Résumé
I.

Définition(s) et méthodologie(s)

1.

De multiples définitions objectives mais qui présentent certaines limites

2.

Le choix d’une définition subjective

II.

Patrimoine et niveau de vie des classes moyennes

1.

Une détention majoritaire de son logement et d’une assurance-vie

2.

L’imposition sur le revenu : une vraie ligne de partage au sein des classes moyennes

3.

Niveau de vie : les classes moyennes, ou la France «qui s’en sort correctement»

III.

Valeurs et représentations des classes moyennes

1.

Les limites de l’ascenseur social

2.

La peur du déclassement et ses ressorts

3.

Un système de valeurs peu unifiant, et qui se construit surtout dans un rapport à l’altérité

IV.

Conclusion

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Résumé

Les classes moyennes en France peuvent-elles véritablement être considérées comme une réalité sociologique et, par extension, dans la perspective des élections présidentielles de 2012, comme une cible électorale exprimant des attentes propres qu’un programme politique serait susceptible de venir satisfaire ? L’objet de cette note, qui trouve sa matière dans une vaste étude réalisée pour la Fondapol, porte notamment sur la définition du périmètre des classes moyennes. Et les prismes par lesquels cette question peut être abordée sont multiples. Dans un premier temps, l’explication des choix méthodologiques est l’occasion de balayer les difficultés que pose le concept de classe moyenne en tant qu’objet de recherche. L’ambition de cette note étant de cerner ceux qui se reconnaissent sous ce vocable de classe moyenne, et en somme de privilégier une lecture plus qualitative et psychologique qu’économico-descriptive, le choix de l’autodétermination des individus sur une échelle d’appartenance a été retenu au détriment d’une définition fondée sur une variable objective telle que le revenu. Dès lors, la question se pose de savoir dans quelle mesure les profils des personnes se vivant comme membre des classes moyennes s’avèrent homogènes et, conjointement, quelles sont les lignes de fractures qui traversent les classes moyennes, au préalable subdivisées en trois groupes : classe moyenne inférieure, classe moyenne intermédiaire et classe supérieure. Dans cette optique, deux champs sont passés au crible : d’une part, les attributs matériels et le niveau de vie ; d’autre part, le système de valeurs. Pour ce qui est du premier point, la question de la pression fiscale, entre autres, s’avère déterminante, ce qui permet d’envisager la place que pourra prendre le thème de la réforme fiscale dans le cadre de l’élection présidentielle de 2012.

Concernant un éventuel système de valeurs qui permettrait de caractériser, voire d’expliquer le sentiment d’appartenance aux classes moyennes, c’est la question de la peur du déclassement qui s’avère centrale, plus qu’un système unifiant bien défini. Cette note s’attache ainsi à circonscrire le phénomène de fragilisation des classes moyennes ou, plus précisément, à distinguer le déclassement en tant que tel de la peur du déclassement. Car si l’on parle dans le langage courant d’une paupérisation des classes moyennes, n’est-ce pas plutôt de « peur du déclassement » qu’il faut parler ? Néanmoins, des divergences apparaissent, parfois de façon très nette, entre les différentes classes moyennes (inférieure, intermédiaire et supérieure), ce qui permet d’entrevoir le défi politique que constitue l’élaboration d’un programme unique à destination de l’ensemble des classes moyennes.

Laure Bonneval,

Chargée d’études au département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop.

Jérôme Fourquet,

Directeur du département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop.

Fabienne Gomant,

Directrice d’études au département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop.

Notes

1.

On se souvient, à ce titre, que la victoire du « non » au référendum constitutionnel de mai 2005 a été analysée comme la traduction du basculement dans le camp de l’euroscepticisme de très larges pans de la classe moyenne.

+ -

Il en va un peu du concept de « classe moyenne » comme de celui de « populisme » : très régulièrement employés aussi bien dans le milieu académique que dans le langage courant ou dans le débat politique, ces termes sont très utiles et facilement compréhensibles par le plus grand nombre, mais leur définition précise représente un exercice assez complexe. En effet, avant toute tentative pour saisir la réalité qu’il recouvre, le concept de classe moyenne pose un certain nombre de difficultés d’ordre sémantique. Le terme de classe a ceci d’ambigu qu’on ne parvient pas toujours à le dissocier de son acception marxiste, celle de la lutte de classes et d’une lecture binaire de la société. Les théories marxistes, si elles n’ont pas survécu aux évolutions de la structure du salariat et de nos sociétés contemporaines, restent bien prégnantes en ce qu’elles habitent toujours un certain nombre de notions, celle de « classe » en tête. Or la classe moyenne n’a rien d’une classe marxiste, ni même d’une ancienne classe prolétarienne qui se serait élevée dans l’échelle sociale. Ni ouvrière ni bourgeoise, elle ne peut nullement se définir principalement au regard d’une quelconque place dans les rapports de production, ni d’une socialisation effective de ses membres ou d’une conscience de classe qui conduirait à la défense d’intérêts communs sur le plan politique. Au fil du temps, à l’opposition canonique classe ouvrière-prolétariat/ bourgeoisie s’est progressivement substituée une vision donnant à voir la société organisée en un continuum autour d’un vaste corps central composé des classes moyennes, les fameux « deux Français sur trois » de Valéry Giscard d’Estaing. Or, et cela nous conduit à une seconde difficulté sémantique, ce vaste corps social ne parvient pas à faire l’objet d’une appréhension spontanément « positive ». De fait, à la question « qu’est-ce que la classe moyenne ? », il apparaît bien plus aisé d’énoncer ce qu’elle n’est pas, le terme se définissant alors en creux. Dans cette logique, la classe moyenne serait la société dans son ensemble, à laquelle seraient retranchées les catégories les plus modestes, schématiquement héritières de la classe ouvrière associée aux exclus, et les catégories les plus aisées, renvoyant quant à elles au souvenir de la figure du bourgeois. Malgré le confort intellectuel qu’elle offre – ou plutôt, justement, à cause de lui –, cette définition par la négative est trop insuffisante pour que la littérature scientifique, et le politique avec elle, s’en contentent, notamment parce qu’elle donne à voir une classe moyenne qui serait homogène. De fait, l’intérêt et la difficulté du concept tiennent au contraire dans l’hétérogénéité de la réalité à laquelle il renvoie. Le débat sur l’usage du singulier ou du pluriel symbolise à lui seul l’enjeu de cette pluralité. L’usage du pluriel, outre qu’il permet de se préserver d’une connotation marxiste dont on connaît les écueils, apparaît en effet plus adéquat, car on sait d’ores et déjà, et ce quelle que soit la définition opérationnelle retenue, que la variété des profils rencontrés sous ce vocable rend impératif l’usage du terme de « classes moyennes » au pluriel, au détriment d’un singulier, trop réducteur. Après avoir été quelque peu délaissées par les travaux académiques d’après-guerre, les classes moyennes sont redevenues un objet de recherche, ainsi d’ailleurs qu’un élément central de légitimation dans le discours politique. Toutefois, un changement de prisme s’est opéré : il s’agit désormais non plus de définir ou d’étudier ce que seraient la place et la fonction de ces classes moyennes dans la société – stabilisatrice ou force de changement –, mais les discours s’inscrivent aujourd’hui dans une perspective historique dans laquelle s’imposerait le constat d’un phénomène de paupérisation progressive des classes moyennes, ou tout du moins de celles des pays développés. En effet, le terme ne prend pas  la même coloration lorsque le débat porte, par exemple, sur l’émergence d’une classe moyenne en Chine ou en Inde. Désormais, parler des classes moyennes en France, c’est souvent parler de leur paupérisation. Les étudier conduit donc à placer au cœur du débat la dynamique du déclassement, dont nous verrons un peu plus loin qu’elle constitue, du point de vue des représentations, l’un des principaux dénominateurs communs aux personnes se vivant comme membres des classes moyennes. Mais si la paupérisation des classes moyennes, avec tout ce qu’elle comporte en termes de conséquences notamment au plan électoral1, s’est imposée ces dernières années dans le champ académique comme cadre du débat, la question de la définition même des classes moyennes n’est en revanche toujours pas résolue, à supposer toutefois qu’elle puisse l’être.

I Partie

Définition(s) et méthodologie(s)

1

De multiples définitions objectives mais qui présentent certaines limites

En amont de toute interrogation sur l’éventuelle paupérisation des classes moyennes se pose en effet le problème de la définition à retenir : doit-on opter pour un critère objectif ? Ne doit-on en retenir qu’un, et si oui lequel ? Ou bien faut-il privilégier plutôt la définition subjective, c’est-à-dire l’autopositionnement des individus sur l’échelle sociale ? Chacune de ces options présente des avantages et des limites, et l’arbitrage dépend en grande partie de l’ambition poursuivie. Une analyse socio-économique à visée descriptive retiendra plutôt une définition objective, tandis qu’une approche politique gagnera à faire le choix de l’autopositionnement dans la mesure où elle ménage une place à des aspects qualitatifs et psychologiques. Dans le cas d’une définition objective, le choix se limite peu ou prou à deux variables : la profession, c’est-à-dire la nomenclature des Professions et Catégories Socioprofessionnelles (PCS) de l’Insee, et le revenu. Pour comprendre les classes moyennes, la première apparaît quasiment invalide. Les huit groupes socioprofessionnels construits par l’Insee constituent de fait des catégories trop hétérogènes en leur sein (et/ ou trop peu discriminantes entre elles), notamment parce qu’une même catégorie, les « ouvriers » par exemple, recouvre des niveaux de revenus, et donc des niveaux de vie, très différents, pouvant aller du simple au double. Ces groupes professionnels peinent également à catégoriser les retraités et les inactifs, et éludent l’enjeu des conditions d’emploi et du statut (CDI/CDD, temps complet/temps partiel, salarié du privé/salarié du public, etc.). En outre, cette nomenclature fait partiellement l’impasse sur une dimension essentielle de l’analyse des classes moyennes, à savoir le facteur qualitatif lié à la position sociale, pour ne pas dire le prestige social. Le cas des cadres est de ce point de vue éclairant : le développement de cette fonction sur le marché du travail s’est accompagné d’une raréfaction de ses attributions traditionnelles (schématiquement : encadrement d’équipe et niveau de salaire élevé). Dès lors, quel point commun, tant du point de vue des revenus que, par ricochet, du prestige associé à la fonction, entre un cadre dirigeant d’une grande entreprise et un jeune cadre d’une société de service en ingénierie informatique (SSII) ? Autre limite, cette nomenclature gomme les différences liées aux évolutions de carrière existant au sein d’une même catégorie. Notons d’ailleurs que ce qui est vrai de la profession l’est également du niveau de diplôme, dont la dimension déterministe, certes opérante en début de carrière, perd en intensité à mesure de la vie professionnelle et des expériences acquises. L’invalidité du critère de la profession pour circonscrire les classes moyennes apparaît ainsi relativement évidente. C’est pourquoi l’essentiel du corpus d’analyses qui lui sont consacrées s’en est détourné au profit de la variable du revenu. Définir les classes moyennes au travers des niveaux de revenu présente l’avantage, contrairement à la profession et au diplôme, de disposer de catégories agrégeant des individus et des foyers homogènes du point de vue du mode/niveau de vie et rend également possible une comparaison dans le temps. Toutefois, et sans trop rentrer dans les détails, le recours au revenu nécessite en premier lieu de se départir des représentations usuelles liées au salaire mensuel. De fait, les travaux basés sur une définition via le revenu retiennent le salaire réel disponible, soit l’ensemble des revenus (salaires, revenus du patrimoine, etc.) corrigé des transferts sociaux (ajout des prestations sociales et retrait des impôts et cotisations). La validité de cette variable, si incontestable soit-elle, pose tout de même un certain nombre de difficultés. D’une part, elle prend comme cellule de base le foyer et non l’individu. D’un point de vue méthodologique, cette difficulté peut aisément être surmontée par la transformation de ce « revenu disponible du foyer » en « revenu par unité de consommation », c’est-à-dire le retour à un revenu par individu via un système de pondération fondé sur le nombre de personnes composant le foyer. Si la pertinence de ce revenu par unité de consommation est réelle, il a ceci de regrettable qu’il nous éloigne très fortement des représentations habituelles associées au revenu mensuel qui facilitent la compréhension. Retenir la variable du revenu pour définir les catégories sociales nécessite d’autre part un arbitrage relatif aux seuils à choisir/déterminer. En l’espèce, deux écoles se font face : l’analyse par décile de revenus ou bien le recours à une distance déterminée par rapport au revenu médian. Enfin, le revenu disponible pose une difficulté d’ordre pratique, celle du recueil de l’information qui apparaît impossible dans le cadre d’une enquête d’opinion dans la mesure où les interviewés sont dans l’incapacité d’effectuer spontanément un tel calcul. Ces données ne s’obtiennent en effet que par une analyse fine basée sur les déclarations fiscales, tâche à laquelle se consacre l’Insee. La profession comme le revenu offrent donc des avantages et des limites propres mais présentent un point commun, à savoir leur caractère univoque. Une analyse unifactorielle est forcément réductrice puisqu’elle fait l’impasse sur la multiplicité des éléments pouvant venir déterminer le niveau de vie – diplôme, revenu, profession, situation matrimoniale, lieu d’habitation (Paris vs province), etc. – auquel certains travaux ont toutefois été consacrés.

2

Le choix d’une définition subjective

Notes

2.

Enquête réalisée du 22 au 28 septembre 2010 sur Internet auprès d’un échantillon de 2.000 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas).

+ -

Dans le cadre de l’enquête réalisée2 par l’Ifop pour la Fondation pour l’innovation politique et dont les résultats ont nourri l’analyse présentée dans les pages qui suivent, le critère subjectif de l’autopositionnement a été privilégié. Cela répond, d’une part, à des exigences pratiques liées au recueil de l’information, mais aussi et surtout à l’ambition poursuivie. Elle consiste à renouer avec une lecture plus sociétale, moins strictement économico-descriptive, et qui serait en mesure de saisir des dimensions plus psychologiques sur lesquelles les définitions construites à partir d’un critère objectif – quel qu’il soit – font l’impasse. Il s’agit en effet de cerner ce qui conditionne le sentiment d’appartenance aux classes moyennes. L’autopositionnement s’inscrit dans une logique relativiste et induit par là même une lecture plus globale de la société : le positionnement dépend à la fois de la conscience qu’a l’individu de son propre capital économique et culturel, mais également de la manière dont il perçoit la structure sociale environnante. De la synthèse de ces deux éléments naît la projection de soi dans l’échelle sociale. Ce rapport à l’altérité explique ainsi qu’à des niveaux de revenu identiques, deux individus puissent estimer appartenir à des catégories différentes (et vice-versa). Les jugements sont ainsi conditionnés par nombre de facteurs, parmi lesquels le milieu social d’origine et la trajectoire par rapport à celui-ci, ainsi que le sentiment de reconnaissance, qui peuvent être considérés à bon droit comme déterminants. L’autopositionnement présente dans le même temps un certain nombre de limites qu’il ne s’agit pas de nier. C’est le cas notamment du phénomène de sous-déclaration d’appartenance aux catégories aisées, produit d’une posture courante consistant à considérer que le riche, c’est celui qui est plus riche que soi. De même, on devine également la difficulté qu’il peut y avoir à admettre appartenir aux catégories défavorisées : inversement, le pauvre, c’est celui qui est plus pauvre que soi. Autant de processus qui relèvent d’un mécanisme de relativisme social et qui viennent expliquer sans doute le fait qu’une proportion écrasante de la population déclare faire partie des classes moyennes : 52% des Français se vivent comme des Français moyens, ni pauvres ni riches, proportion qui atteint même 65% si on y surajoute les personnes se définissant comme « classe supérieure ».

Tableau 1 : Personnellement, vous situeriez-vous plutôt parmi…

En l’état, ce vaste groupe apparaît très peu opératoire en ce qu’il réunit sous une même appellation plus d’un Français sur deux et fait ainsi coexister des écarts majeurs en termes de niveaux de vie. D’où la nécessité d’introduire a posteriori une césure au sein des classes moyennes. Pour ce faire, le choix a été fait de recourir aux unités de consommation (UC) évoquées précédemment, soit la pondération du revenu du foyer par le nombre d’individus le composant, pour aboutir à l’échelle suivante :

Tableau 2 : Personnellement, vous situeriez-vous plutôt parmi…

Notes

3.

Cf. Klaus-Peter Sick, « Le concept de classes moyennes. Notion sociologique ou slogan politique ? », Vingtième Siècle, no 37, janvier-mars 1993, p. 13-34.

+ -

Ainsi subdivisées en trois strates, les classes moyennes ont ensuite été analysées selon deux logiques complémentaires : d’une part, saisir les facteurs qui conditionnent le sentiment d’appartenance aux classes moyennes au sens large, tout en isolant, d’autre part, les fractures, tant du point de vue matériel que des opinions, qui les traversent. Pour ce qui est des attributs matériels et des pratiques, un certain nombre d’entre eux semblent fortement présider au sentiment d’appartenance aux classes moyennes. Toutefois, et nous le verrons de manière assez nette, ce dernier sentiment n’a plus rien à voir avec une quelconque conscience de classe. Toute tentative de retour à un prisme marxiste apparaît caduque : du point de vue des opinions, des attentes et des valeurs, l’hétérogénéité reste le plus souvent la règle. L’identification des attributs qui déterminent l’entrée et la sortie des classes moyennes et l’analyse des ruptures s’opérant au sein même des trois classes moyennes (inférieure, intermédiaire et supérieure) permettent d’établir qui sont aujourd’hui les classes moyennes en France et le degré de réalité sociologique qu’elles conservent, alors même que le concept de classe moyenne peut, sous certains aspects, être considéré davantage comme un élément du discours politique que comme une réalité sociale3. Rappelons, en effet, que deux tiers des Français se reconnaissent dans l’appellation de classe moyenne ou classe supérieure, et qu’un groupe social d’une telle taille ne peut rassembler, dans une société aussi diversifiée que la nôtre, que des profils très hétérogènes. Quelques chiffres pour s’en convaincre : 59% des cadres supérieurs et des professions libérales déclarent ainsi appartenir aux classes moyennes tout comme 44% des employés et 41% des ouvriers ! La segmentation statistique que nous avons opérée en scindant ce vaste groupe central en deux catégories (la classe moyenne inférieure et la classe moyenne intermédiaire) permet déjà davantage de cohérence et d’homogénéité. Mais c’est la confrontation de cette segmentation aux réponses obtenues sur de nombreuses questions de l’enquête réalisée pour la Fondapol qui va permettre de mieux caractériser le profil des classes moyennes et de mieux appréhender leurs spécificités. Comme l’analyse le montrera, notamment sur les questions relatives au patrimoine, le périmètre des « véritables » classes moyennes se limitera à la classe moyenne inférieure et intermédiaire, les personnes se définissant comme faisant partie de la classe supérieure ayant un profil nettement plus aisé.

II Partie

Patrimoine et niveau de vie des classes moyennes

1

Une détention majoritaire de son logement et d’une assurance-vie

Notes

4.

Livret A et autres livrets, propriété de sa résidence principale, assurance-vie, actions et produits financiers, propriété de biens de rapport.

+ -

De par leur taux de détention élevé, le livret A (76% des Français en possèdent un) et les autres livrets ou comptes d’épargne type Codevi (possédés par 68% des personnes interrogées) apparaissent comme des produits très répandus et socialement très peu discriminants. Il s’agit bien de produits populaires dans les deux sens du terme : très largement distribués dans l’ensemble de la population et assez bien adoptés par les défavorisés (respectivement 55% et 46% de taux de détention) et plus nettement par les catégories modestes (69% et 58%). Parmi les éléments de patrimoine testés4, ce sont les deux seuls qui sont majoritairement possédés par les catégories modestes et presque majoritairement par les défavorisés. Si la détention de ces produits « basiques » est encore plus fréquente dans la classe moyenne inférieure (75% pour le livret A et 69% pour les autres livrets), elle ne constitue donc pas un marqueur pertinent de l’appartenance aux classes moyennes. La possession d’une assurance-vie l’est en revanche bien davantage. Souvent présentée comme le « placement préféré des Français » par la presse économique, elle ne mérite ce titre que par le fait que le total de ses encours représente la plus importante masse financière placée par les ménages français sur un produit d’épargne. Mais, dans les faits, « seuls » 46% de nos compatriotes déclarent posséder une assurance-vie. Nous sommes donc loin des taux de détention du livret A et d’un produit populaire, puisqu’un Français sur deux n’en détient pas. Ajoutons à cela que le taux de possession d’une assurance-vie est très fortement indexé sur l’appartenance sociale. Si plus des deux tiers des classes supérieures et des favorisés ou aisés en détiennent, ce n’est le cas que de 27 et 28% des défavorisés et des modestes, soit un écart de 40 points… Les classes moyennes occupent quant à elles une position intermédiaire face à ce schéma très polarisé socialement : 47% de détention pour la classe moyenne inférieure et 56% pour la classe moyenne intermédiaire. Deux constats s’imposent donc à ce stade : c’est uniquement à partir de la classe moyenne intermédiaire que la possession du « placement préféré des Français » devient la norme, ou disons majoritaire ; et l’entrée dans la classe moyenne, même inférieure, se traduit par un saut de 20 points en termes de détention de ce produit par rapport aux catégories situées en dessous, pour lesquelles l’assurance-vie constitue un placement beaucoup moins familier. Ce double constat indique donc que la possession d’une assurance-vie constitue un élément matérialisant l’entrée et l’appartenance aux classes moyennes. Le fait d’être propriétaire de son logement principal est sensiblement plus répandu que la possession d’une assurance-vie (57% contre 46%), avec là aussi de très fortes disparités selon les milieux, comme le montre le graphique ci-dessous. Le taux de propriétaires de leur logement devient majoritaire (certes de peu : 54%) dès l’entrée dans la classe moyenne inférieure, la possession de son logement pouvant donc globalement être considérée comme un marqueur de l’appartenance à la classe moyenne et de distinction par rapport aux catégories plus populaires.

Graphique 1 : Le taux de propriétaires de leur résidence principale selon les catégories sociales

Deux bémols apparaissent : le taux de propriétaires atteint déjà 43% parmi les modestes, et s’il y a donc un écart entre ces modestes et la classe moyenne inférieure, il n’est « que » de 11 points et est surtout symbolique de par le franchissement du seuil des 50%. À titre de comparaison, le saut est beaucoup plus important entre les défavorisés, très rarement propriétaires (22% seulement), et les modestes (43%, soit 21 points de différence), dont on voit qu’ils constituent un sas d’entrée dans la « France des propriétaires », statut qui demeure hors de portée de près de trois quarts des défavorisés. Second bémol, il existe également au sein même des classes moyennes, un gap important (17 points) entre la classe moyenne inférieure, finalement assez proche des modestes, et la classe moyenne intermédiaire, très largement propriétaire (71%) et distante de seulement quelques points de la classe supérieure (75% de propriétaires), voire des favorisés (78%). Si le statut de « propriétaire majoritaire » signe bien l’entrée dans la classe moyenne, tout comme la détention d’une assurance-vie, ce critère fait également naître un clivage important entre la classe moyenne inférieure (tout juste majoritairement propriétaire) et la classe moyenne intermédiaire (quasiment trois quarts de propriétaires), alors que le différentiel est très peu marqué concernant l’assurance-vie. La possession d’actions, de fonds communs de placement (FCP) ou de Sicav (concernant 26% des Français), ou d’un logement ou de terres à louer (26% également) est nettement moins fréquente. Des pans entiers de la société en sont dépourvus et ces placements ne semblent être l’apanage que de la classe supérieure (51% pour les placements boursiers, 49% pour des biens immobiliers) et des favorisés ou aisés (respectivement 78% et 47%). Mais les deux classes moyennes sont très largement exclues de ces marchés. Ces produits sont donc plutôt l’attribut de tout ou partie des milieux les plus favorisés et ne peuvent constituer un trait distinctif de nos classes moyennes. Au contraire, c’est bien plutôt leur non-possession qui marque la différence avec les catégories situées au-dessus d’elles. Notons pour finir sur ce point que les écarts entre classes moyennes inférieure et intermédiaire, déjà constatés sur la possession de son logement, se retrouvent également concernant la détention de valeurs mobilières et de produits financiers.

2

L’imposition sur le revenu : une vraie ligne de partage au sein des classes moyennes

Ces éléments de clivage opposant classe moyenne inférieure et classe moyenne intermédiaire sur certains éléments de patrimoine s’observent également en ce qui concerne l’impôt sur le revenu. Si la France est schématiquement scindée en deux en matière d’impôt sur le revenu avec 55% d’assujettis et 45% de non-contribuables, cette proportion varie logiquement en fonction du niveau social, et la ligne de partage passe… au beau milieu des classes moyennes. Avec 83% de personnes payant l’impôt sur le revenu, la classe moyenne intermédiaire apparaît très massivement soumise à cet impôt au même titre que la classe supérieure (81%) et les favorisés (84%). Pour ces trois catégories, l’impôt sur le revenu est donc très répandu et seule une minorité y échappe.

Graphique 2 : Payez-vous l’impôt sur le revenu ?

Le paysage est complètement inversé dans le bas de l’échelle sociale. Parmi les défavorisés, seuls 14 % l’acquittent, cette proportion double auprès des modestes (30%), mais la norme dans ces milieux reste encore très largement l’exonération de cet impôt. Quand on pénètre dans la classe moyenne inférieure, la situation vis-à-vis de l’impôt sur le revenu semble beaucoup plus partagée : 46% l’acquittent et 54% ne le paient pas. La nature progressive de l’impôt sur le revenu est donc perceptible au travers de la progression du taux d’assujettis entre les trois catégories les moins aisées. En revanche, l’écart est d’une tout autre nature lorsque l’on compare la classe moyenne inférieure (46% d’assujettis) à la classe moyenne intermédiaire : 83% d’assujettis, soit un saut de 37 points et un quasi-doublement du taux de contribuables. L’importance de ce saut au sein même des classes moyennes n’est pas sans poser de questions et constitue assurément un fort motif de ressentiment dans cette partie de la population qui, selon la formule consacrée, est « trop riche pour être aidée, mais pas assez pour ne pas payer d’impôt ». Même si le montant acquitté au titre de l’impôt sur le revenu n’est sans doute pas très élevé pour les premières tranches, cet effet de seuil est spectaculaire, puisque le pourcentage d’assujettis ne progresse plus quand on pénètre dans la classe supérieure et même parmi les plus favorisés. Si quasiment un membre sur deux de la classe moyenne inférieure paye l’impôt sur le revenu, la « France des contribuables » ne se constitue massivement qu’à partir de la classe moyenne intermédiaire. Or, quand on interroge les sondés sur leur perception de l’intensité de la pression fiscale qu’ils subissent, c’est précisément, comme on peut le voir sur le graphique suivant, auprès de la classe moyenne intermédiaire qu’elle est ressentie comme la plus élevée.

Graphique 3 : Diriez-vous que le montant de l’impôt sur le revenu que vous payez est… ?

À l’heure où, à droite comme à gauche, la question de la réforme fiscale agite les esprits, la prise en compte des spécificités et des clivages qui traversent la société, et notamment les classes moyennes, devrait être placée au cœur de la réflexion. La classe moyenne intermédiaire est, on l’a vu, la catégorie la plus irritée par l’ampleur de la pression fiscale, ce qui rend difficilement acceptable une hausse de l’impôt sur le revenu pour cette population. Dans le même temps, l’assurance-vie est détenue par une majorité (56%) de ce groupe, d’où aussi des risques de difficultés politiques en cas d’alourdissement de la fiscalité sur ce produit d’épargne. Les réactions seraient en revanche beaucoup moins vives face à une hausse des prélèvements sur les revenus tirés de produits financiers, peu répandus parmi la classe moyenne intermédiaire. Enfin, très massivement propriétaire (71%), elle serait peu sensible à de nouvelles mesures d’aide à l’accession à la propriété mais bien davantage à une modification des règles fiscales concernant la résidence principale. À l’inverse, de nouvelles aides à l’accession à la propriété rencontreraient sans doute un écho plus important auprès de la classe moyenne inférieure, dont près de la moitié des membres sont encore locataires. Bien que moins soumise à l’impôt sur le revenu, cette population accepterait mal toute hausse de cet impôt dans la mesure où elle est dotée de moyens financiers limités. Il en irait de même pour l’assurance-vie, possédée par 47% de la classe moyenne inférieure.

3

Niveau de vie : les classes moyennes, ou la France «qui s’en sort correctement»

La classe moyenne inférieure, comme sa voisine de la classe moyenne intermédiaire, se situe également dans une position médiane quand on considère non plus seulement la fiscalité ou le patrimoine mais, de manière plus globale, le niveau de vie.

Graphique 4 : Comment vous en sortez-vous avec les revenus de votre foyer ?

À la question : « comment vous en sortez-vous avec les revenus de votre foyer ? », une écrasante majorité des défavorisés (94%) répond « difficilement » et deux tiers des modestes (68%) font de même. À l’autre extrémité du spectre, une majorité absolue de la classe supérieure (51%) ou des favorisés et des aisés (56%) déclare s’en sortir facilement. Entre ces deux extrêmes très polarisés, les deux classes moyennes se distinguent assez nettement des autres strates et présentent un visage assez semblable. Près de deux tiers de la classe moyenne inférieure (63%) et de la classe moyenne intermédiaire (67%) affirment en effet s’en sortir « correctement ». Cette position équilibrée démontre que ces classes « moyennes » n’ont pas usurpé leur nom. Cela indique également que l’entrée dans leur univers est synonyme d’absence de difficultés financières importantes, qui restent réservées aux défavorisés et aux modestes, même si un tiers (30%) de la classe moyenne inférieure déclare quand même s’en sortir difficilement (contre « seulement » 13% de la classe moyenne intermédiaire). Cette définition plancher d’une entrée dans les classes moyennes, qui se matérialise par une capacité très largement majoritaire à s’en sortir « correctement » et par l’existence d’une minorité rencontrant des difficultés, s’accompagne d’une définition plafond qui signe la sortie des classes moyennes. Ce n’est en effet qu’à partir de la classe supérieure qu’on rencontre une majorité d’interviewés déclarant s’en sortir facilement avec leurs revenus : 51% contre 20% seulement dans la classe moyenne intermédiaire, et 7 % dans la classe moyenne inférieure. Cette position médiane en termes de niveau de vie des classes moyennes, dont les membres pourraient du coup être considérés comme « ceux qui s’en sortent juste correctement », c’est-à-dire sans vivre très largement mais sans non plus de difficultés trop importantes, est confirmée par d’autres critères. Ainsi, comme le montre le graphique suivant, le fait de repousser ou de différer souvent des actes médicaux est tout à fait résiduel parmi les classes moyennes comme dans les catégories les plus aisées, alors que cela est assez fréquent dans les milieux populaires.

Graphique 5 : Vous arrive-t-il souvent, de temps en temps, rarement ou jamais pour des raisons financières de renoncer ou de différer… ?

De la même façon, si 79% des défavorisés et 57% des modestes déclarent effectuer une part importante de leurs achats alimentaires en hard discount, cette proportion devient minoritaire dès l’entrée dans la classe moyenne, sans pour autant être négligeable (44% de la classe moyenne inférieure et 32% de la classe moyenne intermédiaire déclarant acheter une part importante de leurs produits alimentaires et d’entretien dans ce type de magasin). Tout en étant moins regardant sur le prix de leur caddy que les milieux les plus modestes, les classes moyennes fréquentent donc d’autres enseignes, même si la pression sur le pouvoir d’achat est bien présente et impose de rogner quelque peu sur certains postes de dépense. La question des vacances est également assez éclairante de la position médiane qu’occupent les classes moyennes en termes de mode de vie. Dans une société de loisirs comme la nôtre, le fait de partir ou non en vacances est très connoté socialement, nos catégories sociales présentant une très forte polarisation sur cette question. Comme on peut le voir ci-dessous, les deux tiers de la classe supérieure et les trois quarts des favorisés ou aisés partent tous les ans, quand, inversement, deux tiers des défavorisés et la moitié des modestes ne partent jamais ou moins d’une fois tous les deux ans.

Graphique 6 : Ces dernières années, êtes-vous parti en vacances d’été?

Entre ces deux extrêmes, les classes moyennes parviennent, majoritairement (54%) pour la classe moyenne inférieure et très majoritairement (68%) pour la classe moyenne intermédiaire, à partir tous les ans ou quasiment tous les ans. Renoncer à partir chaque année en vacances, ce qui encore une fois dans nos sociétés ne constitue pas un acte anodin, n’est donc pas la norme majoritaire dans les classes moyennes. Mais si ces dernières parviennent à partir, la fréquence est moins élevée que dans les catégories supérieures, et une partie ne parvient pas à s’offrir cet élément de standing. Enfin, dernier élément discriminant, celui de la capacité d’épargne. Une courte majorité de Français (54%) déclare épargner à la fin du mois une fois payées toutes leurs dépenses contraintes. Et, de nouveau, les réponses varient très fortement selon les catégories. En cohérence avec ce que nous avons observé précédemment, la capacité d’épargne est inexistante (7%) parmi les défavorisés et très minoritaire parmi les modestes (31%). En revanche, l’entrée dans la classe moyenne inférieure s’accompagne d’un comportement d’épargne majoritaire (53%). Mais à cette césure entre le bas de la classe moyenne et les modestes répond un écart de même ampleur entre cette classe moyenne inférieure et la classe moyenne intermédiaire, dont pas moins de 73 % (soit un écart de 20 points) disent épargner, ce taux étant très proche de celui observé dans la classe supérieure (81 %) et parmi les aisés et les favorisés (77%). Ainsi, si une capacité majoritaire à épargner est également un critère de distinction avec les catégories inférieures, un vrai clivage se dessine sur ce thème au sein même des classes moyennes.

Graphique 7 : Une fois que vous avez payé toutes vos dépenses contraintes (logement, alimentation, etc.) avez-vous la possibilité d’épargner de l’argent à la fin du mois ?

III Partie

Valeurs et représentations des classes moyennes

1

Les limites de l’ascenseur social

Notes

5.

Cf. Régis Bigot « Hauts revenus, bas revenus et “classes moyennes”. Une approche des conditions de vie en France depuis 25 ans », dans CRÉDOC, Cahier de recherche n°238, novembre 2007.

+ -

6.

« Le leadership social des classes moyennes se fissure », entretien de Thierry Pech avec Olivier Schmitt et Thomas Wieder, Le Monde, 20-21 février 2011.

+ -

7.

Gérard Mermet « La vie sociale », dans Francoscopie, Larousse, 2010.

+ -

Comme le démontrent, entre autres études, les enquêtes « Conditions de vie et aspirations des Français » menées par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC)5, la société française est marquée depuis vingt-cinq ans par une relative uniformisation des modes de vie, notamment en termes de biens d’équipement, alors que dans le même temps seuls les plus hauts revenus déclarent percevoir une amélioration de leur niveau de vie. Cette contradiction, celle d’une progression de la peur du déclassement paradoxalement concomitante à une amélioration objective des conditions de vie, est en réalité alimentée par deux autres phénomènes : celui de l’accroissement des inégalités et celui de la montée de l’incertitude. On assiste en effet, y compris dans un contexte de crise économique récurrente et quasiment structurelle, à une progression du nombre de très hauts revenus, liés tant au travail qu’au patrimoine. Cela contribue à produire une vision assez largement partagée dans laquelle l’essentiel de la richesse serait capté par une frange minime de la population, bénéficiant en outre d’effets cumulatifs : seuls les déjà riches peuvent devenir encore plus riches. Cette lecture postule implicitement l’échec du modèle républicain de méritocratie, comme si les efforts individuels ne permettaient pas de lutter contre une structure sociale de plus en plus inégalitaire et au sein de laquelle les classes moyennes se sentiraient prises en étau entre, d’une part, les plus nantis qui continuent de creuser l’écart et, d’autre part, les catégories les plus défavorisées, susceptibles de combler leur retard. Thierry Pech, auteur de nombreux travaux sur les classes moyennes au sein de la revue L’Économie politique, décrit cette progression du taux d’équipement en produits qui, jusqu’ici, étaient jugés d’abord détenus par les classes moyennes6 : auparavant, ce sont elles qui étaient censées « donner l’exemple » aux catégories plus populaires, fixer la norme vers laquelle tendre, un modèle qui s’est estompé au fil du temps. Cette absence de modèle engendre mécaniquement la peur du déclassement, celle-ci étant également fortement alimentée par les incertitudes liées au marché de l’emploi et à la précarisation du salariat (développement du temps partiel, des contrats à durée déterminée et des horaires modulables). Suivant les propos du sociologue Gérard Mermet7, si l’aspiration à l’ascension sociale peut paraître naturelle, elle s’accompagne dans le même temps d’une frustration dans le cas, fréquent, où cette ascension ne se produit pas. Or la frustration occasionnée par le décalage entre une position rêvée mais impossible à atteindre et la position réelle – en somme, l’incapacité à se satisfaire de sa situation – serait relativement récente. Il s’agit d’ailleurs d’un marqueur sensible de l’entrée dans les classes moyennes. Autrement dit, l’insatisfaction ressentie quant à sa position dans la société actuelle est exprimée dans des proportions minoritaires dès lors que, sur l’échelle sociale, on entre dans les classes moyennes. Ainsi, alors que les catégories défavorisées ou modestes se sentent très majoritairement lésées (respectivement 86% et 70% déclarent ne pas être satisfaites de la place qu’elles occupent dans la société), ce sentiment n’est plus partagé que par 37% de la classe moyenne inférieure et 22% pour l’intermédiaire, tandis qu’assez logiquement les favorisés ou aisés ne sont pas du tout concernés par ce malaise (6% à 7%). Ainsi, de la même façon que les classes moyennes se distinguent des catégories inférieures par le fait qu’une majorité de ses membres déclare s’en sortir « correctement » avec leurs revenus, elles s’en différencient également en étant majoritairement satisfaites de leur place dans la société. Néanmoins, l’observation du niveau de satisfaction quant à sa situation actuelle doit être rapprochée de la trajectoire sociale de l’individu. Celle-ci a pu être appréhendée dans le cadre de l’étude pour la Fondapol en croisant deux variables : l’autopositionnement de l’interviewé sur l’échelle sociale et la classe socio-économique dans laquelle il situe ses parents. Cette reconstruction statistique confirme, dans un premier temps, que l’effectivité du mécanisme d’ascension sociale continue d’être admise par une fraction significative de la population, mais que la proportion de « bénéficiaires » revendiqués est très inégalement répartie. Ainsi, alors que le sentiment de progression est très faiblement exprimé par les catégories modestes (7%) et, a fortiori, jamais par les défavorisés, trois à quatre personnes sur dix « se vivent en ascension sociale » parmi les classes moyennes inférieures (29%) et intermédiaires (37%). Ce sentiment ne devient majoritaire qu’au sein des catégories supérieures (50% à 58%). À l’opposé, la sensation de régression sociale par rapport à ses parents s’observe de façon parfaitement inverse. Il s’agit là d’un enseignement clé au vu de l’ensemble des travaux dédiés aux classes moyennes : l’aspiration à la promotion sociale apparaît en effet comme un critère déterminant de l’appartenance aux classes moyennes. Bien que très minoritaire parmi celles-ci, le sentiment de régression concerne aujourd’hui 12% des membres de la classe moyenne intermédiaire et 17% de ceux de la classe moyenne inférieure, sentiment que partagent plus d’un tiers des catégories modestes (36%) et la majorité des défavorisés (53%).

 

Graphique 8 : Trajectoire par rapport à leurs parents Et situeriez vous vos propres parents plutôt parmi…?

Pour résumer, si le sentiment d’avoir bénéficié de l’ascenseur social est seulement majoritaire au sein de la classe supérieure ainsi que des favorisés ou aisés, il devient minoritaire dès que l’on descend dans les classes moyennes. Il est néanmoins suffisamment répandu pour que ces dernières se distinguent à leur tour des catégories modestes et défavorisées, chez qui la perception du déclassement l’emporte largement. Et si le ressenti d’une régression sociale par rapport à ses parents concerne une fraction des classes moyennes, il y est toujours moins présent que le sentiment d’ascension.

2

La peur du déclassement et ses ressorts

Notes

8.

Éric Maurin, La Peur du déclassement, Seuil, coll. « La République des idées », 2009, p. 5-6.

+ -

9.

Ibid. 

+ -

On vient de voir que l’expérience d’une régression sociale par rapport à la situation de ses parents est aujourd’hui largement minoritaire dans les classes moyennes. En revanche, la crainte du déclassement en constitue un marqueur important. Car si l’ascenseur social est essentiellement symbolisé par son mouvement ascendant, le sens inverse apparaît, en creux, tout aussi possible. La conscience de la fragilité de sa position au sein de l’échelle sociale conduit à une angoisse de l’avenir qui se traduit à plusieurs niveaux et qui n’est pas toujours directement étayée par des éléments objectifs. À ce propos, dans La Peur du déclassement, Éric Maurin écrit fort justement : « Le déclassement et la peur du déclassement : les deux phénomènes ne sont ni de même nature, ni de même ampleur, et il est essentiel de ne pas les confondre si l’on veut comprendre la société française. Un exemple suffira à montrer tout ce qui les distingue. En 2007, l’Insee recensait 14.600 sans-abri ; si l’on retient le chiffre de 100.000 personnes, avancé par les associations d’aide aux SDF, on peut calculer que 0,16% de la population vit dans la rue. Or, d’après un sondage réalisé en 2006, 48% des Français pensent qu’ils pourraient un jour devenir SDF 8. » Plus haut, l’auteur précisait : « Cette angoisse sourde [la peur du déclassement], qui taraude un nombre croissant de Français, repose sur la conviction que personne n’est “à l’abri”, qu’une épée de Damoclès pèse sur les salariés et leurs familles […]. La peur du déclassement ne règne pas tant aux marges de la société qu’en son cœur. Elle assiège les ouvriers, les employés, les travailleurs précaires, mais, plus encore, les classes moyennes et supérieures, celles qui bénéficient des meilleurs statuts et des protections les plus efficaces et qui ont donc beaucoup à perdre9. » Au travers de l’étude pour la Fondapol, l’observation de la projection dans le temps des conditions de vie fait tout d’abord ressortir – sans nier la part de fantasme de ces perceptions – un pessimisme général quant à l’avenir et une nostalgie du passé, soit le phénomène classique qui peut familièrement se résumer par la formule « c’était mieux avant ». Mais par-delà ce constat général, les enseignements de l’étude révèlent qu’il s’agit là d’un marqueur de rupture au sein même des classes moyennes. Ainsi, comme le montre le graphe ci-dessous, alors que la situation de la génération précédente apparaît comme ayant été plus confortable aux yeux de la majorité de la classe moyenne inférieure (53% estiment que leurs parents vivaient mieux qu’eux au même âge) et, a fortiori, s’agissant des catégories modestes ou défavorisées (respectivement 69% et 83%), ce score devient minoritaire auprès de la classe moyenne intermédiaire (37%) et continue de diminuer pour les catégories plus aisées.

 

Graphique 9 : Diriez-vous que vos parents vivaient à votre âge… ?

Notes

10.

Jean-Marc Vittori, L’Effet sablier, Grasset, 2009.

+ -

En revanche, et c’est là un point très important, en termes de projection et d’anticipation de l’évolution des modes de vie, le schéma n’est plus linéaire socialement et fait apparaître une classe moyenne intermédiaire comme la plus anxieuse de toute l’échelle sociale. Ainsi, lorsqu’il s’agit de se projeter soi-même dans dix ans, les trois quarts de la classe moyenne intermédiaire imaginent qu’ils vivront moins bien qu’aujourd’hui, alors que ce score n’est « que » d’environ 60% pour le reste de la population. Il en va de même au moment d’appréhender la situation future de ses descendants : alors que les résultats témoignent d’une inquiétude ressentie par la majorité de la classe moyenne intermédiaire (54%), les scores relevés auprès des autres catégories de population oscillent entre 37% et 46% (cf. graphiques ci-dessous). Ces résultats sont donc le signe d’un manque de sérénité de la classe moyenne intermédiaire vis-à-vis de l’avenir. Ils marquent ainsi les limites de la croyance dans l’ascenseur social et rejoignent les conclusions de nombre de travaux sur le sujet : les jeunes ne sont plus perçus comme étant assurés de connaître une meilleure situation que celle de leurs parents. Cette inquiétude est assez répandue parmi l’ensemble de la population, mais elle est particulièrement criante au sein des classes moyennes, à tel point qu’elle constitue un des marqueurs les plus fragrants. Cette angoisse du déclassement nourrit d’ailleurs un paradoxe : si une large majorité de Français se range aujourd’hui dans la classe moyenne et vient ainsi en grossir les rangs, dans le même temps, jamais autant de personnes n’ont pronostiqué sa disparition prochaine sous un « effet sablier10 ». Cette dernière idée transparaît systématiquement dans les propos qui peuvent être collectés dans le cadre des études qualitatives et peut se résumer ainsi : « des riches de plus en plus riches, et des pauvres de plus en plus de pauvres », le bas du sablier social aspirant dans un mouvement inexorable la majeure partie des classes moyennes.

Graphique 10 : Comment pensez-vous que vous vivrez dans une dizaine d’années ?

Graphique 11 : Et comment pensez-vous que vos enfants ou vos neveux et nièces vivront dans la société de demain ?

Notes

11.

Régis Bigot, op. cit.

+ -

12.

Notons que seuls ont été interrogés sur cette question les individus non concernés par le chômage, ni pour eux-mêmes ni pour leur foyer.

+ -

13.

Centre d’analyse stratégique, « Classes moyennes » et redistribution : le cas français dans une perspective internationale, note de veille no 74, 24 septembre 2007.

+ -

Cette peur du déclassement est notamment alimentée par la crainte du chômage. Ce sentiment ressort de façon très marquée dans l’enquête conduite par le CRÉDOC11, citée précédemment. Certes, la définition employée ne permet pas de comparer directement les résultats de ces recherches à ceux de l’enquête menée pour la Fondapol, car la population étudiée a été scindée en trois catégories au regard du seul critère du revenu, mais une fois émise cette réserve, des enseignements intéressants peuvent néanmoins en être tirés. En effet, la classification pratique en trois catégories permet de faire ressortir une angoisse du chômage particulièrement prononcée au sein des classes moyennes par rapport aux populations dénommées « bas » et « hauts revenus12 ». Ainsi, depuis 1989, les classes moyennes se sont toujours montrées plus inquiètes, à l’exception de la période 1995-1998, durant laquelle les « hauts revenus » se sont sentis plus fragilisés. Les classes moyennes apparaissent donc comme les plus inquiètes à l’égard du chômage, davantage que les « bas revenus », signe, là encore, que la position de classe moyenne au sein de l’échelle sociale n’est pas vécue de façon sereine, ce statut n’étant jamais considéré comme acquis. Et, sur ce point, la plupart des études convergent, quelle que soit la définition de classe moyenne considérée : ces classes se sentent aujourd’hui plus proches des catégories inférieures que de celles du dessus. Certaines analyses pointent par ailleurs le système de redistribution à la française comme moteur du déclassement. Réputé pour son système de protection sociale, le cas français se distingue des autres pays dits développés par une mécanique de prélèvements et de redistribution défavorable aux catégories intermédiaires. C’est en tout cas ce qui ressort de l’analyse réalisée par le Centre d’analyse stratégique13 au sujet des systèmes de redistribution en France, en Grande-Bretagne, en Suède, en Allemagne et en Italie. Schématiquement, le système français se caractérise par une courbe en forme de U, dans laquelle les classes moyennes se situent à la base du U : elles bénéficient le moins des mécanismes de redistribution, qui se concentrent sur les catégories les plus défavorisées, tout en subissant une pression fiscale importante de par leur exclusion du système d’abattement fiscal, quant à lui plus favorable aux foyers les plus aisés. Certains des résultats présentés ci-après pourront d’ailleurs être analysés à l’aune de cet état de fait et de la forte insatisfaction concernant le niveau de pression fiscale s’exerçant sur les classes moyennes.

 

3

Un système de valeurs peu unifiant, et qui se construit surtout dans un rapport à l’altérité

Si les travaux sur les classes moyennes sont désormais nombreux, beaucoup se sont concentrés sur les tâches, déjà fort ambitieuses, de définition et de description de cette catégorie de population. En dehors de la volonté d’apporter son concours à cet exercice, la Fondapol a également cherché à identifier d’éventuelles valeurs structurantes et caractéristiques des classes moyennes. Or les résultats de l’étude ne permettent pas de conclure à l’existence d’un système de valeurs véritablement propre aux classes moyennes. La quasi-totalité des concepts testés font en effet apparaître une progression linéaire en termes d’attitude positive à mesure que l’on grimpe dans l’échelle sociale. Ainsi, les classes moyennes se situent souvent dans une situation médiane et proche du score observé pour l’ensemble de la population, les membres des classes moyennes devenant ici des « Français moyens » ou « dans la moyenne ».Deux orientations méritent pourtant d’être mises en relief. Tout d’abord, faisant écho à la courbe en forme de U caractérisant le système de protection sociale français, les catégories modestes et la classe moyenne inférieure devancent les classes supérieures et favorisées lorsqu’il s’agit de dénoncer l’assistanat et les abus dont fait l’objet ce système (respectivement 80% et 84% contre 73% à 76% à partir des catégories supérieures). Plus encore, la classe moyenne inférieure se montre particulièrement virulente vis-à-vis des chômeurs, estimant que trouver un emploi relève de la volonté (59% contre 50% à 55% pour les autres catégories, à l’exception des défavorisés). Par ailleurs, l’attitude à l’égard de l’immigration peut potentiellement rejoindre ces opinions dans la mesure où l’on observe un véritable décrochage au sein même des classes moyennes : la classe moyenne inférieure (et en deçà) apparaît moins indulgente quant à la présence d’immigrés en France (69%), crispation qui se fait nettement moins forte une fois entré dans la classe moyenne intermédiaire (59%). Enfin, s’agissant de l’arbitrage qui consiste soit à diminuer le montant des charges sociales soit à augmenter les taxes et les impôts, les avis demeurent partagés d’un bout à l’autre de l’échelle sociale. Cependant, l’intérêt individuel conditionne tout de même les jugements dans la mesure où la diminution des prestations sociales est privilégiée par les classes moyennes au sens large (52% à 58%), tandis que l’option inverse obtient davantage de faveurs auprès des catégories défavorisées ou aisées (53% à 57%). Second enseignement important : le rapport à la mondialisation. Étudiée parmi une vingtaine de concepts, la mondialisation s’impose comme celui faisant l’objet des jugements les plus négatifs. Pour autant, la position au sein de l’échelle sociale influence considérablement les jugements sur ce sujet. Ainsi la perception positive de ce concept n’est jamais exprimée par plus d’un quart des personnes interrogées tant que l’on n’est pas sorti des classes moyennes. Ce score atteint ensuite 38% parmi les catégories supérieures et même 63% pour les plus aisés. La mondialisation présente donc peu d’avantages aux yeux des classes moyennes. Mais d’autres résultats montrent que le terme de « mondialisation » ne porte pas qu’une valeur négative dans la mesure où certains de ses aspects ne sont pas forcément aussi mal appréhendés. Ainsi, invitées à se positionner sur le degré d’ouverture ou de protection de la France vis-à-vis du monde extérieur, les classes moyennes se montrent divisées, faisant apparaître une attitude de repli nettement plus prononcée pour la classe moyenne inférieure (43% contre 23% pour l’intermédiaire). Autre constat allant en ce sens : alors que seule une minorité des catégories allant des défavorisés (38%) à la classe moyenne inférieure (49%) est favorable au développement des échanges commerciaux internationaux, cette position est majoritaire à partir de la classe moyenne intermédiaire (60%). Les thèmes de la mondialisation et de l’assistanat constituent ainsi de nouvelles occasions de fracture au sein des classes moyennes, confirmant la proximité avec les catégories du bas pour certaines et avec celles du haut pour les autres. Les premières laissent à voir une véritable anxiété vis-à-vis de l’altérité, tandis que les secondes, sans pouvoir les qualifier de sereines, semblent décrispées. En dehors de ces deux sujets majeurs, qui structureront bon nombre de débats dans les prochaines années et sur lesquels on peut déceler des clivages au sein des classes moyennes, les systèmes de valeurs se caractérisent plutôt par des décrochages situés aux extrémités de l’échelle sociale, d’où la difficulté à identifier un univers de représentations précis susceptible de constituer le support d’un discours politique dédié aux classes moyennes.

Au terme de cette analyse, il semble donc difficile d’arrêter une définition stricte et définitive des classes moyennes. Néanmoins, on peut en dégager certains contours. Une attitude que l’on pourrait qualifier de « relativiste » s’impose comme un trait majeur de ces insaisissables classes moyennes. Tout se passe comme si, malgré des inquiétudes très nettes quant à leur avenir, ou celui des générations à venir, les classes moyennes se situaient par rapport – c’est-à-dire en réaction – au reste de la population. La majorité des membres de la classe moyenne estime s’en sortir correctement, autrement dit mieux que certains, mais moins bien que d’autres. Ils se montrent donc majoritairement satisfaits de la position qu’ils occupent dans la société. Ainsi l’entrée dans la classe moyenne se traduit par une nette diminution du sentiment d’insatisfaction à l’égard de sa situation, caractéristique des plus modestes qui se voient fréquemment contraints, à la différence des classes moyennes, de renoncer à des actes médicaux ou de fréquenter les commerces hard discount. De la même manière, le sentiment d’ascension sociale supplante celui du déclassement dès lors que l’on se dit membre des classes moyennes. Toutefois, une lecture homogène serait réductrice de ce tableau social qui laisse affleurer un certain nombre de fractures qui traversent les classes moyennes. Ainsi, la classe moyenne intermédiaire, que l’on pourrait sous certains aspects considérer comme la classe moyenne véritable, et la classe moyenne inférieure présentent fréquemment des visages différents. La première, bien que plus à l’aise financièrement que la seconde (davantage propriétaire, partant plus fréquemment en vacances et disposant d’une large capacité d’épargne), constitue le groupe au sein duquel la peur du déclassement – et non pas l’expérience effective du déclassement – est la plus aiguë. Exprimant une exaspération intense à l’égard de la pression fiscale dont ils font l’objet (en tant que premiers contributeurs au financement des mécanismes de redistribution sociale dont ils bénéficient pourtant peu), les membres de cette classe moyenne intermédiaire y voient sans nul doute une certaine injustice, sans pour autant que cette forte pression fiscale ne se traduise par une dénonciation excessive de l’assistanat. En effet, cette attitude apparaît plutôt comme l’apanage des membres de la classe moyenne inférieure, pourtant objectivement moindres contributeurs et exprimant une exaspération plus réduite à l’égard de leur niveau d’imposition. De fait, cette classe moyenne inférieure se distingue par des opinions et des réflexes défensifs qui, s’ils existent dans tout le corps social, restent particulièrement répandus au sein de cette catégorie. Au-delà d’une virulence vive à l’égard de l’assistanat et des chômeurs, ses membres semblent entretenir un rapport plus conflictuel à l’altérité, ce qui se matérialise par un rejet plus grand de l’immigration, de l’Union européenne et, plus largement, de la mondialisation. Ainsi, si la classe moyenne inférieure se sent menacée, c’est bien plutôt une menace extérieure qui cristallise son attention. Au contraire, la peur du déclassement de la classe moyenne intermédiaire laisse supposer que si menace il y a, celle-ci relève davantage d’un possible changement d’équilibre au sein même de la structure sociale. Concrètement, ce changement consisterait à voir la classe moyenne intermédiaire rattrapée par les catégories inférieures et/ou définitivement interdite d’accéder aux catégories supérieures. En termes de message politique, on voit bien la difficulté pour un parti ou un candidat de se proclamer le représentant des classes moyennes. Dans la perspective de l’élection présidentielle de 2012, la nécessité de répondre aux attentes des classes moyennes constitue pourtant un défi politique majeur, d’autant plus complexe que les classes moyennes ne parviennent pas à se laisser saisir comme un ensemble uniforme. À ce titre, la réforme fiscale annoncée pourra être l’occasion de satisfaire la classe moyenne intermédiaire, que l’on présume cependant d’ores et déjà assez hostile, à l’image de l’ensemble des Français, à la suppression de l’ISF. La question identitaire, quant à elle, se doit d’être abordée avec une vigilance toute particulière, car si la réalité des attentes qu’elle suscite, notamment dans la classe moyenne inférieure, ne peut être et ne doit être niée, elle tend trop souvent à verser dans un registre de repli et de division qui fait non seulement le jeu de l’extrême droite mais contribue aussi à encore diviser un corps social intermédiaire déjà sur la défensive.

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