Résumé
I.

La france n’a plus le meilleur système de santé au monde

1.

Le rendement financier

2.

Une performance sociale inégale.

3.

Des résultats sanitaires globalement moyens

II.

La nécessaire refondation du système : l’assurance santé plutôt que l’assurance maladie

1.

Un système centré sur les soins.

2.

Une politique de prévention pour quoi faire ?
Qu’est-ce qu’une politique de prévention en matière de santé ?

3.

Les bénéfices d’une politique de prévention réussie

4.

Les facteurs influant la santé d’une population.

5.

Pour une approche globale de prévention.

III.

Santé active

1.

Qu’est-ce que la démarche Santé Active ?

2.

Impliquer le patient dans la gestion de son capital santé.

3.

Une démarche confortée par ses résultats.

Conclusion

Voir le sommaire complet Replier le sommaire

Résumé

La dégradation lente et inéluctable de notre système de santé nécessiterait des mesures fortes, structurelles, qui s’attaquent aux causes de cette situation. Continuer dans la voie actuelle aboutit à une lente érosion de la prise en charge par l’assurance maladie et à une augmentation régulière des prélèvements, assorties d’un déficit permanent. Malgré des soins de haut niveau et une certaine qualité des soins courants, les faits sont éloquents : difficultés d’accès aux soins, résultats sanitaires souvent moyens, mécontentement des établissements de soins et des professionnels de santé, voire des assurés sociaux, gaspillages récurrents.

Outre les nécessaires réformes pour remédier à ces problèmes multiples, un constat devrait guider l’action : la partie la plus importante et dynamique des dépenses de santé repose sur les affections chroniques. Et il est possible de parvenir à limiter cette progression en modifiant notamment les comportements individuels.

Les soins ne sont qu’une partie de la santé et une véritable politique de santé ne saurait se résumer à toujours dépenser plus pour les soins. Au-delà de son rôle traditionnel de prise en charge des frais de santé, l’assurance maladie doit évoluer dans son approche et donner aux individus qu’elle est censée protéger les moyens de gérer leur capital santé.

C’est tout le sens de la démarche Santé Active initiée à la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de la Sarthe à partir de 1998 et reprise ensuite à l’échelon national par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) en 2011. Néanmoins, ce service en santé n’est plus guère soutenu aujourd’hui, excepté le coaching en ligne. La véritable ambition de ce grand service public qu’est l’assurance maladie n’est-elle pas de garantir la santé de ses concitoyens et pas seulement la prise en charge des soins ? D’être une assurance santé plutôt qu’une assurance maladie ?

Patrick Negaret,

Directeur général de la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines et concepteur de la démarche Santé Active de la CNAMTS.

«À tous les carrefours de la route du futur, chaque esprit précurseur est confronté à un millier d’hommes chargés de préserver le passé»

Maurice Maeterlinck

 

Après avoir longtemps été considéré comme le «meilleur du monde», notre système de santé ne peut plus être qualifié comme tel aujourd’hui. Les dépenses consacrées à la santé sont parmi les plus élevées de l’OCDE mais avec un déficit permanent et des résultats sociaux et sanitaires inégaux et souvent moyens. Ces insuffisances sont de plus en plus menaçantes pour l’avenir du système. Conçue à l’origine pour garantir des remboursements, l’assurance maladie est encore aujourd’hui quasi exclusivement centrée sur les soins. Pourtant, la plupart des maladies sont désormais composées d’affections chroniques qui ne cessent de croître et peuvent être évitées ou limitées. Malgré cela, les actions sur les déterminants de la santé sont nettement insuffisantes et aucune politique de prévention n’est à la mesure des enjeux.

La démarche Santé Active, initiée dans le régime général de l’assurance maladie, a démontré qu’il était possible d’agir efficacement pour changer l’approche du système de soins.

I Partie

La france n’a plus le meilleur système de santé au monde

S’il est incontestable que notre pays a beaucoup investi dans les soins, malgré un déficit récurrent du régime général de l’assurance maladie, il devient désormais indispensable de parvenir à une maîtrise des coûts autrement que par une succession de réformes conjoncturelles. Plus d’une vingtaine de réformes se sont succédé depuis 1975, sans parvenir pour autant à un retour à l’équilibre du régime général, sans compter les difficultés que rencontrent les autres régimes.

En effet, les tensions deviennent de plus en plus fortes et génèrent des insatisfactions croissantes, tant pour les assurés que pour les professionnels de santé ou les établissements de soins. Malgré cette course en avant dans les dépenses, la performance sociale et sanitaire se dégrade.

Autrefois considéré comme excellent, le système de santé français voit sa position se détériorer lentement dans les grands classements internationaux, comme le soulignent les études suivantes :

  • Euro Health Consumer 2013 (systèmes de santé en Europe) : 9e rang sur 35 ;
  • Commonwealth Fund 2014 (systèmes de santé dans le monde) : 9e rang sur 11 ;
  • Bloomberg Most Efficient Health Care 2014 (systèmes de santé dans le monde) : 8e rang sur 51.

Dans la préface d’un rapport du Haut Conseil de la santé publique paru en mars 2012, son président, le professeur Salamon, déclarait qu’«en matière de santé, la France est aujourd’hui un pays “moyen”, parfois meilleur que certains autres, mais pas toujours1».

La part du PIB allouée aux dépenses de santé en France était de 10,9% en 20132 (pour 2,6% en 19503!), soit bien au-dessus de la moyenne de l’OCDE (8,9%). Mis à part les États-Unis (16,4%) notre pays fait quasiment jeu égal avec les Pays-Bas, la Suisse, la Suède et l’Allemagne (tous à 11%). Cet écart de 2 points de PIB se chiffre ainsi à plus de 40 milliards d’euros de surcoût annuel. Quelques éléments permettent de caractériser ce classement plutôt moyen.

1

Le rendement financier

L’assurance maladie connaît des déficits récurrents depuis une trentaine d’années (voir graphique 1).

Graphique 1 : Évolution du solde du régime général de l’assurance maladie.

Source :

Commission des comptes de la Sécurité sociale.

Notes

4.

Lettre d’information de la Cades, n° 40, novembre 2016, p. 2

+ -

5.

Affections dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessitent un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse et pour lesquelles le ticket modérateur est la plupart du temps supprimé.

+ -

La dette sociale, c’est-à-dire les déficits cumulés des organismes de sécurité sociale, s’élevait au 30 juin 2016 à 137,1 milliards d’euros, soit un déficit cumulé de 253,9 milliards d’euros4. La part de l’assurance maladie s’établit à près de 60% de la dette sociale (régime général et fonds de solidarité vieillesse). Cette dette constitue une anomalie qu’on ne retrouve dans aucun grand pays d’Europe. Son amortissement et la charge d’intérêt nécessitent un prélèvement obligatoire de 14,4 milliards d’euros annuel.

Néanmoins, la hausse des dépenses de santé par habitant est, depuis quelques années, parmi la plus faible des pays de l’OCDE, ce qui nous situe au sixième rang. Nous sommes malgré tout face à une véritable crise financière, victimes d’une fuite en avant permanente financée à crédit, y compris donc par les nouvelles générations. Outre une réforme du financement, l’enjeu est de définir une politique de santé garantissant un véritable accès à la santé et pas seulement aux soins.

Le taux de prise en charge, c’est-à-dire la part des soins remboursée par l’assurance maladie, se dégrade pour les soins ambulatoires. On assiste ainsi à un lent mais inexorable déclin de l’assurance maladie obligatoire. Si le taux global de prise en charge des dépenses pour l’assurance maladie est de 76,1% (voir tableau 1), c’est en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt car il n’est plus que de 51% pour les soins ambulatoires (y compris l’optique) hors ALD (affection de longue durée)5.

Tableau 1 : Part de la dépense présentée au remboursement prise en charge par le régime général de la Sécurité sociale en 2012.

Source :

Cnamts, ATIH, EGB 2012, calculs SG HCAAM, in Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, Rapport annuel 2013, p. 18.

Notes

6.

Somme non couverte par l’assurance maladie dans les dépenses donnant droit à Ce reste à charge inclut les tickets modérateurs, les participations forfaitaires, les franchises, le forfait hospitalier et les dépassements au-delà des tarifs opposables.

+ -

7.

Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, Rapport annuel 2012, p. 18

+ -

8.

Carine Franc et Aurélie Pierre, « Restes à charge élevés : profils d’assurés et persistance dans le temps», Questions d’économie de la santé, n° 217, avril 2016, p. 2-3

+ -

C’est ainsi que le reste à charge 6 pour les assurés sociaux atteint des sommes significatives. La distribution de la dépense reste très concentrée, puisque 5% seulement des assurés sociaux consomment 50% de la dépense. Le dispositif des ALD comporte d’ailleurs des inégalités de traitement et peut lui-même laisser des restes à charge élevés car il repose sur une approche médicalisée, avec une liste de maladies, et non pas économique, avec la mesure d’un coût à supporter (ce qui est une spécificité française). Deux assurés faisant face à des dépenses de santé semblables peuvent ainsi bénéficier de remboursements différents.

Selon une étude du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie de 2012, on aboutit à des montants très importants : 1% des assurés ont un reste à charge moyen de 4.026 euros pour les soins de ville, et 945 euros pour l’hôpital7. Une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) d’avril 2016 montre que les patients principalement traités en ambulatoire pour maladies chroniques (pas nécessairement en ALD) supportent des restes à charge de plus de 3.090 euros pour 10% d’entre eux (et de 1.942 euros en moyenne)8.

Le poids des dépenses consacrées à la protection complémentaire dans le budget des ménages devient donc de plus en plus important pour couvrir ces restes à charge et peut atteindre 10% pour les couples de plus de 60 ans. Cette couverture n’est d’ailleurs pas intégrale car, quand l’organisme complémentaire propose un contrat dit «responsable», il ne peut rembourser la franchise. Et de nombreux contrats ne prennent pas en charge l’ensemble des dépassements de tarifs.

2

Une performance sociale inégale.

Comme on vient de le voir, l’importance croissante du reste à charge devient un véritable frein à l’accès aux soins. Le renoncement aux soins lié au coût est quant à lui en progression régulière (voir graphiques 2 et 3). Néanmoins, la première cause de renonciation aux soins reste le délai d’obtention d’un rendez-vous chez un spécialiste.9

Graphique 2 : Part des Français ayant déjà renoncé aux soins à cause du coût de la consultation.

Observatoire Jalma de l’accès aux soins, édition 2014, p. 16.

Graphique 3 : Part des Français ayant déjà renoncé aux soins par catégories socio- professionnelles.

Source :

Laure Bonneval, Jérôme Fourquet et Fabienne Gomant, Portrait des classes moyennes, Fondation pour l’innovation politique, 2011, p. 22

Notes

10.

OCDE, cit., p. 55

+ -

11.

  1. Insee, « La situation démographique en 2014 », Insee Résultats, n° 182, 2 juin 2016

+ -

Même si l’espérance de vie à la naissance situe la France plutôt favorablement dans l’OCDE (en 2013), une disparité demeure (même si elle diminue) entre les femmes, qui ont une espérance de vie de 85,6 ans (3e place), et les hommes, qui ont une espérance de vie de 79 ans (18e place)10.

L’examen des inégalités territoriales montre des différences d’espérance de vie allant jusqu’à cinq ans entre régions. Ces inégalités sont pour l’essentiel dues aux inégalités socio-économiques plutôt qu’aux inégalités d’accès aux soins. À titre d’exemple, en 2014, pour les hommes : Nord-Pas-de-Calais : 76,9 ans ; Île-de-France et Picardie : 80,8 ans, et pour les femmes : Nord-Pas-de-Calais : 83,6 ans ; Île-de-France, Pays de la Loire et Picardie : 85,9 ans11.

S’ajoutent, enfin, des inégalités sociales : l’écart d’espérance de vie à 35 ans persiste entre les ouvriers et les cadres, aussi bien pour les femmes (dans une moindre mesure) que pour les hommes (voir graphique 4).

Graphique 4 : Espérance de vie à 35 ans par sexe pour les cadres et les ouvriers.

Source :

Nathalie Blanpain, « L’espérance de vie s’accroît, les inégalités sociales face à la mort demeurent », Insee Première, n° 1372, octobre 2011, p. 1.

Cet écart est supérieur à six ans pour les hommes et n’a pas tendance à se réduire. Pire encore, un ouvrier, s’il vit moins longtemps en moyenne, vit aussi moins longtemps en bonne santé. C’est ainsi qu’être à la fois homme, ouvrier et habiter dans le Nord inflige une triple peine.

Enfin, pour être complet, il faut bien percevoir les causes de l’augmentation de l’espérance de vie. L’amélioration de l’hygiène a joué un très grand rôle ainsi que la baisse de la mortalité infantile. Mais, désormais, c’est la prolongation de la durée de vie des personnes âgées qui fait la différence. En effet, elles ont été dans l’ensemble à l’abri de la pollution, des produits chimiques toxiques, de la sédentarité et d’une mauvaise alimentation. Dans l’état actuel de la science (et à condition de pouvoir financer toutes ses avancées), rien ne dit que les enfants qui naissent aujourd’hui vivront plus longtemps et en meilleure santé, dans la mesure où nous ignorons largement les conditions d’hygiène et de vie et, a fortiori, leur impact dans le futur. Ainsi, à titre d’exemple, avait-on prévu il y a trente ans les effets de la pollution sur la santé ? Une étude de l’agence Santé publique France de juin 2016 montre que la pollution de l’air due aux particules fines serait responsable de 48.000 décès par an en France et cette pollution représenterait «une perte d’espérance de vie pour une personne âgée de 30 ans pouvant dépasser deux ans12».

3

Des résultats sanitaires globalement moyens

Notes

13.

europa.eu/eurostat/statistics-explained/images/4/46/Healthy_life_years%2C_2014_%28years%29_YB16-fr.png

+ -

En France, l’espérance de vie en bonne santé en 2014 (c’est-à-dire sans limitation d’activité ou sans incapacité majeure) n’est que de 63,4 ans pour les hommes et 64,2 pour les femmes13. Ce qui signifie que les femmes, avec une espérance de vie de plus de 85 ans, connaîtront une période d’incapacité d’environ vingt ans.

À cet égard, le Panorama de la santé 2015 de l’OCDE14 apporte quelques éclairages comparatifs intéressants sur 34 pays. Si notre pays est très bien situé pour la mortalité par crise cardiaque (2e) et pour les maladies cérébrovasculaires (3e), il l’est en revanche beaucoup moins bien pour la mortalité par cancer (18e), particulièrement chez les hommes. Il en est de même pour la mortalité infantile, avec un positionnement à la 22e place. Pour la morbidité, l’incidence du cancer place la France à un rang encore plus défavorable : la 27e place. La moitié de cette morbidité étant due à quatre cancers : sein, prostate, colorectal et poumon.

La progression des affections de longue durée publiée par la CNAM montre des évolutions inquiétantes et très disparates selon les départements. Par exemple, en France, entre 2003 et 2011, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) ont progressé de 49% (mais de 91% en Alsace), l’insuffisance cardiaque de 93% (mais de 124% en Lorraine), le diabète de 52% (mais de 72% en Basse- Normandie). Cette progression et ces disparités ne peuvent pas s’expliquer uniquement par le vieillissement, car le nombre de personnes de plus de 60 ans n’a progressé que de 9% sur la même période. L’amélioration du dépistage n’est pas non plus un facteur explicatif puisque, par exemple, le Nord-Pas-de- Calais (région aujourd’hui incluse dans les Hauts-de-France), qui est la région avec le plus fort taux de cancer du sein, est celle où le taux de dépistage est le plus faible. Nous sommes donc face à une véritable crise sanitaire due à un ensemble de déterminants non exclusivement sanitaires.

Les effectifs et dépenses remboursées mettent en évidence le poids important des pathologies lourdes dans le coût de la santé (voir graphique 5) qui représentent plus de 60% du total des dépenses et 8/10 de leur évolution.

Graphique 5 : Répartition des dépenses d’assurance maladie en 2014 (en milliards d’euros)

Source :

CNAM, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l’assurance maladie pour 2017, rapport au ministre chargé de la Sécurité sociale et au Parlement sur l’évolution des charges et des produits de l’Assurance maladie au titre de 2017 (loi du 13 août 2004), juillet 2016, p. 5.

Notes

15.

OCDE, Panorama de la santé 2015…, cit., p. 75.

+ -

17.

Ibid, tableau p. 77.

+ -

18.

Voir Haut Conseil de la santé publique (HCSP), Indicateurs de mortalité « prématurée » et « évitable », avril 2013

+ -

20.

OCDE, Panorama de la santé 2015…, cit., p. 81.

+ -

21.

Institut national d’études démographiques (Ined), « Santé et vieillissement », ined.fr, avril 2014

+ -

22.

Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Rapport mondial sur le vieillissement et la santé, 2016, p. 239

+ -

Mais les données les plus significatives restent les «déterminants non médicaux de la santé». C’est ce qui permet d’appréhender plus concrètement les politiques publiques de prévention. Et, sur ce registre, la France n’apparaît pas vraiment à la hauteur et figure même parmi les mauvais élèves.

Ainsi, 24% des plus de 15 ans déclarent fumer tous les jours. Certes, en 2000 ils étaient 27%, mais à l’époque la moyenne des pays de l’OCDE était à peu près équivalente à la nôtre, elle est désormais descendue à 20%15. Les chiffres des décès liés au tabac (73.000 par an) et à l’alcool (48.000 par an)16 sont impressionnants. En effet, nous nous distinguons par la consommation d’alcool avec plus de 11 litres consommés par an et par habitant contre moins de 9 litres dans l’OCDE17. Bien évidemment, ces excès conduisent à une mortalité prématurée (avant 65 ans) et évitable élevée alors que les niveaux de mortalité sont très favorables après 65 ans18. Cette mortalité prématurée équivaut à 34.000 décès par an, soit 9% de la mortalité annuelle19.

L’obésité, si elle présente une prévalence moindre en France (15% contre 25% en Allemagne ou 33% au États-Unis), a quand même connu une progression notable car elle ne touchait que 6,5% des Français en 199120. Et elle constitue un facteur de risque pour des affections chroniques telles que le diabète de type 2, les maladies cardio-vasculaires ou encore le cancer.

Enfin, pour terminer, il ne faut pas négliger la transition démographique historique que nous vivons avec une population de plus de 60 ans désormais plus nombreuse que celle des moins de 20 ans. Près d’un Français sur cinq est âgé de 65 ans ou plus (soit 11,6 millions de personnes, dont plus de la moitié ont atteint ou dépassé les 75 ans21). L’espérance de vie en bonne santé devient une donnée clé et les problèmes liés à la dépendance vont occuper une place prépondérante. C’est pourquoi dans son dernier Rapport mondial sur le vieillissement et la santé, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) précise qu’une «action globale de santé publique en matière de vieillissement s’impose en urgence22». Cela exigera une transformation des systèmes de santé s’éloignant des modèles curatifs car, sinon, les coûts des soins de santé augmenteront considérablement.

II Partie

La nécessaire refondation du système : l’assurance santé plutôt que l’assurance maladie

1

Un système centré sur les soins.

Nous vivons une transition épidémiologique, les affections chroniques ayant pris le pas sur les affections aiguës. Margaret Chan, directrice générale de l’OMS, a ainsi déclaré le 21 avril 2011 : «L’augmentation des maladies chroniques non transmissibles représente un énorme défi. Pour certains pays, il n’est pas exagéré de décrire la situation comme une catastrophe imminente pour la santé, pour la société et surtout pour les économies nationales23.» Ce constat, établi lors d’une réunion préparatoire à la conférence de New York sur « la prévention et la maîtrise des maladies non transmissibles» du 20 septembre 2011, à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU, aboutira  à la déclaration finale signée par 184 chefs d’État et de gouvernement : «Nous, chefs d’État et de gouvernement […] reconnaissons que le fardeau et la menace que les maladies non transmissibles représentent à l’échelle mondiale, constituent l’un des principaux défis pour le développement au XXIe siècle24.» Les coûts liés à ces affections chroniques deviennent de plus en plus lourds, et parfois exorbitants. C’est ainsi qu’en une décennie le prix des nouveaux médicaments anticancéreux a doublé, passant d’un  coût  moyen  de 3.700 à 7.400 euros par mois25. Une tendance également observée aux États-Unis, où le prix d’une «année de vie» supplémentaire a considérablement augmenté entre 1995 et 201326. Cette tendance s’aggrave même avec les thérapies ciblées conduisant à l’arrivée de médicaments de niche. Le cas du Solvadil (contre l’hépatite C), du laboratoire Gilead, a défrayé la chronique en 2014 avec un prix de 57.000 euros pour… 12 semaines de traitement, ramené après négociation avec le ministère de la Santé à 41.000 euros27, ce qui fait un coût annuel pour le budget de l’assurance maladie de 800 millions d’euros.

Dès lors, il devient totalement illusoire de poursuivre sur un mode de gestion quasi exclusivement fondé sur les soins curatifs. Il nous faut donc passer d’une médecine curative à une médecine préventive, et même à une médecine prédictive et personnalisée. L’ère de la médecine prédictive a d’ailleurs commencé grâce à la génomique et aux technologies favorisant la détection précoce des marqueurs montrant l’apparition de maladies d’évolution lente. Le développement des outils numériques favorise d’ailleurs grandement cette approche.

Graphique 6 : Le poids de la prévention dans les dépenses de santé courantes (en %)

OCDE, Panorama de la santé 2009. Les indicateurs de l’OCDE, Éditions de l’OCDE, 2009, p. 165 (www.oecd-ilibrary.org/docserver/download/8109112e.pdf?expires=1485106953&id=id&a ccname=guest&checksum=065EDE56B5579FF4BD08FB27B626CE75).

Notes

28.

Think Tank Économie Santé, Que la santé fasse partie des débats de l’élection présidentielle de 2017. La recommandation 2016, 2016

+ -

L’insuffisance de prise en compte de cette nouvelle donne dans la politique de santé est d’autant plus incompréhensible et inquiétante. Le peu d’intérêt que les élites politiques portent au sujet de la santé est d’ailleurs significatif. À l’approche de l’élection présidentielle de 2017, un certain nombre de personnalités se sont regroupées pour demander que ce sujet soit intégré dans les propositions des candidats28.

D’ailleurs, à partir d’un certain seuil, plus de dépenses de santé ne signifie pas nécessairement plus de santé. L’exemple des États-Unis est à cet égard particulièrement frappant puisque, en consacrant 16,4% de leur PIB à la santé (deux fois plus que la moyenne de l’OCDE), ils obtiennent des résultats plutôt moyens (obésité, diabète, espérance de vie à la naissance, mortalité infantile et par accident de transport), avec une proportion de personnes non assurées qui s’améliore sensiblement mais s’élève encore en 2015 à près de 10% de la population.

C’est désormais d’accès à la santé qu’il conviendrait de parler plutôt que d’accès aux soins. En effet, seule une politique de prévention organisée et volontariste permettra d’évoluer vers un système centré sur la santé de la personne plus que sur sa maladie. À ce propos, bien qu’il soit difficile d’évaluer précisément la part des dépenses consacrées à la prévention, les comparaisons internationales restent toujours intéressantes sur un champ comparable et mettent en évidence un faible poids des dépenses de prévention en France (voir graphique 6).

2

Une politique de prévention pour quoi faire ?
Qu’est-ce qu’une politique de prévention en matière de santé ?

Notes

29.

Voir Franck Maunoury, Jacques Derouineau, Christian Farinetto, Alexandre Brouste, Youri Koutoyants et Jean-Yves Engler « Évaluation économique du Club Santé Active proposé par la Caisse primaire d’assurance maladie de la Sarthe », Journal d’économie médicale, 29, n° 8, décembre 2011, p. 409-421.

+ -

30.

« Reducing waste in the healthcare », Health Policy Brief, 13 décembre 2012

+ -

31.

Pierre-Henri Bréchat, Sauvons notre système de santé et d’assurance maladie, Presses de l’EHESP, 2016

+ -

La plupart du temps, l’argument développé par les promoteurs d’une politique de prévention est celui de générer des économies : éviter que les gens tombent malades, retarder la survenue d’une maladie ou diminuer sa gravité permettraient de générer des économies. Cela reste difficile à prouver, notamment parce que l’évaluation doit se réaliser sur une longue période, mais l’objectif d’une réelle politique de santé, comme son nom l’indique, n’est-il pas de se préoccuper d’abord… de la santé des gens ? Et, bien sûr, de tous les gens sans exception afin de leur permettre l’accès à la santé sans considération de lieu, de sexe ou de catégorie socio-professionnelle.

Le terme «prévention» est galvaudé et trop facilement présenté comme la solution miracle à tous les maux du système de santé. En réalité, il recouvre nombre d’actions diverses d’un coût et d’une efficacité variables, et d’ailleurs pas toujours dans le champ de l’assurance maladie (comme la prévention routière, par exemple). Une étude réalisée dans la Sarthe29 sur les différences de consommation de soins entre des assurés adoptant des mesures de prévention et d’autres a clairement démontré que c’est l’approche du système de soins qui était modifiée, et ceci à court terme. En effet, forts de nouvelles habitudes de vie qu’on leur avait enseignées, ces assurés ont eu nettement moins tendance à se reposer exclusivement sur les soins pour améliorer leur santé.

Bien évidemment, ceci n’exclut pas d’assurer les meilleurs soins au meilleur coût. Ce qui est encore loin d’être le cas. Pourtant, les voies à emprunter sont connues et partagées : meilleure répartition de la démographie des professions de santé, amélioration de la gestion des hôpitaux, développement de l’évaluation des pratiques de soins, meilleure coordination entre professionnels, rééquilibrage en faveur des soins ambulatoires…

Le gaspillage est réel, comme dans beaucoup de pays d’ailleurs. Il est généralement estimé que 30% des dépenses de soins sont inutiles ou dangereuses30. Ces gaspillages sont la résultante de mauvaises pratiques qui perdurent et qui sont rarement remises en cause. Les exemples abondent : hospitalisations et interventions évitables, bilans biologiques systématiques, voire en doublon, prescriptions abusives ou inappropriées, infections nosocomiales…

Pourtant, il est possible de mieux faire, comme l’ont démontré aux États-Unis, par exemple, Intermountain Healthcare et dix-huit autres systèmes au sein de la High Value Healthcare Collaborative (HVHC). Des soins  de haute  qualité et abordables peuvent être délivrés grâce à une amélioration continue des processus de soins et un investissement massif dans la prévention (à hauteur de 14% pour la SelectHealth). Ainsi, le taux de prise en charge des soins ambulatoires s’élève à 80%, contre à peine plus de 50% pour la France. Les soins dentaires sont couverts à hauteur de 71% (contre 13% pour la France) et l’optique à 40% (contre 5% pour la France)31.

La question de l’évaluation est essentielle pour mesurer l’efficience de la prévention mais aussi celle des soins. Et, dans ce dernier domaine, notre pays a encore bien des progrès à accomplir par rapport aux pays anglo-saxons, par exemple. On peut citer la Grande-Bretagne qui utilise le critère QALY (Quality Adjusted Life Year) afin de déterminer la valeur financière d’une intervention ou d’un traitement. Une année en bonne santé est chiffrée 1 ; une thérapeutique causant un décès, 0. Entre les deux, on mesure simultanément l’espérance de vie et la qualité de vie. Les États-Unis sont également fortement engagés dans cette démarche avec, entre autres, l’Institute for Healthcare Improvement.

Mais si l’efficience des soins est si peu évaluée, celle de la prévention ne l’est guère plus. D’ailleurs, l’intérêt de certains dépistages et examens systématiques est parfois carrément remis en cause. Ainsi, dans un rapport de 2016, l’Imperial Collège de Londres révèle que les bilans offerts aux 40-74 ans tous les cinq ans n’ont que des effets infimes sur la santé de la population32. Des examens systématiques, non fondés sur des critères cliniques et une bonne connaissance de la vie de la personne, n’apportent pas nécessairement des informations utiles au diagnostic et aux soins à mettre en œuvre. De plus, on peut s’interroger sur l’intérêt de signaler à quelqu’un les risques qu’il encourt sans lui proposer une démarche thérapeutique avec les moyens pratiques à mettre en place.

Il est donc impératif de proposer des mesures d’accompagnement, type ateliers de coaching, pour aider les individus à retrouver le chemin de la santé. À cet égard, il faut d’ailleurs souligner que, pour nécessaires qu’elles soient, les grandes campagnes d’information destinées à sensibiliser le public (par exemple, celles promues par le Programme national nutrition santé) ne sauraient être considérées comme suffisantes. Un meilleur ciblage des actions de prévention et les gains obtenus sur ne serait-ce qu’une partie du gaspillage des soins, permettraient largement de dégager des moyens pour mener des actions efficaces de changement de comportement.

En réalité, il n’existe pas de véritable politique de prévention visant les comportements à l’origine des affections chroniques. Lutter contre la mauvaise alimentation, la sédentarité, le stress, l’insuffisance de sommeil, l’alcool ou le tabac constitue pourtant des actions de prévention réellement efficaces. La prévention primaire permet d’éviter l’apparition des situations à risque en agissant en amont sur la réduction des facteurs prédisposants. Ce type de prévention est le plus efficient quant aux allocations optimales de ressources, car on évite ainsi l’installation durable d’un comportement. Agir à temps facilite l’obtention de résultats. Il est plus aisé d’apprendre à modifier un comportement que de lutter contre une dépendance ou des maux déjà bien installés. C’est la prévention secondaire qui permettra de réduire ce type d’atteintes à défaut d’avoir pu ou su gérer la situation en amont, la prévention tertiaire consistant à intervenir après que la maladie est déclarée.

3

Les bénéfices d’une politique de prévention réussie

Notes

34.

Ibid., p. 99.

+ -

35.

Voir Serge Hercberg, Propositions pour un nouvel élan de la politique nutritionnelle française de santé publique dans le cadre de la Stratégie nationale de santé, 1re partie, «Mesures concernant la prévention nutritionnelle», La Documentation française, 15 novembre 2013

+ -

36.

Pierre Meneton, Le Sel, un tueur caché, Favre, 2009

+ -

Deux exemples suffisent à mettre en évidence les carences dans la politique de prévention. Dans une lettre ouverte de février 2014, la Société française de nutrition (SFN), la Société française de santé publique (SFSP) et la Société française de pédiatrie (SFP) ont fait part de leur inquiétude face à la modestie des propositions faites dans le domaine de la nutrition dans le plan Cancer : une seule page sur 152, alors qu’il est reconnu qu’un tiers des cancers pourraient être évités ainsi (et, plus particulièrement, 65% pour les cancers des voies aéro-digestives et 50% pour les cancers colorectaux).

Par ailleurs, concernant les «politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool», la Cour des comptes dénonce «une tolérance générale vis- à-vis de la consommation de boissons alcoolisées, dont les effets négatifs sont largement sous-estimés33» et considère que l’État ne se donne pas les moyens d’infléchir les comportements à risque avec « des politiques mal coordonnées reposant sur des bases mal établies34». Là encore, les actions prévues ne visent qu’à sensibiliser sans agir sur les comportements ou l’environnement. Au passage, en l’absence d’actions ciblées, on ne fait qu’accroître encore plus les inégalités sociales de santé35 puisque les populations qui en ont souvent le plus besoin ne sont généralement pas réceptives à ce genre d’action.

Comment faire pour rendre accessibles les mesures de prévention à tous et, dans le même temps, ne pas en faire un instrument de stigmatisation ? L’équilibre reste précaire entre ces mesures et la protection des libertés individuelles, le respect du libre arbitre de chacun. Le Code de la santé publique comporte déjà de nombreuses normes en tout genre, concernant le tabac, l’alcool, la vaccination, etc., et les exigences en matière de sécurité sanitaire ne cessent de s’allonger et de se renforcer – isolation de l’habitat, normes de pollution, usage de la cigarette, taux d’alcoolémie pour conduire…

De plus, on a trop laissé penser aux individus que la santé se résumait aux soins. Et ce phénomène s’est amplifié à mesure des progrès considérables, voire spectaculaires (à grand renfort de promotion médiatique), des thérapeutiques. S’y sont ajoutées des définitions de seuils pour certains facteurs de risque (hypertension artérielle, cholestérol…) qui, étant de plus en plus bas, ont renforcé cette médicalisation à outrance, par ailleurs bien accompagnée de puissantes actions marketing. Le médicament, véritable «pilule miracle», est devenu la solution de facilité, prétexte à tous les renoncements. On ne peut imaginer plus belle mise en cause de la liberté individuelle !

En réalité, la limite réside entre culpabilisation et responsabilisation. Donner accès gratuitement et sans arrière-pensée (par le biais d’un service en santé délivré par l’assurance maladie obligatoire) donne l’opportunité à chacun de pouvoir gérer son capital santé, de faire enfin percevoir, comprendre et intégrer qu’au-delà des soins (qui peuvent s’avérer tout à fait indispensables) il existe une voie pour retrouver sa liberté d’agir et reprendre sa santé en main. Outre ce qu’il convient d’appeler des conflits d’intérêts, la France semble constamment découvrir avec retard les avancées décisives dans le domaine de la prévention. Les exemples sont multiples.

Après la sortie d’un de ses ouvrages dénonçant les méfaits de l’excès de sel dans l’alimentation36, le professeur Meneton, chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a dû faire face à un procès intenté par le Comité des salines de France. Le docteur Cicolella, chimiste, toxicologue et chercheur français en santé environnementale, a bataillé pendant des années pour parvenir à l’interdiction du bisphénol A dans les emballages alimentaires. Le professeur Belpomme, médecin et professeur de cancérologie, a lui aussi lutté pour faire admettre les liens entre environnement et cancer. Quant à David Servan-Schreiber, médecin et chercheur en neurosciences, il a été sévèrement critiqué par ses pairs pour ses conseils « anti-cancer » afin de rester en bonne santé.

Récemment encore, le 11 juillet 2016, la Commission européenne décidait d’offrir un traitement d’exception pour la réglementation sur les perturbateurs endocriniens, repoussant les promesses de restriction et d’interdiction des polluants chimiques (hormis pour certains adjuvants du glyphosate et avec une réglementation pour limiter son utilisation dans certains endroits). Pourtant, depuis nombre d’années, les preuves des effets nocifs de ces produits, que l’on retrouve dans de multiples objets de consommation (plastiques, cosmétiques, peintures, pesticides…) et qui sont à l’origine de plusieurs maladies graves (cancers, infertilité, anomalies de développement cérébral…), sont établies. Tous ces enseignements sont constamment ignorés, voire rejetés, tant par le monde politique, économique que professionnel. Il y a de quoi s’interroger sur ce constat et les racines de ce phénomène. Quant à la prévention, elle reste le parent pauvre du système de santé. Or elle est, avec les soins primaires, une composante essentielle de la lutte contre les affections chroniques. C’est ainsi que, selon la Cour des comptes, les moyens consacrés à la prévention sont dix fois moins importants que ceux consacrés à la sécurité routière. Cette juridiction souligne, à juste titre, que cela n’est pas suffisant. L’OCDE préconise également de placer la prévention au centre des politiques de santé. Les tensions se multiplient et génèrent de plus en plus d’insatisfaits. Ce qui est quand même un comble au vu des sommes consacrées à la santé en France ! Il nous faut changer de logiciel, sortir des mesures conjoncturelles classiques (prélèvements supplémentaires, «coups de rabot» sur les dépenses…) afin de parvenir enfin à une réforme structurelle. Dans la mesure où le taux de prélèvements obligatoires a atteint un seuil inégalé parmi les pays développés, la tentation est forte, à la fois par manque d’imagination et de courage, de réduire de nouveau les dépenses de façon systématique. Cette politique de fuite en avant ne fait en réalité que transférer la prise en charge collective vers les organismes complémentaires. C’est ainsi que progressivement – mais sûrement –, on refait l’histoire à l’envers car, comme on l’a vu, le taux de prise en charge des soins de ville par l’assurance maladie diminue constamment pour s’approcher dangereusement des 50%. Il est même descendu à 5% pour l’optique et à 13% pour les soins dentaires, ce qui amène la protection complémentaire à redevenir majoritaire pour ces postes de dépenses ! Mais, ce faisant, nous sortons d’une assurance solidaire, où chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins, vers une assurance de type plus classique, où la cotisation (la prime) est fonction de l’âge et de la situation familiale et proposant une variété de contrats plus ou moins accessibles selon ses revenus. Et, in fine, c’est le budget des ménages qui supporte la dépense.

4

Les facteurs influant la santé d’une population.

La santé d’une population dépend de multiples facteurs, et l’OMS estime que les soins n’interviennent que pour 15% dans la santé. Les autres facteurs, appelés déterminants de la santé, sont indiqués sur le graphique 7.

Les déterminants structurels de l’état de santé sont ceux qui sont liés au contexte politique et socio-économique du pays. Parmi les facteurs qui influent sur la stratification sociale et économique, et donc la répartition sociale  de la population en fonction du revenu, de l’éducation, de la profession, du sexe, de ses origines ethniques, on trouve : la gouvernance, les politiques macroéconomiques, les politiques sociales, les politiques publiques, la culture et les valeurs de la société. Ces facteurs ont un impact sur la distribution inégale des déterminants intermédiaires.

Les déterminants intermédiaires de l’état de santé renvoient aux conditions matérielles, psychologiques, aux facteurs biologiques et génétiques, aux comportements, ainsi qu’au rôle de l’accès au système de santé. Parmi les éléments pris en compte, on citera, pour les conditions matérielles : le logement, la qualité du quartier, la consommation potentielle (c’est-à-dire les moyens financiers d’acheter des aliments sains, des vêtements chauds, etc.), l’environnement physique du travail. Les facteurs psychosociaux renvoient au stress des conditions de vie et de travail, aux relations et au soutien social. Les comportements concernent la nutrition, l’activité physique, la consommation de tabac et d’alcool, qui ont une répartition socialement stratifiée entre les différents groupes sociaux.

Notes

37.

L’étude Suvimax (Supplémentation en vitamines et minéraux anti-oxydants) a été lancée le 11 octobre 1994 en vue de constituer une source d’informations sur la consommation alimentaire des Français et leur état de santé. L’étude a été menée par Serge Hercberg, directeur de l’unité Inserm Épidémiologie nutritionnelle. Ses conclusions ont été rendues officiellement le 21 juin 2003.

+ -

38.

Paul Pharoah et al., « Polygenes, Risk Prediction, and Targeted Prevention of Breast Cancer », The New England Journal of Medicine, vol. 358, n° 26, 26 juin 2008, p. 2796-2803

+ -

Graphique 7 : Les déterminants de la santé.

Göran Dahlgren et Margaret Whitehead, Policies and Strategies to Promote Social Equity in Health, Institute of Future Studies, 2007, p. 11.

De nombreuses enquêtes ont prouvé le lien premier entre hygiène de vie et santé. L’étude Suvimax37 rappelle qu’une bonne alimentation peut réduire de 31% le risque de cancers, et de 37% la mortalité, alors qu’une étude réalisée par des chercheurs de l’université de Cambridge (Royaume-Uni)38 rappelle la nécessité du respect de quatre règles d’or : pas de tabac, limitation de la consommation d’alcool, activité physique et alimentation équilibrée afin d’augmenter de quatorze années en moyenne son espérance de vie.

Notes

40.

Sylvie Lamy, Denis Gingras et Richard Béliveau, « Green Tea Catechins Inhibit Vascular Endothelial Growth Factor Receptor Phosphorylation », Cancer Research, vol. 62, n° 2, 15 janvier 2002, p. 381-385

+ -

41.

Serge Hercberg et , « Prospective associations between a dietary index based on the British Food Standard Agency nutrient profiling system and 13-year weight gain in the SU.VI.MAX cohort », Preventive Medicine, vol. 81, décembre 20145, p. 189-194.

+ -

42.

Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, cit., art. 14.

+ -

43.

Laurent Chevallier, Mes ordonnances Comment vous soigner par une bonne alimentation, Les Liens qui libèrent, 2010.

+ -

Ces différents travaux démontrent l’impact d’une multiplicité de facteurs sur la santé mais ne remettent nullement en cause la légitimité d’actions visant à réduire les facteurs de risques individuels sur lesquels la personne peut agir directement. Ainsi, la mise en œuvre d’une offre de service qui vise à une meilleure gestion de sa santé est possible et souhaitable. Tous ces éléments s’imbriquent entre eux : la santé est une valeur transversale et agir sur les facteurs qui conditionnent un comportement individuel est essentiel.

L’assurance maladie peut, à son niveau, aider à faire changer les comportements de la population en lui faisant prendre conscience des facteurs de risque. Après bien des années de scepticisme – parfois encore présent aujourd’hui –, il est désormais scientifiquement démontré et reconnu qu’une meilleure hygiène de vie permet d’éviter ou de retarder l’apparition d’affections chroniques et, quand elles surviennent, d’en limiter les effets, voire d’éviter les rechutes.

Les principaux facteurs sur lesquels il faut agir sont bien identifiés : sédentarité, alimentation, sommeil, stress, alcool et tabac. Bien sûr, ceci n’exclut pas d’agir aussi sur les facteurs collectifs tels que l’éducation, environnement, l’habitat ou les conditions de travail. À titre d’exemple, les bienfaits de l’activité sportive sont tout à fait significatifs. Selon le docteur Thierry Bouillet, cancérologue, karatéka et cofondateur de la Fédération nationale Cancer Arts martiaux et Informations (Cami), dans la population générale le sport permet une diminution de 20 à 25% de tous les cancers, d’augmenter les chances de guérison de 5 à 10% et de diminuer la moitié des risques de récidive. Rien que pour les cancers du sein, du colon et de la prostate, la pratique régulière d’une activité physique permettrait de sauver 12.000 vies par an.

Les patients atteints de diabète, de maladies cardio-vasculaires ou de broncho- pneumopathie chronique obstructive (BPCO) ou encore victimes d’accident vasculaire cérébral (AVC) ont également intérêt à s’adonner à une activité physique. De même, chez les personnes âgées, pratiquer une activité physique fait baisser d’un tiers le risque de chute grave. À cet égard, il faut saluer l’insertion d’un article qui prévoit la possibilité de prescrire une activité physique par ordonnance dans la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 201639. L’impact d’une prescription médicale est beaucoup plus important qu’une simple recommandation par une personne qui n’appartient pas au corps médical et cela devrait inciter les professionnels de santé à s’intéresser de plus près à la prévention (outre les mesures sur les modes de rémunération et leur montant).

De même, les liens entre alimentation et santé sont de mieux en mieux établis. Une alimentation suffisante, équilibrée et diversifiée a un impact sur la survenue de nombre d’affections chroniques. Au Québec, les professeurs Lamy, Gingras et Béliveau, précurseurs dans ce domaine, ont mis en évidence que 30% des cancers sont liés à l’alimentation40. De son côté, dans une étude de 2015, l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle du professeur Hercberg a établi que la consommation d’aliments ayant un profil de moins bonne qualité nutritionnelle est associée à une prise de poids plus importante et un risque de cancer et de maladie cardio-vasculaire majoré41.

Afin d’orienter les consommateurs vers des comportements alimentaires plus sains, la loi de modernisation de notre système de santé a également prévu le principe d’un étiquetage nutritionnel à l’aide des codes de couleur (inspiré du modèle britannique développé par la Food Standards Agency)42. On ne compte d’ailleurs plus les livres qui traitent du sujet «alimentation et santé», certains auteurs, tel le médecin nutritionniste Laurent Chevallier, allant jusqu’à prescrire des ordonnances alimentaires43.

5

Pour une approche globale de prévention.

Notes

44.

Voir Didier Tabuteau, Démocratie Les nouveaux défis de la politique de Santé, Odile Jacob, 2013.

+ -

Toutes ces données cumulées sur les déterminants de la santé incitent clairement à mener une action d’envergure pour donner aux individus les chances d’éviter d’être victimes d’affections chroniques. L’Assurance maladie, grand service public de protection sociale, est à même de remplir ce rôle essentiel. Se cantonner dans le remboursement des soins comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ne suffit plus. À trop assister, on déresponsabilise ; à trop culpabiliser, on stigmatise. Chaque assuré doit avoir la possibilité de gérer au mieux son capital santé et de prendre véritablement sa santé en main. Les progrès accomplis dans le domaine médical, particulièrement dans celui du médicament, permettent aujourd’hui de soigner efficacement les symptômes en évitant ainsi de se préoccuper des causes. On casse en quelque sorte le thermomètre, ce qui évite ou reporte toute volonté d’adopter des mesures en amont de la maladie. On est face à un véritable «impérialisme du soin», pour reprendre l’expression de Didier Tabuteau, responsable de la chaire Santé de l’Institut d’études politiques de Paris et codirecteur de l’Institut Droit et Santé44.

Pourtant, de nombreuses études démontrent que des affections comme le diabète ou l’hypertension peuvent être évitées ou jugulées grâce à une bonne hygiène de vie. L’objectif final doit plutôt être de garantir à tous le meilleur accès à la santé que le simple remboursement des soins, même si ce dernier doit se faire dans les meilleures conditions et sans nier les apports considérables des thérapeutiques conventionnelles. L’idée est donc de créer un service en santé qui, en miroir de l’appellation «Assurance maladie» trop centrée sur la réparation, s’appellera «Santé Active», prémices du déploiement vers une «Assurance santé» qui offrirait de multiples services en santé.

III Partie

Santé active

1

Qu’est-ce que la démarche Santé Active ?

Notes

45.

Atelier conçu par un médecin spécialiste en rééducation et réadaptation fonctionnelle reconnu et médecin- chef d’un centre de réadaptation.

+ -

48.

healthy.kaiserpermanente.org/

+ -

La démarche Santé Active constitue un projet global de santé qui vise à encourager les assurés sociaux à devenir acteurs de leur santé en adoptant un changement de comportement. Elle intègre les recommandations en matière de prévention, de règles hygiéno-diététiques et de recours aux soins. Cette démarche cible des thèmes de prévention à forts enjeux en termes de santé publique et d’économie, en lien avec les comportements individuels. Les enjeux de santé présentés précédemment montrent l’importance de généraliser une démarche permettant à chaque assuré qui le souhaite de prendre sa santé en main et de pouvoir préserver son capital santé notamment par la modification de ses comportements hygiéno-diététiques.

Les espaces Santé Active, différents des lieux habituels de l’Assurance maladie, sont implantés en plein centre-ville, au cœur du quotidien des assurés et à leur disposition. Le service est ouvert jusqu’à 19h00, y compris le samedi, une petite révolution dans l’accueil de l’assurance maladie. Et c’est bien sûr gratuit, donc accessible à tous, quel que soit le revenu.

L’écoute et l’information sont attachées au fonctionnement de cet espace. Une équipe de conseillers propose un accueil et oriente vers des conseils et des programmes de santé, en toute confidentialité. Le développement de partenariats avec des associations sportives ou de malades, des professionnels de la santé, permet de prolonger le travail que chaque adhérent réalise pour améliorer sa santé. Les conseillers aident les visiteurs à trouver les informations utiles parmi les ressources disponibles sur place : une bibliothèque santé et un espace multimédia. La bibliothèque regroupe des guides sur le bien-être, la nutrition, le bon usage du médicament, les pathologies, etc., et des ouvrages récents et des revues, le tout en consultation sur place. Cédéroms, vidéos et DVD sont également à disposition. En parallèle, l’espace multimédia offre en libre accès une sélection de sites Internet santé pour rechercher des conseils de prévention au quotidien.

Après un entretien individuel de motivation avec un conseiller, l’assuré, qui devient alors adhérent, choisit en fonction de ses souhaits la solution la plus adaptée. En suivant un programme de coaching, il s’engage à participer  au dispositif et définit ses propres objectifs de santé. Dans le cadre de ces programmes, les équipes Santé Active travaillent en collaboration avec des professionnels de santé : un entretien personnalisé, puis un bilan nutrition individualisé réalisés par des diététiciennes, des ateliers santé du dos45 avec des kinésithérapeutes… En devenant acteur, l’adhérent bénéficie alors d’un suivi et d’un soutien régulier.

Un club Santé Active permet aussi de créer un lien privilégié et un engagement fort entre l’assuré et sa caisse d’assurance maladie. En devenant adhérent, il reçoit régulièrement de l’information personnalisée, notamment sur ses consommations de soins.

Un lien Internet a été mis en place, délivrant une multitude d’informations et de conseils sur les meilleures façons de lutter contre la survenue des affections chroniques en sensibilisant aux facteurs de risque46. L’idée est d’informer les individus sur la gestion de leur capital santé, les conséquences de leur comportement, leur donner les clés de compréhension pour une bonne utilisation du système de santé. Plusieurs supports pédagogiques ont été créés à cet effet : vidéos, articles, forums, témoignages… Certains pays ont développé ce type de plateforme, par exemple en Grande Bretagne avec le site NHS Choices47 ou aux États-Unis avec, entre autres, Kaiser Permanente48.

2

Impliquer le patient dans la gestion de son capital santé.

Notes

49.

Depuis l’ouverture de son premier espace en 2012, l’Assurance maladie des Yvelines a reçu près de 20.000 visiteurs et compte aujourd’hui 7.400 adhérents (3.000 entretiens réalisés et plus de 6.000 participants aux ateliers). L’espace Santé Active du Mans a reçu jusqu’à 15.000 visiteurs par

+ -
+ -

51.

Programme de retour à domicile après un accouchement ou une intervention chirurgicale.

+ -

La question de savoir s’il faut informer les assurés ou non de leur consommation de soins se pose fréquemment. Dès le début de Santé Active, dans la Sarthe, il a été décidé de fournir cette information régulièrement aux adhérents du club Santé Active. Ceci n’a jamais posé la moindre difficulté puisque, en aucun cas, il ne s’agissait de stigmatiser l’assuré. Mais l’idée étant de modifier l’approche quant à l’utilisation du système de soins, l’utilité de ce type d’information devenait plus nécessaire. En somme, il s’agissait de constater le manque d’information des patients et de proposer une information complète, pertinente et utile.

L’assuré participe également à des ateliers pratiques sur des thèmes de santé lui correspondant dans le cadre de trois programmes : nutrition (alimentation et activité physique), santé du dos et santé du cœur. Ces ateliers permettent de fournir concrètement les bonnes pratiques au quotidien afin de modifier durablement les habitudes de vie.

À ce stade, il faut souligner le regret de n’avoir pu intégrer plus avant dans  le processus l’ensemble des médecins traitants, qui ont un rôle décisif à jouer. En effet, ce type d’atelier est destiné également à venir en complément de l’activité médicale, car le médecin, dans la plupart des cas, n’a ni le temps ni la formation suffisante pour agir durablement sur les comportements. Comment faire, dans le temps d’une consultation, pour expliquer à un patient comment revoir son alimentation ou se mettre à exercer une activité physique ? Le choix de prescrire des ateliers de coaching permet justement de dégager du temps médical, de plus en plus précieux, au bénéfice de son patient.

En 2011, grâce à l’impulsion de son directeur général Frédéric Van Roekeghem, adepte de l’innovation et des services en santé, la CNAM a accepté d’élargir progressivement l’expérimentation réalisée à la CPAM de la Sarthe depuis une douzaine d’années compte tenu des résultats observés. Ce sont ainsi 22 caisses primaires qui ont déployé la démarche Santé Active sur la centaine que compte le réseau de l’Assurance maladie (après appel à candidatures, 40 organismes s’étaient portés volontaires, montrant ainsi l’intérêt pour la démarche). Parallèlement est née l’idée de créer un coaching en ligne afin de compléter les ateliers en présentiel. En effet, la difficulté dans tout changement de comportement est de s’assurer qu’il perdure. Ce service, via Internet et le compte ameli de l’assuré, garantit cette possibilité et contribue en même temps à la modernisation de l’image de l’Assurance maladie. Et, finalement, il a été décidé de le proposer à tout assuré qui le souhaite, même s’il n’a pas suivi d’ateliers en présentiel. Il n’est pas certain que l’impact sera aussi positif, mais l’avenir le dira. Ce service ira même jusqu’à supplanter tous les autres puisque la décision a été prise par les pouvoirs publics et la CNAM de ne plus accepter de financement des espaces Santé Active et de leurs ateliers. Pourtant, malgré toutes les vicissitudes liées à la mise en place, la montée en charge s’est déroulée rapidement (moins de trois ans) pour un projet d’une telle ampleur. Les chiffres de fréquentation attestent de l’intérêt que suscite la démarche malgré les multiples obstacles rencontrés49.

Il est à noter également que les entreprises sont de plus en plus intéressées par ce type d’ateliers qui permet à leurs salariés de mieux gérer leur capital santé. Pour un coût très faible (la rémunération du coach), elles bénéficient d’un service clé en main ayant un réel impact sur leurs salariés (sur les arrêts de travail, par exemple). Cette appétence a été confirmée par une étude Malakoff Médéric-OSI qui montre que les salariés attendent des services en santé de la part de leur entreprise50. Il convient de souligner au passage que les salariés sont d’abord désireux que le service soit totalement gratuit.

L’Assurance maladie déploie désormais plusieurs services en santé : Sophia, Prado51 et Santé Active. Autant de services qui, en complément du service de base de prise en charge des remboursements, accompagnent l’assuré tout au long de sa vie pour l’aider à préserver sa santé et utiliser au mieux le système de soins.

3

Une démarche confortée par ses résultats.

Notes

52.

Franck Maunoury…, art.cit

+ -

Mesurer l’impact de Santé Active sur la consommation de soins, c’est désormais chose faite depuis 201152. L’université du Maine (Le Mans) a mis en évidence une différence significative de la consommation de soins pour les adhérents à la démarche Santé Active. Une diminution des dépenses de soins, avec parfois même une inversion de tendance, a été constatée sur plusieurs postes de dépenses (médicaments, actes de kinésithérapie, indemnités journalières, consultations de médecins généralistes).

Tableau 2 : Synthèse des effets du programme Santé Active par type de soins et par type de médicaments

Source :

Patrick Negaret.

Notes

53.

William Gasparini et Sandrine Knobé, « Sport sur ordonnance : l’expérience strasbourgeoise sous l’œil des sociologues », Informations sociales, n° 187, janvier 2015, p. 47-53

+ -

54.

CNAM, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l’assurance maladie pour 2017, rapport au ministre chargé de la Sécurité sociale et au Parlement sur l’évolution des charges et des produits de l’Assurance maladie au titre de 2017 (loi du 13 août 2004), juillet 2016, p. 2

+ -

Pour parvenir à ce résultat, quinze années d’efforts et de persuasion auront été nécessaires pour mettre en œuvre une idée à l’origine pourtant évidente : combattre le développement des affections chroniques par la prévention primaire pour le bien-être de nos concitoyens et l’équilibre des comptes de l’Assurance maladie. Et ce combat concerne bien tous nos concitoyens. Il a souvent été reproché au programme Santé Active de ne pas s’adresser suffisamment aux couches défavorisées de la population. En réalité, la gratuité du service est un élément déterminant pour en faciliter l’accès. C’est ce qu’a d’ailleurs démontré une étude de sociologues de l’université de Strasbourg53 qui confirme que la gratuité des activités proposées par la mairie facilite grandement l’adhésion au dispositif, notamment pour les  populations  des quartiers pauvres, également les plus touchées par certaines affections chroniques (diabète, maladies cardio-vasculaires). Sinon, le financement repose sur les individus, les entreprises, les collectivités et les assureurs. L’Assurance maladie, assureur solidaire en santé, n’est-elle pas légitime à ce titre ? Sinon qui, à part l’État ? D’ailleurs, dans un rapport récent, l’Assurance maladie énonce cet objectif : «Déployer des actions de prévention efficaces et coût-efficaces pour lutter contre les facteurs de risque […]. Car la stratégie de l’Assurance maladie ne se limite pas à améliorer les soins curatifs : agir sur les risques évitables, c’est-à-dire prévenir l’apparition des maladies chroniques, ralentir leur progression, éviter la survenue des complications, sont des leviers majeurs pour améliorer l’efficience du système de santé54

Le coaching permettra également aux plus défavorisés d’accéder à un service vers lequel ils ne seraient pas allés spontanément. Des études ont montré que ces populations avaient un recours important aux services Internet (et aux applications mobiles).

Santé Active avait également débuté un ciblage par typologie sociale de population. En effet, afin de toucher les publics en situation plus fragile, et en sus d’un accès en ligne (e-coaching) et de la gratuité du dispositif, la CPAM de la Sarthe avait expérimenté le travail avec les réseaux associatifs des quartiers accueillant des populations plus vulnérables, sur des territoires donnés. Cela reposait d’abord sur une étude de géographie de la santé, puis, sur ces zones, des partenariats étaient engagés avec les réseaux de proximité, les associatifs, en tant qu’intermédiaires et professionnels de proximité travaillant avec les publics fragiles. Pour cela, des bilans nutritionnels adaptés ont été déployés et ont permis d’adapter l’offre de services Santé Active aux publics plus vulnérables, ayant bien souvent des priorités quotidiennes éloignées des discours traditionnels de prévention.

L’Assurance maladie devient progressivement mais inéluctablement une entreprise de règlement de prestations, prise en étau entre l’État, via les ARS, et les organismes complémentaires. Le système est dans une impasse sanitaire et financière. Il existe aujourd’hui une opportunité et aussi le désir de changer.

C’est donc un nouveau défi qui induit un changement de paradigme, donne du sens au système de santé en modifiant son rapport à la population qu’il couvre et ouvre la voie à de nouveaux services et métiers. De la conviction, du temps, de l’énergie au service de l’intérêt général : n’est-ce pas cela un vrai service public ?

Le fait que le déficit des régimes d’assurance maladie perdure malgré des plans successifs pour le résorber devrait amener à s’interroger sur la validité des mesures prises. En réalité, ces dernières sont la plupart du temps conjoncturelles, avec des effets à court terme et qui ne font que réduire lentement mais sûrement le champ de l’assurance maladie obligatoire. Pourtant, les défis à relever sont nombreux, qu’ils soient d’ordre sanitaire, social, technologique ou encore économique. Manifestement, la réflexion prospective est absente, sans véritable pilote ni stratégie. La vision est restée la même qu’en 1945, lors de la création de la Sécurité sociale, c’est-à-dire centrée sur les soins et la maladie plutôt que sur la santé et la personne dans son environnement. Pire encore, malgré les résultats obtenus et validés depuis maintenant de nombreuses années, les actions visant à favoriser le changement des comportements par des mesures simples restent (à de rares exceptions près) lettre morte en étant même, chez certains acteurs, méconnues, voire contestées.

Après avoir été repris au plan national grâce à ses bons résultats, le programme Santé Active a finalement été subitement abandonné (sauf le coaching en ligne) au nom d’économies qu’il faut certainement réaliser, mais non pas au détriment d’un programme dont les performances sont reconnues.

Ne nous privons pas de cette opportunité de refonder un système à bout de souffle qui génère de plus en plus d’inégalités et de mécontentements. La centralité de ce sujet dans une société de progrès fait qu’on ne peut le laisser de côté. Sa concrétisation repose sur la mobilisation des citoyens et leur implication dans la gestion de leur capital santé, dans une société de plus en plus ouverte à l’information. Trouver le chemin pour redéfinir les conditions d’une santé publique durable, responsable et viable est essentiel à la préservation du contrat social.

Nos dernières études
Commentaires (0)
Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.