Que pèsent les syndicats?
Que pèsent exactement les syndicats dans le monde du travail et comment se fonde leur légitimité ?Introduction
La construction de la mesure de représentativité syndicale
L’analyse de la participation électorale
Une mesure d’audience fondée sur un quart des salariés pour des scrutins souvent sans choix
Quelle sociologie de l’abstention ?
L’évolution des audiences syndicales
L’émiettement du paysage syndical se confirme
Des dynamiques contrastées des implantations syndicales
Deux propositions et une recommandation
Proposition 1 : favoriser l’adhésion syndicale et la participation aux élections professionnelles.
Proposition 2 : l’ère du partage des données commande de publier les résultats complets de toutes les élections professionnelles.
Une recommandation : seule une profonde révolution culturelle sauvera le syndicalisme.
Résumé
Les syndicats sont les acteurs incontournables d’une démocratie sociale marquée par de nombreuses réformes depuis les années 2000. Ces réformes cherchent à promouvoir une nouvelle régulation entre les employeurs et les représentants des salariés, au plus près des problématiques des entreprises, voire une nouvelle fabrique des réformes liées au travail et aux relations professionnelles. Elles sont le produit de négociations sociales entre les partenaires sociaux et de concertations avec les gouvernements successifs. Elles ont également soulevé des contestations.
Mais que pèsent exactement les syndicats dans le monde du travail et comment se fonde leur légitimité ? Depuis 2008, la CFDT, la CGT, le Medef et la CPME se sont entendus avec les pouvoirs publics pour que la représentativité syndicale repose sur les résultats des élections professionnelles.
Ces résultats, propres à chaque entreprise, font l’objet d’un recensement continu et d’une publication officielle tous les quatre ans, la dernière datant de 2017. Mais cette mesure de la représentativité syndicale n’a guère suscité d’analyses de la part des médias ou de la recherche, alors que ses résultats fondent désormais le pouvoir syndical.
Cette note s’intéresse donc aux résultats des élections professionnelles et, d’abord, à leur construction, assemblage de consultations disparates. Elle propose ensuite une analyse fouillée de la participation électorale, qui demeure globalement faible, puis des audiences syndicales, qui ont vu la CGT perdre son leadership historique au profit de la CFDT. Cette nouvelle donne syndicale ouvre-t-elle une nouvelle période pour la démocratie sociale « à la française » ?
Dominique Andolfatto,
Professeur de science politique, Université de Bourgogne-Franche-Comté/Credespo.
Professeur de science politique, Université de Bourgogne-Franche-Comté/Credespo.
Introduction
Cet article est issu de la loi Larcher du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue Ce texte oblige le gouvernement à solliciter les partenaires sociaux pour l’ouverture, s’ils le souhaitent, d’une négociation concernant tout projet de loi dans les domaines du travail, de l’emploi ou de la formation professionnelle.
Les très petites entreprises (TPE) sont des entreprises comptant de 1 à 10 salariés. Ces « élections TPE » concernent ces entreprises, qui échappent aux élections des délégués du personnel (à compter de 11 salariés) ou des comités d’entreprise ou délégation unique du personnel (à compter de 50 salariés).
CGT : Confédération générale du travail ; CFDT : Confédération française démocratique du travail ; FO : Force ouvrière ; CFTC : Confédération française des travailleurs chrétiens ; CGG : confédération générale des cadres, cette dernière se dénommant officiellement CFE – Confédération française de l’encadrement – depuis les années 1980, mais ce nouveau sigle est régulièrement supplanté par ou juxtaposé à l’ancien). Deux autres organisations syndicales sont mentionnées dans cette note : UNSA (Union nationale des syndicats autonomes) et USS (Union syndicales Solidaires qui fédèrent les syndicats SUD : Solidaires, unitaires, démocratiques).
Voir, par exemple, Confédération des petites et moyennes entreprise (CPME), « Position commune du 9 avril 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme : un texte qui aménage les règles de la représentativité syndicale et celles relatives à la conclusion des accords collectifs et maintient le pluralisme syndical », 14 avril 2008 .
Medef : Mouvement des entreprises de France (ex-CNPF : Conseil national du patronat français).
CGPME : Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CPME, soit Confédération des petites et moyennes entreprises, depuis 2017).
Voir Dominique Andolfatto et Dominique Labbé , Toujours moins ! Déclin du syndicalisme à la française, Gallimard, 2009, p. 170-193.
Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, direction générale du travail, « Communiqué de Résultats de la mesure de l’audience pour la représentativité syndicale », 31 mars 2017.
Il s’agissait alors de la première mesure d’audience, consécutive à la réforme de
En mars 2017, le ministère du Travail a publié les résultats de la deuxième « mesure d’audience pour la représentativité syndicale », couvrant la période 2013-2016. Depuis la loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail du 20 août 2008, cette mesure détermine quels sont les syndicats représentatifs, autrement dit les interlocuteurs obligés des employeurs au niveau des entreprises, des branches d’activité et au niveau national interprofessionnel. C’est également en fonction de ces derniers résultats que les gouvernements fixent la liste des organisations invitées à participer aux concertations sur les réformes sociales inscrites à leur agenda, voire à ouvrir une négociation sur le sujet (en vertu de l’article 1 du code du travail)1.
Pour obtenir ce label représentatif, les organisations syndicales doivent obtenir au moins 10% des suffrages exprimés lors des élections professionnelles dans les entreprises ou 8% aux autres niveaux (branche d’activité et niveau national interprofessionnel). Pour ces autres niveaux, les résultats des élections dans les entreprises sont agrégés à ceux des scrutins organisés pour les salariés des très petites entreprises (« élections TPE »)2 et pour les salariés de la production agricole lors des élections aux chambres d’agriculture. Ce système s’est substitué à la présomption irréfragable de représentativité, inscrite dans le code du travail, dont bénéficiaient cinq organisations syndicales (CGT3, CFDT, FO, CFTC et CGC) antérieurement à la loi de 2008.
Les seuils de la loi nouvelle ont été négociés entre les partenaires sociaux en amont de l’adoption de cette réforme. Ils ont été fixés relativement bas afin d’assurer que les cinq confédérations demeurent dans le jeu social au plan national. Malgré tout, cette négociation n’avait abouti qu’à un accord minoritaire (on a pu parler dans ce cas d’une « position commune4 »). FO, la CFTC et la CGC, côté syndical, l’Union professionnelle artisanale (UPA), côté patronal, s’étaient opposées à ces nouvelles règles, que la CGT, la CFDT, le Medef5 et la CGPME6, en revanche, avaient avalisées. Cela dit, la loi nouvelle avait bien été élaborée sur la base de la « position commune », de sorte que la réforme de la représentativité syndicale était apparue comme la conséquence de ce qui ressemblait à un partenariat stratégique – sur cette question juridique – entre la CGT, la CFDT et le Medef. Les trois organisations s’étaient entendues pour refonder les relations industrielles, précisément la représentativité syndicale et les règles de négociation collective, et, ce faisant, pour couper court à l’émergence de nouvelles organisations ou à de nouvelles formes d’expression directe des salariés7. La CGPME avait également adhéré à la démarche qui faisait de l’entreprise le creuset naturel de cette refonte, avec les conséquences qui devaient s’ensuivre concernant la fabrique du droit du travail, privilégiant désormais ce creuset et donc la décentralisation.
Pour revenir à la dernière mesure d’audience, le ministère du Travail s’est félicité que « plus de 5,6 millions de salariés se sont exprimés, soit 195 518 salariés de plus que lors de la précédente mesure de l’audience syndicale8 », qui couvrait la période 2009-20129. Suivait un tableau des résultats (voir tableau 1).
Reprise du titre officiel du tableau selon le ministère du Travail, mais en réalité la mesure correspond à la période 2013-2016, même si le « calcul » a été réalisé en 2017.
Selon les dernières données disponibles, les « non-syndiqués » représentaient 22,6% des voix aux élections des comités d’entreprise en 2005-2006 (voir Olivier Jacod, « Les élections aux comités d’entreprise en 2005- 2006 », Premières informations, n° 3, octobre 2008, tableau 1, p. 2). Ils ont culminé à plus de 28% au début des années 1990 (voir Régis Matuszewicz et Daniel Boulmier, « L’audience électorale du syndicalisme à l’heure de la réforme de la représentativité », in Dominique Andolfatto (dir.), Les Syndicats en France, La Documentation française, 3e éd., 2013, p. 117-147).
Ces élections et ces résultats soulèvent plusieurs questions. La « représentativité » affichée des organisations syndicales est globalement problématique. La participation électorale se révèle faible, même si sa dégradation – ou sa faiblesse structurelle – varie selon le type de scrutin. Cette statistique nouvelle conduit également à rendre invisibles les « non-syndiqués » qui, jusqu’à leur disparition de la statistique publique, représentaient plus de 20% des salariés, en particulier dans les petits établissements10. Plus globalement, il est intéressant de préciser comment est construite cette mesure, de souligner les questions qu’elle pose, avant d’analyser l’évolution des audiences syndicales qu’elle donne à voir.
Tableau 1 : Résultats du calcul de l’audience syndicale 2017 *
Source : ministère du Travail (travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/communique-de-presse-nouvelle- mesure-de-l_audience-syndicale.pdf).
La construction de la mesure de représentativité syndicale
Toutes les informations et citations de ce paragraphe sont extraites du site du ministère du Travail.
Voir le site : elections-professionnelles.travail.gouv.fr
Voir Olivier Jacod, cit.
Ces institutions remontent à 1993 mais ont fait l’objet d’une modification et d’une relance par la loi Rebsamen du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi. Ce texte a prévu la mise en place (éventuelle) par l’employeur de la DUP (délégation unique du personnel), fusionnant les DP (délégués du personnel) et les CE (comités d’entreprise), dans les entreprises de moins de 300 salariés. Dans la réalité, fort peu de DUP ont été créés : une vingtaine sur 7.000 établissements potentiellement concernés. Les ordonnances Macron relatives au renforcement du dialogue social du 22 septembre 2017 rendront à terme caduque cette institution, tout comme les DP et les CE qui doivent être fusionnés dans un nouveau Conseil social et économique avant le 31 décembre
Le ministère du Travail ne détaille pas la « construction » de la mesure de l’audience syndicale11. Il ne publie que des données agrégées au plan national – et, au contraire de 2013, il n’a pas publié de résultats par branche d’activité. S’il dit opérer dans « un très grand souci de transparence », on ne connaît pas en réalité le détail des données agrégées. Certes, le ministère indique que la mesure de l’audience syndicale est le fruit d’un « processus de grande ampleur de compilation des résultats des élections professionnelles, puisque chacun des procès-verbaux [par entreprise] retenus dans le cadre de la mesure de l’audience a fait l’objet de près de 90 contrôles afin de vérifier sa conformité à une grille d’analyse élaborée en concertation avec les partenaires sociaux et de garantir la fiabilité et la robustesse de la mesure ». Mais, là encore, on ignore tout des contrôles qui sont effectués. Tout paraît finalement se passer dans une sorte d’entre-soi entre, d’une part, statisticiens et hauts fonctionnaires du ministère du Travail, et, d’autre part, partenaires sociaux participant au Haut Conseil du dialogue social (soit les organisations représentatives – syndicales ou d’employeurs – au niveau national interprofessionnel).
Cela étant dit, le détail des données agrégées peut être théoriquement retrouvé sur un site Internet du ministère du Travail qui, selon la présentation qui en est faite, est « dédié aux Élections professionnelles des entreprises d’au moins 11 salariés et à la représentativité syndicale12 ». Les procès-verbaux des élections professionnelles organisées dans toute entreprise doivent être déposés sur ce site, où ils peuvent être ensuite consultés par tout internaute, même si cela n’est pas toujours aisé, faute de disposer en même temps des numéros Siren ou Siret des entreprises ou établissements recherchés, numéros attribués par l’Insee lors de leur création. À tout le moins, cela reste une masse de données difficilement exploitables en tant que telles (plus de 550.000 procès-verbaux théoriquement consultables fin novembre 2017).
Outre ces procès-verbaux des élections professionnelles par entreprise, on dispose par ailleurs des résultats des « élections TPE » ainsi que de ceux du collège de la production agricole des chambres d’agriculture. On peut donc recomposer partiellement la construction de la mesure de l’audience syndicale et déduire des résultats des deux scrutins précédents ceux des élections aux comités d’entreprise qui, depuis 2008, ne sont plus publiés, interrompant une longue série de résultats détaillés depuis 1966 (voir tableau 2). Les résultats des dernières élections aux comités d’entreprise publiés officiellement concernent les années 2005-200613. En 1994, sur la base des archives du ministère du Travail, une étude de Dominique Labbé avait pu remonter jusqu’en 1945- 1946, soit aux origines de l’institution des comités d’entreprise. Mais la série des données disponibles s’interrompt donc au début des années 2000.
Le tableau 2 précise la construction de la mesure d’audience qui additionne les résultats de trois scrutins de différentes natures. Mais ceux des élections des comités d’entreprise et, éventuellement des délégations uniques du personnel (DUP)14 et des délégués du personnel (DP), mélangés avec les précédents, ne sont donc plus publiés en tant que tels, bien qu’ils concernent un plus grand nombre d’électeurs et soient plus significatifs puisqu’il s’agit d’élections effectivement intervenues dans les entreprises où des syndicats sont implantés et présentent des listes de candidats.
NB : La mesure de l’audience (A) agrège les résultats de trois scrutins : celui des très petites entreprises (TPE) (B), celui des chambres d’agriculture (et, précisément, du collège des salariés de la production agricole) (C) et celui des CE, DP et DUP (D). Mais ces dernières élections ne sont plus publiées. On peut toutefois déduire leurs résultats – présentés ici – à partir de la mesure d’audience (A) de laquelle sont ôtés les résultats des « élections TPE » et des élections des chambres d’agriculture (B et C).
Tableau 2 : La construction de la mesure de l’audience syndicale de 2013-2016
Source : ministère du Travail et nos calculs.
L’article 23-113 du code du travail mentionne que ces commissions ont pour compétence de transmettre des informations aux salariés et aux employeurs concernant le droit du travail, de formuler des avis sur toute question utile aux très petites entreprises concernant l’emploi, sa gestion prévisionnelle, la formation, les conditions de travail, la santé au travail. Les commissions peuvent aussi faire des propositions pour résoudre les conflits du travail. Voir Paul-Henri Antonmattei, « Il faut sauver l’article L1 du code du travail », in Dominique Andolfatto (dir.), La Démocratie sociale au concret, Presses du Septentrion (à paraître).
Sur les particularités de ces élections, voir Jocelyne Hacquemand et Françoise Plet, « Les salariés des exploitations agricoles dans les élections aux Chambres d’agriculture », Strates (revue en ligne), n° 9, 1997.
Les autres scrutins, pris en compte par la mesure d’audience, peuvent apparaître plus artificiels ou virtuels. Ils n’interviennent pas directement sur le lieu de travail, ne contribuent pas à la désignation d’institutions propres à celui-ci et se font uniquement sur sigle syndical. En 2012, les premières « élections TPE » ne contribuaient même pas à la désignation d’une institution particulière. Il s’agissait simplement d’une sorte de sondage grandeur nature pour mesurer la confiance dans les syndicats – et contribuer à la nouvelle construction de la représentativité syndicale –, avant que soient finalement instituées en 2017, par la loi Rebsamen du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, des commissions paritaires régionales interprofessionnelles, au rôle relativement flou15 mais issues des résultats des « élections TPE ».
S’agissant des élections aux chambres d’agriculture et, plus précisément, du collège des salariés de la production agricole, soit principalement les salariés des exploitations agricoles, les résultats de la même consultation – celle de janvier 2013 – ont été utilisés pour les première et deuxième mesures de l’audience syndicale16. L’explication en est que ces élections ont lieu tous les six ans, alors que la mesure de l’audience syndicale est établie, jusqu’à nouvel ordre, tous les quatre ans.
Tableau 3 : Poids respectif de trois scrutins (CE-DP-DUP, chambres d’agriculture) dans la construction de la mesure de l’audience syndicale (en %)
Source :
ministère du Travail et nos calculs.
On observera enfin l’importance inégale des trois scrutins dont la mesure de l’audience syndicale additionne les résultats (voir tableau 3). Les élections aux comités d’entreprise – et, le cas échéant, DP et DUP – dominent largement : près des deux tiers des inscrits et près de 93% du résultat final, compte tenu de la très importante abstention qui caractérise les autres consultations. Autrement dit, les « élections TPE » et celles des chambres d’agriculture n’interviennent que pour 7% des résultats finaux. Cette caractéristique s’est même accentuée depuis la première mesure de l’audience syndicale publiée en 2013.
L’analyse de la participation électorale
La faiblesse de la participation électorale est manifestement la première caractéristique des deux mesures successives de l’audience syndicale. Cependant, outre le volume de votants, il paraît également intéressant de s’interroger sur la sociologie de cette abstention.
Une mesure d’audience fondée sur un quart des salariés pour des scrutins souvent sans choix
Une telle stabilité peut interroger sur la fabrique de la mesure d’audience. Lors des élections antérieures à la réforme des règles de représentativité (2008), la participation aux élections aux CE ou aux élections prud’homales se révèle plus évolutive.
Voir Ministère du Travail, « Les institutions représentatives du personnel », enquête Réponse 2011, 19 mars 2015. Ce sont surtout les entreprises de 11 à 49 salariés qui ne sont pas en règle.
Précisément 19.121.000 salariés dans le secteur privé, 5.810.300 salariés dans la fonction Voir Insee, « L’emploi salarié augmente de nouveau solidement au premier semestre 2017 », Informations rapides, 13 juin 2017, n° 153.
Voir Tristan Haute, « Comités d’entreprise : quelle participation électorale des salariés ? », communication au colloque « Pratiques, usages et parcours militants dans les comités d’entreprise : 70 ans d’existence et maintenant ? », organisé par les laboratoires Triangle et EVS, Villeurbanne, 15-16 novembre 2016,p. 9.
Dominique Labbé, Les Élections aux comités d’entreprise (1945-1993), ministère du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle (Dares), 1994, tableau I.10, p. 21 .
Voir Tristan Haute, op cit. p. 4.
Daniel Boulmier, « Représentativité et élections professionnelles : une jurisprudence renouvelée, des défauts persistants », in Dominique Andolfatto (dir.), cit.
Voir l’analyse de Sophie Béroud et Karel Yon, pour qui un modèle relativement artificiel a été construit, contribuant « moins à un renforcement du dialogue [social qu’à un] encadrement juridique des relations du travail » (Sophie Béroud et Karel Yon, « Représenter les salariés dans l’entreprise après la loi du 20 août Sur les limites de la “démocratie sociale” », Politique de communication, n° 2, 2014, p. 74.
Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, « Élection syndicale TPE », 2016, p. 11.
Ibid.
Denis Pérais, « Élections professionnelles dans les très petites entreprises (TPE) : circulez, y’a rien à voir », org, 9 mars 2017.
Tristan Haute, cit., p. 6 et 8.
Voir Olivier Jacod et Rim Ben Dhaou, « Les élections aux comités d’entreprise de 1989 à 2004 : une étude de l’évolution des implantations et des audiences syndicales », Documents d’études, n° 137, avril 2008, p. 17-19.
Voir Dominique Labbé, cit., p. 15.
Par exemple, à la SNCF, le niveau de participation aux élections aux CE, qui dépassait 87% des inscrits en 1969, est passé sous la barre de 80% en 1989, avant de remonter au-dessus dès 1992 puis de descendre définitivement sous les 80% en 2002, sous les 75% en 2009, sous les 70% en 2014, pour s’établir à 68,7% des inscrits lors du dernier scrutin, en 2015 (données SNCF et Dominique Andolfatto et Marnix Dressen, « Transformation de la représentativité syndicale et rénovation de la négociation collective en France : enjeux et début d’application à la SNCF », communication au colloque « Les systèmes de représentation au travail : à la mesure des réalités contemporaines ? », CRIMT, université Laval, Québec, 16-18 juin 2010).
Mari Teresa Pignoni, « De l’adhérent au responsable Quelles évolutions dans l’engagement des salariés syndiqués ? », Dares Analyses, n° 015, mars 2017, tableau 1, p. 2.
Pour la période 2013-2016, la mesure d’audience est officiellement fondée sur 42,8% de votants (résultat étonnamment identique, à une décimale après la virgule, à celui de la première mesure d’audience, à quatre années d’intervalle)17. En tenant compte des bulletins blancs et nuls, c’est même moins d’un électeur sur quatre qui a exprimé un choix syndical (et 34% seulement en faveur des cinq confédérations « représentatives » historiques). En outre, une partie des salariés – hors fonction publique – n’ont pu participer à la mesure de l’audience syndicale faute d’organisation d’élections professionnelles dans leurs entreprises respectives. Il est vrai que quelque 40% des entreprises concernées18 ne respectent pas l’obligation de mettre en place des institutions représentatives du personnel, craignant sans doute une sorte de « monstre juridique » qui déréglerait les pratiques – certes parfois discutables – de relations industrielles qui y ont cours. Faute de candidatures, ces entreprises adressent donc à l’administration du Travail un procès-verbal de carence. Cet étonnant rapport au droit du travail des employeurs explique que le code du travail français soit en chantier de façon quasi continue depuis plusieurs années. Le leitmotiv est désormais la recherche de plus d’« agilité » avec ce dernier. En septembre 2017, la deuxième des ordonnances Macron-Pénicaud, celle relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, a finalement remis en cause les institutions représentatives du personnel telles qu’elles étaient structurées jusqu’alors et enclenché un processus qui doit conduire à leur fusion dans toutes les entreprises avant le 31 décembre 2019.
Plus clairement, on peut estimer le nombre de salariés ne pouvant pas participer à des élections professionnelles à quelque 6 millions. En effet, 19 millions de salariés travaillaient dans le secteur marchand à la fin du premier trimestre 201719. Or seuls 13,2 millions ont eu la possibilité de s’exprimer lors d’élections professionnelles (voir tableau 2). Ce constat apparaît réduire d’autant plus l’ancrage social des organisations syndicales. Cela dit, les salariés exclus de la mesure de la représentativité, parce qu’empêchés de participer à des élections professionnelles, auraient éventuellement apporté leur soutien à une organisation syndicale s’ils avaient eu la possibilité de le faire. Mais, dans le cadre des élections professionnelles telles qu’elles sont organisées actuellement, seuls 5,2 millions sur les 13,2 millions de salariés se sont donc saisis d’un bulletin syndical.
Ajoutons que, contrairement à ce que pourraient suggérer les données électorales consultables sur le site du ministère du Travail, tous ces votants ne disposaient en réalité que d’un choix limité. Par exemple, s’agissant des élections aux comités d’entreprise, pour la période 2009-2012 (dernières années connues correspondant à la première mesure de représentativité), 35% des électeurs ne disposaient que d’une liste syndicale unique, tandis que 24% n’avaient le choix qu’entre deux listes20.
Pour la période 2013-2016, qui nous intéresse ici, on peut faire l’hypothèse que ces proportions d’élections sans choix, ou au choix limité, sont sans doute proches. Déjà, en 1992-1993, Dominique Labbé avait calculé que seuls 24% des élections (aux comités d’entreprise) étaient effectivement concurrentielles et, plus largement, le nombre moyen de listes par scrutin – par collège et par entreprise – n’était que de 1,3521. Le nombre de scrutins professionnels, plus ouvert, aurait donc augmenté d’une dizaine de points depuis lors, mais, au contraire des statistiques antérieures, la base de données du ministère du Travail ne permet plus de le calculer précisément (il n’est calculé que sur des statistiques communiquées par la CGT dont on ignore le détail)22. On ne sait donc pas, faute de pouvoir accéder aux fichiers officiels de ces données électorales, si cette augmentation est réelle. Cela dit, le nombre de scrutins concurrentiels resterait limité et il apparaît que non seulement une partie importante des salariés (30%) n’a pas la possibilité de s’exprimer lors de la mesure périodique de la représentativité syndicale mais, de surcroît, pour les 70% restants, que leur choix est bien souvent contraint : l’électeur ne peut faire de choix car, dans son établissement ou son entreprise, il n’existe qu’une liste unique ou un nombre limité de listes. Dans les années 1990, pour les élections à liste unique la participation était moindre. Dans tous les autres cas, c’est-à-dire lors d’élections concurrentielles, l’électeur n’a guère que la possibilité de choisir entre deux organisations et, plus rarement, entre trois ou plus. Autrement dit, lors des élections professionnelles, les électeurs sont loin d’avoir tous les bulletins syndicaux en main, comme lors des élections politiques. Leur choix est souvent prédéterminé en fonction des implantations syndicales. Cette démocratie syndicale et, surtout le sens qu’on entend lui conférer, s’en trouve forcément limitée.
Quelles que soient les conditions de la concurrence électorale, la mesure de représentativité traduit globalement une audience des syndicats dans le salariat (hors fonction publique) de 27,5% de la population concernée (5,24 millions de suffrages exprimés rapportés aux quelque 19 millions de salariés potentiellement concernés). Cela signifie que guère plus d’un quart des salariés choisissent de s’exprimer ou ont la possibilité de voter en faveur d’une organisation syndicale. Autrement dit, près des trois quarts des salariés seraient, qu’on le veuille ou non, exclus de la « représentativité ».
Cette situation mérite d’être rapportée à un propos du juriste du travail Daniel Boulmier qui argumente que la loi du 20 août 2008 a finalement posé une « mesure de la représentativité des plus étranges » : « Outre le fait que l’audience syndicale, passeport pour la représentativité, reste mesurée quel que soit le nombre de votants [ce qui renvoie à la question de la participation], c’est surtout l’utilisation qui est faite de chaque suffrage exprimé qui pose question. Le suffrage exprimé par un électeur d’entreprise ou d’établissement, est traduit en un choix pour une organisation syndicale, choix effectué parmi un nombre restreint d’organisations syndicales présentes au seul niveau de cette entreprise ou de cet établissement ; mais ce suffrage est également traduit comme étant le choix syndical au niveau de la branche et au niveau national et interprofessionnel, alors qu’à ces niveaux se retrouvent tous les syndicats dont certains n’ont donc pas été soumis au choix [de certains salariés électeurs]. En fait, il n’y a que les salariés des TPE qui sont réellement appelés pour un véritable vote de représentativité23. » Il convient de rappeler en effet que c’est sur la base des élections professionnelles, intervenues dans les entreprises et éventuellement sans choix, que les syndicats se répartissent ensuite les sièges au sein de différentes institutions socio-économiques ou juridictionnelles : commissions propres aux branches d’activité, administration de l’assurance chômage, organismes de sécurité sociale, organismes de retraite, conseils de prud’hommes… En fait, les salariés ne disposent donc pas des bulletins de toutes les organisations lorsqu’ils votent, sauf dans les TPE. Mais, à ce dernier niveau, la participation est très faible, ce qui soulève une autre difficulté ou introduit un autre malaise dans la représentativité syndicale.
La faiblesse de la participation électorale masque des situations contrastées. La participation, telle que la traduit la mesure de représentativité, est faussée par deux scrutins : les « élections TPE » et celles des chambres d’agriculture. Dans le premier cas, plus de neuf électeurs sur dix n’ont pas pris part au vote. Cela traduit le fiasco d’un scrutin inventé à la suite de la réforme de 2008 et qui, pratiqué « hors sol », n’a pas rencontré son public. Déjà, en 2012, l’abstention avait été très forte : près de 90% d’abstentionnistes, contre 93% en 2016-2017. L’élection porte sur des sigles syndicaux. On ne désigne pas des personnes, on ne choisit pas entre des candidats, contrairement à ce qui se passe habituellement lors des élections professionnelles ou politiques, même si, en 2016-2017, ces élections, pour tenter de les rendre plus concrètes, ont été connectées avec la désignation de commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI), déjà évoquées. Cependant, ces dernières instances n’avaient encore aucune existence lors du scrutin et n’ont été mises en place qu’au second semestre 2017 ; en outre, les électeurs n’élisent pas directement leurs membres, ce sont les syndicats qui les désignent librement et les remplacent au besoin en fonction de leurs audiences respectives. Autrement dit, les élections dans les TPE doivent simplement départager des organisations syndicales que les électeurs ne connaissent pas nécessairement bien et qui ne sont pas implantées dans leur entreprise. Il n’est donc pas possible d’apprécier concrètement le rôle des représentants sortants comme on le ferait pour un délégué du personnel ou pour les membres d’un comité d’entreprise. On pourrait finalement parler d’une forme de démocratie sociale abstraite, voire d’un artefact démocratique24.
Pourtant, afin d’éviter la réédition d’une forte abstention, le ministère du Travail a déployé une campagne active, expliquant que ce scrutin devait permettre de « choisir de donner plus de poids à un syndicat et à son programme, notamment dans l’élaboration des conventions collectives, lors de la gestion d’organismes (sécurité sociale, assurance chômage ou organismes paritaires) et pendant les discussions avec l’État sur les grandes réformes sociales25 ». S’adressant aux salariés, le ministère ajoutait : « Voter, c’est également participer à la désignation des syndicats qui siégeront dès juillet 2017 dans les commissions paritaires régionales interprofessionnelles qui vous apporteront des conseils sur vos conditions de travail26. » À l’évidence, ces enjeux, assez enchevêtrés et flous en même temps, n’ont guère convaincu les salariés des TPE qui, massivement, se sont de nouveau abstenus. Pour sa part, l’association Action-Critique-Médias (Acrimed) a critiqué le peu d’intérêts des médias généralistes pour cette consultation, déplorant que ces derniers « se montrent incapables de donner une visibilité à ces scrutins et, à travers eux, aux conditions de travail des électeurs concerné 27». Mais cette remarque d’Acrimed se situe plus dans le registre de la dénonciation, voire de l’indignation, que de l’analyse.
Les salariés des exploitations agricoles ont également faiblement participé aux élections des chambres d’agriculture en 2013. Approximativement, un sur sept a voté. Si le bilan est un peu moins négatif que pour les élections dans les très petites entreprises, il reste toutefois problématique. Au contraire, la participation résiste mieux lors des élections aux comités d’entreprise (mais aussi des DP et des DUP). Ces dernières sont même, de longue date, les plus participatives parmi les élections professionnelles. Sans doute parce qu’il s’agit d’élections qui se déroulent sur le lieu de travail et qui concernent des personnes que souvent les électeurs connaissent, aux enjeux concrets et proches d’eux. S’agissant de la mesure de l’audience syndicale en 2009-2012 et en prenant appui sur des statistiques de la CGT, Tristan Haute estime que la participation moyenne aux élections des DP s’élève à 71,1% des inscrits, contre 62,4% pour celles des comités d’entreprise28.
De la déconstruction de la mesure de l’audience syndicale de 2013-2016, il apparaît que la participation à ces élections professionnelles organisées dans les entreprises – et liées à des problématiques qui leur sont propres – a mobilisé en moyenne 62,7% des électeurs inscrits. Le chiffre est presque équivalent à celui que l’on peut calculer pour la période 2009-2012, correspondant à la première mesure de l’audience, soit 63%. Ce niveau de participation s’avère toutefois légèrement inférieur à ceux qui caractérisaient les élections aux comités d’entreprise avant la réforme de 2008. En 2005-2006, selon les derniers résultats des élections aux comités d’entreprise qui ont fait l’objet d’une publication officielle, quelque 63,8% des électeurs inscrits avaient voté. Selon une autre étude, la participation dépassait même 64% pendant la période 1999-2000 et 65% pendant les années 1989-199829. En outre jusqu’au début des années 1980, la participation s’était maintenue autour des 70%30. Une érosion de cette participation se poursuit donc plus ou moins lentement (historiquement, des décrochages sont intervenus au début des années 1980 puis 1990). Cependant, sauf exception locale, le niveau de participation est encore assez majoritaire et, parfois, très important, selon les entreprises31. Pour autant, si l’on tient compte des bulletins blancs et nuls, les audiences syndicales stricto sensu sont inférieures à 60% des électeurs inscrits en moyenne (précisément 57,8% lors de la mesure de la période 2013-2016).
Cela dit, comme déjà indiqué, la mesure de l’audience syndicale ne prend pas appui uniquement sur les élections des comités d’entreprise (CE) mais également sur celles des délégués du personnel (DP) et des délégations uniques du personnel (DUP). Or le niveau de participation à ces dernières est traditionnellement – et globalement – plus élevé qu’à celles des CE. Dès lors, si l’évolution traduit un recul de la participation par rapport aux seuls résultats des élections aux CE antérieurs à la mise en place de la mesure de représentativité, cela tend à l’accentuer car les résultats des élections des DP et des DUP devraient améliorer cette participation.
Les résultats reconstitués des élections aux CE, auxquels s’ajoutent ceux des élections des DP et des DUP, permettent au passage d’établir un taux d’implantation global – et effectif – des syndicats parmi les salariés du secteur marchand avec, au dénominateur, le nombre des salariés employés dans ce secteur (19 millions) et au numérateur les 8,4 millions de salariés inscrits – et pouvant donc voter – aux élections des CE, DP et DUP, soit un taux de 44,3%. Compte tenu de l’incertitude introduite par le nombre de salariés n’ayant pas un an d’ancienneté (et ne pouvant donc pas prendre part à des scrutins professionnels), on peut estimer, au plus, qu’un salarié sur deux disposerait dans son établissement d’au moins un candidat se présentant sous une étiquette syndicale à une élection professionnelle. Ce taux est plus réaliste que celui de 59,2% obtenu par sondage32. De même, comme déjà mentionné, la mesure d’audience ne couvre pas l’ensemble des salariés du secteur marchand mais environ 70% d’entre eux seulement.
Au total, si la tendance paraît bien indiquer un recul de la participation électorale – et la faiblesse des implantations syndicales –, il apparaît tout de même difficile de mesurer précisément les évolutions. Bref, la nouvelle statistique électorale qui est produite par le ministère du Travail, parce qu’il ne s’agit que de données très agrégées, se révèle de moins bonne qualité – ou, tout au moins, plus opaque – que la précédente, compte tenu notamment de son aspect composite et non détaillé. Il est vrai que ce n’est qu’une mesure légale de la représentativité syndicale, négociée avec les intéressés, syndicats et patronats. Il ne s’agit pas de favoriser la connaissance en termes de participation électorale, voire, plus largement, de sociologie électorale du salariat. L’objectif poursuivi est de refonder les règles de représentativité syndicale en prenant appui sur un indicateur statistique, sans trop se soucier des inégalités de situation et de choix des salariés face à celui-ci. Ce qui aboutit tout de même à une étrange « démocratie sociale ».
Quelle sociologie de l’abstention ?
Voir Tristan Haute, « Participer ou non aux scrutins professionnels : quelles inégalités ? », in Anne Fretel, Anne Bory, Sylvie Célérier et Florence Jany-Catrice (dir.), Cahiers du Cirtes, « Politiques sociales en mutation : quelles opportunités et quels risques pour l’État social ? », Lille, 8-9 septembre 2016, hors-série n° 6, actes des XXXVIes Journées de l’Association d’économie sociale, Presses universitaires de Louvain, 2017.
Voir, par exemple, Pierre Bréchon, « La signification de l’abstention électorale », texte rédigé à l’occasion d’un séminaire doctoral à l’Université libre de Bruxelles (ULB), 29 avril 2010.
Voir Daniel Gaxie, Le Cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Seuil, 1978.
Tristan Haute, « Comités d’entreprise : quelle participation… », cit., p. 11.
Dans son étude électorale classique sur la France de l’Ouest, André Siegfried concluait à l’absence ou à la fragilité de l’interprétation des comportements électoraux. Voir André Siegfried, Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République [1913], Éditions de l’Université de Bruxelles, 2010.
De longue date, les élections professionnelles ne sont pas réservées aux seuls Elles n’établissent aucune discrimination entre travailleur et citoyen. Pour les mêmes raisons, les femmes ont pu participer à ces élections bien avant que les élections politiques ne leur soient ouvertes (voir Dominique Andolfatto, L’Univers…, op. cit.).
Jean-Jacques Dupeyroux, « À propos de la réforme Boulin : un souvenir lumineux », Le Monde, 14 décembre Plus au fond, sur cette réforme, voir Dominique Andolfatto, L’Univers des élections professionnelles, Les Éditions ouvrières, 1992, p. 135-140. Les élections prud’homales ont finalement été supprimées après la réforme de 2008 relative à la rénovation de la démocratie sociale (loi du 20 novembre 2014 relative à la désignation des conseillers prud’hommes). Manifestement, s’agissant de mesurer la représentativité des organisations syndicales, elles auraient constitué une sorte de doublon avec cette dernière réforme. La désignation des membres des conseils de prud’hommes représentant les salariés – par les organisations syndicales – prend désormais appui sur la mesure de l’audience syndicale.
Voir Michel Blanchard, Bernard Bouhet, Marie Geoffroy, René Mouriaux et François Subileau, L’Abstention aux élections prud’homales, Paris, n., 1996.
Société nationale des chemins de fer français.
Échange avec l’un de ces commanditaires (issus du conseil supérieur de la prud’homie), en 1997.
Voir Dominique Labbé, cit., p. 7-20.
Sur ce sujet, voir notamment Gérard Adam, Le Pouvoir syndical, Dunod, 1983, 70, et Christian Dufour, « Les syndicats et les comités d’entreprise », in Dominique Andolfatto et Dominique Labbé (dir.), Un demi-siècle de syndicalisme en France et dans l’Est, Presses universitaires de Nancy, 1998, p. 147.
Dominique Labbé, cit., p. 16.
Ibid.
Ibid., p. 17.
Rares sont les études qui cherchent à interpréter cette évolution de l’abstention en termes sociologiques. Tristan Haute, toujours sur la base de données communiquée par la CGT, issues des résultats de la première mesure de l’audience syndicale (2009-2012), a pu montrer que les jeunes salariés, les femmes, les personnels en contrat à durée déterminée ou à temps partiel s’abstenaient plus fortement que les autres catégories de salarié 33. L’intégration au travail et plus largement sociale impacte à l’évidence la participation (comme ont pu le montrer également des travaux classiques en sociologie politique)34. Plus au fond, « en transposant en partie la notion de “cens caché” de Daniel Gaxie35 [soit de fortes inégalités socioculturelles rendant plus difficiles la compréhension et l’accès aux choix politiques] dans le monde du travail, on observe que certaines combinaisons de variables [touchant notamment à la question de l’intégration au travail] peuvent conduire des salariés à se retrouver exclus du jeu électoral professionnel. Il existerait logiquement des variables propres au monde du travail mais aussi propres au système électoral professionnel. Néanmoins les données agrégées ne nous permettent pas d’analyser les effets des configurations socioprofessionnelles et syndicales sur les comportements électoraux des salariés36 ». L’analyse ne prend donc pas en compte l’offre syndicale ou des phénomènes tels que la crise ou les recompositions syndicales. Elle semble conduire finalement à un certain « aveu de défaite », pour reprendre une célèbre formule d’André Siegfried concernant l’étude des comportements électoraux au début du XXe siècle37.
En 1996, une étude avait cherché à analyser l’abstention aux élections prud’homales, alors principales consultations électorales professionnelles38. À travers la généralisation de celles-ci, à compter de 1979, anticipant la réforme de la représentativité syndicale de 2008, il s’agissait déjà de traduire une « expression massive, spectaculaire, du peuple au travail39 ». L’étude, procédant par sondages sur les listes d’émargement des élections prud’homales de 1992, avait montré que l’âge, la nationalité, le sexe, la résidence devaient être pris en considération pour analyser la participation à cette consultation professionnelle40. Ainsi, les jeunes (moins de 35 ans dans cette étude) s’abstenaient davantage que la moyenne. L’étude tendait aussi à attester de l’existence d’un problème de socialisation à l’égard de l’institution prud’homale – comme cela pourrait se manifester aujourd’hui à l’égard de la notion de représentativité syndicale – mais aussi que la « rencontre » entre jeunes et syndicats se faisait plus difficilement. L’abstention des étrangers, des femmes dans l’industrie ou des hommes chez les employés apparaissait également plus forte, traduisant, là encore, la question de l’insertion problématique de salariés en position « minoritaire » dans certains milieux professionnels. À l’inverse, il apparaissait que c’étaient les salariés des entreprises les plus importantes, titulaires d’un contrat à durée indéterminée, qui participaient le plus aux élections. De même, les salariés des banques ou des entreprises semi-publiques (par exemple, la SNCF41) votaient plus massivement. En revanche, ceux du bâtiment ou du commerce étaient déjà fortement abstentionnistes. Les auteurs de l’étude corrélaient ces données avec des types de gestion du personnel ou encore les implantations syndicales. Cela dit, l’étude restait assez générale. Elle semblait fonctionner sur la base d’évidences qui demandaient à être davantage étayées et, de ce point de vue, n’avait pas vraiment donné satisfaction à ses commanditaires42.
Dans son étude concernant les élections aux comités d’entreprise de 1945 aux années 1990, c’est justement sur les implantations syndicales que Dominique Labbé a mis d’emblée l’accent, relevant globalement un déclin des syndicats classiques au profit des listes non syndiquées, ce qui ne signifie pas que ces deux phénomènes soient directement corrélés43. Les « non-syndiqués » correspondent souvent à un phénomène transitoire avant une implantation syndicale44. Plus au fond, il faut tenir compte des restructurations du tissu économique. Interviennent également le déclin de la population ouvrière, l’importance accrue des fonctions d’encadrement, la désindustrialisation, la réduction de la taille moyenne des entreprises. Dominique Labbé souligne aussi que, contrairement à ce que traduit la sociologie des élections politiques, lors des élections professionnelles la participation a tendance parfois à être plus faible chez les cadres ou les employés (la question de l’insertion au travail ne serait donc pas forcément déterminante ou la clé principale du comportement électoral). Dans de grandes entreprises, on peut même observer que « la participation diminue au fur et à mesure que l’on monte dans l’échelle des responsabilités et donc de l’intégration sociale45 ». Et de poursuivre : « Les élections professionnelles [participant] à la philosophie du droit du travail qui compense le déséquilibre entre employeurs et salariés et protège ces derniers dont il postule la faiblesse et la moindre intégration […], n’est-il pas logique que l’attachement à ces institutions représentatives soit d’autant plus fort que la position sociale est faible ?46 ». Selon Dominique Labbé, il importe de prendre en compte « la nature de la main-d’œuvre employée » et la taille des collèges électoraux. C’est là que se trouveraient les principaux déterminants de la participation. Mais il ne faut pas négliger non plus « les transformations intervenues dans le contenu [des élections professionnelles] et dans la fonction des élus. Depuis une vingtaine d’années, on observe une certaine “politisation” du mandat professionnel dans les grandes entreprises. De porte-parole, le représentant du personnel est progressivement devenu un mandataire général, un professionnel de la représentation47 ». Cela a pu conduire à une certaine rupture avec les salariés. Autrement dit, l’interprétation de la participation aux élections professionnelles peut apparaître paradoxale par rapport à ce que pourrait laisser croire le « cens caché », soit des inégalités de participation en fonction des propriétés sociales des individus, caractérisant l’univers politique. Sa transposition à l’univers des élections professionnelles nécessite beaucoup de prudence et n’implique pas une automaticité puisque ce ne sont pas nécessairement ceux qui sont les mieux dotés en capitaux économiques et culturels qui votent le plus. Cela dit, en l’état des données disponibles et de l’impossibilité d’une analyse systématique, l’interprétation contemporaine de la participation aux élections professionnelles reste difficile, pour ne pas dire impossible, à établir. La tendance apparaît toutefois comme celle d’un lent reflux mais agrège aussi de nombreuses situations contrastées.
C’est également la question de la confiance dans les organisations syndicales qui se trouve posée.
L’évolution des audiences syndicales
Voir, par exemple, Michel Noblecourt, « Syndicalisme : la CFDT détrône la CGT de la première place », fr, 31 mars 2017. Cet article, évoquant un « séisme » syndical et opposant syndicalismes« réformiste » et « contestataire » a soulevé beaucoup de commentaires critiques.
La dernière mesure de l’audience syndicale a surtout retenu l’attention des médias et des commentateurs parce que la CGT s’est retrouvée deuxième sur le podium, la CFDT occupant la plus haute place48. Dès lors, cette dernière est régulièrement présentée comme la « première organisation syndicale française ». Si cette évolution croisée est bien réelle, il ne faut pas l’exagérer, comme on va le voir. D’autant plus que, si l’on tient compte des élections internes à la fonction publique (intervenues en 2014), la CGT, tout en perdant des voix, demeure bien la première organisation syndicale française en termes d’audience électorale, toutefois en ne distançant que très faiblement la CFDT (il serait certainement plus juste de parler d’une sorte de « duopole »). Enfin, ces évolutions qui ont polarisé les commentaires masquent d’autres changements, qui peuvent être sans doute plus importants encore.
L’émiettement du paysage syndical se confirme
Voir ainsi Gérard Filoche, « Ne croyez pas au bobard que la CFDT est passée devant la CGT », fr, 3 avril 2017.
Pour l’analyse spécifique des élections TPE, voir Tristan Haute, « Des votes inexplicables ? Une analyse électorale des scrutins TPE », communication au 14e congrès de l’Association française de science politique (AFSP), « Sociologie politique des élections professionnelles », Montpellier, 10-12 juillet 2017.
Les tableaux 4 et 5 montrent les évolutions à l’œuvre entre la mesure de l’audience syndicale de 2009-2012 et celle de 2013-2016 mais aussi, plus spécifiquement, entre les élections au sein des très petites entreprises et celles des comités d’entreprise, délégués du personnel et délégations uniques du personnel de la même période. Le tableau 4 est basé sur les audiences par rapport aux électeurs inscrits. Ce mode de calcul a été privilégié par rapport aux audiences en suffrages exprimés, car il permet de tenir compte de l’abstention, de raisonner sur la base des implantations électorales réelles des syndicats et de mieux fonder la comparaison entre des scrutins de natures différentes. Les tableaux 4 et 5, montrent tous deux que les évolutions entre les deux périodes 2009-2012 et 2013-2016 sont assez faibles, en dépit des commentaires souvent passionnés et militants qui ont pu être produits49. Ils soulignent également la grande faiblesse des implantations électorales lors de certains scrutins, notamment lors des élections concernant les TPE50. Tout en conservant la première audience à cette consultation, la CGT ne capte en effet les suffrages que d’un salarié sur 34 et d’un sur 53 pour la CFDT – seconde audience. Dès lors, leur « représentativité » respective dans le salariat des TPE apparaît très faible.
Tableau 4 : L’audience électorale des syndicats (% des électeurs inscrits)
Source :
ministère du Travail et nos calculs.
Le tableau 5, plus synthétique, présente les évolutions en termes d’indice (la base 100 renvoyant à la mesure de l’audience publiée en 2013 et aux scrutins qui ont permis de construire cette mesure). Naturellement, dans les deux tableaux, aucune évolution ne caractérise les élections concernant les salariés des exploitations agricoles puisqu’un seul et même scrutin a été utilisé pour construire les deux mesures de l’audience syndicale.
Cela précisé, la CGT est bien l’organisation qui recule le plus. En nombre de voix, elle perd les quatre dixièmes de celles-ci aux élections dans les TPE entre 2012 et 2016. Mais globalement, si l’on prend en compte la mesure de l’audience, elle limite les pertes à 4% de ces mêmes voix, alors même que le nombre d’électeurs inscrits augmente. Toutes les autres organisations augmentent leur volume en voix. Mais, contrairement aux apparences, le gain le plus important n’est pas réalisé par la CFDT (+ 5%) mais par la CFTC (+ 6%) et, surtout, la CGC (+ 17%) et, plus encore, l’UNSA (+ 30%). En nombre de voix, les gains de l’UNSA sont comparables à ceux de la CFDT (+65.000). Mais les différences en termes de pourcentage s’expliquent parce que le nombre de voix de départ de la CFDT était beaucoup plus fort que celui de l’UNSA.
Tableau 5 : L’évolution de l’audience électorale des syndicats (indice base 100 en 2009- 2012)
Source :
ministère du Travail et nos calculs.
Concernant cette grille d’analyse ici discutée, voir Karel Yon, « Malaise dans la représentativité syndicale », monde-diplomatique.fr, juin 2017.
Bernard Thibault a été secrétaire général de la CGT de 1999 à Il a été remplacé par Thierry Lepaon jusqu’en 2015, puis Philippe Martinez depuis cette date.
Karel Yon, art. cit.
EDF : Electricité de France ; RATP : Régie autonome des transports parisiens.
Sur ce sujet, voir Leïla de Comarmond, « Les effectifs de la CGT continuent de s’effriter », fr, 4 avril 2017, et, de façon moins conjoncturelle, Dominique Andolfatto, « Les forces de la CGT : un bilan des années Thibault (1999- 2013) », Histoire & Liberté, n° 51, juin 2013, p. 95-104.
Daniel Labbé et François Perrin, Que reste-t-il de Billancourt ?, Seuil, 1990, 289. Cette thèse de l’institutionnalisation du syndicalisme a été développée par Gérard Adam dans Le Pouvoir syndical (op. cit.) et dans plusieurs articles, notamment « Les syndicats, un pouvoir excessif ? », Droit social, janvier 1984, p. 2-4. L’auteur estime qu’il s’est formé une « technocratie de militants » et que le syndicalisme est devenu « un service public à gestion privée ».
Voir, par exemple, Christian Mahieux, « À propos de la représentativité syndicale. Une analyse partant du terrain », alencontre.org, 11 avril 2017, ou Karel Yon, art. cit. De façon plus générale, sur la question de la discrimination syndicale, voir Thomas Amossé et Jean-Michel Denis, « Discrimination syndicale et formes d’anti- syndicalisme dans le monde. Repères internationaux et parcours de lecture », Travail et Emploi, n° 146, avril-juin 2016, p. 5-16, et Jean-François Pilliard et Lionel Marie (dir.), Repérer, prévenir et lutter contre les discriminations syndicales, avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), juillet 2017, p. 35-42.
Voir Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, « Le financement des partenaires sociaux après la loi Sapin du 5 mars 2014 », Droit social, n° 3/2017, mars 2017, 255-264.
Voir Jean-François Pilliard et Lionel Marie (dir.), cit., p. 40.
Guy Groux, « Élections professionnelles dans les TPE : fragilité salariale, fragilité syndicale », telos-eu.com, 16 février 2017.
On notera que toutes les progressions concernent les élections des CE (ainsi que des DP et DUP). Il s’agit donc des élections organisées dans les entreprises, animées par les équipes syndicales internes et aux enjeux avant tout locaux ou facilement appropriables par les électeurs. Au contraire, lors des élections dans les TPE, toutes les organisations perdent des voix, avec deux exceptions toutefois : la CGC maintient son audience et l’UNSA gagne plus de 6.500 voix. Cela confirme notre analyse duale des élections professionnelles, les unes étant internes à l’entreprise, les autres externes, comme les élections dans les TPE et les élections prud’homales. En effet, selon cette analyse, les premières sont plus mobilisatrices que les secondes en raison d’enjeux plus immédiats et perceptibles par les salariés, tandis que les secondes se jouent en termes d’image et avantagent les organisations à plus forte notoriété. Cependant, en 2016-2017, les élections dans les TPE ont été en réalité défavorables à l’organisation la plus connue (la CGT) et ont bénéficié à une organisation relativement nouvelle, voire assez confidentielle et lovée dans certaines niches professionnelles, à savoir l’UNSA51. Il faut noter que, pour sa deuxième édition, cette élection s’est bien moins jouée dans les rues ou sur les marchés, via des diffusions de tracts, par exemple – comme cela a pu être dit ou écrit parfois mais par une communication très ciblée par L’UNSA, celle-ci ayant des équipes plus réduites que d’autres, et une campagne ajustée à certaines catégories d’électeurs et à leurs attentes. L’UNSA, qui n’est pas une organisation représentative au plan national, s’est aussi manifestement plus mobilisée et a mieux paramétré sa campagne alors que des confédérations plus anciennes ou plus établies se sont moins engagées ou de façon plus dispersée, comptant avant tout sur leur image, ce qui s’est avéré insuffisant, voire contre-productif.
Il importe par ailleurs de relativiser le succès de la CFDT. D’une part, et cela n’est jamais évoqué, parce qu’elle avait déjà doublé la CGT lors des élections aux CE (DP et DUP) à l’issue de la première mesure de l’audience (voir tableau 5). Cela signifie que, dans les entreprises, la CFDT était déjà la première, certes avec une avance d’une courte tête. D’autre part, la progression de la CFDT entre les deux périodes 2009-2012 et 2013-2016 se révèle très faible. Si la confédération, comme il a déjà été dit, gagne quelques dizaines de milliers de voix, son taux d’implantation électorale par rapport aux électeurs inscrits progresse toutefois si peu (10,4% contre 10,3%) qu’il est plus juste de parler de stabilisation. En revanche, la CGT recule, de 10,6% à 9,8%, passant sous la barre symbolique des 10%. S’il ne s’agit pas d’une déroute, c’est bien le signe d’une érosion d’un type de syndicalisme, même si la pratique de la CGT, selon les lieux et les secteurs d’activité, n’est pas monolithique. Cela n’est pas sans lien avec les transformations du salariat et une certaine « moyennisation » de ce dernier – affirmation de catégories intermédiaires, de la maîtrise et de l’encadrement –, catégories à l’égard desquelles la CGT semble plus en difficulté que d’autres organisations. En outre, c’est bien lors des élections aux CE que l’écart se creuse entre les deux confédérations. Nombre de commentateurs ont forcé l’interprétation en affirmant la victoire d’un syndicalisme « réformiste » ; le réformisme a été largement opéré par toutes les organisations, en particulier lors des élections intervenues dans les entreprises au cours de la période 2013-2016. On peut en revanche supposer que les électeurs ont manifestement sanctionné un type de syndicalisme plus contestataire que les autres, et surtout une organisation, la CGT, tourmentée par les vicissitudes liées à sa gouvernance depuis la fin de l’ère Thibault52.
Tant lors des élections dans les TPE que lors de celles des CE, ce sont la CGC et l’UNSA – adaptées aux nouveaux visages d’un salariat employé et cadre – qui tirent le mieux leur épingle du jeu. Les indices du tableau 5 l’indiquent clairement. Par rapport aux électeurs inscrits, l’audience de la CGC augmente de 13% et celle de l’UNSA de 25% tandis que la CFDT, FO, la CFTC et l’USS stagnent, et que la CGT chute.
Selon Karel Yon, ce recul de la CGT était prévisible 53. Il est vrai qu’il survient à l’issue d’une période marquée par de nombreux déboires électoraux de la centrale syndicale dans de grandes entreprises : Orange, La Poste, EDF, Air France, RATP, Renault54… S’il faut s’interroger sur le type de syndicalisme adopté par la CGT, en l’occurrence le choix, plus ou moins par défaut, de ce que l’on qualifie désormais de « radicalisation », tournant la page des années Thibault, d’autres causes, plus structurelles, jouent également. Ainsi, le déclin de l’industrie et des emplois d’ouvriers (et donc des collèges électoraux les regroupant), l’éclatement du monde ouvrier, la montée de postes intermédiaires ou d’encadrement défavorisent la CGT et affaiblissent une certaine culture ouvrière dont elle se nourrissait. De même, la centrale syndicale est restée trop implantée dans le secondaire et les entreprises semi-publiques et ne s’est pas assez rapidement déployée dans le tissu des entreprises de services ou du commerce. La sociologie de ces secteurs, avec une population active plus féminisée et des salariés mieux formés, profite à la CFDT, mais aussi à l’UNSA et à la CGC, davantage ouvertes à ces transformations et au nouveau contexte idéologique qui sous-tend ces changements. La CGT a aussi plus de mal à s’adapter à l’importance croissante des PME dans l’économie, une sorte de « péémisation », qui oblige les équipes syndicales à se plier à plus de réalisme et à faire un important travail de terrain pour exister dans des entreprises de petite taille. En 2014-2015, l’affaire Lepaon a également terni l’image de la CGT même si elle n’est sans doute qu’une cause secondaire et conjoncturelle du reflux de la confédération. Derrière cette affaire, c’était aussi un problème de gouvernance et de stratégie qui était en cause.
Enfin, depuis 2013, la CGT a perdu officiellement au moins 40.000 adhérents sur les 600.000 qu’elle revendique – notamment au sein de ses fédérations des cheminots, des postes et télécommunications, de l’énergie – ce qui a fragilisé ses équipes55. La conséquence du déclin du nombre des adhérents est en effet la réduction des implantations effectives de la confédération. Dès lors, même si elle conserve une réelle popularité, la CGT n’est plus en capacité de présenter des listes de candidats à ses soutiens potentiels. Mais le déclin des effectifs n’épargne pas la CFDT, peu bavarde sur le sujet depuis quelques années. Cela explique sa relative stagnation électorale, d’autant plus que ses équipes sont fortement institutionnalisées ou bien absorbées par de multiples tâches juridiques et militantes qui les éloignent des salariés de base. On a déjà évoqué cette « politisation » des institutions représentatives du personnel, illustrée par une image déjà ancienne de Daniel Labbé et François Perrin : « Les militants syndicaux sont [désormais] au milieu de la classe ouvrière comme les députés dans leur circonscription56. »
En revanche, l’argument de la répression ou des pressions des employeurs que subiraient les syndicalistes, notamment ceux de la CGT, pour les dissuader de se porter candidats aux élections professionnelles, voire de voter – argument souvent invoqué par l’organisation elle-même et par certains commentateurs57– est plus discutable. On rappellera d’abord que les employeurs sont bien souvent devenus les premiers financeurs du syndicalisme en France. Diverses réformes sur la question du financement du syndicalisme, coproduites par les partenaires sociaux et les pouvoirs publics, en témoignent58. Par ailleurs, à l’heure du développement et de la nécessité stratégique de la négociation d’entreprise, les employeurs sont en quête d’interlocuteurs syndicaux et cherchent à les pérenniser dans leurs fonctions alors que le militantisme se tarit, quel qu’il soit, et ils préfèrent habituellement traiter avec « leurs » délégués, qu’ils connaissent – et qu’ils pensent maîtriser – de longue date, qu’ils soient membres de la CGT ou d’autres syndicats. Finalement, si les contentieux sur la discrimination syndicale sont limités, ils alimentent néanmoins le débat59.
On pourrait enfin postuler que participer massivement aux élections dans les TPE aurait été un excellent moyen de contourner cette répression si elle existait. C’est une autre façon de démontrer qu’on ne peut invoquer ici la discrimination syndicale comme facteur d’abstention, ce que Guy Groux, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) a fort judicieusement souligné : si selon lui, « il n’est jamais aisé de se syndiquer dans une petite entreprise, le vote qui pouvait être fait par correspondance ou par voie électronique [lors des élections dans les TPE], n’est-il pas un moyen de pallier ce genre de difficultés [la crainte de la discrimination], d’exprimer un point de vue, de prendre part à une grande manifestation de la démocratie sociale ? N’est-il pas au fond, un droit qui peut être le plus commodément utilisé et dès lors pourquoi tant de salariés concernés ne le font pas ? ». Guy Groux met alors en cause une offre syndicale pléthorique et peu intelligible ainsi que des syndicats qui, en dépit d’un mot d’ordre partagé concernant la « proximité » avec les électeurs, s’en seraient éloignés, et il conseille aux « syndicats de se questionner sur eux-mêmes [ainsi que] sur les difficultés qu’ils ont pour être reconnus par des salariés dont beaucoup connaissent une situation souvent difficile comparée à celles d’autres salariés, ceux des grandes entreprises ou de la Fonction publique60 ».
Des dynamiques contrastées des implantations syndicales
Voir Dominique Labbé, cit. ; Olivier Jacod et Rim Ben Dhaou, art. cit. ; et les calculs de Tristan Haute, cités par Catherine Abou El Khair, in « Développement syndical : quels facteurs déterminent les nouveaux équilibres syndicaux ? », dépêche AEF [Agence Emploi Formation], 4 octobre 2017.
Dominique Labbé, op. cit., p. 22.
Au moyen de différents indicateurs de présence syndicale dans le salariat et dans les entreprises, on peut enfin tenter de mesurer l’évolution de ces implantations – ou de la présence syndicale – sur le moyen terme. Les rares données disponibles permettent de remonter jusqu’aux années 1980. Cela dit, la juxtaposition des indicateurs reste fragile car tous ne sont pas exactement construits de la même manière. Tour à tour Dominique Labbé, Olivier Jacod et Rim Ben Dhaou, puis Tristan Haute ont construit ce type de données sur la base des résultats des élections professionnelles61. Dans son étude sur les élections aux CE de 1994, Dominique Labbé a établi différents indicateurs d’implantation syndicale : « Un syndicat est implanté dans un établissement à partir du moment où une liste est présentée, sous son étiquette, dans au moins un des collèges électoraux [de cet établissement]62. »
Le tableau 6 montre clairement comment a évolué la couverture syndicale des entreprises ou des établissements où ont été organisées des élections professionnelles depuis la fin des années 1980.
Tableau 6 : Évolution des taux d’implantation syndicale par entreprise (en % des entreprises ou établissements)
Source :
Dominique Labbé, Les Élections aux comités d’entreprise (1945-1993), ministère du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle (Dares), 1994, tableau I.12, p. 23 ; Olivier Jacod et Rim Ben Dhaou, « Les élections aux comités d’entreprise de 1989 à 2004 : une étude de l’évolution des implantations et des audiences syndicales », Documents d’études, n° 137, avril 2008, p. 27 ; Tristan Haute, chiffres cités par Catherine Abou El Khair, in « Développement syndical : quels facteurs déterminent les nouveaux équilibres syndicaux ? », dépêche AEF, 4 octobre 2017, p. 3.
« La CFDT devant la CGT : “Ça ne fait jamais plaisir », réagit Philippe Martinez », fr, 31 mars 2017.
Tristan Haute, cité par Catherine Abou El Khair, cit., p. 2.
Selon lui, la CGT couvrait 500.000 salariés de moins que la CFDT lors de la période 2013-2016. Voir aussi « Philippe Martinez : “La CGT doit être plus ouverte à l’ensemble des salariés” », entretien réalisé par Clotilde Mathieu, humanite.fr, 3 avril 2017.
Jean-Pierre Basilien et , Un moment singulier, la mutation du modèle social français, étude n° 343, Entreprise & Personnel, octobre 2017, p. 67.
Comme on le voit, les taux calculés par Dominique Labbé puis par Olivier Jacod et Rim Ben Dhaou présentent une grande cohérence. Pour la période de la fin des années 1980 au début des années 2000, il apparaît un déclin limité des positions de la CGC, une relative stagnation de la CGT, de FO et des autres syndicats, une progression de la CFDT et, plus encore, de la CFTC. Concernant 2013-2016, le collège électoral est plus large, en raison de l’intégration des établissements où sont organisées des élections aux CE et des élections des DP et des DUP. Il importe donc d’observer les évolutions avec prudence. Selon les organisations, celles-ci se révèlent en effet assez sensibles : dégradation assez comparable des positions de la CGT et de FO, reflux plus limité de celles de la CFDT (quasi-stagnation depuis la fin des années 1980 mais recul par rapport au début des années 2000, sans doute en lien avec la crise interne qu’a connue la CFDT en 2003, à la suite de la réforme des retraites des fonctionnaires qu’elle avait approuvée), reflux comparable mais plus régulier de la CGC, progrès assez sensible de la présence de la CFTC.
Le tableau 7 rend compte du même type d’évolution par rapport aux électeurs inscrits. Les constats présentent des similitudes et des différences par rapport au tableau 6, même si l’étude d’Olivier Jacod et de Rim Ben Dhaou ne fournit pas de données sur le sujet. La juxtaposition des résultats des deux autres études disponibles conduit à observer un déclin de la présence de la CGT, de la CGC et, dans une moindre mesure, de FO. En revanche, il apparaît un progrès assez comparable de la présence de la CFDT et de la CFTC. Ces syndicats préservent mieux, voire consolident, leurs positions dans l’électorat. En 2017, la CGT a d’ailleurs officiellement expliqué le reflux de son audience électorale par celui de ses implantations : « Le premier problème est la différence de présence dans les entreprises », a ainsi argumenté le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, lors la publication des résultats de la deuxième mesure d’audience syndicale qui voyait la CFDT doubler la CGT63. De fait, Tristan Haute estime que la CFDT a couvert près de 430.000 électeurs de plus que la CGT lors de la deuxième mesure d’audience syndicale64. Cela découle d’implantations plus nombreuses et, sans doute, plus qualitatives (la CGT résistant mieux par rapport au nombre d’établissements mais perdant certains pans de l’électorat). Ajoutons que cet écart a pratiquement été multiplié par trois depuis la première mesure d’audience. Ayant fait ce constat arithmétique, le secrétaire général de la CGT n’a toutefois pas cherché – du moins publiquement – à l’analyser. Il est vrai que cette analyse ne peut qu’être cruelle pour l’organisation. Selon Jean-Pierre Basilien, « l’argument [développé par Philippe Martinez]65 est juste et traduit la disparition progressive de la CGT sur le terrain : la quasi- disparition des unions locales dans de nombreux territoires signe la fin du syndicalisme interprofessionnel de proximité et en conséquence [la fin de] la présence syndicale dans le tissu diffus des PME. La CGT, eu égard à son histoire, en est la grande perdante. Mais cela ne doit pas masquer son recul dans les grandes entreprises qui étaient ses fiefs historiques66 ». De nouveau, il apparaît que le problème de fond pour la CGT, comme pour les autres organisations syndicales, est bien celui de leur implantation effective.
Tableau 7 : Évolution des taux d’implantation syndicale dans l’électorat (en % des électeurs inscrits)
Source :
Idem tableau 6.
Dominique Labbé, cit., tableau I.17, p. 25.
Par rapport aux données du début des années 1980, et en prenant appui sur d’autres données établies par Dominique Labbé dans son étude67, le mécompte de la CGT traduirait même – en termes relatifs – un reflux de la « couverture » des salariés par cette confédération de près de 20 points (autrement dit, ses positions actuelles, rapportées à celles des autres organisations, auraient reculé d’un cinquième en une trentaine d’années), tandis que la CFDT et FO ne perdent que 4 points et que la CFTC améliore son taux de présence d’une dizaine de points. Des changements non négligeables se sont donc produits – reflux de la CGT, de FO et de la CGC, progression de la CFDT et de la CFTC – même si, globalement, le syndicalisme peine à enrayer un long déclin.
Deux propositions et une recommandation
Proposition 1 : favoriser l’adhésion syndicale et la participation aux élections professionnelles.
Voir Institut Montaigne/Entreprise & Personnel, Reconstruire le dialogue social, juin 2011, 16-19 et 60.
Voir Robert Michels, Les Partis Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, Ernest Flammarion, 1914.
Voir Thomas Breda, Les Représentants du personnel, Presses de Sciences Po, 2016, 59-61.
La manière la plus radicale de relancer l’adhésion syndicale serait sans conteste de supprimer les subventions et la taxe sur les salaires qui permettent de financer les organisations syndicales (et patronales) et les amènent à négliger la recherche de ressources en termes d’adhérents68. Les adhésions seraient le « prix » à payer pour rendre les syndicats représentatifs et responsables du service à fournir à leurs adhérents.
Compte tenu des difficultés à rompre avec cette accoutumance à des financements indirects et compte tenu de l’importance, devenue stratégique, pour les entreprises de disposer d’interlocuteurs syndicaux, quelle que soit leur implantation, les subventions, si elles sont maintenues, devraient être liées à des missions précises faisant l’objet d’une transparence effective (et pas seulement comptable).
Il importerait de réfléchir à l’application aux mandats syndicaux des règles de cumul et de limites (en nombre et dans le temps) qui prévalent désormais dans le monde des élus politiques. Cela contribuerait à restreindre le phénomène de forte professionnalisation du syndicalisme qui favorise la coupure entre mandats et mandataires. De manière plus générale, les effets de cette professionnalisation vérifient la célèbre « loi d’airain de l’oligarchie » prévalant dans toute organisation, fut-elle démocratique, soit la tendance des directions centrales à se transformer en une oligarchie se séparant peu à peu de la base, jusqu’à poursuivre des buts propres à cette élite69. L’ordonnance Macron-Pénicaud relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise du 22 septembre 2017 prévoit d’ailleurs de limiter le cumul dans le temps à trois mandats successifs (mais ceux-ci peuvent être remis en cause par accord d’entreprise).
Faute de supprimer les subventions aux syndicats, le « chèque syndical » peut apparaître aussi comme un moindre mal. Il confère en effet un rôle clé aux salariés dans l’attribution des subventions aux syndicats, puisqu’un chèque équivalent à quelques dizaines d’euros est remis annuellement à chaque salarié et que ce chèque ne peut être encaissé directement par le salarié mais seulement remis à un syndicat de son choix. Cela réintroduit un contrôle démocratique sur l’activité syndicale. Ce « chèque syndical » confère donc un pouvoir de contrôle aux salariés sur leurs représentants et les organisations représentatives. Mais les ordonnances Macron-Pénicaud ont renoncé à institutionnaliser ce chèque, au contraire de la loi d’habilitation des mêmes ordonnances du 15 septembre 2017. Il est vrai que les syndicats n’étaient pas favorables à ce dispositif.
La transparence effective des comptes des syndicats est également indispensable. Ses modalités actuelles (données comptables et globales publiées sur le site du Journal officiel, ignorant les personnels mis à disposition des syndicats, les locaux également mis à disposition, voire certains moyens matériels et consommations) sont largement insuffisantes et, sauf exception, ne permettent pas aux citoyens de se représenter clairement et simplement les comptes des syndicats. À l’évidence, ceci entretient l’idée d’une opacité des comptes, favorisant des critiques récurrentes et le désintérêt des salariés. D’autres mesures assurant une meilleure protection des élus du personnel et leur donnant des garanties en termes de carrière professionnelle doivent être envisagées ou renforcée 70.
Enfin, l’adhésion syndicale doit être relancée de façon très volontariste, en lien avec un syndicalisme de services, même si celui-ci ne constitue pas nécessairement la clé d’un syndicalisme majoritaire. Dans la même perspective, l’offre syndicale devrait pouvoir évoluer et permettre des innovations pour favoriser une relance de la participation électorale. Cela dit, les règles de représentativité de 2008 ont figé cette offre. Il importerait donc de les assouplir. Spécifiquement, il importe de repenser les consultations électorales fortement abstentionnistes qui, telles les élections dans les TPE, se sont révélées en décalage par rapport aux attentes et aux demandes des salariés concernés.
Proposition 2 : l’ère du partage des données commande de publier les résultats complets de toutes les élections professionnelles.
Il faut rappeler combien la mesure d’audience syndicale est hétérogène et problématique. Elle agrège des résultats de scrutins disparates et qui ne sont pas toujours significatifs en termes sociologiques. En conséquence, la « démocratie sociale » qui est affirmée peut apparaître assez théorique, donc fragile, voire artificielle, alors que de nouvelles et profondes transformations sont en cours, après la loi El Khomri de 2016 et les ordonnances Macron- Pénicaud de 2017 qui mettent l’accent sur la modernisation et le renforcement du dialogue social.
Pourquoi avoir abandonné la publication des résultats détaillés des élections aux CE, auxquels auraient pu s’ajouter ceux des élections des DP et des DUP ? On ne peut que le regretter car les données existent et pourraient être exploitées. Les enquêtes antérieures offraient en effet un portrait des audiences syndicales en fonction des secteurs économiques, des implantations, des collèges, des tailles d’établissement et des régions depuis 1966. La disparition de ces statistiques représente un recul pour la connaissance des relations sociales. Sur un autre plan, imagine-t-on des élections politiques dont le ministère de l’Intérieur fournirait seulement le résultat agrégé national sans publier le détail et sans qu’on puisse accéder facilement aux résultats par bureau de vote ? Certes, on pourra répliquer qu’il existe les données fournies par le site du ministère du Travail, mais elles ne constituent pas une source à laquelle le citoyen ou le chercheur peuvent accéder aisément et, sur leur base, construire ou procéder à des comparaisons parlantes. De même, il n’existe pas de cartographie ou de guide facilitant cet accès et permettant, par exemple, des tris par branche, catégorie ou territoire. Quant aux organisations syndicales, qui peuvent en revanche détenir ce type d’informations, elles ne les communiquent pas, opérant ainsi une sorte de privatisation des données électorales à rebours de toutes les tendances actuelles d’ouverture au public. On doit donc s’en tenir à des données très agrégées au plan national qu’il est très difficile d’utiliser lorsqu’il faut interpréter le sens des votes.
Une recommandation : seule une profonde révolution culturelle sauvera le syndicalisme.
Malgré tout, la mesure de l’audience syndicale publiée en mars 2017 traduit manifestement des évolutions loin d’être négligeables dans le paysage syndical. La longue érosion de la CGT a conduit la CFDT à s’emparer du leadership syndical dans le secteur marchand. Mais la CFDT doit aussi sa consolidation à un travail de terrain et à des implantations qui restent déterminantes pour le vote, même si elle n’a pas échappé, à l’instar des autres organisations, au phénomène plus global de la désyndicalisation. Mais ce changement dans la hiérarchie syndicale était déjà en germe et caractérisait quelque peu la mesure de l’audience syndicale publiée en 2013. Par ailleurs, des organisations telles que la CGC et l’UNSA ont également renforcé leurs positions, ce qui tend à affirmer la place d’un syndicalisme de « troisième type » ou de « troisième force ». Cela étant, les élections dans les TPE, contribuant à la construction de la mesure d’audience, demeurent très faiblement participationnistes. Plus largement, la caractéristique première de cette mesure demeure l’abstention. Sans compter, comme le souligne Christian Maheux, ancien dirigeant de l’Union syndicale Solidaires, que « des pans entiers de la classe ouvrière sont donc ignorés des calculs de représentativité syndicale71 ». En effet, son taux de couverture du salariat dans le secteur marchand ne dépasse pas 70%. Quant au taux d’implantation syndicale (et la possibilité pour un salarié lambda de se saisir d’un bulletin syndical dans une entreprise), il ne concerne guère qu’un salarié sur deux. Pour faire évoluer cette situation, Christian Mahieux écrivait simplement au lendemain de la publication de la seconde mesure d’audience : « C’est en notre sein, dans notre fonctionnement, dans nos pratiques trop souvent en décalage avec nos discours, qu’il faut rechercher les solutions72. »
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