerium des Innern (Allemagne), Verfassungsschutzbericht 2015.
Voir Bundesministerium für Inneres (Autriche), Verfassungsschutzbericht 2015.
- Voir le site des identitaires at ; sur le mouvement en Autriche, voir « Identitäre Bewegung Österreich (IBÖ) », doew.at.
Voir Horst Grimm et Leo Besser-Walzel, Die Handbuch zu Geschichte, Daten, Fakten, Personen, Umschau Verlag Breidenstein, Francfort-sur-le-Main, 1986 ; Ludwig Elm, Dietrich, Heither et Gerhard Schäfer (dir.), Füxe, Burschen, Alte Herren. Studentische Korporationen vom Wartburgfest bis heute, Papyrossa, Cologne, 1993 ; Dietrich Heither, Michael Gehler, Alexandra Kurth et Gerhard Schäfer, Blut und Paukboden. Eine Geschichte der Burschenschaften, Fischer, Francfort-sur-le-Main, 2001.
Cette double étiquette de parti extrémiste de droite et national-populiste a eu un effet positif sur le système politique, bien que limité dans le temps. Alors qu’en Allemagne, une scène néonazie violente a pu s’établir et prospérer, surtout dans les nouveaux Bundesländer20, l’Autriche est restée largement épargnée par le phénomène21. Si la « dureté » des lois autrichiennes de répression des activités national-socialistes joue un rôle-clé, il n’en reste pas moins que le FPÖ de Haider a largement absorbé le potentiel extrémiste. La « dédiabolisation » réussie du FPÖ par Strache a permis la lente restructuration, en marge du système politique autrichien, d’un potentiel organisationnel et militant « dur » qu’incarnent surtout les identitaires22. En 2016, le bilan est cependant « positif » : une faible violence contre les migrants et les réfugiés, un antisémitisme/antisionisme principalement localisé dans l’immigration et l’extrême gauche, pas de courant « négationniste » véritablement structuré, une scène skinhead très faible, etc.
Si l’on devait isoler une dimension spécifique de l’« extrémisme de droite » commun aux deux FPÖ de Haider et de Strache, nous la trouverions au niveau de la direction du parti. Le FPÖ recrute nombre de ses cadres dirigeants, et ceci comme tous les partis/mouvements nationaux-allemands du passé (Alldeutsche, Großdeutsche Volkspartei et NSDAP autrichien) dans le milieu des corporations d’étudiants nationalistes pratiquant le rite du duel (Schlagende Studentenverbindung). Jörg Haider appartenait à la Burschenschaft Silvania, Heinz-Christian Strache à la Wiener pennale Burschenschaft Vandalia. Ces corporations, dont l’histoire remonte à la première moitié du XIXe siècle, ont joué un rôle important lors de la révolution ratée de 1848. Cette culture corporatiste comportait une dimension quasi aristocratique – le visage portait une scarification visible (Mensur) – et coulait ses membres dans un moule idéologique inspiré du nationalisme (issu de la tradition antinapoléonienne) et d’un libéralisme précoce. À la fin du XIXe siècle, la dimension libérale a disparu et a été remplacée par le nationalisme allemand (Deutschnationalismus) et par un antisémitisme de plus en plus virulent, non plus d’origine religieuse mais à fondement racial.
Cette culture des corporations, milieu normé (masculin, duel et blessure, identité politique), a marqué l’extrémisme de droite autrichien comme nulle part ailleurs. En Allemagne comme en Europe, les corporations étaient et sont toujours nationalistes, mais moins extrémistes qu’en Autriche. Les conflits de nationalité à la fin de la monarchie autrichienne ont sous-tendu et favorisé la radicalisation des corporations national-allemandes d’Autriche de manière plus intense qu’en Allemagne. Le lien de causalité entre ce milieu et l’apparition d’un champ politico-idéologique spécifique, qui survit et prospère en 2016 au sein du FPÖ, est autrichien et seulement autrichien. Cet enracinement historique indéniable a permis à l’extrémisme de droite dans ce pays de se doter d’une forme de respectabilité sociale. Autre avantage de ces corporations, leur composition : elles étaient formées d’étudiants, donc de niveau d’éducation supérieure, avec une forte concentration sur le droit et l’économie. Les élites traditionnelles étatiques et économiques ont été – et le restent partiellement – marquées par ces corporations. À la différence des corporations catholiques, les corporations national-allemandes avaient un caractère masculin extrêmement rigide et constituaient des bases de résistance contre une « féminisation » de la société jugée dangereuse23.
On perçoit là la différence avec le Front national qui ne s’appuie pas, ou peu, sur un milieu traditionnel fermé (à l’exception peut-être des catholiques lefebvristes). Il en va de même pour les autres partis national-populistes en Europe de l’Ouest qui recrutent, au moins dans une première phase de développement, des perdants de la modernisation et ne peuvent offrir aux adhérents un cadre élitiste comme celui du FPÖ. Toutes ces dimensions font de l’extrémisme de droite autrichien, d’une part, un milieu traditionnel – cette pseudo-aristocratie national-allemande – et, d’autre part, un mouvement néoprolétarien, qui n’avait pas besoin de fonder un nouveau parti et trouvait à s’intégrer dans un FPÖ actif depuis les années 1950.
L’organisation du FPÖ
Le FPÖ de Strache, contrairement à celui de Haider, ne donne que très peu d’informations aux chercheurs et journalistes. Et pour cause : entre 2005 et 2013, le parti se remettait lentement de la scission du BZÖ et tentait de cacher certaines faiblesses, par exemple au niveau des élections communales. En 2016, le parti prospère, mais reste toujours d’une discrétion certaine.
Les structures
Nina Horaczek et Claudia Reiterer: HC Strache: Sein Aufstieg, seine Hintermänner, seine Feinde, Ueberreuter, Wien 2009, 99 et suivantes.
Les structures légales du parti sont réglées par les lois autrichiennes et n’ont pas d’originalité : fédérations régionales, districts, points d’appuis et groupes locaux (237 et 1.248 en 2004, chiffres actuels inconnus). Le parti est dirigé par un Bundeshauptmann, Heinz-Christian Strache, qui tient le parti d’une main de fer. Si la démocratie formelle est respectée avec les élections internes des dirigeants, cadres et élus, le parti fonctionne de manière très centralisée. Strache a des hommes-liges à la tête de toutes les fédérations et a éliminé tous les concurrents possibles24. Toute la propagande du parti est concentrée sur lui et il est le seul leader qui s’exprime et décide de la politique freiheitlich officielle. Il dispose autour de lui d’une petite garde rapprochée de haute qualité, qui le conseille et compense la faible culture politique du « chef ». L’appareil du parti est réduit et très moderne. Le FPÖ n’a pas de service d’ordre.
Les adhérents
À l’exception du SPÖ qui publie le chiffre de ses adhérents, tous les autres partis sont muets sur le sujet. En 2014, le SPÖ comptait 205.224 membres, l’ÖVP environ 600.000, les Verts 6.500, les Neos 2.200 et le FPÖ environ 50.000 (estimations). Les derniers chiffres freiheitlich connus remontent à 2005, la scission BZÖ ayant provoqué le départ d’environ 10.000 adhérents sur les 45.000 que comptait le parti en août 2004.
Les organisations liées, la presse et les médias
Voir Patrick Moreau, cit., p. 149-191.
Voir Patrick Moreau, « Autriche, l’essoufflement politique d’un système consensuel », in Dominique Andolfatto et Sylvie Contrepois (dir.), Syndicats et dialogue Les modèles occidentaux à l’épreuve, Peter Lang, Bruxelles, 2016, p. 37-54.
Le site de Strache (www.hcat/) fait l´objet de toutes les attentions et offre une information solide sur le parti. Le FPÖ possède un journal en ligne (nfz.fpoe.at/) et un programme de télévision qui commentent de manière professionnelle l´actualité politique.
Alors que Jörg Haider avait une vision « léniniste » du parti, avec la volonté d’atteindre toutes les couches et groupes sociaux avec des organisations spécialisées (femmes, étudiants, jeunes, syndicat, retraités, entrepreneurs… 25), Strache a compris que son avenir reposait sur la communication (médias et Internet). Il a laissé intactes toutes ces structures, au nombre de douze en 2016. Elles ont leur propre financement et des activités plus ou moins intenses, mais Strache ne s’intéresse qu’à l’organisation de jeunesse et aux étudiants (Ring Freiheitlicher Jugend Österreich-RFJ et Ring Freiheitlicher Studenten-RFS) ainsi qu’au syndicat freiheitlich (Aktionsgemeinschaft Unabhängiger und Freiheitlicher-AUF). Là encore, les chiffres d’adhérents sont inconnus, les étudiants freiheitlich compensant leur faiblesse numérique par des capacités d’agitation certaines.
L’AUF a progressé lors des élections professionnelles de 2014 (+ 1,95% par rapport à 2012). Les conservateurs du Christgewerkschafter (FCG) ont obtenu 53,03% des suffrages, les socio-démocrates (Sozialdemokratische Gewerkschafter-FSG) 26,51%, les Indépendants (Die Unabhängigen Gewerkschafter-UGÖD) 10,68%. L’AUF a rassemblé, pour sa part, 7,65% des suffrages (9 mandats sur 182). Le FPÖ a effectué en particulier une percée dans l’armée (31,46%) et dans la police (25,3%)26.
En dehors d’une forte présence sur YouTube, Twitter et Facebook, le FPÖ dispose d’un site central et de multiples sites régionaux27.
Les finances
Les finances des partis autrichiens restent particulièrement opaques, malgré l’obligation d’un compte rendu légal annuel obligatoire. Le dernier rapport du FPÖ remonte à 201428. Le parti déclarait des recettes, sans les cotisations des membres présentes dans les rapports des organisations régionales, de 9.853.458 euros (dont plus de 9 millions venus des remboursements légaux de frais). Les dépenses étaient de 6.917.177 euros, dont 434.921 euros en dépenses de personnel, ce qui montre le faible nombre de permanents au niveau central. S’y ajoutaient 19 millions d’euros des organisations régionales (cotisations et remboursement de frais).
On estime à environ 36 millions d’euros la somme de tous les financements publics (frais électoraux, clubs parlementaires, académie…). Sur ces bases, le chiffre d’environ 50.000 adhérents paraît plausible. Les dons au parti sont inconnus, mais estimés importants. Toutes les organisations liées au FPÖ disposent aussi de leur propre financement, lui aussi inconnu. Enfin, l’académie FPÖ a touché 2.026.258 millions d’euros au titre de la loi sur l’éducation politique29. À partir de ces indicateurs très partiels, on voit que le FPÖ dispose de finances très solides lui permettant, en utilisant des compétences extérieures (agences de publicité), de mener des campagnes très intensives. La campagne de Hofer pour le premier tour de l’élection présidentielle a coûté 1.907.154 euros, plus une contribution de 33.879 euros d’origine carinthienne. Le second tour a couté environ 3,4 millions au FPÖ (pour 2,7 millions à Van der Bellen)30. Le budget du « troisième tour » devrait se situer au même niveau.
À la conquête de l’opinion : euphémisation, gramscisme de droite et guerre sémantique
Entre 1955 et 1986, date de la prise de direction du FPÖ par Jörg Haider, le parti se soucie tout d’abord de sa respectabilité. Cette stratégie s’est révélée payante. Le parti est devenu aux yeux du SPÖ et de l’ÖVP un partenaire possible, nécessaire à l’obtention d’une majorité permettant d’éviter les grandes coalitions. Ceci malgré l’ancrage diffus du FPÖ dans le national-socialisme. Il va ainsi se voir associé au pouvoir avec le SPÖ entre 1983 et 1986. Mais cette alliance est restée peu payante en termes d’expansion électorale et militante. Certes, le parti n’a pas connu la scission d’une aile extrémiste, mais il n’a pas pu exploiter le potentiel des perdants de la modernisation existant dans le pays. Le FPÖ, passé sous Haider dans l’opposition anti-système, a eu le champ libre, a commencé son ascension électorale et a alors attiré de nouvelles couches d’électeurs.
Des succès électoraux aux responsabilités gouvernementales et à son corollaire : la scission !
Voir notamment Patrick Moreau, De Jörg Haider à Heinz-Christian L’extrême droite autrichienne à l’assaut du pouvoir, Cerf, Paris, 2012, p. 257-293.
Toutes les consultations à partir de 1986 ont été couronnées de succès, sans que la structure de direction du FPÖ et son recrutement changent. Le parti a massivement recruté, s’est doté d’organisations spécialisées (femmes, syndicats, paysans, retraités, chefs d’entreprise…). Les contradictions internes existant entre la direction national-allemande du parti et sa base prolétarisée n’ont joué aucun rôle. Ceci tant que le FPÖ est resté un parti anti-système. Les choses ont changé en 1999, lorsque le FPÖ est devenu le premier parti autrichien aux élections générales. Le FPÖ, en devenant le partenaire de coalition égal en droit de l’ÖVP, a dû gérer l’économie et l’avenir du pays tout en s’introduisant dans le système. L’opposition antisystème a été abandonnée, ce qui a provoqué l’ire des perdants de la modernisation. L’échec de l’élection de 2002 et le grave affaiblissement électoral du parti ont placé le FPÖ dans une situation de faiblesse vis-à-vis de son partenaire de l’ÖVP. Pris au piège, Haider a fait scission et, avec son Bund (BZÖ), a tenté de fonder un parti nouveau, à la fois populiste et gouvernemental mais réduisant la force du courant national- allemand. En clair, l’arrivée aux affaires a tué le FPÖ haiderien, incapable de résister à ses contradictions : le populisme antisystème et la gestion du pouvoir dans le cadre d’une coalition31. Un destin qu’a connu, pour les mêmes raisons, le parti néerlandais Lijst Pim Fortuyn en 2002.
La refondation du FPÖ
Le FPÖ de Strache a tiré des leçons de la période de gouvernement avec l’ÖVP. Strache ne consent à une coalition que s’il devient chancelier, ses préférences allant à la social-démocratie du fait des « dimensions de gauche » communes aux deux partis. Strache a aussi compris qu’il fallait créer ou recruter une élite de gestionnaires politiques (celle de la coalition avec l’ÖVP était d’une incompétence bien connue), participer à des coalitions régionales avec l’ÖVP et le SPÖ, ce qui est le cas depuis 2016 (voir infra), et tirer de la gestion du pouvoir régional une formule permettant de conserver l’électorat néoprolétarien, et ce sans mettre en péril les acquis du noyau national-allemand, qui conserve une très forte influence sur les directions nationale et régionales du parti.
Pour devenir chancelier, Heinz-Christian Strache devra moderniser le parti sans risquer une crise semblable à la scission du BZÖ en 2005. Ce chantier est d’abord idéologique, mais aussi sémantique (voir infra) et marginalement organisationnel.
Le FPÖ de Strache a abandonné avec une extrême prudence le discours national-allemand historique. Celui-ci remontait au début du XIXe siècle et s’orientait, depuis la fondation du Reich allemand de 1871, vers un projet d’union de l’Autriche allemande avec le Reich. Cette volonté politique s’est maintenue en 1933 et au-delà, alors que les partis politiques autrichiens, qui avaient en 1918 adopté le principe de l’Anschluss avec la République de Weimar, ont changeé d’orientation compte tenu de la nature du national- socialisme. L’Anschluss de 1938 – imposé par le IIIe Reich de l’extérieur mais cependant largement soutenu par la population –, le désastre de la guerre et la fondation de la République fédérale allemande (RFA) après 1949 ont rendu le discours national-allemand obsolète, ce que le FPÖ a compris, tant sous Haider qu’aujourd’hui. Si ce discours survit lors des rites de passage des corporations, il n’existe plus sous forme de courant politique organisé.
Haider puis Strache de manière plus conséquente ont alors remplacé le discours national-allemand par le « patriotisme » autrichien (terminologie reprise en 2016 par d’autres partis national-populistes, à l’image du Front national de Marine Le Pen). La désignation des ennemis (Commission européenne, migrants et réfugiés, gens du voyage, etc.) est effectuée dans un cadre interprétatif national. La nation autrichienne, valeur ultime de référence, doit être défendue à tout prix, mais pas un hypothétique État germanique allant de l’Alsace à la Pologne. Ce changement fondamental, où l’on passe de l’utopie de l’autodissolution de l’Autriche dans une Grande Allemagne à une orientation nationaliste étroite (à l’exception du Tyrol du Sud que le FPÖ réclame toujours), a eu l’avantage d’offrir au parti un discours nouveau en phase avec l’entrée de l’Autriche dans la Communauté européenne. Le FPÖ a pu devenir un opposant à ce qui est nommé aujourd’hui le « monstre froid de Bruxelles » et à toute tentative de créer un État supranational.
L’orientation antieuropéenne, qui s’appuie sur un réel sentiment collectif en Autriche, est en accord stratégique avec la dialectique du « patriotisme autrichien ». Strache sait que le projet européen actuel vise à dépasser tous les cadres nationaux. Il a donc forgé une réponse nationale, qu’il affine par d’autres substrats idéologiques : le régionalisme et l’enracinement dans le Heimat (le pays réel et sa culture).
Le discours antimusulman prend le pas sur l’antisémitisme
Sur ce sujet, consulter « EU-Politik „von NATO und Amerika“ », at, 12 septembre 2014 ; G. Höller, « Moskaus blaue Freunde », zeit.de, 29 septembre 2014 ; Martin Fritzl, « Putins Freunde in der FPÖ », diepresse.com, 20 juin 2014.
Au titre des autres modernisations (voir infra sur la sémantique), on trouve la question de l’antisémitisme et de sa dissimulation par l’antisionisme, rendue obligatoire par l’Holocauste, la population autrichienne étant consciente de sa coresponsabilité. En 2016, l’antisémitisme culturel, religieux et économique existe toujours en Autriche comme ailleurs, mais il est souterrain et du domaine des préjugés faiblement articulés publiquement. Haider était un antisioniste flamboyant, amis de tous les despotes arabes et aimé des populations musulmanes qui l’appelaient « le Lion ». Son antisémitisme restait caché derrière des voiles sémantiques (sa dénonciation des puissances financières de la côte Ouest des États-Unis, par exemple). Il était aussi antiaméricain, au nom de la préservation de l’identité autrichienne et de la prévention de toute acculturation. Strache a inversé la donne, se montrant – comme Marine Le Pen – soucieux de défendre des positions favorables à Israël et de condamner tout antisémitisme. Seul l’antiaméricanisme demeure d’actualité, mais avec une prudence certaine, le FPÖ reconnaissant aux forces américaines un engagement militaire contre l’État islamique. Haider était sans surprise un anticommuniste fanatique ; Strache, vu l’état de l’extrême gauche et du Parti communiste autrichien (KPÖ), ne s’intéresse guère au sujet. La grande nouveauté est la ligne pro-Poutine et l’existence de contacts extrêmement denses entre le FPÖ et l’administration présidentielle russe et nombre d’oligarques. Poutine est présenté comme le porteur d’un projet eurasiatique, d’une autre « grande Europe des nations » détachée de l’influence de l’Amérique, vecteur de dépendance économique et de déclin culturel. Les dimensions idéologiques communes entre la Russie et les « patriotes » du FPÖ sont, en dehors du nationalisme et de l’hostilité à l’Europe de Bruxelles, l’engagement de la Russie dans la lutte contre l’islamisme sur le plan militaire32.
En 2016, on retrouve dès lors le primat du discours antimusulman. Peu avant sa mort, en 2008, Haider avait bien dénoncé l’immigration mais n’avait pas eu le temps d’en faire un axe politique central, même si ce thème était bel et bien présent jusqu’en 2005 dans l’agitation politique du FPÖ haiderien. Dès son accession à la direction du FPÖ, Strache choisit, dans le cadre du « patriotisme national », de faire de la lutte contre l’immigration un thème central, le tout accompagné d’une critique de la nature de l’islam en soi (incompatibilité avec la Constitution autrichienne, notamment). Une orientation qui s’est encore renforcée en 2015 et en 2016 avec l’arrivée de quelque 115.000 réfugiés. Le succès de cette stratégie antimigratoire fut tel que l’ÖVP et son étoile montante, le ministre des Affaires étrangères Sebastian Kurz, tout comme le nouveau chancelier SPÖ Christian Kern sont aujourd’hui les plus chauds ennemis – avec la Hongrie et les autres pays de l’Est – de la politique migratoire d’Angela Merkel.
On voit, là encore, combien les « deux FPÖ » diffèrent : Haider se trouvait dans la tradition national-socialiste d’ouverture – par antisémitisme – vers l’islam (combattants SS musulmans, soutien au Grand Mufti de Jérusalem), alors que Strache, par opportunisme populiste, a mis en avant la lutte contre l’immigration et l’islamisation de la société autrichienne. L’authenticité de son philosémitisme et de son sionisme reste cependant inconnue, ce qui vaut aussi pour Marine Le Pen ou Geerd Wilders, par exemple.
Comme ailleurs en Europe, une stratégie de dédiabolisaton
Sur le GRECE, voir Anne-Marie Duranton-Crabol, Visages de la Nouvelle Le GRECE et son histoire, Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1988 ; Pierre-André Taguieff, Sur la Nouvelle Droite. Jalons d’une analyse critique, Descartes et Cie, Paris 1994.
Ce terme renvoie aux personnes qui, lors de l’arrivée des premiers migrants et réfugiés, les ont accueillis à la descente des trains en applaudissant ou en distribuant des jouets aux Ils portaient souvent des pancartes ou des badges Welcome.
Voir Gerald Garnter et Markus Hametner, « Das Vokabular der Asylkritiker », at, 6 septembre 2016.
Le FPÖ de Strache a définitivement dédiabolisé le FPÖ, les « antifascistes » encore actifs se trouvant en perdition militante. L’opinion publique croit en un possible chancelier Strache. Cette acceptation croissante est due non seulement aux qualités de communicant de Strache et à son sens populiste pour coller aux demandes ou aux peurs collectives, mais aussi à un travail systématique dans le domaine de la communication. L’idée en soi n’est pas nouvelle : conquérir les esprits (les « casemates » selon Antonio Gramsci) et dominer le culturel pour aboutir à la prise de pouvoir. Le gramscisme de droite a une histoire ancienne, avec le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE) d’Alain de Benoist dans les années 198033 ; une analyse métapolitique qui a aussi connu son heure de gloire sous Haider (en fait sous la plume d’Andreas Mölzer, son écrivain de cours et un brillant intellectuel) et qui est revenue en grâce sous Strache. Il consiste à modifier le discours du FPÖ pour le rendre inattaquable sur le plan des principes démocratiques, l’ouvrir à toutes les couches de la population et le rendre acceptable aux segments sociaux traditionnellement hostiles (les femmes, les 60 ans et plus, les fonctionnaires et les diplômés de l’enseignement supérieur).
Cette guerre est menée selon deux approches stratégiques complémentaires. Le FPÖ, qui maîtrise à la perfection Internet, pratique comme les autres partis le negative campaigning34, mais il va au-delà, en tentant souvent avec succès de casser des « mots ». Le meilleur exemple est celui de Gutmensch (« bon homme »), très marqué à gauche et symbolique dans la crise migratoire de la mobilisation d’une partie de la population pour les réfugiés. En deux ans, au terme d’une critique systématique de son emploi sur Facebook et dans les lettres de lecteurs aux éditeurs, le terme Gutmensch est devenu plus ou moins l’équivalent de celui de « benêt ». Ce faisant, la mobilisation en faveur des réfugiés s’est chargée d’une dimension négative : un mouvement « imbécile, dirigé par des idiots » et donc « dangereux ». On observe la même technique pour d’autres mots ou expressions : « réfugiés économiques », « industrie de l’asile », « claqueurs welcome35 », « enrichisseurs de la culture »… 36 Au-delà de cette « guerre de mots », Strache a donné à son parti un nouveau langage, qu’il faut, terme après terme, analyser pour comprendre l’impuissance des partis démocratiques à trouver des réponses au FPÖ. Le langage freiheitlich actuel dessine le programme du parti et ses principales composantes.
Les deux FPÖ et leur monde idéologique
Ceci montre qu’en 2016 le discours FPÖ est difficile à attaquer au nom de l’expérience national-socialiste. Il est certes xénophobe et, à l’analyse, autoritaire, mais d’un autoritarisme discret, dissimulé derrière le sourire permanent de Strache, ce qui nous permet de comprendre les difficultés de l’ÖVP et du SPÖ à « démonter » le FPÖ.
Sur ces bases, Strache sera-t-il en mesure d’imposer des changements idéologiques de fond aux partis démocratiques de gauche et de droite dans le cadre du système politique autrichien ? Au niveau européen, et au-delà du durcissement des politiques migratoires, pourra-t-il imposer ces changements avec ses alliés national-populistes ? Il est certes trop tôt pour le savoir, mais il est évident que les référentiels idéologiques des partis populistes xénophobes de type FPÖ gagnent en popularité grâce à cette stratégie sémantique.
Heinz-Christian Strache : leadership charismatique et télépopulisme
Voir Nina Horaczek et Claudia Reiterer, HC Sein Aufstieg, seine Hintermänner, seine Feinde, Ueberreuter, Vienne, 2009 ; Andreas Mölzer, Neue Männer braucht das Land. Heinz-Christian Strache im Gespräch mit Andreas Mölzer, Zur Zeit W3, Vienne, 2006.
En particulier avec Gottfried Küssel, grande figure du néonazisme en Autriche (voir son portrait sur de.wikipedia.org/wiki/Gottfried_Küssel), mais aussi avec la Wiking-Jugend.
Né en 1969, Heinz-Christian Strache cultive l’image d’un homme avenant38. Catholique issu d’une famille modeste, il a reçu une formation de technicien dentaire et de petit entrepreneur. Il a grandi au sein du courant national- allemand et a tissé des liens avec l’extrême droite autrichienne la plus dure39. Thuriféraire de Jörg Haider, il en est devenu son pire ennemi. Sa culture politique est limitée – il lit peu – mais ce manque est compensé par un évident charisme, un réel talent d’orateur et un sens aigu de la communication avec ses interlocuteurs et le public. Il plaît par ailleurs beaucoup plus aux femmes que Haider : marié, il ne renvoie pas à cet arrière-plan d’homosexualité qui colle à dernier.
La rhétorique disruptive du FPÖ
Voir wikipedia.org/wiki/Harald_Vilimsky.
Voir norberthofer.at/ et de.wikipedia.org/wiki/Norbert_Hofer.
Dans les débats télévisés, il se montre redoutable et a su, par le passé, écraser dialectiquement le professeur d’université Van der Bellen, candidat à la présidence de la République. Pour atteindre les jeunes, il se déguisera en Che Guevara de droite, chantera des raps et se moquera avec efficacité de l’âge moyen des autres hommes politiques. Il est entouré d’hommes jeunes, très qualifiés, les meilleurs exemples étant le secrétaire général du parti et éminence grise Herbert Kickl40, mais aussi Harald Vilimsky41 et l’actuel candidat à la présidence Norbert Hofer42. Cette garde rapprochée assure tout le travail intellectuel et de préparation, et laisse à Strache le soin de communiquer. Malgré les profondes différences entre Haider et Strache, leurs styles de communication se ressemblent néanmoins. Comme Haider, Strache est un maître pour désigner les « ennemis » du peuple autrichien. Il a su aussi s’ouvrir à la modernité informatique et propose aux citoyens de « nouvelles libertés » sous le drapeau libertaire du Freedom of speech. Le style « populiste de droite » est le domaine où la continuité est la plus forte entre les deux FPÖ.
Georgi Dimitroff, dirigeant communiste bulgare, déclarait lors du VIIe congrès de l’Internationale Communiste à Moscou (1935) : « le fascisme est la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier».
Face à cette « modernisation » des stratégies et des discours, l’extrême gauche, la gauche et les droites libérales et conservatrices autrichiennes ont réagi de manière différente.
À l’extrême gauche (communistes du KPÖ et trotskistes de toutes tendances) et dans une large frange de la gauche (gauche du SPÖ et syndicats), l’antifascisme continue à penser l’émergence des populismes xénophobes du type FPÖ en continuité avec les thèses de Dimitrov et l’articulation « fascisme- capitalisme »43. En 2016, bien que la social-démocratie autrichienne soit en train de repenser la question, la globalisation étant au cœur des nouvelles analyses, elle reste très désarmée intellectuellement face à la « prolétarisation » de l’électorat populiste xénophobe en Autriche.
On observe parallèlement une réaction de la droite de gouvernement, l’ÖVP, tout aussi effrayée que la gauche par la montée en puissance du FPÖ. Alors que le faible courant libéral en Autriche (les Neos) fait le pari d’un retour à la normalité politique d’antan après un retour à l’optimum économique et de l’emploi, les conservateurs – qui ont été rejoints par le SPÖ – sont partis à la quête des électeurs transfuges ou abstentionnistes revenus en politique pour marquer leur mécontentement des politiques économiques et sociales suivies, ainsi que de la dépolitisation des partis dominants (le « brouet fade » des démocraties).
Pour reconquérir des électeurs, les partis démocratiques ont tenté de s’emparer des questions sécuritaires, puis de l’immigration. Sous la pression du FPÖ, on a observé une surenchère dans ce domaine, voire un quasi-alignement sur une ligne dure. L’échec a été complet, les électeurs radicalisés préférant souvent l’original à la copie. À la recherche d’un nouveau socle idéologique, l’ÖVP a redécouvert la nation et son corrélat, l’identité, expliquant l’apparition d’un discours – certes voilé – critique de la construction européenne du XXIe siècle, mais aussi une crispation autour de la question de l’immigration. La question centrale depuis l’afflux des réfugiés en 2015 a alors été celle de ceux qui sont « exogènes » à cette nation autrichienne, par fait d’immigration et/ ou de « non-intégration ». L’ÖVP est également entrée dans une phase de modernisation de son programme, mais peut-être est-il trop tard pour faire reculer le FPÖ.
Les déterminants économiques et sociaux du vote FPÖ
Voir « Arbeitslosigkeit soll 2017 noch einmal deutlich steigen », derstandard.at, 16 octobre 2016.
En 2016, l’Autriche reste un pays prospère et ne connaît qu’un chômage limité. Néanmoins, la situation se dégrade, comme le montrent les statistiques de l’emploi. En 2011, l’Autriche comptait 262.904 chômeurs ou en formation (7,6%), 285.899 en 2012 (7%) et 320.337 en 2013 (7,6%). En 2014, on recensait 351.313 chômeurs (8,4%), une tendance négative qui s’est poursuivie en 2015 et 2016 (janvier 2016 : 475.435 chômeurs, 10,6%). Les pronostics sont aussi mauvais44. L’Institut autrichien de recherche économique (WIFO) prévoit pour l’Autriche une stagnation jusqu’en 2020 (0,8%, contre 1,5% de croissance en moyenne dans l’Union européenne), un fort taux de chômage – aux alentours de 11% – et l’existence d’au moins 150.000 non-Autrichiens sur le marché du travail, bien que condamnés à rester pour la plupart chômeurs de longue durée (problèmes de qualification et de langue).
L’immigration en Autriche a toujours été importante, mais contrôlée jusqu’en 2014. En 2013, le groupe d’immigrés le plus important était celui des Turcs (113.000) et des Africains (25.000), avec cependant un important volet d’immigration cachée, notamment à Vienne 45. L’apparition de mini-ghettos a nourri les campagnes xénophobes du FPÖ, surtout dans la capitale.
Le poids croissant des étrangers dans la population nationale
L’arrivée massive de réfugiés et migrants en 2015-2016 a fait progresser le pourcentage d’étrangers de 13,3% en 2015 à environ 14,6% à la mi-2016 (estimations). Cette immigration, qui souhaite rester pour l’essentiel en Autriche, a placé le pays devant une situation inédite. Mal préparées, les institutions autrichiennes n’ont pas eu de stratégie claire jusqu’en 2016, si ce n’est de laisser partir vers l’Allemagne et le nord de l’Europe le maximum de nouveaux venus. En effet, la classe politique connaissait les craintes de la population autrichienne : nombre de salariés s’attendaient à des répercussions négatives sur l’emploi et les bas salaires, une concurrence entre les travailleurs nationaux et les réfugiés, une crise financière de l’Autriche et une remise en cause des acquis sociaux. Le FPÖ, qui a fait du problème des réfugiés son cheval de bataille, a nourri avec efficacité ces craintes, ce qui a amené la grande coalition ÖVP-SPÖ à fermer les frontières et à s’opposer à la politique Merkel.
L’installation d’une opinion protestataire
Voir Laurenz Ennser-Jedenastik, « Das Vertrauen in die politischen Institutionen ist stark gesunken », derstandard.at, 4 août 2016. Données tirées des Eurobaromètres de novembre 2015 et mai 2016.
Les sondages montrent un renforcement en 2015-2016 du pessimisme collectif (craintes devant l’avenir), qui contraste cependant avec une estimation positive des situations individuelles. L’Autriche connaît aussi une montée relative de la défiance vis-à-vis des institutions politiques nationales et internationales et des médias46, sans que l’on puisse pour autant parler de découplage fort entre les électeurs et les institutions.
Confiance dans les institutions : demande de régalien, rejet de la politique
Source :
APA/GfK/Globale Trust 2015
Voir Katharina Mittelstaedt, « Vertrauen in Politik seit Flüchtlingskrise gesunken », derstandard.at, 19 octobre 2016 . Voir aussi le tableau de David F.J. Campbell, Paul Pölzlbauer, Thorsten D. Barth et Georg Pölzlbauer, « Democracy Ranking 2015 (Scores) », 15 décembre 2015.
Les sondages montrent aussi une forte tendance des sondés à vouloir refonder partiellement la démocratie autrichienne en recourant à des référendums ou à des plébiscites. Le FPÖ n’adhère pas pleinement au modèle suisse, mais promet « au peuple » une vraie démocratie basée sur des consultations plus fréquentes sur des sujets fondamentaux (maintien dans l’Union européenne, sortie de l’euro, droit d’asile européen…)47.
Un électorat dominé par le pessimisme
« On dit que depuis 2008 l’Autriche a changé. Selon vous, cela va mieux, cela va plus mal ou il n’y a pas de changement ? »
Source :
sondage SORA (sortie des urnes), 2013 pour l’ORF (en %)
En 2013, les électeurs FPÖ étaient de loin les plus pessimistes. Les partis politiques avaient mauvaise presse, une majorité de sondés affirmant que les élites politiques étaient incapables d’« écouter le peuple ».
Une défiance généralisée vis-à-vis de la politique
« Les partis s’intéressent aux électeurs, mais pas à leurs problèmes »
Source :
sondage SORA (sortie des urnes), 2013 pour l’ORF (en %).
« Face aux grands problèmes, la politique échoue la plupart du temps »
Source :
sondage SORA (sortie des urnes), 2013 pour l’ORF (en %).
Martina Zandonella et Flooh Perlot, Wahltagsbefragung und Wählerstromanalyse Europawahl 2014, ISA, mai 2014.
Pendant la campagne de 2013, les Autrichiens ont intensément discuté des questions d’éducation, de chômage, d’impôt, d’immigration-intégration, de retraite. Les priorités des électeurs FPÖ étaient l’immigration, les retraites, les impôts, le chômage et le coût de la vie. L’écologie et les transports ne les intéressaient guère. Pendant la campagne électorale de 2014, les Autrichiens ont surtout discuté de l’immigration (80%), du chômage (75%), de la sécurité (73%), de la qualité des produits de consommation (73%) et du maintien des prestations sociales (73%). La régulation des marchés arrivait bon dernier (54%), tout comme la croissance économique (58%)48. Ventilés par préférences politiques, on voit que les électeurs SPÖ s’intéressaient surtout au chômage (86%) et au maintien des prestations sociales (85%), les électeurs ÖVP à la réduction de la dette publique (83%). Les électeurs FPÖ discutaient de l’immigration (92%), de la sécurité et de la criminalité (89%) et du chômage (85%). En termes de capacité de faire changer les choses, l’ÖVP était jugé compétent pour la croissance économique (82%), le SPÖ pour la préservation des prestations sociales (85%), les Verts pour l’écologie (86%).
Immigration et sécurité au cœur des discussions des électeurs FPÖ
Le total peut ne pas correspondre à 100 en raison de chiffres arrondis.
Source :
sondage SORA (sortie des urnes), 2013 pour l’ORF (en %).
Voir le programme de 2014 du FPÖ sur fpoe.eu/dokumente/programm/.
Österreichische Gesellschaft für Europapolitik (ÖGfE), « ÖGfE-Umfrage: 20 Jahre EU–Mitgliedschaft: ÖsterreicherInnen ziehen ambivalente Bilanz », oegfe.at, 11 décembre 2014.
Le programme FPÖ de 2013, Politik der ‘Nächstenliebe’ (« Politique de l’amour du prochain »)49, qui allait être repris mot à mot aux élections européennes de 2014 et aux régionales de 2015, était un texte très court en dix chapitres, qui collait aux préoccupations de son électorat. Il était clairement interventionniste, mais d’inspiration libérale. Il s’agissait avant tout de protéger l’Autriche et ses marchés, de défendre l’emploi des Autrichiens, de stopper l’immigration, de sortir de l’Union européenne sous sa forme actuelle et/ou de réduire la contribution de l’Autriche au financement européen, d’abandonner l’euro, de limiter le pouvoir des banques et des structures financières transnationales, de soutenir la petite et moyenne industrie. Le tout avec une politique de soutien aux familles. Le FPÖ voulait aussi une réforme des impôts, stopper l’endettement de l’État, faire payer les riches et défendre les retraites. Le programme restait muet sur les paysans et vague sur les réformes structurelles et administratives. Le second volet du programme était la sécurité, l’arrêt de l’immigration, la défense du Heimat et de la culture allemande et autrichienne. Il s’agissait, en définitive, d’un programme populiste et antieuropéen classique, mais pas ouvertement totalitaire.
Le choix FPÖ de 2013 était commandé par le binôme immigration-intégration (70%) et la sécurité (66%). Le coût de la vie (49%), les retraites (42%) et la lutte contre la corruption (42%) n’arrivaient que loin derrière.
Il faut s’interroger sur le poids de l’antieuropéanisme en Autriche et dans la force électorale du FPÖ. Une série d’études de la Société autrichienne pour la politique européenne permet d’y voir clair50. En novembre 2014, 57% des Autrichiens considéraient que l’adhésion à l’Union européenne avait été une bonne chose, 36% une erreur ; 67% des sondés voulaient rester dans l’Union européenne, 25% voulait la quitter. Lorsque l’on se penchait sur l’image de l’Europe, on voyait que 85% des sondés étaient persuadés de l’importance économique de l’Union européenne, 69% la tenant pour un facteur de paix. Du côté des aspects négatifs, 93% des personnes interrogées trouvaient l’Union européenne trop compliquée, 59% la jugeaient trop loin des gens. Plus inquiétant : 40% des sondés évoquaient une Union européenne antidémocratique, pas solidaire et antisociale.
Les Autrichiens et l’Europe : un jugement ambivalent
« Selon vous, quels termes décrivent le mieux l’Union européenne ? Elle est…»
Source :
Österreichische Gesellschaft für Europapolitik (ÖGfE), « ÖGfE-Umfrage: 20 Jahre EU– Mitgliedschaft: ÖsterreicherInnen ziehen ambivalente Bilanz », oegfe.at, 11 décembre 2014 (en %).
Cependant, la confiance dans l’euro résiste
Source :
Österreichische Gesellschaft für Europapolitik (ÖGfE), en %.
Österreichische Gesellschaft für Europapolitik (ÖGfE), « ÖGfE-Umfrage: Euro-Vertrauen auf niedrigem Niveau stabilisiert », 7 avril 2014.
L’euro était perçu de manière ambivalente par les sondés51. En 2011, la confiance dans la monnaie unique s’était affaiblie pour se stabiliser à un relativement bas niveau en 2014.
Fin 2014, les trois quarts des Autrichiens estimaient que l’avenir de l’euro était assuré, ceci malgré la crise grecque. La monnaie unique était pour la population un instrument qui avait simplifié leur vie à l’occasion des voyages, tout en entraînant un renchérissement des prix au début des années 2000.
Le FPÖ, un électorat antieuropéen
L’hostilité à l’Union européenne, un trait caractéristique de l’électorat FPÖ
Source :
sondage SORA/ISA (sortie des urnes), 2014 pour l’ORF (en %).
« L’Union européenne s’occupe plus des problèmes des entreprises que des problèmes sociaux »
Source :
sondage SORA/ISA (sortie des urnes), 2014 pour l’ORF (en %).
« L’ouverture des frontières en Europe amène plus d’avantages que d’inconvénients »
Source :
sondage SORA/ISA (sortie des urnes), 2014 pour l’ORF (en %).
Österreichische Gesellschaft für Europapolitik (ÖGfE), « ÖGfE-Umfrage: 10 Jahre EU-Erweiterung – Mehrheit der ÖsterreicherInnen zieht positive Bilanz – Skepsis betreffend künftiger EU-Erweiterungen », 25 avril 2014.
Dans un autre sondage de mars 2014, 61% des sondés jugeaient positivement l’introduction de l’euro (contre 35%) et 51% appréciaient la disparition des frontières et la libre-circulation (43% contre). En ce qui concernait l’adhésion à l’Union européenne de nouveaux membres en 2004, 53% des sondés y étaient favorables52. Plus de la moitié affirmaient ne pas avoir peur d’une perte d’identité (53%), 40% estimant néanmoins que c’était fortement ou tendanciellement le cas. En définitive, un bilan très contrasté pour l’Union européenne, qui laissait au FPÖ la possibilité de rallier les électeurs critiques ou distants de l’Europe. Ce que montrent les préférences FPÖ en 2014 (inquiets et hostiles : 62%), en comparaison avec les choix partisans ÖVP, SPÖ et Verts, qui restent pourtant ambigus (21% d’hostile à l’Union européenne chez les conservateurs).
« L’Autriche doit quitter l’Union européenne »
Source :
sondage SORA/ISA (sortie des urnes), 2014 pour l’ORF (en %).
La compétence prêtée au FPÖ se limite à la lutte contre l’immigration et l’insécurité
Source :
sondage SORA/ISA (sortie des urnes), 2014 pour l’ORF (en %).
Ibid.
Le choix FPÖ était pour sa part commandé par « la capacité du parti à contrôler les abus de l’Union européenne » (75%), à représenter « au mieux les intérêts de l’Autriche en Europe » (71%), pour la qualité de ses candidats (68%), pour ses capacités à rénover la politique (65%)53. Interrogés sur leur volonté de quitter l’Union européenne, les électorats ÖVP et SPÖ se montraient les plus hostiles à cette perspective, alors que les sondés FPÖ étaient majoritairement favorables à cette idée (62%).
La poussée du vote protestataire se réalise au profit du FPÖ (2013-2015)
Sur l’histoire et l’organisation du BZÖ, voir Moreau, Patrick, De Jörg Haider…, cit., p. 395-415 et 505-541.
a) Élections législatives de 2013 : le renouveau électoral du FPÖ
En 2013, le FPÖ était en concurrence avec deux formations : le Bund für Zukunft Österreich (BZÖ), fondé par Haider en 200554, et la Team Stronach, fondée en avril 2013.
Le BZÖ était dirigé en 2013 par un compagnon de route de Haider et ancien apparatchik FPÖ, Josef Bucher. Un solide cadre politique, mais sans charisme. Son parti, avant même le vote de 2013, était entré dans une spirale de déclin avec le départ de nombreux députés, cadres et adhérents vers la Team Stronach. Sa principale erreur avait été de se distancer de Jörg Haider, d’éliminer de l’appareil toute la vieille garde BZÖ, alliée de Haider. Enfin, il restait relativement méconnu des électeurs autrichiens.
Frank Stronach, né en septembre 1932, est un self-made-man – sa fortune est estimée à plus de deux milliard d’euros55 – qui a longtemps vécu au Canada et possédé le Konzern Magna. Il s’était officiellement retiré des affaires, mais continuait à « tirer les ficelles » économiques en Autriche ou depuis le Canada. Il avait derrière lui une longue carrière politique au sein du Parti conservateur canadien, dont il a été un élu et un des animateurs. La création de la Team Stronach était certes le gadget politique d’un vieil homme, mais il s’agissait aussi de l’aboutissement d’une réflexion sur l’État-nation ainsi que sur l’économie autrichienne et européenne face à la mondialisation. Le parti de Stronach était avant tout une formation nationaliste et antieuropéenne, dont la principale faiblesse était Stronach lui-même, un très mauvais communicant.
Entre les élections législatives de 2008 et celles de 2013, seul le FPÖ progresse
Source :
SORA (en % des suffrages exprimés).
Source : Market (1.000 sondés, 16-19 septembre 2013).
Le BZÖ a subi un échec cuisant, alors que la Team Stronach a obtenu 11 mandats à la Chambre (40 pour le FPÖ). Si l’on additionne les résultats des trois formations national-populistes, on arrive à un score de 29,7% des suffrages exprimés, niveau atteint par Haider en 1999.
L’élection au Conseil national de 2013 fut dominée dans les états-majors politiques par la question de la poursuite de la Grande Coalition. Les sondages convergeaient cependant pour montrer qu’une frange importante de la population souhaitait « un vent frais en politique » (35%) et des réformes structurelles (62%)56. Un vote de protestation se profilait à l’horizon. Le mécontentement de la population restait cependant limité. L’appréciation de la période électorale 2008-2013 montrait que 46% des électeurs pensaient que rien n’avait changé, 30% que la situation s’était dégradée et 21% que les choses allaient mieux.
La « prolétarisation » de l’électorat FPÖ
Source :
sondage SORA (sortie des urnes), pour l’ORF.
Les choix électoraux ventilés par sexe montraient que les femmes préféraient clairement l’ÖVP, le SPÖ et les Verts, alors que le FPÖ était le premier parti chez les hommes (28% contre 16% de femmes). Une tendance qui se renforçait chez les hommes de moins de 30 ans. Les femmes âgées de 16 à 23 ans se montraient particulièrement résistantes à l’attraction du FPÖ (9%, contre 27% au SPD et aux Verts, et 24% à l’ÖVP).
En dehors de ce gender gap, qui existe depuis la fondation du FPÖ, ce parti restait fort chez les ouvriers (2008 : 34%), mais progressait nettement chez les indépendants (2008 : 17%). En 2013, comme en 2008, plus le niveau d’éducation était élevé, moins le FPÖ était présent : 70% des votants FPÖ appartenaient à la catégorie « sans le baccalauréat ». On peut, ce faisant, souscrire à l’opinion des commentateurs de l’élection, qui évoquent une « (re) prolétarisation du parti », qui de fait s’est renforcée jusqu’en 2016.
Au lendemain de cette élection générale, il devenait évident pour la classe politique que la montée en puissance du FPÖ n’avait rien à voir avec une répétition mécanique de la crise des années 1930. Les succès du FPÖ étaient, ce que l’élection européenne de 2014 et les consultations de 2015 confirmeront, une conséquence de la mutation des systèmes politiques européens depuis 1990, combinée avec de profondes transformations économiques, sociales et culturelles nées de l’effondrement du communisme, de la globalisation, des crises financières, et enfin des migrations en cours.
Entre 2013 et 2016, le FPÖ a profité tout d’abord d’un « désalignement » des électeurs avec les partis établis. Derrière ce terme se cache le sentiment des électeurs de ne pas être entendus, compris et représentés par les partis traditionnels. Les succès du FPÖ sont, dans ce contexte, des réactions à des changements fondamentaux à tous les niveaux, sur des laps de temps relativement courts. L’offre identitaire du parti peut alors atteindre différentes couches sociales, victimes ou ayant peur de devenir victimes de la globalisation. Si la question de l’immigration, à partir de 2013, et celle de la crise des réfugiés, à partir de 2015, sont des facteurs essentiels, ils ne sont qu’un aspect que vient renforcer l’existence d’une tentation autoritaire dans de nombreux groupes sociaux (« ordonner les choses », « s’orienter », « avoir un leader qui guide »…). À partir de la combinaison de ces deux dimensions, auxquelles s’ajoute un fort ressentiment envers l’Europe de Bruxelles, est née à nouveau une puissante droite électorale national-populiste. En Autriche, la postindustrialisation et les effets de la globalisation se sont fait et se font pleinement sentir. Les milieux traditionnels (par exemple, celui de la culture ouvrière reposant sur le trinôme grandes entreprises-ouvriers-syndicats) se sont fortement affaiblis, entraînant le déclin du SPÖ et la mort du communisme autrichien. Il en va de même pour le monde catholique et sa fidélité partisane chez les paysans en faveur de l’ÖVP. S’y ajoute la disparition du plein emploi, qui explique aussi partiellement la montée en puissance du FPÖ. Enfin, la menace sur l’État- providence (acquis sociaux des années 1950-1960, retraites…) conduit à une inquiétude, puis à une mobilisation des électeurs, qui s’intensifie lorsque le débat inclut le rôle de l’immigration comme accélérateur de la remise en cause de cet État-providence.
Une autre dimension se révèle centrale : la convergence et la perte en contenus idéologiques des partis établis. Depuis les années 1950, l’Autriche a pratiquement toujours été dirigée par une grande coalition unissant tant bien que mal sociaux-démocrates du SPÖ et chrétiens conservateurs de l’ÖVP. La Proporz était perçue depuis les années 1980 par une large frange des électeurs comme un blocage et la source d’un immobilisme politique pesant, un sentiment bel et bien présent en 2013. Le FPÖ a attiré lors des élections législatives, mais aussi dans les consultations qui suivirent, des électeurs de différents types : antisystèmes, protestataires, perdants de la modernisation (ouvriers, prolétaires, chômeurs et groupes marginalisés économiquement et socialement), xénophobes. S’y sont ajoutés des gagnants de la modernisation ayant peur de perdre soit leurs acquis du passé (retraite, système de santé, économies et placements, biens-fonds), soit leur identité autrichienne (peur de l’acculturation, de l’immigration, de l’islam).
b) Les élections européennes de 2014 : le reflux n’est qu’un trompe-l’œil
L’élection européenne de 2014 est utile pour comprendre la place de la critique de l’Europe dans le système politique autrichien. L’Autriche est devenue en 1995 membre de la Communauté européenne, cette adhésion ayant été précédée dans le pays d’un débat très vif sur l’utilité de l’adhésion. De fait, lors du référendum, 66,4% des électeurs seulement s’y sont montrés favorables. Le FPÖ s’est retrouvé en 2014 dans une situation confortable : la Team Stronach ne participait pas aux élections et le BZÖ était déchiré par des querelles internes. Il a obtenu 19,7% des voix (un gain par rapport à 2009), mais cependant dans un contexte massif d’abstention.
Les résultats des principaux partis aux élections européennes depuis 1996
Source :
Bundesministerium für Inneres (en % des suffrages exprimés).
Voir Michael Kaeding et Niko Switek (dir.), Die Europawahl Spitzenkandidaten, Protestparteien, Nichtwähler, Springer, Heidelberg, 2015.
SORA, « Landtagswahl Steiermark 2015 », sora.at, 2015.
Ibid.
Ibid.
SORA, « Landtags- und Gemeinderatswahl Wien 2015 », sora.at, 2015.
Sur le long terme, le FPÖ, en 2014, n’est pas parvenu à atteindre les scores de Jörg Haider en 1996 et 1999. Son (modeste) succès était dû au fait que la mise en place de la Grande Coalition SPÖ-ÖVP, le 16 décembre 2013, avait été pour le moins difficile. Strache avait beau jeu de dénoncer les crises européennes depuis 2008, la Proporz et le blocage du système politique57.
La sociographie du vote FPÖ ressemblait à celle de 2013: des hommes jeunes (33%), des ouvriers (46%) et des électeurs à bas niveau de formation (70%).
c) En route vers le pouvoir ? 2015, super-année électorale
Au lendemain des élections européennes, le FPÖ caracolait en tête dans les sondages. Il est alors qualifié pour la première fois de premier parti autrichien. Les quatre élections de Styrie (22 mars 2015), de Burgenland (31 mai), de Haute-Autriche (27 septembre), et de Vienne (11 octobre) allaient confirmer la montée en puissance du parti et l’affaiblissement des formations démocratiques. Les tendances repérées pour les élections de 2013 et 2014 se sont confirmées.
En Styrie, le FPÖ a remporté un triomphe (26,8%) en progressant de 10,1% par rapport à 2010. Il a quasiment fait jeu égal avec le SPÖ (29,3%) et l’ÖVP (28,5%). Les progrès du FPÖ sont dus à des transferts électoraux massifs provenant du SPÖ et de l’ÖVP. Les conservateurs ont perdu entre 1991 et 2015 près de la moitié de leur électorat (1991 : 44,2%). Au lendemain de l’élection, le SPÖ a décidé de s’allier avec l’ÖVP. Le FPÖ, malgré des appels pressants au SPÖ et à l’ÖVP, n’a pas été associé au pouvoir58.
Au Burgenland, avec 15,0%, le FPÖ est revenu à son niveau de 1996 (14,6%), mais n’est pas parvenu à atteindre son objectif de franchir la barre des 20%. L’ÖVP est tombé pour la première fois dans son histoire régionale à moins de 30% (29,1%). Le système électoral de la Proporz ayant été abandonné en 2014, le SPÖ (41,9%) a pu choisir son partenaire de coalition. Le président de la fédération SPÖ Hanns Niessl a décidé, avec l’accord discret de la direction du SPÖ, de n’ouvrir des négociations qu’avec le seul FPÖ. Cette décision a amené une vague de protestation de la part des autres partis, mais aussi d’une partie de la base SPÖ, qui est restée sans effet. Le 9 juillet 2015, le gouvernement régional a été nommé, avec deux représentants du FPÖ (le vice-ministre président du Land et le ministre du tourisme). Le programme commun de gouvernement donnait une priorité à l’économie et à la lutte contre le chômage. Le SPÖ a fait des concessions au FPÖ, en refusant à l’avenir d’accueillir de nouveaux réfugiés59.
En Haute-Autriche, le FPÖ a connu une percée régionale exceptionnelle (30,4%, + 15,1% par rapport à 2009) et est ainsi devenu le deuxième parti régional, derrière l’ÖVP (36,4%, – 10,4%) et devant le SPD (18,4%, – 6,5%). Ce gain freiheitlich reposait sur des transferts électoraux massifs d’électeurs ÖVP et, à un moindre niveau, d’électeurs SPÖ et abstentionnistes mobiles. Le 22 octobre 2015, l’ÖVP, dirigé par Josef Pühringer, a décidé de prendre le FPÖ comme partenaire de coalition, là aussi avec la bénédiction de la direction ÖVP. Les conservateurs ont gardé tous les grands ministères, mais le chef régional du FPÖ, Manfred Haimbuchner, est devenu vice-président du Land et ministre de la Construction. Le FPÖ a eu aussi en charge la sécurité (police et intérieur). Grâce au système de la Proporz, le ministère de l’Intégration (et des Migrations) est revenu au SPÖ60.
Enfin, la « bataille de Vienne » restera comme un tournant dans l’histoire du système politique autrichien. Dans les sondages précédant l’élection, les sondeurs annonçaient le SPÖ et le FPÖ au coude à coude. À l’arrivée, le FPÖ, qui a fait une campagne électorale avec le slogan « révolution d’octobre », a certes échoué à devenir le premier parti du Land, ce qui fut fêté comme un triomphe par la presse et le monde politique, mais la lecture des résultats montrent pourtant que le FPÖ a atteint largement ses objectifs. À Vienne, il est devenu le deuxième parti régional (30,8%, + 5% par rapport à 2010) et s’est rapproché du SPÖ (39,6%). L’ÖVP a été atomisé (9,2%) et n’est plus que le quatrième parti régional. Les Verts se sont maintenus à peu près à leur niveau moyen des élections antérieures (11,8%). Les progrès du FPÖ sont dus à des transferts d’électeurs SPÖ, à des abstentionnistes mobiles et, plus marginalement, à des électeurs ÖVP. Le SPÖ et les Verts ont fait alliance pour gouverner la ville et tenir à l’écart le FPÖ. Néanmoins, le parti se retrouve en position de force : il nomme le maire du district de Simmering (FPÖ : 43,47%) et a 34 élus communaux (sur 100 sièges). Johann Gudenus, figure du FPÖ viennois et leader national-allemand très radical, est aujourd’hui vice-maire. Il dispose avec ses élus d’une minorité de blocage qui devrait considérablement gêner le travail du gouvernement SPÖ-Verts61.
L’analyse des préférences électorales par âge et par sexe aux élections régionales de 2015 montrent, à l’exception de Vienne, une forte continuité avec les élections nationales et européennes de 2013 et 2014. Le FPÖ est préféré par les hommes, ceux de moins de 29 ans, les ouvriers et les bas niveaux d’éducation. Il semble de plus en plus répulsif pour les diplômés de l’enseignement supérieur.
Les comportements électoraux à Vienne diffèrent cependant sensiblement du reste du pays. Les différences entre sexes sont faibles et le FPÖ est peu attractif pour les moins de 29 ans. Pour la première fois de son histoire, le FPÖ a trouvé de nombreux électeurs chez les plus de 60 ans. La « bataille de Vienne » a montré l’intensité de la polarisation de la vie politique. Le FPÖ est parvenu à rassembler contre le SPÖ la quasi-totalité des insatisfaits et des ouvriers, et ceci géographiquement, dans les bastions historiques du SPÖ depuis les années 1920. Au-delà de ce « profil de gauche », le FPÖ a rallié les électeurs craignant une montée du chômage, crainte commandée par l’arrivée des réfugiés et demandeurs d’asile.
À la fin de l’année 2015, Strache pouvait crier victoire : non seulement son parti avait progressé électoralement partout, mais il avait réussi, certes à un niveau régional, à devenir partenaire de coalition de l’ÖVP et du SPÖ, une étape essentielle pour son image de parti de pouvoir. L’analyse du fonctionnement de ces deux gouvernements de coalition ÖVP-FPÖ et SPÖ-FPÖ montre qu’une entente harmonieuse s’est établie et que la compatibilité du FPÖ avec d’autres forces politiques est une réalité.
L’élection présidentielle de 2016 et l’hypothèse d’un coup d’état froid
a) La percée électorale spectaculaire de Norbert Hofer
Le 24 avril 2016 a eu lieu le premier tour de l’élection présidentielle, dont les résultats ont fait sensation. Six candidats s’affrontaient : Irmgard Griss (indépendante, 18,9%), Norbert Hofer (FPÖ, 35,1%), Rudolf Hundstorfer (SPÖ, 11,3%), Andreas Khol (ÖVP, 11,1%), Richard Lugner (indépendant, 2,3%) et Alexander Van der Bellen, indépendant mais adhérent des Grünen (21,3%).
Affiche du candidat Norbert Hofer : « Montrer son drapeau. Le pouvoir a besoin de contrôle »
SORA, Wahlanalyse Bundespräsidentschaftswahl 2016, 2016.
Norbert Hofer est donc largement arrivé en tête, Van der Bellen restant loin derrière lui. L’élection a été un désastre politique pour la Grande Coalition (22,4% des suffrages). En dehors du fait que les candidats SPÖ et ÖVP étaient des « seconds couteaux » politiques peu connus du grand public, l’analyse du scrutin a montré que l’électorat autrichien avait utilisé cette élection pour punir les partis en place. Ils ont donné 21,1% des suffrages à des indépendants et un cinquième des suffrages à une personnalité expérimentée, ancienne figure de proue des Verts, mais en situation de retrait par rapport à son parti. Le FPÖ triomphait et pouvait espérer, lors du second tour, écraser Van der Bellen, détesté par l’ÖVP comme par le SPÖ.
Le succès de Hofer s’est construit grâce à une très forte mobilisation des électeurs FPÖ de l’élection nationale de 2013 (824 000 suffrages, 86%), mais aussi grâce à d’importants transferts de voix venus de l’ÖVP (266.000), du SPÖ (169.000), de la Team Stronach (122.000). S’y sont ajoutés 49.000 suffrages d’abstentionnistes mobiles et de nouveaux électeurs 2016. Van der Bellen, lui, a mobilisé 69% de l’électorat des Verts 2013 (400.000 voix), 202.000 suffrages du SPÖ, 82.000 des Neos et 74.000 de l’ÖVP, auxquels se sont ajoutées 84.000 voix d’abstentionnistes mobiles62.
La sociographie du premier tour montre que le FPÖ a progressé dans ses bastions socio-professionnels (homme, homme jusqu’à 29 ans, ouvrier et bas niveau de formation).
Élection présidentielle du 22 mai 2016 : le profil des électorats au 2nd tour
Source :
SORA.
Les femmes et les diplômés de l’enseignement supérieur ont résisté à l’attraction du FPÖ, ainsi que, tendanciellement, les actifs du service public et les indépendants. Une perception négative de l’évolution de l’Autriche et du travail du gouvernement a favorisé le choix Hofer. Les électeurs FPÖ souhaitaient une forte présence du président dans la vie politique et, au-delà, une présidentialisation plus forte du système politique. Enfin, Hofer était perçu comme un homme proche de « ceux d’en bas », était sympathique et compétent.
La situation de l’Autriche selon les votants à la présidentielle de 2016 (1er tour)
Source :
Sora (en %).
Herbert Hofer jugé plus proche des électeurs (élection présidentielle du 22 mai 2016)
Source :
sondage SORA (sortie des urnes), pour l’ORF (en %).
Le texte de la décision du tribunal constitutionnel se trouve sur diepresse.com/home/politik/ innenpolitik/5041253/Das-StichwahlUrteil-des-VfGH-im-Wortlaut.
Norbert Hofer, Handbuch freiheitlicher Ein Leitfaden für Führungsfunktionäre und Mandatsträger der Freiheitlichen Partei Österreichs, FPÖ-Bildungsinstitut, Vienne, 2013.
En conclusion, le premier tour de la présidentielle montrait que Hofer avait su attirer nombre de mécontents qui venaient s’ajouter à l’électorat traditionnel du FPÖ. Le second tour qui eut lieu le 24 mai 2016, fut annulé par le tribunal constitutionnel, pour des erreurs de gestion lors du comptage des bulletins, sans que l’on puisse parler de fraude électorale63.
Au début de la campagne du second tour, une certaine apathie dominait dans le pays. La nomination de Hofer ne semblait inquiéter personne, l’opinion étant répandu que ce cadre FPÖ mal connu du grand public serait, comme ses prédécesseurs, au-dessus des partis. Rapidement, la biographie de Hofer, un des théoriciens du FPÖ et auteur d’un livre très controversé64, inquiétait.
L’opinion basculait à la suite de la découverte des risques de dérive autoritaire du nouveau président. Alors que les dirigeants de l’ÖVP et du SPÖ au premier tour n’avaient guère épargné Van der Bellen, qualifié de dinosaure Vert has been, on observait une mobilisation en faveur du candidat devant faire barrage au FPÖ. Si le premier tour avait été un vote sanction, le second tour était compris par les électeurs comme le moment d’un choix fondamental pour le système politique autrichien. Ceci valait tant pour les électeurs FPÖ, qui veulent présidentialiser le système que du côté des anti-FPÖ voyant dans Van der Bellen un élément de stabilité.
Les électeurs du FPÖ favorables à un pouvoir présidentiel fort
Source :
Sora.
Au second tour, Van der Bellen a gagné de justesse (50,35%) grâce à un report fort des électeurs SPÖ et indépendants (Imgard Gries, de sensibilité libérale) du premier tour sur sa candidature.
Les transferts électoraux au second tour de l’élection présidentielle (22 mai 2016)
Source :
Sora.
Avec 49,65% des suffrages, Norbert Hofer a été majoritaire dans cinq Bundesländer et n’est tombé au-dessous des 40% qu’à Vienne.
Les résultats régionaux de l’élection présidentielle du 22 mai 2016
L’hypothèse d’une victoire du FPÖ à l’élection présidentielle du 4 décembre 2016 : La problématique constitutionnelle
Sur ce sujet, voir Christian Dickinger, Der Bundespräsident im politischen System Österreichs,Studien- Verlag, Innsbruck, 1999 ; Klaus Berchtold, Verfassungsgeschichte der Republik Österreich. Band I: 1918- Fünfzehn Jahre Verfassungskampf, Springer, Hambourg, 1998 ; Wilhelm Brauneder, Österreichische Verfassungsgeschichte, Manz, Vienne, 2005 ; Theo Öhlinger et Harald Eberhard, Verfassungsrecht, facultas. wuv, Vienne, 2016.
- Voir « Nur noch 11 Prozent der Wähler für große Koalition », krone.at, 24 octobre 2016, et « Umfrage: SPÖ holt auf, FPÖ bleibt voran », profil.at, 15 octobre 2016.
Le débat autour des pouvoirs actuels – et futurs, en cas de réforme constitutionnelle – du président de la République autrichienne fait rage, en raison d’un risque potentiel de dérive autoritaire. Un état des lieux s’impose65. Tous les Autrichiens âgés d’au moins 16 ans peuvent prendre part à l’election du président de la République. Depuis le 1er octobre 1920, le président (Bundespräsident) est le chef de l’État. Son élection au suffrage universel direct, prévue dans la Constitution de 1929, n’a eu lieu pour la première fois qu’en 1951. Dans la Constitution actuelle, son rôle est décrit comme un contrepoids du parlement. Cette élection est, avec les plébiscites et les référendums, l’une des seules pratiques de démocratie directe du système politique autrichien. Il est élu pour un mandat de six ans à l’occasion d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours, son mandat n’étant renouvelable qu’une fois.
Chaque citoyen autrichien peut être candidat, pourvu qu’il soit âgé de 35 ans et dispose du droit de vote. Seuls les membres de la famille régnante des Habsbourg sont interdits de vote. Pendant sa période d’activité, le président ne peut exercer un autre métier, ni être élu à une autre fonction politique ou administrative (loi d’incompatibilité). Lors de sa nomination, le président jure de défendre la Constitution et toutes les lois de la République autrichienne. Pour l’essentiel, la Constitution de 1920 ne donnait au président que des fonctions de représentation. En 1929, il s’est vu octroyé des compétences plus larges, telles que la nomination du chancelier et des ministres d’État (y compris le droit de refuser une ou des nominations). Il s’agit d’une position théoriquement très forte, car nul ne peut le contraindre, mais, si l’on s’en tient aux pratiques du passé, limitée de fait, car le président a toujours suivi les propositions de nomination qui lui étaient faites par le parlement. Le président a bien la possibilité de recourir à un droit dit d’urgence, mais il ne peut l’exercer qu’avec l’accord et sur la demande du gouvernement fédéral. Au-delà, la Constitution donne au président un droit d’initiative beaucoup plus large que ce que la plupart des Autrichiens pensent savoir. Le président ne dépend ni du chancelier, ni du gouvernement dans neuf cas de figure, plus ou moins fondamentaux :
- La manière dont il remplit son rôle de représentation ;
- La nomination du chancelier, des présidents de Länder, des secrétaires d’État… (en théorie, il doit respecter les nominations proposées, mais il peut les refuser) ;
- Il peut congédier un ministre ;
- Il peut congédier le chancelier et ou la totalité du gouvernement ;
- Il peut nommer un gouvernement de transition et son chancelier ;
- Il peut réunir le parlement pour une session extraordinaire ;
- Il peut imposer ou modifier une loi après que le tribunal constitutionnel ait statué ;
- L’attribution de titres professionnels ;
- Droit de grâce.
Il est aussi le chef des armées et le premier représentant de l’Autriche au niveau international, et a compétence pour signer des traités internationaux, et aussi le droit de les refuser (même si ce point est sujet à discussions chez les constitutionnalistes).
On voit que les droits 2, 3, 4 et 5 ouvrent la voie à une pratique autoritaire, que l’on peut qualifier, si Hofer jouait la carte Strache, de coup d’État froid. Si Hofer était élu, il aurait en effet pouvoir de renvoyer le chancelier Kern et son gouvernement de coalition en argumentant que cette dernière ne répond pas aux besoins de la population. Il pourrait ensuite nommer Strache chancelier, accepter les propositions de ce dernier quant à ses ministres et donner le temps à ce parti de préparer des élections générales et de trouver un partenaire de coalition. Si cette dérive autoritaire n’a pas de précédent, elle reste jouable techniquement.
Les parlementaires disposent néanmoins de lignes de défense. Si le président jouit de l’immunité le temps de son mandat, ses décisions peuvent être contestées par une action en justice devant le tribunal constitutionnel, initiée par le Conseil national ou le Conseil fédéral (Bundesrat), la chambre haute, pour violation de la Constitution. De même, ces deux institutions peuvent organiser un référendum visant à la destitution du président. Si ce référendum est négatif, le président reste en place, le Parlement est considéré comme dissous et se voit contraint d’organiser une nouvelle consultation générale. Le 4 décembre prochain, l’Autriche pourrait ainsi entrer dans une période fondamentale d’instabilité politique qui bloquerait à la fois la bonne marche des institutions et serait aussi lourde de conséquences au niveau européen, Hofer ne cachant pas son hostilité à la politique de Bruxelles.
* * *
En 2016, le FPÖ est dirigé par Heinz-Christian Strache, né en juin 1969, brillant orateur et communicant. Depuis 2005, il a su faire de son parti un puissant acteur politique, qui arrive en tête dans les sondages en octobre 2016 (FPÖ : 34%, SPÖ : 28%, ÖVP : 18%, Verts : 12%)66. Ce succès indéniable procède de causes complexes.
Nous n’avons pas affaire en Autriche à une répétition mécanique de la crise des années 1930. Les succès du FPÖ sont une conséquence de la mutation des systèmes politiques autrichien et européen depuis 1990, combinée avec de profondes transformations économiques, sociales et culturelles nées de l’effondrement du communisme, de la globalisation, des crises financières, et enfin, des migrations en cours.
Le FPÖ profite tout d’abord d’un « désalignement » des populations avec les partis établis. Derrière ce terme se cache le sentiment des électeurs de ne pas être entendus, compris et représentés par les partis traditionnels. Les succès du FPÖ sont, dans ce contexte, des réactions à des changements fondamentaux à tous les niveaux, sur des laps de temps relativement courts. L’offre identitaire et d’orientation au niveau individuel du parti peut alors atteindre différentes couches sociales victimes – ou ayant peur de le devenir – de la globalisation.
L’épuisement des grandes coalitions
Si la question de l’immigration et de la crise des réfugiés est un facteur central depuis 2015, il n’est qu’un aspect que vient renforcer l’existence d’une tentation autoritaire dans de nombreux groupes sociaux. De la combinaison des deux dimensions, auxquelles s’ajoute un fort ressentiment envers l’Europe de Bruxelles, (re)naît une puissante droite électorale national-populiste. En Autriche, la postindustrialisation et les effets de la globalisation se font pleinement sentir. Les milieux traditionnels – à l’image de celui de la culture ouvrière, reposant sur le trinôme grandes entreprises-ouvriers-syndicats – se sont fortement affaiblis, entraînant le déclin du SPÖ et la mort du communisme autrichien. Il en va de même pour les paysans, le monde catholique et sa fidélité partisane en faveur de l’ÖVP. S’y ajoute la disparition du plein emploi, qui explique partiellement lui aussi la montée en puissance du FPÖ. Enfin, la menace sur l’État-providence (les acquis sociaux des années 1950-1960) conduit à une inquiétude, puis à une mobilisation des électeurs qui s’intensifie lorsque le débat inclut le rôle de l’immigration comme accélérateur de la remise en cause de cet État-providence.
Une autre dimension se révèle centrale : la convergence et la perte en contenu idéologique des partis établis. L’Autriche est depuis les années 1950 pratiquement toujours dirigée par une grande coalition unissant tant bien que mal sociaux-démocrates du SPÖ et chrétiens conservateurs de l’ÖVP. Cette situation a conduit à l’établissement d’un système de gestion du pouvoir et de redistribution de ce dernier (Proporz). Ce système est perçu depuis les années 1980 par une large frange des électeurs comme un blocage et la source d’un immobilisme politique pesant. Cela est une des causes de la force passée et actuelle du FPÖ.
Sur le plan politique, on observe dans le camp conservateur comme social- démocrate une acceptation de la globalisation libérale et de ses implications socio-économiques (privatisation, disparition du fonctionnariat, remise en cause des intérêts acquis, des systèmes de retraite…). Les difficultés des électeurs à comprendre ce qui différencie la gauche démocratique de la droite démocratique favorise l’acceptation du discours en définitive plus idéologisé du FPÖ. Ce qui frappe, c’est que, face au FPÖ, les partis établis ont longtemps négligé de réoccuper leurs champs idéologiques spécifiques. Ils ont cherché à neutraliser le FPÖ par le recours à un consensus majoritaire aussi large que possible, au plan parlementaire, social et médiatique. L’échec de cette politique de containment a été patent en Autriche. Les difficultés économiques, même dans un pays encore prospère comme l’Autriche, ont en effet amené les électeurs à penser que cette gestion consensuelle est fragile et menacée, et qu’elle ne peut à long terme fonctionner dans le cadre de la construction européenne. Cet évident pessimisme collectif a consolidé le FPÖ depuis 2008. Idéologiquement, le FPÖ est un parti anti-Union européenne, anti-immigration, nationaliste, sécuritaire, partiellement critique de la globalisation et du libéralisme intégral. Il est prorusse, antiaméricain, mais multiplie les signaux en direction de l’État d’Israël présenté comme un « porte-avions » anti-islam. Le FPÖ attire des électeurs de différents types : antisystèmes, protestataires, perdants de la modernisation (ouvriers, prolétaires, chômeurs et groupes marginalisés économiquement et socialement), xénophobes. S’y ajoutent des gagnants de la modernisation ayant peur de perdre soit leurs acquis du passé (retraite, système de santé, économies et placements, biens-fonds), soit leur identité autrichienne (peur de l’acculturation, de l’immigration, de l’islam). Enfin, le style et les discours de Strache plaisent aux jeunes, inquiets devant un avenir perçu comme sombre : le FPÖ est aujourd’hui le premier parti chez les moins de 25 ans, chez les chômeurs et les ouvriers, les bas niveaux de formation.
Si l’instrumentalisation des peurs est évidente (par exemple, la théorie de l’échange des populations par l’immigration, la montée du chômage), on ne peut nier que le FPÖ est à l’écoute des craintes collectives et offre aux électeurs des « solutions », comme le repli sur la nation, la préférence nationale, l’enracinement culturel allemand et autrichien, l’ordre social ou la sécurité. En revanche, on n’y retrouve pas d’appel à l’ordre moral de type catholique ou réactionnaire. Les faiblesses du FPÖ sont claires : il reste peu attractif pour les diplômés de l’université, même si l’on observe en 2016 l’adhésion croissante des classes moyennes à ce parti. Les femmes et les retraités résistent aussi à l’attraction du FPÖ.
Les sociaux-démocrates réfléchissent à une coalition avec les populistes
Face à un parti qui offre un modèle communautaire, du « nous », qui n’est pas uniquement lié à la nation mais enraciné aussi dans le local, le régional – le Heimat et les régions linguistiques –, les partis démocratiques autrichiens devront faire des choix, sous peine de continuer à voir s’effriter leur capital électoral et ouvrir la voie à un chancelier Strache lors du scrutin prévu le 4 décembre 2016. Les sociaux-démocrates du SPÖ participent déjà à une coalition gouvernementale avec les populistes du FPÖ dans le Burgenland. Le vendredi 4 novembre 2016, une réunion du « Gremium des valeurs », qui rassemblait les représentants des fédérations SPÖ des Bundesländer et de la direction du parti, s’est tenue à Vienne. À l’occasion de cette réunion, le SPÖ voulait réfléchir aux possibilités de coopérations futures avec le FPÖ et dans cette hypothèse, définir les lignes rouges à ne pas franchir. Le chancelier Christian Kern se montrait ouvert à une telle ouverture, tout en appelant le parti à poursuivre sa réflexion67.
Aucun commentaire.